La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/01/2025 | BELGIQUE | N°3/2025

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 16 janvier 2025, 3/2025


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 3/2025
du 16 janvier 2025
Numéro du rôle : 8148
En cause : le recours en annulation de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 5 octobre 2023 « instituant une procédure d’instruction spécifique d’une demande de permis d’urbanisme relative à la déconstruction de l’intérieur du Palais du Midi et à la modification du permis délivré par le fonctionnaire délégué de la Région de Bruxelles-Capitale le 24 mai 2019
à la Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles », introduit par l’ASBL « Inter-Envi

ronnement Bruxelles » et l’ASBL « Atelier de Recherche et d’Action Urbaines ».
La Cour constitut...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 3/2025
du 16 janvier 2025
Numéro du rôle : 8148
En cause : le recours en annulation de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 5 octobre 2023 « instituant une procédure d’instruction spécifique d’une demande de permis d’urbanisme relative à la déconstruction de l’intérieur du Palais du Midi et à la modification du permis délivré par le fonctionnaire délégué de la Région de Bruxelles-Capitale le 24 mai 2019
à la Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles », introduit par l’ASBL « Inter-Environnement Bruxelles » et l’ASBL « Atelier de Recherche et d’Action Urbaines ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 17 janvier 2024 et parvenue au greffe le 19 janvier 2024, un recours en annulation de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 5 octobre 2023 « instituant une procédure d’instruction spécifique d’une demande de permis d’urbanisme relative à la déconstruction de l’intérieur du Palais du Midi et à la modification du permis délivré par le fonctionnaire délégué de la Région de Bruxelles-Capitale le 24 mai 2019 à la Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles »
(publiée au Moniteur belge du 11 octobre 2023) a été introduit par l’ASBL « Inter-Environnement Bruxelles » et l’ASBL « Atelier de Recherche et d’Action Urbaines », assistées et représentées par Me Jacques Sambon et Me Erim Açikgöz, avocats au barreau de Bruxelles.
2
Des mémoires ont été introduits par :
- Theo Mewis, Bea Suys, Alain Blond, la SRL « V.G.A. Consulting », Samira Hamouchi, Manuel Goessens, Frédéric Tombelle, El Miloud El Bouzakri El Idrissi, Hassan Kessas, la SPRL « Sideral », Félicien Dufoor, Justine Gakwaya, Olivier De Roy, Abdil-Ilah El Badaoui, Ilham Chekkafi, l’ASBL « La Passarelle », Latifa Elmcabeni, Binta Liebman Diallo, Henk Lutjeharms et l’ASBL « L’Ouvrant », assistés et représentés par Me Elise Merckx, avocate au barreau de Louvain (parties intervenantes);
- la Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles (STIB), assistée et représentée par Me Manuela von Kuegelgen, Me Céline Moreau et Me François Tulkens, avocats au barreau de Bruxelles (partie intervenante);
- le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, assisté et représenté par Me Frédéric De Muynck et Me Camille Courtois, avocats au barreau de Bruxelles.
Les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse.
Des mémoires en réplique ont été introduits par :
- la Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles (STIB);
- le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale.
Par ordonnance du 6 novembre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures Emmanuelle Bribosia et Joséphine Moerman, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité
A.1.1. Les associations sans but lucratif « Inter-Environnement Bruxelles » (ci-après : IEB) et « Atelier de Recherche et d’Action Urbaines » (ci-après : l’ARAU) déduisent leur intérêt à demander l’annulation de normes relatives à l’aménagement du territoire et à l’urbanisme de leurs buts statutaires. Au surplus, IEB renvoie à ses actions passées relatives à la protection d’un environnement de qualité. L’ARAU allègue avoir vocation à « intervenir sur les problématiques d’urbanisme et d’aménagement du territoire ».
3
A.1.2. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale ne conteste pas l’intérêt à agir des parties requérantes.
Quant à l’intervention
A.2. La Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles (ci-après : la STIB) considère qu’elle justifie de l’intérêt requis à intervenir à l’appui de la constitutionnalité de l’ordonnance du 5 octobre 2023 « instituant une procédure d’instruction spécifique d’une demande de permis d’urbanisme relative à la déconstruction de l’intérieur du Palais du Midi et à la modification du permis délivré par le fonctionnaire délégué de la Région de Bruxelles-
Capitale le 24 mai 2019 à la Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles » (ci-après : l’ordonnance attaquée), dès lors qu’en tant qu’organisme d’intérêt public régional de transport en commun, elle est le maître d’ouvrage de la partie du chantier qui se situe sous le Palais du Midi et qu’elle est titulaire du permis d’urbanisme dont la modification peut être demandée en application de l’ordonnance attaquée. Elle est donc directement concernée par cette ordonnance.
A.3.1. Les parties intervenant à l’appui du recours en annulation font valoir qu’elles justifient d’un intérêt au regard du coût élevé du financement au moyen de l’impôt du projet de la ligne de métro « Nord-Albert », de leur utilisation des transports en commun, de leur qualité de riverain et des conséquences du chantier de destruction de l’intérieur du Palais du Midi sur le cadre de vie et sur l’utilisation du domaine public dans le Palais du Midi et autour de celui-ci, ainsi qu’au regard de la protection du patrimoine immobilier, de la perte des activités du Palais du Midi, notamment les magasins, les restaurants et les clubs de sport, de l’incidence sur leurs propres activités économiques, des restrictions de leur droit de participation, de l’insécurité juridique et de l’inégalité de traitement que fait naître l’ordonnance attaquée, en ce que leurs éventuelles demandes de permis d’urbanisme seront traitées selon la procédure prévue par le Code bruxellois de l’aménagement du territoire (ci-après : le CoBAT) et non selon la procédure que prévoit cette ordonnance, laquelle ne s’applique qu’à un projet particulier dont la STIB est le maître d’ouvrage.
A.3.2. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et la STIB font valoir que le coût du financement du projet, l’incidence sur l’utilisation des transports en commun et du domaine public, les conséquences du chantier et la perte des activités du Palais du Midi dans et autour de celui-ci ont trait au projet de métro « Nord-Albert » et au chantier d’exécution, et non à l’ordonnance attaquée. Ils soutiennent que le droit de participation des parties intervenantes au processus décisionnel à l’appui du recours en annulation est le même que celui qui est garanti par le CoBAT.
Ils considèrent que l’incidence de l’ordonnance attaquée sur la sécurité juridique et sur l’inégalité de traitement soulevée est hypothétique. Selon eux, les parties intervenant à l’appui du recours en annulation ne peuvent se prévaloir d’un intérêt réel à intervenir alors qu’elles ne démontrent pas avoir introduit ni se préparer à introduire une demande de permis d’urbanisme soumise à une étude d’incidences en Région de Bruxelles-Capitale.
Le cas échéant, elles pourront faire valoir leur intérêt à contester le permis d’urbanisme qui modifierait celui du 24 mai 2019, mais elles ne démontrent pas leur intérêt à contester l’ordonnance attaquée, dont le contenu est purement procédural.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
A.4. Le premier moyen est pris de la violation du principe d’égalité et de non-discrimination et du droit à la protection d’un environnement sain, lus isolément ou en combinaison avec le droit à un niveau élevé de protection de l’environnement, avec les principes du droit de l’environnement de l’Union européenne et avec les règles en matière d’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement.
A.5.1. Les parties requérantes soutiennent que l’adoption de l’ordonnance attaquée aurait dû être précédée d’une évaluation des incidences, dès lors que l’ordonnance attaquée constitue une autorisation relative à un projet soumis à une évaluation des incidences en vertu de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil
4
du 13 décembre 2011 « concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (texte codifié) » (ci-après : la directive 2011/92/UE).
Elles rappellent que l’article 1er, paragraphe 2, c), de la directive 2011/92/UE définit l’autorisation comme étant « la décision de l’autorité ou des autorités compétentes qui ouvre le droit du maître d’ouvrage de réaliser le projet ». Une autorisation peut prendre la forme d’un acte législatif. S’il est vrai que l’ordonnance attaquée n’octroie pas totalement, par elle-même, le droit de réaliser le projet, elle constitue la première étape d’une procédure d’autorisation par étapes. Une telle procédure comprend une décision principale et une décision d’exécution qui ne peut aller au-delà des paramètres déterminés dans le cadre de la décision de principe.
L’évaluation des incidences doit être effectuée au stade de la décision principale (CJUE, 7 janvier 2004, C-201/02, Wells, ECLI:ECLI:EU:C:2004:12; grande chambre, 29 juillet 2019, C-411/17, Inter-Environnement Wallonie ASBL et Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen ASBL, ECLI:EU:C:2019:622). Selon les parties requérantes, il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que des mesures législatives peuvent constituer une autorisation relative à un projet, même si ces dispositions sont de nature purement procédurale (CJUE, C-411/17, précité).
A.5.2. Les parties requérantes font valoir que l’objectif de l’ordonnance attaquée est de permettre l’autorisation de la démolition partielle du Palais du Midi, dans le cadre de la construction de la station de métro « Toots Thielemans », autorisée par le permis d’urbanisme du 24 mai 2019. En outre, la nature, l’ampleur et les caractéristiques du projet auquel s’applique l’ordonnance attaquée – notamment les options techniques possibles et les éléments patrimoniaux intéressants – ont déjà été appréhendées, élaborées et entérinées par la Région. La Région a déjà examiné et écarté les alternatives au projet. Le fonctionnaire délégué est chargé de se prononcer sur le permis d’urbanisme, mais il dispose d’un pouvoir d’appréciation limité : il peut accepter la démolition partielle du Palais du Midi ou la refuser. Enfin, pour démontrer à la section de législation du Conseil d’État que l’ordonnance attaquée ne relève pas du champ d’application de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 « relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement », le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a confirmé que l’ordonnance ne s’applique qu’à un projet déterminé et qu’elle épuise tous ses effets au terme de la procédure d’autorisation de celui-ci.
A.6.1. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale reconnaît que la technique de fondation du tunnel de liaison de la station de métro « Toots Thielemans » et la déconstruction de l’intérieur du Palais du Midi sont un « projet ».
A.6.2. Toutefois, il considère que l’ordonnance attaquée n’est pas une autorisation relative à ce projet, dès lors qu’il faut, pour que tel soit le cas, que la décision de l’autorité compétente « ouvre le droit du maître d’ouvrage de réaliser le projet ». Or, l’ordonnance n’ouvre pas le droit de réaliser le projet qu’elle définit, elle se borne à organiser une procédure d’instruction de la demande de permis d’urbanisme plus rapide que celle que prévoit le CoBAT. Seul le permis d’urbanisme qui pourrait être délivré au terme de cette procédure exceptionnelle constituerait une autorisation au sens de la directive 2001/92/UE. L’ordonnance ne fait pas davantage partie d’un processus d’autorisation en plusieurs étapes. Dans ce cas de figure, la décision principale constitue en soi une autorisation qui ouvre des droits pour le maître d’ouvrage. L’obtention de cette décision est une étape indispensable pour la réalisation du projet (CJUE, 24 février 2022, C-463/20, Namur-Est Environnement ASBL, ECLI:EU:C:2022:121). Tel n’est pas le cas de l’ordonnance attaquée, puisqu’elle n’ouvre pas des droits par elle-
même et que, sans elle, la demande de permis serait examinée conformément au CoBAT.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que, contrairement à ce qu’allèguent les parties requérantes, la Cour de Justice n’a pas jugé que les mesures législatives purement procédurales pouvaient constituer des autorisations relatives à un projet (CJUE, C-411/17, précité). La loi du 28 juin 2015 « modifiant la loi du 31 janvier 2003 sur la sortie progressive de l’énergie nucléaire à des fins de production industrielle d’électricité afin de garantir la sécurité d’approvisionnement sur le plan énergétique », qui est en cause dans l’arrêt précité, emportait en soi la prolongation de la période d’exploitation des centrales nucléaires. La mesure était par conséquent substantielle et non procédurale. En outre, la Cour de Justice a souligné que les mesures adoptées par le législateur définissaient les caractéristiques essentielles du projet et qu’elles n’avaient plus vocation à être remises en cause. En revanche, le projet concerné par l’ordonnance attaquée peut être modifié ou remis en cause après que la demande de permis d’urbanisme a été déposée avec l’étude d’incidences. Le demandeur dispose
5
toujours de la possibilité de modifier le projet à la suite de celle-ci. En outre, contrairement à ce qu’allèguent les parties requérantes, le fonctionnaire délégué peut imposer des conditions nécessitant la modification du projet sur la base de l’article 191 du CoBAT, dont l’applicabilité est explicitement mentionnée à l’article 25 de l’ordonnance attaquée.
A.6.3. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale se réfère à un arrêt du Conseil d’État dans lequel ce dernier a jugé que le fait que la création d’une nouvelle ligne de tram soit mentionnée dans différents documents d’orientation n’impliquait pas « que l’enquête publique portant sur la demande de permis d’urbanisme destinée à concrétiser ce projet serait dépourvue d’effet utile. Les dispositions du CoBAT relatives au rapport d’incidences impliquent qu’il porte sur un projet suffisamment abouti pour faire l’objet d’une demande de permis ou de certificat. Une décision de l’importance de celle qui consiste à construire une nouvelle ligne de tram procède, nécessairement, d’un processus complexe au cours duquel les autorités responsables sont amenées à s’interroger sur la nécessité d’un tel mode de transport, sa capacité, ses caractéristiques et sa localisation. Les décisions de principe orientant le choix de cette infrastructure ont nécessairement dû être prises avant qu’il ne soit concevable d’élaborer un projet qui puisse être déposé en vue d’obtenir le permis d’urbanisme. Ces décisions de principe, figurant dans les documents précités, ne constituent que des orientations politiques, sans effet de droit, et non des ‘ autorisations ’ au sens des articles 1er, 2 et 8 de la directive 2011/92/UE » (CE, 11 juillet 2023, n° 257.093, ECLI:BE:RVSCE:2023:ARR.257.093). Selon le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, ce raisonnement est transposable en l’espèce.
Il soutient également que la situation est analogue à celle de tout porteur d’un projet soumis à étude d’incidences en Région wallonne : devoir disposer d’un projet suffisamment défini pour le soumettre d’abord à la réunion d’information préalable, puis à l’étude d’incidences qui doit être réalisée préalablement au dépôt de son dossier de demande de permis d’urbanisme.
Les premières appréciations réalisées par la Région de Bruxelles-Capitale ne limitent pas l’autonomie de l’auteur de l’étude d’incidences, du comité d’accompagnement ou du fonctionnaire délégué. L’ordonnance attaquée définit le projet dans le but de délimiter son champ d’application et non pour limiter cette autonomie.
A.6.4. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale relève également que les occupants du Palais du Midi doivent être relocalisés quelle que soit la technique alternative à retenir pour la construction de la station de métro. Cette relocalisation n’a pas d’incidence sur l’octroi du permis.
A.7. La STIB se réfère à l’argumentation du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale.
A.8.1. Les parties requérantes répondent que, dans le cadre d’une procédure d’autorisation par étapes, il n’est pas requis que les décisions prises à chacune de ces étapes soient, par elles-mêmes, considérées comme des autorisations au sens de la directive 2011/92/UE (en référence à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne C-463/20, précité). Les parties requérantes font valoir que l’ordonnance attaquée est indispensable à la réalisation du projet, ce que confirment, selon elles, les travaux préparatoires de cette ordonnance. Si tel n’était pas le cas, l’ordonnance attaquée n’aurait aucune utilité, puisqu’elle ne peut être appliquée dans aucune autre circonstance.
A.8.2. Selon elles, il ressort également des travaux préparatoires de l’ordonnance attaquée que la procédure d’examen de la demande de permis d’urbanisme ne pourra pas aboutir à la remise en cause fondamentale du projet.
Au moment de l’adoption de l’ordonnance attaquée, le projet était déjà suffisamment abouti pour pouvoir faire l’objet d’une évaluation des incidences. Cette évaluation n’a pas été faite, alors qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qu’elle doit être effectuée aussitôt qu’il est possible d’identifier et d’évaluer les effets du projet sur l’environnement (CJUE, C-201/02, précité; C-411/17, précité).
Les parties requérantes font valoir que les options retenues ne sont ni de simples décisions de principe ni des orientations politiques, mais la définition précise du projet qui fera l’objet de la demande de permis d’urbanisme, de sorte que le raisonnement du Conseil d’État dans l’arrêt n° 257.093, précité, n’est pas transposable. S’il est vrai
6
que certaines modalités du projet peuvent être remises en cause au cours de l’instruction de la demande de permis, il s’agit du lot de toute demande de permis.
A.9. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réplique que la STIB n’est pas tenue par le champ d’application de l’ordonnance pour définir l’objet de sa demande de permis. Elle peut introduire une demande en application de la procédure définie par le COBAT.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale affirme que le fait que certaines caractéristiques du projet étaient déjà connues au moment de l’adoption de l’ordonnance attaquée n’est pas un problème. Pour introduire une demande de permis d’urbanisme, il faut nécessairement que le projet soit défini préalablement. Il en va de même pour pouvoir évaluer les incidences du projet.
En ce qui concerne le second moyen
A.10. Le second moyen est pris de la violation du principe d’égalité et de non-discrimination et du droit à la protection d’un environnement sain, lus isolément ou en combinaison avec le droit à un niveau élevé de protection de l’environnement, avec les principes de droit de l’environnement de l’Union européenne et avec les règles en matière d’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement.
Les parties requérantes font valoir que l’ordonnance attaquée crée une différence de traitement entre le demandeur de permis qui peut utiliser la procédure prévue par l’ordonnance et les personnes qui sont soumises à la procédure de droit commun prévue par le CoBAT. Selon elles, l’ordonnance attaquée réduit également les garanties qui entourent la procédure d’instruction des projets soumis à évaluation des incidences, ce qui constitue un recul significatif du degré de protection du droit à un environnement sain.
A.11. Dans une première branche, elles soutiennent que ni la différence de traitement ni le recul significatif du degré de protection ne sont raisonnablement justifiés.
Les parties requérantes rappellent que le législateur a justifié l’organisation d’une procédure ad hoc de délivrance du permis d’urbanisme par des considérations d’ordre économique, temporel et budgétaire. Elles font valoir que les travaux préparatoires ne comprennent aucun document permettant de justifier en quoi la technique initiale, éventuellement modifiée, serait trop longue à mettre en œuvre et trop coûteuse.
Selon elles, l’exposé des motifs est contradictoire, dès lors qu’il laisse supposer que les techniques initiales pouvaient être mises en œuvre moyennant certaines adaptations et que seule l’opposition des entreprises chargées de réaliser les travaux à laquelle s’est heurtée l’autorité a justifié le choix de ne pas retenir la technique initiale modifiée.
Elles affirment qu’une alternative moins attentatoire aux droits fondamentaux, ne nécessitant donc pas de créer un cadre juridique dérogatoire et exceptionnel, pourrait être mise en œuvre.
A.12.1. Dans une seconde branche, les parties requérantes s’emploient à démontrer l’existence d’un recul significatif du degré de protection du droit à un environnement sain.
Les parties requérantes font valoir que le régime mis en place par l’ordonnance entraîne, par rapport au CoBAT, combiné avec les obligations découlant de la directive 2011/92/UE, un recul significatif du degré de protection, en ce que les administrations et les instances chargées du traitement de la demande ne disposent pas du délai nécessaire pour examiner l’exhaustivité et la qualité de l’évaluation des incidences du projet, et appréhender de manière globale les incidences du projet.
A.12.2. Premièrement, s’il est vrai que le délai dans lequel le comité d’accompagnement doit rendre son avis est identique à celui que prévoit le CoBAT, le comité doit, selon les parties requérantes, débattre et délibérer de manière motivée lors de la réunion relative à la note préparatoire qui n’a lieu que deux jours après que ce comité a reçu les informations pertinentes. Les parties requérantes soutiennent qu’au vu de l’ampleur et des
7
caractéristiques techniques du projet, un tel délai ne permet pas de garantir que le comité d’accompagnement puisse examiner le dossier avec le sérieux requis et se conformer aux exigences de la directive 2011/92/UE. Elles considèrent que les avantages qu’apporte la réduction du délai précité ne l’emportent pas sur les inconvénients, dès lors que la différence n’est que de quelques jours.
A.12.3. Deuxièmement, les parties requérantes considèrent également qu’il est constitutif d’un recul significatif du degré de protection du droit à un environnement sain que, contrairement à ce que prévoit le CoBAT, l’ordonnance attaquée fasse débuter le délai accordé aux instances pour rendre leur avis à la date de la notification de la demande d’avis, ce qui correspond à la date d’envoi plutôt qu’à la date de réception. Les parties requérantes se réfèrent aux critiques émises par la section de législation du Conseil d’État dans son avis relatif à l’avant-projet d’ordonnance qui est à l’origine de l’ordonnance attaquée.
Le délai entre la date d’envoi d’une demande d’avis et la date de la réception de cette demande est tributaire d’une série de contraintes externes liées au mode d’envoi et aux circonstances pouvant entourer ce mode d’envoi.
Il n’est pas garanti que les instances reçoivent effectivement la demande d’avis avant la clôture de l’enquête publique, ni que le délai qui leur est encore imparti après la réception de la demande soit suffisant pour permettre un examen minutieux de la demande.
A.12.4. Troisièmement, les parties requérantes font valoir qu’en interdisant aux administrations et aux instances consultées de solliciter des études complémentaires, alors qu’une telle interdiction n’est pas prévue dans le CoBAT, lequel, au contraire, prévoit explicitement cette possibilité pour la Commission royale des monuments et sites et pour Bruxelles Mobilité, l’ordonnance attaquée entraîne un recul significatif du degré de protection du droit à un environnement sain qui résulte de la législation existante. Elles considèrent que les deux instances précitées sont directement concernées par le projet, dès lors que celui-ci porte sur la construction d’une station de métro et que le Palais du Midi présente un intérêt manifeste du point de vue patrimonial. Ces instances pourraient être amenées à délibérer sans disposer d’informations exhaustives et pertinentes quant au projet et à ses incidences.
En outre, cette mesure réduit potentiellement le délai de traitement de la demande de permis de 60 jours. Elle est disproportionnée, dès lors qu’il était possible d’aménager la possibilité de demander des études complémentaires, en réduisant, par exemple, les délais de réalisation de ces études. Le gain de 60 jours est marginal au regard des délais de mise en œuvre complète du projet.
A.13. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale développe son argumentation sous l’angle, d’abord, du respect de l’obligation de standstill et, ensuite, du respect du principe d’égalité. La STIB, qui développe une argumentation largement similaire sous l’angle substantiel, distingue quant à elle les considérations relatives au recul significatif du degré de protection et les considérations relatives à la justification de ce recul et de la différence de traitement dénoncée par les parties requérantes.
A.14.1. Concernant le recul significatif du degré de protection allégué, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et la STIB font valoir, sur un plan général, que les parties requérantes n’expliquent pas en quoi l’ordonnance attaquée constituerait un recul du degré de protection, ni a fortiori un recul significatif par rapport à la procédure prévue par le CoBAT. Selon eux, elles se contentent de constater la diminution de certains délais dont aucun n’a trait à la participation du public ni ne concerne directement le public. Elles ne démontrent pas que ces délais seraient insuffisants ni qu’ils seraient susceptibles d’avoir des répercussions sur le droit à la protection d’un environnement sain. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et la STIB affirment que l’ordonnance attaquée ne supprime aucune étape de la procédure de droit commun. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale relève que les travaux préparatoires montrent que le législateur ordonnanciel a explicitement vérifié si les mesures attaquées entraînaient un recul significatif du degré de protection du droit à un environnement sain. Les modifications que le demandeur de permis d’urbanisme peut décider d’apporter à son projet à la suite des recommandations de l’étude d’incidences peuvent, dans cette procédure exceptionnelle, être intégrées dans le dossier de demande de permis d’urbanisme à introduire par la suite. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale soutient qu’aucun des délais plus courts prévus par l’ordonnance attaquée ne contrevient à la directive 2011/92/UE. Seules les administrations et les instances concernées se voient exceptionnellement imposer l’obligation de traiter un dossier unique plus rapidement que d’habitude, ce qui ne représente pas une charge de travail démesurée.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et la STIB allèguent que les parties requérantes échouent à démontrer que les autorités ne disposeraient pas d’une information complète, ni qu’elles ne tiendraient
8
pas compte du résultat des consultations et des informations recueillies, ni encore que la décision relative à la demande de permis ne pourrait être adéquatement motivée.
La STIB affirme que législateur ordonnanciel a pris en compte l’avis de la section de législation du Conseil d’État et qu’il a adapté l’avant-projet d’ordonnance sur certains points. Ainsi, le délai de huit jours pour que le comité d’accompagnement se prononce a été allongé à quinze jours pour être identique au délai prévu à l’article 175/5, § 1er, alinéa 2, du COBAT. De même, les délais applicables à la procédure devant la commission de concertation ont été allongés pour se calquer sur les délais prévus par l’arrêté de l’Exécutif de la Région de Bruxelles-Capitale du 29 juin 1992 « relatif aux commissions de concertation ». Enfin, l’intervention du Collège d’urbanisme a été réintroduite.
A.14.2. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et la STIB font valoir que les membres du comité d’accompagnement disposent d’un délai de quatre jours, à dater de l’envoi de leur convocation à la première réunion, pour examiner la note préparatoire à l’étude d’incidences et non l’intégralité du dossier. Le délai de deux jours, évoqué par les parties requérantes, concerne les réunions suivantes. Dès lors qu’un seul dossier est concerné, qu’il s’agit d’une demande de modification d’un permis d’urbanisme préalablement à la délivrance duquel une étude d’incidences a déjà été organisée et que le comité d’accompagnement est composé d’experts, il n’est pas démontré que ce délai ne serait pas raisonnable. De surcroît, le comité d’accompagnement n’est pas tenu de statuer le jour de sa première réunion. L’ordonnance attaquée fixe un délai de quinze jours à compter de l’envoi, par l’administration au comité d’accompagnement, du dossier reçu de la part du demandeur. Le point de départ de ce délai équivaut également à la date de l’envoi des convocations des membres du comité à la première réunion. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que les parties requérantes n’expliquent pas en quoi les membres du comité d’accompagnement ne seraient pas en mesure de se prononcer en connaissance de cause sur les alternatives ou variantes à évaluer dans l’étude d’incidences en ayant disposé de quinze jours pour examiner les documents reçus.
A.14.3. En ce qui concerne la date à laquelle les délais prévus par l’ordonnance attaquée prennent cours, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et la STIB rappellent que l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 25 avril 2019 « relatif à la transmission entre autorités des documents nécessaires à l’instruction des demandes de permis et de certificats organisées par le Code bruxellois de l’Aménagement du Territoire » impose, lorsque le demandeur de permis d’urbanisme a déposé son dossier au format électronique, comme c’est le cas en l’espèce, que les communications aux administrations ou aux instances soient faites électroniquement. L’envoi et la réception de la demande seront donc simultanés.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale fait valoir que cette circonstance a été rappelée dans les travaux préparatoires. En outre, l’article 3, alinéa 2, de l’ordonnance attaquée dispose que, lorsqu’il est prévu un envoi par recommandé postal, le délai prend cours le lendemain du jour où le pli a été adressé au domicile du destinataire.
La STIB affirme que les considérations formulées par les parties requérantes quant aux contraintes externes liées aux envois postaux sont purement hypothétiques.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale observe que les instances consultées reçoivent le dossier et la demande d’avis au moment de l’envoi de l’accusé de réception du dossier complet, comme c’est le cas dans le cadre de la procédure de droit commun. En revanche, dans le cadre de l’ordonnance attaquée, elles auront jusqu’à la clôture de l’enquête publique pour rendre leur avis, ce qui leur laisse entre 30 et 38 jours, étant donné que le collège des bourgmestre et échevins dispose de 8 jours pour organiser l’enquête publique, laquelle se clôture après 30 jours. Le CoBAT, quant à lui, prévoit un délai de 30 jours.
A.14.4. Concernant l’interdiction faite notamment à la Commission royale des monuments et sites et à Bruxelles Mobilité de demander des études supplémentaires, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et la STIB rappellent qu’en application du CoBAT, aucune de ces deux instances ne devrait obligatoirement être consultée au sujet du projet défini par l’ordonnance attaquée. Seule la commission de concertation aurait pu solliciter l’avis non conforme de la Commission royale des monuments et sites. L’ordonnance attaquée, en revanche, impose de solliciter ces deux avis. Il s’agit dès lors d’un renforcement des garanties et non d’un recul de celles-ci.
9
A.14.5. En ce qui concerne le gain de temps que permet l’ordonnance attaquée, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et la STIB font valoir que, dans le cadre de la procédure mise en place, le délai maximum de réalisation de l’étude d’incidences est fixé à 120 jours, tandis que le CoBAT prévoit un délai de six mois. Toutefois, le gain de temps provient essentiellement du fait que l’ordonnance attaquée prévoit que l’étude d’incidence doit être réalisée avant l’introduction du dossier de demande de permis, tandis que le délai de six mois prévu par le CoBAT prend cours après l’introduction de la demande. Le délai de décision est ainsi de 170 jours dans le cadre de l’ordonnance attaquée, tandis qu’il est de 450 jours dans le cadre du CoBAT.
A.15.1. En ce qui concerne la discrimination alléguée, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient, à titre principal, que les parties requérantes n’identifient pas les catégories qui seraient traitées différemment, ni les situations prétendument comparables dans lesquelles ces catégories se trouveraient.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient qu’il n’existe pas de situation comparable au cas d’espèce, dès lors que le projet répond à des impératifs d’intérêt général et qu’il est porté par un organisme d’intérêt public bruxellois exploitant l’unique réseau de métro et de prémétro bruxellois, dont l’un des chantiers liés à la réalisation de la ligne de métro « Nord-Albert » doit être sorti de l’impasse technique non contestée dans laquelle il se trouve, afin de répondre, sans autre retard, aux objectifs régionaux et européens poursuivis. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale considère qu’il s’agit d’un cas unique dans l’histoire de la Région et que les citoyens demandeurs de permis ne sont pas confrontés à de tels enjeux.
A.15.2. À titre subsidiaire, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale fait valoir que l’adoption de l’ordonnance attaquée n’est pas justifiée par les motifs techniques et budgétaires invoqués par les parties requérantes. Il s’agit seulement d’éléments de contexte, qui justifient la nécessité de recourir à un permis modificatif du permis d’urbanisme délivré en 2019. Selon lui, l’unique objectif de l’ordonnance est de limiter autant que faire se peut le temps nécessaire pour statuer sur l’opportunité de modifier ce permis de 2019, dans le but de déterminer, le plus rapidement possible, comment sortir de la situation actuelle, qui retarde, depuis juin 2021, le calendrier prévu pour la mise en service de la nouvelle ligne de métro.
Il appartiendra à l’autorité compétente pour statuer sur la demande de permis d’urbanisme de valider ou non l’option retenue pour sortir de cette impasse. C’est donc l’éventuel permis modificatif qui devra être justifié au regard des contraintes techniques et budgétaires, le cas échéant.
Enfin, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale affirme que, dès lors que l’ordonnance attaquée se limite à mettre en place une procédure administrative, elle ne devait pas identifier des alternatives en matière de technique de construction.
A.15.3. En ce qui concerne la justification de l’ordonnance attaquée, la STIB affirme que son adoption résulte de la conjonction de facteurs environnementaux, techniques, temporels et économiques, liés au blocage du chantier de la station de métro « Toots Thielemans ». Elle soutient que l’existence de ces facteurs est incontestable.
Le projet de station de métro repose sur des motifs d’intérêt général tant en termes de mobilité que d’aménagement du quartier et de bien-être des habitants. Le chantier a fait face à d’importantes difficultés qui ont entraîné des retards considérables. Selon la STIB, les parties requérantes ne démontrent pas le contraire.
La poursuite de la technique de fondation initialement prévue aurait inévitablement conduit à un allongement de la durée du chantier incompatible avec les objectifs d’intérêt général poursuivis, à savoir l’achèvement des travaux de métro sous le Palais du Midi, dans un délai aussi rapproché que possible, dans un cadre budgétaire maîtrisé et en apportant les garanties indispensables en termes de stabilité et d’étanchéité de l’ouvrage.
Selon la STIB, c’est pour ces motifs que le législateur ordonnanciel a considéré qu’il était raisonnable et proportionné d’intervenir pour mettre en place une procédure accélérée de traitement de la demande de permis.
Cette intervention n’est pas discriminatoire et elle n’opère pas un recul, encore moins un recul significatif, du degré de protection du droit à un environnement sain. La situation qu’a connue le chantier de la station de métro « Toots Thielemans » en raison de circonstances imprévisibles diffère objectivement de la situation d’autres chantiers, même si ces derniers peuvent connaître des imprévus. En outre, la mesure est pertinente en raison de
10
ces enjeux, puisqu’elle permet de mener la procédure à terme, quelle que soit son issue, dans des délais plus courts que ceux qui s’appliqueraient en vertu du CoBAT.
A.16. Les parties requérantes répondent que l’ordonnance attaquée crée une différence de traitement entre la demande de permis instruite selon la procédure qu’elle prévoit et toutes les autres demandes de permis d’urbanisme introduites par des personnes physiques ou morales, privées ou publiques, qui sont instruites conformément au CoBAT.
Cette différence de traitement n’est raisonnablement justifiée ni à l’aune des objectifs de la politique d’urbanisme et d’aménagement du territoire, inscrits aux articles 2 et 3 du CoBAT ni à celle des objectifs des politiques d’évaluation des incidences des projets privés et publics, qui sont rappelés dans le préambule de la directive 2011/92/UE. D’autres projets privés ou publics pourraient également contribuer à la réalisation d’un intérêt public majeur, comparable à celui que poursuit la construction d’une nouvelle ligne de métro. La directive 2011/92/UE et le CoBAT ne prévoient pas de possibilité de dérogation à leurs dispositions lorsque le projet porte sur la création d’une ligne de métro. Le CoBAT prévoit uniquement des dérogations spécifiques pour l’extension ou la création d’équipements scolaires et pour la création de logements sociaux. Ces dérogations sont justifiées dans les travaux préparatoires du CoBAT.
Les parties requérantes font valoir que, contrairement à ce que prétend le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, l’ordonnance attaquée a été adoptée pour faire face aux difficultés techniques et financières subies dans le cadre du chantier de la station de métro. L’objectif consistant à accélérer la procédure de délivrance d’un permis modificatif découle de ces contraintes. Selon les parties requérantes, ces constatations ressortent clairement des travaux préparatoires de l’ordonnance attaquée et du mémoire déposé par la STIB.
A.17.1. Concernant l’existence d’un recul significatif du degré de protection du droit à un environnement sain, les parties requérantes soutiennent que le comité d’accompagnement ne dispose pas de quinze jours pour délibérer, étant donné que ses membres disposent de maximum quatre jours avant la réunion relative à la note préparatoire de l’étude d’incidences – sur la base de laquelle le comité lance le travail du chargé d’étude ou deux jours avant les autres réunions – qui permettent d’assurer le suivi du travail du chargé d’étude. Selon les parties requérantes, le délai postérieur à la réunion est inutile puisque, à la suite de cette réunion, aucune autre réunion n’est prévue avant la fin du délai de quinze jours. Elles considèrent qu’il découle de l’article 5 de l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 25 avril 2019 « relatif au comité d’accompagnement » (ci-
après : l’arrêté du 25 avril 2019) que le comité d’accompagnement ne pourra délibérer de manière définitive que lors de la seule réunion prévue, deux ou quatre jours après la réception des documents pertinents.
Ces délais ne sont pas compatibles avec l’examen minutieux d’une question technique particulièrement complexe qui nécessite des compétences d’ingénierie poussées dont ne disposent pas les membres du comité d’accompagnement. Les parties requérantes allèguent qu’il est impossible pour les membres du comité de se faire aider par un expert dans de tels délais.
A.17.2. Les parties requérantes font également valoir que les avis de Bruxelles Mobilité et de la Commission royale des monuments et sites auraient été requis dans le cadre de la procédure ordinaire, de sorte que, contrairement à ce que prétendent le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et la STIB, l’ordonnance attaquée n’offre pas des garanties supplémentaires en la matière. Il ressort des articles 177, § 2, 3°, et 189/1 du CoBAT que Bruxelles Mobilité doit donner son avis sur les demandes qui concernent les aménagements d’espaces publics. Or, l’article 2, § 1er, de l’ordonnance attaquée confirme que le projet concerné porte, notamment, sur l’aménagement d’un « espace public » en surface. En outre, étant donné que l’avis de la Commission royale des monuments et sites était requis dans le cadre de la procédure qui a abouti à la délivrance du permis d’urbanisme du 24 mai 2019, la procédure de permis modificatif de ce dernier aurait également requis l’avis de la Commission royale des monuments et sites.
A.17.3. Concernant la computation des délais, les parties requérantes soutiennent que l’envoi de courriels, tout comme l’envoi de plis postaux, est soumis à des contingences qui peuvent aboutir à un décalage, parfois important, entre le moment de l’émission et celui de la réception effective. Elles observent que l’article 173 du
11
CoBAT prévoit que c’est la réception de la demande d’avis qui fait débuter le délai d’avis, quel que soit le mode d’envoi.
A.17.4. Enfin, les parties requérantes font valoir qu’il ressort des explications fournies par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, dans son mémoire, que les gains de temps générés par l’ordonnance découlent principalement de la réduction du délai de réalisation de l’étude d’incidences et de sa réalisation antérieure à l’introduction de la demande. Elles en déduisent que la réduction de quelques jours des délais impartis aux différentes instances et autorités compétentes ne se justifie pas.
A.18.1. En ce qui concerne le respect de l’obligation de standstill, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réplique que ni l’ordonnance attaquée, ni le CoBAT, ni l’arrêté du 25 avril 2019 n’imposent au comité d’accompagnement de délibérer le jour même où il se réunit pour évoquer les documents qu’il a reçus. Il lui est loisible de décider de prolonger ses travaux lors d’une réunion ultérieure et de délibérer lors de celle-ci. En ce qui concerne la première réunion du comité d’accompagnement, l’article 9, § 1er, de l’ordonnance attaquée prévoit que la décision du comité doit être notifiée dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle le dossier lui est communiqué. Il n’est donc pas obligé d’arrêter sa position lors de la première réunion. L’article 13, § 1er, de l’ordonnance n’impose pas de délais pour le suivi, par le comité d’accompagnement, du travail du chargé d’étude. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale observe également que l’article 6, § 2, de l’ordonnance attaquée impose au demandeur de permis d’exposer les aires géographiques et les propositions alternatives à étudier dans le cahier des charges de l’étude d’incidences. Dans le système mis en place par le CoBAT, il appartient au comité d’accompagnement d’examiner ces points sans avoir reçu les éclaircissements du demandeur. L’ordonnance apporte donc un degré de protection plus élevé.
A.18.2. En ce qui concerne l’avis de Bruxelles Mobilité, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale fait valoir que l’aménagement d’un « espace public » en surface, auquel les parties requérantes font référence, renvoie à l’aménagement prévu entre les quatre façades du Palais du Midi une fois que tout l’intérieur du bâtiment aura été déconstruit. Cet espace sera accessible au public, mais il ne fait pas partie du domaine public.
Les travaux ne sont donc liés ni aux voiries, ni à leurs équipements ni à leurs aménagements. Quant à l’avis de la Commission royale des monuments et sites, il avait été sollicité dans le cadre de la procédure ayant abouti à la délivrance du permis d’urbanisme du 24 mai 2019, en raison du fait que les actes et travaux qui font l’objet de la demande modifiaient les perspectives sur des biens classés ou à partir de ceux-ci. Dès lors que le projet qui détermine le champ d’application de l’ordonnance porte sur le sous-sol et l’intérieur du Palais du Midi, il n’aura pas pour effet de modifier les perspectives ou les vues sur ces biens classés. L’avis de la Commission royale des monuments et sites n’aurait donc pas été requis dans le cadre de la procédure de droit commun.
A.18.3. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale fait valoir que les parties requérantes n’indiquent ni pour quelles raisons précises il faudrait douter de ce que les instances consultées recevront le courriel le jour où il est envoyé, ni en quoi l’envoi d’un courriel offrirait moins de garanties que l’envoi d’un recommandé postal.
A.18.4. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale allègue que, mis bout à bout, les quelques jours gagnés à différents stades de la procédure permettent de raccourcir la durée d’instruction de manière effective et proportionnée.
A.19. La STIB développe une argumentation similaire en ce qui concerne l’absence de recul significatif du degré de protection du droit à un environnement sain.
A.20.1. En ce qui concerne l’absence de discrimination, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient, à titre principal, que les catégories de personnes qui font l’objet de la différence de traitement alléguée par les parties requérantes ne sont pas comparables. Il affirme que le chantier de la ligne de métro ne peut pas être comparé aux autres demandes de permis d’urbanisme, introduites par des particuliers pour un projet portant sur un terrain privé. En effet, ces demandeurs ne poursuivent généralement pas un objectif d’intérêt général et, même lorsque tel est le cas, les conséquences de l’arrêt d’un tel chantier ne sont pas raisonnablement comparables à celles de l’arrêt du chantier du projet de station de métro « Toots Thielemans », étant donné que ce dernier affecte lourdement l’espace public local et la mobilité de plusieurs quartiers. L’aboutissement du projet ne concerne pas un nombre limité d’individus, mais l’ensemble de la Région. Pour la même raison, le chantier du métro n’est pas comparable aux chantiers portant sur des équipements scolaires ou des logements sociaux.
12
A.20.2. À titre subsidiaire, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale fait valoir que le raccourcissement de certains délais imposés aux administrations est proportionné à l’objectif d’accélérer la procédure d’instruction du permis portant sur le projet de construction de la station de métro « Toots Thielemans ».
D’une part, les délais ne sont raccourcis que de quelques jours. D’autre part, l’ordonnance attaquée contient des exigences supplémentaires, à savoir l’organisation d’une réunion d’information du public, l’obligation de soumettre au comité d’accompagnement de l’étude d’incidences des propositions d’aires géographiques et d’alternatives à étudier et l’obligation de demander leur avis à Bruxelles Mobilité et à la Commission royale des monuments et sites.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale rappelle que l’ordonnance attaquée peut déroger au CoBAT, qui est également une ordonnance. En revanche, l’ordonnance attaquée ne déroge pas à la directive 2011/92/UE.
Enfin, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale observe que les parties requérantes n’identifient pas les alternatives qui auraient pu être mises en œuvre par le législateur ordonnanciel. En tout état de cause, si de telles alternatives existent, elles seront étudiées au stade de l’instruction de la demande de permis modificatif.
A.21. En ce qui concerne la justification du recul significatif allégué et de la différence de traitement, la STIB soutient que ses écrits de procédure sont non pas contradictoires mais complémentaires à ceux du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale.
La STIB considère que la réalisation des objectifs d’intérêt général visés aux articles 2 et 3 du CoBAT
n’impose pas de traiter l’ensemble des demandes de permis d’urbanisme conformément à la procédure de droit commun. L’ordonnance attaquée a été adoptée afin que ces objectifs ainsi que les objectifs d’intérêt général définis dans la déclaration de politique générale commune du Gouvernement bruxellois soient réalisés. En effet, l’arrêt du chantier crée une situation incompatible avec les besoins sociaux, économiques, environnementaux et de mobilité de la collectivité, et en particulier du quartier. Le maintien de cette situation serait contraire au bon aménagement des lieux.
La STIB fait valoir que le CoBAT n’interdit pas que, pour répondre aux objectifs qu’il contient ainsi qu’à des objectifs d’intérêt général poursuivis au niveau régional, certaines dérogations procédurales soient mises en place par voie législative. La STIB fait valoir que, contrairement à ce qu’allèguent les parties requérantes, le régime dérogatoire de l’ordonnance attaquée est tout aussi justifié que celui qui est mis en place pour la création d’équipements scolaires et de logements sociaux. Selon elle, les parties requérantes n’établissent pas que les motifs de l’ordonnance seraient critiquables.
La STIB observe que le préambule de la directive 2011/92/UE mentionne qu’il « peut s’avérer approprié, dans des cas exceptionnels, d’exempter un projet spécifique des procédures d’évaluation prévues par la présente directive ». Elle en déduit que le législateur européen admettrait, a fortiori dans une optique similaire, une procédure ad hoc visant à réduire certains délais durant la procédure d’instruction. Elle rappelle que la procédure prévue par l’ordonnance attaquée impose toujours la réalisation d’une étude d’incidences et qu’elle ne modifie pas les délais applicables aux tiers dans la procédure de droit commun pour les mesures particulières de publicité.
Enfin, elle considère que le fait que le permis d’urbanisme initial du 24 mai 2019 n’ait pas fait l’objet d’un régime dérogatoire n’implique pas que le projet concerné par l’ordonnance attaquée devrait relever du droit commun. Le permis précité n’a pas fait l’objet d’un régime dérogatoire parce qu’à l’origine, les circonstances qui entouraient son instruction et sa délivrance n’étaient pas comparables avec la situation de blocage que connaît actuellement le chantier. À l’époque, il n’y avait donc pas de raison particulière d’instaurer une procédure d’instruction du permis qui soit dérogatoire au droit commun.
13
-B-
Quant à l’ordonnance attaquée et à son contexte
B.1.1. Le recours en annulation porte sur l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 5 octobre 2023 « instituant une procédure d’instruction spécifique d’une demande de permis d’urbanisme relative à la déconstruction de l’intérieur du Palais du Midi et à la modification du permis délivré par le fonctionnaire délégué de la Région de Bruxelles-Capitale le 24 mai 2019
à la Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles » (ci-après : l’ordonnance attaquée).
L’ordonnance attaquée organise une procédure dérogatoire à celle qui est mise en place par le Code bruxellois de l’aménagement du territoire (ci-après : le CoBAT), en vue de permettre l’instruction d’une éventuelle demande de permis d’urbanisme portant sur un projet déterminé, à savoir la déconstruction de l’intérieur du Palais du Midi et l’aménagement d’un « espace public en surface » et de permettre la délivrance éventuelle de ce permis dans des délais plus brefs que ceux qui sont prévus par le CoBAT.
B.1.2. Le champ d’application de l’ordonnance attaquée présente la spécificité d’être limité à un projet particulier, à savoir la démolition totale de l’intérieur du Palais du Midi à l’exception des façades, accompagnée de l’aménagement d’un espace public en surface, dans le cadre de l’adaptation par la Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles (ci-après :
la STIB) de la technique de fondation du tunnel du métro sous le Palais du Midi (article 2, § 1er).
B.2.1. Le projet de déconstruction de l’intérieur du Palais du Midi s’inscrit dans le cadre de la construction de la nouvelle station de métro « Toots Thielemans », qui fait partie du projet de la ligne de métro « Nord-Albert » reliant la place Albert, située à Forest, à la gare du Nord.
À cette occasion, des tunnels devront être construits pour raccorder la station avec la station de prémétro Lemonnier. Ces tunnels passeront notamment sous le Palais du Midi.
14
B.2.2. Le 24 mai 2019, la STIB a obtenu un permis d’urbanisme pour la réalisation du projet.
Toutefois, le chantier a connu des retards importants, notamment en raison d’un conflit opposant, depuis 2021, le consortium d’entreprises chargé de réaliser les travaux et la STIB
quant à la faisabilité de la mise en œuvre de la technique de construction choisie, à savoir le « jet grouting ». Cette technique devait garantir que le Palais du Midi, y compris son intérieur, ne soit pas affecté par les travaux.
B.2.3. Il ressort des travaux préparatoires de l’ordonnance attaquée que l’utilisation de la technique particulière de fondation dite du « jet grouting » serait « opérationnellement très compliquée, extrêmement coûteuse en suppléments, et trop longue à mettre en œuvre, au point de provoquer une prolongation excessive du chantier, ce qui est contraire à l’intérêt général »
(Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2022-2023, A-751/1, p. 3). Le consortium d’entreprises chargé de réaliser les travaux refuse, en outre, de garantir la stabilité de l’ouvrage (ibid.).
La STIB envisage dès lors de recourir à la technique alternative dite des « pieux sécants »
pour réaliser le tunnel. La mise en œuvre de cette technique suppose de déconstruire l’intérieur du Palais du Midi afin de construire le tunnel en passant « par le haut ». Pour que cette technique de construction puisse être utilisée, la STIB doit obtenir un permis modificatif du permis d’urbanisme du 24 mai 2019.
B.3. Afin de justifier le recours à une procédure dérogatoire d’instruction de cette éventuelle demande de permis d’urbanisme, les travaux préparatoires de l’ordonnance attaquée exposent :
« Malgré toutes les précautions et les mesures d’atténuation et d’accompagnement pour le quartier prises par la STIB et la Région, il est aussi indéniable que le chantier actuel, à l’arrêt depuis juin 2021, exerce un impact certain sur le quartier. Habitants, commerçants, utilisateurs et étudiants sont notamment concernés par cette situation et la Région estime que celle-ci requiert une intervention rapide. À défaut, la situation pourrait perdurer une dizaine d’années, ce qui ne se conçoit pas. Autrement, tout doit être mis en œuvre pour permettre au quartier de
15
retrouver au plus vite un aménagement urbain de qualité, notamment par la mobilité locale améliorée.
[...]
Les besoins impérieux et légitimes préoccupations exprimés ci-dessus supposent une délivrance rapide du permis. Or, l’obtention d’un permis à droit constant, i.e. en appliquant le CoBAT, mènerait à sa délivrance dans des délais incompatibles avec les objectifs poursuivis.
Au mieux premier semestre 2025 et plus vraisemblablement dans le dernier trimestre de 2026.
Soit entre deux et trois ans supplémentaires d’arrêt de chantier, déjà à l’arrêt depuis juin 2021.
Dans ces conditions, une intervention législative est également indispensable de ce point de vue.
Bien entendu, les droits et la participation du public doivent être assurés dans ce cadre spécifique.
C’est pourquoi il est proposé d’adopter, dans les chapitres II et III de l’ordonnance en projet, une procédure dite ‘ fast track ’, c’est-à-dire qui encadre l’examen de la demande de permis en réduisant certes les délais d’instruction, mais en maintenant au maximum les garanties de participation citoyenne et de transparence de la procédure, en prévoyant aussi une procédure d’éventuel classement et une étude d’incidences » (ibid., pp. 5-6).
B.4. Selon les travaux préparatoires, « le texte proposé se veut une voie moyenne, raisonnable et équilibrée, entre diverses options, nettement plus critiquables ou non souhaitables, à savoir :
- une intervention du Parlement qui dispenserait la modification technique et la déconstruction du Palais du Midi de tout permis, à l’instar de l’ordonnance adoptée le 4 décembre 2020 accordant une dispense exceptionnelle de permis d’urbanisme et de permis d’environnement pour permettre l’utilisation de l’ancien siège de l’OTAN en vue de tenir le procès des attentats terroristes qui s’y tient actuellement;
- le recours à un permis délivré par le Parlement. Ce type de permis n’existe pas dans le CoBAT, même si le droit européen ne le prohibe pas;
- l’application du CoBAT ‘ à droit constant ’, i.e. tel qu’il est : il faut admettre que les délais de délivrance du permis requis pour la reprise du chantier sont tels que cette option n’est
16
pas opportune, car trop préjudiciable à l’intérêt général, comparée à l’option retenue » (ibid., p. 7).
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
B.5. Le premier moyen est pris de la violation, par l’ordonnance attaquée, des articles 10, 11 et 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 20, 21 et 37 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après : la Charte), avec l’article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE)
et avec les articles 2 à 8 et 11 et les annexes I, Il et III de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 « concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (texte codifié) » (ci-après : la directive 2011/92/UE).
Les parties requérantes allèguent que l’adoption de l’ordonnance attaquée aurait dû être précédée d’une évaluation des incidences, dès lors que cette ordonnance constituerait une autorisation relative à un projet soumis à évaluation des incidences en vertu de la directive 2011//92/UE.
B.6.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine : les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-
discrimination sont applicables à l’égard de tous les droits et de toutes les libertés, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique.
B.6.2. Les articles 20 et 21 de la Charte qui garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination n’ajoutent rien, en l’espèce, aux articles 10 et 11 de la Constitution.
B.6.3. L’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution garantit le droit à la protection d’un environnement sain.
17
L’article 23 de la Constitution contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement, sans justification raisonnable, le degré de protection offert par la législation applicable.
B.6.4. L’article 191 du TFUE dispose :
« 1er. La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement contribue à la poursuite des objectifs suivants :
- la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement,
- la protection de la santé des personnes,
- l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles,
- la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique.
2. La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l’Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur.
[...] ».
L’article 37 de la Charte garantit le droit à un niveau élevé de protection de l’environnement et à l’amélioration de celui-ci.
Dès lors que la directive 2011/92/UE met en œuvre les objectifs et principes énoncés à l’article 191, paragraphes 1 et 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ainsi que le droit consacré à l’article 37 de la Charte, la Cour tient compte de ces dispositions dans son examen.
B.6.5. La directive 2011/92/UE concerne l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement. Les articles 2 à 5 de cette directive déterminent les projets qui sont soumis à l’évaluation des incidences sur l’environnement – en référence aux annexes I, II et III de la directive –, le contenu de cette évaluation et les obligations des États membres à
18
cet égard. L’article 6, paragraphe 1, de cette directive impose la consultation des autorités susceptibles d’être concernées par le projet en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d’environnement ou de leurs compétences locales ou régionales, et il en détermine les modalités. Les paragraphes 2 à 7 de cet article organisent l’information et la participation du public dans la procédure de délivrance de l’autorisation. L’article 7 traite des consultations transfrontières. L’article 8 prévoit que les informations et consultations recueillies doivent être dûment prises en compte dans le cadre de la procédure d’autorisation. Enfin, l’article 11 de la directive 2011/92/UE porte sur le droit d’accès à la justice des membres du public concerné.
B.7.1. L’article 2, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2011/92/UE impose aux États membres de prendre « les dispositions nécessaires pour que, avant l’octroi de l’autorisation, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une procédure de demande d’autorisation et à une évaluation en ce qui concerne leurs incidences ».
B.7.2. L’« autorisation » est définie comme étant « la décision de l’autorité ou des autorités compétentes qui ouvre le droit du maître d’ouvrage de réaliser le projet » (article 1er, paragraphe 2, c). Le « projet » est, notamment, « la réalisation de travaux de construction ou d’autres installations ou ouvrages » (article 1er, paragraphe 2, a)).
L’autorisation peut prendre la forme d’un acte législatif (voy. CJUE, grande chambre, 29 juillet 2019, C-411/17, Inter-Environnement Wallonie ASBL et Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen ASBL, ECLI:EU:C:2019:622).
B.7.3. En ce qui concerne les autorisations en plusieurs étapes, la Cour de justice de l’Union européenne tient compte du fait que l’évaluation des incidences sur l’environnement doit être réalisée « avant l’octroi de l’autorisation » (article 2, paragraphe 1er, de la directive 2011/92/UE) et que l’autorité compétente devrait tenir compte des incidences du projet sur l’environnement « le plus tôt possible » (considérant 2).
Elle a jugé :
19
« Dès lors, lorsque le droit national prévoit que la procédure d’autorisation se déroule en plusieurs étapes, l’une de celles-ci étant une décision principale et l’autre une décision d’exécution qui ne peut aller au-delà des paramètres déterminés par la décision principale, les effets que le projet est susceptible d’avoir sur l’environnement doivent être identifiés et évalués lors de la procédure relative à la décision principale. Ce n’est que si ces effets ne sont identifiables que lors de la procédure relative à la décision d’exécution que l’évaluation devrait être effectuée au cours de cette procédure » (CJUE, 7 janvier 2004, C-201/02, Wells, ECLI:ECLI:EU:C:2004:12, point 52).
Par son arrêt du 24 février 2022, en cause de Namur-Est Environnement ASBL, (C-463/20, ECLI:EU:C:2022:121), la Cour de justice de l’Union européenne a jugé qu’une première décision – en l’espèce, une dérogation aux mesures de protection des espèces animales et végétales prévues dans la réglementation applicable, en vue de l’exploitation d’une carrière –
peut être comprise comme « relevant de l’autorisation » du projet, bien que, prise isolément, elle ne constitue pas une « décision de l’autorité ou des autorités compétentes qui ouvre le droit du maître d’ouvrage de réaliser le projet », compte tenu des liens qu’elle entretient avec cette dernière décision (point 44). Afin que la première décision puisse être qualifiée comme étant une autorisation, il faut que, d’une part, la réalisation du projet ne puisse pas intervenir sans que le maître d’ouvrage ait obtenu cette première décision et, d’autre part, l’autorité compétente pour autoriser un tel projet conserve la possibilité d’en apprécier les incidences environnementales de façon plus stricte que cela n’a été fait dans la première décision (point 66).
B.8.1. L’ordonnance attaquée :
- soumet le projet à une étude d’incidences sur l’environnement en vertu de la rubrique n° 21 de l’annexe A du CoBAT et définit les modalités spécifiques encadrant cette étude d’incidences (articles 4 à 15),
- prévoit l’organisation d’une réunion d’information du public pendant l’étude d’incidences (articles 16 à 19),
- désigne le fonctionnaire délégué de la Région de Bruxelles-Capitale en tant qu’autorité compétente pour délivrer le permis d’urbanisme (article 20),
20
- met en place une procédure ad hoc d’instruction de la demande du permis d’urbanisme, en réduisant notamment plusieurs délais applicables aux autorités et instances chargées d’instruire la demande (articles 21 à 26),
- détermine le délai de décision imparti au fonctionnaire délégué et les modalités de notification de cette décision (article 27),
- organise la procédure de recours administratif devant le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale (articles 28 et 29),
- prévoit l’application, à tire résiduel, des règles du CoBAT et de ses arrêtés d’exécution lorsqu’elles sont conciliables avec les principes fixés dans l’ordonnance, et habilite le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale à réduire d’un tiers au maximum les délais de procédure qui sont prévus par le CoBAT et qui ne sont pas visés dans l’ordonnance attaquée (articles 30 et 31).
B.8.2. Bien qu’elle ait été adoptée en réponse aux retards que subit un projet particulier et que son champ d’application soit limité à l’éventuelle demande de permis d’urbanisme relative à ce projet, il ressort de ce qui est dit plus haut que l’ordonnance attaquée met en place un régime applicable à une autorisation administrative. Un tel régime ne peut être assimilé ni à une « décision principale » ou de principe portant sur le projet ni à une première décision qui doit être obtenue par le maître d’ouvrage pour que ce dernier soit autorisé à réaliser le projet.
Contrairement à ces décisions, un régime applicable à une autorisation administrative ne constitue pas la première étape de l’autorisation, c’est-à-dire de la levée de l’interdiction de procéder à des travaux, mais le cadre juridique dans lequel cette autorisation peut être délivrée.
Pour le même motif, contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, l’ordonnance attaquée ne saurait être assimilée à la loi du 28 juin 2015 « modifiant la loi du 31 janvier 2003
sur la sortie progressive de l’énergie nucléaire à des fins de production industrielle d’électricité afin de garantir la sécurité d’approvisionnement sur le plan énergétique », qui ne met pas en place une procédure d’autorisation administrative mais reporte de dix ans la date de fin d’activité d’une centrale nucléaire.
21
Il s’ensuit que l’ordonnance attaquée n’est manifestement pas une décision « relevant de l’autorisation » relative à un projet soumis à évaluation des incidences, en vertu de la directive 2011/92/UE.
B.9.1. Les parties requérantes font encore valoir que la nature, l’ampleur et les caractéristiques du projet régi par l’ordonnance attaquée ont déjà été appréhendées, élaborées et entérinées par la Région de Bruxelles-Capitale. Elles soutiennent qu’il ressort des travaux préparatoires que le Gouvernement a déjà examiné et rejeté les alternatives.
B.9.2. Il est vrai que les travaux préparatoires, cités en B.2.3 à B.4, décrivent le projet porté par la STIB et les raisons pour lesquelles cette dernière privilégie dorénavant la technique des « pieux sécants » aux autres techniques. Ils mentionnent également le fait que « les besoins impérieux et légitimes préoccupations exprimés [...] supposent une délivrance rapide du permis » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2022-2023, A-751/1, p. 6).
En outre, l’ordonnance attaquée désigne le fonctionnaire délégué de la Région de Bruxelles-Capitale (article 20) et, sur recours administratif, le Gouvernement de celle-ci (article 28) comme autorités compétentes pour délivrer le permis.
La STIB, qui est la demanderesse potentielle du permis, est soumise à l’autorité du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, lequel dispose de la faculté d’annuler, sur recours des commissaires du Gouvernement, les décisions du conseil d’administration et du comité de gestion (article 12 de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 22 novembre 1990 « relative à l’organisation des transports en commun dans la Région de Bruxelles-Capitale »).
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale est donc susceptible d’agir en deux qualités différentes dans ce dossier.
B.9.3. Au regard de l’ampleur du projet concerné, l’orientation politique y afférente a nécessairement dû être prise par la Région de Bruxelles-Capitale avant l’élaboration du projet destiné à être déposé dans le cadre de la demande de permis d’urbanisme.
22
Cette orientation politique ne préjuge pas du contenu de la décision relative à l’éventuelle demande de permis d’urbanisme que pourrait adopter le fonctionnaire délégué ou, le cas échéant, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, sur recours.
L’autorité compétente pour délivrer un permis d’urbanisme doit appliquer la police de l’urbanisme en ayant égard aux objectifs de cette police et dans le respect des exigences propres de celle-ci, des normes constitutionnelles et européennes visées au moyen et des principes de bonne administration.
B.9.4. L’ordonnance attaquée, qu’il convient d’interpréter de manière conforme à la Constitution, n’autorise pas les autorités compétentes pour statuer sur la demande de permis d’urbanisme concernée à déroger aux principes et normes précités.
En outre, lorsque, comme en l’espèce, l’autorité compétente pour délivrer le permis d’urbanisme est également impliquée dans le projet qui fait l’objet de la demande de permis, il appartient au Conseil d’État d’être particulièrement attentif au respect, par cette autorité, des principes et normes précités, notamment du principe d’égalité et de non-discrimination, du devoir de minutie, du principe d’impartialité et des principes du raisonnable et de la proportionnalité.
B.10. Le premier moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le second moyen
B.11.1. Le second moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 20, 21 et 37 de la Charte, avec l’article 191 du TFUE, avec les articles 2 à 8bis, 9, 9bis et 11 et avec les annexes I, Il et III de la directive 2011/92/UE.
23
B.11.2. Les parties requérantes font valoir en substance que l’ordonnance attaquée crée une différence de traitement non–justifiée entre le demandeur de permis d’urbanisme qui peut utiliser la procédure prévue par l’ordonnance attaquée, à savoir la STIB, et les demandeurs de permis d’urbanisme, personnes physiques ou morales, privées ou publiques, qui sont soumis à la procédure de droit commun prévue par le CoBAT, et que le degré de protection offert par la législation applicable est réduit de manière significative et sans justification raisonnable.
B.11.3. La Cour examine, dans un premier temps, le respect de l’obligation de standstill qui découle du droit à la protection d’un environnement sain, lu en combinaison avec les articles 5, 6, 8, 8bis et 9bis de la directive 2011/92/UE, avec l’article 191 du TFUE et avec l’article 37 de la Charte, et, dans un second temps, le respect du principe d’égalité.
Dès lors que la requête ne précise pas de quelle manière les articles 20 et 21 de la Charte, les articles 2 à 4, 7, 8 et 11 de la directive 2011/92/UE et les annexes de celle-ci seraient violés par l’ordonnance attaquée, la Cour n’en tient pas compte dans son examen.
Le respect de l’obligation de standstill
B.12. Les parties requérantes dénoncent un recul significatif du degré de protection du droit à l’environnement sain offert par la législation applicable, à trois égards :
- le délai accordé aux instances pour rendre leur avis prend cours à la date de notification de la demande d’avis, ce qui correspond à la date d’envoi plutôt qu’à la date de réception. Ce grief porte sur l’article 3, alinéa 1er, de l’ordonnance attaquée;
24
- le délai dont disposent les membres du comité d’accompagnement pour examiner les documents pertinents et débattre du dossier du projet soumis à l’étude d’incidences est plus court que celui qui est prévu par le CoBAT et il ne permet pas un examen minutieux et conforme aux exigences de la directive 2011/92/UE. Ce grief porte sur l’article 8, §§ 2 et 3, et sur l’article 9, § 1er, de l’ordonnance attaquée;
- les administrations et instances consultées, en particulier la Commission royale des monuments et sites et Bruxelles Mobilité, ont l’interdiction de solliciter des études complémentaires, alors que cette possibilité est explicitement prévue dans le CoBAT. Ce grief porte sur l’article 22, § 2, alinéa 2, de l’ordonnance attaquée.
Selon les parties requérantes, le recul significatif du degré de protection du droit à l’environnement sain qui est occasionné est disproportionné au gain de temps marginal que ces mesures permettent.
B.13. La Cour examine successivement les trois griefs précités.
B.14. L’article 12/1, alinéas 1er et 4, du CoBAT dispose :
« Pour l’application du présent Code, les délais sont calculés à compter du lendemain du jour de la réception d’un acte, d’une demande, d’un avis ou d’un recours, sauf lorsqu’il est disposé qu’un délai prend expressément cours à partir d’une autre date.
[...]
Pour l’application du présent Code, sauf mention contraire, la notification s’entend de la date d’envoi ».
L’article 3, alinéa 1er, de l’ordonnance attaquée prévoit, quant à lui, que « les délais sont calculés à dater de la notification d’un acte, d’une demande, d’un avis, d’une saisine ou d’un recours ». Toutefois, lorsqu’un envoi par recommandé postal est requis, « le délai est calculé à dater du lendemain du jour où le pli a été présenté au destinataire » (article 3, alinéa 2).
L’article 2, § 1er, dernier tiret, de l’ordonnance attaquée définit la notification comme étant la date d’envoi selon l’article 12/1, alinéa 5 [lire : 4], du CoBAT.
25
La demande de permis est introduite par la voie électronique (article 21, § 1er, alinéa 2, de l’ordonnance attaquée), de sorte qu’il appartient au fonctionnaire délégué de la transmettre aux administrations et aux instances concernées par voie électronique (article 22 de l’ordonnance attaquée junctis les articles 3, § 2, et 6 de l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale du 25 avril 2019 « relatif à la transmission entre autorités des documents nécessaires à l’instruction des demandes de permis et de certificats organisées par le Code bruxellois de l’Aménagement du Territoire » et articles 8, alinéa 2, et 12 de l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 31 mars 2022 « relatif à la digitalisation des procédures d’instruction des demandes de certificat et de permis d’urbanisme et de lotir et des recours y relatifs régis par les dispositions du CoBAT »). Sauf pour l’avis du Service d’incendie et d’aide médicale urgente, à défaut pour l’administration ou l’instance consultée d’avoir envoyé son avis au fonctionnaire délégué à la date de clôture de l’enquête publique, la procédure est poursuivie sans qu’il doive être tenu compte d’un avis transmis hors délai (article 22, § 3, de l’ordonnance attaquée).
Les travaux préparatoires de l’article 3 de l’ordonnance attaquée indiquent que, « sauf mention expresse et contraire dans l’ordonnance, les envois se font électroniquement; la date d’envoi est donc concomitante à la date de réception » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2022-2023, A-751/1, p. 16).
Il résulte de ce qui précède que les délais imposés aux administrations et aux instances chargées de rendre un avis sur la demande de permis d’urbanisme prennent cours le jour de l’envoi électronique de la demande d’avis à laquelle est jointe une copie du dossier de la demande.
B.15.1. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale fait valoir que les délais visés ne concernent pas le public.
Les avis des administrations et instances mentionnées à l’article 22, § 2, de l’ordonnance attaquée peuvent cependant constituer une garantie pour le respect du droit des tiers à la
26
protection d’un environnement sain, de sorte que la disposition attaquée est susceptible de porter atteinte à ce droit.
B.15.2. Les mesures attaquées ont pour objectif de permettre l’achèvement du projet concerné par l’ordonnance attaquée dans un délai qui ne soit pas considérablement plus long que le délai qui était initialement prévu.
Dès lors que, comme le reconnaît le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, la date de l’envoi et celle de la réception d’une communication électronique sont, en principe, identiques, la disposition attaquée a essentiellement pour effet de faire porter le risque d’un dysfonctionnement de cette communication ou des systèmes informatiques qui l’émettent ou la réceptionnent sur l’administration ou l’instance qui reçoit la communication.
Bien qu’un tel risque soit sans doute limité, il n’est pas exclu que les administrations et instances consultées ne reçoivent pas ou reçoivent tardivement une demande d’avis envoyée par voie électronique et qu’elles ne disposent ainsi pas de la possibilité de rendre en temps utile un avis concernant la demande de permis. Notamment lorsque le courrier électronique est utilisé comme que moyen de communication, il n’est pas certain que la demande d’avis ait été effectivement envoyée au destinataire et reçue par celui-ci, et l’expéditeur n’a pas davantage la possibilité d’apporter la preuve de l’envoi de la demande d’avis et du moment de l’envoi (voy.
en ce sens également CE, 9 février 2016, n° é.777, ECLI:BE:RVSCE:2016:ARR.é.777).
Lors du traitement de la demande de permis, le fonctionnaire délégué doit cependant respecter les principes généraux de bonne administration, dont le devoir de minutie. Ce devoir implique que, si, pour l’envoi d’une demande d’avis, le fonctionnaire délégué fait usage de moyens de communication électronique qui n’offrent pas de garanties suffisantes au regard de la sécurité (juridique), celui-ci s’assure que les administrations et instances consultées aient effectivement reçu la demande d’avis, par exemple en demandant un accusé de réception.
Sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les dispositions attaquées entraînent un recul significatif du degré de protection du droit à la protection d’un environnement sain garanti par l’article 23 de la Constitution, lu en combinaison avec les dispositions citées au moyen, il suffit
27
de constater que ces dispositions sont raisonnablement justifiées au regard des objectifs légitimes poursuivis par le législateur ordonnanciel.
B.16.1. Dans le cadre du CoBAT et du régime mis en place par l’ordonnance attaquée, le comité d’accompagnement doit veiller à ce que le chargé d’étude fournisse une étude complète et de qualité (article 175/4, § 1er, alinéa 1er, du CoBAT et article 7, § 2, de l’ordonnance attaquée).
B.16.2. L’article 175/5, § 1er, du CoBAT dispose :
« Simultanément à l’envoi de l’accusé de réception de dossier complet [...], l’administration en charge de l’urbanisme convoque le comité d’accompagnement.
Dans les quinze jours de l’envoi de l’accusé de réception de dossier complet [...], le comité d’accompagnement notifie au demandeur de permis sa décision sur les points suivants :
1° [...] la ou les aire(s) géographique(s) à prendre en considération dans l’étude d’incidences [...];
2° la ou les alternative(s) et/ou variante(s) à évaluer dans l’étude d’incidences;
3° le délai dans lequel l’étude d’incidences doit être clôturée, étant entendu que, sauf circonstances exceptionnelles liées aux incidences à évaluer et dûment motivées, ce délai ne peut pas excéder six mois à dater de l’envoi de la décision du comité d’accompagnement;
4° le choix du chargé d’étude ».
L’article 4 de l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 25 avril 2019 « relatif au comité d’accompagnement visé à l’article 175/4 du CoBAT et à l’article 22 de l’Ordonnance du 5 juin 1997 relative aux permis d’environnement » dispose :
« Les membres du comité d’accompagnement et les personnes invitées à participer aux travaux dudit comité sont convoqués par le secrétariat au moins huit jours avant toute réunion.
Sauf décision contraire du comité d’accompagnement, les documents devant faire l’objet d’une approbation par le comité d’accompagnement sont transmis à tous les membres au moins huit jours avant toute réunion ».
28
B.16.3. L’article 8, § 2, de l’ordonnance attaquée prévoit que l’administration communique au comité d’accompagnement le dossier relatif au projet soumis à l’étude d’incidence, déposé par le demandeur, dans un délai de deux jours à compter du dépôt. Le comité d’accompagnement est convoqué dans le même délai à une réunion qui se tient dans les quatre jours de la convocation.
Le comité d’accompagnement notifie sa décision relative à la proposition de choix du chargé d’étude, à l’aire géographique à prendre en considération dans l’étude et aux alternatives ou variantes à évaluer dans l’étude d’incidences dans un délai de quinze jours à compter de date à laquelle l’administration lui a notifié le dossier (article 9, § 1er, de l’ordonnance attaquée).
B.16.4. Dans les deux régimes comparés, le comité d’accompagnement dispose d’un délai de quinze jours pour rendre sa décision.
Dans le régime mis en place par le CoBAT, les membres du comité d’accompagnement disposent d’un temps plus long pour préparer leur première réunion, mais le délai entre cette réunion et le jour où le comité doit rendre sa décision est plus court. En outre, l’ordonnance attaquée ne porte pas sur l’ensemble des projets que les membres du comité d’accompagnement pourraient être amenés à examiner, mais sur un seul projet, qui est identifié par cette ordonnance. De surcroît, comme le relève le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, rien dans cette ordonnance ni dans le CoBAT, lequel est applicable à titre résiduel, n’empêche le comité d’accompagnement de prévoir une ou plusieurs réunions supplémentaires. Il dispose également du temps nécessaire pour inviter des experts à se joindre à ses travaux.
Au regard des considérations qui précèdent, l’article 8, §§ 2 et 3, et l’article 9, § 1er, de l’ordonnance attaquée n’entraînent pas un recul significatif du degré de protection du droit à l’environnement sain offert par la législation applicable.
B.17.1. L’article 177, §§ 1er et 2, 2° et 3°, du CoBAT dispose :
« § 1er. Simultanément à l’envoi de l’accusé de réception de dossier complet, le fonctionnaire délégué adresse aux administrations et instances dont l’avis est requis en application du Code ou de ses arrêtés d’application, une demande d’avis, à laquelle est jointe une copie du dossier de demande.
29
§ 2. Sous réserve du § 4, les administrations et instances suivantes doivent être consultées dans les hypothèses suivantes :
[...]
2° la Commission royale des monuments et des sites, lorsque la demande porte sur des actes et travaux relatifs aux parties protégées d’un bien repris sur la liste de sauvegarde ou classé ou en cours d’inscription ou de classement; cet avis est, dans cette mesure, conforme pour le fonctionnaire délégué;
3° Bruxelles Mobilité, lorsque la demande concerne des actes et travaux relatifs aux voiries et aux espaces publics visés à l’article 189/1. L’avis porte sur la conformité de la demande avec les plans régional et communal de mobilité ».
L’article 189/1 du CoBAT définit les « actes et travaux relatifs aux voiries et aux espaces publics » comme étant « l’ensemble des interventions sur l’espace public et les voiries concernant le marquage, l’équipement ou les aménagements ».
L’article 22, § 2, alinéa 1er, de l’ordonnance attaquée, lui, impose la consultation de la Commission royale des monuments et sites et de Bruxelles Mobilité, sans fixer de condition à cette obligation. Toutefois, le second alinéa de cette disposition prévoit que « les administrations et instances consultées ne peuvent solliciter d’étude complémentaire ».
B.17.2. Sans qu’il soit nécessaire d’examiner si la disposition attaquée entraîne un recul significatif du degré de protection du droit à la protection d’un environnement sain garanti l’article 23 de la Constitution, il suffit de constater que cette disposition est raisonnablement justifiée au regard des objectifs légitimes poursuivis par le législateur ordonnanciel.
L’ordonnance attaquée a pour objectif d’accélérer la procédure de traitement d’une demande de permis d’urbanisme portant sur la déconstruction de l’intérieur du Palais du Midi et la modification du permis délivré le 24 mai 2019 à la STIB par le fonctionnaire délégué de la Région de Bruxelles-Capitale, et ce, afin de permettre une ouverture de la ligne de métro Nord-Albert dans un délai qui ne soit pas excessivement plus long que le délai initialement prévu. En d’autres termes, il s’agit d’apporter aux usagers, dans un délai raisonnable, une offre
30
de transport en commun rapide et efficace dans une zone géographique qui n’est pas desservie par le métro (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2022-2023, A-751/1, pp. 1, 5 et 8).
Eu égard à ces objectifs, le législateur ordonnanciel a raisonnablement pu considérer qu’il n’était pas nécessaire de permettre aux instances consultées de solliciter des études complémentaires, ce qui aurait prolongé l’instruction de la demande de permis d’urbanisme concernée. La mesure attaquée ne produit pas des effets disproportionnés.
Il s’ensuit que l’article 22, § 2, alinéa 2, de l’ordonnance attaquée ne viole pas les dispositions invoquées au moyen.
Le principe d’égalité et de non-discrimination
B.18. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.19.1. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que les parties requérantes n’identifient pas les catégories qui seraient traitées différemment, ni les situations comparables dans lesquelles ces catégories se trouveraient.
B.19.2. Il ressort de la requête et du mémoire en réponse des parties requérantes que celles-
ci allèguent que l’ordonnance attaquée crée une différence de traitement entre la STIB, qui, pour le projet concerné par l’ordonnance, peut faire usage de la procédure dérogatoire mise en
31
place par celle-ci, et les demandeurs de permis qui sont tenus de respecter la procédure prévue par le CoBAT.
L’exception est rejetée.
B.20. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’interdit pas, par principe, que le champ d’application d’une législation se limite à une seule personne dans le cadre d’une situation particulière. Pour déterminer si la différence de traitement qui en résulte est raisonnablement justifiée, la Cour doit vérifier si elle repose sur des critères de distinction pertinents qui ont trait aux caractéristiques qui différencient la situation individuelle régie par la législation concernée de l’ensemble des situations comparables.
B.21.1. Dans son avis sur l’avant-projet d’ordonnance qui a donné lieu à l’ordonnance attaquée, la section de législation du Conseil d’État a observé :
« 2. L’avant‑projet d’ordonnance repose sur l’idée qu’une procédure spécifique d’introduction et d’instruction d’une demande de permis portant sur un projet déterminé, bien identifié, doit être organisée par le législateur en vue de permettre qu’une solution rapide soit apportée à une problématique bien spécifique liée à un chantier en cours, que l’auteur de l’avant-projet estime manifestement être d’intérêt régional, chantier qui rencontre des difficultés fondamentales et est à l’arrêt depuis juin 2021, avec pour conséquence, des dommages ou risques de dommages factuels et financiers considérables.
Si l’objectif poursuivi apparaît ainsi légitime, l’avant-projet s’inscrit toutefois dans une conception des choses qui peut difficilement être admise. En effet, dans la logique retenue, chaque fois que, sur le territoire de la Région de Bruxelles‑Capitale, un chantier d’envergure ou considéré comme étant ‘ d’intérêt régional ’ prendrait du retard, ce retard étant susceptible de causer des dommages variés, le législateur serait légitimement et juridiquement fondé à organiser une procédure ad hoc – en l’espèce, relative à la délivrance d’un permis modificatif –
en vue de résoudre la difficulté plus rapidement que le droit en vigueur ne le permettrait.
Outre que la norme législative n’a, en règle, pas vocation à régir des situations uniques, déterminées et identifiées spécifiquement, un tel mécanisme comporte en lui-même un risque de dérive spécialement au regard du principe d’égalité et de non-discrimination, ainsi qu’un risque évident d’insécurité juridique, de variabilité et de non-prévisibilité de la norme applicable, chaque projet, en fonction de l’intérêt qu’il représente, pouvant être amené, dans cette logique, à être régi par une législation particulière. Un autre effet de la mise en œuvre de cette conception, du ‘ coup par coup ’, est un risque accru de contentieux.
Il en va d’autant plus ainsi que dans la logique de l’auteur de l’avant-projet, en ce qu’elle repose sur le postulat qu’il convient d’agir vite pour remédier à une situation d’urgence,
32
chacune de ces législations spécifiques à venir serait adoptée, par hypothèse, au bénéfice de l’urgence, sans que leurs auteurs aient pu prendre le temps d’une réflexion approfondie sur la problématique en cause.
Ces difficultés pourraient être largement atténuées si, plutôt que d’intervenir par une ou plusieurs législations ‘ one shot ’, le législateur envisageait de mettre en place un système général, qui serait intégré au sein même du CoBAT, et qui aurait vocation à s’appliquer dans toutes les hypothèses où des besoins impérieux d’intérêt général rendraient nécessaire que la procédure d’instruction et de délivrance d’un permis soit rythmée par des délais plus brefs que ceux prévus par le droit commun. Ainsi, il s’agirait d’organiser dans le respect du droit international et européen, et de l’article 23 de la Constitution en particulier, une procédure dérogatoire qui aurait vocation à s’appliquer à tous les projets répondant à des critères généraux et abstraits, établis préalablement par le législateur, critères qui, quand ils sont rencontrés, permettraient de justifier, spécialement au regard du principe d’égalité et de non-discrimination, qu’il soit recouru à une procédure plus rapide ou différente que celle généralement applicable.
Il appartiendrait alors au Gouvernement, sur la base des éléments concrets propres à un projet spécifique, d’établir que, dans le cas d’espèce, les critères prévus par le législateur sont effectivement remplis et qu’il est ainsi satisfait aux conditions mises par le même législateur au recours à la procédure dérogatoire accélérée.
Un tel système limiterait ainsi les écueils relevés ci-avant, à tout le moins ceux liés au respect du principe d’égalité et de non-discrimination, ainsi qu’au défaut de prévisibilité de la norme et au manque de sécurité juridique » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-
Capitale, 2022-2023, A-751/1, pp. 51-52).
B.21.2. L’exposé des motifs de l’ordonnance attaqué répond à cette observation du Conseil d’État :
« Quant aux principes d’égalité et de non-discrimination, il a été longuement exposé, et le Conseil d’État les reprend, les motifs pour lesquels la situation à laquelle la STIB et la Région de Bruxelles-Capitale sont confrontées depuis juin 2021, est pour le moins exceptionnelle et unique. Il en est d’autant plus ainsi que les enjeux, techniques, financiers et de délais à résoudre ou limiter ne justifient pas, selon l’appréciation discrétionnaire du Gouvernement régional, de suivre le droit commun qui prolongerait, de manière totalement indue, la procédure de permis permettant une reprise de chantier par une technique adaptée.
On n’aperçoit pas, vu ce contexte tout à fait particulier, de ‘ dérive ’, ni de risque de répétition. À cet égard, l’opinion du Conseil d’État repose sur une sorte de préjugé, chaque situation étant en réalité distincte (voir précisément la situation du site de l’OTAN précitée).
On n’aperçoit pas non plus l’insécurité juridique qui en résulterait, puisqu’il s’agit d’une législation ‘ one shot ’ qui, fera peut-être l’objet d’un contentieux, mais ne suscitera pas des contentieux en cascade puisqu’elle ne s’appliquera qu’une seule fois.
On notera également à cet égard que le Conseil d’État ne pointe pas que la protection des tiers, notamment des riverains et des personnes intéressées, est entièrement maintenue (par
33
notamment l’enquête publique), mais même renforcée par des mécanismes tels que la réunion d’information du public.
Certes, insérer dans le CoBAT un régime plus général pour des projets d’intérêt régional est un idéal, mais reste théorique, car l’adoption d’une législation aussi ambitieuse nécessite de plus amples consultations et prendrait un temps incompatible avec la situation à régler. Il a au demeurant été indiqué dans l’exposé des motifs que le texte présenté pourrait servir de ‘ législation à l’essai ’ en vue précisément d’une éventuelle insertion, plus structurelle, d’un régime similaire dans le CoBAT.
Pour tous ces motifs, on n’aperçoit pas en quoi la résolution du cas particulier du Palais du Midi par une ordonnance spécifique qui lui est uniquement applicable, constituerait une violation du principe d’égalité [et de non-]discrimination par rapport à des situations semblables puisque celles-ci n’existent pas. Bien plus, appliquer le CoBAT tel quel violerait les principes d’égalité et de non-discrimination, lesquels impliquent également de traiter des situations distinctes de manière différente et non de manière identique.
Pour l’ensemble de ces motifs, pris isolément ou cumulativement, il faut constater que le principe d’égalité n’est pas méconnu » (ibid., pp. 13-14).
B.21.3. De surcroît, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient, dans ses mémoires, qu’il n’existe pas de situation comparable au cas d’espèce, et en particulier que le chantier de la ligne de métro « Nord-Albert » ne peut pas être comparé aux demandes de permis d’urbanisme, introduites par des particuliers, pour un projet portant sur un terrain privé.
À l’appui de cette analyse, il fait valoir que :
- le projet répond à des impératifs d’intérêt général, qui ne sont pas habituellement poursuivis par des particuliers;
- le projet est porté par un organisme d’intérêt public bruxellois exploitant l’unique réseau de métro et de prémétro bruxellois;
- le chantier, lié à la réalisation de la ligne de métro « Nord-Albert », se trouve dans une impasse technique;
- il est nécessaire de mettre en œuvre les objectifs régionaux et européens poursuivis, sans retard supplémentaire;
34
- l’aboutissement du chantier ne concerne pas un nombre d’individus limité, mais l’ensemble de la Région;
- les conséquences de l’arrêt du chantier concerné ne sont pas comparables à celles de l’arrêt des chantiers portant sur les projets réalisés par les autres demandeurs, étant donné que l’arrêt du chantier concerné affecte lourdement l’espace public local et la mobilité de plusieurs quartiers.
B.22.1. Il ne faut pas confondre différence et non-comparabilité. Les caractéristiques particulières du projet porté par la STIB et le contexte dans lequel ce projet a été conçu peuvent certes constituer un élément dans l’appréciation d’une différence de traitement, mais ils ne sauraient suffire pour conclure à la non-comparabilité, au risque de vider de sa substance le contrôle exercé au regard du principe d’égalité et de non-discrimination.
B.22.2. Certes, les caractéristiques que décrit le Gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale ne se retrouvent en principe pas dans les projets qui sont portés par des particuliers et qui ont vocation à être réalisés sur un terrain privé. Toutefois, contrairement à ce que soutient le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, la catégorie de personnes qui est comparée à la STIB, lorsqu’elle agit en tant que maître d’ouvrage du projet concerné, n’est pas restreinte aux particuliers qui réalisent un projet d’une ampleur limitée sur un terrain privé, mais elle inclut tous les demandeurs de permis d’urbanisme qui sont tenus de recourir à la procédure mise en place par le CoBAT, qu’il s’agisse de personnes physiques ou de personnes morales et que leur statut soit privé ou public – y compris la STIB, pour les autres projets pour lesquels elle demanderait un permis d’urbanisme.
B.22.3. S’il est vrai que les caractéristiques du projet concerné par l’ordonnance attaquée sont exceptionnelles, elles ne sont pas pour autant uniques en leur genre et elles ne justifient dès lors pas la mise en place d’un régime applicable à une autorisation administrative pour un projet particulier.
En effet, d’autres projets répondant à des impératifs d’intérêt général sont susceptibles de concerner un nombre de personnes élevé et, en cas de retard ou de blocages dans l’aboutissement du chantier, d’affecter lourdement l’espace public local et la mobilité de
35
plusieurs quartiers. En fonction de facteurs tels que la taille du projet, sa localisation, l’importance de sa réalisation pour l’intérêt général, le nombre de personnes concernées, la nature des difficultés de réalisation subies et les délais qui doivent être tenus, l’on peut notamment penser à certains travaux de grande ampleur relatifs aux autres stations de métro et aux stations de prémétro, aux gares et au réseau ferroviaires, aux tunnels routiers, aux viaducs et aux piétonniers. En dehors du domaine de la mobilité, des projets tels que la construction d’une station de traitement des eaux usées, d’une centrale électrique, d’un gazoduc, d’une ligne à haute tension, d’un incinérateur de déchets, d’un stade de sport ou encore de bâtiments destinés à accueillir une organisation internationale poursuivent également des objectifs impérieux d’intérêt général. Dans certains cas, leur réalisation est susceptible de bénéficier à l’ensemble de la Région et, en cas de retard, d’affecter lourdement l’espace public local et les quartiers concernés. Ces projets peuvent être portés dans le cadre de partenariats public-privé ou, le cas échéant, par des personnes morales de droit privé.
B.22.4. Les considérations qui ressortent des travaux préparatoires et des mémoires des parties ne permettent dès lors pas de justifier la différence de traitement créée par l’ordonnance attaquée.
B.23. Il s’ensuit que le second moyen est fondé en ce qu’il est pris de la violation du principe d’égalité et de non-discrimination. L’ordonnance attaquée doit être annulée.
Quant au maintien des effets
B.24. Compte tenu des lourdes conséquences que l’arrêt du chantier concerné a sur l’espace public local et sur la mobilité dans la Région de Bruxelles-Capitale, des conséquences budgétaires et du temps nécessaire pour que le législateur ordonnanciel réexamine l’opportunité de mettre en place un régime dérogatoire et, le cas échéant, d’adopter une nouvelle législation et afin de ne pas causer des retards supplémentaires, il convient, en application de l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, de maintenir les effets de l’ordonnance annulée.
36
Par ces motifs,
la Cour
- annule l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 5 octobre 2023 « instituant une procédure d’instruction spécifique d’une demande de permis d’urbanisme relative à la déconstruction de l’intérieur du Palais du Midi et à la modification du permis délivré par le fonctionnaire délégué de la Région de Bruxelles-Capitale le 24 mai 2019 à la Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles »;
- maintient les effets de l’ordonnance annulée.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 16 janvier 2025.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 3/2025
Date de la décision : 16/01/2025
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

- Annulation - Maintien des effets de l'ordonnance annulée

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - le recours en annulation de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 5 octobre 2023 « instituant une procédure d'instruction spécifique d'une demande de permis d'urbanisme relative à la déconstruction de l'intérieur du Palais du Midi et à la modification du permis délivré par le fonctionnaire délégué de la Région de Bruxelles-Capitale le 24 mai 2019 à la Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles », introduit par l'ASBL « Inter-Environnement Bruxelles » et l'ASBL « Atelier de Recherche et d'Action Urbaines ». Aménagement du territoire - Région de Bruxelles-Capitale - Technique de fondation du tunnel du métro sous le Palais du Midi (STIB) - Démolition totale de l'intérieur du Palais du Midi - Permis d'urbanisme - Procédure dérogatoire


Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2025
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2025-01-16;3.2025 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award