Cour constitutionnelle
Arrêt n° 15/2025
du 30 janvier 2025
Numéros du rôle : 8191 et 8192
En cause : les questions préjudicielles concernant l’article 3.2.8 du décret de la Région flamande du 27 mars 2009 « relatif à la politique foncière et immobilière », posées par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
a. Par arrêt n° 258.880 du 21 février 2024, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 11 mars 2024, le Conseil d’État a posé les questions préjudicielles suivantes :
« - L’article 3.2.8 du décret du 27 mars 2009 ‘ relatif à la politique foncière et immobilière ’ viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce qu’il prévoit une exonération pour les organisations de logement social et pour la régie provinciale autonome ‘ Vlabinvest ’ ?
- L’article 3.2.8 du décret du 27 mars 2009 ‘ relatif à la politique foncière et immobilière ’ viole-t-il le principe d’égalité tel qu’il est contenu dans les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce qu’il prévoit une exemption pour les parents ayant des enfants qui sont à charge ou non et qui n’ont pas encore atteint l’âge de trente ans et en ce qu’il maintient en outre l’exemption si l’enfant est lui-même propriétaire – seul ou avec son partenaire – d’un terrain à bâtir nu, voire possède une habitation en pleine propriété, même pendant une période de trois ans ? ».
b. Par arrêt n° 258.879 du 21 février 2024, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 11 mars 2024, le Conseil d’État a posé la question préjudicielle suivante :
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« L’article 3.2.8 du décret du 27 mars 2009 ‘ relatif à la politique foncière et immobilière ’ viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce qu’il prévoit une exonération pour les organisations de logement social et pour la régie provinciale autonome ‘ Vlabinvest ’ ? ».
Ces affaires, inscrites sous les numéros 8191 et 8192 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- René Myncke, assisté et représenté par Me Hans-Kristof Carême, avocat au barreau de Louvain;
- la commune de Lubbeek, assistée et représentée par Me Bart Engelen, avocat au barreau d’Anvers;
- le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me Bart Martel, Me Kristof Caluwaert et Me Quinten Jacobs, avocats au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 20 novembre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Willem Verrijdt et Magali Plovie, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et les affaires seraient mises en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le litige au fond dans l’affaire n° 8192 concerne un recours en annulation de la décision du conseil communal de Lubbeek du 30 décembre 2019, approuvant un règlement-taxe relatif à la dénommée « redevance d’activation ».
Ce règlement prévoit, pour les exercices d’imposition 2020 à 2025 inclus, une redevance sur les parcelles et les lots non bâtis faisant partie d’un lotissement approuvé, figurant dans le registre communal des parcelles non bâties.
La redevance s’élève à 50 euros par mètre courant à front de rue pour une parcelle ou un lot non bâtis, avec un minimum de 700 euros par parcelle ou par lot non bâtis. Le litige au fond dans l’affaire n° 8191 concerne un recours en annulation, introduit par les mêmes parties requérantes, de la décision du conseil communal de Lubbeek du 25 mai 2021 portant adaptation du règlement-taxe précité. Le montant de la redevance n’a pas été modifié à cette occasion.
Le règlement-taxe du 30 décembre 2019 prévoit une exonération de la redevance d’activation pour « les organisations de logement social et le ‘ Investeringsfonds voor Grond- en Woonbeleid voor Vlaams-Brabant ’ [Fonds d’investissement de la politique foncière et du logement pour le Brabant flamand], visé à l’article 16 du décret du 25 juin 1992 contenant diverses mesures d’accompagnement du budget 1992 ». Dans sa version modifiée, le règlement-taxe du 25 mai 2021 prévoit une exonération de cette redevance pour « les organisations de logement social et le ‘ Vlaams Financieringsfonds voor grond- en woonbeleid voor Vlaams-Brabant ’ [Fonds flamand de financement de la politique foncière et du logement pour le Brabant flamand] (article 5.11 du Code flamand du Logement de 2021) ». Les parties requérantes devant la juridiction a quo soutiennent que ces exonérations présentent un caractère discriminatoire. Étant donné que ces exonérations correspondent à celle qui
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est visée à l’article 3.2.8, alinéa 1er, 2°, du décret de la Région flamande du 27 mars 2009 « relatif à la politique foncière et immobilière » (ci-après : le décret du 27 mars 2009), la juridiction a quo a posé à la Cour la première question préjudicielle dans l’affaire n° 8191 et la question préjudicielle dans l’affaire n° 8192.
Le règlement-taxe adapté du 25 mai 2021 octroie par ailleurs une exonération « limitée à un terrain à bâtir non bâti en zone d’habitat ou à un lot non bâti par enfant [...] aux parents ayant des enfants qui sont à charge ou non ». Il est requis à cette fin que l’enfant, au 1er janvier de l’exercice d’imposition, « n’[ait] pas encore atteint l’âge de trente ans » et « n’[ait] pas depuis trois années entières un terrain à bâtir [non bâti] dans une zone d’habitat, un lot [non bâti] ou une habitation en pleine propriété, seul ou avec la personne avec qui il est marié ou cohabite légalement ou de fait ». Les parties requérantes devant la juridiction a quo estiment que cette exonération est elle aussi discriminatoire. Étant donné que cette exonération correspond à celle qui est visée à l’article 3.2.8, alinéa 2, du décret du 27 mars 2009, la juridiction a quo a posé à la Cour la seconde question préjudicielle dans l’affaire n° 8191.
III. En droit
-A-
Quant à la recevabilité des questions préjudicielles
A.1.1. Le Gouvernement flamand, que rejoint sur ce point la commune de Lubbeek, soutient que ni les questions préjudicielles, ni la motivation des décisions de renvoi ne permettent de déduire les catégories de personnes qui doivent être comparées. La référence aux « autres propriétaires de terrains » employée par la juridiction a quo ne permet pas à la Cour d’identifier précisément les catégories de personnes à comparer. Au demeurant, il n’appartient pas aux parties devant la juridiction a quo de déterminer l’objet et la portée des questions préjudicielles. Par conséquent, ces dernières sont irrecevables.
A.1.2. En outre, d’après le Gouvernement flamand et la commune de Lubbeek, il ressort de la formulation des questions préjudicielles et de la motivation des décisions de renvoi que la Cour est en réalité uniquement invitée à examiner certaines parties de l’article 3.2.8 du décret du 27 mars 2009 et non cette disposition dans son intégralité. En effet, les questions préjudicielles se rapportent aux exonérations dont bénéficient les organisations de logement social et la régie provinciale autonome « Vlabinvest » (ci-après : Vlabinvest), visées à l’article 3.2.8, alinéa 1er, 2°, du décret du 27 mars 2009, et à l’exonération dont bénéficient les parents ayant un enfant de moins de trente ans, visée à l’article 3.2.8, alinéa 2, du même décret.
A.2. René Myncke, première partie requérante devant la juridiction a quo, estime que la Cour dispose des éléments nécessaires pour se prononcer sur les questions préjudicielles. Il n’est pas impératif qu’une question préjudicielle énonce explicitement les catégories de personnes à comparer. Il suffit que la différence de traitement à laquelle se rapporte cette question puisse se déduire de la motivation de la décision de renvoi. En l’espèce, la motivation des décisions de renvoi comprend un énoncé détaillé des circonstances dans lesquelles se trouvent les parties requérantes devant la juridiction a quo, dont il ressort entre autres qu’elles n’ont pas d’enfant qui leur permette de bénéficier d’une exonération de la redevance d’activation. Par ailleurs, la disposition en cause octroie un avantage à certaines catégories de personnes, alors qu’elle en exclut toutes les autres. Ainsi, aucun doute ne saurait peser sur les catégories de personnes à comparer.
Quant au fond
En ce qui concerne la première question préjudicielle dans l’affaire n° 8191 et la question préjudicielle dans l’affaire n° 8192
A.3.1. Le Gouvernement flamand estime que l’exonération de la redevance d’activation dont bénéficient les organisations de logement social et Vlabinvest, visée à l’article 3.2.8, alinéa 1er, 2°, du décret du 27 mars 2009, est compatible avec le principe d’égalité et de non-discrimination, garanti par les articles 10, 11 et 172 de la Constitution. Il appartient au législateur décrétal de déterminer les exonérations des taxes qu’il prévoit. Il dispose en la matière d’un large pouvoir d’appréciation. Contrairement à ce que prétend René Myncke, le fait qu’une taxe
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poursuive un objectif incitatif n’empêche pas que celle-ci s’accompagne d’exonérations pour certaines catégories de personnes. C’est également ce qui ressort de l’arrêt n° 160/2023 du 23 novembre 2023
(ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.160), par lequel la Cour a jugé qu’une exonération, pour certains bâtiments protégés, de la taxe contre le délabrement était raisonnablement justifiée. Le point de vue de René Myncke revient à nier au législateur fiscal le droit d’exonérer certaines catégories de personnes lorsqu’il introduit une taxe qui vise à modifier les comportements. Il est par ailleurs indifférent que les travaux préparatoires du décret du 27 mars 2009
n’énoncent pas les motifs sur lesquels se fonde l’exonération en cause. Le constat que la justification d’une mesure ne figure pas dans les travaux préparatoires n’exclut pas qu’ait présidé à son adoption un objectif d’intérêt général de nature à justifier la différence de traitement que cette mesure induit.
A.3.2. Le Gouvernement flamand expose que les objectifs de la redevance d’activation consistent à rendre disponibles des lieux de résidence potentiels et à contrecarrer la spéculation foncière. En tout état de cause, les organisations de logement social contribuent à la réalisation de ces objectifs. Elles se voient en effet assigner une mission d’intérêt général, à savoir la réalisation de la politique flamande en matière de logement social. Elles sont par ailleurs soumises à un cadre décrétal spécifique, qui les oblige à utiliser les terrains à bâtir et parcelles non bâtis pour la réalisation de projets de logements sociaux. Par ailleurs, compte tenu de leurs missions d’intérêt général, les organisations de logement social ne peuvent être réputées agir à des fins spéculatives. Si, pour des motifs purement spéculatifs, ces organisations omettaient de valoriser des terrains à bâtir et des lots, elles violeraient leur mission décrétale.
Le Gouvernement flamand renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 20 novembre 1975
(ECLI:BE:CASS:1975:ARR.19751120.6). Par cet arrêt, celle-ci a jugé, en ce qui concerne l’article 70bis, § 2, c), de la loi du 29 mars 1962 « organique de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme » (ci-après : la loi du 29 mars 1962), que « le législateur, par la dispense de taxe établie en faveur des sociétés nationales et locales ayant pour objet la construction de logements sociaux, a entendu éviter l’imposition de sociétés immobilières de service public qui, dans le cadre de leur politique foncière, réservent des terrains à des fins sociales ». L’arrêt de la Cour de cassation du 29 janvier 2021 (ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20210129.1N.21) invoqué par René Myncke n’est pas pertinent en l’espèce. Cet arrêt porte sur une autre exonération d’une autre taxe poursuivant un autre objectif.
En ce que René Myncke allègue que les missions de la Société flamande du logement social (« Vlaamse Maatschappij voor Sociaal Wonen ») ont depuis lors été considérablement restreintes, le Gouvernement flamand relève que la circonstance qu’une exonération n’est plus appliquée dans la pratique pour une organisation de logement social déterminée ne rend pas cette exonération discriminatoire. Du reste, depuis l’entrée en vigueur du décret de la Région flamande du 3 juin 2022 « portant diverses mesures relatives à la restructuration du domaine politique du Logement », l’agence « Wonen-Vlaanderen » a non seulement repris les missions de la Société flamande du logement social, mais est également subrogée dans les droits, obligations et compétences de celle-ci.
L’agence « Wonen-Vlaanderen » peut donc désormais bénéficier de l’exonération fiscale en cause.
A.3.3. Enfin, d’après le Gouvernement flamand, la redevance d’activation ne produit pas des effets disproportionnés pour le redevable. Il s’agit d’une redevance annuelle que les communes doivent déterminer et dont les tarifs minimaux sont fixés à l’article 3.2.5, § 1er, du décret du 27 mars 2009. Le redevable peut à tout moment éviter cette redevance en mettant le terrain à bâtir ou le lot à disposition en tant que lieu de résidence. Par ailleurs, l’article 3.2.8 du décret du 27 mars 2009 présente un caractère supplétif, les règlements-taxes communaux pouvant donc y déroger (article 3.2.6 du même décret).
A.3.4. Par conséquent, selon le Gouvernement flamand, l’exonération de la redevance d’activation dont bénéficient les organisations de logement social est raisonnablement justifiée au regard des objectifs de cette redevance. Ces objectifs sont également atteints par les obligations décrétales et statutaires auxquelles sont soumises ces organisations.
A.3.5. Il en va de même en ce qui concerne l’exonération dont bénéficie Vlabinvest. Le Gouvernement flamand relève que cette agence exerce des missions similaires à celles des organisations de logement social. Il ressort en effet de l’article 2 des statuts de Vlabinvest que celle-ci contribue à la réalisation de nouvelles structures de logement social. Le raisonnement de René Myncke, qui fait valoir que Vlabinvest peut poursuivre un but de lucre et que les activités de cette agence ne sont pas de nature sociale, ne peut être suivi. L’article 32 des statuts de Vlabinvest, cité par René Myncke, précise uniquement ce qu’il y a lieu d’entendre par « bénéfice net ». De plus, conformément à cette même disposition, le bénéfice net est intégralement versé à la réserve. Le fait qu’une agence publique puisse avoir un solde bénéficiaire sur son compte de résultats n’empêche pas qu’elle soit exonérée de la redevance d’activation.
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A.4.1. La commune de Lubbeek estime que l’article 3.2.8, alinéa 1er, 2°, du décret du 27 mars 2009 est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en grande partie pour les mêmes motifs que ceux qui ont été exposés par le Gouvernement flamand. Elle relève en outre que les communes jouissent d’une autonomie fiscale consacrée constitutionnellement. Cette autonomie implique entre autres la compétence de désigner les redevables. La circonstance qu’une taxe poursuive un but incitatif ne fait pas obstacle à ce qu’une commune exonère de cette taxe certaines catégories de personnes.
A.4.2. La commune de Lubbeek met en exergue les différences fondamentales entre, d’une part, les propriétaires fonciers particuliers, tels que les parties requérantes devant la juridiction a quo, et, d’autre part, les organisations de logement social et Vlabinvest. Les propriétaires fonciers particuliers cherchent à satisfaire leurs intérêts privés. Il leur est loisible de s’adonner à la spéculation foncière ou non. Les organisations de logement social et Vlabinvest exercent des missions d’intérêt général et ne poursuivent pas un but de lucre. Leur nature de droit public et leur finalité sociale impliquent qu’elles ne se livrent pas à la spéculation foncière. Le point de vue des parties requérantes devant la juridiction a quo, qui souhaitent l’extension de l’exonération aux propriétaires fonciers particuliers, viderait d’ailleurs la redevance d’activation de sa substance.
A.4.3. La commune de Lubbeek soutient que l’exonération en cause trouve son fondement dans l’article 70bis de la loi du 29 mars 1962, qui prévoyait une dispense en faveur des sociétés nationales et locales ayant pour objet la construction de logements sociaux. La justification de cette exonération tenait à la politique du logement que devaient mener ces sociétés et plus particulièrement au fait qu’elles étaient tenues de disposer d’une réserve foncière pour réaliser des projets de logements sociaux, ainsi qu’il ressort également de l’arrêt de cassation du 20 novembre 1975, précité. Pour le même motif, l’exonération en cause est elle aussi raisonnablement justifiée.
Les organisations de logement social et Vlabinvest ont pour mission de préserver et d’élargir une offre qualitative et abordable de logements sociaux. Elles reçoivent à cette fin des subventions. Assujettir les organisations de logement social et Vlabinvest à la redevance d’activation irait à l’encontre de la politique flamande et communale du logement. En outre, le Code flamand du Logement de 2021 donne à la Région flamande d’autres moyens de contrôler les organisations de logement social et de les inciter à développer des terrains plus rapidement.
A.5.1. René Myncke estime que l’article 3.2.8, alinéa 1er, 2°, du décret du 27 mars 2009 n’est pas compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution. La redevance d’activation poursuit un but incitatif, qui consiste à rendre disponibles des lieux de résidence potentiels et à contrecarrer la spéculation foncière. Le législateur décrétal n’a pas motivé en quoi les exonérations en cause cadrent avec cet objectif. Du reste, durant l’élaboration du décret du 27 mars 2009, les exonérations en cause ont fait l’objet de diverses critiques. Il résulte de l’arrêt de la Cour de cassation du 29 janvier 2021, précité, qui portait sur une taxe communale sur des logements et immeubles déclarés inadaptés ou inhabitables, qu’une exonération fiscale faisant obstacle au but incitatif de la taxe n’est pas compatible avec le principe d’égalité et de non-discrimination. L’arrêt de la Cour de cassation du 20 novembre 1975 mentionné par le Gouvernement flamand et la commune de Lubbeek est dès lors obsolète. Au regard du but incitatif de la redevance d’activation, l’unique critère pertinent est de savoir si un terrain ou un lot est constructible ou non. Toute exonération de la redevance d’activation pour une parcelle constructible fait obstacle au but incitatif de cette redevance. Par conséquent, aucune différence ne peut être établie entre propriétaires publics et privés.
René Myncke soutient encore que l’argumentation du Gouvernement flamand et de la commune de Lubbeek repose sur une interprétation du terme d’« organisation de logement social » qui ne correspond pas à l’état actuel de la législation. L’article 1.2, 17°, du décret du 27 mars 2009 définit le concept d’« organisation de logement social » comme « une organisation telle que visée à l’article 1.3, § 1er, alinéa 1er, 53°, du Code flamand du Logement de 2021 ». En vertu de cette dernière disposition, il s’agit de « la VMSW [la Société flamande du logement social], une société de logements, le Fonds flamand du logement ou une union de locataires ». L’on n’aperçoit pas pourquoi une agence locative sociale ou une union de locataires devrait s’occuper de bâtir sur des terrains. En outre, au regard des objectifs de la redevance d’activation, il ne va pas de soi que les organisations de logement social, contrairement aux autres propriétaires de terrains, puissent conserver en propriété des terrains à bâtir et des lots non bâtis sans être taxées à cet égard. La récente réforme de la législation en matière de logement social a, en particulier, considérablement limité les missions de la Société flamande du logement social. Plus aucune de ses missions ne concerne encore l’acquisition de terrains à bâtir. Les sociétés de logements sont également censées construire des logements plutôt que de laisser les terrains non bâtis. Il ne se justifie donc pas d’exonérer de la redevance d’activation les organisations de logement social. Rien n’empêche ces organisations de laisser non bâtis certains terrains ou lots pendant de nombreuses années, pour ensuite les vendre en engrangeant un bénéfice.
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A.5.2. Selon René Myncke, ceci est d’autant plus vrai en ce qui concerne l’exonération dont bénéficie Vlabinvest. En effet, l’article 32 des statuts de Vlabinvest concerne la réalisation de bénéfices et leur mise en réserve. Vlabinvest a en outre un statut autonome et peut, conformément à l’article 5 de ses statuts, nouer des collaborations avec des personnes de droit privé et avec des particuliers. Plus encore, conformément au décret de la Région flamande du 31 janvier 2014 « attribuant à la Province du Brabant flamand la compétence relative à la conduite d’une politique foncière et du logement spécifique et d'une politique d’aide sociale et d’infrastructure de santé spécifique pour le Brabant flamand », Vlabinvest est également compétente pour développer des structures jugées nécessaires en vue de préserver ou de promouvoir le « caractère flamand » ainsi qu’une haute qualité de logement dans la province du Brabant flamand, ce qui est étranger à tout objectif de nature sociale. Par conséquent, rien ne justifie que Vlabinvest ne soit redevable d’aucune redevance d’activation, contrairement aux autres propriétaires d’un lot ou d’un terrain à bâtir non bâtis.
En ce qui concerne la seconde question préjudicielle dans l’affaire n° 8191
A.6.1. Le Gouvernement flamand estime que l’exonération dont bénéficient les parents ayant un enfant de moins de trente ans, visée à l’article 3.2.8, alinéa 2, du décret du 27 mars 2009, est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
D’après le Gouvernement flamand, le législateur décrétal peut exempter de la redevance d’activation certaines catégories de propriétaires, lorsqu’il estime que les motifs pour lesquels ces propriétaires laissent non bâtis un terrain à bâtir ou un lot sont politiquement acceptables. L’exonération en cause a une portée limitée, étant donné qu’un seul terrain ou un seul lot par enfant est pris en considération. De surcroît, cet enfant doit avoir moins de trente ans et ne peut pas lui-même disposer depuis trois années entières d’un terrain à bâtir non bâti, d’un lot non bâti ou d’une habitation en pleine propriété. La redevance d’activation est motivée par l’objectif de rendre disponibles des lieux de résidence potentiels et de contrecarrer la spéculation foncière. Le législateur décrétal a pu estimer que les parents ayant des enfants de moins de trente ans ne laissent pas non bâtis un terrain à bâtir ou un lot pour des raisons spéculatives, mais pour soutenir leur enfant dans la construction de son logement. Dans l’hypothèse où, par exception, ces parents poursuivraient malgré tout des objectifs spéculatifs, le Gouvernement flamand relève que la loi fiscale doit nécessairement appréhender la diversité des situations en catégories qui ne correspondent à la réalité que d’une manière simplificatrice et approximative. Les intentions réelles des parents concernés ne peuvent être sondées au cas par cas. Ainsi, il n’est pas déraisonnable de les exonérer de manière générale de la redevance d’activation.
A.6.2. En ce qui concerne spécifiquement la condition suivant laquelle l’enfant ne peut disposer d’une propriété depuis trois années entières, le législateur décrétal a souhaité éviter que les parents ne puissent plus bénéficier de l’exonération dans l’hypothèse où un couple achèterait une propriété, mais se séparerait assez rapidement, l’enfant retournant alors chez ses parents. Selon le Gouvernement flamand, il n’existe pas non plus de risque de spéculation dans cette situation.
A.6.3. Par ailleurs, le Gouvernement flamand considère que l’exonération en cause ne donne pas lieu à une discrimination indirecte fondée sur l’âge. Tout parent peut en bénéficier, quel que soit son âge, à condition qu’il ait un enfant de moins de trente ans. La limite d’âge de trente ans n’est pas déraisonnable, étant donné que, dans la plupart des cas, la dépendance financière des enfants s’estompe à mesure qu’ils vieillissent.
A.6.4. Enfin, le Gouvernement flamand estime que l’exonération en cause n’a pas d’effets disproportionnés.
Il répète que la redevance d’activation ne constitue pas une charge financière disproportionnée pour le redevable et que l’article 3.2.8 du décret du 27 mars 2009 présente un caractère supplétif.
A.7. Selon la commune de Lubbeek, l’article 3.2.8, alinéa 2, du décret du 27 mars 2009 est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en grande partie pour les mêmes motifs que ceux qui ont été exposés par le Gouvernement flamand. Elle relève en outre que, selon les travaux préparatoires de cette disposition, l’exonération dont bénéficient les parents vise à éviter que la redevance d’activation soit perçue comme « antisociale ». Le but de cette exonération est de ne pas dissuader les parents de céder sur le long terme un terrain à bâtir à leurs enfants, par donation ou legs. La donation ou le legs d’un terrain à bâtir par un parent à un enfant sont étrangers à la spéculation foncière. La précision selon laquelle l’exonération est accordée aux parents d’enfants « qui sont à charge ou non » garantit en outre l’égalité de traitement des parents divorcés et de ceux qui ne le sont pas. Par conséquent, l’exonération en cause est raisonnablement justifiée.
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A.8. René Myncke estime que l’article 3.2.8, alinéa 2, du décret du 27 mars 2009 n’est pas compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution. L’exonération dont bénéficient les parents fait obstacle au but incitatif de la redevance d’activation. Par ailleurs, l’article 3.2.8, alinéa 2, du décret du 27 mars 2009 permet en réalité aux propriétaires concernés d’investir dans un terrain à bâtir par enfant pendant une période de trente ans sans être soumis à la redevance, pour ensuite aliéner ce fonds et faire donation du produit de sa vente à l’enfant concerné.
Lorsque tous ses enfants ont atteint l’âge de trente ans, le propriétaire peut également transférer le terrain à l’un d’entre eux, qui peut alors à son tour bénéficier de l’exonération de la redevance s’il a lui-même un enfant. À cet égard, il s’agit d’une exonération fiscale intergénérationnelle. Enfin, vu le nombre élevé de familles avec enfants en Région flamande, il ne peut raisonnablement pas être question d’une mesure sociale.
-B-
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1. Les questions préjudicielles portent sur les exonérations de la redevance d’activation en Région flamande dont bénéficient, d’une part, les organisations de logement social et la régie provinciale autonome « Vlabinvest » (ci-après : Vlabinvest), et, d’autre part, les parents ayant un enfant de moins de trente ans.
B.2. L’article 3.2.5 du décret de la Région flamande du 27 mars 2009 « relatif à la politique foncière et immobilière » (ci-après : le décret du 27 mars 2009) constitue la section 1re (« Autorisation ») du chapitre 2 (« Redevance d’activation ») du titre 2 (« Mesures contraignantes ») du livre 3 (« Activation de terrains et d’immeubles ») de ce décret.
Cette disposition est libellée comme suit :
« § 1er. Les communes libèrent des sites d’habitat potentiels et combattent la spéculation foncière.
À cette fin, les conseils communaux sont autorisés à lever un impôt annuel, levé sur des terrains à bâtir nus situés en zone d’habitat ou des lots nus, compte tenu des règles minimales suivantes :
1° lorsque la redevance d’activation est fixée à un montant par mètre courant de longueur du terrain à bâtir ou du lot attenant à la voie publique, la redevance s’élève au moins à 12,50 euros par mètre courant;
2° lorsque la redevance d’activation est fixée à un montant par mètre carré de superficie du terrain à bâtir ou du lot, la redevance s’élève au moins à 0,25 euros par mètre carré;
3° dans tous les cas, une redevance minimale de 125 euros est appliquée par terrain à bâtir ou par lot.
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Dans la même commune, on peut lever tant une redevance d’activation sur des terrains non bâtis dans une zone d’habitat que sur des lots non bâtis.
§ 2. Les montants visés au § 1er, alinéa deux, sont liés à l’évolution de l’indice ABEX et correspondent à l’indice du mois de décembre 2008. Ils sont adaptés le 1er janvier de chaque année à l’indice ABEX du mois de [décembre] précédant l’adaptation ».
B.3. L’article 3.2.8, en cause, du décret du 27 mars 2009 fait partie de la section 2
(« Principes ») du chapitre 2 (« Redevance d’activation ») précité.
Cette section est libellée comme suit :
« Art. 3.2.6. La présente section s’applique dans la mesure où les règlements de redevance communaux n’y dérogent pas.
Art. 3.2.7. La redevance d’activation est due par la personne qui est le propriétaire du terrain à bâtir ou du lot le 1er janvier de l’année de redevance.
Lorsqu’il n’existe pas de [lire : lorsqu’il existe un] droit de superficie ou d’emphytéose, la redevance d’activation est due par le fermier [lire : l’emphytéote] ou le superficiaire.
S’il y a plusieurs redevables de la redevance, ceux-ci sont solidairement tenus au paiement de la redevance d’activation due.
Art. 3.2.8. Sont exonérés de la redevance d’activation :
1° les propriétaires d’un seul terrain à bâtir nu en zone d’habitat ou d’un lot nu, à l’exclusion de tout autre bien immobilier situé en Belgique ou à l’étranger;
2° les organisations de logement social et Vlabinvest apb;
3° (...)
4° les associations de jeunesse et associations sportives agréées par les pouvoirs publics.
Une exemption, limitée à un seul terrain à bâtir nu en zone d’habitat ou à un lot nu par enfant, est également accordée aux parents ayant des enfants qui sont à charge ou non. Cette exemption est accordée à condition que l’enfant réponde le 1er janvier de l’année de redevance aux deux conditions suivantes :
1° il n’a pas encore atteint l’âge de trente ans;
2° Il n’a pas depuis trois années entières un terrain à bâtir nu dans une zone d’habitat, un lot nu ou une habitation en pleine propriété, seul ou avec la personne avec qui il est marié ou cohabite légalement ou de fait.
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Art. 3.2.9. La redevance d’activation n’est pas levée sur des parcelles qui répondent aux deux conditions suivantes :
1° elles appartiennent au même propriétaire que celui du terrain à bâtir ou du lot bâti continu;
2° [elles] forment un ensemble spatial ininterrompu avec ce terrain ou lot bâti.
L’exemption visée à l’alinéa premier, ne s’applique qu’à une longueur côté rue de trente mètres maximum. Lorsque la redevance d’activation est calculée au mètre carré, l’exemption est calculée en multipliant la longueur rue exonérée par la longueur moyenne du terrain à bâtir nu en zone d’habitat ou du lot nu.
Art. 3.2.10. La redevance d’activation n’est pas levée sur des terrains à bâtir et lots qui ne peuvent être affectés à la construction pendant l’année de redevance :
1° suite à leur aménagement en équipements collectifs, en ce compris leurs dépendances;
2° en vertu du décret flamand sur le bail à ferme du 13 octobre 2023, la preuve du bail pouvant être fournie par tous les moyens de droit;
3° en raison de leur affectation réelle et complète à l’agriculture ou l’horticulture, pendant toute l’année;
4° suite à une interdiction de construire ou une quelconque autre servitude d’utilité publique rendant la construction de logements impossible;
5° en raison d’une cause étrangère qui ne peut être imputée au redevable de la redevance, telle que la dimension réduite des terrains à bâtir ou des lots, ou leur implantation, forme ou situation physique.
Art. 3.2.11. La redevance d’activation est suspendue dans le chef des titulaires d’un permis d’environnement pour le lotissement de [terrains] accordé en dernière instance administrative, et ce, pendant cinq ans, à compter du 1er janvier de l’année suivant la délivrance de l’autorisation en dernière instance administrative, respectivement, lorsque le lotissement comprend des travaux, à partir du 1er janvier de l’année suivant l’année de délivrance de l’attestation, visée à l’article 4.2.16, § 2, du Code flamand de l’Aménagement du Territoire, le cas échéant pour la phase du permis d’environnement pour le lotissement de [terrains] pour laquelle l’attestation est délivrée.
Art. 3.2.12. Outre les exemptions accordées par ou en vertu de la présente section, la non-
imposabilité générale de l’Etat, des Communautés, des Régions, des Provinces et des Communes s’applique pour ce qui concerne les biens du domaine public et les biens du domaine privé qui sont affectés à un service d’utilité publique ».
B.4. Les travaux préparatoires du décret du 27 mars 2009 mentionnent :
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« 45. Concrètement et au vu de la littérature, il est incontestable que la figure actuelle de la taxe communale (facultative) sur des terrains non bâtis (article 143 du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 ‘ portant organisation de l’aménagement du territoire ’) a prouvé son utilité pour l’activation de terrains dormants.
Cette taxe a donc été reprécisée et transformée en une ‘ redevance d’activation ’ (article 3.2.5 et suiv.).
46. Les règles décrétales relatives à cette redevance d’activation se décomposent en deux groupes.
Le premier groupe comprend des règles de droit supplétif. Elles ont été inscrites à la section 2. Les communes peuvent y déroger; elles peuvent également les compléter (en prévoyant p. ex. des exonérations supplémentaires). [...]
Le second groupe comprend des règles impératives. En dehors du fait évident que la taxe relève du décret sur la procédure du 30 mai 2008 (article 3.2.13), il s’agit :
1° de la fixation des montants minimums de la redevance nécessaires pour garantir l’effectivité de la redevance (article 3.2.5, § 1er, alinéa 2);
2° de l’obligation de lever une redevance lorsque le potentiel de construction au sein de la commune ‘ reste insuffisant ’ par rapport aux besoins en logements dans la commune. [...] »
(Doc. parl., Parlement flamand, 2008-2009, n° 2012/1, p. 20).
Quant à la première question préjudicielle dans l’affaire n° 8191 et à la question préjudicielle dans l’affaire 8192
B.5.1. Par la première question préjudicielle dans l’affaire n° 8191 et par la question préjudicielle dans l’affaire n° 8192, qui sont identiques, la Cour est invitée à contrôler la compatibilité de l’article 3.2.8 du décret du 27 mars 2009 avec les articles 10 et 11 et 172 de la Constitution, « en ce qu’il prévoit une exonération pour les organisations de logement social et pour la régie provinciale autonome ‘ Vlabinvest ’ ».
B.5.2. Il ressort de la formulation des questions préjudicielles qu’elles portent exclusivement sur l’exonération dont bénéficient les organisations de logement social et Vlabinvest, visée à l’article 3.2.8, alinéa 1er, 2°, du décret du 27 mars 2009. La Cour limite son examen à cette disposition.
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B.6.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination. L’article 172 de la Constitution est une application particulière de ce principe en matière fiscale.
B.6.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.7.1. L’examen de la compatibilité d’une disposition législative avec le principe d’égalité et de non-discrimination suppose en principe l’identification précise de deux catégories de personnes qui font l’objet d’une différence de traitement ou d’une identité de traitement.
D’après le Gouvernement flamand, l’on n’aperçoit pas clairement quelles catégories de personnes doivent être comparées en l’espèce, de sorte que la Cour ne disposerait pas des éléments nécessaires pour se prononcer.
B.7.2. Les questions préjudicielles mentionnent uniquement les instances qui peuvent bénéficier de l’exonération visée à l’article 3.2.8, alinéa 1er, 2°, du décret du 27 mars 2009, à savoir les organisations de logement social et Vlabinvest, mais elles ne précisent pas les catégories de personnes avec lesquelles il convient de comparer ces instances.
Toutefois, il peut être déduit des motifs des décisions de renvoi que les questions préjudicielles visent la situation des parties requérantes devant la juridiction a quo, qui, en tant que particuliers, ne peuvent prétendre à l’exonération précitée. La Cour est par conséquent invitée à examiner la différence de traitement entre, d’une part, les organisations de logement social et Vlabinvest, qui sont exonérées de la redevance d’activation, et, d’autre part, les propriétaires particuliers d’un terrain non bâti en zone d’habitat ou d’un lot non bâti, en ce qu’ils sont redevables d’une redevance d’activation. Au demeurant, il ressort des mémoires de la
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partie défenderesse devant la juridiction a quo et du Gouvernement flamand que ceux-ci ont compris les questions préjudicielles en ce sens et ont ainsi pu mener une défense utile.
B.8. Il appartient au législateur compétent d’établir les exonérations fiscales et leurs modalités. Il dispose en la matière d’un large pouvoir d’appréciation. En effet, les mesures fiscales constituent un élément essentiel de la politique socio-économique. Elles assurent non seulement une part substantielle des recettes qui doivent permettre la réalisation de cette politique, mais elles permettent également au législateur d’orienter certains comportements et d’adopter des mesures correctrices afin de donner corps à la politique sociale et économique.
Les choix sociaux qui doivent être réalisés lors de la collecte et de l’affectation des ressources relèvent par conséquent du pouvoir d’appréciation du législateur compétent. La Cour ne peut sanctionner un tel choix politique et les motifs qui le fondent que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou s’ils sont déraisonnables.
B.9.1. Ainsi qu’il ressort de l’article 3.2.5 du décret du 27 mars 2009, la redevance d’activation a pour ambition de rendre disponibles des lieux de résidence potentiels et de contrecarrer la spéculation foncière. Selon les travaux préparatoires de ce décret, mentionnés en B.4, le législateur décrétal entend par cette redevance activer les « terrains dormants ».
B.9.2. Les travaux préparatoires du décret du 27 mars 2009 ne précisent pas expressément la raison pour laquelle le législateur décrétal a exonéré de cette redevance d’activation les organisations de logement social et Vlabinvest. Contrairement à ce que prétend la première partie requérante devant la juridiction a quo, il n’en résulte pas qu’il n’existe aucune justification raisonnable à la différence de traitement en cause. La Cour ne peut pas conclure à la violation du principe d’égalité et de non-discrimination au seul motif que les travaux préparatoires ne font pas apparaître de justification objective et raisonnable à la différence de traitement. En effet, le constat de l’absence d’une telle justification dans les travaux préparatoires n’exclut pas qu’une mesure puisse se fonder sur un objectif d’intérêt général susceptible de justifier raisonnablement la différence de traitement induite.
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B.10.1. Il faut comprendre par « organisation de logement social » au sens de l’article 3.2.8, alinéa 1er, 2°, du décret du 27 mars 2009 « une organisation [...] visée à l’article 1.3, § 1er, alinéa 1er, 53°, du Code flamand du Logement de 2021 » (article 1.2, alinéa 1er, 17°, du décret du 27 mars 2009).
Au moment de l’adoption des règlements-taxes communaux attaqués dans les litiges au fond, la notion d’« organisation de logement social » était définie comme « la VMSW [la Société flamande du logement social], une société de logement social, le Fonds flamand du Logement, une agence locative sociale ou une union de locataires » (article 1.3, § 1er, alinéa 1er, 53°, du Code flamand du Logement de 2021, tel qu’il était applicable avant sa modification par l’article 17, 9°, du décret de la Région flamande du 9 juillet 2021 « portant modification de divers décrets relatifs au logement » (ci-après : le décret du 9 juillet 2021); voy.
aussi l’article 2, § 1er, alinéa 1er, 26°, du décret de la Région flamande du 15 juillet 1997
« contenant le Code flamand du Logement »).
À la suite de la réforme introduite par le décret du 9 juillet 2021, les sociétés de logement social et les agences locatives sociales ont été remplacées par un seul et même acteur du logement, à savoir la société de logement, qui, au sein des zones d’activités fixées par le Gouvernement flamand, fait office d’interlocuteur unique pour le candidat-locataire social ou le candidat-acheteur social. C’est ainsi que, depuis sa modification par l’article 17, 9°, du décret du 9 juillet 2021, l’article 1.3, § 1er, alinéa 1er, 53°, du Code flamand du Logement de 2021
définit la notion d’« organisation de logement social » comme « la VMSW, une société de logement, le Fonds flamand du Logement ou une union de locataires ».
B.10.2. Les articles 4.1 à 4.6 du Code flamand du Logement de 2021 constituent le titre 1er (« Dispositions communes ») de la partie 1 (« Organisations de logement social ») du livre 4
(« Acteurs du logement ») de ce Code.
En vertu de l’article 4.1 du Code flamand du Logement de 2021, « les organisations de logement social poursuivent la réalisation du droit au logement en inscrivant leurs activités dans les objectifs spéciaux énoncés à l’article 1.6 » (alinéa 1er) et « [elles] exécutent toutes les opérations explicitement liées à leur mission et aux autres aspects de la politique du logement social, auxquelles [elles] doivent ou peuvent contribuer en vertu d’un décret ou d’un arrêté du Gouvernement flamand » (alinéa 2).
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En vertu de l’article 1.6, § 1er, alinéa 1er, du même Code, « la politique flamande du logement crée, dans les limites des crédits inscrits à cet effet au budget de la Région flamande, les conditions de réalisation du droit à un logement conforme à la dignité humaine », entre autres en « mettant à disposition des logements locatifs et acquisitifs à des conditions sociales »
(1°) et en « promouvant la rénovation, l’amélioration ou l’adaptation du parc de logements et, le cas échéant, en procédant à son remplacement » (2°).
En vertu de l’article 4.6 du même Code, le Gouvernement flamand veille à ce que :
« 1° les opérations des organisations de logement social soient coordonnées avec et intégrées dans la politique du logement flamande et communale;
2° les organisations de logement social tiennent compte dans leur fonctionnement des objectifs spécifiques de la politique du logement, visés à l’article 1.6, et coopèrent, tant mutuellement qu’avec d’autres instances qui sont actives au niveau local dans le domaine du logement;
3° les organisations de logement social exécutent leurs missions ».
En outre, le Code flamand du Logement de 2021 comprend des dispositions spécifiques concernant les différentes catégories d’organisations de logement social.
B.11.1. Vlabinvest est « l’Agence pour la Politique du Logement et de l’Infrastructure des Soins pour le Brabant flamand, créée comme l’Agence pour la Politique foncière et du Logement pour le Brabant flamand par l’article 1er de l’arrêté du Conseil provincial du Brabant flamand du 22 octobre 2013, et transformée en l’Agence pour la Politique du Logement et de l’Infrastructure des Soins pour le Brabant flamand, par arrêté du Conseil provincial du Brabant flamand » (article 1.2, alinéa 1er, 22°/1, du décret du 27 mars 2009).
L’article 1er, § 1er, des statuts de Vlabinvest dispose :
« L’Agence pour la Politique du Logement et de l’Infrastructure des Soins pour le Brabant flamand, ci-après dénommée Vlabinvest APB, est une régie provinciale autonome qui a été établie en application des articles 219 à 237 inclus du décret provincial du 9 décembre 2005 ».
B.11.2. L’article 3 du décret flamand du 31 janvier 2014 « attribuant à la Province du Brabant flamand la compétence relative à la conduite d’une politique foncière et du logement
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spécifique et d’une politique d’aide sociale et d’infrastructure de santé spécifique pour le Brabant flamand » dispose :
« La province du Brabant flamand et, en particulier, Vlabinvest apb sont compétents pour mener une politique [foncière] et du logement spécifique pour le Brabant flamand. Ils mènent cette politique en complément de la politique flamande du logement et, en particulier, à la politique flamande en matière de logement social.
Cette compétence inclut en particulier :
1° une politique [foncière] et la réalisation de projets de logement à caractère social dans les communes de la province du Brabant flamand;
2° le développement de structures jugées nécessaires en vue de préserver ou de promouvoir le caractère flamand ainsi qu’une haute qualité de logement dans cette région.
Un projet de logement à caractère social tel que visé à l’alinéa deux, 1°, est un projet de logement tel que décrit à l’article 4.41 du Code flamand du Logement de 2021 ».
B.12. Les organisations de logement social et Vlabinvest assurent des missions d’intérêt général qui sont principalement liées à l’exécution de la politique flamande, provinciale et/ou communale du logement. Elles sont soumises à la tutelle des autorités, à savoir de la Région flamande ou de la province du Brabant flamand, et sont subventionnées dans une large mesure par les deniers publics. Ces éléments justifient que les organisations de logement social et Vlabinvest, contrairement aux propriétaires fonciers particuliers, soient exonérées de la redevance d’activation. Le législateur décrétal a pu considérer qu’il n’était pas nécessaire d’inciter davantage encore ces instances, par le biais d’un impôt, à valoriser leurs terrains à bâtir ou leurs lots non bâtis. De fait, elles peuvent être présumées gérer leur patrimoine conformément à leurs objectifs décrétaux et statutaires. À cet égard, lorsque des organisations de logement social ou Vlabinvest laissent temporairement non bâtis des terrains à bâtir ou des lots, l’on peut considérer que cette démarche est dictée par des motifs budgétaires ou qu’elle contribue précisément à l’exécution de leurs missions d’intérêt général, dans le cadre desquelles il peut par exemple être indiqué d’intégrer le terrain à bâtir ou le lot concerné dans un projet de logement social d’une certaine ampleur qui doit encore être réalisé.
B.13. Enfin, l’article 3.2.8, alinéa 1er, 2°, du décret du 27 mars 2009 ne produit pas des effets disproportionnés pour les propriétaires fonciers particuliers, en ce qu’ils sont quant à eux redevables de la redevance d’activation. Il n’apparaît pas que les montants minimaux de la redevance d’activation, fixés à l’article 3.2.5 du décret du 27 mars 2009, entraînent en
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eux-mêmes une charge fiscale disproportionnée. Pour le surplus, il appartient aux communes, sous le contrôle du juge compétent, de déterminer les tarifs de la redevance, en tenant compte de ces montants minimaux. Par ailleurs, le redevable peut à tout moment éviter la redevance d’activation en vendant le terrain ou le lot ou en bâtissant sur celui-ci.
Il n’est d’ailleurs pas exclu que des particuliers puissent prétendre à une autre exonération de la redevance d’activation, en particulier à l’exonération dont bénéficient « les propriétaires d’un seul terrain à bâtir nu en zone d’habitat ou d’un lot nu, à l’exclusion de tout autre bien immobilier situé en Belgique ou à l’étranger » (article 3.2.8, alinéa 1er, 1°, du décret du 27 mars 2009). De surcroît, les communes peuvent fixer des exonérations complémentaires, en sus des exonérations prévues par décret (article 3.2.6 de ce même décret). Par ailleurs, la redevance d’activation n’est en principe pas prélevée sur les parcelles qui appartiennent au même propriétaire que celui du terrain à bâtir ou du lot bâti continu et qui forment avec lui un ensemble spatial ininterrompu (article 3.2.9, alinéa 1er, du même décret). La redevance d’activation n’est pas davantage prélevée sur les terrains à bâtir et sur les lots qui ne peuvent être affectés à la construction pendant l’exercice d’imposition pour une des raisons énumérées à l’article 3.2.10
du décret du 27 mars 2009.
B.14. L’article 3.2.8, alinéa 1er, 2°, du décret du 27 mars 2009 est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
Quant à la seconde question préjudicielle dans l’affaire n° 8191
B.15. Par la seconde question préjudicielle dans l’affaire n° 8191, la Cour est invitée à contrôler la compatibilité de l’article 3.2.8 du décret du 27 mars 2009 avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, « en ce qu’il prévoit une exemption pour les parents ayant des enfants qui sont à charge ou non et qui n’ont pas encore atteint l’âge de trente ans et en ce qu’il maintient en outre l’exemption si l’enfant est lui-même propriétaire – seul ou avec son partenaire – d’un terrain à bâtir nu, voire possède une habitation en pleine propriété, même pendant une période de trois ans ».
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Il ressort de la formulation de la question préjudicielle que celle-ci porte exclusivement sur l’exonération dont bénéficient les parents d’un enfant de moins de trente ans, visée à l’article 3.2.8, alinéa 2, du décret du 27 mars 2009. La Cour limite son examen à cette disposition.
B.16. Il peut se déduire des motifs de la décision de renvoi que la question préjudicielle concerne la différence de traitement entre, d’une part, les propriétaires d’un terrain à bâtir ou d’un lot non bâtis qui ont un enfant de moins de trente ans qui n’est pas encore propriétaire depuis trois années entières d’un terrain à bâtir ou d’un lot non bâtis ni ne possède depuis trois années entières une habitation en pleine propriété, et, d’autre part, les propriétaires d’un terrain à bâtir ou d’un lot non bâtis qui n’ont pas d’enfant. Seuls les propriétaires fonciers de la première catégorie peuvent bénéficier de l’exonération de la redevance d’activation visée à l’article 3.2.8, alinéa 2, du décret du 27 mars 2009. Par conséquent, contrairement à ce que prétend le Gouvernement flamand, les catégories de personnes à comparer apparaissent clairement. Au demeurant, il ressort des mémoires de la partie défenderesse devant la juridiction a quo et du Gouvernement flamand que ceux-ci ont compris la question préjudicielle en ce sens et ont ainsi pu mener une défense utile.
B.17. Comme il est dit en B.8, le législateur décrétal dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer les exonérations de la redevance et ses modalités. En outre, le législateur décrétal ne peut ce faisant pas prendre en compte les particularités de chaque cas d’espèce. Il peut appréhender leur diversité de manière approximative et simplificatrice.
B.18. L’article 3.2.8, alinéa 2, du décret du 27 mars 2009 prévoit une exonération de la redevance d’activation pour les parents ayant des enfants qui sont à charge ou non, laquelle est limitée « à un seul terrain à bâtir nu en zone d’habitat ou à un lot nu par enfant ». Ainsi que le soutient le Gouvernement flamand, il n’est pas déraisonnable que le législateur décrétal n’ait pas souhaité dissuader fiscalement les parents de conserver un terrain à bâtir ou un lot pour leurs enfants, afin que ceux-ci puissent s’y établir à l’avenir. L’article 3.2.8, alinéa 2, du décret du 27 mars 2009 exige par ailleurs que l’enfant « [n’ait] pas encore atteint l’âge de trente ans »
(1°) et qu’il « [n’ait] pas depuis trois années entières un terrain à bâtir nu dans une zone d’habitat, un lot nu ou une habitation en pleine propriété, seul ou avec la personne avec qui il est marié ou cohabite légalement ou de fait » (2°). Ces conditions contribuent à ce que le terrain à bâtir ou le lot puisse, après un certain temps, être utilisé comme lieu de résidence par une
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autre personne, à savoir lorsque l’enfant a atteint un âge auquel il n’a généralement plus besoin du soutien financier de ses parents pour son logement ou qu’il s’est définitivement installé ailleurs avant d’avoir atteint cet âge.
B.19. Il résulte enfin de ce qui est dit en B.13 que l’article 3.2.8, alinéa 2, du décret du 27 mars 2009 ne produit pas des effets disproportionnés pour les propriétaires d’un terrain à bâtir ou d’un lot non bâtis qui n’ont pas d’enfant.
B.20. L’article 3.2.8, alinéa 2, du décret du 27 mars 2009 est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 3.2.8, alinéa 1er, 2°, et alinéa 2, du décret de la Région flamande du 27 mars 2009
« relatif à la politique foncière et immobilière » ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 30 janvier 2025.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Luc Lavrysen