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16/01/2025 | BELGIQUE | N°5/2025

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 16 janvier 2025, 5/2025


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 5/2025
du 16 janvier 2025
Numéros du rôle : 8156 et 8157
En cause : les recours en annulation totale ou partielle du décret de la Région flamande du 23 juin 2023 « concernant ‘ wonen in eigen streek ’ (Habiter dans sa propre région) », introduits par la SA « Fremoluc » et par l’ASBL « Association de Promotion des Droits Humains et des Minorités ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pi

eters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali P...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 5/2025
du 16 janvier 2025
Numéros du rôle : 8156 et 8157
En cause : les recours en annulation totale ou partielle du décret de la Région flamande du 23 juin 2023 « concernant ‘ wonen in eigen streek ’ (Habiter dans sa propre région) », introduits par la SA « Fremoluc » et par l’ASBL « Association de Promotion des Droits Humains et des Minorités ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des recours et procédure
Par deux requêtes adressées à la Cour par lettres recommandées à la poste les 31 janvier et 1er février 2024 et parvenues au greffe les 1er et 2 février 2024, des recours en annulation totale ou partielle du décret de la Région flamande du 23 juin 2023 « concernant ‘ wonen in eigen streek ’ (Habiter dans sa propre région) » (publié au Moniteur belge du 4 août 2023) ont été introduits respectivement par la SA « Fremoluc », assistée et représentée par Me Pierre de Bandt, Me Jeroen Dewispelaere et Me Rasmus Van Heddeghem, avocats au barreau de Bruxelles, et par l’ASBL « Association de Promotion des Droits Humains et des Minorités », assistée et représentée par Me Marc Verdussen, avocat au barreau de Bruxelles.
Ces affaires, inscrites sous les numéros 8156 et 8157 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me Elke Cloots, Me Stefan Sottiaux et Me Timothy Roes, avocats au barreau d’Anvers, a introduit un mémoire, les parties requérantes ont introduit des mémoires en réponse et le Gouvernement flamand a également introduit un mémoire en réplique.
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Par ordonnance du 23 octobre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Willem Verrijdt et Magali Plovie, a décidé :
- que les affaires étaient en état,
- d’inviter le Gouvernement flamand, dans un mémoire complémentaire à introduire le 13 novembre 2024 au plus tard par lettre recommandée, et dont il adresse une copie aux autres parties dans le même délai, ainsi que par courriel, à l’adresse greffe@const-court.be, à faire savoir quelles communes « WIES » ont déjà adopté un règlement communal conformément à l’article 3, alinéa 2, du décret du 23 juin 2023 et, le cas échéant, à fournir ces règlements communaux à la Cour et à faire savoir si, dans les communes concernées, des terrains ou logements ont déjà été cédés par application des règles attaquées,
- de fixer le jour de l’audience au 20 novembre 2024.
À l’audience publique du 20 novembre 2024 :
- ont comparu :
. Me Jeroen Dewispelaere et Me Rasmus Van Heddeghem, pour la partie requérante dans l’affaire n° 8156;
. Me Pierre Bellemans, avocat au barreau de Bruxelles, également loco Me Marc Verdussen, pour la partie requérante dans l’affaire n° 8157;
. Me Elke Cloots, également loco Me Stefan Sottiaux et Me Timothy Roes, pour le Gouvernement flamand;
- les juges-rapporteurs Willem Verrijdt et Magali Plovie ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité du recours dans l’affaire n° 8156
A.1. La partie requérante dans l’affaire n° 8156 estime qu’elle justifie d’un intérêt à l’annulation du décret flamand concernant « wonen in eigen streek » (« Habiter dans sa propre région », ci-après : WIES). Elle est en effet active dans le secteur de l’immobilier, comme en témoignent son inscription à la Banque-carrefour des entreprises et ses statuts. En outre, depuis 2015, la partie requérante est impliquée dans un litige de droit civil,
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actuellement pendant devant la Cour d’appel de Bruxelles, avec, entre autres, l’Agence pour la politique du logement et de l’infrastructure des soins pour le Brabant flamand (Vlabinvest apb). Ce litige porte sur des règles de priorité similaires à celles que contient le décret attaqué.
A.2. La partie requérante dans l’affaire n° 8157 est une association sans but lucratif. Elle estime disposer d’un intérêt à demander l’annulation du décret attaqué. Son but statutaire consiste en effet à promouvoir les droits humains. Le décret attaqué est incompatible avec le principe d’égalité et de non-discrimination et est donc susceptible d’affecter directement et défavorablement ce but statutaire.
A.3.1. Dans son mémoire, le Gouvernement flamand déclare s’en remettre à la sagesse de la Cour en ce qui concerne la recevabilité des recours. Toutefois, dans son mémoire en réplique, il conteste expressément l’intérêt de la partie requérante dans l’affaire n° 8156. Il considère donc que le recours introduit dans cette affaire est irrecevable.
A.3.2. Dans la mesure où la partie requérante dans l’affaire n° 8156 invoque sa qualité de promoteur immobilier, elle n’explique pas, selon le Gouvernement flamand, en quoi sa situation pourrait être directement et défavorablement affectée par le décret attaqué. Le premier moyen dans l’affaire n° 8156 ne porte pas sur les effets négatifs que les promoteurs immobiliers pourraient subir du fait de ce décret. Ce moyen est essentiellement pris de la violation du droit à la libre circulation des personnes qui souhaitent acheter un terrain ou logement « WIES »
mais qui ne remplissent pas les conditions fixées à l’article 5 du décret attaqué. Le second moyen dans l’affaire n° 8156 est dirigé contre l’intervention financière prévue à l’article 10 du décret attaqué, qui, selon la partie requérante, constitue une aide d’État au sens du droit de l’Union européenne. La partie requérante ne démontre pas que cette intervention porte préjudice aux promoteurs immobiliers. Ainsi, l’intérêt invoqué par la partie requérante ne diffère pas de l’intérêt qu’a toute personne à ce que la Constitution et le droit de l’Union européenne soient respectés. Reconnaître un tel intérêt reviendrait à admettre l’action populaire.
A.3.3. Dans la mesure où la partie requérante dans l’affaire n° 8156 fait valoir qu’elle est partie à un litige civil pendant, le fait que soit également en cause un régime de priorité pour l’attribution de logements ne suffit pas, selon le Gouvernement flamand, pour qu’il soit satisfait à la condition de l’intérêt. Ledit régime de priorité a déjà été instauré par les articles 6 et 8 de l’arrêté du Gouvernement flamand du 4 avril 2014 « modifiant divers arrêtés en exécution du transfert à la Province du Brabant flamand de la compétence relative à une politique foncière et du logement spécifique pour le Brabant flamand ». Ce régime n’est pas fondé sur le décret attaqué et il fait l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’État, section du contentieux administratif, auquel la partie requérante n’est pas partie. Il s’agit d’un régime spécifique qui diffère sensiblement de la réglementation contenue dans le décret attaqué, notamment en ce qui concerne son champ d’application territorial et matériel, ainsi que les critères sur la base desquels l’intéressé doit prouver son ancrage local. Par ailleurs, dans le cadre du litige civil auquel la partie requérante renvoie, la Cour de justice de l’Union européenne a déjà été saisie d’une question préjudicielle. Cette question préjudicielle a toutefois été déclarée irrecevable, pour défaut de rattachement avec le droit de l’Union européenne (CJUE, 20 septembre 2018, C-343/17, Fremoluc NV, ECLI:EU:C:2018:754).
L’on n’aperçoit donc pas en quoi l’arrêt de la Cour au sujet du décret du 23 juin 2023 pourrait encore avoir une incidence sur l’issue du litige civil précité.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen dans l’affaire n° 8156
A.4. Le premier moyen dans l’affaire n° 8156 est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 21, 45, 49, 56 et 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE) et avec les articles 22 et 24 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 « relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE » (ci-après : la directive 2004/38/CE).
A.5.1. À titre principal, la partie requérante fait valoir, dans la première branche du premier moyen, que le décret attaqué fait naître une discrimination indirecte fondée sur la nationalité. L’article 5 de ce décret exige que
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la personne à laquelle le terrain ou logement « WIES » est transféré justifie d’un certain ancrage local, en ayant été inscrite pendant une certaine période aux registres de la population de la commune « WIES » ou d’une commune flamande voisine. De tels critères désavantagent les ressortissants d’autres États membres de l’Union européenne. Le décret attaqué ne prévoit par ailleurs pas une possibilité de démontrer un ancrage économique dans la commune concernée.
Selon la partie requérante, une telle discrimination indirecte n’est admissible que s’il existe une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, affectant un intérêt fondamental de la société. Les objectifs poursuivis par le législateur décrétal ne satisfont pas à ces exigences.
A.5.2. Dans la mesure où la Cour aurait un doute quant à l’interprétation du droit de l’Union européenne applicable, la partie requérante demande à la Cour de poser à la Cour de justice la première question préjudicielle suivante : « Les articles 21, 45, 49, 56 et 63 [du TFUE] et les articles 22 et 24 [de la directive 2004/38/CE] doivent-
ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent au régime instauré par le décret du 23 juin 2023 ‘ concernant “ wonen in eigen streek ” (Habiter dans sa propre région) ’, qui vise à protéger la population locale moins fortunée sur le marché immobilier local, dans les communes où les prix de l’immobilier sont les plus élevés, en ce que ce régime fait naître une discrimination indirecte en appliquant comme critères de distinction le domicile et la durée de résidence ? ».
A.6.1. À titre subsidiaire, la partie requérante fait valoir, dans la deuxième branche du premier moyen, que le décret attaqué viole plusieurs libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union européenne. Premièrement, le décret porte atteinte à la libre circulation des personnes et à la liberté d’établissement, dans la mesure où il empêche les habitants de la commune « WIES » concernée de quitter cette commune pour résider ou exercer une activité professionnelle dans un autre État membre. Deuxièmement, il porte atteinte à la libre circulation des services, en ce que les entreprises immobilières ne peuvent plus vendre certains biens immobiliers à tout citoyen de l’Union, mais uniquement aux personnes qui démontrent un ancrage local dans la commune « WIES »
concernée. Troisièmement, il porte atteinte à la libre circulation des capitaux, en ce qu’il peut dissuader les ressortissants d’un autre État membre d’investir dans des biens immobiliers situés dans une commune « WIES ».
Contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement flamand, les restrictions de la liberté de circulation par le décret attaqué n’ont du reste pas une portée moindre que les restrictions qui découlaient du livre 5 du décret de la Région flamande du 27 mars 2009 « relatif à la politique foncière et immobilière » (ci-après : le décret du 27 mars 2009). En effet, contrairement à ce qui fut le cas pour le décret du 27 mars 2009, le champ d’application du décret attaqué n’est pas clairement défini. Par ailleurs, le régime prévu par ce décret du 27 mars 2009 ne s’appliquait que dans les zones d’extension de l’habitat. Le décret attaqué ne s’applique pas non plus aux seuls grands projets de lotissement et de construction de logements, comme le soutient le Gouvernement flamand, puisqu’il suffit, pour qu’il s’applique, que le projet en question compte cinq unités d’habitation. Les immeubles à appartements en Région flamande comptent en moyenne 6,6 unités d’habitation. Enfin, contrairement au décret du 27 mars 2009, le décret attaqué ne prévoit pas une possibilité pour l’intéressé de démontrer un ancrage local sur la base d’éléments économiques.
A.6.2. La partie requérante estime que l’objectif du législateur décrétal, qui est de préserver le tissu social et le caractère flamand des communes périphériques flamandes, ne constitue pas un motif impérieux d’intérêt général susceptible de justifier une restriction des libertés fondamentales précitées. Il en va de même pour l’objectif de protection de la population locale moins aisée dans les communes où les prix de l’immobilier sont les plus élevés.
Dans son arrêt du 8 mai 2013 en cause de Libert e.a. (C-197/11 et C-203/11, ECLI:EU:C:2013:288), qui concernait le livre 5 du décret du 27 mars 2009, la Cour de justice a uniquement jugé que la politique du logement visant à protéger la population la moins fortunée pouvait constituer un motif impérieux d’intérêt général. Les mesures restrictives doivent s’inscrire dans la politique du logement social de l’État membre et garantir ainsi que les personnes à faibles revenus ou d’autres groupes socialement défavorisés de la population locale disposent d’une offre de logement suffisante (points 52 et 67 de l’arrêt précité). Le décret attaqué vise par contre à pourvoir aux besoins en logement de la classe moyenne, ce qui ressort également des travaux préparatoires et a été confirmé par le Gouvernement flamand lui-même, dans son mémoire. Un tel régime ne répond pas aux objections soulevées par la Cour de justice dans son arrêt, précité, du 8 mai 2013. Dans la mesure où le Gouvernement flamand se réfère à des résolutions du Parlement européen, la partie requérante relève que de telles résolutions ne sont pas contraignantes et que la Commission européenne a, à ce jour, refusé d’accéder à la demande du Parlement européen d’élargir la définition de la notion de « logement social ». Ainsi, le considérant 11 de la décision de la Commission
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européenne n° 2012/21/UE du 20 décembre 2011 « relative à l’application de l’article 106, paragraphe 2, du [T]raité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général » (ci-
après : la décision n° 2012/21/UE) précise que le logement social s’adresse « aux personnes défavorisées ou aux groupes sociaux moins avantagés qui, pour des raisons de solvabilité, ne sont pas en mesure de trouver un logement aux conditions du marché ». Même les études scientifiques citées par le Gouvernement flamand reconnaissent que les perspectives de gentrification contemporaine sont particulièrement nombreuses et elles critiquent par ailleurs une politique qui se concentre sur la classe moyenne. Le Gouvernement flamand ne démontre pas non plus qu’il existe effectivement une pénurie structurelle de logements, comme l’exige la Cour de justice dans l’arrêt du 22 septembre 2020, rendu en grande chambre, en cause de Cali Apartments SCI et HX (C-724/18 et C-727/18, ECLI:EU:C:2020:743, point 68).
A.6.3. Selon la partie requérante, le régime instauré par le décret attaqué n’est à tout le moins ni approprié ni nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par le législateur décrétal. Sur ce point, la Cour n’a aucune raison de faire preuve de retenue dans son appréciation, comme le demande le Gouvernement flamand. Le décret attaqué n’offre pas la moindre garantie qu’il sera réellement satisfait aux besoins de la population locale la moins aisée ou la moins fortunée. L’article 5, alinéa 1er, 2°, de ce décret prévoit exclusivement des conditions relatives aux biens immobiliers et aux revenus, de sorte qu’il n’y a pas lieu de tenir compte d’autres éléments du patrimoine des intéressés. Les personnes relevant de catégories de revenus supérieures peuvent donc aussi demander à bénéficier du régime. Contrairement à ce que soutient le Gouvernement flamand, cette critique de la partie requérante porte bien sur l’article 5, alinéa 1er, 2°, du décret attaqué même, et pas uniquement sur la manière dont le Gouvernement flamand met en œuvre cette disposition. L’article 5, alinéa 1er, 2°, prévoit en effet que les conditions à déterminer par le Gouvernement flamand exigent qu’il soit fait preuve d’« une situation moins aisée ». Le vendeur d’un terrain ou d’un logement « WIES » conserve par ailleurs la possibilité de déterminer librement le prix de vente, ce qui lui permet de cibler les acheteurs plus fortunés.
La partie requérante ajoute que des mesures moins restrictives permettent d’atteindre les objectifs poursuivis par le législateur décrétal, telles que les subventions spécifiquement destinées aux plus démunis ou l’extension de l’offre de logements sociaux de location. L’argument du Gouvernement flamand selon lequel l’extension du parc de logements sociaux n’est pas suffisante, compte tenu de la complexité et du coût élevé de tels projets, fait fi de la position de la Cour selon laquelle il est légitime, eu égard à la pénurie de fonds publics, de se concentrer sur les personnes qui ont le plus besoin d’un logement et les personnes défavorisées et les plus vulnérables en matière de logement (voy. C.C., n° 8/2024, 18 janvier 2024, ECLI:BE:GHCC:2024:ARR.008, B.12). Le décret attaqué engendre du reste aussi lui-même des coûts importants, notamment pour les communes concernées.
Enfin, la partie requérante critique le fait que l’ancrage local ne puisse être démontré que sur la base du seul domicile. Il n’est ainsi, à tort, pas tenu compte d’autres éléments sociaux, économiques et/ou socio-économiques pertinents.
A.6.4. Dans la mesure où la Cour aurait des doutes quant à l’interprétation du droit de l’Union européenne applicable, la partie requérante demande à la Cour de poser la deuxième question préjudicielle suivante à la Cour de justice : « En cas de réponse négative à la première question, les dispositions précitées du droit de l’Union européenne doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent au régime instauré par le décret de la Région flamande du 23 juin 2023 concernant ‘ wonen in eigen streek ’, en ce que ce régime ne présente aucun lien avec la politique relative aux logements sociaux pour les personnes à faibles revenus ou d’autres catégories socialement défavorisées de la population locale, mais s’adresse au contraire aux classes moyennes et, ce faisant, exclut les personnes les plus aisées plutôt que de viser spécifiquement les personnes les moins fortunées ? ».
A.7. Le Gouvernement flamand estime que la condition de cession visée à l’article 5, alinéa 1er, 1°, du décret attaqué est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 21, 45, 49, 56 et 63 du TFUE et avec les articles 22 et 24 de la directive 2004/38/CE, et que le premier moyen dans l’affaire n° 8156 n’est donc pas fondé.
A.8.1. En ce qui concerne la première branche du premier moyen, le Gouvernement flamand explique que l’article 5, alinéa 1er, 1°, du décret attaqué s’applique indistinctement aux ressortissants belges et aux ressortissants d’autres États membres de l’Union européenne. Cette disposition n’établit donc aucune distinction fondée sur la nationalité. Une condition de domicile n’équivaut pas à une condition de nationalité. Tout au plus une condition de domicile donne-t-elle lieu à une différence de traitement indirecte fondée sur la nationalité. Une
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telle différence de traitement indirecte peut être justifiée par les mêmes motifs qu’une restriction à la libre circulation, de sorte qu’il doit être démontré qu’elle repose sur un critère adéquat et nécessaire à la réalisation d’un but légitime. Contrairement à ce que soutient la partie requérante, il n’est pas nécessaire de démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles liées à l’ordre public, à la sécurité publique ou à la santé publique, puisque cela n’est nécessaire que dans le cas d’un critère établissant une distinction directe fondée sur la nationalité.
A.8.2. Selon le Gouvernement flamand, il n’est pas nécessaire de poser à la Cour de justice la première question préjudicielle suggérée par la partie requérante. Il ne peut en effet y avoir aucun doute raisonnable quant à l’interprétation correcte du droit de l’Union européenne, en particulier quant au fait qu’il est inexact qu’une condition de domicile pourrait être justifiée uniquement par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. C’est ce qui ressort également de l’arrêt, précité, de la Cour de justice du 8 mai 2013 en cause de Libert e.a.
A.9.1. En ce qui concerne la seconde branche du premier moyen, le Gouvernement flamand reconnaît que l’article 5, alinéa 1er, 1°, du décret du 23 juin 2023 constitue une restriction de la libre circulation des personnes, de la libre prestation des services et de la libre circulation des capitaux. Le Gouvernement flamand souligne toutefois que cette restriction a une portée moindre que la restriction qui résultait du livre 5 du décret du 27 mars 2009, sur laquelle la Cour de justice s’est prononcée dans son arrêt du 8 mai 2013 précité, dans l’affaire Libert e.a.
Contrairement à ce qui est le cas dans le cadre du décret du 27 mars 2009, la condition attaquée en l’espèce ne s’applique que pour une période limitée de neuf mois. Cette condition ne s’applique en outre qu’aux seuls projets de lotissement et de construction de logements relativement importants soumis à autorisation, dans les communes où les prix de l’immobilier sont les plus élevés, et encore, uniquement à une partie limitée de ces projets. L’article 4, § 2, du décret attaqué prévoit par ailleurs une exception pour plusieurs catégories de projets de lotissement et de construction de logements. Le livre 5 du décret du 27 mars 2009, par contre, prévoyait des conditions pour la cession de tous les terrains et constructions situés dans les zones d’extension de l’habitat des communes concernées.
En vertu du décret attaqué, les communes concernées décident en outre elles-mêmes si, et de quelle manière, elles appliqueront les conditions de cession prévues par ce décret, de sorte que le régime prévu par ce décret ne s’appliquera que dans un nombre limité de communes. Dans la mesure où la partie requérante fait valoir que la liste des communes « WIES » potentielles est trop étendue, sa critique porte en réalité sur la manière dont le Gouvernement flamand a fait usage de l’habilitation conférée par l’article 3 de ce décret.
Par ailleurs, l’article 5, alinéa 1er, 1°, du décret attaqué permet également de prendre en considération un lien domiciliaire de longue durée avec des communes voisines situées en Région flamande. Certes, il ne permet pas de prouver un lien suffisant avec la commune sur la base de critères socio-économiques. Mais le législateur décrétal entendait ainsi faire davantage correspondre les conditions de cession à l’objectif de lutte contre la gentrification.
Il a également voulu prévoir un critère objectif et clair, facilement applicable par l’administration communale.
L’article 5.2.1, § 2, du décret du 27 mars 2009 prévoyait une multitude d’éléments pouvant être pris en considération pour démontrer l’ancrage local, éléments qui devaient être évalués par une commission provinciale spécialement créée à cet effet. Le décret attaqué est par ailleurs moins exigeant que le décret du 27 mars 2009 en ce qui concerne la condition d’occupation. En vertu de l’article 5.2.1, § 2, 1°, du décret du 27 mars 2009, l’intéressé devait en effet avoir été domicilié dans la commune cible ou dans une commune limitrophe sans interruption pendant au moins les six années précédant immédiatement la cession, pour autant que cette commune limitrophe soit également une commune cible. Enfin, le champ d’application personnel du décret attaqué est étroitement lié à l’objectif du législateur décrétal de ne protéger que la population locale moins fortunée, compte tenu de l’article 5, alinéa 1er, 2°, de ce décret, qui prévoit des critères de revenu et de patrimoine. Le décret du 27 mars 2009 ne contenait aucun critère lié au revenu ou au patrimoine de la personne concernée.
A.9.2. Le Gouvernement flamand ajoute que les mesures nationales susceptibles d’entraver l’exercice des libertés fondamentales garanties par le TFUE sont admissibles si elles poursuivent un but d’intérêt général, si elles sont propres à en garantir la réalisation et si elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
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A.9.3. Selon le Gouvernement flamand, le décret attaqué poursuit un objectif d’intérêt général. Le législateur décrétal entend en effet veiller à ce que, dans les communes flamandes où les prix de l’immobilier sont les plus élevés, il existe une offre suffisante de logements pour les personnes moins fortunées liées à la région. Le législateur décrétal cherche ainsi à protéger la population locale contre la gentrification et à éviter que les personnes concernées quittent la région. En outre, le législateur décrétal vise à préserver les communautés locales et le tissu social dans les communes concernées. Le Gouvernement flamand souligne que la gentrification touche non seulement les zones urbaines, mais également les zones rurales, et plus particulièrement la périphérie flamande de Bruxelles. Cette région se caractérise par un afflux important de résidents plus aisés, souvent des personnes fortunées qui travaillent à Bruxelles. Du reste, le décret attaqué ne vise pas à contrecarrer la francisation de la périphérie flamande, bien qu’il soit indéniable, selon le Gouvernement flamand, que la gentrification contre laquelle le législateur décrétal souhaite lutter dans cette région s’accompagne d’un glissement linguistique. Le décret attaqué pourrait donc avoir pour effet secondaire de freiner ce glissement linguistique dans la périphérie flamande, mais cela ne rend pas illégitime l’objectif de ce décret.
La Cour de justice a reconnu, dans son arrêt, précité, du 8 mai 2013 en cause de Libert e.a., qu’il est légitime de veiller à ce que les personnes à faibles revenus ou d’autres catégories socialement défavorisées de la population locale disposent d’une offre suffisante de logements. D’autres arrêts de cette Cour montrent également que les États membres peuvent prendre des mesures pour continuer à répondre aux besoins de la population locale en matière de logement, particulièrement dans le cas de régions confrontées à une pénurie de logements ou dont le marché du logement est sous pression (CJUE, grande chambre, 22 septembre 2020, C-724/18 et C-727/18, Cali Apartments SCI et HX, ECLI:EU:C:2020:743, points 65-66; grande chambre, 30 janvier 2018, C-360/15 et C-
31/16, X BV et Visser Vastgoed Beleggingen BV, ECLI:EU:C:2018:44, points 134 et 135; 1er octobre 2009, C-
567/07, Woningstichting Sint Servatius, ECLI:EU:C:2009:593, point 30). Il ne doit pas nécessairement s’agir de logement social au sens strict. Un simple objectif de politique sociale, tel que la promotion et la mise à disposition de logements locatifs abordables, peut suffire (CJUE, 12 octobre 2023, C-670/21, BA, ECLI:EU:C:2023:763, point 73). Les communes désignées comme communes « WIES » par l’arrêté du Gouvernement flamand du 8 décembre 2023 « portant exécution du décret du 23 juin 2023 concernant ‘ wonen in eigen streek ’ (Habiter dans sa propre région » (ci-après : l’arrêté du 8 décembre 2023), sont par excellence des communes où le marché de l’immobilier est sous pression. Ces communes non seulement sont confrontées aux prix de l’immobilier les plus élevés, mais elles se caractérisent également par une forte densité de population et de construction. Selon le Gouvernement flamand, la Région flamande ne dispose que d’un nombre limité d’options pour maîtriser les prix de l’immobilier dans ces communes.
Le Gouvernement flamand renvoie également à plusieurs résolutions du Parlement européen qui formulent des recommandations concernant la pénurie de logements abordables sur le marché privé (résolutions du Parlement européen du 11 juin 2013 sur « le logement social dans l’Union européenne », 2012/2293 (INI), et du 21 janvier 2021 sur « l’accès à un logement décent et abordable pour tous », 2019/2187 (INI)). Des études scientifiques montrent également que la promotion du logement pour la population locale moins aisée dans les régions où les prix de l’immobilier sont élevés constitue un objectif politique légitime. Enfin, le Gouvernement flamand souligne que l’accès à un logement décent et abordable est un besoin humain de base et un droit fondamental, garanti notamment par l’article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution et par l’article 31 de la Charte sociale européenne révisée. Pour garantir ce droit fondamental, l’autorité doit tenir compte de la fonction sociale du logement lors de l’élaboration de sa politique du logement.
Selon le Gouvernement flamand, l’objectif du décret attaqué relève également de la politique d’aménagement du territoire, dans la mesure où le législateur décrétal souhaite garantir, dans les communes où les prix de l’immobilier sont les plus élevés, une offre suffisante de logements pour les habitants moins fortunés. Les objectifs d’aménagement du territoire, tels que la viabilité d’une région donnée, constituent également des motifs impérieux d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction de la libre circulation.
A.9.4. Le Gouvernement flamand estime que les conditions de cession prévues à l’article 5, alinéa 1er, du décret attaqué, sont proportionnées. Il souligne que la Cour doit apprécier la proportionnalité avec retenue. Le droit à un logement décent constitue en effet également un droit fondamental. Il appartient aux États membres d’élaborer la politique du logement, ce qui nécessite une mise en balance complexe des circonstances sociales, économiques et politiques. En matière socio-économique, le législateur dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu. Le
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Gouvernement flamand souligne également que les personnes qui ne remplissent pas les conditions de cession précitées ne rencontrent pas des difficultés excessives pour s’établir tout de même dans une commune « WIES ».
Le décret attaqué entraîne tout au plus une restriction temporaire de leur droit de choisir librement un logement.
Premièrement, la condition précitée est adéquate, selon le Gouvernement flamand, pour répondre aux besoins de logement de la population locale moins aisée dans les communes « WIES ». Dès lors qu’elle requiert que l’intéressé soit inscrit depuis un certain temps dans la commune « WIES » ou dans une commune flamande voisine, la condition attaquée garantit que cette personne justifie d’un ancrage local. Cette condition est en outre combinée avec les conditions relatives à la propriété immobilière et au revenu visées à l’article 5, alinéa 1er, 2°, du décret attaqué, contrairement à ce qui était le cas dans le livre 5, précité, du décret du 27 mars 2009. Il s’agit d’une différence fondamentale par rapport aux exigences qui figuraient dans le livre 5, précité, du décret du 27 mars 2009, à propos desquelles la Cour de justice a jugé, par son arrêt précité du 8 mai 2013 en cause de Libert e.a., qu’elles n’étaient pas « en rapport direct avec les aspects socio-économiques correspondant à l’objectif de protéger exclusivement la population autochtone la moins fortunée sur le marché immobilier, invoqué par le Vlaamse Regering » (point 55). Dans la mesure où la partie requérante fait valoir que les conditions relatives à la propriété immobilière et au revenu seraient adaptées à la classe moyenne, celle-ci critique en réalité la mise en œuvre de l’article 5, alinéa 1er, 2°, du décret du 23 juin 2023 par le Gouvernement flamand. Ni le texte du décret attaqué ni les travaux préparatoires y afférents ne montrent d’ailleurs que le législateur décrétal entendait faire en sorte que les personnes disposant de moyens suffisants pour acheter un logement ou un terrain à bâtir dans leur propre région peuvent également prétendre à un terrain ou logement « WIES ». Il ne saurait être déduit de la jurisprudence de la Cour de justice, en particulier de l’arrêt précité du 8 mai 2013 en cause de Libert e.a., que la politique du logement d’un État membre doit nécessairement se limiter à l’aide aux personnes à faibles revenus pour qu’il soit question d’un motif impérieux d’intérêt général susceptible de justifier une restriction de la libre circulation. Le droit de l’Union européenne ne connaît pas de définition autonome ni uniforme des notions de « logement » ou de « logement social ». Il ressort du point 55 de l’arrêt du 8 mai 2013 qu’il convient d’examiner si les intéressés disposent ou non de « moyens suffisants » pour acquérir un logement ou un terrain à bâtir sur le marché local.
Cette interprétation est confirmée dans l’arrêt, précité, de la Cour de justice du 12 octobre 2023 en cause de BA, par lequel cette Cour a admis que les locations à des personnes aux plus faibles revenus ne sont pas les seules à pouvoir bénéficier du régime fiscal avantageux en cause pour les bailleurs particuliers. Le fait que la Commission européenne, en ce qui concerne la qualification de service d’intérêt économique général dans le cadre du droit relatif aux aides d’État, interprète la notion de « logement social » de manière restrictive n’aboutit pas à une autre conclusion.
Par ailleurs, chacun a droit à un logement abordable, pas seulement donc les personnes à très faible revenu.
Le caractère abordable des logements dans une région déterminée dépend également des prix normaux de l’immobilier sur le marché privé. Il est légitime que l’autorité ne se borne pas à mener une politique de logement social au sens strict dans les zones densément peuplées où le prix des logements augmente rapidement, comme dans les communes « WIES », mais qu’elle tienne aussi compte des besoins de logement de la population à revenu moyen, dès lors que celle-ci éprouve aussi des difficultés pour trouver un logement abordable sur le marché privé.
Il n’est pas pertinent non plus que, comme le fait valoir la partie requérante, il soit uniquement tenu compte de la propriété immobilière et du revenu, et non d’autres aspects patrimoniaux. Ainsi que la Cour l’a jugé par son arrêt n° 8/2024 précité, la propriété d’un bien immobilier permet en principe de réaliser plus simplement le droit au logement sur ses fonds propres (B.14).
Ensuite, le Gouvernement flamand considère que les conditions de cession fixées à l’article 5, alinéa 1er, du décret attaqué ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par le législateur décrétal. Le Gouvernement flamand répète que les règles contenues dans le décret attaqué sont nettement moins extrêmes que les règles contenues dans le livre 5 du décret du 27 mars 2009 et qu’elles visent précisément à répondre aux objections formulées par la Cour de justice dans l’arrêt, précité, du 8 mai 2013 en cause de Libert e.a. Le Gouvernement flamand ajoute que les communes « WIES » disposent de plusieurs possibilités pour promouvoir le caractère abordable des logements, en acquérant elles-mêmes des terrains et logements « WIES »
ou en pouvant accorder à l’acheteur « WIES » un report de paiement pour une partie de la valeur du terrain en avançant le montant au vendeur. De surcroît, la condition relative à l’ancrage local, contenue dans l’article 5, alinéa 1er, 1°, du décret attaqué, est plus simple à remplir que la condition qui était contenue dans le livre 5 du décret du 27 mars 2009. Plus précisément, l’article 5.2.1, § 2, 1°, de ce décret exigeait que la personne ait été domiciliée au moins six ans sans interruption dans la commune concernée ou dans une commune voisine, laquelle devait également figurer sur la liste des communes établie par le Gouvernement flamand. Il est exact que, comme l’observe la partie requérante, d’autres facteurs pouvant indiquer l’existence d’un lien avec la commune « WIES »
ne sont pas pris en compte, contrairement à ce qui était le cas dans le livre 5 du décret du 27 mars 2009. La Cour
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de justice a toutefois considéré que les conditions contenues dans ce décret étaient trop vagues, de sorte que le législateur décrétal a actuellement choisi de ne plus garder qu’un critère objectif et précis, que les communes « WIES » peuvent apprécier simplement. Par ailleurs, le critère du domicile est la mesure la plus pertinente pour garantir la cohésion sociale dans les communes « WIES ».
Dans la mesure où l’article 5, alinéa 3, du décret attaqué autorise le conseil communal des communes « WIES » à fixer des conditions de cession plus strictes, le Gouvernement flamand relève l’importance de l’autonomie locale. Les communes sont les mieux placées pour apprécier la situation socio-économique sur leur territoire et elles doivent se charger elles-mêmes de l’intervention financière visée à l’article 10 du décret attaqué.
L’article 5, alinéa 3, ne contient cependant aucune habilitation à adopter des dispositions qui auraient pour effet de violer le droit de l’Union européenne ou le droit constitutionnel à un logement décent. Il appartient au juge compétent d’apprécier la manière dont les communes ont fait usage de l’habilitation qui leur a été conférée.
Le Gouvernement flamand souligne également que le décret n’est applicable que dans une zone géographique limitée, à savoir dans les communes de la Région flamande où les prix de l’immobilier sont les plus élevés. Le champ d’application géographique limité garantit que la mesure attaquée n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire. À cet égard, le Gouvernement flamand se réfère à l’arrêt de la Cour de justice du 22 septembre 2020
en cause de Cali Apartments et HX, précité, dans lequel celle-ci a tenu compte de ce que le régime d’autorisation contesté « est non pas d’application générale, mais de portée géographique restreinte », et ne visait qu’« un nombre limité de communes densément peuplées connaissant [...] des tensions sur le marché de la location de locaux à usage d’habitation » (point 73).
Enfin, le Gouvernement flamand pointe l’article 13 du décret attaqué, qui contraint l’acheteur « WIES » à occuper le logement acheté pendant au moins vingt ans.
A.9.5. Selon le Gouvernement flamand, les alternatives moins restrictives invoquées par la partie requérante, à savoir l’octroi de subventions aux personnes nécessitant une aide au logement et l’augmentation du nombre de logements sociaux, ne sont pas aussi efficaces pour atteindre l’objectif poursuivi par le législateur décrétal. Le fait que d’autres choix politiques sont possibles ne suffit par ailleurs pas pour conclure à la disproportion d’une mesure, qui plus est dans une matière dans laquelle l’autorité bénéficie d’une marge d’appréciation étendue, comme le logement.
Premièrement, la Région flamande prévoit depuis un certain temps diverses aides destinées à rendre le marché du logement privé plus accessible aux personnes qui ne peuvent prétendre à un logement social. Il s’est cependant avéré que ces aides ne permettent pas de faire en sorte que les logements dans les communes « WIES » restent abordables pour les habitants moins fortunés. Ces aides n’empêchent pas davantage un vendeur de vendre un logement ou un terrain à des personnes qui ne font pas partie de la population locale. Du reste, la marge budgétaire de l’autorité est en tout état de cause limitée.
Ensuite, selon le Gouvernement flamand, l’extension ultérieure du patrimoine des logements sociaux ne sera pas suffisante. Tout d’abord, la construction de nouveaux logements sociaux prend de nombreuses années, eu égard à la complexité de tels projets et au fait que de nombreux acteurs sont concernés. Bien que la Région flamande continue d’investir dans les logements sociaux de location, le législateur décrétal a raisonnablement pu estimer que des mesures supplémentaires étaient nécessaires pour élargir à court terme l’offre de logements abordables dans certaines communes. Le logement social n’est qu’un des nombreux instruments politiques susceptibles de promouvoir le caractère abordable des logements. L’extension du patrimoine des logements sociaux aurait par ailleurs une incidence budgétaire bien plus importante que la mesure attaquée. L’intervention financière de la commune « WIES » ne correspond en effet qu’à une partie de la valeur du terrain et l’acheteur doit rembourser cette intervention s’il cède le bien immobilier à un tiers.
A.9.6. Selon le Gouvernement flamand, il n’est pas nécessaire de poser à la Cour de justice la deuxième question préjudicielle suggérée par la partie requérante. Cette question repose sur la prémisse erronée selon laquelle les personnes qui disposent de moyens suffisants pour acheter un terrain à bâtir ou une habitation dans une commune « WIES » peuvent encore recourir au régime instauré par le décret attaqué. Par ailleurs, conformément à l’article 5, alinéa 1er, 2°, de ce décret, il appartient au Gouvernement flamand de préciser les conditions relatives aux revenus et au patrimoine. Un tel arrêté du Gouvernement flamand peut être attaqué auprès du Conseil d’État, section du contentieux administratif, qui, le cas échéant, peut à son tour poser une question préjudicielle à la Cour de justice. En tout état de cause, il n’existe aucun doute raisonnable quant à l’interprétation correcte du droit de l’Union européenne, ni, plus particulièrement, quant au fait que la politique du logement d’un État membre peut justifier une restriction de la libre circulation, même si cette politique ne vise pas exclusivement
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les personnes à faible revenu. À titre subsidiaire, le Gouvernement flamand demande de reformuler comme suit la question préjudicielle suggérée par la partie requérante : « Les articles 21, 45, 49, 56 et 63 du TFUE et les articles 22 et 24 de la directive [2004/38/CE] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils font obstacle à un régime tel celui de l’article 5 du décret flamand concernant « wonen in eigen streek », selon lequel les communes où les prix de l’immobilier sont très élevés peuvent prévoir qu’un nombre limité de terrains à bâtir et d’habitations spécifiques doivent, durant une période limitée de neuf mois, être prioritairement vendus ou mis en location à des habitants moins fortunés qui, au cours des dix dernières années, ont habité au moins cinq ans sans interruption dans la commune ou la région, afin de garantir une offre de logement suffisante pour la population locale moins fortunée ? ».
En ce qui concerne le second moyen dans l’affaire n° 8156
A.10.1. Le second moyen dans l’affaire n° 8156 est pris de la violation des articles 10, 11 et 16 de la Constitution, combinés avec les articles 107, paragraphe 1, et 108, paragraphe 3, du TFUE.
A.10.2. L’article 10 du décret attaqué prévoit une intervention financière de la commune « WIES », au profit de l’acheteur « WIES ». Selon la partie requérante, une telle intervention financière constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE, comme l’a également confirmé la section de législation du Conseil d’État (CE, avis n° 73.056/3 du 20 mars 2023, points 3.1 à 3.4). En effet, il s’agit d’un avantage financé au moyen de ressources d’État et privilégiant certaines entreprises, à savoir les vendeurs de terrains « WIES » et de logements « WIES ». C’est ce que confirme également implicitement le Gouvernement flamand dans son mémoire, étant donné que celui-ci qualifie l’intervention financière de la commune d’indemnisation pour l’accomplissement d’un service d’intérêt économique général. Étant donné qu’il s’agit d’activités immobilières, cette aide perturbe en outre la concurrence et influence défavorablement les échanges commerciaux entre les États membres.
Selon la partie requérante, les arguments invoqués dans les travaux préparatoires en réponse à l’avis de la section de législation du Conseil d’État (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1682/1, pp. 18-19) ne conduisent pas à une autre conclusion. Il est exact que l’article 10, § 1er, alinéa 1er, du décret attaqué prévoit une intervention financière « au bénéfice de l’acquéreur WIES », mais l’alinéa 2 de cette disposition prévoit que le montant est libéré « au bénéfice du vendeur » après la passation de l’acte. Le bénéficiaire final de l’intervention financière est par conséquent l’entreprise qui vend le terrain ou logement « WIES ». Le fait que l’acheteur « WIES » doit, en vertu de l’article 11 du décret attaqué, rembourser l’intervention financière en cas de cession du terrain ou logement « WIES » ne change en rien ce qui précède, étant donné que cette obligation de remboursement n’incombe pas au vendeur. Par ailleurs, la partie requérante ne prétend pas, comme le laisse entendre le Gouvernement flamand, qu’il est question d’aide d’État au profit des acheteurs « WIES » qui ne sont pas des entreprises. La défense du Gouvernement flamand est donc hors sujet sur ce point.
A.10.3. La partie requérante souligne qu’il est également question d’une aide d’État lorsque certaines entreprises ne bénéficient d’un avantage que de manière indirecte ou lorsque la mesure concernée tient en l’octroi d’un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas reçu dans des conditions de marché normales.
En ce qui concerne ce dernier aspect, peu importe que la contribution de l’autorité soit limitée à une contribution au prix du terrain conforme au marché. Le législateur décrétal a créé de nouvelles « conditions de marché normales », dans la mesure où, au cours d’une période de neuf mois, les terrains ou logements ne peuvent être cédés qu’à la population locale moins fortunée. Ce sont ces nouvelles conditions du marché qui doivent être prises en compte pour apprécier s’il s’agit ou non d’une aide d’État. Il n’est par conséquent pas pertinent que le montant de l’intervention soit déterminé sur la base d’un rapport d’expertise, ce qui exclurait, selon le législateur décrétal, que le vendeur reçoive un prix plus élevé que le prix du marché qui s’appliquerait sans la condition de cession.
L’intervention financière permet à l’acheteur « WIES » de payer le prix du marché du logement ou du terrain, de sorte que la vente peut avoir lieu. Le législateur décrétal a prévu une intervention financière pour compenser l’atteinte au droit de propriété des vendeurs des terrains et logements « WIES », qui consiste en ce que leurs possibilités commerciales sont limitées tant qu’ils ne peuvent céder leurs terrains ou logements qu’à un acheteur « WIES ». Il s’ensuit que l’avantage pour le vendeur ne se limite pas à l’éventuelle différence entre le prix de vente et la valeur du marché. Cet avantage équivaut effectivement à l’intervention financière intégrale de la commune.
En effet, cette intervention garantit que le vendeur, qui subirait une moins-value dans les conditions du marché créées par le décret attaqué en ce qu’il peut uniquement contracter avec un acheteur « WIES » moins fortuné, puisse encore négocier un prix qu’il obtiendrait s’il pouvait vendre sur le marché privé.
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A.10.4. Selon la partie requérante, il n’est pas non plus pertinent que l’intervention financière vise à compenser une charge qui découle des règles instaurées par le législateur décrétal lui-même. Le fait que les obligations légales imposées par l’autorité entraînent des coûts est en effet inhérent à l’exercice d’une activité économique, de sorte qu’une éventuelle compensation de ces coûts confère effectivement un avantage à l’entreprise concernée.
A.10.5. La partie requérante expose ensuite qu’il n’est pas davantage satisfait aux conditions Altmark, qui, selon la Cour de justice, doivent être remplies pour qu’une compensation ne soit pas considérée comme aide d’État (CJUE, 24 juillet 2003, C-280/00, Altmark Trans GmbH e.a., ECLI:EU:C:2003:415). En effet, les vendeurs « WIES » ne sont pas responsables de l’exécution d’une obligation de service public. C’est ce qui ressort également de la décision de la Commission européenne n° 2012/21/UE. En vertu de l’article 2, paragraphe 1, c), de cette décision, la politique du logement ne peut être considérée comme service d’intérêt économique général que si elle concerne le logement social, ce qui suppose, selon le considérant 11 de cette décision, que le logement soit destiné aux personnes défavorisées ou aux groupes sociaux moins avantagés. En tout état de cause, l’intervention financière n’est en l’occurrence pas déterminée sur la base de paramètres objectifs et transparents et il ne peut pas être garanti non plus que la compensation n’excède pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution de l’obligation de service public.
A.10.6. Par ailleurs, la partie requérante estime, contrairement au Gouvernement flamand, que l’article 10
du décret du 23 juin 2023 constitue une aide d’État qui fausse la concurrence. La partie requérante déduit des chiffres cités par le Gouvernement flamand que, pour un projet modeste dans une seule commune « WIES », l’aide au vendeur de terrains « WIES » peut déjà s’élever à 446 988 euros. Il n’est dès lors pas exclu que le montant total des interventions financières dont bénéficient certaines entreprises sur une période de trois ans excède le seuil fixé dans le règlement (UE) 2023/2831 de la Commission européenne du 13 décembre 2023 « relatif à l’application des articles 107 et 108 du [t]raité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis » (ci-après :
le règlement (UE) 2023/2831).
A.10.7. Le Gouvernement flamand ne peut davantage être suivi lorsqu’il fait valoir que le décret attaqué n’a pas d’incidence négative sur les échanges commerciaux interétatiques. Le Gouvernement flamand estime que tel est le cas parce que les terrains et logements « WIES » ne sont disponibles que pour les habitants locaux, de sorte que leur vente n’attirerait pas d’acheteurs potentiels d’autres États membres. Selon la partie requérante, le Gouvernement flamand méconnaît toutefois le fait que la condition concernée doit recevoir une interprétation large. Plus précisément, il suffit de constater que la position concurrentielle d’une entreprise est renforcée par rapport à d’autres entreprises concurrentes dans le cadre des échanges commerciaux interétatiques pour qu’il soit question d’une incidence négative sur les échanges commerciaux entre les États membres. Le caractère local ou régional des activités concernées n’y change rien. Du reste, le champ d’application géographique du régime attaqué n’est pas limité à une commune déterminée, mais il peut au contraire s’étendre à de nombreuses communes sur toute la Région flamande. De surcroît, la vente de terrains et logements « WIES » peut bel et bien attirer des acheteurs potentiels d’autres États membres. Le fait que des étrangers fortunés travaillant dans la Région de Bruxelles-Capitale s’établissent en masse dans la périphérie flamande de Bruxelles est précisément une des raisons de l’adoption du décret attaqué. La partie requérante souligne enfin que le marché immobilier belge se caractérise par une forte concurrence internationale et des investissements transfrontaliers.
A.10.8. Étant donné que l’intervention financière prévue à l’article 10 du décret attaqué constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE, cette mesure aurait dû, selon la partie requérante, être communiquée à la Commission européenne, conformément à l’article 108, paragraphe 3, du TFUE. En cas d’annulation de cette intervention financière par la Cour, les vendeurs des terrains et logements « WIES » devraient supporter une charge sans percevoir la moindre compensation. Pareille charge n’est pas proportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur décrétal. Par conséquent, selon la partie requérante, le décret attaqué n’est pas compatible avec les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 107, paragraphe 1, et 108, paragraphe 3, du TFUE.
A.10.9. Dans la mesure où la Cour aurait des doutes quant à l’interprétation du droit de l’Union européenne applicable, la partie requérante demande à la Cour de poser la troisième question préjudicielle à la Cour de justice, en ces termes : « Les articles 107, paragraphe 1, et 108, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils sont applicables à l’intervention financière de la commune, prévue à l’article 10 du décret du 23 juin 2023 concernant ‘ wonen in eigen streek ’, en ce que cette intervention a pour but ou pour effet que le vendeur puisse, au cours de la période de neuf mois au cours de laquelle la condition
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de cession est applicable, recevoir un prix de vente plus élevé pour le terrain ou le logement ‘WIES’ comparé à ce qui serait le cas sans l’aide financière prévue par le décret ? ».
A.11.1. Le Gouvernement flamand estime que les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 107, paragraphe 1, et 108, paragraphe 3, du TFUE ne sont pas violés, et que le second moyen dans l’affaire n° 8156 n’est dès lors pas fondé.
A.11.2. Selon le Gouvernement flamand, l’intervention financière prévue à l’article 10 du décret attaqué ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE, de sorte que cette mesure ne devait pas être communiquée à la Commission européenne, conformément à l’article 108, paragraphe 3, du TFUE.
A.11.3. En ordre principal, le Gouvernement flamand estime qu’il n’est pas question d’une aide d’État, parce que l’intervention financière de la commune « WIES » favorise exclusivement l’acheteur « WIES » et ne confère à ce dernier aucun avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE.
Le Gouvernement flamand expose que l’interdiction d’aide d’État est uniquement applicable si le bénéficiaire de la mesure est une entreprise, ce qui implique l’exercice d’une activité économique. Par définition, l’acheteur « WIES » n’est pas une entreprise. Il résulte en effet des articles 2, 8°, et 5 du décret attaqué que l’acheteur « WIES » doit être une personne physique, étant donné qu’il doit être inscrit au registre de la population et que son revenu ne peut pas excéder certains montants. Le fait que la commune « WIES » paie l’intervention financière directement au vendeur n’empêche pas que le bénéficiaire réel soit l’acheteur « WIES ». Le Gouvernement flamand souligne que, pour apprécier si une mesure constitue une aide d’État, il faut exclure tout formalisme et tenir compte de la réalité économique et fiscale de la construction. L’intervention financière prévue à l’article 10
du décret attaqué ne tend pas à aider le vendeur, qui pourrait aussi bien vendre le terrain ou le logement « WIES »
à un prix conforme à leur valeur vénale sur le marché privé. Cette intervention tend uniquement à compenser la différence entre la valeur vénale, d’une part, et le montant que l’acheteur « WIES » moins fortuné peut lui-même payer, d’autre part.
Le Gouvernement flamand relève en outre que, si le terrain ou le logement « WIES » est ensuite cédé à un tiers, l’acheteur « WIES » doit rembourser à la commune un montant égal au pourcentage de l’intervention financière, sur le prix estimé des parts de terrain au moment de la cession. L’acheteur « WIES » ne bénéficie donc en réalité que d’un report de paiement temporaire pour une partie de la valeur du terrain. Dans cette optique, l’intervention financière peut également être comparée à un prêt dans le cadre duquel le capital peut être remboursé en une seule fois à un moment déterminé au préalable. Eu égard à l’augmentation des prix des terrains en Région flamande, l’acheteur « WIES » devra dans ce cas payer à la commune un montant plus élevé que celui qu’il a perçu initialement. De même, la différence entre l’intervention financière et le montant à rembourser ultérieurement sera plus importante que la rente que l’acheteur aurait dû payer à un dispensateur de crédit particulier pour emprunter un montant égal à l’intervention financière initiale. Pour l’acheteur « WIES », les conditions de remboursement sont donc moins favorables que s’il avait contracté un prêt sur le marché du crédit privé. Ainsi, selon le Gouvernement flamand, il n’est nullement question d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE, puisqu’il faut pour cela que la mesure concernée procure à une entreprise un avantage économique que cette entreprise n’aurait pas pu obtenir aux conditions normales du marché.
A.11.4. Si la Cour devait juger que l’intervention financière avantage effectivement le vendeur, le Gouvernement flamand fait valoir, en ordre subsidiaire, que l’article 10 du décret attaqué ne confère pas au vendeur un avantage imputable à l’État.
Tout d’abord, selon le Gouvernement flamand, il n’est pas question d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE. En effet, tel ne serait le cas que si la mesure concernée procurait à une entreprise un avantage économique qu’elle n’aurait pas pu acquérir aux conditions normales du marché. À cet égard, il convient de se fonder sur le critère de l’acteur privé dans une économie de marché. En l’espèce, l’intervention de la commune est comparable à celle d’un investisseur privé aux conditions normales du marché, étant donné que l’intervention financière est basée sur un rapport d’expertise, et donc sur la valeur du marché. Contrairement à ce que soutient la partie requérante, il convient par ailleurs effectivement d’établir une comparaison avec les conditions du marché sans intervention publique, telles qu’elles auraient lieu si le décret attaqué n’avait pas été adopté. Il convient donc d’examiner si l’entreprise concernée reçoit, lors de la vente du terrain ou du logement, un prix supérieur selon que le décret attaqué est applicable ou non. Par ailleurs, ce décret constitue un tout indivisible.
L’intervention financière est indissociablement liée au fait que certains terrains et logements sont réservés aux
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habitants moins fortunés. À supposer que seul le régime de priorité soit applicable, sans que les habitants concernés reçoivent une aide financière, ces habitants n’auraient toujours pas la possibilité d’acheter le terrain ou le logement « WIES » et le but poursuivi par le législateur décrétal ne saurait donc être atteint. Le décret attaqué ne porte pas atteinte non plus à la possibilité pour le vendeur de fixer le prix demandé pour le terrain ou le logement « WIES »
et il ne le contraint pas à vendre ce terrain ou ce logement à un acheteur « WIES ». Après l’expiration de la période de neuf mois, il peut en effet choisir de vendre aux conditions normales du marché. Il n’est donc pas question d’une moins-value ou d’une « charge sociale » pour laquelle le vendeur devrait recevoir une compensation de la part de l’autorité.
Selon le Gouvernement flamand, l’article 10 du décret attaqué n’a pas pour effet que le vendeur reçoive, pour le terrain ou le logement « WIES », un montant nettement supérieur au prix de vente qu’il pourrait obtenir sur le marché privé. La vente a lieu à des conditions qui se rapprochent le plus possible des conditions du marché.
L’intervention financière est fondée sur un rapport d’expertise récent, qui fixe de manière objective la valeur du terrain aux conditions normales du marché. Par ailleurs, il existe généralement aussi un rapport d’expertise pour la valeur totale de l’habitation « WIES », en ce compris le terrain, étant donné que, conformément aux directives de la Banque européenne, les établissements financiers ne peuvent accorder un crédit hypothécaire que sur la base d’une estimation objective du bien immobilier donné en sûreté. Étant donné que l’acheteur « WIES » doit supporter lui-même la majeure partie du prix d’achat, il est incité à renoncer à l’achat s’il s’avère que le prix demandé dépasse la valeur marchande estimée. Par conséquent, l’on évite ainsi que l’acheteur paye trop pour l’habitation et que la commune y contribue par l’intervention financière attaquée.
Même si, exceptionnellement, le prix de vente réel était néanmoins supérieur à la valeur du marché, il ne serait pas nécessairement question d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE. En effet, la Cour de justice admet que le prix de vente s’écarte légèrement de la valeur du marché (voy. notamment CJUE, 16 juillet 2015, C-39/14, BVVG, ECLI:EU:C:2015:470, point 30). L’intervention financière de la commune porte en outre sur une part restreinte de la totalité du prix de vente de l’habitation, étant donné que cette intervention ne correspond qu’à un pourcentage de la valeur du terrain. Le montant éventuellement trop élevé payé par l’acheteur « WIES » n’est dès lors imputable à la commune que dans une mesure limitée.
En tout état de cause, l’avantage que le vendeur recevrait n’est pas imputable à l’État. L’éventuel supplément que le vendeur recevrait n’est pas financé au moyen de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE. En effet, le prix d’achat est essentiellement payé par l’acheteur « WIES » avec ses propres deniers. Étant donné que les sommes d’argent sont de nature à se mélanger, il ne peut être postulé que le supplément serait intégralement payé au moyen de ressources publiques. Tout au plus l’avantage que perçoit le vendeur est-il imputable à l’autorité à concurrence de la part de l’intervention financière dans le prix de vente total. De surcroît, l’acheteur « WIES » décide lui-même si la vente a lieu ou non et à quel prix.
A.11.5. À titre encore plus subsidiaire, le Gouvernement flamand fait valoir que l’article 10 du décret attaqué ne saurait avoir une incidence défavorable sur les échanges commerciaux interétatiques. En effet, les terrains et logements « WIES » sont, par définition, uniquement destinés aux personnes des environs directs, de sorte que la vente de ces biens immobiliers n’attire pas de potentiels acheteurs d’autres États membres. Les conséquences économiques de la mesure attaquée ont dès lors un caractère purement local.
A.11.6. En ordre infiniment subsidiaire, le Gouvernement flamand estime que l’avantage conféré par l’article 10 du décret attaqué est trop limité pour fausser la concurrence. L’intervention financière de la commune « WIES » doit être qualifiée d’indemnisation pour l’accomplissement d’un service d’intérêt économique général.
En effet, cette intervention compense le fait que le vendeur contribue à l’extension de l’offre de logements abordables pour la population locale. Plus précisément, la contribution du vendeur « WIES » tient en ce qu’il n’essaie pas de vendre le terrain ou le logement sur le marché privé durant neuf mois et cède la propriété à un acheteur « WIES » désigné par la commune, à un prix préalablement fixé. L’article 2, paragraphe 1, c), de la décision de la Commission européenne n° 2012/21/UE confirme que le logement social doit être considéré comme un service d’intérêt économique général. Les États membres disposent d’un pouvoir d’appréciation étendu pour définir le groupe cible des mesures de logement social. Le décret attaqué a précisément pour objet de permettre aux habitants moins fortunés de rester dans leur propre région. Il est sans importance que le groupe cible de ce décret ne soit pas limité aux personnes disposant d’un revenu très faible, d’autant que disposer d’un logement à un prix abordable est un droit fondamental pour chacun et que le caractère abordable de l’immobilier dans une zone déterminée ne dépend pas seulement du revenu de l’intéressé, mais également des prix de l’immobilier sur le marché privé.
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En vertu de l’article 3 du règlement de la Commission européenne (UE) 2023/2832 du 13 décembre 2023
« relatif à l’application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis octroyées à des entreprises fournissant des services d’intérêt économique général », l’aide accordée à une entreprise qui fournit des services d’intérêt économique général et qui ne dépasse pas 750 000 euros sur une période de trois ans est réputée ne pas satisfaire à tous les critères de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE. Le Gouvernement flamand estime que l’éventuel avantage que recevrait un vendeur « WIES » par suite de l’intervention financière est limité et reste en tout cas inférieur à ce plafond.
Dans la mesure où l’intervention financière prévue à l’article 10 du décret du 23 juin 2023 ne pourrait pas être considérée comme une indemnité pour un service d’intérêt économique général, le Gouvernement flamand se réfère à l’article 3 du règlement (UE) 2023/2831. En vertu de cette disposition, les aides ne sont pas réputées satisfaire à tous les critères de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE si le montant total de l’aide de minimis qui est octroyée par État membre à une seule entreprise ne dépasse pas 300 000 euros sur une période de trois ans. Selon le Gouvernement flamand, l’éventuel avantage que recevrait un vendeur « WIES » reste inférieur à ce plafond. Il convient en effet de tenir compte de ce que les terrains et logements « WIES » sont destinés à des personnes moins fortunées et que les prix dans les communes « WIES » sont très élevés, si bien que les terrains et les logements concernés seront généralement relativement petits. Il peut également être admis que la valeur du terrain équivaut à moins de la moitié de la valeur totale du bien immobilier, étant donné qu’il s’agit de maisons neuves d’une superficie limitée ou d’appartements. Enfin, la hauteur de l’intervention financière dépendra du budget de la commune concernée, de sorte que le pourcentage fixé par le règlement communal ne dérogera en général pas énormément du minimum, fixé par décret, de 50 % de la valeur du terrain.
A.11.7. Quoi qu’il en soit, le décret attaqué n’octroie pas en soi une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE, il ne fait que prévoir la possibilité pour les communes d’accorder une intervention financière. Pour ce faire, les communes doivent encore prendre plusieurs mesures d’exécution. Ainsi, il n’est pas question d’un « régime d’aides » au sens de l’article 1er, d), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015 « portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ». Il appartient dès lors à la commune « WIES » elle-même d’examiner s’il est question d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE et, le cas échéant, de notifier le régime d’aides contenu dans son règlement communal, conformément à l’article 108, paragraphe 3, du TFUE.
A.11.8. Selon le Gouvernement flamand, il n’est pas nécessaire de poser à la Cour de justice la troisième question préjudicielle suggérée par la partie requérante. Cette question repose en effet sur la prémisse erronée selon laquelle le vendeur d’un terrain ou logement « WIES » peut obtenir un prix supérieur à la valeur du marché.
En ordre subsidiaire, le Gouvernement flamand demande de reformuler en ces termes la question préjudicielle suggérée par la partie requérante : « Les articles 107, paragraphe 1, et 108, paragraphe 3, du TFUE, juncto le règlement (UE) 2023/2832 ou le règlement (UE) 2023/2831, doivent-ils être interprétés en ce sens que l’intervention financière de la commune pour les acheteurs moins fortunés d’un terrain à bâtir ou d’un logement, comme prévu à l’article 10 du décret du 23 juin 2023 ‘ concernant “ wonen in eigen streek ” ’, doit être considérée comme une aide d’État qui doit être notifiée à la Commission ? ».
A.11.9. Même si la Cour concluait que le régime financier établi par le décret attaqué doit être annulé, le Gouvernement flamand ne voit pas en quoi l’absence d’une intervention financière aboutirait à une charge disproportionnée pour le vendeur d’un terrain ou logement « WIES ». Ce vendeur n’est en effet pas tenu de vendre son bien immobilier à un acheteur « WIES ». Par conséquent, une telle annulation ne donnerait pas lieu non plus à une restriction disproportionnée du droit de propriété garanti par l’article 16 de la Constitution.
En ce qui concerne le moyen unique dans l’affaire n° 8157
A.12.1. Le moyen unique dans l’affaire n° 8157 est pris de la violation, par l’article 5 du décret attaqué, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 21, 45, 49, 56 et 63 du TFUE et avec les articles 22 et 24 de la directive 2004/38/CE, ainsi qu’avec l’article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution.
A.12.2. La partie requérante fait référence à l’arrêt de la Cour n° 144/2013 du 7 novembre 2013
(ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.144), par lequel, après avoir posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de
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justice, la Cour a annulé le livre 5 (« wonen in eigen streek ») du décret du 27 mars 2009. Ce dernier décret prévoyait un régime analogue à celui du décret attaqué. Selon la partie requérante, le décret attaqué ne répond pas aux griefs d’inconstitutionnalité formulés par la Cour dans cet arrêt.
A.12.3. Tout d’abord, la Cour a jugé, par l’arrêt précité, que les conditions prévues par le décret du 27 mars 2009 n’étaient pas « en rapport direct avec les aspects socio-économiques liés à l’objectif recherché par la Région flamande de protéger exclusivement la population locale la moins fortunée sur le marché immobilier » (B.5.3). En l’espèce, l’article 5, alinéa 1er, 2°, du décret attaqué exige toutefois que l’intéressé réponde « aux conditions relatives à la propriété immobilière et au revenu qui font preuve d’une situation moins aisée, fixées par le Gouvernement flamand ». La partie requérante reconnaît que cette condition poursuit un but légitime, à savoir protéger, sur le marché de l’immobilier, dans les communes où les prix de l’immobilier sont les plus élevés, la population moins fortunée et que cet objectif peut justifier une limitation de la libre circulation.
A.12.4. La partie requérante ajoute que la Cour, par l’arrêt n° 144/2013 précité, a aussi jugé que les conditions prévues par le décret du 27 mars 2009 pouvaient également « avoir des effets disproportionnés sur l’exercice des libertés fondamentales, alors que des mesures moins restrictives et moins discrétionnaires que le régime d’autorisation administrative préalable, tel qu’il a été instauré par le décret attaqué, auraient pu être envisagées pour atteindre cet objectif » (B.5.3). Ce considérant est intéressant au regard des conditions prévues à l’article 5, alinéa 1er, 1°, et 3°, du décret attaqué. Selon la partie requérante, ces conditions ne reposent pas sur une justification légitime et elles limitent de manière disproportionnée la libre circulation. Plus particulièrement, il ne suffit pas, pour pouvoir recourir au régime attaqué, d’être inscrit pendant au moins cinq ans aux registres de la population de la commune « WIES » ou d’une commune voisine, cette commune voisine doit en outre être située sur le territoire de la Région flamande. À la lumière de l’objectif du législateur décrétal de permettre à la population locale d’acquérir un logement ou un terrain à bâtir, l’on n’aperçoit pas pourquoi les habitants d’une commune voisine de la Région de Bruxelles-Capitale ou de la Région wallonne ne pourraient pas être qualifiés d’acheteurs « WIES ». Ainsi, l’article 5, alinéa 1er, 1°, et 3°, du décret attaqué fait également naître une différence de traitement injustifiée entre les personnes inscrites dans une commune voisine de la commune « WIES », selon que cette commune voisine est située en Région flamande ou dans la Région de Bruxelles-Capitale ou la Région wallonne. Selon la partie requérante, le droit à un logement décent, tel qu’il est garanti par l’article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution et par diverses dispositions internationales et européennes, s’applique à toute personne, quelle que soit la commune où celle-ci est inscrite dans les registres de la population.
Selon la partie requérante, l’arrêt de la Cour n° 83/2010 du 8 juillet 2010 (ECLI:BE:GHCC:2010:ARR.083)
confirme l’inconstitutionnalité d’une condition de séjour dans une région spécifique. Cet arrêt portait sur l’exonération des droits de succession pour les entreprises ou sociétés familiales qui, trois ans avant le décès du de cujus, occupaient au moins cinq travailleurs en Région flamande. La Cour a jugé qu’une telle exonération constituait une entrave injustifiée à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux. En effet, le fait de promouvoir la continuité de l’entreprise en maintenant l’emploi pouvait être suffisamment garanti par l’exigence d’un minimum d’emplois, « indépendamment de la région dans laquelle a lieu cette occupation » (B.9).
A.12.5. Enfin, selon la partie requérante, il ne résulte pas de la circonstance que le décret du 23 juin 2023
est uniquement applicable aux terrains et logements situés sur le territoire de la Région flamande que seuls les habitants de la Région flamande peuvent recourir au régime instauré par le décret. Le champ d’application territorial d’un régime décrétal doit être distingué de son champ d’application personnel. Il relève du pouvoir d’appréciation du législateur décrétal de délimiter le champ d’application personnel, mais, pour ce faire, celui-ci doit respecter les principes constitutionnels, de même que les règles internationales et européennes, en particulier les libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union européenne. Le régime de la répartition exclusive des compétences territoriales implique, certes, que l’objet de toute réglementation édictée par un législateur régional puisse être localisé dans la région pour laquelle il est compétent, afin que toute relation ou situation concrète ne soit régie que par un seul législateur. Pour déterminer le point de rattachement territorial d’une réglementation, il convient de prendre en compte sa nature, son objet et éventuellement son objectif. Le législateur décrétal ne porterait pas atteinte au caractère exclusif de la répartition territoriale des compétences s’il étendait le champ
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d’application du régime attaqué aux habitants d’une commune bruxelloise ou wallonne voisine. En effet, en pareil cas, le législateur décrétal se bornerait toujours à régler l’accès au logement sur son propre territoire.
Selon la partie requérante, la distinction établie par le Gouvernement flamand entre, d’une part, les situations purement internes et, d’autre part, les situations ayant un caractère transfrontalier, n’est du reste pas pertinente.
Dès qu’une mesure peut être considérée comme ayant des effets transfrontaliers, cette mesure doit être appréciée à la lumière des dispositions constitutionnelles applicables, lues en combinaison avec les dispositions applicables du droit de l’Union. Dans son mémoire en réponse, la partie requérante fait en outre valoir que le principe de l’union économique et monétaire, qui est applicable aux situations purement internes, offre une protection analogue à celle des libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union européenne.
A.13.1. En ce que la partie requérante dans l’affaire n° 8157 fait valoir pour la première fois dans son mémoire en réponse que l’article 5 du décret attaqué n’est pas compatible avec le principe de l’union économique et monétaire, garanti par l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980), il s’agit d’un moyen nouveau, qui n’est pas recevable, selon le Gouvernement flamand.
A.13.2. Le Gouvernement flamand considère que l’article 5 du décret attaqué est compatible avec les normes de contrôle mentionnées en A.13.1 et que le moyen unique dans l’affaire n° 8157 n’est donc pas fondé.
A.13.3. Le Gouvernement flamand expose que les dispositions du TFUE relatives à la libre circulation ne sont pas applicables aux situations purement internes, dont tous les aspects se situent dans un seul État membre.
Certes, la Cour de justice accepte de statuer sur une question préjudicielle relative aux libertés fondamentales, même si tous les aspects de l’instance principale se situent dans un seul État membre. Tel est notamment le cas lorsque la question préjudicielle émane d’une juridiction nationale qui doit se prononcer sur un recours en annulation de dispositions qui ne sont pas exclusivement applicables aux ressortissants de l’État membre en question, mais également aux ressortissants d’autres États membres, ainsi qu’il ressort de l’arrêt de la Cour de justice du 8 mai 2013, précité, en cause de Libert e.a. (point 35). Cela ne signifie cependant pas que le champ d’application des libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union européenne est étendu aux situations purement internes. En effet, cette jurisprudence concerne exclusivement la recevabilité des questions préjudicielles. En ce que la partie requérante critique l’exclusion, par l’article 5 du décret du 23 juin 2023, des ressortissants belges qui ont habité au moins cinq ans sans interruption dans une commune bruxelloise ou wallonne voisine d’une commune « WIES », celle-ci ne peut dès lors invoquer le droit de l’Union européenne. De surcroît, il ne découle pas du principe d’égalité et de non-discrimination qu’il faudrait appliquer aux situations purement internes les mêmes règles que celles qui s’appliquent, conformément au droit de l’Union européenne, aux situations transfrontalières.
Le Gouvernement flamand conteste ensuite l’affirmation selon laquelle le principe de l’union économique et monétaire, garanti par l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, offre les mêmes garanties que les dispositions du TFUE relatives à la libre circulation. L’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 fait partie des règles répartitrices de compétences au sein de l’État fédéral. La libre circulation « interne » garantie par cette disposition a une portée plus limitée que la libre circulation garantie par le droit de l’Union européenne. En tout état de cause, la partie requérante ne démontre pas qu’il serait question d’une violation du principe de l’union économique et monétaire en ce que l’article 5, alinéa 1er, 1°, du décret attaqué ne tient pas compte des périodes au cours desquelles l’intéressé a été domicilié dans une commune bruxelloise ou wallonne voisine. Au sein du système fédéral belge, il est parfaitement justifié que des personnes qui habitent en Région de Bruxelles-Capitale ou en Région wallonne ne bénéficient pas des mêmes avantages sociaux que les personnes qui habitent en Région flamande. Par ailleurs, selon la jurisprudence constante de la Cour, une différence de traitement qui découle du caractère transfrontalier ou non du litige ne peut en soi violer le principe d’égalité et de non-
discrimination (voy. notamment C.C., n° 117/2017, 12 octobre 2017, ECLI:BE:GHCC:2017:ARR.117, B.3.2).
A.13.4. Le Gouvernement flamand ajoute que les articles 5, 39 et 134 de la Constitution, combinés avec les articles 2 et 19, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, ont établi une répartition exclusive des compétences territoriales. Il s’ensuit que l’objet de chaque réglementation régionale doit pouvoir être localisé dans la région concernée, afin que chaque situation ne soit régie que par un seul législateur. Il appartient à chaque région de choisir elle-même le critère de localisation adéquat. Le législateur décrétal flamand n’est en principe pas compétent pour adopter une réglementation relative au logement abordable qui soit applicable aux personnes qui ne résident
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pas sur le territoire de la Région flamande. Une extension du régime attaqué aux personnes qui ont longtemps résidé en Région wallonne ou en Région de Bruxelles-Capitale aurait en outre pour effet que la Région flamande doive prendre des mesures de contrôle et de surveillance qui ne sont pas compatibles avec la répartition territoriale des compétences. La différence de traitement invoquée par la partie requérante disparaîtrait par ailleurs si la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale adoptaient une réglementation analogue en matière de logement abordable au profit des ressortissants belges qui habitent sur leur territoire.
Le renvoi, au moyen, au droit à un logement décent, tel qu’il est garanti par l’article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution n’aboutit pas, selon le Gouvernement flamand, à une autre conclusion. Cette disposition constitutionnelle ne porte pas atteinte à la répartition territoriale des compétences. Il appartient à chaque législateur de garantir, dans sa propre sphère de compétence territoriale, le droit à un logement décent.
A.13.5. Même si la Cour jugeait que le législateur décrétal flamand n’a pas excédé sa sphère de compétence territoriale en étendant le régime prévu par le décret attaqué aux personnes qui ont habité dans une autre région durant une certaine période, cela ne signifierait pas, selon le Gouvernement flamand, que le critère utilisé à l’article 5, alinéa 1er, 1°, de ce décret est inconstitutionnel. Ce critère est raisonnablement justifié, eu égard à la nature et à l’objet de la compétence matérielle en matière de logement et en particulier eu égard au but poursuivi par le législateur décrétal consistant à lutter contre la gentrification. À cela s’ajoute qu’une extension du régime aux personnes qui ont habité en Région de Bruxelles-Capitale ou en Région wallonne durant une certaine période aurait des effets indésirables. Une telle extension aurait pour effet que seuls les habitants d’un nombre limité de communes bruxelloises et wallonnes pourraient acheter prioritairement une habitation dans les communes « WIES ». Il serait ainsi créé une nouvelle différence de traitement entre les habitants des communes bruxelloises et ceux des communes wallonnes, selon la commune où ils résident. Par ailleurs, l’extension visée par les parties requérantes aurait des effets extraterritoriaux considérables et entraverait la politique du logement et de l’aménagement du territoire des autres régions. Le Gouvernement flamand observe enfin qu’une éventuelle inconstitutionnalité sur ce point pourrait non seulement être mise à néant par l’extension de la condition de l’article 5, alinéa 1er, 1°, du décret attaqué aux communes bruxelloises et wallonnes voisines, mais également par la suppression de cette condition. Dans la mesure où la Cour conclurait, sur ce point, à une inconstitutionnalité, le Gouvernement flamand demande par conséquent à la Cour, en ordre subsidiaire, de ne pas annuler uniquement les mots « au sein de la Région flamande », mais de laisser au législateur décrétal l’occasion d’adopter une nouvelle réglementation. En ordre tout à fait subsidiaire, le Gouvernement flamand demande à la Cour d’annuler intégralement le membre de phrase « ou dans une commune limitrophe au sein de la Région flamande ».
A.13.6. En ce que la critique de la partie requérante porte sur des situations à caractère transfrontalier, le Gouvernement flamand reconnaît que les dispositions du TFUE en matière de libre circulation sont applicables. Il découle toutefois de l’exposé du Gouvernement flamand concernant le premier moyen dans l’affaire n° 8156 que l’article 5 du décret attaqué est compatible avec ces dispositions conventionnelles. Le Gouvernement flamand ajoute que, conformément à l’article 4, paragraphe 2, du Traité sur l’Union européenne (ci-après : le TUE), la Cour de justice doit prendre en compte l’identité nationale des États membres, qui est « inhérente à leurs structures fondamentales, politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale ». Le principe de la répartition exclusive des compétences territoriales relève de l’identité nationale belge au sens de l’article 4, paragraphe 2, du TUE.
Quant au maintien des effets
A.14.1. En cas d’annulation totale ou partielle du décret attaqué, le Gouvernement flamand, dans son mémoire en réplique, demande de maintenir définitivement les effets des dispositions annulées, conformément à l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.
A.14.2. Le Gouvernement flamand fait valoir que l’effet rétroactif d’une annulation conduirait à une insécurité juridique pour les contrats de vente qui ont été conclus en application du décret attaqué. L’annulation d’un tel contrat impliquerait en effet, pour l’acheteur « WIES », la perte de son unique habitation, étant donné que
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le vendeur redevient en pareil cas propriétaire du terrain ou logement « WIES », tandis que l’acheteur « WIES »
prétend à une restitution du prix d’achat. Les acheteurs « WIES » sont des acheteurs moins fortunés, pour lesquels il existe peu, voire pas d’alternatives de logement.
A.14.3. Même si seul le régime de financement prévu à l’article 10 du décret attaqué est annulé, le Gouvernement flamand estime que cette annulation peut donner lieu à une insécurité juridique importante pour les acheteurs « WIES ». S’il faut considérer l’ensemble de l’intervention financière comme aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE, le vendeur devra en effet rembourser l’intégralité du montant de cette intervention à la commune « WIES », majoré d’une rente payable à partir de la date à laquelle l’aide illicite était disponible pour le bénéficiaire. Il existe un risque réel que le vendeur tente par la suite de récupérer ce montant auprès de l’acheteur « WIES », sur la base de la doctrine de l’enrichissement sans cause, de sorte que l’aide d’État sera finalement récupérée auprès de ce dernier. Il peut être admis, à cet égard, que l’acheteur « WIES » sera finalement forcé, à l’issue d’une procédure civile ou non, de restituer son unique habitation au vendeur initial ou de la vendre. L’on ne saurait attendre des acheteurs privés qu’ils soient en mesure d’évaluer si une subvention constitue ou non une aide d’État illicite. Il n’est pas compatible avec le principe de proportionnalité d’exiger d’un tel acheteur le remboursement de ce genre d’aide d’État.
A.14.4. Si la Cour pose une ou plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice concernant l’interprétation des dispositions relatives à la libre circulation ou aux aides d’État, le Gouvernement flamand demande à la Cour de poser également la question préjudicielle suivante sur le maintien des effets : « Le juge national, s’il conclut, sur la base des réponses aux questions préjudicielles précitées, que le décret flamand concernant ‘ wonen in eigen streek ’ viole l’une des dispositions précitées du droit de l’Union, pourrait-il appliquer une disposition de droit national l’habilitant à maintenir les effets du décret précité afin d’éviter une insécurité juridique, notamment pour les acheteurs ‘ WIES ’, et en particulier d’éviter que des personnes physiques moins fortunées soient privées de leur unique terrain à bâtir ou de leur logement et/ou qu’elles doivent rembourser une aide perçue en toute bonne foi ? ». Il découle en effet de la jurisprudence de la Cour de justice que la Cour ne peut pas maintenir les effets de dispositions législatives qu’elle a jugées contraires au droit de l’Union européenne.
Seule la Cour de justice peut autoriser ce maintien, à titre exceptionnel et pour des motifs impérieux de sécurité juridique.
-B-
Quant au décret attaqué et à son contexte
B.1. Les parties requérantes demandent l’annulation totale ou partielle du décret de la Région flamande du 23 juin 2023 « concernant ‘ wonen in eigen streek ’ (Habiter dans sa propre région) » (ci-après : le décret du 23 juin 2023).
B.2.1. Selon l’exposé des motifs, le décret du 23 juin 2023 permet à certaines communes, « si elles le souhaitent, de réserver une part spécifique de terrains ou de logements exclusivement à des habitants moins fortunés qui sont en mesure de démontrer un lien clair avec la commune ou la région. Un tel régime est nécessaire pour lutter contre les effets indésirables de la gentrification et est destiné à permettre à la population locale moins fortunée d’acquérir un logement dans une commune déterminée. Par le biais du présent régime, un avantage est dès lors octroyé à l’acquéreur local moins fortuné d’un logement en ce que
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certaines parcelles ou certains logements lui sont réservés. En complément, la commune prévoira également une intervention financière dont l’octroi sera certes lié à plusieurs conditions » (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1682/1, p. 4).
Un tel régime est notamment inspiré du constat selon le lequel « au cours des dernières décennies, [...] il était devenu de plus en plus difficile pour de nombreux Flamands d’acquérir leur propre habitation dans la commune ou dans la région où ils ont grandi. Surtout dans certaines régions – qui connaissent, par exemple, une croissance démographique plus élevée, une forte immigration ou une grande prospérité - les jeunes ou les personnes moins fortunées ne peuvent plus trouver un logement dans la commune avec laquelle ils ont pourtant un lien étroit. Ils doivent, par la force des choses, aller dans des communes avec lesquelles ils n’ont pas ou presque pas de liens, que ceux-ci soient d’ordre professionnel ou familial. Une telle situation a d’importantes conséquences : pour les personnes qui doivent quitter la région qui leur est familière, mais aussi pour les communes qui risquent d’être désocialisées par l’exode de personnes enracinées dans la commune et par l’arrivée massive de personnes qui ont un lien bien moins important avec la communauté locale. Cette gentrification se manifeste dans de très nombreuses communes flamandes, mais il y a des régions et des communes où la hausse des prix de l’immobilier était encore plus importante. Souvenez-vous de différentes villes qui sont devenues plus attrayantes au cours de ces dernières années, mais aussi de zones périphériques comme la périphérie flamande de Bruxelles » (ibid., p. 3).
B.2.2. Le décret du 23 juin 2023 tend à apporter une réponse à l’annulation, par l’arrêt de la Cour n° 144/2013 du 7 novembre 2013 (ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.144), du livre 5
(« Habiter dans sa propre région ») du décret de la Région flamande du 27 mars 2009 « relatif à la politique foncière et immobilière » (ci-après : le décret du 27 mars 2009). Préalablement à cet arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne avait jugé, en réponse à une question préjudicielle posée par la Cour, que les libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union européenne s’opposent à une législation telle que celle prévue au livre 5, précité, « qui soumet le transfert de biens immobiliers situés dans les communes cibles à la vérification par une commission d’évaluation provinciale de l’existence d’un ‘ lien suffisant ’ entre l’acquéreur ou le preneur potentiel et ces communes » (CJUE, 8 mai 2013, C-197/11 et C-203/11, Libert e.a., ECLI:EU:C:2013:288, point 60).
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Le décret du 23 juin 2023 « traduit en termes juridiques [la volonté politique de répondre aux aspirations de la population locale moins fortunée en Flandre], et ce, dans le respect des arrêts de la Cour de justice européenne et de la Cour constitutionnelle qui ont conduit à l’annulation de la réglementation originaire » (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1682/1, p. 3).
B.3. L’article 2 du décret du 23 juin 2023 constitue le chapitre 2 (« Définitions ») du présent décret. Cette disposition prévoit :
« Dans le présent décret, on entend par :
1° géomètre-expert : le géomètre-expert inscrit au tableau des titulaires, visé à l’article 3
de la loi du 11 mai 2003 créant des conseils fédéraux des géomètres-experts, et soumis à l’application de l’arrêté royal du 15 décembre 2005 fixant les règles de déontologie du géomètre-expert;
2° cession : la vente ou location pour plus de neuf ans d’un bien immobilier, l’apport d’un bien immobilier dans une société, la constitution ou la cession d’un droit d’emphytéose ou de superficie, et tout autre transfert de propriété à titre onéreux, à l’exception des :
a) contrats de mariage et leurs modifications;
b) contrats de mitoyenneté;
c) actes afférents à la fusion de personnes morales, et des opérations assimilées à une fusion;
d) actes établis à l’occasion des transferts visés à l’article 4.38, § 4 et § 5, du Code flamand du Logement de 2021;
3° prix estimé : l’estimation de la valeur des parts de terrain sur la base de règles objectives, qui est arrêtée dans un rapport d’expertise;
4° rapport d’expertise : le rapport du géomètre-expert, de la commission foncière ou du Service flamand des Impôts déterminant le prix estimé;
5° WIES : ‘ Wonen in Eigen Streek ’ (Habiter dans sa propre région);
6° commune WIES : une commune reprise dans la liste établie en vertu de l’article 3, alinéa 1er;
7° terrain WIES : la qualification particulière du terrain désigné en vertu de l’article 4, § 3, alinéa 3;
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8° acquéreur WIES : une personne telle que visée à l’article 5;
9° logement WIES : la qualification particulière du logement désigné en vertu de l’article 4, § 3, alinéa 3 ».
B.4. Les articles 3 à 6 du décret du 23 juin 2023 constituent le chapitre 3 (« Champ d’application ») de ce décret.
B.5.1. L’article 3 du décret du 23 juin 2023 dispose :
« Le Gouvernement flamand établit par arrêté, tous les six ans et pour la première fois en 2023, une liste des communes relevant du champ d’application du présent décret. Le Gouvernement flamand établit cette liste sur la base du prix le plus élevé de l’immobilier.
Les communes reprises dans la liste, visée à l’alinéa 1er, peuvent arrêter par règlement communal que la cession des biens immobiliers, visée à l’article 4, § 1er, est soumise à des conditions particulières ».
B.5.2. L’exposé des motifs du décret du 23 juin 2023 mentionne, à cet égard :
« Le champ d’application géographique détermine les communes qui relèvent du régime ‘ WIES ’ (Wonen in eigen streek – Habiter dans sa propre région), c’est-à-dire les communes dites ‘ WIES ’.
Dans le régime ‘ WIES ’ annulé, la délimitation des communes qui étaient les plus touchées par la pression migratoire ou par la pression sur les prix déterminait le champ d’application du dispositif ‘ WIES ’.
[...]
La migration est l’une des causes du problème des prix élevés de l’immobilier qui entraîne la gentrification. Le problème n’est donc pas la migration en soi, mais les prix élevés de l’immobilier. Les communes où les prix de l’immobilier ont fortement augmenté, mais où la migration est à la baisse ou plus basse, sortent donc du champ d’application d’un régime ‘ WIES ’, alors que le problème de la ‘ population locale moins fortunée ’ demeure, pour autant que celle-ci n’ait pas déjà dû en grande partie céder la place.
En tout état de cause, c’est le prix de l’immobilier qui est l’élément le plus distinctif parce que la différence (en pourcentage) entre le revenu des habitants des communes les plus riches et le revenu moyen est beaucoup plus faible que la différence (en pourcentage) entre les prix de l’immobilier dans les communes les plus onéreuses et les prix moyens de l’immobilier.
C’est pourquoi il est préférable de déterminer le critère en fonction des communes où les prix de l’immobilier sont les plus élevés.
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Pour déterminer le prix de l’immobilier, le critère du prix du terrain à bâtir est à écarter car il n’y a quasi plus de terrains à bâtir dans de nombreuses communes.
Seuls les chiffres disponibles relatifs aux maisons d’habitation sont complets et fiables :
[...].
C’est pourquoi il est opté pour un critère général, à savoir celui du prix le plus élevé de l’immobilier, qui tiendra compte des prix médians de l’immobilier au cours des cinq dernières années (il s’agit de statistiques officielles; source : Statbel) et des coefficients de localisation sur la base desquels est déterminée la liste des communes dites du groupe 2 (à savoir les communes où les prix de l’immobilier sont nettement plus élevés), qui jouent un rôle dans divers instruments de la politique du logement. Cette liste doit être établie tous les six ans par un arrêté du Gouvernement flamand, chaque fois un an avant le début de la nouvelle législature communale et pour la première fois en 2023 » (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1682/1, pp. 10-11).
B.6.1. L’article 4 du décret du 23 juin 2023 dispose :
« § 1er. Dans les communes, visées à l’article 3, qui ont adopté un règlement en application de l’article 3, alinéa 2, des conditions particulières peuvent s’appliquer à la cession des terrains et logements faisant l’objet d’un des projets suivants :
1° un projet pour lequel un permis d’environnement de lotissement de terrains est demandé, créant au moins cinq lots destinés à la construction d’habitations;
2° un projet pour lequel un permis d’environnement pour des actes urbanistiques est demandé pour des projets d’habitations groupées et des immeubles à appartements qui comprennent au moins cinq logements;
3° un projet qui ne répond pas en soi aux conditions visées au point 1° ou 2°, mais qui, conjointement avec les permis d’environnement octroyés pendant les cinq dernières années avant la demande, visée au point 1° ou 2°, pour des lotissements, la construction d’habitations groupées ou d’immeubles à appartements concernant des parcelles adjacentes au terrain du projet, répond effectivement aux conditions visées au point 1° ou 2°. Pour ce projet, les pourcentages visés au paragraphe 3 sont calculés sur l’ensemble des parcelles prises en compte, et le projet comprend le nombre de terrains WIES ou de logements WIES à réaliser pour l’ensemble de ces parcelles, le cas échéant déduction faite des logements WIES ou des terrains WIES des autres permis d’environnement éligibles au calcul.
[...]
Les conditions particulières, visées à l’alinéa 1er, ne s’appliquent qu’aux projets visés aux alinéas 1er et 2, dans la mesure où le permis d’environnement de lotissement de terrains ou le permis d’environnement pour des actes urbanistiques est demandé après l’entrée en vigueur d’un règlement communal tel que visé à l’alinéa 1er.
§ 2. Par dérogation au paragraphe 1er, les projets suivants ne sont pas soumis aux conditions particulières visées au présent décret et à ses arrêtés d’exécution :
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1° un projet commencé par une société de logement telle que visée à l’article 4.36 du Code flamand du Logement de 2021, dans le cadre de ses missions visées au livre 4, partie 1, titre 3, chapitre 5, du code précité, ou la Société flamande du Logement social, visée à l’article 4.7 du code précité, dans le cadre de ses missions visées au livre 4, partie 1, titre 2, chapitre 2, du code précité;
2° un projet tel que visé à l’article 5.99 du code précité.
§ 3. Le conseil communal de la commune WIES prévoit dans le règlement communal que le collège des bourgmestre et échevins peut imposer, aux projets visés au paragraphe 1er qui ne sont pas exclus en application du paragraphe 2, des conditions de cession telles que visées à l’article 5 du présent décret, pour :
1° au minimum 40 % du nombre de logements à réaliser ou de lots destinés à la construction d’habitations, diminué du pourcentage pour la réalisation d’une offre de logements sociaux ou de logements locatifs conventionnés, pour les terrains qui sont la propriété des entités visées à l’article I.3 du Décret de gouvernance du 7 décembre 2018;
2° au minimum 20 % et au maximum 40 % du nombre de logements à réaliser ou de lots destinés à la construction d’habitations, diminué du pourcentage pour la réalisation d’une offre de logements sociaux ou de logements locatifs conventionnés, pour les terrains qui sont la propriété de personnes physiques ou morales autres que celles visées à l’article I.3 du Décret de gouvernance du 7 décembre 2018.
Le conseil communal d’une commune WIES prévoit dans le règlement communal les critères sur la base desquels le collège des bourgmestre et échevins peut décider d’imposer des conditions de cession aux projets visés au présent article. Ces critères ont trait aux objectifs du présent décret et à la capacité financière de la commune.
Dans le règlement communal, le conseil communal de la commune WIES détermine le pourcentage définitif pour lequel les conditions de cession visées à l’article 5 sont appliquées.
Le pourcentage repris au règlement constitue le pourcentage minimal utilisé par la commune WIES auquel les conditions de cession visées à l’article 5 s’appliquent.
Le demandeur du permis d’environnement, visé au paragraphe 1er, mentionne dans sa demande les terrains ou logements qui sont prévus afin de répondre au pourcentage définitif déterminé par le conseil communal de la commune WIES en vertu de l’alinéa 3. Les terrains et logements désignés sont les terrains WIES et les logements WIES.
Pour l’application de l’alinéa 4, le conseil communal de la commune WIES peut arrêter des conditions supplémentaires dans le règlement communal.
Dans le présent paragraphe on entend par :
1° logement locatif conventionné : le logement visé à l’article 1.3, § 1er, alinéa 1er, 14°/1, du Code flamand du Logement de 2021;
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2° offre de logements sociaux : l’offre, visée à l’article 1.3, § 1er, alinéa 1er, 46°, du Code flamand du Logement de 2021 ».
B.6.2. L’exposé des motifs du décret du 23 juin 2023 mentionne, à cet égard :
« Le champ d’application matériel détermine les terrains et les logements auxquels s’appliquerait le régime ‘ WIES ’. Il est prévu un système qui qualifie le terrain et/ou le logement, selon le cas, de terrain ‘ WIES ’ et/ou de logement ‘ WIES ’.
Cette qualification a pour effet que, même dans le cas d’une cession qui ne serait pas réalisée au profit d’un acquéreur ‘ WIES ’, d’éventuelles cessions ultérieures doivent toujours être réalisées en première instance au profit d’un tel acquéreur ‘ WIES ’, et ce, toujours après notification à la commune ‘ WIES ’.
[...]
Si le conseil communal choisit d’adopter un règlement ‘ WIES ’, il indique également dans ce même règlement les critères et les conditions sur la base desquels le collège des bourgmestre et échevins pourra déterminer si un projet de construction, tel qu’il est prévu à l’article 4, § 1er, alinéa 1er, sera soumis aux conditions de cession spécifiques en application du présent projet de décret. Ces critères devront être en lien avec les objectifs du présent projet de décret et avec la capacité financière de la commune.
Sans qu’il puisse être dérogé aux dispositions ‘ WIES ’ prévues par le décret, une commune pourrait donc prévoir dans son règlement ‘ WIES ’ que seuls les projets de construction, pour lesquels, au moment de la demande de permis d’environnement, des moyens financiers suffisants sont encore disponibles sur le budget ‘ WIES ’ prévu dans le plan pluriannuel, sont soumis aux conditions spécifiques de cession en application du présent décret » (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1682/1, pp. 11-12).
B.7.1. L’article 5 du décret du 23 juin 2023 dispose :
« Les terrains WIES et les logements WIES ne peuvent être cédés qu’aux personnes répondant à toutes les conditions suivantes :
1° pendant une période de dix ans avant la date de la cession, la personne est inscrite de manière ininterrompue pendant au moins cinq ans dans les registres de la population, visés à l’article 1er, § 1er, alinéa 1er, 1° de la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population, aux cartes d’identité, aux cartes d’étranger et aux documents de séjour, de la commune WIES ou dans une commune limitrophe au sein de la Région flamande;
2° la personne répond aux conditions relatives à la propriété immobilière et au revenu qui font preuve d’une situation moins aisée, fixées par le Gouvernement flamand;
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3° la personne est inscrite dans les registres de la population, visés à l’article 1er, § 1er, alinéa 1er, 1°, de la loi précitée.
Les conjoints, les cohabitants légaux ou de fait de la personne à laquelle un terrain WIES
ou un logement WIES est cédé, et qui vont co-occuper le terrain WIES ou le logement WIES, répondent également aux conditions visées à l’alinéa 1er, 2° et 3°.
Pour l’application de l’alinéa 1er, le conseil communal de la commune WIES peut arrêter des conditions plus strictes dans le règlement communal. Le conseil communal de la commune WIES peut, par exemple, limiter l’application de l’alinéa 1er, 1°, aux personnes qui, pendant une période de dix ans avant la date de la cession, ont été inscrites de manière ininterrompue pendant au moins cinq ans dans le registre de la population de leur propre commune ».
B.7.2. L’exposé des motifs du décret du 23 juin 2023 mentionne, à cet égard :
« Dans ce contexte, il est fondamental de garder à l’esprit l’objectif du dispositif ‘ Wonen in eigen streek ’ (Habiter dans sa propre région), à savoir protéger, sur le marché de l’immobilier, la population locale moins fortunée, c’est-à-dire principalement les jeunes (des isolés ou des jeunes ménages). Le dispositif ‘ Wonen in eigen streek ’ tend à donner aux personnes de ce groupe cible des opportunités de logement suffisantes dans leur propre commune ou dans les communes voisines pour éviter que ces personnes n’aient à partir, alors qu’elles ne le souhaitent pas. Un tel départ produit en effet plusieurs effets indésirables tant sur le plan social (communauté, soins aux personnes âgées, travail d’aidant proche, etc.) que financier (les soins aux personnes âgées qui sont à charge des pouvoirs publics).
En substance, il s’agit donc de deux conditions liées à la personne, qui découlent du public cible de la population locale moins fortunée :
- la population moins fortunée, dont il résulte une condition de revenu et de patrimoine.
Pour répondre à la critique fondamentale émise par la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle des conditions de revenu et de patrimoine sont à prévoir, tout régime ‘ WIES ’ doit, en tout état de cause, prévoir des conditions de revenu et de patrimoine;
- la population locale, dont il résulte des conditions relatives à l’ancrage local.
Cela se traduit concrètement par les critères suivants :
- ancrage local : ici aussi, on opte pour un critère simple, clair et probant, c’est-à-dire qu’un candidat acheteur remplit le critère de l’ancrage local si, au cours des dix années précédant la date de la cession, il a habité sans interruption pendant au moins cinq ans dans la commune ou dans une commune (flamande) voisine du projet en question;
- critères de revenu et de patrimoine : il est prévu de fixer des conditions de revenu par arrêté du Gouvernement flamand;
- conditions supplémentaires : l’acheteur ‘ WIES ’ doit être inscrit au registre de la population ou au registre des étrangers » (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1682/1, p. 13).
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« Les conjoints et les cohabitants légaux ou de fait de la personne à laquelle un terrain ou logement ‘ WIES ’ est cédé, qui occuperont conjointement le logement ‘ WIES ’ ou le logement situé sur le terrain ‘ WIES ’, doivent remplir les mêmes conditions, à l’exception de la condition de l’ancrage local, à laquelle un seul d’entre eux doit satisfaire » (ibid.).
B.7.3. L’article 6 du décret du 23 juin 2023 prévoit les cas dans lesquels les conditions de cession visées à l’article 5 de ce décret ne s’appliquent pas. Il s’agit notamment « des cas où la cession du terrain ‘ WIES ’ et/ou du logement ‘ WIES ’ a lieu sous la forme d’une vente forcée, dans le cadre d’un règlement d’attribution, dans le cas d’une cession à un promoteur dont le projet relève du régime ‘ WIES ’, dans le cas d’une cession à la commune, à un CPAS ou à une organisation de logement social ou si la commune n’a pas fourni d’intervention financière (si la commune abroge son règlement ‘ WIES ’) » (ibid.).
B.8.1. Les articles 7 à 9 du décret du 23 juin 2023 constituent le chapitre 4 (« Application de la condition de cession ») de ce décret.
B.8.2. L’article 7 du décret du 23 juin 2023 dispose :
« § 1er. Dans le cas d’une notification à la commune telle que visée au paragraphe 9, alinéa 2, la commune établit une liste de candidats acquéreurs qui répondent aux conditions de cession, visées à l’article 5.
La commune détermine une procédure d’inscription transparente sur la base de laquelle un candidat acquéreur peut introduire un dossier d’inscription. Le Gouvernement flamand peut arrêter des modalités relatives à la procédure d’inscription précitée.
Seule une commune qui adopte un règlement tel que visé à l’article 4, § 1er, respecte les obligations visées aux alinéas 1er et 2. Les obligations précitées s’éteignent lorsqu’il n’y a plus de terrains ou de logements sur le territoire de la commune précitée qui sont qualifiés de terrain WIES ou de logement WIES.
[...]
§ 9. Dans le présent paragraphe on entend par envoi sécurisé : un des modes de notification suivants :
1° une lettre recommandée;
2° une remise contre récépissé;
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3° tout mode de notification autre que les modes de notification visés aux points 1° et 2°, déterminé par le Gouvernement flamand. Ce mode de notification permet d’établir la date de notification avec certitude.
Une personne qui souhaite céder un terrain WIES ou un logement WIES, adresse un envoi sécurisé à la commune conformément aux conditions définies par le Gouvernement flamand et à la réglementation reprise au règlement communal.
En application de l’alinéa 2, la commune désigne un ou plusieurs candidats acquéreurs conformément aux règles fixées par le Gouvernement flamand. La désignation précitée se fait dans l’ordre de la date d’inscription à la liste visée au paragraphe 1er.
Si aucun contrat n’est conclu avec un acquéreur WIES après une période de neuf mois à compter de la date d’expédition de l’envoi sécurisé, visé à l’alinéa 1er, les conditions de cession visées à l’article 5 ne s’appliquent plus à la cession. L’article 12 reste intégralement d’application ».
B.8.3. L’article 9 du décret du 23 juin 2023 dispose que « toute cession qui a lieu en violation de l’article 5 entraîne la nullité absolue du contrat, qui peut être demandée par chaque partie intéressée ».
B.9. L’article 10 du décret du 23 juin 2023 constitue le chapitre 5 (« Financement ») de ce décret. Cette disposition prévoit :
« § 1er. Si un acquéreur WIES achète un terrain WIES ou un logement WIES en application de l’article 5 et du règlement communal en vigueur, la commune WIES fournit une intervention financière au bénéfice de l’acquéreur WIES, basée sur le prix estimé des parts de terrain que l’acquéreur WIES acquiert en propriété. Cette intervention financière s’élève à au moins 50 % du prix estimé des parts de terrain.
La commune WIES verse le montant de l’intervention financière, visée à l’alinéa 1er, sur un compte bloqué auprès du fonctionnaire instrumentant, déterminé par l’acquéreur WIES. Le montant est libéré au bénéfice du vendeur après la passation de l’acte et fait partie du prix d’achat payé par l’acquéreur WIES.
Le montant de l’intervention financière, visée à l’alinéa 1er, est repris par le fonctionnaire instrumentant dans l’acte à passer, ainsi que la mention que ce montant de l’intervention financière doit être remboursé conformément à l’article 11 au moment d’une mutation entre vifs ou par décès, à l’exception du cas visé à l’article 11, § 2.
§ 2. dans le cas d’un projet tel que visé à l’article 4, § 1er, alinéa 1er, 2°, dont la commune WIES est le propriétaire, l’acquéreur WIES paie le prix d’achat diminué de l’intervention financière visée au paragraphe 1er, alinéa 1er, à la commune WIES.
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Le fonctionnaire instrumentant reprend le montant de l’intervention financière, visée à l’alinéa 1er, dans l’acte à passer, ainsi que la mention que ce montant de l’intervention financière doit être remboursé conformément à l’article 11 au moment d’une mutation entre vifs ou par décès, à l’exception du cas visé à l’article 11, § 2.
§ 3. Le prix estimé des parts de terrain est déterminé sur la base d’un rapport d’expertise, établi au plus tôt six mois avant la signature de l’acte sous seing privé.
Le géomètre-expert, la commission foncière ou le Service flamand des Impôts est désigné(e) par la commune WIES. La commune WIES supporte les frais de l’établissement du rapport d’expertise ».
B.10. L’article 11 du décret du 23 juin 2023 constitue le chapitre 6 (« Remboursement de l’intervention financière ») de ce décret. Cette disposition prévoit :
« § 1er. Dans tous les cas où le terrain WIES ou le logement WIES passe à un tiers, la commune qui a fourni l’intervention financière se voit rembourser un montant égal au pourcentage, appliqué en vertu de l’article 10 au moment de l’achat, sur le prix estimé des parts de terrain au moment du transfert.
Le prix estimé des parts de terrain est déterminé sur la base d’un rapport d’expertise qui, le cas échéant, est établi au plus tôt six mois avant la signature de l’acte sous seing privé.
Le géomètre-expert, la commission foncière ou le Service flamand des Impôts est désigné(e) par la commune WIES. La commune WIES supporte les frais de l’établissement du rapport d’expertise, visé à l’alinéa 2.
L’acquéreur WIES peut rembourser par anticipation l’intervention financière visée à l’article 10. L’acquéreur WIES rembourse par anticipation un montant égal au pourcentage, appliqué en vertu de l’article 10 au moment de l’achat, sur le prix estimé des parts de terrain.
Le Gouvernement flamand détermine le moment où le prix estimé est déterminé, et arrête la procédure du remboursement anticipé.
Si l’acquéreur WIES n’a pas remboursé par anticipation l’intervention financière visée à l’article 10, le fonctionnaire instrumentant désigné par l’acquéreur WIES bloque le montant visé à l’alinéa 1er, en cas d’une cession, sur un compte bloqué. Le montant précité est libéré à la commune dont l’acquéreur WIES a reçu l’intervention financière.
§ 2. Par dérogation au paragraphe 1er, alinéa 1er, l’obligation de remboursement est suspendue dans les cas suivants :
1° en cas d’une transmission d’héritage, si un héritier ou légataire particulier qui hérite les droits sur le terrain WIES ou le logement WIES, répond aux conditions de cession, visées à l’article 5. Cet héritier ou légataire particulier répond aux conditions d’occupation, visées à l’article 13;
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2° en cas de transmission au conjoint survivant ou au partenaire cohabitant légal survivant, qui répond aux conditions de cession, visées à l’article 5. Ce conjoint survivant ou partenaire cohabitant légal survivant répond aux conditions d’occupation, visées à l’article 13 ».
B.11. L’article 13 du décret du 23 juin 2023 constitue le chapitre 8 (« Conditions d’occupation ») de ce décret. Cette disposition prévoit :
« L’acquéreur WIES occupe le logement WIES acquis en application du présent décret, dans le délai d’un an à partir de la date de passation de l’acte. Le délai précité est suspendu si le logement doit encore être construit au moment de la réception définitive du logement.
Si l’acquéreur WIES a acquis un terrain WIES ou a acquis un autre droit réel sur le terrain WIES en application du présent décret, un logement est réalisé sur ce terrain, qui sera occupé par l’acquéreur WIES dans les cinq ans à partir de la date de passation de l’acte.
Si l’acquéreur WIES n’occupe pas lui-même le terrain WIES ou le logement WIES pendant vingt ans, ou ne respecte pas les conditions visées à l’alinéa 1er ou 2, l’acquéreur WIES paie à la commune WIES une indemnité fixée par le Gouvernement flamand et proportionnelle à l’intervention financière, visée à l’article 10.
Le Gouvernement flamand peut déterminer des exceptions aux conditions visées aux alinéas 1er, 2 et 3 ».
B.12. Par l’arrêté du 8 décembre 2023 « portant exécution du décret du 23 juin 2023
concernant ‘ wonen in eigen streek ’ » (Habiter dans sa propre région) (ci-après : l’arrêté du 8 décembre 2023), le Gouvernement flamand a fixé notamment les conditions de revenu et de patrimoine concrètes que doivent remplir les acquéreurs « WIES », conformément à l’article 5, alinéa 1er, 2°, du décret du 23 juin 2023 (articles 3 et 4 de l’arrêté du 8 décembre 2023).
L’annexe au même arrêté contient la liste des communes « WIES ».
Quant à la recevabilité
B.13.1. Le Gouvernement flamand conteste l’intérêt de la partie requérante dans l’affaire n° 8156.
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B.13.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.13.3. La partie requérante dans l’affaire n° 8156 est une société anonyme qui a notamment pour but statutaire « l’acquisition [...], la valorisation [...], la vente, la location et la sous-location [...], de maisons, d’appartements […], de terrains, de parcelles et de domaines et, plus généralement, de toutes les sortes de biens immeubles ». À cet effet, elle pourra « ériger toutes les constructions possibles pour son propre compte ou pour le compte de tiers, comme donneur d’ordre ou comme entrepreneur général, et elle pourra, le cas échéant, remplacer et revaloriser les biens immeubles », ainsi que « prospecter et aménager des lotissements ».
La partie requérante risque donc, en tant qu’entreprise exerçant une activité dans le secteur de l’immobilier, d’être affectée directement et défavorablement par le décret du 23 juin 2023, en ce que ce décret permet aux communes « WIES » de soumettre à des conditions particulières la cession de certains biens immobiliers destinés à l’habitation. Il en va de même si, en vertu de l’article 10 du décret du 23 juin 2023, la commune « WIES » fournit une intervention financière lors de l’acquisition d’un terrain « WIES » ou d’un logement « WIES ». Certes, le montant de cette intervention est « libéré au bénéfice du vendeur après la passation de l’acte et fait partie du prix d’achat payé par l’acquéreur ‘ WIES ’ » (article 10, § 1er, alinéa 2, du décret du 23 juin 2023). Si l’intervention financière doit toutefois être qualifiée d’aide d’État illégale, comme l’allègue la partie requérante dans son second moyen, les vendeurs concernés pourront être confrontés à son recouvrement et devront dès lors rembourser une partie du prix d’achat.
B.13.4. Au surplus, il suffit de rappeler que, lorsque la partie requérante a intérêt à l’annulation des dispositions attaquées, elle ne doit pas, en outre, justifier d’un intérêt à chacun des moyens.
B.13.5. L’exception d’irrecevabilité est rejetée.
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Quant au fond
En ce qui concerne les conditions de cession
Moyen unique dans l’affaire n° 8157
B.14.1. Le moyen unique dans l’affaire n° 8157 est pris de la violation, par l’article 5 du décret du 23 juin 2023, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 21, 45, 49, 56 et 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après :
le TFUE) et avec les articles 22 et 24 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 « relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE »
(ci-après : la directive 2004/38/CE), ainsi qu’avec l’article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution.
B.14.2. La partie requérante critique le fait que, pour pouvoir être qualifiée d’acquéreur « WIES », il ne suffit pas que, pendant une période de dix ans avant la date de la cession, la personne soit inscrite de manière ininterrompue pendant au moins cinq ans aux registres de la population de la commune « WIES » ou d’une commune voisine, mais qu’il faut, en outre, que cette commune voisine se situe sur le territoire de la Région flamande. Ceci ferait naître notamment une différence de traitement injustifiée entre les personnes inscrites aux registres de la population d’une commune jouxtant la commune « WIES », selon que cette commune voisine se situe en Région flamande, ou dans la Région de Bruxelles-Capitale ou en Région wallonne.
B.14.3. Il ressort ainsi de l’exposé du moyen que la critique de la partie requérante est dirigée exclusivement contre l’article 5, alinéa 1er, 1°, du décret du 23 juin 2023, en ce que cette disposition exige que la commune limitrophe dans laquelle l’intéressé était inscrit aux registres de la population se situe « au sein de la Région flamande ».
La Cour limite son examen en ce sens.
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B.15.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination.
B.15.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.16. Le législateur décrétal dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu pour déterminer sa politique en matière socio-économique, en particulier en matière de logement. La Cour ne peut censurer les choix politiques du législateur décrétal et les motifs qui les fondent que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou ne sont pas raisonnablement justifiés.
B.17.1. Selon le Gouvernement flamand, la Région flamande n’est pas compétente pour prendre en considération les périodes pendant lesquelles cette personne était inscrite aux registres de la population d’une commune située dans une autre région afin de déterminer si une personne peut prétendre à la cession d’un terrain « WIES » ou d’un logement « WIES ».
B.17.2. Les articles 5, 39 et 134 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 2
et 19, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et avec les articles 2, § 1er, et 7 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, prévoient une répartition exclusive des compétences territoriales. Un tel système suppose que l’objet de toute norme adoptée par un législateur régional puisse être localisé dans le territoire de sa compétence, de sorte que toute relation ou situation concrète soit réglée par un seul législateur.
33
B.17.3. Le champ d’application territorial du régime attaqué est défini sur la base du lieu où se situe le terrain ou le logement à céder, en particulier sur la base de la question de savoir si ce terrain ou logement se situe dans une commune qui figure dans la liste des communes « WIES » établie par le Gouvernement flamand (article 3 du décret du 23 juin 2023). Lors de l’établissement de cette liste, le Gouvernement flamand doit respecter la répartition territoriale des compétences, ce qui implique que seules les communes situées sur le territoire de la Région flamande peuvent être désignées comme des communes « WIES ».
Un tel critère de rattachement permet de localiser l’application du régime attaqué, qui s’inscrit dans les compétences matérielles des régions en ce qui concerne le logement (article 6, § 1er, IV, 1°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles), exclusivement dans la sphère de compétence territoriale de la Région flamande. Le système de la répartition exclusive des compétences territoriales ne s’oppose pas à ce que le législateur décrétal, ensuite, prenne également en considération les périodes pendant lesquelles l’intéressé était établi dans une commune voisine située dans la Région de Bruxelles-Capitale ou en Région wallonne, pour déterminer qui pourra être le bénéficiaire du terrain ou du logement cédé. Le Gouvernement flamand ne démontre pas en quoi un tel élargissement de la condition de cession attaquée amènerait les communes « WIES » à exercer des mesures de contrôle et de surveillance qui ne sont pas conformes aux règles de compétence territoriale mentionnées en B.17.2. Pour pouvoir vérifier si une telle condition est respectée, il suffit, en principe, que le candidat acquéreur « WIES » joigne à son dossier d’inscription un extrait des registres de la population de la commune voisine.
B.17.4. Enfin, il ne s’avère pas que, comme l’allègue le Gouvernement flamand, la Région flamande, en tenant également compte de la période pendant laquelle le candidat acquéreur « WIES » était inscrit dans les registres de la population d’une commune voisine située dans la Région de Bruxelles-Capitale ou en Région wallonne, rendrait impossible ou exagérément difficile l’exercice, par ces Régions, de leur compétence en matière de logement. Une telle condition de cession n’empêche aucunement les autres régions d’adopter, pour leur propre territoire, des mesures visant à améliorer la situation de certaines catégories de personnes en matière de logement, ni de déterminer elles-mêmes, à cet égard, un critère de localisation approprié.
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B.18.1. Ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.1.1 et en B.7.2, la condition de cession visée à l’article 5, alinéa 1er, 1°, du décret du 23 juin 2023 tend à garantir que les terrains « WIES » et les logements « WIES » soient réservés à la population locale moins fortunée dans les communes où les prix de l’immobilier sont les plus élevés. Le Gouvernement flamand soutient que la différence de traitement critiquée est, en tout état de cause, justifiée, eu égard à cet objectif.
B.18.2. Un tel objectif ne peut toutefois pas justifier la seule prise en considération de la période pendant laquelle le candidat acquéreur « WIES » était inscrit aux registres de la population d’une commune voisine, si celle-ci se situe en Région flamande. La simple circonstance qu’une personne est établie dans une commune bruxelloise ou wallonne voisine ne permet pas de considérer qu’elle ne justifie pas d’un lien local avec la commune « WIES »
concernée dans la même mesure qu’une personne qui est établie dans une commune flamande voisine.
B.19. Dans cette mesure, l’article 5, alinéa 1er, 1°, du décret du 23 juin 2023 viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.20. Le moyen unique dans l’affaire n° 8157 est fondé. L’article 5, alinéa 1er, 1°, du décret du 23 juin 2023 doit être annulé, en ce que cette disposition permet à une commune « WIES » de tenir compte de la période pendant laquelle le candidat acquéreur « WIES » était inscrit aux registres de la population d’une commune voisine située au sein de la Région flamande, mais pas d’une commune voisine située au sein de la Région de Bruxelles-Capitale ou de la Région wallonne.
B.21. Dès lors qu’un contrôle au regard des autres normes de référence citées au moyen ne saurait conduire à une annulation plus étendue, il n’y a pas lieu d’examiner le moyen dans cette optique.
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Premier moyen dans l’affaire n° 8156
B.22.1. Le premier moyen dans l’affaire n° 8156 est pris de la violation, par le décret du 23 juin 2023, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 21, 45, 49, 56 et 63 du TFUE, et avec les articles 22 et 24 de la directive 2004/38/CE.
B.22.2. Dans la première branche du premier moyen, la partie requérante allègue que l’article 5, alinéa 1er, 1° et 3°, du décret du 23 juin 2023 fait naître une discrimination indirecte fondée sur la nationalité, en ce que cette disposition prévoit comme critère de distinction l’inscription aux registres de la population. Une telle discrimination indirecte ne saurait être justifiée que par des motifs d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.
Dans la seconde branche du premier moyen, la partie requérante soutient que le décret du 23 juin 2023 entrave ou rend moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par les dispositions précitées du TFUE et par la directive 2004/38/CE, sans qu’existe une justification à cet égard.
Eu égard à leur connexité, la Cour examine les deux branches du moyen conjointement.
B.23.1. L’article 21 du TFUE dispose :
« 1. Tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application.
2. Si une action de l’Union apparaît nécessaire pour atteindre cet objectif, et sauf si les traités ont prévu des pouvoirs d’action à cet effet, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent arrêter des dispositions visant à faciliter l’exercice des droits visés au paragraphe 1.
3. Aux mêmes fins que celles visées au paragraphe 1, et sauf si les traités ont prévu des pouvoirs d’action à cet effet, le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale, peut arrêter des mesures concernant la sécurité sociale ou la protection sociale. Le Conseil statue à l’unanimité, après consultation du Parlement européen ».
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B.23.2. L’article 45 du TFUE dispose :
« 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de l’Union.
2. Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.
3. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique :
a) de répondre à des emplois effectivement offerts,
b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres,
c) de séjourner dans un des États membres afin d’y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux,
d) de demeurer, dans des conditions qui feront l’objet de règlements établis par la Commission, sur le territoire d’un État membre, après y avoir occupé un emploi.
4. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l’administration publique ».
B.23.3. L’article 49 du TFUE dispose :
« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre.
La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux ».
B.23.4. L’article 56 du TFUE dispose :
« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation.
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Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent étendre le bénéfice des dispositions du présent chapitre aux prestataires de services ressortissants d’un État tiers et établis à l’intérieur de l’Union ».
B.23.5. L’article 63 du TFUE dispose :
« 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.
2. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux paiements entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites ».
B.24.1. La directive 2004/38/CE fixe les conditions requises pour : a) l’exercice du droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres par les citoyens de l’Union et les membres de leur famille; b) le droit de séjour permanent sur le territoire des États membres pour les citoyens de l’Union et les membres de leur famille; c) les limitations aux droits prévus aux points a) et b) pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique (article 1er).
B.24.2. L’article 22 de la directive 2004/38/CE dispose :
« Champ d’application territorial
Le droit de séjour et le droit de séjour permanent s’étendent à tout le territoire de l’État membre d’accueil. Des limitations territoriales au droit de séjour et au droit de séjour permanent peuvent seulement être établies par les États membres dans les cas où elles sont prévues également pour leurs propres ressortissants ».
B.24.3. L’article 24 de la directive 2004/38/CE dispose :
« Égalité de traitement
1. Sous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit dérivé, tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de la présente directive bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité. Le bénéfice de ce droit s’étend aux membres de la famille, qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de séjour permanent.
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2. Par dérogation au paragraphe 1, l’État membre d’accueil n’est pas obligé d’accorder le droit à une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour ou, le cas échéant, pendant la période plus longue prévue à l’article 14, paragraphe 4, point b), ni tenu, avant l’acquisition du droit de séjour permanent, d’octroyer des aides d’entretien aux études, y compris pour la formation professionnelle, sous la forme de bourses d’études ou de prêts, à des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut, ou les membres de leur famille ».
B.25.1. Comme il est dit en B.2.2, le décret du 23 juin 2023 tend à remédier à l’annulation, par l’arrêt de la Cour n° 144/2013, du livre 5 (« Habiter dans sa propre région ») du décret du 27 mars 2009.
B.25.2. Préalablement à cet arrêt, la Cour de justice avait jugé, en réponse à une question préjudicielle posée par la Cour :
« Observations préliminaires
« 32. Il convient de relever d’emblée que le gouvernement flamand soutient qu’il n’y a pas lieu de répondre à ces questions en raison du fait qu’elles ne concernent, selon lui, qu’une situation purement interne ne présentant aucun lien avec le droit de l’Union. En effet, les litiges au principal, qui visent soit des ressortissants belges domiciliés en Belgique, soit des entreprises établies sur le territoire belge, se cantonneraient à l’intérieur d’un seul et même Etat membre, de sorte que les dispositions du droit de l’Union invoquées ne trouveraient pas à s’appliquer.
33. A cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les règles du traité en matière de libre circulation des personnes et les actes pris en exécution de celles-ci ne peuvent être appliqués à des activités qui ne présentent aucun facteur de rattachement à l’une quelconque des situations envisagées par le droit de l’Union et dont l’ensemble des éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur d’un seul Etat membre (voir arrêts du 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et Gouvernement wallon, C-212/06, Rec. p. I -1683, point 33, ainsi que du 5 mai 2011, McCarthy, C-434/09, Rec.
p. I-3375, point 45).
34. Il est certes constant que les requérants au principal sont de nationalité belge et que tous les éléments des litiges au principal sont circonscrits à l’intérieur d’un seul Etat membre.
Cependant, il ne saurait nullement être exclu que des particuliers ou des entreprises établis dans des Etats membres autres que le Royaume de Belgique aient l’intention d’acquérir ou de prendre à bail des biens immobiliers sis dans les communes cibles et être ainsi affectés par les dispositions du décret flamand en cause au principal (voir, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2012, Garkalns, C-470/11, [non encore publié au Recueil,] point 21 et jurisprudence citée).
35. En outre, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 23 de ses conclusions, la juridiction de renvoi a saisi la Cour précisément dans le cadre d’une procédure en annulation desdites dispositions, lesquelles s’appliquent non seulement aux ressortissants belges, mais également aux ressortissants des autres Etats membres. Par conséquent, la décision que cette
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juridiction adoptera à la suite du présent arrêt produira des effets également à l’égard de ces derniers ressortissants.
36. Dans ces conditions, il y a lieu pour la Cour de se prononcer sur les deux questions susvisées.
Sur l’existence d’une restriction aux libertés fondamentales garanties par le traité FUE
37. A cet égard, il importe de déterminer si, et dans quelle mesure, les articles 21 TFUE, 45 TFUE, 49 TFUE, 56 TFUE et 63 TFUE, ainsi que les articles 22 et 24 de la directive 2004/38, s’opposent à une législation telle que celle en cause au principal.
38. Il convient, tout d’abord, de rappeler que l’article 21 TFUE et, dans leur domaine respectif, les articles 45 TFUE et 49 TFUE, ainsi que les articles 22 et 24 de la directive 2004/38, interdisent les mesures nationales qui empêchent ou dissuadent les ressortissants d’un Etat membre de quitter celui-ci afin d’exercer leur droit à la libre circulation à l’intérieur de l’Union. De telles mesures, même si elles s’appliquent indépendamment de la nationalité des ressortissants concernés, constituent des restrictions aux libertés fondamentales garanties par ces articles (voir, en ce sens, arrêts du 17 janvier 2008, Commission/Allemagne, C-152/05, Rec. I-39, points 21 et 22; du 1er décembre 2011, Commission/Hongrie, C-253/09, non encore publié au Recueil, points 46, 47 et 86, ainsi que du 21 février 2013, N., C-46/12, [non encore publié au Recueil,] point 28).
39. En l’occurrence, ainsi que la Cour constitutionnelle l’a relevé dans ses décisions de renvoi, les dispositions du livre 5 du décret flamand empêchent les personnes qui ne disposent pas d’un ‘ lien suffisant ’ avec une commune cible, au sens de l’article 5.2.1, paragraphe 2, dudit décret, d’acquérir des terrains ou des constructions érigées sur ceux-ci, de les prendre à bail pour une durée supérieure à neuf ans ou encore de contracter sur ceux-ci un droit d’emphytéose ou de superficie.
40. En outre, lesdites dispositions dissuadent les ressortissants de l’Union qui possèdent ou louent un bien dans les communes cibles de quitter celles-ci pour séjourner sur le territoire d’un autre Etat membre ou y exercer une activité professionnelle. En effet, après un certain délai de séjour en dehors de ces communes, ces ressortissants ne disposeraient plus nécessairement d’un ‘ lien suffisant ’ avec la commune concernée requis par ledit article 5.2.1, paragraphe 2 pour exercer les droits évoqués au point précédent.
41. Il s’ensuit que les dispositions du livre 5 du décret flamand constituent certainement des restrictions aux libertés fondamentales consacrées aux articles 21 TFUE, 45 TFUE et 49
TFUE, ainsi qu’aux articles 22 et 24 de la directive 2004/38.
42. Ensuite, s’agissant de la libre prestation des services consacrée à l’article 56 TFUE, les dispositions en cause du décret flamand pourraient également entraver l’exercice des activités des entreprises actives dans le secteur immobilier, en ce qui concerne tant celles qui sont établies sur le territoire belge et qui proposent leurs services notamment à des non-résidents que celles qui sont établies dans d’autres Etats membres.
43. En effet, en application de ces dispositions, les biens immobiliers situés dans une commune cible peuvent être vendus ou loués non pas à tout ressortissant de l’Union, mais seulement à ceux pouvant démontrer qu’ils ont un ‘ lien suffisant ’ avec la commune concernée,
40
ce qui restreint manifestement la liberté de prestation de services des entreprises immobilières en question.
44. Enfin, quant à la libre circulation des capitaux, il importe de rappeler que les mesures interdites par l’article 63, paragraphe 1, TFUE, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les résidents d’un Etat membre de faire des investissements immobiliers dans d’autres Etats membres (voir arrêt du 1er octobre 2009, Woningstichting Sint Servatius, C-567/07, Rec. p. I -9021, point 21).
45. Tel est le cas, notamment, des mesures nationales qui subordonnent des investissements immobiliers à une procédure d’autorisation préalable, restreignant ainsi par leur objet même la libre circulation des capitaux (voir arrêt Woningstichting Sint Servatius, précité, point 22 et jurisprudence citée).
46. Or, dans les affaires au principal, il est constant que le livre 5 du décret flamand prévoit une telle procédure d’autorisation préalable visant à vérifier l’existence d’un ‘ lien suffisant ’ entre l’acquéreur ou le preneur potentiel d’un bien immobilier et la commune cible concernée.
47. Force est donc de conclure que l’obligation de se soumettre à une telle procédure est susceptible de dissuader des non-résidents d’effectuer des investissements immobiliers dans l’une des communes cibles de la Région flamande et que, dès lors, une telle obligation constitue une restriction à la libre circulation des capitaux prévue à l’article 63 TFUE.
48. Dans ces conditions, il y a lieu de constater que les dispositions du livre 5 du décret flamand constituent à l’évidence des restrictions aux libertés fondamentales garanties par les articles 21 TFUE, 45 TFUE, 49 TFUE, 56 TFUE et 63 TFUE, ainsi que par les articles 22 et 24
de la directive 2004/38.
Sur la justification des mesures instaurées par le décret flamand
49. Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie de la Cour, des mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité FUE peuvent néanmoins être admises à condition qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (voir, notamment, arrêts précités Woningstichting Sint Servatius, point 25, et Commission/Hongrie, point 69).
50. A cet égard, le Gouvernement flamand fait valoir que la condition d’existence d’un ‘ lien suffisant ’ de l’acquéreur ou du preneur à bail potentiel avec la commune concernée est justifiée notamment par l’objectif de satisfaire les besoins immobiliers de la population autochtone la moins fortunée, en particulier des personnes socialement faibles et des jeunes ménages ainsi que des personnes isolées qui ne sont pas en mesure de se constituer un capital suffisant pour acquérir ou louer un bien immobilier dans les communes cibles. Cette partie de la population locale serait, en effet, exclue du marché immobilier en raison de l’arrivée de groupes de personnes disposant d’une aisance financière plus forte, provenant d’autres communes, qui peuvent faire face au prix élevé des terrains et des constructions dans les communes cibles.
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51. Le régime instauré par le livre 5 du décret flamand viserait ainsi, dans un but d’aménagement du territoire, à assurer une offre de logement suffisante à des personnes ayant un faible revenu ou à d’autres catégories défavorisées de la population locale.
52. A cet égard, il y a lieu de rappeler que de telles exigences relatives à la politique du logement social d’un État membre peuvent constituer des raisons impérieuses d’intérêt général et, dès lors, justifier des restrictions telles que celles établies par le décret flamand (voir arrêts Woningstichting Sint Servatius, précité, points 29 et 30, ainsi que du 24 mars 2011, Commission/Espagne, C-400/08, Rec. p. I -1915, point 74).
53. Toutefois, il importe encore de vérifier si la condition d’existence d’un ‘ lien suffisant ’ avec la commune cible concernée constitue une mesure nécessaire et appropriée à la réalisation de l’objectif invoqué par le Gouvernement flamand tel que rappelé aux points 50 et 51 du présent arrêt.
54. A cet égard, il y a lieu de relever que l’article 5.2.1, paragraphe 2, du décret flamand prévoit trois conditions alternatives, dont le respect doit être systématiquement vérifié par la commission d’évaluation provinciale, pour établir que la condition relative à l’existence d’un ‘ lien suffisant ’ entre l’acquéreur ou le preneur potentiel et la commune cible concernée est satisfaite. La première condition consiste en l’exigence de la domiciliation de la personne à laquelle le bien immobilier devrait être transféré dans la commune cible ou une commune avoisinante pendant au moins six ans de manière ininterrompue avant le transfert envisagé.
Selon la deuxième condition, cet acquéreur ou ce preneur doit, à la date du transfert, réaliser des activités dans la commune concernée, celles-ci devant occuper en moyenne au moins la moitié d’une semaine de travail. La troisième condition exige que ledit acquéreur ou preneur ait construit avec cette commune un lien professionnel, familial, social ou économique en raison d’une circonstance importante et de longue durée.
55. Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 37 de ses conclusions, aucune desdites conditions n’est en rapport direct avec les aspects socio-économiques correspondant à l’objectif de protéger exclusivement la population autochtone la moins fortunée sur le marché immobilier invoqué par le Gouvernement flamand. En effet, de telles conditions sont susceptibles d’être satisfaites non seulement par cette population la moins fortunée, mais également par d’autres personnes disposant de moyens suffisants et qui, par conséquent, n’ont aucun besoin spécifique de protection sociale sur ledit marché. Ainsi, ces mesures vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but recherché.
56. En outre, il y a lieu de relever que d’autres mesures moins restrictives que celles édictées par le décret flamand seraient de nature à répondre à l’objectif poursuivi par ce décret sans nécessairement conduire, de facto, à une interdiction d’acquisition ou de location à tout acquéreur ou preneur potentiel ne satisfaisant pas auxdites conditions. Par exemple, il pourrait être envisagé de prévoir des primes à l’achat ou d’autres types de subventions spécifiquement conçues en faveur des personnes les moins fortunées afin de permettre, notamment à celles pouvant démontrer qu’elles ont de faibles revenus, d’acheter ou de louer des biens immobiliers dans les communes cibles.
57. Il convient enfin de rappeler, s’agissant précisément de la troisième condition mentionnée au point 54 du présent arrêt, exigeant que soit établi un lien professionnel, familial, social ou économique entre l’acquéreur ou le preneur potentiel et la commune concernée en raison d’une circonstance importante et de longue durée, qu’un régime d’autorisation
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administrative préalable ne saurait légitimer un comportement discrétionnaire de la part des autorités nationales, de nature à priver les dispositions du droit de l’Union, notamment celles relatives à une liberté fondamentale, de leur effet utile. Aussi, pour qu’un tel régime soit justifié alors même qu’il déroge à une telle liberté fondamentale, il doit être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, qui assurent qu’il est propre à encadrer suffisamment l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales (voir, notamment, arrêt Woningstichting Sint Servatius, précité, point 35 et jurisprudence citée).
58. Or, compte tenu du caractère vague de ladite condition et de l’absence de spécification des situations dans lesquelles elle devrait être considérée comme satisfaite dans les cas concrets, les dispositions de l’article 5.2.1 du décret flamand ne répondent pas à de telles exigences.
59. En conséquence, un régime d’autorisation administrative préalable, tel que celui en cause dans les litiges au principal, ne saurait être considéré comme fondé sur des conditions susceptibles d’encadrer suffisamment l’exercice du pouvoir d’appréciation de la commission d’évaluation provinciale et, dès lors, un tel régime ne saurait justifier une dérogation à une liberté fondamentale garantie par le droit de l’Union.
60. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question dans l’affaire C-197/11 et à la douzième question dans l’affaire C-203/11 que les articles 21 TFUE, 45 TFUE, 49 TFUE, 56 TFUE et 63 TFUE, ainsi que les articles 22 et 24 de la directive 2004/38, s’opposent à une réglementation telle que celle prévue au livre 5 du décret flamand, qui soumet le transfert de biens immobiliers situés dans les communes cibles à la vérification par une commission d’évaluation provinciale de l’existence d’un ‘ lien suffisant ’ entre l’acquéreur ou le preneur potentiel et ces communes » (CJUE, 8 mai 2013, C-197/11 et C-203/11, précité).
B.26. Le régime présentement attaqué réserve la cession de certains terrains et logements aux personnes qui justifient d’un lien avec la commune, et qui remplissent les conditions relatives à la propriété immobilière et au revenu qui démontrent une situation moins aisée. Il découle de l’arrêt de la Cour de justice précité qu’un tel régime, comme celui qui était contenu dans le livre 5 du décret du 27 mars 2009, limite plusieurs libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union européenne, à savoir la liberté de circulation et d’établissement, la libre prestation des services et la libre circulation du capital (CJUE, 8 mai 2013, C-197/11 et C-203/11, précité, points 37 à 48).
B.27. Un tel régime pourrait néanmoins être admis, à condition qu’il soit justifié par un motif impérieux d’intérêt général, qu’il soit propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’il n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (ibid., point 49).
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Contrairement à ce que soutient la partie requérante dans la première branche du premier moyen, la circonstance que l’article 5, alinéa 1er, 1° et 3°, du décret du 23 juin 2023 ferait naître une discrimination indirecte sur la base de la nationalité, en ce que cette disposition utilise l’inscription aux registres de la population comme critère de distinction, ne conduit pas à une autre conclusion. À cet égard, la Cour de justice a jugé qu’une discrimination indirecte qui résulte d’une législation nationale subordonnant une certaine prise en charge à une condition de résidence est « en principe prohibée, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée. Pour cela, elle doit, d’une part, être propre à garantir la réalisation d’un objectif légitime et, d’autre part, ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif » (CJUE, 2 avril 2020, C-830/18, Landkreis Südliche Weinstraße c. PF e.a., ECLI:EU:C:2020:275, point 39).
B.28. Comme il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.1.1 et en B.7.2, le régime attaqué tend à répondre aux besoins de logement de la population locale moins fortunée dans les communes flamandes où les prix de l’immobilier sont les plus élevés. Le législateur décrétal entend permettre aux membres de ce groupe de la population d’acquérir un logement dans leur propre région et éviter ainsi qu’ils soient contraints de s’établir ailleurs.
Par son arrêt du 8 mai 2013 précité, la Cour de justice a rappelé que les exigences relatives à la politique du logement social d’un État membre peuvent constituer des motifs impérieux d’intérêt général, qui peuvent justifier une restriction de la liberté de circulation et d’établissement, de la libre prestation des services et de la libre circulation du capital. Selon la Cour de justice, c’est notamment le cas en ce qui concerne l’objectif « d’assurer une offre de logement suffisante à des personnes ayant un faible revenu ou à d’autres catégories défavorisées de la population locale » (CJUE, 8 mai 2013, C-197/11 et C-203/11, précité, points 50 à 52).
Il en découle que le régime présentement attaqué est aussi inspiré par un motif impérieux d’intérêt général susceptible de justifier une restriction des libertés fondamentales précitées (voy. aussi CJUE, 1er octobre 2009, C-567/07, Woningstichting Sint Servatius, ECLI:EU:C:2009:593, point 30; grande chambre, 22 septembre 2020, C-724/18 et C-727/18, Cali Apartments SCI et HX, ECLI:EU:C:2020:743, point 68; et 12 octobre 2023, C-670/21, BA, ECLI:EU:C:2023:763, points 70 à 73). Le constat selon lequel l’article 5, alinéa 1er, 2°, du
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décret du 23 juin 2023 impose aux personnes concernées de justifier d’une situation « moins »
aisée, de sorte que ce ne sont pas seulement les personnes dont les revenus sont les plus faibles qui pourraient acquérir un terrain « WIES » ou un logement « WIES », n’y change rien. Il ne peut être déduit de l’arrêt du 8 mai 2013 précité qu’il est uniquement question d’un motif impérieux d’intérêt général en ce qu’est visée la protection de la population qui se trouve dans une situation financière précaire ou qui relève des catégories de revenus les plus faibles. Comme le soutient le Gouvernement flamand, le régime attaqué peut en outre être appliqué exclusivement dans les communes où les prix de l’immobilier sont les plus élevés (article 3, alinéa 1er, du décret du 23 juin 2023). Il peut être admis que, dans ces communes, les personnes dont les revenus sont les plus faibles ne sont pas les seules à disposer d’une offre de logement insuffisante.
B.29.1. Il convient encore de vérifier si le régime attaqué est approprié et nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par le législateur décrétal.
B.29.2. Conformément à l’article 5, alinéa 1er, du décret du 23 juin 2023, l’acquéreur « WIES » doit remplir trois conditions cumulatives. Pendant une période de dix ans avant la date de la cession, la personne doit avoir été inscrite de manière ininterrompue pendant au moins cinq ans aux registres de la population de la commune « WIES » ou, sous réserve de ce qui est dit en B.19 à B.21, dans une commune voisine (1°), elle doit répondre aux conditions relatives à la propriété immobilière et au revenu qui démontrent une situation moins aisée, fixées par le Gouvernement flamand (2°) et elle doit être inscrite dans les registres de la population (3°).
B.29.3. Les conditions visées à l’article 5, alinéa 1er, 1° et 3°, garantissent que le régime attaqué bénéficie à la population locale. En vertu de l’article 1er, § 1er, 1°, de la loi du 19 juillet 1991 « relative aux registres de la population, aux cartes d’identité, aux cartes des étrangers et aux documents de séjour », les personnes sont en effet inscrites aux registres de la population « au lieu où elles ont établi leur résidence principale ». La circonstance qu’une personne a eu sa résidence principale dans une commune « WIES » ou dans une commune située à proximité de celle-ci pendant une période substantielle et ininterrompue préalablement à la cession du terrain « WIES » ou du logement « WIES » permet de considérer que cette personne justifie d’un lien local avec cette commune. Comme la section de législation du Conseil d’État l’a observé également, l’intéressé peut, en outre, au moment de la cession, être inscrit aux registres
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de la population d’une autre commune que la commune « WIES » ou d’une commune voisine, de sorte que le régime attaqué, à cet égard, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire (CE, avis n° 73.056/3 du 20 mars 2023, point 7.3; Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1682/1, pp. 76-77).
La partie requérante critique en particulier le fait que le lien local ne puisse être démontré qu’à l’aide de l’inscription aux registres de la population et que, dès lors, il n’est pas tenu compte d’autres aspects sociaux ou économiques dont il ressort que l’intéressé a un lien avec la commune « WIES ». Comme le soutient le Gouvernement flamand, l’exclusion de personnes qui n’ont qu’un lien social ou économique avec la commune, sans y avoir habité, garantit toutefois que le régime attaqué bénéficie effectivement à la population locale et cela s’inscrit dès lors dans le cadre de l’objectif du législateur décrétal.
Par ailleurs, le livre 5 du décret du 27 mars 2009 permettait à l’intéressé de démontrer qu’il « avait construit avec la commune un lien professionnel, familial, social ou économique en raison d’une circonstance importante et de longue durée » (article 5.2.1, § 2, 3°, du décret précité). La Cour de justice a souligné à cet égard « le caractère vague de ladite condition »
et « l’absence de spécification des situations dans lesquelles elle devrait être considérée comme satisfaite dans les cas concrets ». Une telle condition ne répond pas à l’exigence selon laquelle un régime qui déroge à une liberté fondamentale « doit être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, qui assurent qu’il est propre à encadrer suffisamment l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales » (CJUE, 8 mai 2013, C-197/11 et C-203/11, précité, points 57 et 58). Il ne peut être reproché au législateur décrétal d’avoir, à la suite de cette jurisprudence, opté, en ce qui concerne le lien local, pour un critère objectif et transparent dont le respect est facile à contrôler par l’administration communale, comme l’inscription aux registres de la population.
B.29.4. La condition visée à l’article 5, alinéa 1er, 2°, du décret du 23 juin 2023 est liée aux aspects socio-économiques de l’objectif poursuivi par le législateur décrétal, qui consiste à protéger la population qui ne dispose pas de moyens suffisants pour acquérir un logement dans sa propre région. Cette condition garantit que le régime attaqué protège spécifiquement les habitants moins fortunés (voy. aussi CE, avis n° 73.056/3, 20 mars 2023, point 7.3; Doc. parl.,
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Parlement flamand, 2022-2023, n° 1682/1, pp. 76-77). À cet égard, le régime attaqué diffère dès lors du régime prévu au livre 5 du décret du 27 mars 2009, qui contenait des conditions qui « [étaient] susceptibles d’être [remplies] non seulement par cette population la moins fortunée, mais également par d’autres personnes disposant de moyens suffisants et qui, par conséquent, n’ont aucun besoin spécifique de protection sociale sur ledit marché » (CJUE, 8 mai 2013, C-197/11 et C-203/11, précité, point 55).
Contrairement à ce que soutient la partie requérante, le législateur décrétal pouvait, à cet égard, tenir compte uniquement de la propriété immobilière et du revenu, et non des autres éléments du patrimoine éventuels dont dispose l’intéressé. Il n’est pas déraisonnable que le législateur décrétal n’ait pas voulu charger les administrations communales de soumettre chaque candidat acquéreur « WIES » à une enquête exhaustive sur le patrimoine. En outre, la propriété d’un bien immobilier permet en principe de réaliser plus simplement le droit au logement sur les fonds propres, soit en occupant soi-même le bien immeuble concerné, soit en affectant les moyens qui découlent de la location, de l’exploitation ou de la vente du bien immeuble ou du droit réel à une habitation sur le marché privé.
Pour le surplus, il incombe au Gouvernement flamand, lorsqu’il prévoit les conditions concrètes relatives à la propriété immobilière et au revenu en exécution de l’article 5, alinéa 1er, 2°, du décret du 23 juin 2023, de veiller à ce que ces conditions aient effectivement pour effet que seules les personnes « qui justifient d’une situation moins fortunée » puissent avoir recours au régime attaqué. C’est au juge compétent qu’il appartient de contrôler si le Gouvernement flamand a excédé ou non les termes de l’habilitation qui lui avait été conférée.
B.29.5. En ce qui concerne le caractère nécessaire du régime attaqué, la partie requérante soutient que des mesures moins restrictives, et notamment un régime de subvention, pourraient répondre aux objectifs poursuivis par le législateur décrétal.
Le simple fait de prévoir des subventions ne permettrait toutefois pas dans la même mesure d’aider la population locale moins fortunée à accéder à un logement dans les communes « WIES ». Comme la section de législation du Conseil d’État l’a observé, « l’octroi d’une intervention ou d’une subvention ne suffit pas pour garantir que les personnes concernées auront effectivement aussi l’opportunité d’acheter une maison ou un terrain à bâtir, puisque le
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vendeur – confronté à plusieurs acquéreurs potentiels – pourrait malgré tout choisir de vendre le bien à un autre candidat acquéreur » (CE, avis n° 73.056/3, 20 mars 2023, point 7.4; Doc.
parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1682/1, pp. 77-78).
À cet égard, il convient également de tenir compte du fait que l’interdiction de proposer librement sur le marché le terrain « WIES » ou le logement « WIES » n’a pas un caractère absolu. Si aucun contrat n’est conclu avec un acquéreur « WIES » après une période de neuf mois, les conditions de cession ne s’appliquent plus à la cession (article 7, § 9, alinéa 4, du décret du 23 juin 2023). En outre, la portée géographique du régime attaqué est limitée, étant donné que ce régime peut exclusivement être appliqué dans les communes « WIES », qui sont désignées sur la base du prix immobilier le plus élevé (article 3, alinéa 1er, du décret du 23 juin 2023). Les conditions de cession ne s’appliqueront par ailleurs qu’à une part limitée des terrains et des logements qui sont proposés dans les communes « WIES », cette part correspondant à un pourcentage du nombre de lotissements ou de logements à réaliser dans des projets soumis à autorisation qui comprennent au moins cinq logements (article 4 du décret du 23 juin 2023). Le régime attaqué n’empêche dès lors pas que la grande majorité des cessions de biens immobiliers dans les communes « WIES » reste soumise à la liberté contractuelle et il n’a pas pour effet qu’il devient exagérément difficile de s’y établir pour les personnes qui n’ont pas la qualité d’acquéreur « WIES ».
B.30. Il découle de ce qui précède que le régime attaqué satisfait aux exigences mentionnées en B.27. Ce régime ne viole dès lors pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 21, 45, 49, 56 et 63 du TFUE, et avec les articles 22 et 24
de la directive 2004/38/CE.
B.31.1. La partie requérante demande à la Cour de poser à la Cour de justice deux questions préjudicielles sur l’interprétation qu’il convient de donner aux articles 21, 45, 49, 56
et 63 du TFUE et aux articles 22 et 24 de la directive 2004/38/CE.
B.31.2. Lorsqu’une question d’interprétation du droit de l’Union européenne est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas
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susceptibles de recours en vertu du droit national, cette juridiction est tenue de poser la question à la Cour de justice, conformément à l’article 267, troisième alinéa, du TFUE.
Ce renvoi n’est toutefois pas nécessaire lorsque cette juridiction a constaté que la question soulevée n’est pas pertinente, que la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable (CJCE, 6 octobre 1982, C-283/81, CILFIT, ECLI:EU:C:1982:335, point 21; CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi SpA, ECLI:EU:C:2021:799, point 33). À la lumière de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ces motifs doivent ressortir à suffisance de la motivation de l’arrêt par lequel la juridiction refuse de poser la question préjudicielle (CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, précité, point 51).
L’exception du défaut de pertinence a pour effet que la juridiction nationale n’est pas tenue de poser une question lorsque « la question n’est pas pertinente, c’est-à-dire dans les cas où la réponse à cette question, quelle qu’elle soit, ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige » (CJUE, 15 mars 2017, C-3/16, Aquino, ECLI:EU:C:2017:209, point 43; grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, précité, point 34).
L’exception selon laquelle l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec évidence implique que la juridiction nationale doit être convaincue que la même évidence s’imposerait également aux autres juridictions de dernier ressort des autres États membres et à la Cour de justice. Elle doit à cet égard tenir compte des caractéristiques propres au droit de l’Union, des difficultés particulières que présente l’interprétation de ce dernier et du risque de divergences de jurisprudence au sein de l’Union. Elle doit également tenir compte des différences entre les versions linguistiques de la disposition concernée dont elle a connaissance, notamment lorsque ces divergences sont exposées par les parties et sont avérées. Enfin, elle doit également avoir égard à la terminologie propre à l’Union et aux notions autonomes dans le droit de l’Union, ainsi qu’au contexte de la disposition applicable à la lumière de l’ensemble des dispositions du droit de l’Union, de ses finalités et de l’état de son évolution à la date à laquelle l’application de la disposition en cause doit être faite (CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, précité, points 40-46).
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Pour le surplus, une juridiction nationale statuant en dernier ressort peut s’abstenir de soumettre une question préjudicielle à la Cour « pour des motifs d’irrecevabilité propres à la procédure devant cette juridiction, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité » (CJCE, 14 décembre 1995, C-430/93 et C-431/93, Van Schijndel et Van Veen, ECLI:EU:C:1995:441, point 17; CJUE, 15 mars 2017, C-3/16, précité, point 56; grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, précité, point 61).
B.31.3. Eu égard à ce qui est dit en B.27 à B.31, et à la lumière, notamment, de l’arrêt de la Cour de justice, précité, du 8 mai 2013, il ne peut raisonnablement exister aucun doute quant à l’interprétation exacte du droit de l’Union. Il n’est dès lors pas nécessaire de poser à la Cour de justice les questions préjudicielles suggérées par la partie requérante.
B.32. Le premier moyen dans l’affaire n° 8156 n’est pas fondé.
En ce qui concerne l’intervention financière fournie par la commune « WIES »
B.33. Le second moyen dans l’affaire n° 8156 est pris de la violation, par le décret du 23 juin 2023, des articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 107, paragraphe 1, et 108, paragraphe 3, du TFUE.
B.34. La partie requérante soutient tout d’abord que l’intervention financière prévue par l’article 10 du décret du 23 juin 2023 constitue une aide d’État qui n’a pas été préalablement notifiée à la Commission européenne et qui est dès lors illicite.
B.35.1. L’article 107, paragraphe 1, du TFUE dispose :
« Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».
L’article 108, paragraphe 3, du TFUE dispose :
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« La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu’un projet n’est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l’article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L’État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ».
B.35.2. Les articles 107 et 108, précités, du TFUE exposent les règles qui doivent être suivies lorsque des aides d’État sont octroyées. Le respect de ces règles garantit qu’aucune mesure ne fausse ou ne menace de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Dans son examen de la compatibilité des dispositions attaquées avec les articles 10 et 11 de la Constitution, la Cour peut dès lors être amenée à examiner s’il est porté une atteinte discriminatoire à cette garantie.
Si la question de la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur relève d’une mission attribuée en propre à la Commission européenne, sous le contrôle du Tribunal et de la Cour de justice, de telle sorte que la Cour n’est pas compétente pour en connaître, il en va différemment du point de savoir si la disposition attaquée doit être considérée comme contraire à l’article 108, paragraphe 3, du TFUE au motif qu’elle constitue la mise en œuvre d’une aide d’État qui n’a pas été notifiée auparavant à la Commission européenne (à ce propos, voy. CJUE, 18 juillet 2013, C-6/12, P Oy, ECLI:EU:C:2013:525, point 38).
B.35.3. La Cour doit vérifier si l’intervention financière prévue à l’article 10 du décret du 23 juin 2023 doit être qualifiée d’aide d’État nouvelle, et, dans l’affirmative, si celle-ci devait être notifiée à la Commission avant d’être mise en œuvre.
B.36.1. L’article 107, paragraphe 1, du TFUE prohibe, en principe, les aides accordées aux entreprises par les États, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres.
B.36.2. Pour qu’une mesure puisse être qualifiée d’aide d’État, quatre conditions cumulatives doivent être remplies, à savoir « premièrement, il doit s’agir d’une intervention de
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l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence »
(CJUE, 10 juin 2010, C-140/09, Fallimento Traghetti del Mediterraneo SpA, ECLI:EU:C:2010:335, point 31).
À cet égard, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, « la notion d’aide est plus générale que celle de ‘subvention’, étant donné qu’elle comprend non seulement des prestations positives, telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions d’État qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, par-là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques » (CJUE, 4 juin 2015, C-5/14, Kernkraftwerke Lippe-Ems GmbH c. Hauptzollamt Osnabrück, ECLI:EU:C:2015:354, point 71).
B.36.3. Il ressort également de la jurisprudence de la Cour de justice que « l’article 107, paragraphe 1, TFUE interdit les aides ‘ favorisant certaines entreprises ou certaines productions ’, c’est-à-dire les aides sélectives » et qu’en ce qui concerne « l’appréciation de la condition de sélectivité, il résulte d’une jurisprudence constante que l’article 107, paragraphe 1, TFUE impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, une mesure nationale est de nature à favoriser certaines entreprises ou certaines productions par rapport à d’autres, qui se trouveraient, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable » (ibid., points 73-74).
B.36.4. Toujours selon la Cour de justice, « la notion d’ ‘ avantage ’, inhérente à la qualification d’aide d’État d’une mesure, revêt un caractère objectif, indépendamment des motivations des auteurs de la mesure dont il s’agit. Ainsi, la nature des objectifs poursuivis par des mesures étatiques et leur justification sont dépourvues de toute incidence sur leur qualification en tant qu’aide d’État. En effet, l’article 107, paragraphe 1, du TFUE ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets » (CJUE, grande chambre, 25 janvier 2022, C-638/19 P, Commission européenne c. European Food SA e.a, ECLI:EU:C:2022:50, point 122).
B.37.1. Dans son avis sur le projet qui a conduit au décret du 23 juin 2023, la section de législation du Conseil d’État a observé :
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« 3.1. Aux termes de l’article 10, § 1er, de l’avant-projet, si un acquéreur ‘ WIES ’ achète un terrain ‘ WIES ’ ou un logement ‘ WIES ’, la commune ‘ WIES ’ fournit une intervention financière, basée sur le prix estimé des parts de terrain que l’acquéreur ‘ WIES ’ acquiert en propriété.
[...]
3.2. Il est exact qu’aux termes de l’article 10, § 1er, alinéa 1er, de l’avant-projet, la commune ‘ WIES ’ fournit une intervention financière au bénéfice de l’acquéreur ‘ WIES ’.
Toutefois, l’on ne peut pas ignorer qu’aux termes du deuxième alinéa de cette disposition, le montant de l’intervention financière est libéré au bénéfice du vendeur après la passation de l’acte. Le bénéficiaire final de cette intervention financière est dès lors bien le vendeur du terrain ‘ WIES ’ ou du logement ‘ WIES ’.
[...]
À cet égard, il importe de rappeler que, selon la Cour de justice, sont considérées comme des aides d’État les mesures qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui sont à considérer comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché. Il peut être établi de l’exposé des motifs que l’intervention financière qui est prévue doit permettre aux candidats ‘ WIES ’ qui remplissent les conditions de revenu limité et qui, de ce fait, disposent d’une capacité d’emprunt limitée de payer le prix fixé par le vendeur. On évite ainsi que ce vendeur, pendant la période de neuf mois d’application de la condition de cession, se voie contraint de fixer un prix inférieur pour vendre le terrain ‘ WIES ’ ou le logement ‘ WIES ’ à un acquéreur ‘ WIES ’. En ce que l’intervention financière permet ainsi au vendeur de recevoir, pendant cette période de neuf mois, un prix de vente plus élevé pour le terrain ‘ WIES ’ ou pour le logement ‘ WIES ’ que ce qui serait le cas si l’aide financière prévue dans l’avant-projet n’était pas octroyée, il semble à tout le moins pouvoir être fait état d’un avantage indirect.
3.3. Toujours selon l’exposé des motifs, ‘ conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (…) une telle moins-value ou “ charge ” doit, en principe, être compensée ’. Par la moins-value est visé le prix inférieur que le vendeur obtiendrait du fait que l’acquéreur ‘ WIES ’ ne dispose que d’un revenu limité et d’une capacité d’emprunt limitée.
Dans la mesure où le but serait ainsi de soutenir que le régime envisagé doit être considéré comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, il convient de souligner que pour que, dans un cas concret, une telle compensation puisse ainsi échapper à la qualification d’aide d’État, un certain nombre de conditions énoncées dans l’arrêt Altmark de la Cour doivent être réunies. Or, à l’heure actuelle, ces conditions ne semblent pas réunies. Par exemple, l’aide financière s’élève à au moins 50 % du prix estimé des parts de terrain que l’acquéreur ‘ WIES ’ acquiert en propriété (article 10, § 1er, alinéa 1er, de l’avant-projet). De cette manière, il n’est pas garanti que la compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public.
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3.4. Par conséquent, il n’est pas à exclure que le régime en projet doive être considéré comme un régime d’aides d’État. Compte tenu également de la sanction draconienne qui risque d’être infligée en cas de non-notification injustifiée, il mérite recommandation de notifier préalablement la mesure en application de l’article 108, paragraphe 3, du TFUE. Une aide d’État non notifiée est en effet tout à fait illégale (même si elle pourrait être déclarée compatible si elle était correctement notifiée), et cette illégalité doit être soulevée, au besoin d’office, par chaque juge, sans que les bénéficiaires de l’aide puissent se prévaloir de la confiance suscitée pour empêcher son remboursement (avec intérêts). Le juge national - en Belgique également la Cour constitutionnelle - est compétent pour établir si une mesure doit être qualifiée d’aide d’État nouvelle et si, dans l’affirmative, celle-ci devait être notifiée à la Commission avant d’être mise à exécution. Au demeurant, même si la Commission européenne devait encore conclure ultérieurement que le régime d’aides d’État est compatible avec le marché intérieur, les bénéficiaires de l’aide d’État seront obligés de payer des intérêts sur l’aide qu’ils ont reçue avant cette décision de la Commission » (CE, avis n° 73.056/3 du 20 mars 2023; Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1682/1, pp. 70-73).
B.37.2. L’exposé des motifs du décret du 23 juin 2023 mentionne, en réponse à cet avis :
« Les auteurs du projet ne suivent absolument pas la position du Conseil d’État. Les conditions pour parler d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) ne sont pas réunies.
En effet, le système est conçu de telle sorte que la commune fournit une intervention financière au bénéfice de l’acquéreur ‘ WIES ’, afin que celui-ci puisse acquérir un logement aux conditions conformes au marché. Dès lors, c’est l’acquéreur ‘ WIES ’ et non l’entreprise qui reçoit l’‘ avantage ’, lequel n’est qu’une intervention dans le prix estimé, fixé en outre de manière indépendante en ce qui concerne les parts de terrain, et c’est l’acquéreur ‘ WIES ’ qui, dans tous les cas, doit rembourser cet avantage à la commune intervenante.
En outre, la thèse du Conseil d’État selon laquelle il s’agirait d’une aide indirecte parce que, pendant neuf mois, le vendeur pourrait vendre les parts de terrain à des conditions plus avantageuses, n’est pas fondée. Le Conseil d’État semble, à cet égard, perdre de vue que l’acquéreur est une partie qui, si aucune aide ne lui est octroyée, n’est tout simplement pas en mesure d’acquérir le bien. L’on n’aperçoit donc pas pourquoi il pourrait s’agir d’un ‘ avantage ’ dans le chef du vendeur, puisque le régime a pour seul but de soutenir l’acquéreur dans son achat à un prix conforme au marché. Le Conseil d’État compare la situation d’un acquéreur qui n’est pas en mesure de payer le prix, de sorte qu’il n’y aurait aucune transaction, avec une situation dans laquelle l’acquéreur, grâce à l’aide qu’il reçoit, est en mesure de payer le prix du marché, de sorte qu’il y aurait une transaction. Le vendeur ne reçoit donc aucun avantage par rapport à une situation conforme au marché.
L’hypothèse selon laquelle l’acquéreur serait éventuellement amené à payer plus, ce qui avantagerait le vendeur, est extrêmement hypothétique et ne tient pas compte du fait que l’acquéreur devra alors financer lui-même ce surplus et qu’il en supportera toutes les conséquences (négatives), étant donné que la contribution des pouvoirs publics est limitée à une contribution conforme au marché dans le prix du terrain et que l’acquéreur ‘ WIES ’ devra également rembourser celle-ci ultérieurement. En outre, l’acquéreur ‘ WIES ’ devra contracter un prêt pour l’achat et une banque ne sera souvent disposée à accorder un prêt que si le bâtiment
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a fait l’objet d’une estimation, laquelle aidera évidemment à déterminer notamment si l’acquéreur est en mesure de payer et est disposé à payer, et limitera le montant du prêt à un montant conforme au marché.
Les auteurs du projet de décret soulignent que l’intervention financière de la commune concerne une obligation réglée et garantie par un décret, à savoir un prêt, sous la forme d’un crédit ‘ bullet ’, sans durée déterminée, mais qui comporte également les éléments d’une ‘ action ’ ou de la ‘ propriété ’, puisque le remboursement ne consiste pas en le montant emprunté avec un intérêt préétabli à un moment prédéterminé, mais prévoit donc le remboursement au prix estimé après échéance, c’est-à-dire au moment de la vente ou du remboursement anticipé. C’est donc au niveau de la commune que réside le risque, bien que ceci soit plutôt théorique, puisque ce risque est lié à la part de terrain, une figure juridique sui generis. En d’autres termes, cette intervention financière ne peut pas être une aide d’État car il ne s’agit pas du paiement d’un avantage, mais de l’octroi d’un prêt qui doit être remboursé dans tous les cas » (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1682/1, pp. 18-19).
B.38.1. Le Gouvernement flamand soutient que le bénéficiaire de l’intervention financière n’est pas le vendeur du terrain « WIES » ou du logement « WIES », mais l’acquéreur « WIES ».
Ce dernier, par définition, est un particulier et non une entreprise, de sorte qu’il ne s’agirait pas d’une aide d’État.
B.38.2. L’article 10, § 1er, alinéa 1er, du décret du 23 juin 2023 dispose que l’intervention financière est accordée « au bénéfice de l’acquéreur ‘ WIES ’ ». Toutefois, le deuxième alinéa de cette disposition prévoit que le montant de l’intervention financière « est libéré au bénéfice du vendeur après la passation de l’acte et fait partie du prix d’achat payé par l’acquéreur ‘ WIES ’ ». En outre, la Cour de justice estime que sont considérées comme des aides les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser « directement »
ou « indirectement » des entreprises (CJUE, 8 mai 2013, C-197/11 et C-203/11, précité, point 83). À cet égard, la Cour de justice a notamment jugé qu’il peut s’agir d’une aide d’État « lorsqu’une mesure subventionne l’achat par les consommateurs d’un produit qui est utilisé par une entreprise aux fins de la prestation d’un service » (CJUE, 28 juillet 2011, C-403/10 P, Mediaset SpA c. Commission européenne, ECLI:EU:C:2011:533, point 54).
B.39.1. En ce qui concerne le caractère avantageux de la mesure, la question se pose ensuite de savoir si l’intervention financière doit être considérée comme une compensation pour une obligation de service public assumée par l’entreprise.
Il ressort en effet de la jurisprudence de la Cour de justice que, « dans la mesure où une intervention étatique doit être considérée comme une compensation représentant la contrepartie
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des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, de sorte que ces entreprises ne profitent pas, en réalité, d’un avantage financier et que ladite intervention n’a donc pas pour effet de mettre ces entreprises dans une position concurrentielle plus favorable par rapport aux entreprises qui leur font concurrence, une telle intervention ne tombe pas sous le coup de l’article [107], paragraphe 1, du traité » (CJCE, 24 juillet 2003, C-280/00, Altmark Trans GmbH e.a., ECLI:EU:C:2003:415, point 87).
B.39.2. Quatre conditions doivent cependant être réunies pour que l’intervention étatique ne soit pas considérée comme un avantage au bénéfice de l’entreprise visée mais comme une compensation des obligations de service public qu’elle assume (ci-après : « conditions Altmark ») :
« Premièrement, l’entreprise bénéficiaire doit effectivement être chargée de l’exécution d’obligations de service public et ces obligations doivent être clairement définies » (CJCE, 24 juillet 2003, C-280/00, précité, point 89).
« Deuxièmement, les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation doivent être préalablement établis de façon objective et transparente, afin d’éviter qu’elle comporte un avantage économique susceptible de favoriser l’entreprise bénéficiaire par rapport à des entreprises concurrentes » (ibid., point 90).
« Troisièmement, la compensation ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations. Le respect d’une telle condition est indispensable afin de garantir que n’est accordé à l’entreprise bénéficiaire aucun avantage qui fausse ou menace de fausser la concurrence en renforçant la position concurrentielle de cette entreprise » (ibid., point 92).
« Quatrièmement, lorsque le choix de l’entreprise à charger de l’exécution d’obligations de service public, dans un cas concret, n’est pas effectué dans le cadre d’une procédure de marché public permettant de sélectionner le candidat capable de fournir ces services au moindre coût pour la collectivité, le niveau de la compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée en moyens de transport afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations. » (ibid., point 93).
B.39.3. La partie requérante et le Gouvernement flamand s’opposent quant à la question de savoir si la première condition Altmark est remplie, et en particulier s’il s’agit d’une obligation de service public, en ce que le décret du 23 juin 2023 tend à satisfaire aux besoins immobiliers de la population « moins fortunée » dans les communes « WIES » et, partant, ne
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poursuivrait pas uniquement un objectif de logement social au sens strict, le groupe cible restant limité aux personnes ayant les revenus les plus faibles. Il n’est pas établi non plus que les autres conditions Altmark sont remplies, ainsi qu’il ressort aussi du point 3.3 de l’avis, précité, de la section de législation du Conseil d’État.
B.40.1. À titre subsidiaire, le Gouvernement flamand soutient que le décret du 23 juin 2023 n’octroie pas en soi une aide, mais qu’il prévoit seulement une possibilité pour les communes « WIES » d’accorder une intervention financière.
Afin qu’une commune « WIES » puisse faire usage de cette possibilité, le conseil communal doit adopter un règlement. Ce règlement doit fixer, dans les limites prévues par le décret, le pourcentage du nombre de logements ou de lotissements à réaliser qui est réservé à un acquéreur « WIES », et déterminer les critères sur la base desquels le collège des bourgmestre et échevins peut décider d’imposer des conditions de cession quant aux projets (article 4, § 3, du décret du 23 juin 2023). Ces critères ont trait aux objectifs du décret du 23 juin 2023 et à la capacité financière de la commune, de sorte « qu’une commune [pourrait] donc prévoir dans son règlement ‘ WIES ’ que seuls les projets de construction, pour lesquels, au moment de la demande de permis d’environnement, des moyens financiers suffisants sont encore disponibles sur le budget ‘ WIES ’ prévu dans le plan pluriannuel, sont soumis aux conditions spécifiques de cession en application du présent décret » (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1682/1, p. 12). Le conseil communal peut également rendre plus strictes les conditions de cession fixées par décret (article 5, alinéa 3, du même décret) et, en ce qui concerne le montant de l’intervention financière, il peut prévoir un pourcentage supérieur aux 50 % fixés par décret (article 10, § 1er, du même décret). Ainsi, la commune « WIES »
décide si une intervention financière est accordée ou non et elle détermine dans une large mesure les conditions auxquelles cette intervention a lieu, ainsi que le montant de celle-ci.
Selon le Gouvernement flamand, il en découle que chaque commune « WIES » doit elle-
même notifier à la Commission européenne le régime d’aides, tel qu’il est fixé dans le règlement communal, et ce, préalablement à la mise en œuvre de celui-ci, et qu’il n’existait aucune obligation de faire une telle notification dès l’adoption du décret du 23 juin 2023.
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B.40.2. En particulier, le Gouvernement flamand renvoie au règlement (UE) 2015/1589
du Conseil du 13 juillet 2015 « portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (texte codifié) » (ci-après : le règlement (UE) 2015/1589). L’article 2, paragraphe 1, de ce règlement prévoit que « tout projet d’octroi d’une aide nouvelle est notifié en temps utile à la Commission par l’État membre concerné ». Par « aide nouvelle », on entend « toute aide, c’est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante » (article 1er, c), du règlement (UE) 2015/1589), la notion de « régime d’aides » étant définie comme « toute disposition sur la base de laquelle, sans qu’il soit besoin de mesures d’application supplémentaire, des aides peuvent être octroyées individuellement à des entreprises, définies d’une manière générale et abstraite dans ladite disposition et toute disposition sur la base de laquelle une aide non liée à un projet spécifique peut être octroyée à une ou plusieurs entreprises pour une période indéterminée et/ou pour un montant indéterminé »
(article 1er, d), du même règlement; voy. aussi CJUE, 4 mars 2021, C-362/19 P, Commission européenne c. Fútbol Club Barcelona, ECLI:EU:C:2021:169, points 68-69).
B.40.3. À cet égard, la Cour de justice estime que « les aides d’État doivent être considérées comme étant ‘ accordées ’ au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE, à la date à laquelle le droit de les percevoir est conféré aux bénéficiaires en vertu de la réglementation nationale applicable » (CJUE, 25 janvier 2022, C-638/19 P, précité, point 115;
21 mars 2013, C-129/12, Magdeburger Mühlenwerke GmbH, ECLI:EU:C:2013:200, point 40).
Dans les conclusions préalables à l’arrêt du 25 janvier 2022 précité, l’avocat-général a observé à cet égard :
« Il me semble découler clairement du principe énoncé dans l’arrêt Magdeburger Mühlenwerke que l’élément déterminant pour établir le moment d’octroi d’une aide supposée est l’acquisition, par le bénéficiaire de la mesure en cause, d’un droit certain à la recevoir, et l’engagement corrélatif, à la charge de l’État, d’accorder la mesure. Un tel critère apparaît logique à la lumière de l’objectif du droit des aides d’État, lequel vise à appréhender les actions étatiques, dès lors que le simple engagement par l’État d’agir au soutien d’une entreprise bénéficiaire peut déjà, en lui-même, impliquer une distorsion de concurrence sur le marché, avant même que le soutien ne soit effectivement mis en œuvre » (conclusions de l’avocat-général M. Szpunar du 1er juillet 2021 dans l’affaire C-638/19 P, ECLI:EU:C:2021:529, point 125).
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Il ressort par ailleurs de la pratique décisionnelle de la Commission européenne que celle-
ci entend par « mise à exécution » de l’aide « non pas l’action d’octroi de l’aide aux bénéficiaires, mais, plutôt, l’action, en amont, d’institution ou de mise en vigueur de l’aide sur le plan législatif selon les règles constitutionnelles de l’Etat membre concerné. Une aide est à considérer comme mise à exécution dès lors que le mécanisme législatif permettant son octroi, sans autre formalité, aurait été mis en place » (voy., notamment, décision de la Commission européenne du 24 février 1999 « concernant l’aide d’Etat mise à exécution par l’Espagne en faveur de Daewoo Electronics Manufacturing España SA (Demesa) », JOCE, 13 novembre 1999, L 292, p. 17).
L’article 3, paragraphe 4, du règlement (UE) n° 1407/2013 de la Commission européenne du 18 décembre 2013 « relatif à l’application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis » (ci-après : le règlement (UE)
n° 1407/2013) dispose en outre :
« les aides de minimis sont considérées comme étant octroyées au moment où le droit légal de recevoir ces aides est conféré à l’entreprise en vertu du régime juridique national applicable, quelle que soit la date du versement de l’aide de minimis à l’entreprise ».
L’article 3, paragraphe 3, du règlement (UE) 2023/2831 de la Commission européenne du 13 décembre 2023 « relatif à l’application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis » (ci-après : le règlement (UE) 2023/2831), qui a remplacé le règlement (UE) n° 1407/2013 précité à partir du 1er janvier 2024, a un contenu pratiquement identique.
Enfin, selon le Tribunal de l’Union européenne, doivent être notifiées les mesures générales qui fixent de façon précise les conditions d’octroi de l’aide litigieuse (Tribunal, 9 septembre 2009, T-227/01 e.a., Territorio Histórico de Álava – Diputación Foral de Álava e.a.
c. Commission, ECLI:EU:T:2009:315, point 172).
B.40.4. Il convient dès lors d’examiner si les entreprises qui vendent un terrain « WIES »
ou un logement « WIES » ont le droit de recevoir, sur la seule base du décret du 23 juin 2023, une intervention financière au sens de la jurisprudence précitée de la Cour de justice, et si l’aide d’État présumée a été inconditionnellement mise à exécution par la seule entrée en vigueur du
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présent décret, ou si ce droit légal ne naît qu’après l’adoption du règlement communal visé en B.40.1.
B.41.1. Le Gouvernement flamand estime également que le montant total des interventions financières octroyées à une entreprise restera en tout cas limité, de sorte que les seuils de minimis applicables ne seraient pas dépassés.
B.41.2. L’article 3 du règlement (UE) n° 1407/2013 dispose :
« 1. Sont considérées comme ne remplissant pas tous les critères de l’article 107, paragraphe 1, du traité et comme n’étant pas soumises, de ce fait, à l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, du traité, les aides qui satisfont aux conditions énoncées dans le présent règlement.
2. Le montant total des aides de minimis octroyées par État membre à une entreprise unique ne peut excéder 200 000 EUR sur une période de trois exercices fiscaux.
[...]
5. Les plafonds fixés au paragraphe 2 s’appliquent quels que soient la forme et l’objectif des aides de minimis et indépendamment du fait que les aides octroyées par les États membres soient financées en tout ou en partie au moyen de ressources provenant de l’Union. La période de trois exercices fiscaux est déterminée par référence aux exercices fiscaux utilisés par l’entreprise dans l’État membre concerné.
6. Aux fins de l’application des plafonds fixés au paragraphe 2, les aides sont exprimées sous la forme de subventions. Tous les chiffres utilisés doivent être des montants bruts, c’est-
à-dire avant impôts ou autres prélèvements. Lorsqu’une aide est octroyée sous une forme autre qu’une subvention, le montant de l’aide est son équivalent-subvention brut.
[...]
7. Si l’octroi de nouvelles aides de minimis porte le montant total des aides de minimis au-delà du plafond applicable fixé au paragraphe 2, aucune de ces nouvelles aides ne peut bénéficier du présent règlement.
[...] ».
Le considérant 14 à ce règlement dispose :
« Dans une optique de transparence, d’égalité de traitement et d’efficacité du contrôle, le présent règlement ne doit s’appliquer qu’aux aides de minimis dont il est possible de calculer précisément et préalablement l’équivalent-subvention brut, sans qu’il soit nécessaire d’effectuer une analyse du risque (‘ aide transparente ’). Ce calcul précis peut, par exemple,
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être réalisé pour des subventions, des bonifications d’intérêts, des exonérations fiscales plafonnées ou d’autres instruments prévoyant un plafonnement garantissant le non-
dépassement du plafond applicable. Du fait de ce plafonnement, dans la mesure où le montant exact de l’aide n’est pas, ou pas encore, connu, l’État membre est tenu de présumer que celui-
ci correspond au montant plafonné, afin de veiller à ce que plusieurs mesures d’aide cumulées n’excèdent pas le plafond fixé dans le présent règlement, et doit appliquer les règles en matière de cumul ».
L’article 2 du règlement (UE) n° 360/2012 de la Commission européenne du 25 avril 2012
« relatif à l’application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis accordées à des entreprises fournissant des services d’intérêt économique général » (ci-après : le règlement (UE) n° 360/2012) dispose :
« 1. Sont considérées comme ne remplissant pas tous les critères de l’article 107, paragraphe 1, du traité et comme non soumises, de ce fait, à l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, du traité, les aides octroyées aux entreprises pour la prestation de services d’intérêt économique général qui satisfont aux conditions énoncées aux paragraphes 2
à 8 du présent article.
2. Le montant total des aides de minimis octroyées à une même entreprise fournissant des services d’intérêt économique général ne peut excéder 500 000 EUR sur une période de trois exercices fiscaux.
[...] ».
Les règlements précités ont été remplacés, à partir du 1er janvier 2024, respectivement par le règlement (UE) 2023/2831 et par le règlement (UE) 2023/2832 de la Commission européenne du 13 décembre 2023 « relatif à l’application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis octroyées à des entreprises fournissant des services d’intérêt économique général ». Ils étaient toutefois encore d’application lors de l’adoption du décret du 23 juin 2023 (voir l’article 8 du règlement (UE)
n° 1407/2013 et l’article 5 du règlement (UE) n° 360/2012), de sorte que la Cour tient compte des seuils qu’ils fixent.
B.41.3. Indépendamment de la question de savoir si une entreprise qui vend des terrains « WIES » ou des logements « WIES » fournit un service d’intérêt économique général au sens du règlement (UE) n° 360/2012, il ne semble pas exclu qu’une telle entreprise perçoive, sur une période de trois exercices fiscaux, un montant total d’interventions financières qui dépasse les
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seuils fixés par les règlements (UE) n° 1407/2013 et (UE) n° 360/2012, s’élevant respectivement à 200 000 et à 500 000 euros. Il est en effet possible qu’au sein d’un même projet, plusieurs logements ou lotissements soient soumis aux conditions de cession visées dans le décret du 23 juin 2023 et que leur cession puisse dès lors donner lieu à l’octroi d’une intervention financière. En outre, le décret du 23 juin 2023 n’empêche pas qu’une même entreprise réalise plusieurs projets qui relèvent du champ d’application du présent décret, le cas échéant, dans plusieurs communes. La circonstance que, comme le soutient le Gouvernement flamand, l’intervention financière, dans la plupart des cas, ne dérogerait pas ou ne dérogerait que dans une mesure limitée au pourcentage minimum de 50 %, fixé par le décret, de la valeur du terrain, ne conduit pas à une autre conclusion. Cela est d’autant plus vrai que la liste des communes « WIES » est fixée par le Gouvernement flamand « sur la base du prix le plus élevé de l’immobilier » (article 3, alinéa 1er, du décret du 23 juin 2023). Enfin, le décret ne prévoit pas un maximum pour le total des interventions financières qu’une même entreprise peut recevoir en application du régime attaqué.
B.42.1. La partie requérante dans l’affaire n° 8156 demande à la Cour de poser à la Cour de justice une question préjudicielle relative à l’interprétation des articles 107, paragraphe 1, et 108, paragraphe 3, du TFUE.
B.42.2. Compte tenu de ce qui précède, le recours fait naître un doute quant à la question de savoir si l’intervention financière prévue par l’article 10 du décret du 23 juin 2023 doit être qualifiée d’aide d’État nouvelle et si, dans l’affirmative, celle-ci devait être notifiée à la Commission européenne préalablement à sa mise en œuvre.
Par conséquent, il y a lieu, avant de statuer quant au fond, de poser à la Cour de justice la première question préjudicielle formulée dans le dispositif.
B.43. La partie requérante dans l’affaire n° 8156 soutient également, dans le second moyen, qu’en ce que l’article 10 du décret du 23 juin 2023 doit être annulé, l’application des autres dispositions du présent décret aura pour effet que les vendeurs des terrains « WIES » et des logements « WIES » devront supporter une charge pour laquelle ils n’obtiendront plus une compensation. Selon la partie requérante, une telle charge, qui affecte le droit de propriété, n’est pas proportionnée aux objectifs poursuivis par le législateur décrétal.
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B.44.1. L’article 16 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
L’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».
B.44.2. L’article 1er du Premier Protocole additionnel ayant une portée analogue à celle de l’article 16 de la Constitution, les garanties qu’il contient forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans cette disposition constitutionnelle, de sorte que la Cour en tient compte lors de son contrôle des dispositions attaquées.
B.44.3. L’article 1er du Protocole précité offre une protection non seulement contre l’expropriation ou la privation de propriété (premier alinéa, seconde phrase), mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase) et contre toute réglementation de l’usage des biens (deuxième alinéa).
B.44.4. Toute ingérence dans le droit de propriété doit réaliser un juste équilibre entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens. Il faut qu’existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.
B.45. Le régime attaqué a pour conséquence que les vendeurs concernés ne peuvent pas proposer l’ensemble de leur propriété sur le marché libre comme bon leur semble. Pendant la période de neuf mois visée à l’article 7, § 9, alinéa 4, du décret du 23 juin 2023, la liberté
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contractuelle du vendeur d’un terrain « WIES » ou d’un logement « WIES » est en effet limitée, en ce qu’il ne peut céder son terrain ou son logement qu’à un acquéreur « WIES ».
À supposer que les acquéreurs « WIES », qui justifient, par définition, d’une « situation moins fortunée » (article 5, alinéa 1er, 2°, du décret du 23 juin 2023), ne disposent pas de moyens financiers suffisants pour payer un prix conforme au marché, l’absence d’une intervention financière accordée par la commune peut, en outre, avoir pour effet que, pendant cette période, le vendeur ne peut vendre le terrain « WIES » ou le logement « WIES » qu’au prix du marché. En outre, s’il était jugé que l’intervention financière constitue une aide d’État illégale, le remboursement de celle-ci aurait pour conséquence d’obliger le vendeur à céder une partie du prix d’acquisition perçu.
B.46. Il découle de ce qui précède que le décret du 23 juin 2023 entraîne une ingérence dans le droit de propriété des vendeurs concernés et que l’intervention financière prévue à l’article 10 du présent décret constitue un élément dans l’examen de la proportionnalité de cette ingérence. Cet examen dépend notamment des suites que la Cour devra donner à la réponse de la Cour de justice à la question préjudicielle relative aux aides d’État.
Dans cette mesure, il convient dès lors de réserver l’examen du moyen.
Quant au maintien des effets
B.47. Le Gouvernement flamand demande à la Cour de maintenir les effets des dispositions à annuler, le cas échéant, en ce qui concerne les contrats de vente déjà conclus en application du décret du 23 juin 2023. Il soutient en substance qu’une annulation non modulée entraînerait une insécurité juridique en ce qui concerne ces contrats, et pourrait avoir pour effet qu’un acquéreur « WIES » se voie contraint de restituer ou de vendre son logement au vendeur initial.
B.48. En vertu de l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, « si la Cour l’estime nécessaire, elle indique, par voie de disposition générale, ceux des effets des
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dispositions annulées qui doivent être considérés comme définitifs ou maintenus provisoirement pour le délai qu’elle détermine ».
B.49.1. En ce qui concerne les conditions de cession, l’annulation se limite à l’article 5, alinéa 1er, 1°, du décret du 23 juin 2023, en ce que cette disposition permet à une commune « WIES » de tenir compte de la période pendant laquelle le candidat acquéreur « WIES » était inscrit aux registres de la population d’une commune voisine située au sein de la Région flamande, mais non aux registres de la population d’une commune voisine située au sein de la Région de Bruxelles-Capitale ou de la Région wallonne (B.20).
B.49.2. Il ressort des éléments que le Gouvernement flamand a communiqués à la demande de la Cour, qu’il n’y a pour l’instant qu’une seule commune « WIES » qui a décidé de faire application du régime attaqué. Il s’agit de la commune de Malle, qui a adopté un règlement communal à cet effet le 28 mars 2024, conformément à l’article 3, alinéa 2, du décret du 23 juin 2023. Il ressort de l’article 3, § 1er, 1°, de ce règlement que le conseil communal a décidé de durcir la condition de cession visée à l’article 5, alinéa 1er, 1°, du présent décret et de ne tenir compte que de la période pendant laquelle le candidat-acquéreur « WIES » était inscrit aux registres de la population de sa propre commune, conformément à l’article 5, alinéa 3, du décret du 23 juin 2023. La commune de Malle ne jouxte par ailleurs pas le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale ou de la Région wallonne.
Il découle de ce qui précède que la rétroactivité de l’annulation partielle de l’article 5, alinéa 1er, 1°, du décret du 23 juin 2023 ne saurait en tout état de cause avoir pour effet de compromettre la validité juridique de contrats déjà conclus. Il n’y a dès lors pas lieu de maintenir les effets de cette disposition.
B.50.1. En ce qui concerne l’intervention financière, la Cour doit réserver son prononcé dans l’attente de la réponse de la Cour de justice à la première question préjudicielle formulée dans le dispositif, en ce qui concerne l’interprétation des articles 107, paragraphe 1, et 108, paragraphe 3, du TFUE (B.42.2).
B.50.2. En la matière, la Cour doit toutefois tenir compte des limitations qui découlent du droit de l’Union européenne quant au maintien des effets des normes nationales qui doivent être annulées parce qu’elles sont contraires à ce droit (CJUE, grande chambre, 8 septembre 2010,
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C-409/06, Winner Wetten GmbH, ECLI:EU:C:2010:503, points 53-69; grande chambre, 28 février 2012, C-41/11, Inter-Environnement Wallonie ASBL et Terre wallonne ASBL, ECLI:EU:C:2012:103, points 56-63).
En règle générale, ce maintien des effets ne peut avoir lieu qu’aux conditions qui sont fixées par la Cour de justice en réponse à une question préjudicielle.
B.50.3. À cet égard, selon la Cour de justice, « les juridictions nationales doivent garantir aux justiciables que toutes les conséquences d’une violation de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, du TFUE, en seront tirées, conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes d’exécution que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition ou d’éventuelles mesures provisoires » (CJUE, 21 novembre 2013, C-284/12, Deutsche Lufthansa AG, ECLI:EU:C:2013:755, point 30). « En particulier, la constatation qu’une aide a été octroyée en violation de la dernière phrase de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, du traité, doit, en principe, entraîner son remboursement conformément aux règles internes de procédure » (CJUE, 21 juillet 2005, C-71/04, Xunta de Galicia, ECLI:EU:C:2005:493, point 49). « La suppression d’une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité, de sorte que la récupération de cette aide, en vue du rétablissement de la situation antérieure, ne saurait, en principe, être considérée comme une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs des dispositions du traité FUE en matière d’aides d’État » (CJUE, 21 décembre 2016, C-164/15 P et C-165/15 P, Commission européenne c. Aer Lingus Ltd, ECLI:EU:C:2016:990, point 116).
Une juridiction nationale ne peut refuser d’ordonner la restitution d’aides qu’en cas de circonstances exceptionnelles, notamment lorsque la restitution est contraire à un principe général du droit de l’Union, comme le principe de la confiance légitime (CJCE, 11 juillet 1996, C-39/94, SFEI e.a., ECLI:EU:C:1996:285, points 70 et 71; voy. aussi article 16, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/1589). En ce qui concerne ce principe, la Cour de justice estime que « compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides étatiques opéré par la Commission au titre de l’article 108 du TFUE, d’une part, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue à cet article et, d’autre part, un opérateur
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économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que cette procédure a été respectée. En particulier, lorsqu’une aide est mise à exécution sans notification préalable à la Commission, de telle sorte qu’elle est illégale en vertu de l’article 108, paragraphe 3, du TFUE, le bénéficiaire de l’aide ne peut avoir, à ce moment, une confiance légitime dans la régularité de l’octroi de cet aide » (CJUE, grande chambre, 5 mars 2019, C-349/17, Eesti Pagar AS, ECLI:EU:C:2019:172, point 98; grande chambre, 24 novembre 2020, C-445/19, Viasat Broadcasting UK Ltd, ECLI:EU:C:2020:952, point 42). Une entreprise bénéficiaire d’une aide d’État illicite ne peut dès lors pas, en principe, alléguer la violation de sa confiance légitime pour empêcher la restitution de l’aide.
B.50.4. En l’espèce, il convient de tenir compte du fait que la restitution des interventions financières déjà accordées pourrait entraîner l’insécurité juridique à l’égard des acquéreurs « WIES » qui ont déjà acquis un terrain ou un logement en application du régime attaqué. Ces acquéreurs particuliers peuvent difficilement être présumés capables de s’assurer que l’intervention financière octroyée constituait une aide d’État ou que la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 3, du TFUE, a été respectée. Comme le soutient le Gouvernement flamand, il ne peut pas être exclu que, par l’aide d’État présumée, les vendeurs bénéficiaires tenteront, après une restitution de l’intervention financière, d’obtenir le remboursement de la partie restante du prix d’achat par les acquéreurs « WIES », le cas échéant en introduisant une procédure judiciaire. Il ne peut pas être exclu non plus que la validité juridique des contrats de vente déjà conclus et, dès lors, la situation des acquéreurs « WIES » en termes de logement seront compromises. Cela est d’autant plus vrai en ce que les autres dispositions du décret du 23 juin 2023 devraient également être annulées parce que, comme le soutient la partie requérante dans l’affaire n° 8156 dans son second moyen, à défaut d’une intervention financière, il s’agirait d’une ingérence disproportionnée dans le droit de propriété des vendeurs concernés.
B.50.5. Il convient dès lors de poser à la Cour de justice la seconde question préjudicielle formulée dans le dispositif.
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Par ces motifs,
la Cour
- annule l’article 5, alinéa 1er, 1°, du décret de la Région flamande du 23 juin 2023
« concernant ‘ wonen in eigen streek ’ (Habiter dans sa propre région) », en ce que cette disposition permet à une commune « WIES » de tenir compte de la période pendant laquelle le candidat acquéreur « WIES » était inscrit aux registres de la population d’une commune voisine située au sein de la Région flamande, mais pas d’une commune voisine située au sein de la Région de Bruxelles-Capitale ou de la Région wallonne.
- avant de statuer quant au fond sur les griefs mentionnés en B.34 et B.43, pose à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles suivantes :
1. Les articles 107, paragraphe 1, et 108, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne doivent-ils être interprétés en ce sens qu’une mesure telle que celle qui est contenue dans l’article 10 du décret de la Région flamande du 23 juin 2023 « concernant ‘ wonen in eigen streek ’ (Habiter dans sa propre région) » constitue une aide d’État nouvelle qui devait être notifiée à la Commission européenne ?
2. Si, sur la base de la réponse à la première question préjudicielle, la Cour constitutionnelle devait arriver à la conclusion que le décret de la Région flamande du 23 juin 2023 précité viole les obligations découlant des dispositions mentionnées dans cette question, pourrait-elle maintenir définitivement les effets du décret précité, afin de respecter la confiance légitime des particuliers qui ont acquis un terrain ou un logement en application du présent décret et afin également d’éviter l’insécurité juridique que la rétroactivité de l’annulation du présent décret pourrait entraîner pour ces personnes, compromettant en particulier leur situation en termes de logement ?
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Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 16 janvier 2025.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Luc Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5/2025
Date de la décision : 16/01/2025
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

- Annulation (article 5, alinéa 1er, 1°, du décret de la Région flamande du 23 juin 2023, en ce que cette disposition permet à une commune « WIES » de tenir compte de la période pendant laquelle le candidat acquéreur « WIES » était inscrit aux registres de la population d'une commune voisine située au sein de la Région flamande, mais pas d'une commune voisine située au sein de la Région de Bruxelles-Capitale ou de la Région wallonne) - Questions préjudicielles posées à la Cour de justice de l'Union européenne (avant de statuer quant au fond sur les griefs mentionnés en B.34 et B.43)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - les recours en annulation totale ou partielle du décret de la Région flamande du 23 juin 2023 « concernant ' wonen in eigen streek ' (Habiter dans sa propre région) », introduits par la SA « Fremoluc » et par l'ASBL « Association de Promotion des Droits Humains et des Minorités ». Droit administratif - Politique foncière et immobilière - Habiter dans sa propre région (WIES) - Conditions de cession - Intervention financière fournie par la commune WIES


Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2025
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2025-01-16;5.2025 ?

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