Cour constitutionnelle
Arrêt n° 157/2024
du 19 décembre 2024
Numéro du rôle : 8118
En cause : le recours en annulation de la loi du 7 avril 2023 « portant modification de la loi du 11 décembre 1998, relative à la classification et aux habilitations, attestations et avis de sécurité », introduit par la Centrale générale du personnel militaire et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Emmanuelle Bribosia et Willem Verrijdt, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 6 décembre 2023 et parvenue au greffe le 7 décembre 2023, un recours en annulation de la loi du 7 avril 2023
« portant modification de la loi du 11 décembre 1998, relative à la classification et aux habilitations, attestations et avis de sécurité » (publiée au Moniteur belge du 9 juin 2023) a été introduit par la Centrale générale du personnel militaire, Yves Huwart, Vincent Bordignon, Wilfrid Decru, Wesley Claeys et Carine Flamend, assistés et représentés par Me Philippe Vande Casteele, avocat au barreau d’Anvers.
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Bart Martel et Me Anneleen Van De Meulebroucke, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire, les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse et le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 25 septembre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures Joséphine Moerman et Emmanuelle Bribosia, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une
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telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
À la suite de la demande des parties requérantes à être entendues, la Cour, par ordonnance du 9 octobre 2024, a fixé l’audience au 6 novembre 2024.
À l’audience publique du 6 novembre 2024 :
- ont comparu :
. Me Philippe Vande Casteele, pour les parties requérantes;
. Me Bart Martel, Me Sietse Wils et Me Ellen Caen, avocats au barreau de Bruxelles, également loco Me Anneleen Van De Meulebroucke, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteures Joséphine Moerman et Emmanuelle Bribosia ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité
En ce qui concerne l’intérêt des parties requérantes
A.1.1. Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième parties requérantes invoquent leur qualité de membre du personnel du ministère de la Défense et estiment justifier d’un intérêt à leur recours, dès lors qu’en cette qualité, elles sont soumises à l’application des dispositions attaquées. Elles exposent, entre autres, que, du fait de ces dispositions, un avis de sécurité négatif peut être rendu à leur égard, entraînant de plein droit une suspension dans l’intérêt du service. Elles considèrent que leur intérêt découle également de la circonstance que la loi attaquée entrave l’action de lanceurs d’alerte au sein du ministère de la Défense.
A.1.2.1. La première partie requérante, la Centrale générale du personnel militaire (ci-après : la CGPM), maintient qu’elle poursuit l’objectif de défendre les intérêts de ses membres et de mener toutes les actions nécessaires pour défendre la place du militaire dans la Nation. Elle fait valoir qu’elle est agréée par l’arrêté royal du 17 décembre 1990 pour l’application de la loi du 11 juillet 1978 « organisant les relations entre les autorités publiques et les syndicats du personnel militaire » (ci-après : la loi du 11 juillet 1978).
A.1.2.2. La première partie requérante estime justifier d’un intérêt légitime à l’annulation des dispositions attaquées, en ce que ces dernières compromettent les conditions de son implication dans le fonctionnement des services publics, telles qu’elles découlent de la loi du 11 juillet 1978, plus particulièrement en exposant les délégués syndicaux à différentes mesures au rang desquelles figure, entre autres, la suspension de plein droit à la suite d’un avis de sécurité négatif. Elle observe que les autorités pourraient prendre en considération les points de vue défendus par un délégué syndical avant d’émettre un avis de sécurité négatif et que les organisations syndicales n’ont pas la possibilité d’introduire un recours contre un tel avis. Elle estime que son intérêt découle également de
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la circonstance que les amendements déposés par le Gouvernement qui ont conduit aux dispositions attaquées n’ont pas été soumis au comité de négociation, visé aux articles 2 et 6 de la loi du 11 juillet 1978. Elle fait valoir que lui refuser un accès à la Cour contreviendrait à l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et au droit de l’Union européenne, dès lors qu’elle ne disposerait pas, dans ce cas, d’un recours effectif lui permettant de contester la violation de ses prérogatives syndicales. Elle demande à la Cour de poser à la Cour européenne des droits de l’homme une question sur cette problématique, en application du Protocole n° 16 à la Convention européenne des droits de l’homme, et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.
A.1.3. La sixième partie requérante invoque sa qualité d’avocat et estime que les dispositions attaquées portent atteinte à l’exercice de sa profession. Elle puise notamment son intérêt de ce qu’un avocat n’a pas la possibilité d’assister un membre du personnel du ministère de la Défense pendant la procédure susceptible de mener à la suspension de plein droit de ce membre du personnel, de ce que la procédure de recours prévue dans les dispositions attaquées n’est pas transparente, de ce qu’il n’existe aucun recours effectif contre les décisions de l’Organe de recours et de ce que l’accès au dossier est sujet à des restrictions.
A.1.4. Toutes les parties requérantes estiment que leur intérêt au recours ressort également de ce qu’un avis de sécurité négatif peut être délivré en ce qui concerne les membres du personnel du ministère de la Défense dans l’hypothèse où ceux-ci seraient susceptibles de porter atteinte, par leur environnement, à certains intérêts ou à l’intégrité physique de personnes. Elles relèvent qu’un syndicat, un délégué syndical, un avocat ou un autre membre du personnel ou ancien membre du personnel du ministère de la Défense peuvent être considérés comme relevant de l’environnement du membre du personnel concerné.
A.1.5. À l’appui de leur intérêt, les parties requérantes ont adressé à la Cour, le 12 juin 2024, un courrier sollicitant la prise de mesures d’instruction. Elles demandent à la Cour de s’adresser au Conseil des ministres et au ministre de la Défense afin qu’ils produisent « la directive, rédigée par le Conseil national de sécurité »
concernant « le contenu et la portée des enquêtes de sécurité », évoquée dans un courrier du ministre de la Défense du 27 mai 2024 adressé à l’avocat des parties requérantes.
A.2. Selon le Conseil des ministres, le recours est à tout le moins partiellement irrecevable, à défaut d’intérêt.
A.3.1.1. En ce qui concerne la première partie requérante, le Conseil des ministres renvoie à l’arrêt de la Cour n° 84/2002 du 8 mai 2002 (ECLI:BE:GHCC:2002:ARR.084) et en déduit que cette partie, en tant qu’association de fait, n’a pas en principe la capacité requise pour introduire un recours en annulation, à moins qu’elle agisse dans des matières pour lesquelles elle est légalement reconnue comme formant une entité juridique distincte et que, alors qu’elle est également associée en tant que telle au fonctionnement de services publics, les conditions mêmes de son association à ce fonctionnement sont en cause. Selon lui, les dispositions attaquées ne portent pas atteinte au respect des conditions légales de l’association de la première partie requérante au fonctionnement des services publics. Il soutient que celle-ci ne justifie dès lors pas d’un intérêt. Si la Cour devait considérer que la première partie requérante justifie d’un intérêt, le Conseil des ministres soutient, à titre subsidiaire, que cet intérêt ne saurait tout au plus être admis que dans le cadre des premier et quatrième moyens.
A.3.1.2. En ce qui concerne la suggestion, faite par la première partie requérante, de poser des questions à la Cour européenne des droits de l’homme et à la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil des ministres relève que ni l’article 142 de la Constitution ni l’article 2 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, pas plus que la jurisprudence développée par la Cour quant à l’intérêt des organisations syndicales représentatives, n’empêchent la première partie requérante d’introduire un recours en annulation contre une disposition légale qui aurait pour effet d’affecter ses prérogatives d’organisation syndicale représentative. Il fait valoir à cet égard qu’un tel recours ne peut évidemment aboutir que dans l’hypothèse où la partie requérante parvient à l’introduire de manière recevable et à développer des moyens fondés. Il considère qu’il n’y a aucune raison de s’écarter de ces exigences, qui constituent le fondement de toute procédure, au bénéfice de la partie requérante, au seul motif qu’elle est une organisation syndicale représentative. Selon lui, il ne saurait dès lors être question d’une violation des normes de référence citées par la première partie requérante dans les questions qu’elle a suggérées et, toujours selon lui, il n’y a pas lieu de poser ces questions. En ce qui concerne la question préjudicielle à poser à la Cour de justice, le Conseil des ministres ajoute qu’elle ne porte pas sur l’interprétation ni sur la validité du droit de l’Union européenne, mais sur la validité du droit interne, ce pour quoi la Cour de justice n’est selon lui pas compétente.
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A.3.2. En ce qui concerne les deuxième, troisième, quatrième et cinquième parties requérantes, le Conseil des ministres allègue qu’elles n’exposent pas de manière suffisante en quoi la loi attaquée les affecterait directement et défavorablement. Les conséquences d’un avis de sécurité négatif dont ces parties tirent argument sont d’après lui purement hypothétiques en ce qui les concerne, étant donné qu’elles négligent d’indiquer des éléments concrets dont il ressortirait qu’un avis de sécurité négatif peut être délivré à leur encontre.
A.3.3. En ce que la sixième partie requérante affirme que les dispositions attaquées l’empêchent, en tant qu’avocat, d’assister un client dans le cadre de la procédure susceptible de conduire à une suspension de plein droit, le Conseil des ministres estime que cette critique s’apparente davantage à un préjugé sur l’application concrète de la loi attaquée. Il souligne que les dispositions attaquées, contrairement à ce qu’avancent les parties requérantes, n’excluent pas l’application du principe général du droit de l’obligation d’audition dans le cadre de la délivrance de l’avis de sécurité, et il signale que ces dispositions n’excluent pas non plus l’assistance d’un avocat dans le cadre de la procédure de recours devant l’organe de recours. Selon lui, le fait qu’un avocat puisse, dans un cas spécifique et individuel, ne pas avoir accès à toutes les pièces du dossier n’entrave pas l’exercice de la profession d’avocat. Il renvoie à cet égard à la jurisprudence de la Cour.
A.3.4. Enfin, le Conseil des ministres estime que le recours en annulation ne peut être recevable que dans la mesure où les dispositions attaquées concernent le personnel militaire du ministère de la Défense, dès lors que les parties requérantes ne s’estiment préjudiciées par ces dispositions que dans la mesure où celles-ci s’appliquent au personnel militaire.
En ce qui concerne la recevabilité des moyens et des griefs soulevés
A.4.1. Le Conseil des ministres fait valoir que les parties requérantes ne formulent des moyens et des griefs que contre les articles 44, 45, 46, 47, 48 et 49 de la loi du 7 avril 2023 « portant modification de la loi du 11 décembre 1998, relative à la classification et aux habilitations, attestations et avis de sécurité » (ci-après : la loi du 7 avril 2023) et il estime que le recours en annulation n’est, pour cette raison, recevable que dans la mesure où
il vise ces articles.
A.4.2. Le Conseil des ministres soutient également que les critiques développées par les parties requérantes dans leurs moyens ne sont pas dirigées, sinon dans une large mesure, au moins en partie, contre le contenu des dispositions de la loi du 7 avril 2023, mais plutôt contre l’application concrète qui pourrait en être faite. Il souligne qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier la constitutionnalité ou la légalité de décisions qui doivent encore être prises en application des dispositions attaquées et que le recours en annulation, en ce qu’il porte sur l’application qui pourrait être faite de cette loi, n’est pas recevable.
A.4.3. Enfin, le Conseil des ministres allègue que les parties requérantes mentionnent plusieurs normes de référence dans leurs moyens, mais qu’elles n’expliquent pas en quoi les dispositions attaquées seraient contraires à ces normes. Il estime que les moyens invoqués ne sont pas recevables, en ce qu’ils sont pris de la violation de normes de référence dont les parties requérantes n’exposent pas en quoi ces normes seraient violées par les dispositions attaquées.
A.4.4. Les parties requérantes répondent qu’elles sollicitent l’annulation de la loi du 7 avril 2023, et non donc l’annulation de décisions qui pourraient être prises en application de celle-ci. Par ailleurs, elles répondent que leurs moyens portent effectivement sur la loi du 7 avril 2023 considérée dans son intégralité et que certaines dispositions de celle-ci doivent être annulées parce qu’elles sont indissociablement liées à d’autres dispositions devant être annulées. En outre, il ressort selon elles du mémoire du Conseil des ministres que celui-ci a compris leurs griefs et leurs moyens. Enfin, elles répliquent que l’action de la sixième partie requérante en sa qualité d’avocat ne se borne pas à fournir une assistance au personnel militaire du ministère de la Défense.
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Quant aux moyens
En ce qui concerne le premier moyen
A.5. Le premier moyen est pris de la violation des articles 2 et 6 de la loi du 11 juillet 1978 et des articles 10, 11, 13, 22, 23, 26 et 27 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6, 8, 10, 11, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 7, 8, 12, 28 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après : la Charte), avec l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec les articles 5 et 6 de la Charte sociale européenne révisée, avec l’article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, avec les Conventions de l’Organisation internationale du travail (ci-après : l’OIT) nos 87, 98 et 154, avec le principe général du droit à un recours effectif, avec la liberté d’association professionnelle et avec le droit de négociation collective.
Les parties requérantes critiquent le fait que les amendements du Gouvernement qui ont abouti aux dispositions relevant du chapitre IIIbis (« Des attestations de sécurité et des avis de sécurité ») de la section 2
(« Règles spécifiques pour le ministère de la Défense ») de la loi du 11 décembre 1998 « relative à la classification, aux habilitations de sécurité, attestations de sécurité, avis de sécurité et au service public réglementé » (ci-après :
la loi du 11 décembre 1998), tels qu’ils ont été insérés par la loi du 7 avril 2023, n’ont pas été soumis au comité de négociation visé dans la loi du 11 juillet 1978.
A.6.1. Les parties requérantes exposent qu’aux termes de l’article 2, § 1er, de la loi du 11 juillet 1978, les autorités compétentes ne peuvent, en l’absence d’une négociation préalable avec les syndicats représentatifs, établir aucun avant-projet de loi ni aucun projet d’arrêté d’exécution réglant le recrutement, les droits et les obligations des militaires, ainsi que leur avancement. Elles indiquent que l’article 6, alinéa 2, de la loi du 11 juillet 1978 dispose que, si un avant-projet de loi ou un projet d’arrêté d’exécution est soumis à l’avis de la section de législation du Conseil d’État, il doit être accompagné du protocole du comité de négociation, lequel doit également être joint au projet de loi déposé au Parlement.
A.6.2. Les parties requérantes interprètent la jurisprudence de la Cour en ce sens que celle-ci est compétente pour apprécier la constitutionnalité de dispositions légales, quoiqu’uniquement quant à leur contenu, à l’exclusion donc de leur élaboration. Elles n’en sont pas moins d’avis que le premier moyen qu’elles invoquent doit être déclaré recevable, en ce que son irrecevabilité entraînerait la violation du droit à un recours effectif. Elles estiment que l’article 142 de la Constitution et l’article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle n’excluent pas que la Cour annule une disposition légale lorsque son élaboration a été entachée par la violation d’un article du titre II de la Constitution. Elles relèvent que les normes de référence mentionnées dans le moyen garantissent la liberté syndicale et le droit à la négociation collective.
A.6.3. Si le premier moyen devait être considéré comme étant irrecevable, les parties requérantes demandent à la Cour de poser une question de principe à la Cour européenne des droits de l’homme, en application du Protocole n° 16 à la Convention européenne des droits de l’homme, et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.
A.7.1. Le Conseil des ministres estime tout d’abord que le premier moyen n’est pas recevable, étant donné que la Cour n’est pas compétente pour statuer sur l’élaboration d’une norme législative. Il relève que la Cour a notamment déjà considéré qu’elle n’était pas compétente pour contrôler l’existence ou non d’une consultation des syndicats.
A.7.2. En ce qui concerne les questions à la Cour européenne des droits de l’homme et à la Cour de justice de l’Union européenne suggérées par les parties requérantes, le Conseil des ministres fait valoir que ni l’article 142
de la Constitution ni l’article 2 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, pas plus que la jurisprudence développée par la Cour en ce qui concerne l’élaboration d’une loi, n’empêchent une organisation syndicale représentative d’introduire un recours en annulation contre une réglementation légale qui aurait pour conséquence d’affecter ses prérogatives d’organisation syndicale représentative. Selon lui, il ne saurait dès lors être question d’une violation des normes de référence citées par la première partie requérante dans les questions qu’elle a suggérées, et, toujours selon lui, il n’y a pas lieu de poser ces questions. En juger autrement impliquerait en outre qu’il faille comprendre ces normes de référence en ce sens que tout État lié par celles-ci devrait prévoir une possibilité de recours en
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annulation contre une disposition légale, quod non, et que ce recours doit pouvoir passer par le contrôle non seulement quant au contenu des dispositions légales, mais également quant à leur élaboration, quod certe non. En ce qui concerne la question préjudicielle, suggérée, à la Cour de justice, le Conseil des ministres ajoute qu’elle porte sur la validité du droit interne, ce pour quoi la Cour de justice n’est pas compétente.
A.7.3. Le Conseil des ministres ajoute que le premier moyen n’est pas recevable parce que la Cour n’est pas compétente pour apprécier la conformité d’une loi à une autre loi. Il estime que les parties requérantes demandent à la Cour de contrôler la loi du 7 avril 2023 au regard de celle du 11 juillet 1978.
A.7.4. Le Conseil des ministres fait également valoir que le premier moyen n’est pas recevable dans la mesure où il est pris de la violation de normes autres que les articles 2 et 6 de la loi du 11 juillet 1978, puisque les parties requérantes n’exposent pas de manière précise, dans leur requête, en quoi chacune des normes de référence mentionnées au moyen serait violée. Il indique qu’il n’est pas suffisant d’invoquer la violation de ces normes sans développer cette violation in concreto.
A.8.1. Si la Cour devait considérer que le premier moyen est recevable, le Conseil des ministres estime que ce moyen n’est pas fondé. Il déduit de l’article 4, alinéa 1er, 1°, de la loi du 23 avril 2010 « portant exécution temporaire de l’organisation des relations entre les autorités publiques et les syndicats du personnel militaire » (ci-
après : la loi du 23 avril 2010) que la négociation prévue à l’article 2, § 1er, de la loi du 11 juillet 1978 et la concertation prévue à l’article 7, §§ 1er et 3, de cette loi ne sont pas exigées lorsque la mesure à prendre se rapporte à l’organisation de la sécurité et de la défense nationales. Il considère que les dispositions attaquées visent à protéger la sécurité du ministère de la Défense et, par extension, du pays tout entier, de sorte que, sur la base de la loi du 23 avril 2010, aucune négociation syndicale n’était exigée préalablement à l’adoption des dispositions attaquées.
A.8.2. Le Conseil des ministres insiste encore sur le fait que les dispositions attaquées ne visent pas à limiter la liberté syndicale, qu’elles n’ont aucunement pour but de violer l’article 15, § 3, alinéa 2, de la loi du 11 juillet 1978, dont il découle que les délégués syndicaux ne peuvent pas faire l’objet d’une mesure statutaire ou d’une punition disciplinaire pour les actes qu’ils accomplissent en cette qualité et qui sont directement liés aux prérogatives syndicales qu’ils exercent, que la simple circonstance qu’un membre du personnel du ministère de la Défense est membre d’un syndicat n’entraîne pas en soi une vérification de sécurité, et encore moins un avis de sécurité négatif, qu’un avis de sécurité négatif doit être motivé en fait et en droit, qu’une décision concluant à un avis de sécurité négatif est susceptible de recours et que le Comité permanent de contrôle des services de renseignements et de sécurité (ci-après : le Comité permanent R) contrôle le fonctionnement du Service général du renseignement et de la sécurité (ci-après : le SGRS) du ministère de la Défense. Il déduit de tous ces éléments que les dispositions attaquées n’entraînent nullement une atteinte à la liberté syndicale, à la liberté d’expression et au droit à la concertation et à la négociation collectives.
A.9.1. Les parties requérantes répondent que le Conseil des ministres invoque à tort la loi du 23 avril 2010.
Elles soulignent que l’article 4 de cette loi oblige le ministre ou le président du comité concerné à constater qu’un des cas visés aux alinéas 1er ou 2 se présente, et à envoyer une notification y afférente et motivée par pli recommandé à la poste aux syndicats représentatifs. Dès lors que le Conseil des ministres ne fournit pas de données en la matière, les parties requérantes, dans leur mémoire en réponse, demandent à la Cour de prendre une mesure d’instruction afin de vérifier si les exigences formelles précitées ont été respectées. En outre, elles prennent argument de ce que la loi du 23 avril 2010, conformément à son article 105, n’est plus en vigueur et de ce que la loi attaquée du 7 avril 2023 n’est pas une loi qui se rapporte à l’organisation de la sécurité ou de la défense nationales. Enfin, elles relèvent que le ministre compétent a déclaré, lors des travaux préparatoires, que le projet de loi avait bien été négocié avec les syndicats.
A.9.2. En ce qui concerne la demande d’une prise de mesures d’instruction, le Conseil des ministres estime qu’il convient de la rejeter, dès lors que la Cour n’est pas compétente pour apprécier le mode d’élaboration de la loi attaquée. Pour le surplus, le Conseil des ministres répond que la loi du 23 avril 2010 n’a pas cessé de produire ses effets, que l’on n’aperçoit pas pourquoi les dispositions attaquées ne porteraient pas sur l’organisation de la sécurité ou de la défense nationales, et que les parties requérantes font une interprétation erronée des travaux préparatoires, puisque la concertation syndicale dont il est question dans ceux-ci se rapportait au plan d’action de prévention et de lutte contre l’extrémisme au sein du ministère de la Défense.
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En ce qui concerne le deuxième moyen
A.10. Le deuxième moyen est pris de la violation de la loi du 3 décembre 2017 « portant création de l’Autorité de protection des données » (ci-après : la loi du 3 décembre 2017), en particulier de ses articles 4, 23 et 26, et des articles 10, 11, 13, 22, 23, 26 et 27 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les 6, 8, 10, 11, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 7, 8, 12, 28 et 47 de la Charte, avec les articles 7 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec les articles 5 et 6 de la Charte sociale européenne révisée, avec l’article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, avec les Conventions de l’OIT nos 87, 98 et 154, avec le principe général du droit à un recours effectif, avec la liberté syndicale, avec le droit de négociation collective et avec l’article 36 du règlement (UE) 2016/679
du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 « relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive n° 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) » (ci-après : le RGPD).
Les parties requérantes critiquent le fait que les amendements du gouvernement ayant abouti aux dispositions relevant du chapitre IIIbis (« Des attestations de sécurité et des avis de sécurité »), section 2 (« Règles spécifiques pour le ministère de la Défense ») de la loi du 11 décembre 1998, tels qu’ils ont été insérés par la loi du 7 avril 2023, n’ont pas été soumis pour avis à l’Autorité de protection des données.
A.11.1. Les parties requérantes exposent que les normes de référence mentionnées au moyen garantissent le droit au respect de la vie privée, la liberté syndicale, le droit à la négociation collective et la liberté d’expression.
Elles déduisent de l’article 36, paragraphe 4, du RGPD que les États membres de l’Union européenne doivent consulter l’autorité de contrôle lorsqu’ils élaborent une proposition comportant une mesure législative à avaliser par le Parlement national ou une mesure réglementaire fondée sur cette dernière, qui est en lien avec le traitement de données à caractère personnel. Étant donné que les amendements, précités, du gouvernement n’ont pas été soumis pour avis à l’Autorité de protection des données, les dispositions attaquées contreviennent selon elles aux normes de référence mentionnées au moyen.
A.11.2. Les parties requérantes estiment que l’on ne saurait invoquer l’irrecevabilité du deuxième moyen, puisqu’une déclaration d’irrecevabilité de celui-ci entraînerait la violation des articles 6, 8, 10, 11, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 36 du RGPD.
A.12.1. Le Conseil des ministres estime que le deuxième moyen n’est pas recevable, pour plusieurs raisons.
A.12.2.1. D’après lui, le deuxième moyen n’est pas recevable au motif, entre autres, que la Cour n’est pas compétente pour contrôler l’élaboration de dispositions législatives. Il renvoie à l’arrêt de la Cour n° 26/2023 du 16 février 2023 (ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.026) et en déduit que la Cour a admis des exceptions à l’incompétence de principe précitée, plus précisément lorsque les règles qui contribuent à déterminer le mode d’élaboration des lois doivent être considérées comme des règles répartitrices de compétences, comme des règles contribuant au respect de la loyauté fédérale ou comme des règles visant à garantir les droits et libertés qui sont reconnus par le titre II ou par les articles 170, 172 et 191 de la Constitution. Il faut selon lui en conclure que la Cour est compétente pour contrôler l’élaboration de dispositions législatives, pour autant que les prescriptions en lien avec l’élaboration de la norme attaquée telles qu’elles sont exposées dans la requête puissent être assimilées à des normes de référence au regard desquelles la Cour peut procéder à un contrôle.
A.12.2.2. Le Conseil des ministres estime que la prescription invoquée en l’espèce quant à l’élaboration des dispositions attaquées ne peut être assimilée à une norme de référence au regard de laquelle la Cour peut procéder à un contrôle.
D’après lui, les parties requérantes n’établissent pas, dans l’exposé de leur moyen, le moindre lien entre la violation présumée de l’obligation de consultation préalable de l’Autorité de protection des données et une disposition du titre II de la Constitution. Cela dit, quand bien même l’on comprendrait le moyen en ce sens qu’il invoque également la violation de l’article 22 de la Constitution, il faudrait, d’après le Conseil des ministres, le déclarer irrecevable, étant donné qu’aucune des dispositions qui sont invoquées en combinaison avec cet article de la Constitution ne contient une obligation de consulter l’Autorité de protection des données préalablement à l’élaboration des dispositions attaquées. Si l’article 36, paragraphe 4, du RGPD prévoit effectivement une obligation de consultation de l’autorité de contrôle nationale compétente, le Conseil des ministres n’en est pas moins d’avis que cet article n’est pas applicable en l’espèce, étant donné que l’article 4, paragraphe 2, du Traité sur l’Union européenne (ci-après : le TUE) dispose que la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de
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chaque État membre et que la disposition attaquée se rapporte à la sécurité nationale. Les articles 4, 23 et 26 de la loi du 3 décembre 2017 ne prévoient pas non plus, selon lui, une obligation de consulter l’Autorité de protection des données.
Le Conseil des ministres estime en outre que l’article 2, alinéa 2, de la loi du 30 juillet 2018 « relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel » (ci-après : la loi du 30 juillet 2018), lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 2, a), du RGPD, ne conduit pas à une autre conclusion. Il considère que ces dispositions ne peuvent s’interpréter en ce sens que l’obligation de consultation de l’Autorité de protection des données lors de l’élaboration de la loi découlerait tout de même, en l’espèce, de l’article 36, paragraphe 4, du RGPD, même si la loi attaquée concerne la sécurité nationale et que cette matière, conformément à l’article 4, paragraphe 2, du TUE reste de la seule responsabilité de chaque État membre. Il relève tout d’abord à ce sujet que les parties requérantes n’ont pas mentionné, dans l’exposé du deuxième moyen, la loi du 30 juillet 2018, de sorte que la Cour ne peut en tenir compte dans l’appréciation du moyen. Ensuite, il fait valoir qu’une disposition nationale ne peut modifier une disposition du droit de l’Union ou en élargir le champ d’application. Aussi l’article 2 de la loi du 30 juillet 2018 ne peut-il être lu en ce sens qu’il modifierait le RGPD, en contravention de l’article 4, paragraphe 2, du TUE. Pour autant que l’on admette en droit interne que les règles matérielles du RGPD s’appliquent également dans le cadre d’activités étrangères au champ d’application du droit de l’Union européenne, ce n’est pas du fait de ce dernier. Il souligne que l’article 2 de la loi du 30 juillet 2018 est une disposition légale et que l’on ne saurait partir du principe qu’une telle disposition vise à garantir les droits et libertés qui sont reconnus par le titre II de la Constitution. Il rappelle à cet égard que la Cour n’est pas compétente pour contrôler une loi au regard d’autres dispositions légales.
A.12.3. Le Conseil des ministres estime ensuite que le deuxième moyen est irrecevable, à tout le moins partiellement, parce que la Cour n’est pas compétente pour contrôler les normes législatives au regard d’autres normes de même nature. Il estime que le moyen est principalement pris de la violation des articles 4, 23 et 26 de la loi du 3 décembre 2017 et que la Cour n’est pas compétente pour procéder à un tel contrôle.
A.12.4. Le Conseil des ministres fait enfin valoir que le deuxième moyen n’est pas recevable, en ce qu’il est pris de la violation de normes de référence dont les parties requérantes n’exposent pas en quoi elles seraient violées par les dispositions attaquées.
A.13.1. À supposer que la Cour juge que le deuxième moyen est recevable, le Conseil des ministres estime qu’il n’est pas fondé. Il fait tout d’abord valoir que les parties requérantes ne démontrent pas que le simple fait de ne pas consulter l’Autorité de protection des données constituerait une ingérence dans la vie privée des personnes dont les données sont traitées en vertu des dispositions attaquées. À cela s’ajoute, d’après lui, qu’il ne ressort d’aucune des dispositions dont la violation est alléguée au moyen qu’il y aurait eu lieu de consulter l’Autorité de protection des données.
A.13.2. S’il fallait considérer que le RGPD est applicable en l’espèce, cette norme n’exige par ailleurs pas, selon le Conseil des ministres, la consultation de l’Autorité de protection des données au sujet des dispositions attaquées. Il déduit des articles 36, paragraphe 4, 51, paragraphe 1, et 57, paragraphe 1, c), du RGPD qu’il appartient aux États membres de l’Union européenne de déterminer, sur la base de leur droit national, les pouvoirs publics qui interviennent en tant qu’autorité de contrôle. Il remarque que les articles 106 et 107 de la loi du 30 juillet 2018 prévoient des dispositions spécifiques pour le traitement de données à caractère personnel dans le cadre d’habilitations, attestations et avis de sécurité visés dans la loi du 11 décembre 1998. Il relève ensuite que les articles 128 à 131 de la loi du 30 juillet 2018, par dérogation à la loi du 3 décembre 2017, désignent le Comité permanent R comme autorité de contrôle compétente. Il en conclut que c’est ce comité, et non l’Autorité de protection des données, qui est l’autorité de contrôle compétente en l’espèce. Cela ressort d’ailleurs également de l’article 4 de la loi du 3 décembre 2017. Ainsi, les dispositions attaquées ne sauraient violer les articles 4, 23 et 26
de la loi du 3 décembre 2017, qui concernent l’Autorité de protection des données.
A.13.3. Si la Cour devait comprendre le deuxième moyen en ce sens que, contrairement à ce qui est expressément dit dans la requête, est alléguée l’absence de consultation de l’autorité de contrôle compétente, le Conseil des ministres souligne que l’avis de l’organe de recours du 14 septembre 2022 qui a été sollicité lors de l’élaboration des dispositions attaquées constitue également l’avis du Comité permanent R et que le texte de cet avis en fait clairement état. Il fait valoir que le ministre de la Défense a effectivement introduit auprès du président du Comité permanent R, qui cumule au surplus la fonction de président du Comité de recours, une demande d’avis au sujet des projets d’amendements du Gouvernement modifiant la loi du 11 décembre 1998.
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A.14.1. Les parties requérantes répondent qu’elles ont effectivement allégué la violation de dispositions du titre II de la Constitution dans le deuxième moyen. En outre, elles contestent la thèse selon laquelle le RGPD ne serait pas applicable en l’espèce et elles renvoient à cet égard à un avis de la section de législation du Conseil d’État. Elles démentent également l’affirmation selon laquelle les dispositions attaquées porteraient uniquement sur la sécurité nationale et elles maintiennent qu’il existait une obligation de consultation de l’autorité de contrôle compétente. Elles font également valoir que le Comité permanent R est compétent pour contrôler le traitement des données à caractère personnel, mais que c’est l’Autorité de protection des données qui est compétente pour délivrer des avis dans toutes les matières impliquant un traitement de données à caractère personnel. En ce qui concerne l’avis de l’organe de recours du 14 septembre 2022, les parties requérantes font valoir qu’elles n’en avaient pas connaissance. Elles estiment que cet avis n’a été soumis ni à la Chambre des représentants ni au Conseil d’État.
A.14.2. Le Conseil des ministres conteste la position des parties requérantes selon laquelle l’instance compétente pour délivrer des avis en la matière serait l’Autorité de protection des données, et non le Comité permanent R.
A.15. Par un courrier adressé le 29 avril 2024 à la Cour, les parties requérantes demandent à celle-ci de prendre des mesures d’instruction en ce qui concerne la seconde pièce jointe par le Conseil des ministres à son mémoire en réplique, intitulée « Prise de connaissance de l’avis de l’Organe de recours le 19 septembre 2022 ».
Elles exposent que cette pièce concerne un échange de courriels entre des personnes ou services et que les noms des personnes concernées et les adresses électroniques ont été caviardés. Elles sollicitent de la Cour qu’elle prenne une mesure d’instruction en vue de rendre apparents les noms et les adresses électroniques concernés. Elles demandent également que soient fournis à la Cour les documents originaux, le contenu des courriels particuliers mentionnés par le Conseil des ministres dans la pièce qu’il a déposée, ainsi que les annexes à ces courriels.
En ce qui concerne le troisième moyen
A.16. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10, 11, 19, 22, 26 et 27 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6, 8, 10, 12 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’obligation d’audition, avec le principe audi alteram partem, avec les principes de diligence et de précaution, avec l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE), avec la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 « sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union » (ci-après : la directive (UE) 2019/1937), en particulier ses articles 10, 22 et 23, et avec la Charte, en particulier ses articles 7, 8, 47, 48 et 52.
A.17. Dans le troisième moyen, en sa première branche, les parties requérantes critiquent l’article 22sexies/2
de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 47 de la loi du 7 avril 2023, en ce qu’une vérification de sécurité peut reposer, entre autres, sur des faits en lien avec la personne ou avec son comportement.
Elles renvoient à l’article 2 de l’arrêté royal du 8 mai 2018 « déterminant la liste des données et informations qui peuvent être consultées dans le cadre de l’exécution d’une vérification de sécurité » (ci-après : l’arrêté royal du 8 mai 2018) et en déduisent que les données figurant dans le registre de la population et dans le registre des étrangers, dans le registre national et dans le registre d’attente peuvent également être prises en considération.
D’après elles, cela permet aux autorités publiques qui désapprouvent le mariage d’un membre du personnel du ministère de la Défense avec une personne de nationalité étrangère de fonder un avis de sécurité négatif sur ce mariage. Ainsi, les dispositions attaquées entraveraient le droit au mariage, tel qu’il est garanti par l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme.
A.18.1. Le troisième moyen, en sa deuxième branche, vise l’article 22sexies/4, §§ 1er et 3, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 49 de la loi du 7 avril 2023. Les parties requérantes soutiennent que cette disposition contreviendrait aux articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec le principe audi alteram partem, avec l’obligation d’audition, avec les articles 8 et 12 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec le principe de diligence.
A.18.2. Les parties requérantes exposent que la disposition attaquée a pour conséquence que le retrait ou le refus du consentement à la vérification de sécurité par la personne concernée, la notification d’un avis négatif et l’absence de réponse à la demande de consentement à une vérification de sécurité mettent fin à la procédure de recrutement et d’engagement, à la formation, à la procédure de nomination et à la possibilité pour la personne concernée de continuer à exercer une fonction ou un emploi visés à l’article 22sexies/2, alinéa 1er, de la loi du
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11 décembre 1998. Elles affirment ensuite que cette disposition prévoit également que la notification d’un avis de sécurité négatif à un membre du personnel du ministère de la Défense entraîne de plein droit la suspension de ce dernier dans l’intérêt du service.
Elles dénoncent le fait que les mesures précitées déploient leurs effets sans que la personne concernée ait le droit d’être entendue. Elles font valoir à cet égard que le législateur déroge en cela à la règle énoncée aux articles 51
et 57 de la loi du 28 février 2007 « fixant le statut des militaires et candidats militaires du cadre actif des forces armées ».
A.19.1. Dans le troisième moyen, en sa troisième branche, les parties requérantes soutiennent que l’article 22sexies/4, §§ 1er et 3, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 49 de la loi du 7 avril 2023, constitue une entrave pour les lanceurs d’alerte dans la dénonciation publique d’actes répréhensibles au travail. Elles estiment que le signalement de tels actes pourrait être interprété en ce sens que le lanceur d’alerte ne présente pas des garanties d’intégrité suffisantes dans un contexte militaire, ce qui peut entraîner une suspension de plein droit sans que le militaire concerné ait le droit d’être entendu. Selon elles, le législateur aurait dû préserver les lanceurs d’alerte des mesures énoncées dans la disposition attaquée. Elles déduisent de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que les lanceurs d’alerte peuvent tirer protection de la liberté d’expression, telle qu’elle est garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
A.19.2. Les parties requérantes estiment que la loi attaquée déroge de manière déraisonnable à la règle énoncée dans la loi du 8 décembre 2022 « relative aux canaux de signalement et à la protection des auteurs de signalement d’atteintes à l’intégrité dans les organismes du secteur public fédéral et au sein de la police intégrée »
(ci-après : la loi du 8 décembre 2022). Elles exposent que cette loi transpose la directive (UE) 2019/1937 et que l’une comme l’autre interdisent certaines représailles à l’encontre des lanceurs d’alerte, notamment la suspension, la mise à pied, le licenciement et le refus de promotion (article 28 de la loi et article 10 de la directive). Elles relèvent que la directive précitée dispose également que les États membres veillent à ce que les lanceurs d’alerte jouissent pleinement des droits de la défense, y compris le droit d’être entendus et le droit d’accéder à leur dossier (article 22 de la directive). Elles épinglent encore les articles 40 et 41 de la loi du 8 décembre 2022, adoptés en exécution de l’article 23 de la directive, qui prévoient des sanctions disciplinaires et des sanctions pénales pour les personnes qui exercent des représailles contre les lanceurs d’alerte. Elles contestent le point de vue du Conseil des ministres selon lequel la directive (UE) 2019/1937 et la loi du 8 décembre 2022 ne pourraient trouver à s’appliquer et renvoient à cet égard à l’article 3, paragraphe 2, de la directive et à l’article 4 de la loi, dont elles déduisent que les règles relatives aux lanceurs d’alerte s’appliquent à des signalements de violations des règles relatives aux marchés publics comportant des aspects touchant à la défense ou à la sécurité. Elles s’opposent également au point de vue du Conseil des ministres selon lequel aucun point de rattachement avec le droit de l’Union européenne n’a été démontré. D’après les parties requérantes, les mesures décrites dans la disposition attaquée doivent être qualifiées de sanctions, de conséquences, de représailles et de mesures qu’interdit la loi du 8 décembre 2002. Elles estiment que la différence de traitement ainsi créée au détriment des membres du personnel du ministère de la Défense n’est pas raisonnablement justifiée.
A.20. Le troisième moyen, en sa quatrième branche, est dirigé contre l’article 22sexies/3, § 4, alinéa 3, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 48 de la loi du 7 avril 2023. Les parties requérantes critiquent la circonstance qu’un avis de sécurité négatif est motivé en fait et en droit, conformément à l’article 22, alinéa 5, de la loi du 11 décembre 1998. Elles déduisent de l’article 22, alinéas 5 et 6, de cette loi que la motivation en question est soumise à des restrictions, étant donné qu’aucune information dont la communication serait susceptible de porter atteinte à certains intérêts ne peut être citée dans la motivation. Elles en concluent qu’un lanceur d’alerte n’a pas accès à son dossier ou qu’il n’y a qu’un accès restreint. Elles estiment que la disposition attaquée viole l’article 22 de la directive (UE) 2019/1937, aux termes duquel les États membres doivent veiller à ce que le lanceur d’alerte jouisse pleinement du droit d’accéder à son dossier. Elles sont d’avis que la disposition attaquée viole également l’article 8 de la Charte, aux termes duquel toute personne a le droit d’accéder aux données à caractère personnel la concernant. Elles évoquent la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et en déduisent que le droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte exige en principe que l’intéressé puisse prendre connaissance des motifs sur lesquels se fonde la décision le concernant.
A.21. Le troisième moyen, en sa cinquième branche, vise l’article 22sexies/4, §§ 1er, 3 et 4, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 49 de la loi du 7 avril 2023. Les parties requérantes allèguent
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que la disposition attaquée viole la présomption d’innocence des lanceurs d’alerte. Elles font valoir que les mesures décrites dans cette disposition sont immédiatement exécutoires, même en cas de recours introduit devant l’organe de recours. Elles estiment que la disposition attaquée viole ainsi l’article 22 de la directive (UE) 2019/1937, qui dispose que les États membres doivent veiller à ce que les lanceurs d’alerte jouissent pleinement de la présomption d’innocence.
A.22. Le Conseil des ministres fait tout d’abord valoir que le troisième moyen n’est pas recevable, en ce qu’il est pris de la violation de normes de référence dont les parties requérantes n’exposent pas en quoi elles seraient violées par la disposition attaquée.
A.23.1. En ce qui concerne le troisième moyen, en sa première branche, le Conseil des ministres soutient, quant au fond, que la disposition attaquée n’empêche en aucune manière un mariage avec une personne de nationalité étrangère. Il relève que seuls le numéro de registre national et le lieu de naissance de l’époux apparaissent lors de la consultation du registre national, à l’exclusion donc de la nationalité. Il estime enfin que la critique des parties requérantes s’appuie sur des procès d’intention purement hypothétiques qu’aucun élément ne vient étayer.
A.23.2. En ce qui concerne le troisième moyen, en sa deuxième branche, le Conseil des ministres fait valoir que le principe de l’obligation d’audition constitue un principe de bonne administration qui vise l’administration et donc non le législateur proprement dit. Il est d’avis que le législateur peut choisir de ne pas régler expressément l’obligation d’audition, auquel cas le principe de bonne administration sort ses pleins effets. Le simple fait qu’une disposition normative ne prévoit pas expressément l’aménagement d’une audition n’exclut pas, d’après lui, l’applicabilité de ce principe général. Il relève toutefois que ce dernier n’implique pas un droit d’audition absolu, étant donné qu’il faut le mettre en balance avec l’intérêt général et avec la continuité du service. Il souligne enfin que les critiques des parties requérantes ne visent pas la disposition attaquée en soi, mais ses applications futures, ce qui leur confère un caractère tout à fait prématuré et hypothétique.
A.23.3. En ce qui concerne le troisième moyen, en sa troisième branche, le Conseil des ministres observe tout d’abord que la législation sur les lanceurs d’alerte n’est pas applicable, du moins en partie, puisque la directive (UE) 2019/1937 ne s’applique pas en matière de sécurité nationale. Il fait valoir en outre que la loi du 8 décembre 2022 ne s’applique pas à des données classifiées ni à des matières touchant à la sécurité nationale.
Dans la mesure où l’argumentation des parties requérantes porte sur des signalements de lanceurs d’alerte ne relevant pas des domaines précités, le Conseil des ministres estime que la disposition attaquée n’empêche pas les lanceurs d’alerte de dénoncer des pratiques illicites. Il relève que les signalements d’un lanceur d’alerte via le canal de signalement interne ne sont pas transmis au SGRS, ce qui rend impossible la délivrance d’un avis de sécurité négatif sur la base du signalement d’un lanceur d’alerte. La mesure de suspension d’un membre du personnel du ministère de la Défense dans l’intérêt du service ne saurait, d’après le Conseil des ministres, être qualifiée de représailles à l’encontre d’un lanceur d’alerte. Du reste, l’article 28 de la loi du 8 décembre 2022 n’autorise pas de telles représailles. Il met encore en exergue que la loi du 11 décembre 1998 énumère de manière exhaustive des données qui peuvent être consultées et évaluées dans le cadre d’une vérification de sécurité (article 22sexies, § 1er, alinéa 1er).
A.23.4. En ce qui concerne le troisième moyen, en sa quatrième branche, le Conseil des ministres expose que la disposition attaquée prévoit expressément que la décision du chef du SGRS relative à l’avis de sécurité négatif doit systématiquement être motivée en droit et en fait, dans le respect du prescrit de l’article 22, alinéa 5, de la loi du 11 décembre 1998. Il relève que, contrairement à ce que prétendent les parties requérantes, la disposition attaquée ne renvoie pas à l’article 22, alinéa 6, de la loi du 11 décembre 1998. Il interprète le renvoi à l’article 22, alinéa 5, de cette loi en ce sens qu’un avis de sécurité négatif doit toujours identifier les motifs sur lesquels il se fonde, à moins qu’il s’agisse de raisons dont la communication serait susceptible de porter atteinte aux intérêts mentionnés dans cet article. Dans la mesure où est invoquée la violation de l’article 8 de la Charte, le Conseil des ministres estime que le moyen n’est pas recevable, puisque les parties requérantes ne démontrent pas l’existence d’un critère de rattachement de leur situation à la mise en œuvre du droit de l’Union européenne. Cela étant, même à admettre la recevabilité du moyen sur ce point, le Conseil des ministres estime qu’il n’est pas question d’une violation. Il souligne que la loi prévoit de manière suffisante la restriction du droit d’accéder aux données et estime que des motifs de sécurité et de confidentialité la justifient raisonnablement.
A.23.5. En ce qui concerne le troisième moyen, en sa cinquième branche, le Conseil des ministres observe que l’effet immédiat des mesures décrites dans les dispositions attaquées n’est pas exceptionnel et que les décisions
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administratives similaires, comme l’évaluation négative d’un membre du personnel, produisent également un tel effet, et ce sur la base du privilège du préalable. Les décisions administratives revêtent d’après lui un caractère immédiatement obligatoire, contraignant et exécutoire, l’introduction d’un recours n’impliquant pas en soi une suspension du caractère exécutoire. Il estime également qu’il n’est pas question d’une violation de l’article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 22 de la directive (UE) 2019/1937.
En ce qui concerne le quatrième moyen
A.24. Le quatrième moyen est pris de la violation, par l’article 22sexies/4, §§ 1er et 3, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 49 de la loi du 7 avril 2023, des articles 10, 11, 13, 22, 23, 26
et 27 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6, 8, 10, 11, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 7, 8, 12, 28 et 47 de la Charte, avec l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec les articles 5 et 6 de la Charte sociale européenne révisée, avec l’article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, avec les Conventions de l’OIT nos 87, 98 et 154, avec la liberté syndicale, avec le principe général du droit à un recours effectif et avec le droit d’être entendu.
A.25.1. Les parties requérantes critiquent la disposition attaquée, en ce que la mesure qui y est décrite peut être exécutée sans intervention du comité du contentieux visé dans la loi du 11 juillet 1978. Elles relèvent que l’expression de points de vue syndicaux par un délégué syndical peut entraîner la délivrance d’un avis de sécurité négatif. Il en découle, selon elles, que la disposition attaquée viole la liberté syndicale, la liberté d’expression et le principe d’égalité et de non-discrimination. En ce qui concerne ce dernier principe, elles estiment que rien ne justifie raisonnablement l’absence d’intervention préalable du comité du contentieux. Elles réitèrent, dans le cadre de leur quatrième moyen, que la personne concernée n’a pas le droit d’être entendue, mais renvoient cette fois à l’article 86 de l’arrêté royal du 3 décembre 2006 « portant exécution de la loi du 11 juillet 1978 organisant les relations entre les autorités publiques et les syndicats du personnel militaire » (ci-après : l’arrêté royal du 3 décembre 2006).
A.25.2. Les parties requérantes exposent que la loi du 11 juillet 1978 prévoit qu’aucune mesure ne peut être prise à l’égard d’une organisation syndicale sans l’avis préalable du comité du contentieux (article 16, § 3) et que les délégués syndicaux, dans le cadre de l’exercice de prérogatives syndicales, ne peuvent pas faire l’objet d’une mesure statutaire ou d’une punition disciplinaire (article 15, § 3, alinéas 1 et 2). Elles font également valoir que le syndicat impliqué dans le différend ou ayant demandé la réunion du comité du contentieux doit être présent en séance (article 82 de la loi du 23 avril 2010). Elles invoquent également l’article 86 de cet arrêté et relèvent que cette disposition garantit que le comité du contentieux entend le délégué syndical concerné et que la mesure envisagée à son égard ne peut être prise qu’après obtention de l’avis de ce comité.
A.26. Le Conseil des ministres estime tout d’abord que le quatrième moyen n’est pas recevable, en ce qu’il est pris de la violation de normes de référence dont les parties requérantes n’exposent pas en quoi elles seraient violées par la disposition attaquée.
A.27. Quant au fond, le Conseil des ministres estime que le quatrième moyen s’appuie sur des suspicions infondées et purement hypothétiques relatives à l’application de la disposition attaquée. Il n’aperçoit pas de quoi les parties requérantes déduisent que la disposition attaquée exclurait l’application de l’article 16, § 3, de la loi du 11 juillet 1978. Il souligne à cet égard qu’elle s’applique à tous les membres du personnel du ministère de la Défense, sans donc viser en particulier les syndicats et leurs délégués. Dans la mesure où les parties requérantes critiquent l’absence du droit à être entendu, le Conseil des ministres renvoie à l’argumentation qu’il a développée dans le cadre du troisième moyen. Il souligne que l’avis de sécurité négatif n’est pas délivré d’office, mais repose toujours sur une appréciation individuelle dans un dossier concret.
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En ce qui concerne le cinquième moyen
A.28. Le cinquième moyen est pris de la violation des articles 10, 11, 22, 23, 26 et 27 de la Constitution par l’article 22sexies/4, §§ 1er et 3, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 49 de la loi du 7 avril 2023.
A.29. Dans le cinquième moyen, en sa première branche, les parties requérantes critiquent le fait que la disposition attaquée associe des conséquences lourdes à un retrait ou à un refus du consentement par la personne concernée à une vérification de sécurité, à une notification à cette personne d’un avis de sécurité négatif et à l’absence de réponse à une demande de consentement en vue d’une vérification de sécurité, alors que l’article 22, alinéa 4, de la loi du 11 décembre 1998 n’associe pas de telles conséquences au retrait d’une habilitation de sécurité par les autorités compétentes. Elles estiment que la disposition attaquée introduit de la sorte une différence de traitement non justifiée et qu’elle viole le principe d’égalité et de non-discrimination.
A.30. Dans le cinquième moyen, en sa seconde branche, les parties requérantes critiquent le fait qu’une absence de consentement par la personne concernée à une vérification de sécurité et une notification à cette personne d’un avis de sécurité négatif mettent fin à la procédure de recrutement et d’engagement, à la formation, à la procédure de nomination et à la possibilité pour la personne concernée de continuer à exercer une fonction ou un emploi tels que visés à l’article 22sexies/2, alinéa 1er, de la loi du 11 décembre 1998, alors que le retrait par la personne concernée du consentement à une enquête de sécurité n’entraîne pas de telles conséquences. Elles observent que, selon l’article 16, § 1er, alinéa 3, de la loi du 11 décembre 1998, la personne qui ne consent plus à faire l’objet d’une enquête de sécurité ou à détenir une habilitation de sécurité peut à tout moment retirer son accord. Elles estiment que la disposition attaquée fait naître une différence de traitement non justifiée et qu’elle viole le principe d’égalité et de non-discrimination.
A.31. Le Conseil des ministres estime tout d’abord que le cinquième moyen, en ce qu’il est pris de la violation des articles 22, 23, 26 et 27 de la Constitution, n’est pas recevable, dès lors que les parties requérantes n’exposent pas en quoi la disposition attaquée violerait ces normes de référence.
A.32.1. Dans la mesure où le cinquième moyen serait recevable, le Conseil des ministres l’estime non fondé.
Selon lui, les catégories de personnes que les parties requérantes comparent ne sont pas comparables. Il renvoie à cet égard aux travaux préparatoires et en déduit que le législateur a expressément jugé qu’il convenait d’établir une distinction entre une vérification de sécurité et une habilitation de sécurité. Il expose que l’habilitation de sécurité vise à protéger des informations classifiées et que pareille habilitation peut uniquement être obtenue par des personnes qui ont besoin de ces informations pour l’exercice de leur fonction. C’est la raison pour laquelle ces personnes font l’objet d’une enquête de sécurité visant à vérifier qu’elles présentent des garanties suffisantes en matière de loyauté, d’intégrité et de confidentialité pour avoir accès à des documents classifiés. Il souligne que l’enquête menée dans ce contexte est bien plus approfondie et ciblée que celle prévue dans le cadre d’une vérification de sécurité. Il ajoute que l’objectif d’une vérification de sécurité consiste par contre à sélectionner et à conserver les collaborateurs du ministère de la Défense dont le comportement et l’environnement sont compatibles avec les exigences de sécurité du ministère de la Défense. D’après lui, cette vérification doit garantir que l’accès privilégié aux armes, aux formations spécialisées, aux informations sensibles et aux infrastructures spécifiques ne puisse pas faire l’objet d’abus et ainsi créer des risques de sécurité pour le citoyen. La circonstance que ces deux mesures exigent une enquête relative au comportement de la personne concernée n’implique pas, d’après lui, que les deux catégories de personnes visées par les parties requérantes soient comparables.
A.32.2. À supposer qu’il faille admettre que les catégories visées sont effectivement comparables, le Conseil des ministres estime que les différences de traitement critiquées sont raisonnablement justifiées. Il rappelle que la procédure de vérification de sécurité s’inscrit dans un plan d’action plus large du ministère de la Défense visant à prévenir et à combattre l’extrémisme, et il estime que les effets liés à un avis de sécurité négatif sont nécessaires pour atteindre cet objectif. Il fait valoir que les dispositions attaquées garantissent que les membres du personnel du ministère de la Défense peuvent compter, dans l’exercice de leurs missions, sur le niveau de sécurité le plus élevé, que les partenariats du ministère de la Défense, aux échelles nationale et internationale, conservent leur pertinence et que la société dans son ensemble peut compter sur la fiabilité et sur l’intégrité du personnel de ce ministère.
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A.32.3. Vu l’objectif poursuivi par la procédure de vérification de sécurité, le Conseil des ministres estime qu’il est nécessaire que les membres du personnel qui se trouvent dans les situations visées à l’article 22sexies/2, alinéa 2, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 47 de la loi du 7 avril 2023, soient suspendus dans leur fonction, étant donné qu’ils mettent en péril le bon fonctionnement du ministère de la Défense ainsi que la sécurité des autres membres du personnel de ce ministère et de la société. Il indique que les dispositions attaquées prévoient une possibilité de mobilité vers un autre service public. Il souligne par ailleurs qu’une vérification de sécurité ne vise pas à réprimer les comportements illicites, mais à garantir la sauvegarde des intérêts protégés par la loi du 11 décembre 1998. D’après le Conseil des ministres, la situation est différente pour ce qui est de l’habilitation de sécurité qui est exigée pour avoir accès à des documents classifiés. Lorsque le membre du personnel concerné n’obtient pas d’habilitation de sécurité, il n’est pas nécessaire qu’il quitte le ministère de la Défense.
En ce qui concerne le sixième moyen
A.33. Le sixième moyen est pris de la violation, par les articles 22sexies/1 et 22sexies/4 de la loi du 11 décembre 1998, tels qu’ils ont été insérés par les articles 46 et 49 de la loi du 7 avril 2023, des articles 10, 11, 13, 22, 23, 26 et 27 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6, 8, 10, 11, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 8 et 47 de la Charte, avec les droits de la défense et avec les articles 77 et 78 du RGPD.
A.34.1. Les parties requérantes exposent que les dispositions attaquées désignent l’organe de recours visé dans la loi du 11 décembre 1998 « portant création d’un organe de recours en matière d’habilitations, d’attestations et d’avis de sécurité » (ci-après : la loi du 11 décembre 1998 relative à l’organe de recours) comme instance compétente pour prendre connaissance de tout recours dirigé contre un avis de sécurité négatif. Elles exposent en substance que la désignation de cet organe de recours viole les droits de la défense et le droit à un recours effectif, dès lors que la procédure devant l’organe de recours n’est pas transparente et qu’aucun pourvoi en cassation n’est ouvert devant le Conseil d’État à l’encontre des décisions de cet organe.
A.34.2. En ce qui concerne le manque de transparence allégué, les parties requérantes font valoir que les justiciables et leur conseil ne peuvent introduire en connaissance de cause un recours devant l’organe de recours contre un avis de sécurité négatif, puisque l’article 7, § 2, de la loi du 11 décembre 1998 relative à l’organe de recours dispose que cet organe doit prendre les mesures internes nécessaires pour préserver le caractère confidentiel du dossier. Elles en déduisent que le justiciable et son conseil n’ont pas accès à tout le dossier. Elles critiquent également le fait que la notification de la décision de l’organe de recours au demandeur ne peut, conformément à l’article 9, alinéa 3, de la loi précitée, inclure aucune information dont la communication serait susceptible de porter atteinte aux intérêts mentionnés dans cette disposition.
A.34.3. Les parties requérantes critiquent également le fait que les décisions de l’organe de recours ne sont pas susceptibles de recours. Elles estiment qu’il découle des articles 8 et 47 de la Charte qu’une autorité indépendante doit veiller au respect des règles en matière de protection des données à caractère personnel et qu’il doit être possible d’introduire un recours contre les décisions de l’autorité de contrôle. Elles font valoir que l’organe de recours intervient en tant qu’autorité de contrôle au sens de l’article 8 de la Charte et elles estiment dès lors qu’il faudrait pouvoir introduire auprès d’une instance juridictionnelle ayant la pleine juridiction un recours dirigé contre les décisions de cet organe. Elles sont d’avis que le recours en cassation devant le Conseil d’État ne constitue pas un recours effectif en droit, étant donné qu’un tel recours ne passe pas par une appréciation au fond de l’affaire. Étant donné que la violation d’un droit fondamental constitue une discrimination, elles estiment que les dispositions attaquées violent également le principe d’égalité et de non-discrimination.
A.35. Le Conseil des ministres estime tout d’abord que le sixième moyen n’est pas recevable, en ce qu’il est pris de la violation de normes de référence dont les parties requérantes n’exposent pas en quoi elles seraient violées par les dispositions attaquées. En ce qui concerne la violation alléguée des articles 8 et 47 de la Charte, le Conseil des ministres soutient que les parties requérantes ne démontrent pas l’existence d’un point de rattachement entre leur situation et la mise en œuvre du droit de l’Union européenne. Pour ces motifs, il estime que le moyen est irrecevable.
A.36.1. À supposer le sixième moyen recevable, il n’est, selon le Conseil des ministres, pas fondé. Il relève que la Cour a déjà jugé que l’organe de recours constituait une juridiction indépendante et impartiale qui prend en dernière instance des décisions juridictionnelles de pleine juridiction. Il rappelle également que la Cour a déjà jugé
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qu’en dehors des affaires pénales, il n’existe aucun principe général qui exigerait un double degré de juridiction.
Selon lui, le droit à un procès équitable exige uniquement la possibilité de soumettre une décision administrative à un contrôle a posteriori par une juridiction de pleine juridiction. L’absence d’une possibilité de recours contre les décisions que prononce l’organe de recours à la suite d’une procédure contradictoire ne viole pas les articles 10, 11, 22 et 23 de la Constitution et les articles 6, 8 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il renvoie à cet égard à l’arrêt n° 14/2006 de la Cour du 25 janvier 2006 (ECLI:BE:GHCC:2006:ARR.014). Le Conseil des ministres souligne encore que la section du contentieux administratif du Conseil d’État a confirmé que l’organe de recours était une juridiction administrative qui tranchait les contestations en dernier ressort et que ses décisions pouvaient faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. Aussi estime-t-il que les dispositions attaquées ne violent pas les droits de la défense, le droit à un recours effectif et les garanties d’un recours juridictionnel effectif.
A.36.2. Le Conseil des ministres estime également que les parties requérantes allèguent à tort que la procédure devant l’organe de recours ne serait pas transparente et que les personnes concernées et leur conseil n’auraient pas accès à l’intégralité du dossier. Il estime que cette critique est prématurée et qu’elle ne porte pas en soi sur les dispositions attaquées. Il renvoie aux articles 5, § 3, alinéas 1er et 2, et 7, § 2, de la loi du 11 décembre 1998 relative à l’organe de recours et il constate que rien ne permet de déduire de ces articles que l’accès à tout le dossier serait limité de manière générale. Il renvoie en outre à l’arrêt n° 14/2006 précité de la Cour et en déduit que les critiques des parties requérantes concernant la procédure devant l’organe de recours sont infondées.
En ce qui concerne le septième moyen
A.37. Le septième moyen est pris de la violation, par l’article 22sexies/3, § 4, alinéa 3, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 48 de la loi du 7 avril 2023, des articles 10, 11, 13, 22, 23, 26
et 27 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’obligation générale de motivation formelle, avec la loi du 29 juillet 1991 « relative à la motivation formelle des actes administratifs » (ci-après : la loi du 29 juillet 1991), avec les articles 8, 11, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec les articles 159, 160 et 161 de la Constitution.
A.38.1. Les parties requérantes exposent que, selon les dispositions attaquées, un avis de sécurité négatif est motivé en fait et en droit, conformément à l’article 22, alinéa 5, de la loi du 11 décembre 1998, et que cette dernière disposition prévoit que la notification de la décision ne peut contenir aucune information dont la communication pourrait porter atteinte à certains intérêts. Il en résulte, d’après elles, que le justiciable ne dispose pas des données nécessaires pour évaluer s’il y a lieu d’introduire un recours contre un avis de sécurité négatif. Elles estiment que cette limitation de l’obligation générale de motivation introduite par la loi du 29 juillet 1991 est déraisonnable et discriminatoire.
A.38.2. Les parties requérantes font valoir que le droit à une motivation expresse des actes administratifs constitue une garantie contre les actes administratifs qui seraient pris de manière arbitraire et que ce droit renforce le contrôle juridictionnel de ces actes. Elles considèrent que l’obligation de motivation expresse perdrait son sens si l’administré ne pouvait avoir connaissance des motifs justifiant la décision qu’après l’introduction d’un recours.
Elles déduisent de l’article 6 de la loi du 29 juillet 1991 que les obligations de motivation qui sont moins contraignantes que celles énoncées dans cette loi sont inopérantes.
A.39. Le Conseil des ministres fait valoir que le septième moyen est irrecevable, en ce qu’il est principalement pris de la violation de la loi du 29 juillet 1991 et en ce que la Cour n’est pas compétente pour apprécier la conformité d’une loi à une autre. Selon lui, le septième moyen est également irrecevable en ce qu’il est pris de la violation de normes de référence dont les parties requérantes n’exposent pas en quoi elles seraient violées par la disposition attaquée.
A.40. À supposer que le septième moyen soit recevable, le Conseil des ministres estime qu’il n’est pas fondé.
Il explique qu’un avis de sécurité négatif doit toujours être motivé en fait et en droit, conformément à la disposition attaquée, même si la notification de cet avis ne peut comporter aucune information dont la communication est susceptible de porter atteinte à un des intérêts qu’énumère expressément l’article 22, alinéa 5, de la loi du 11 décembre 1998. Dans le contexte spécifique de cette loi, qui fait systématiquement passer au premier plan la protection de l’intérêt général et de la sécurité nationale, il estime qu’il est justifiable qu’à titre exceptionnel, la notification d’un avis de sécurité négatif ne mentionne pas expressément les motifs de cette décision. Il relève que
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l’article 22, alinéa 5, de la loi du 11 décembre 1998 est une disposition comparable à l’article 4 de la loi du 29 juillet 1991, qui prévoit également des exceptions à l’obligation de motivation, à ceci près que celles qui sont énoncées à l’article 22, alinéa 5, de la loi du 11 décembre 1998 sont plus nombreuses. Ce régime divergent est, selon lui, justifié par la finalité de la loi du 11 décembre 1998 en général et de l’avis de sécurité négatif en particulier.
En ce qui concerne le huitième moyen
A.41. Le huitième moyen est pris de la violation, par l’article 22sexies/2 de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 47 de la loi du 7 avril 2023, des articles 10, 11, 13, 22, 23, 26 et 27 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6, 8, 10, 11, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec le principe du raisonnable, avec le droit au libre choix d’un conseil, avec les articles 7, 8, 12, 28 et 47 de la Charte, avec le RGPD, avec les articles 182 et 190 de la Constitution, avec les Conventions de l’OIT
nos 87, 98 et 154 et avec la liberté syndicale.
A.42.1. Dans le huitième moyen, en sa première branche, les parties requérantes allèguent que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11, lus en combinaison avec l’article 182, de la Constitution, ainsi que l’article 22
de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec les articles 7 et 8 de la Charte, en ce que ne sont pas prévus des critères légaux sur la base desquels il convient de procéder à une évaluation des données consultées dans le cadre de la vérification de sécurité et en ce que le Roi est habilité à arrêter les critères lorsque l’évaluation de l’information disponible ne permet pas de délivrer un avis positif ou négatif sans équivoque.
A.42.2. Dans le huitième moyen, en sa deuxième branche, les parties requérantes allèguent que la disposition attaquée viole l’article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 7 et 8 de la Charte et avec le RGPD, en ce que les termes « comportement »
et « environnement » utilisés sont trop vagues et ne satisfont pas au principe de légalité énoncé dans les normes de référence mentionnées.
A.42.3. Dans le huitième moyen, en sa troisième branche, les parties requérantes prétendent que la disposition attaquée viole le droit au libre choix d’un conseil et le droit au libre choix d’un syndicat, ainsi que le principe d’égalité et de non-discrimination. Elles estiment que le droit au libre choix d’un conseil et d’un syndicat est violé, car la disposition attaquée permet aux autorités, sur la base du terme « environnement » mentionné dans cette disposition, de consulter des données concernant l’avocat, le syndicat et le délégué syndical de la personne concernée et de décider, sur la base des informations obtenues, que l’avocat, le syndicat ou le délégué syndical peut porter atteinte à un des intérêts visés à l’article 3 de la loi du 11 décembre 1998. La violation des droits précités constitue également, selon elles, une violation du principe d’égalité et de non-discrimination. Les parties requérantes critiquent en outre le fait que les personnes qui font partie de l’environnement de la personne concernée ne disposent pas d’un recours contre un avis de sécurité négatif.
A.43. Le Conseil des ministres soutient que le huitième moyen n’est pas recevable, en ce qu’il est pris de la violation de normes de référence dont les parties requérantes n’exposent pas en quoi elles seraient violées par la disposition attaquée.
A.44.1. À supposer que le huitième moyen soit recevable, le Conseil des ministres estime qu’il n’est pas fondé. En ce qui concerne les critères sur la base desquels un avis de sécurité négatif peut être délivré (première branche du moyen), le Conseil des ministres expose que le chef du SGRS procède à un premier examen grâce aux critères déterminés par la loi, en particulier les critères énoncés à l’article 22sexies/2, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 47 de la loi du 7 avril 2023. Il s’agit, selon lui, d’un examen fondé sur les données consultées, à la lumière d’éléments consacrés légalement. En outre, la notion de « données consultées »
est précisée à l’article 22sexies de la loi du 11 décembre 1998 et dans l’arrêté royal du 8 mai 2018. Lorsque l’avis est positif ou négatif sans équivoque à l’issue de l’évaluation de l’information disponible, le chef du SGRS doit, selon le Conseil des ministres, s’adresser au collège, qui doit délivrer un avis au chef du SGRS, à charge pour lui d’en tenir compte dans sa décision finale. Le Conseil des ministres estime qu’il n’y a rien d’illicite à ce que les critères qu’utilise le collège lors de son évaluation n’aient pas déjà été appliqués lors de la première évaluation par le chef du SGRS. Selon lui, les critères que doit encore déterminer le Roi ne sont pas pertinents pour le chef du SGRS, étant donné qu’il existe déjà des critères pour l’évaluation qu’il doit mener, à savoir les critères énoncés dans la loi. Les critères que doit encore arrêter le Roi auraient selon lui pour but de veiller à ce que l’avis de la
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juridiction soit toujours formé de la même manière. Du reste, ces critères n’entraînent pas, selon lui, un avis de sécurité négatif ; celui-ci n’est délivré que sur la base des critères déterminés dans la loi. Par ailleurs, d’après le Conseil des ministres, le législateur peut attribuer au Roi une compétence d’exécution limitée. Il estime que la section de législation du Conseil d’État a dressé le même constat dans son avis relatif à la loi attaquée. Il conclut qu’il n’est pas question d’une violation de l’article 182 de la Constitution.
A.44.2. En ce qui concerne le moyen dans sa deuxième branche, le Conseil des ministres relève tout d’abord que les articles 7, 8, 12, 28 et 47 de la Charte ainsi que le RGPD ne sont pas applicables, à tout le moins partiellement, compte tenu de l’objectif et de l’objet de la législation attaquée en l’espèce. Il fait ensuite valoir que la disposition attaquée satisfait à l’exigence de prévisibilité, étant donné que la personne concernée peut clairement cerner l’existence, la portée et le mode d’exercice de l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée. Il estime en effet que la personne concernée a connaissance, premièrement, du type de données que le chef du SGRS peut consulter, deuxièmement, de la possibilité qu’a ce dernier d’analyser les données consultées et, troisièmement, du fait qu’il ne peut délivrer un avis de sécurité négatif que s’il est satisfait aux critères énoncés dans la disposition attaquée.
Pour le Conseil des ministres, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que, si une disposition légale doit être formulée de manière suffisamment précise, cela ne signifie toutefois pas que le détail de toutes les conditions et procédures régissant l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée soit déterminé dans le droit matériel lui-même. Selon lui, il se déduit également de cette jurisprudence que le degré de précision exigé de la législation concernée dépend entre autres du domaine qui fait l’objet de la réglementation. Il insiste à cet égard sur le fait que la disposition attaquée se rapporte au domaine de la sécurité nationale. Les termes « comportement » et « environnement » doivent s’apprécier selon lui dans le cadre des valeurs de la Défense, qui accorde une importance fondamentale à l’intégrité, à la loyauté, au respect et au courage. Il relève que la section de législation du Conseil d’État n’a émis aucune critique quant à l’utilisation de ces termes dans la disposition attaquée. En ce qui concerne le terme « environnement », il souligne que les travaux préparatoires renvoient aux lieux, organisations, événements et personnes que le membre du personnel concerné choisit de fréquenter. En ce qui concerne le terme « comportement », le Conseil des ministres estime qu’il est suffisamment clair vu le contexte de la disposition attaquée et qu’il convient de lui attribuer sa signification normale. Il ajoute que les conditions et formulations de la disposition légale attaquée qui accompagnent ce terme en précisent les contours, plus concrètement le fait qu’il doit s’agir d’un comportement susceptible de porter atteinte à certains intérêts ou à l’intégrité physique de personnes.
A.44.3. En ce qui concerne le moyen, en sa troisième branche, le Conseil des ministres relève que la disposition attaquée n’a pas pour but de restreindre les membres du personnel du ministère de la Défense dans leurs activités quotidiennes. Il estime que la critique énoncée dans cette branche du moyen est tirée par les cheveux et que les parties requérantes n’exposent pas en quoi le choix d’un avocat ou d’un syndicat est susceptible de porter atteinte à un intérêt mentionné à l’article 3 de la loi du 11 décembre 1998 ou à l’intégrité physique de personnes.
Il insiste sur le fait que l’évaluation qui précède tout avis de sécurité négatif se déroule de manière objective.
L’affirmation des parties requérantes selon laquelle les autorités pourraient entretenir de la méfiance à l’égard d’un syndicat ou prendre ombrage de l’intervention d’un avocat et, pour ces motifs, délivrer un avis de sécurité négatif manque en fait et en droit et tient de la pure spéculation. Dans la mesure où les parties requérantes font encore valoir que les personnes qui appartiennent à l’environnement de la personne concernée ne disposent pas d’un recours contre un avis de sécurité négatif, le Conseil des ministres estime que cette critique est dénuée de tout fondement juridique, étant donné qu’un avis de sécurité négatif n’a de conséquences que pour le membre du personnel concerné et non donc pour les personnes qui appartiennent à son environnement.
En ce qui concerne le nouveau moyen soulevé par les parties requérantes dans leur mémoire en réponse
A.45. Dans leur mémoire en réponse, les parties requérantes invoquent un neuvième moyen, pris de la violation de plusieurs normes de référence. Dans celui-ci, elles critiquent le fait que l’avis de l’organe de recours du 14 septembre 2022 n’ait été transmis ni à la section de législation du Conseil d’État ni à la Chambre des représentants.
A.46. Le Conseil des ministres estime que le moyen n’est pas recevable, étant donné qu’il n’a pas été formulé dans la requête, que la Cour n’est pas compétente pour apprécier une loi au regard d’une autre et que les parties requérantes n’exposent pas en quoi les dispositions attaquées violeraient les normes de référence mentionnées dans le moyen. À supposer que celui-ci soit tout de même jugé recevable, le Conseil des ministres estime qu’il est non fondé. Selon lui, aucune norme n’impose au Conseil des ministres une obligation de soumettre un avis de l’organe
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de recours à la Chambre des représentants. Il fait par ailleurs valoir que l’avis a effectivement été transmis à la Chambre et réitère que le RGPD n’est pas applicable en la matière.
-B-
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.1. À titre principal, les parties requérantes demandent l’annulation de l’intégralité de la loi du 7 avril 2023 « portant modification de la loi du 11 décembre 1998, relative à la classification et aux habilitations, attestations et avis de sécurité » (ci-après : la loi du 7 avril 2023). À titre subsidiaire, elles sollicitent l’annulation des articles 4, 7, 11, 12, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 55 et 59 de la même loi.
B.2. La loi du 7 avril 2023 apporte plusieurs modifications à la loi du 11 décembre 1998
« relative à la classification et aux habilitations, attestations et avis de sécurité », dont elle remplace, en son article 2, l’intitulé par « loi relative à la classification, aux habilitations de sécurité, attestations de sécurité, avis de sécurité et au service public réglementé » (ci-après : la loi du 11 décembre 1998).
Par l’article 2 de la loi du 2 juin 2024 « modifiant la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification, aux habilitations de sécurité, attestations de sécurité, avis de sécurité et au service public réglementé et la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel » (ci-après : la loi du 2 juin 2024), l’intitulé de la loi du 11 décembre 1998 a de nouveau été modifié en « loi du 11 décembre 1998
relative à la classification, aux habilitations de sécurité, aux avis de sécurité et au service public réglementé ». Cette modification est sans incidence sur l’affaire présentement examinée.
B.3. Par la loi du 7 avril 2023, le législateur visait notamment à « renforcer et élargir les vérifications de sécurité à la Défense » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-2443/004, p. 6).
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Les travaux préparatoires indiquent :
« Mme [...], ministre de la Défense, précise que les amendements qui concernent le département de la Défense résultent des événements de mai 2021. L’histoire personnelle de [...], ses opinions extrémistes et le vol d’une quantité considérable d’armes, ont fait de sa disparition un risque sécuritaire majeur pour la société belge.
L’Inspection générale de la Défense a mené, à la demande de la ministre, une enquête interne sur les circonstances qui ont rendu cet événement possible. Parallèlement, le Comité permanent de contrôle des services de renseignement et de sécurité a mené une enquête en raison de l’implication du service de renseignement militaire SGRS et d’autres services de sécurité belges.
Les deux enquêtes ont révélé qu’un certain nombre de dysfonctionnements, internes au département, ont permis qu’une telle situation se produise. Pour y remédier, un plan global d’action de prévention et de lutte contre l’extrémisme au sein de l’organisation a été élaboré par l’État-major à sa demande. Il contient un certain nombre de priorités qui renforceront la politique de lutte contre l’extrémisme.
[...]
La prévention est véritablement au cœur de ce plan d’action, qui vise à protéger l’organisation, ses collaborateurs et sa mission. En ce sens, l’extension du principe des vérifications de sécurité au sein de la Défense est une mesure préventive comme les autres, mais une mesure très importante.
La possibilité de procéder à des vérifications existe déjà. Elles sont prévues par la loi relative à la classification et aux habilitations, attestations et avis de sécurité. Et, c’est donc cette loi que le gouvernement a souhaité amender. En se basant sur ce qui existe déjà en droit, la Défense aura désormais la possibilité d’accéder aux informations présentes dans les bases de données des services de sécurité belges de manière structurelle et encadrée juridiquement.
La volonté du gouvernement est d’étendre ce principe. En effet, bien que des vérifications de sécurité soient déjà effectuées à l’heure actuelle, seuls les candidats à une fonction en tant que militaire au sein de la Défense sont [soumis] à cette vérification. La proposition actuelle prévoit deux changements. Premièrement, les candidats civils seront désormais également soumis à une vérification de sécurité et, deuxièmement, une vérification périodique, une fois tous les cinq ans, au cours de la carrière, sera introduite pour l’ensemble du personnel.
L’extension du système des vérifications de sécurité au sein de la Défense vise à :
- assurer la sécurité du personnel de la Défense et de la société belge;
- permettre à la Défense d’exécuter ses missions légales;
- garantir que la Défense soit, dans le cadre de collaborations nationales et internationales, un partenaire fiable et intègre sur lequel on peut compter.
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La Défense n’est pas une organisation comme les autres. Il s’agit d’une organisation qui peut utiliser la force et qui dispose en outre des moyens nécessaires, létaux, à cette fin. Tout le monde ne peut donc pas avoir accès à cette organisation. L’extension des vérifications a pour but de sélectionner et de retenir les collaborateurs les plus adéquats, civils ou militaires.
L’objectif est de garantir que l’accès privilégié aux armes, aux formations spécialisées, aux informations sensibles et aux infrastructures spécifiques propres à un service de sécurité tel que la Défense ne puisse pas faire l’objet d’abus et ainsi créer des risques de sécurité pour le citoyen.
La ministre rappelle que son ambition est d’augmenter sensiblement le nombre de civils au sein de la Défense. Il est donc important que les civils soient également soumis à des vérifications de sécurité. Des civils sont présents dans toutes les unités et à tous les niveaux de la Défense et ils bénéficient souvent du même accès privilégié que les militaires. Il n’est évidemment pas normal que des civils travaillant pour des firmes extérieures venant par exemple tondre les pelouses dans les quartiers militaires, soient soumis à une vérification, mais que ce ne soit en revanche pas le cas pour les civils qui travaillent pour la Défense.
Une vérification avec un résultat négatif aura évidemment des conséquences. Les candidats civils ne pourront pas commencer à travailler à la Défense, comme c’est déjà le cas pour les candidats militaires. Si, au cours d’une carrière à la Défense, un civil ou militaire reçoit un avis négatif lors d’une vérification, cette personne devra quitter l’organisation.
Des événements tels que celui de mai 2021 ou encore les récentes arrestations en Allemagne, impliquant à la fois des militaires actifs et d’anciens militaires, montrent qu’une institution comme la Défense ne peut faire de compromis en matière de sécurité. Des décisions sévères, comme le licenciement, seront nécessaires dans certains cas. Toutefois, la ministre tient à souligner qu’on mesure les conséquences possibles pour les personnes concernées. C’est pourquoi elle propose d’élaborer une procédure équilibrée et juste.
Le cadre légal déjà existant est privilégié pour pouvoir effectuer les vérifications. Chaque personne concernée pourra donc introduire un recours contre une décision négative via une procédure légalement établie auprès de l’organe de recours en matière d’habilitations, d’attestations et d’avis de sécurité. Ce faisant, le projet prévoit que la personne en question sera informée en détail des moyens de recours à sa disposition.
[...]
La ministre souligne également qu’à l’heure actuelle, environ 70 % des membres du personnel de la Défense disposent déjà d’une habilitation de sécurité, car ils manipulent des documents classifiés ou ont accès à des infrastructures dont l’accès nécessite une habilitation.
L’obtention de cette habilitation se fait après une enquête approfondie qui est beaucoup plus pointue que la procédure dite de vérification de sécurité. L’impact de l’élargissement des vérifications de sécurité doit donc également être considéré dans ce contexte.
[...]
[...] La ministre tient à souligner que les changements proposés ne visent pas seulement à lutter contre l’extrémisme. Ils visent en effet à lutter contre toutes les menaces qui pèsent sur la sécurité intérieure de la Défense, de son personnel, de ses missions et de la coopération avec ses partenaires » (ibid., pp. 6-10).
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B.4.1. La critique des parties requérantes concerne principalement les modifications qu’a apportées la loi du 7 avril 2023 au principe des vérifications de sécurité et elle est essentiellement dirigée contre les articles insérés dans la loi du 11 décembre 1998, chapitre IIIbis (« Des attestations de sécurité et des avis de sécurité »), section 2 (« Règles spécifiques pour le ministère de la Défense »), par les articles 46, 47, 48 et 49 de la loi du 7 avril 2023.
B.4.2. Les articles 46, 47, 48 et 49 de la loi du 7 avril 2023 disposent :
« Art. 46. Dans la section 2, insérée par l’article 45, il est inséré un article 22sexies/1
rédigé comme suit :
‘ Art. 22sexies/1. Pour l’application de la présente section, il y a lieu d’entendre par “ Organe de recours ” l’organe de recours créé par la loi du 11 décembre 1998 portant création d’un organe de recours en matière d’habilitations, d’attestations et d’avis de sécurité.
Dans le cadre de la présente section, le ministère de la Défense est tenu de suivre l’avis de l’Organe de recours ’.
Art. 47. Dans la même section 2, il est inséré un article 22sexies/2 rédigé comme suit :
‘ Art. 22sexies/2. À moins qu’elle ne soit titulaire d’une habilitation de sécurité, toute personne civile ou militaire du cadre actif et du cadre de réserve occupant une fonction ou un emploi au sein du ministère de la Défense, toute personne candidate à une telle fonction ou un tel emploi, tout militaire détaché en dehors du ministère de la Défense, et tout agent civil du ministère de la Défense mis temporairement à la disposition d’un autre service est soumis à la vérification de sécurité visée à l’article 22sexies.
Un avis de sécurité négatif est délivré s’il ressort des données consultées que la personne concernée ne présente pas des garanties suffisantes quant à l’intégrité et est susceptible de porter atteinte par son comportement ou son environnement :
a) à un des intérêts visés à l’article 3; ou
b) à l’intégrité physique des personnes, au moyen de ressources auxquelles elle a accès dans le cadre de l’exercice de ses fonctions.
Le Chef du Service Général du Renseignement et de la Sécurité des Forces armées délivre des avis de sécurité en application de l’alinéa 1er.
Au sein du Service Général du Renseignement et de la Sécurité des Forces armées un collège est créé. Ce collège procède à l’évaluation de l’information disponible lorsque celle-ci ne permet pas de délivrer un avis positif ou négatif sans équivoque. Le collège donne ensuite un avis au Chef du service. Les règles de fonctionnement de ce collège et les critères sur lesquels
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est basée l’évaluation des données consultées afin de déterminer la nature de l’avis de sécurité sont fixés par le Roi ’.
Art. 48. Dans la même section 2, il est inséré un article 22sexies/3 rédigé comme suit :
‘ Art. 22sexies/3. § 1er. Les articles 22quinquies et 22quinquies/1 ne s’appliquent pas à la délivrance des avis de sécurité visée à l’article 22sexies/2.
§ 2. L’officier de sécurité compétent informe la personne concernée visée à l’article 22sexies/2, alinéa 1er, qu’elle tombe sous l’obligation de se soumettre à la vérification de sécurité visée à l’article 22sexies ou que son avis de sécurité positif arrive à échéance en application du paragraphe 6, lui demande son consentement et, s’il l’obtient, transmet la demande individuelle au Chef du Service Général du Renseignement et de la Sécurité des Forces armées, qui effectue la vérification de sécurité.
L’officier de sécurité informe par écrit la personne concernée des conséquences d’un refus de consentement à une vérification de sécurité.
Si l’officier de sécurité compétent omet de s’acquitter de ses obligations visées à l’alinéa 1er, au plus tard trente jours ouvrables avant la date d’échéance de l’avis de sécurité positif de la personne concernée, l’avis de sécurité positif est prolongé sine die.
§ 3. Dans les trente jours de la saisine, l’avis de sécurité délivré par le Chef du Service Général du Renseignement et de la Sécurité des Forces armées est transmis par écrit à l’officier de sécurité compétent. Si l’avis de sécurité est positif, il est également transmis par écrit à la personne concernée.
§ 4. Si l’avis de sécurité est négatif, le Chef du Service Général du Renseignement et de la Sécurité des Forces armées le notifie par envoi recommandé à la personne concernée.
À cette notification est jointe toute information utile sur les conséquences concrètes de l’avis négatif, ainsi que sur les voies de recours à l’encontre de cette décision.
Un avis de sécurité négatif est motivé en fait et en droit, conformément à l’article 22, alinéa 5.
§ 5. Si l’avis de sécurité n’est pas rendu à l’expiration du délai visé au paragraphe 3, il est réputé positif jusqu’à ce qu’un nouvel avis soit rendu.
§ 6. L’avis de sécurité est délivré pour une durée de validité de maximum cinq ans et peut être accompagné d’une réserve. Cette réserve peut être assortie d’une limitation de la durée de validité de l’avis de sécurité.
§ 7. Le Chef du Service Général du Renseignement et de la Sécurité des Forces armées peut de sa propre initiative émettre, avant l’écoulement du délai visé au paragraphe 6, un nouvel avis de sécurité sur la base des données et informations visées à l’article 22sexies.
§ 8. La personne concernée peut à tout moment faire savoir par écrit à l’officier de sécurité compétent qu’elle ne souhaite pas ou plus faire l’objet d’une vérification de sécurité. L’officier
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de sécurité en informe le Chef du Service Général du Renseignement et de la Sécurité des Forces armées.
§ 9. En ce qui concerne les candidats à une fonction ou un emploi visés à l’article 22sexies/2, alinéa 1er, ainsi que les personnes concernées ne disposant pas d’un officier de sécurité, le directeur général de la direction générale human resources du ministère de la Défense exerce le rôle confié à l’officier de sécurité dans le présent article ’.
Art. 49. Dans la même section 2, il est inséré un article 22sexies/4 rédigé comme suit :
‘ Art. 22sexies/4. § 1er. Le retrait ou le refus du consentement par la personne concernée, la notification d’un avis négatif et l’absence de réponse à la demande de consentement visée à l’article 22sexies/3, § 2, dans les deux mois à dater de la réception de la demande mettent fin à:
1° la procédure de recrutement ou d’engagement;
2° la formation;
3° la procédure de nomination; et à
4° la possibilité pour la personne concernée de continuer à exercer une fonction ou un emploi visés à l’article 22sexies/2, alinéa 1er.
La mesure prévue à l’alinéa 1er est maintenue tant que la personne concernée n’est pas titulaire d’un avis de sécurité positif.
§ 2. Le candidat à une fonction ou à un emploi au sein de la Défense qui introduit un recours conserve le droit de participer aux épreuves de sélection dans lesquelles il est engagé pendant la durée de la procédure devant l’organe de recours.
§ 3. Lorsque l’avis de sécurité négatif concerne une personne occupant une fonction ou un emploi au sein du ministère de la Défense, ou une personne détachée, sa notification à la personne concernée entraîne de plein droit la suspension dans l’intérêt du service de la personne concernée.
Les modalités relatives à la période de suspension dans l’intérêt de la Défense, la prise éventuelle de mesures conservatoires pendant cette période de suspension et les conséquences administratives et pécuniaires qui ne sont pas fixées au présent article sont déterminées selon le régime juridique applicable à la relation d’emploi de la personne concernée.
§ 4. La mesure visée au paragraphe 1er devient définitive :
1° à l’issue du délai pendant lequel un recours peut être formé devant l’Organe de recours si la personne concernée n’a pas introduit de recours devant l’Organe de recours;
2° lors de la notification de la décision de l’Organe de recours qui confirme l’avis de sécurité négatif;
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3° en cas de refus ou de retrait de consentement ou en cas d’absence de réponse à la demande de consentement dans les deux mois à dater de la réception de la demande.
Par dérogation à l’alinéa 1er, la mesure visée au paragraphe 1er ne devient pas définitive lorsque :
1° la personne concernée était dans l’impossibilité de répondre à la demande de consentement dans le délai imparti; et
2° elle en apporte la preuve au Chef du Service Général de Renseignement et de la Sécurité des Forces armées, accompagnée du formulaire de consentement signé dans les plus brefs délais après la fin de l’impossibilité; et
3° le Chef du Service Général du Renseignement et de la Sécurité des Forces armées constate l’impossibilité.
Si le Chef du Service Général de Renseignement et de la Sécurité constate qu’il n’y avait pas d’impossibilité de répondre à la demande de consentement dans le délai imparti, il en informe par écrit la personne concernée. Cette décision est susceptible de recours devant l’Organe de recours.
Si une mobilité dans un autre service de la fonction fédérale est possible, la personne concernée conserve son grade ou un grade équivalent, ainsi que les droits, tels que les droits pécuniaires et les droits à la pension, acquis jusqu’alors.
Les modalités administratives liées aux conséquences d’une absence d’un avis de sécurité positif sont réglées par la loi ou par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres.
§ 5. La personne concernée visée au paragraphe 1er, continue à bénéficier de son traitement plein et entier, ainsi que de tous les avantages statutaires liés à sa fonction :
1° durant le délai pendant lequel un recours peut être formé devant l’Organe de recours contre un avis de sécurité négatif;
2° durant la procédure de recours devant l’Organe de recours.
§ 6. Le Chef du Service Général du Renseignement et de la Sécurité informe l’autorité revêtant les attributions de Chef de corps, l’officier de sécurité concerné, ainsi que la direction générale human resources du ministère de la Défense de la notification d’avis négatifs, de refus, de retrait ou de l’absence de consentement et des recours introduits devant l’Organe de recours et des décisions de ce dernier. ’ ».
B.4.3. En ce qui concerne l’entrée en vigueur des articles précités, les articles 57 et 59 de la loi du 7 avril 2023 disposent :
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« Art. 57. Les articles 44 à 49 entrent en vigueur à une date à déterminer par le Roi, étant entendu que cette date ne peut être antérieure à l’entrée en vigueur des dispositions organisant la perte de la fonction ou de l’emploi visée à l’article 22sexies/4, § 4, et qu’un délai de maximum cinq années doit s’écouler entre la publication de la présente loi au Moniteur belge et la date d’entrée en vigueur.
Par dérogation à l’alinéa 1er, les articles 44 à 49 entrent en vigueur à l’égard des candidats à une fonction ou un emploi au sein du ministère de la Défense un mois après la publication de la présente loi au Moniteur belge ».
« Art. 59. Les personnes visées à l’article 22sexies/2, alinéa 1er, de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations, attestations et avis de sécurité qui ne sont pas titulaires d’une habilitation de sécurité ou d’un avis de sécurité positif en cours de validité à l’entrée en vigueur de cet article 22sexies/2, sont informées, dans les deux mois de l’entrée en vigueur de cet article 22sexies/2, par l’officier de sécurité compétent qu’elles tombent sous l’obligation de se soumettre à la vérification de sécurité visée à l’article 22sexies de la même loi. Elles disposent d’un délai de six mois à compter de cette prise de connaissance pour transmettre leur consentement et la demande individuelle au Service Général du Renseignement et de la Sécurité des Forces armées par l’intermédiaire de l’officier de sécurité compétent.
Le Service Général du Renseignement et de la Sécurité des Forces armées ne doit pas délivrer les avis de sécurité demandés en application de l’alinéa 1er dans le délai déterminé en application de l’article 22sexies/3, § 3, de la même loi. Il dispose d’un délai de deux ans pour délivrer tous les avis, avec une priorité pour les personnes qui n’ont jamais fait l’objet d’une enquête ou d’une vérification de sécurité.
L’avis de sécurité positif déjà délivré aux postulants disposant de la qualité de militaire avant l’entrée en vigueur de la présente loi a une validité de cinq ans à compter de sa délivrance ».
B.4.4. L’article 12 de la loi du 2 juin 2024 – adoptée après l’introduction du recours présentement examiné –, qui modifie aussi la loi du 11 décembre 1998, dispose :
« La section 6, intitulée ‘ Règles spécifiques pour le ministère de la Défense ’, du nouveau chapitre IV reprend les articles 22sexies/1 à 22sexies/4 de la même loi qui sont renumérotés comme suit : article 39, article 40, article 41 et article 42 ».
Les articles 22sexies/1 à 22sexies/4, mentionnés en B.4.2, de la loi du 11 décembre 1998, sont ainsi renumérotés par cette loi et deviennent les articles 39 à 42.
B.4.5. Les articles 13 à 16 de la loi du 2 juin 2024 disposent :
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« Art. 13. Dans l’article 22sexies/1 de la même loi, inséré par la loi du 7 avril 2023, l’alinéa 1er est abrogé.
Art. 14. A l’article 22sexies/2, alinéa 1er, de la même loi, inséré par la loi du 7 avril 2023, le mot ‘ 22sexies ’ est remplacé par le mot ‘ 32 ’.
Art. 15. A l’article 22sexies/3 de la même loi, inséré par la loi du 7 avril 2023, les modifications suivantes sont apportées :
1° le mot ‘ 22sexies ’ est remplacé chaque fois par le mot ‘ 32 ’;
2° le mot ‘ 22quinquies ’ est remplacé chaque fois par le mot ‘ 27 ’;
3° le mot ‘ 22quinquies/1 ’ est remplacé chaque fois par les mots ‘ 28, 29, 30, 31, 33, 34, 36, 37 et 38 ’;
4° le mot ‘ 22sexies/2 ’ est remplacé chaque fois par le mot ‘ 40 ’;
5° le mot ‘ 22sexies/3 ’ est remplacé chaque fois par le mot ‘ 41 ’.
Art. 16. À l’article 22sexies/4 de la même loi, inséré par la loi du 7 avril 2023, les modifications suivantes sont apportées :
1° le mot ‘ 22sexies/3 ’ est remplacé chaque fois par le mot ‘ 41 ’;
2° le mot ‘ 22sexies/2 ’ est remplacé chaque fois par le mot ‘ 40 ’ ».
B.4.6. Il ressort des dispositions précitées de la loi du 2 juin 2024 que, par cette loi, le législateur n’a pas voulu légiférer quant au contenu en ce qui concerne les articles 22sexies/1 à 22sexies/4 de la loi du 11 décembre 1998 attaqués dans l’affaire présentement examinée. Le législateur a essentiellement renuméroté ces articles et actualisé les renvois à d’autres articles de la loi du 11 décembre 1998 qu’ils contenaient.
Par ailleurs, il ressort du tableau de concordance annexé à la loi du 2 juin 2024 que le législateur, en abrogeant, par l’article 13 de cette loi, l’article 22sexies/1, alinéa 1er, de la loi du 11 décembre 1998, n’a pas eu l’intention de modifier le contenu de ce dernier article. La disposition contenue dans cet article est en effet reprise dans le nouvel article 1erbis, 26°, de la loi du 11 décembre 1998, qui dispose :
« Pour l’application de la présente loi et de ses arrêtés d’exécution, l’on entend par :
[...]
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26° ‘ l’organe de recours ’ : l’organe de recours créé par la loi du 11 décembre 1998
portant création d'un organe de recours en matière d’habilitations et d’avis de sécurité ».
B.4.7. Dès lors que le législateur, par la loi du 2 juin 2024, n’a pas modifié le contenu des articles 22sexies/1 à 22sexies/4 de la loi du 11 décembre 1998, tels qu’ils ont été insérés par la loi du 7 avril 2023, la loi du 2 juin 2024 n’a pas pour effet que le recours présentement examiné devient sans objet. Dans ce qui suit, la Cour renvoie à la numérotation des articles de la loi du 11 décembre 1998, tels qu’ils ont été modifiés par la loi du 7 avril 2023, suivie d’une mention entre parenthèses de la nouvelle numérotation résultant de la loi du 2 juin 2024.
Quant à la recevabilité
B.5.1. Le Conseil des ministres conteste l’intérêt de toutes les parties requérantes.
B.5.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.5.3. Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième parties requérantes invoquent leur qualité de membre du personnel du ministère de la Défense et estiment avoir un intérêt à l’annulation des dispositions attaquées, dès lors qu’en cette qualité, elles relèvent du champ d’application de ces dispositions.
B.5.4. Ces parties peuvent être affectées directement et défavorablement par les dispositions de la loi du 7 avril 2023 qui soumettent le personnel du ministère de la Défense à une obligation de subir une vérification de sécurité, laquelle est susceptible de donner lieu, entre autres, à une suspension de plein droit du membre du personnel dans l’intérêt du service.
Contrairement à ce qu’allègue le Conseil des ministres, la circonstance qu’il n’est pas établi qu’un avis de sécurité négatif sera émis à leur égard ne porte pas atteinte à leur intérêt. Le risque d’un avis de sécurité négatif suffit en effet, en l’espèce, pour qu’elles justifient d’un intérêt.
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B.5.5. Contrairement à ce que prétend le Conseil des ministres, l’appartenance des deuxième, troisième, quatrième et cinquième parties requérantes au personnel militaire du ministère de la Défense ne permet pas de déduire que le recours introduit par ces parties ne serait recevable que dans la mesure où les dispositions attaquées concernent le personnel militaire du ministère de la Défense, et qu’il ne le serait donc pas dans la mesure où ces dernières se rapportent au personnel civil de ce ministère. Dès lors que les dispositions attaquées s’appliquent à tous les membres du personnel du ministère de la Défense, qu’ils appartiennent au personnel militaire ou au personnel civil, les deuxième, troisième, quatrième et cinquième parties requérantes, en leur qualité générale de membre du personnel du ministère de la Défense, justifient d’un intérêt suffisant à l’annulation de ces dispositions.
B.5.6. Puisque l’intérêt des deuxième, troisième, quatrième et cinquième parties requérantes est établi, il n’est pas nécessaire d’examiner celui des première et sixième parties requérantes. Pour la même raison, il n’y a pas lieu d’accéder à la demande, formulée par les parties requérantes dans le courrier qu’elles ont adressé à la Cour le 12 juin 2024, de prendre des mesures d’instruction.
B.6.1. Le Conseil des ministres soutient que les parties requérantes ne formulent pas de moyens ni de griefs contre chaque disposition de la loi du 7 avril 2023, qu’elles n’exposent pas systématiquement dans leurs moyens en quoi les dispositions attaquées violeraient les normes de référence qui y sont mentionnées et que leur critique ne porte pas tant sur le contenu des dispositions attaquées, mais sur l’application concrète qui pourrait en être faite. Il estime que le recours n’est recevable que dans la mesure où il est dirigé contre des dispositions à l’égard desquelles sont formulés des moyens et des griefs, où il est exposé en quoi les dispositions attaquées violeraient les normes de référence mentionnées aux moyens et où la critique des parties requérantes porte sur le contenu des dispositions attaquées.
B.6.2. La Cour doit déterminer l’étendue des recours en annulation sur la base du contenu de la requête.
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La Cour peut uniquement annuler des dispositions législatives explicitement attaquées contre lesquelles des moyens sont invoqués et, le cas échéant, des dispositions qui ne sont pas attaquées, mais qui sont indissociablement liées aux dispositions qui doivent être annulées.
B.6.3. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions.
B.6.4. En vertu de l’article 142, alinéa 2, de la Constitution et de l’article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989, la Cour est compétente pour statuer sur les recours en annulation d’une loi, d’un décret ou d’une règle visée à l’article 134 de la Constitution pour cause de violation des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l’autorité fédérale, des communautés et des régions et pour cause de violation des articles du titre II (« Des Belges et de leurs droits ») et des articles 143, § 1er, 170, 172 et 191 de la Constitution.
La Cour est ainsi compétente pour contrôler des normes législatives au regard des normes de référence précitées, mais elle ne l’est pas pour apprécier si la manière dont une disposition législative pourrait être appliquée viole ces normes de référence. Aussi, la critique que développent les parties requérantes dans leurs moyens doit se rapporter au contenu des dispositions attaquées et non à la manière dont celles-ci pourraient être appliquées.
B.6.5. La Cour examine les moyens invoqués par les parties requérantes en ce qu’ils satisfont aux exigences mentionnées en B.6.3 et en B.6.4.
B.7.1. Les parties requérantes soulèvent, dans leur mémoire complémentaire, un neuvième moyen, quelles n’avaient pas formulé dans leur requête.
B.7.2. Il n’appartient pas aux parties requérantes de modifier, dans un mémoire complémentaire, les moyens qu’elles ont elles-mêmes formulés dans la requête. Un grief qui,
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comme en l’espèce, est formulé dans un mémoire complémentaire mais diffère de celui qui a été formulé dans la requête constitue dès lors un moyen nouveau et est irrecevable.
B.7.3. Le neuvième moyen, que les parties requérantes invoquent dans leur mémoire complémentaire, n’est pas recevable.
B.8. En ce que le Conseil des ministres relève, dans le cadre de certains des moyens, que la Cour n’est pas compétente pour apprécier la manière dont une norme législative a été élaborée et qu’elle ne l’est pas davantage pour contrôler des normes législatives au regard d’autres normes législatives, l’examen des exceptions concernées se confond avec l’examen au fond.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
B.9.1. Le premier moyen est pris de la violation des articles 2 et 6 de la loi du 11 juillet 1978 « organisant les relations entre les autorités publiques et les syndicats du personnel militaire » (ci-après : la loi du 11 juillet 1978) et des articles 10, 11, 13, 22, 23, 26 et 27 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6, 8, 10, 11, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 7, 8, 12, 28 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après : la Charte), avec l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec les articles 5 et 6 de la Charte sociale européenne révisée, avec l’article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, avec les Conventions de l’Organisation internationale du Travail (ci-après :
l’OIT) nos 87, 98 et 154, avec le principe général du droit à un recours effectif, avec la liberté syndicale et avec le droit de négociation collective.
Les parties requérantes critiquent le fait que les amendements du Gouvernement qui ont abouti aux dispositions relevant de la section 2 (« Règles spécifiques pour le ministère de la Défense ») du chapitre IIIbis (« Des attestations de sécurité et des avis de sécurité ») de la loi du 11 décembre 1998, telles qu’elles ont été insérées par la loi du 7 avril 2023, n’ont pas été
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soumis au comité de négociation visé dans la loi du 11 juillet 1978, au mépris des articles 2 et 6 de cette loi.
B.9.2. Du fait de la loi du 2 juin 2024, les dispositions de la loi du 11 décembre 1998 visées par les parties requérantes ne font plus partie de la section 2 du chapitre IIIbis de cette loi, mais de la section 6 (« Règles spécifiques pour le ministère de la Défense ») du chapitre IV (« Des avis de sécurité ») de cette loi. Comme il est dit en B.4.7, cette modification n’a cependant aucune incidence sur l’objet de l’affaire présentement examinée.
B.10. Le Conseil des ministres invoque notamment que la Cour n’est pas compétente pour connaître du moyen, étant donné que la critique qu’il contient ne concerne pas le contenu des dispositions attaquées, mais la manière dont elles ont été élaborées, et que la Cour n’est pas compétente pour contrôler des dispositions législatives au regard d’autres dispositions législatives.
B.11.1. Sauf à l’égard des mécanismes de fédéralisme coopératif visés à l’article 30bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989, qui les assimile expressément à des règles répartitrices de compétences, la Cour n’est en principe pas compétente pour contrôler le processus ou les modalités d’élaboration d’une disposition législative. La Cour s’est dès lors déclarée incompétente pour contrôler l’absence de consultation de la section de législation du Conseil d’État (C.C., nos 73/95, ECLI:BE:GHCC:1995:ARR.073, 97/99, ECLI:BE:GHCC:1999:ARR.097, 153/2015, ECLI:BE:GHCC:2015:ARR.153 et 58/2016, ECLI:BE:GHCC:2016:ARR.058), l’absence de consultation du comité de gestion de sécurité sociale (C.C., n° 97/99 du 15 septembre 1999, précité), l’absence de consultation syndicale préalable (C.C., nos 45/92, ECLI:BE:GHCC:1992:ARR.045, et 64/2009, ECLI:BE:GHCC:2009:ARR.064) ou encore le fait qu’une loi soit adoptée pendant la période des affaires courantes (C.C., n° 70/2013 du 22 mai 2013, ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.070). La Cour s’est en revanche déclarée compétente pour vérifier si une disposition attaquée devait être adoptée à la majorité spéciale dès lors que cette condition fait partie intégrante du système de détermination de compétences (C.C., n° 35/2003, 25 mars 2003, ECLI:BE:GHCC:2003:ARR.035).
B.11.2. Comme la Cour l’a jugé par ses arrêts nos 121/2019
(ECLI:BE:GHCC:2019:ARR.121) et 26/2023 (ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.026), elle n’est
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compétente pour contrôler le processus d’élaboration des lois que lorsque les règles qui contribuent à définir ce processus sont considérées comme des règles qui déterminent les compétences respectives de l’autorité fédérale, des communautés et des régions, comme des règles qui contribuent au respect de la loyauté fédérale ou comme des règles qui tendent à garantir les droits et libertés reconnus par le titre II ou par les articles 170, 172 et 191 de la Constitution.
B.11.3. En outre, en vertu de l’article 142 de la Constitution et de l’article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989, la Cour n’est pas compétente pour contrôler des normes législatives au regard d’autres normes législatives qui ne sont pas des règles répartitrices de compétences.
B.12.1. En ce que, dans leur premier moyen, les parties requérantes demandent en substance à la Cour de contrôler au regard des articles 2 et 6 de la loi du 11 juillet 1978 les dispositions de la loi du 7 avril 2023 visées à ce moyen, la Cour n’est pas compétente pour en connaître.
B.12.2. La circonstance que le droit de concertation et de négociation collective est garanti par l’article 23, alinéa 3, 1°, de la Constitution et que la Cour est compétente pour contrôler des normes législatives au regard de cet article constitutionnel n’implique pas, ainsi que la Cour l’a jugé par son arrêt n° 18/2004 du 29 janvier 2004 (ECLI:BE:GHCC:2004:ARR.018), que ses compétences s’étendent au contrôle du respect des exigences formelles qui découlent de normes législatives et qui sont préalables à l’adoption de la norme législative attaquée. Une telle conséquence ne se déduit pas davantage des autres normes de référence citées au moyen.
B.12.3. Étant donné que la Cour n’est pas compétente pour connaître du moyen, il n’y a pas lieu d’accéder à la demande, formulée par les parties requérantes dans leur mémoire en réponse, de prendre des mesures pour l’examiner.
B.13.1. Dans la mesure où les parties requérantes soutiennent encore que le fait de déclarer le moyen comme étant irrecevable entraînerait une violation du droit d’accès à un juge et du droit à un recours effectif, tels qu’ils sont garantis par les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, il convient de constater qu’aucun de ces deux articles ne garantit un droit d’accès à une juridiction compétente pour annuler les normes législatives
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(CEDH, 24 septembre 2002, Posti et Rahko c. Finlande, ECLI:CE:ECHR:2002:0924JUD002782495, § 52; 21 février 1986, James e.a. c. Royaume-
Uni, ECLI:CE:ECHR:1986:0221JUD000879379, § 85).
Dans la mesure où les parties requérantes prétendent également que le fait de déclarer le premier moyen comme étant irrecevable conduirait à une violation du droit à un recours effectif, tel qu’il est garanti par l’article 47 de la Charte, il convient d’observer que cette disposition ne garantit pas un droit d’accès à une juridiction compétente pour annuler des normes législatives en raison de vices dans la procédure d’élaboration de celles-ci.
B.13.2. Eu égard à ce qui précède, il n’y a pas lieu et il n’est pas nécessaire d’accéder à la demande des parties requérantes de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne ni de solliciter de la Cour européenne des droits de l’homme qu’elle rende, en application du Protocole n° 16 à la Convention européenne des droits de l’homme, un avis concernant l’interprétation ou l’application des droits et libertés pertinents de la Convention.
B.14. Le premier moyen n’est pas recevable.
En ce qui concerne le deuxième moyen
B.15.1. Le deuxième moyen est pris de la violation de la loi du 3 décembre 2017 « portant création de l’Autorité de protection des données » (ci-après : la loi du 3 décembre 2017), en particulier de ses articles 4, 23 et 26, et des articles 10, 11, 13, 22, 23, 26 et 27 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6, 8, 10, 11, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 7, 8, 12, 28 et 47 de la Charte, avec les articles 7 et 22
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec les articles 5 et 6 de la Charte sociale européenne révisée, avec l’article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, avec les Conventions de l’OIT n os 87, 98 et 154, avec le principe général du droit à un recours effectif, avec la liberté syndicale, avec le droit à la négociation collective et avec l’article 36 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen
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et du Conseil du 27 avril 2016 « relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) » (ci-après :
le RGPD).
Les parties requérantes critiquent le fait que les amendements du Gouvernement qui ont abouti aux dispositions relevant du chapitre IIIbis (« Des attestations de sécurité et des avis de sécurité »), section 2 (« Règles spécifiques pour le ministère de la Défense ») de la loi du 11 décembre 1998, telles qu’elles ont été insérées par la loi du 7 avril 2023, n’ont pas été soumis à l’Autorité de protection des données.
B.15.2. Comme il est dit en B.9.2, les dispositions de la loi du 11 décembre 1998 visées par les parties requérantes ne font plus partie de la section 2 du chapitre IIIbis de cette loi, mais de la section 6 (« Règles spécifiques pour le ministère de la Défense ») du chapitre IV (« Des avis de sécurité ») de cette loi. Cette modification n’a toutefois aucune incidence sur l’objet de l’affaire présentement examinée.
B.16. Le Conseil des ministres fait valoir que le deuxième moyen n’est pas recevable, entre autres parce que la Cour n’est pas compétente pour contrôler l’élaboration de dispositions législatives et qu’elle ne l’est pas non plus pour contrôler des normes législatives au regard d’autres normes législatives. Il pointe également le fait que le RGPD ne peut trouver à s’appliquer en l’espèce, dès lors que la sécurité nationale, conformément à l’article 4, paragraphe 2, du Traité sur l’Union européenne, reste de la seule responsabilité de chaque État membre et que les dispositions attaquées se rapportent précisément à la sécurité nationale.
Quant au fond, il soutient entre autres que les amendements qui ont conduit aux dispositions attaquées ne devaient pas être soumis pour avis à l’Autorité de protection des données, étant donné que c’est le Comité permanent de contrôle des services de renseignements et de sécurité (ci-après : le Comité permanent R) qui est l’autorité de contrôle compétente en l’espèce.
B.17.1. L’article 36, paragraphe 4, du RGPD dispose :
« Les États membres consultent l’autorité de contrôle dans le cadre de l’élaboration d’une proposition de mesure législative devant être adoptée par un parlement national, ou d’une mesure réglementaire fondée sur une telle mesure législative, qui se rapporte au traitement ».
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En vertu de l’article 4 du RGPD, il faut comprendre par « traitement » toute opération ou tout ensemble d’opérations effectuées ou non à l’aide de procédés automatisés et appliquées à des données ou des ensembles de données à caractère personnel, telles que la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la structuration, la conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l’interconnexion, la limitation, l’effacement ou la destruction.
B.17.2. L’article 51, § 1, du RGPD dispose :
« Chaque État membre prévoit qu’une ou plusieurs autorités publiques indépendantes sont chargées de surveiller l’application du présent règlement, afin de protéger les libertés et droits fondamentaux des personnes physiques à l’égard du traitement et de faciliter le libre flux des données à caractère personnel au sein de l’Union (ci-après dénommée ‘ autorité de contrôle ’) ».
Étant donné que les autorités de contrôle désignées par les États membres ont, en vertu de cette disposition, pour tâche « de protéger les libertés et droits fondamentaux des personnes physiques à l’égard du traitement de leurs données à caractère personnel », l’obligation découlant de l’article 36, paragraphe 4, du RGPD, lu en combinaison avec l’article 22 de la Constitution, peut en principe, dans le cadre de la compétence de la Cour rappelée en B.11.3, être qualifiée de règle qui contribue à déterminer le mode d’élaboration de normes législatives et qui vise à garantir les droits et libertés qui sont reconnus par le titre II de la Constitution.
B.17.3. Aux termes de l’article 4, § 2, alinéa 2, de la loi du 3 décembre 2017, l’Autorité de protection des données est l’autorité de contrôle compétente lorsqu’aucune loi n’en dispose autrement.
B.17.4. La loi du 30 juillet 2018 « relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel » (ci-après : la loi du 30 juillet 2018), telle qu’elle était applicable avant sa modification par la loi du 2 juin 2024, contient, en son titre 3 (« De la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par d’autres autorités que celles visées aux titres 1er et 2 »), un sous-titre 3
(« De la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère
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personnel dans le cadre de la loi du 11 décembre 1997 relative à la classification et aux habilitations, attestations et avis de sécurité »).
En vertu de l’article 128, § 1er, qui fait partie de ce sous-titre, « par dérogation à la loi du 3 décembre 2017 portant création de l’Autorité de protection des données, le Comité permanent R, en sa qualité d’autorité publique indépendante, est désigné comme autorité de contrôle chargée du contrôle du traitement des données à caractère personnel effectué dans le cadre de l’article 107, alinéa 1er, par les autorités et personnes visées au même alinéa ». En vertu de l’article 106, § 2, 5°, de la loi du 30 juillet 2018, il faut comprendre par « autorité de contrôle »
pour l’application du sous-titre précité « l’autorité publique indépendante chargée par la loi de surveiller l’application » du présent sous-titre ». En vertu de l’article 107, alinéa 1er, de la loi du 30 juillet 2018, le sous-titre s’applique à tout traitement de données à caractère personnel dans le cadre des habilitations, attestations et avis de sécurité visés dans la loi du 11 décembre 1998.
La loi du 2 juin 2024 a certes apporté plusieurs modifications techniques aux dispositions qui font partie du sous-titre 3, précité, de la loi du 30 juillet 2018, mais celles-ci n’ont aucune incidence sur l’objet de l’affaire présentement examinée.
B.18. Étant donné que les dispositions de la loi du 7 avril 2023 visées par les parties requérantes apportent des modifications à la loi du 11 décembre 1998 et que ces dispositions visent précisément des vérifications de sécurité, l’autorité de contrôle compétente en l’espèce n’est pas l’Autorité de protection des données, mais le Comité permanent R.
B.19.1. Sans qu’il soit nécessaire d’examiner si le RGPD peut trouver à s’appliquer en l’espèce et sans qu’il faille examiner les autres exceptions soulevées par le Conseil des ministres, il suffit de constater que les amendements qui ont conduit aux dispositions attaquées, contrairement à ce que prétendent les parties requérantes, ne devaient pas être soumis à l’Autorité de protection des données. À cela s’ajoute qu’aucune des autres normes de référence mentionnées au moyen ne prévoit une telle obligation.
Du reste, il ressort d’une pièce déposée auprès de la Cour par le Conseil des ministres que l’Autorité de contrôle compétente, c’est-à-dire le Comité permanent R, a émis un avis au sujet des amendements qui ont abouti aux dispositions attaquées.
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B.19.2. Eu égard à ce qui précède, il n’y a pas lieu d’accéder à la demande de prendre des mesures d’instruction formulée par les parties requérantes dans leur courrier à la Cour du 29 avril 2024.
B.20. Le deuxième moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le troisième moyen
B.21. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10, 11, 19, 22, 26 et 27 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6, 8, 10, 12 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’obligation d’audition, avec le principe audi alteram partem, avec les principes de diligence et de précaution, avec l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, avec la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 « sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union » (ci-après : la directive (UE) 2019/1937), en particulier ses articles 10, 22 et 23, et avec la Charte, en particulier ses articles 7, 8, 47, 48 et 52.
B.22.1. Il ressort de l’exposé, dans la requête, des différentes branches du troisième moyen que celui-ci est dirigé contre les articles 22sexies/2, alinéa 2, 22sexies/3, § 4, alinéa 3, et 22sexies/4, §§ 1er, 3 et 4 de la loi du 11 décembre 1998, tels qu’ils ont été insérés respectivement par les articles 47, 48 et 49 de la loi du 7 avril 2023.
Ces dispositions portent sur la vérification de sécurité à laquelle doivent se soumettre les membres du personnel du ministère de la Défense, ainsi que les candidats à une fonction ou à un emploi au sein de ce ministère, et elles règlent, entre autres, les modalités d’organisation de cette vérification de sécurité, ainsi que son contenu et ses conséquences.
Comme il est dit aux considérants B.4.4 et suivants, les articles 22sexies/1 à 22sexies/4 de la loi du 11 décembre 1998 ont été renumérotés et sont devenus les articles 39 à 42; les renvois, contenus dans ces articles, à d’autres articles de la loi du 11 décembre 1998 ont été actualisés, sans modification du contenu des dispositions des articles 22sexies/1 à 22sexies/4. Les
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modifications opérées par la loi du 2 juin 2024 n’ont pas d’incidence sur l’objet de l’affaire présentement examinée.
B.22.2. Selon l’article 22sexies/2, alinéa 1er, de la loi du 11 décembre 1998 (nouvel article 40, alinéa 1er), à moins qu’elle soit titulaire d’une habilitation de sécurité, toute personne civile ou militaire du cadre actif et du cadre de réserve occupant une fonction ou un emploi au sein du ministère de la Défense, toute personne candidate à une telle fonction ou un tel emploi, tout militaire détaché en dehors du ministère de la Défense et tout agent civil du ministère de la Défense mis temporairement à la disposition d’un autre service est soumis à la vérification de sécurité.
Les avis de sécurité sont délivrés par le chef du Service général du renseignement et de la sécurité des forces armées (ci-après : le SGRS) (article 22sexies/2, alinéa 3; nouvel article 40, alinéa 3).
B.22.3. L’officier de sécurité compétent informe la personne concernée qu’elle tombe sous l’obligation de se soumettre à la vérification de sécurité, lui demande son consentement et, s’il l’obtient, transmet la demande individuelle au chef du SGRS, qui effectue la vérification de sécurité (article 22sexies/3, § 2, alinéa 1er, de la loi du 11 décembre 1998; nouvel article 41, § 2, alinéa 1er). L’officier de sécurité informe par écrit la personne concernée des conséquences d’un refus de consentement à une vérification de sécurité (article 22sexies/3, § 2, alinéa 2;
nouvel article 41, § 2, alinéa 2).
B.22.4. Le retrait ou le refus du consentement par la personne concernée, la notification d’un avis négatif et l’absence de réponse à la demande de consentement visée à l’article 22sexies/3, § 2 (nouvel article 41, § 2), dans les deux mois à dater de la réception de la demande mettent fin à 1) la procédure de recrutement ou d’engagement; 2) la formation; 3) la procédure de nomination; et 4) la possibilité pour la personne concernée de continuer à exercer une fonction ou un emploi visés à l’article 22sexies/2, alinéa 1er (nouvel article 40, alinéa 1er).
La mesure prévue à l’alinéa 1er est maintenue tant que la personne concernée n’est pas titulaire d’un avis de sécurité positif (article 22sexies/4, § 1er, de la loi du 11 décembre 1998; nouvel article 42, § 1er). La mesure visée devient définitive 1) à l’issue du délai pendant lequel un recours peut être formé devant l’organe de recours si la personne concernée n’a pas introduit
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de recours devant l’organe de recours; 2) lors de la notification de la décision de l’organe de recours qui confirme l’avis de sécurité négatif; 3) en cas de refus ou de retrait de consentement ou en cas d’absence de réponse à la demande de consentement dans les deux mois à dater de la réception de la demande (article 22sexies/4, § 4, alinéa 1er; nouvel article 42, § 4, alinéa 1er).
L’article 22sexies/4, § 4, alinéa 2, de la loi du 11 décembre 1998 (nouvel article 42, § 4, alinéa 2) prévoit une exception au caractère définitif qu’acquiert la mesure lorsque la personne concernée était dans l’impossibilité de répondre à la demande de consentement dans le délai imparti. Les modalités administratives liées aux conséquences de l’absence d’un avis de sécurité positif sont réglées par la loi ou par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres (article 22sexies/4, § 4, dernier alinéa; nouvel article 42, § 4, dernier alinéa).
Lorsque l’avis de sécurité négatif concerne une personne occupant une fonction ou un emploi au sein du ministère de la Défense, ou une personne détachée, sa notification à la personne concernée entraîne de plein droit la suspension dans l’intérêt du service de la personne concernée (article 22sexies/4, § 3, alinéa 1er; nouvel article 42, § 3, alinéa 1er). Les modalités relatives à la période de suspension dans l’intérêt de la Défense, la prise éventuelle de mesures conservatoires pendant cette période de suspension et les conséquences administratives et pécuniaires qui ne sont pas fixées à l’article 22sexies/4 de la loi du 11 décembre 1998 (nouvel article 42) sont déterminées selon le régime juridique applicable à la relation d’emploi de la personne concernée (article 22sexies/4, § 3, dernier alinéa; nouvel article 42, § 3, alinéa 1er).
B.22.5. Un avis de sécurité négatif est délivré s’il ressort des données consultées que la personne concernée ne présente pas des garanties suffisantes quant à l’intégrité et est susceptible de porter atteinte par son comportement ou son environnement à un des intérêts visés à l’article 3 de la loi du 11 décembre 1998 ou à l’intégrité physique des personnes, au moyen de ressources auxquelles elle a accès dans le cadre de l’exercice de ses fonctions (article 22sexies/2, alinéa 2, de la loi du 11 décembre 1998; nouvel article 40, alinéa 2). Les intérêts visés à l’article 3 de la loi du 11 décembre 1998 sont : a) la défense de l’intégrité du territoire national et des plans de défense militaire; b) l’accomplissement des missions des forces armées; c) la sûreté intérieure de l’État, y compris dans le domaine de l’énergie nucléaire, et la pérennité de l’ordre démocratique et constitutionnel; d) la sûreté extérieure de l’État et les
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relations internationales de la Belgique; e) le potentiel scientifique et économique du pays;
f) tout autre intérêt fondamental de l’État; g) la sécurité des ressortissants belges à l’étranger;
h) le fonctionnement des organes décisionnels de l’État; i) la sécurité des personnes auxquelles en vertu de l’article 104, § 2, ou 111quater, § 1er du Code d’instruction criminelle, des mesures de protection spéciales sont octroyées; j) l’identité des membres du personnel des services de renseignement et de sécurité, de la défense et de la police intégrée, de leurs sources et des personnes qui prêtent leur concours à ces services; k) l’accomplissement des missions des services de renseignement et de sécurité.
Un avis de sécurité négatif est motivé en fait et en droit, conformément à l’article 22, alinéa 5 de la loi du 11 décembre 1998 (article 22sexies/3, § 4, dernier alinéa; nouvel article 41, § 4, dernier alinéa). En vertu de l’article 22, alinéa 5, de la loi du 11 décembre 1998, qui se rapporte à l’habilitation de sécurité, la notification du refus, de la modification, de la suspension ou du retrait de l’habilitation de sécurité doit reprendre les motifs justifiant cette décision, à l’exception de toute information dont la communication serait de nature à porter atteinte aux intérêts mentionnés dans cet article.
B.22.6. Un recours peut être introduit contre un avis de sécurité négatif devant l’organe de recours, mis en place par la loi du 11 décembre 1998 « portant création d’un organe de recours en matière d’habilitations, d’attestations et d’avis de sécurité » (ci-après : la loi du 11 décembre 1998 relative à l’organe de recours) (articles 22sexies/1 et 22sexies/4, § 4; nouveaux articles 1erbis, 26°, et 42, § 4).
Par la loi du 16 juin 2024 « modifiant la loi du 11 décembre 1998 portant création d’un organe de recours en matière d’habilitations, d’attestations et d’avis de sécurité » (ci-après : la loi du 16 juin 2024), l’intitulé de la loi du 11 décembre 1998 relative à l’organe de recours a été modifié en « loi portant création d’un organe de recours en matière d’habilitations et d’avis de sécurité » et plusieurs dispositions de cette loi ont été modifiées, mais ces modifications sont sans incidence sur l’objet du troisième moyen.
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B.23. Dans le troisième moyen en sa première branche, les parties requérantes allèguent la violation, par l’article 22sexies/2, alinéa 2, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 47 de la loi du 7 avril 2023 (nouvel article 40, alinéa 2), de l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme, lu en combinaison avec, entre autres, les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, en ce que le chef du SGRS peut fonder un avis de sécurité négatif sur le comportement de la personne qui fait l’objet de la vérification de sécurité et en ce qu’un tel avis peut ainsi reposer sur le fait que cette personne a contracté un mariage avec un conjoint de nationalité étrangère. Elles prétendent que la disposition attaquée viole ainsi le droit au mariage, tel qu’il est garanti par l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.24.1. Lorsque le législateur attribue à un organe public, comme, en l’espèce, le chef du SGRS, une certaine compétence, comme, en l’espèce, celle de procéder à une vérification de sécurité à l’égard d’une personne, il convient de considérer, sauf mention contraire, que cet organe public ne peut exercer cette compétence que d’une manière conforme à la Constitution, aux dispositions internationales et aux principes généraux de droit qui comprennent une garantie fondamentale.
B.24.2. Il ne peut se déduire d’aucune disposition de la loi du 11 décembre 1998, telle qu’elle a été modifiée par la loi du 7 avril 2023, que le chef du SGRS pourrait fonder un avis de sécurité négatif sur le simple fait qu’une personne a contracté un mariage avec un conjoint de nationalité étrangère.
Les travaux préparatoires de la loi du 7 avril 2023 ne contiennent pas non plus la moindre indication en ce sens. Il ressort par contre des travaux préparatoires cités en B.3 que la vérification de sécurité « a pour but de sélectionner et de retenir les collaborateurs les plus adéquats, civils ou militaires » et de « garantir que l’accès privilégié aux armes, aux formations spécialisées, aux informations sensibles et aux infrastructures spécifiques propres à un service de sécurité tel que la Défense ne puisse pas faire l’objet d’abus et ainsi créer des risques de sécurité pour le citoyen ».
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B.24.3. Ainsi, la disposition attaquée ne permet pas au chef du SGRS d’exercer sa compétence d’une manière qui porte atteinte au droit au mariage, tel qu’il est garanti par l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Du reste, un recours contre un avis de sécurité négatif peut être introduit devant l’organe de recours, auquel il revient alors de contrôler si le chef du SGRS a excédé sa compétence.
B.25. Dans la mesure où la disposition attaquée n’a pas la portée que lui confèrent les parties requérantes dans le troisième moyen, en sa première branche, cette dernière n’est pas fondée.
B.26. Dans le troisième moyen, en sa deuxième branche, les parties requérantes allèguent la violation, par l’article 22sexies/4, §§ 1er et 3, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 49 de la loi du 7 avril 2023 (nouvel article 42, §§ 1er et 3), du principe général audi alteram partem, lu en combinaison avec, entre autres, les articles 10, 11 et 22 de la Constitution.
Elles critiquent en substance le fait que les mesures décrites en B.22.4 qui sont liées au retrait ou refus par la personne concernée du consentement à une vérification de sécurité, à une notification à celle-ci d’un avis de sécurité négatif et à l’absence de réponse à la demande de consentement à une vérification de sécurité produisent leurs effets sans que la personne concernée ait le droit d’être préalablement entendue.
B.27.1. Le principe général de bonne administration audi alteram partem impose à l’autorité publique d’entendre préalablement la personne à l’égard de laquelle est envisagée une mesure grave pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement.
Ce principe s’impose à l’autorité publique en raison de sa nature particulière, à savoir qu’elle agit nécessairement en tant que gardienne de l’intérêt général et qu’elle doit statuer en pleine et entière connaissance de cause lorsqu’elle prend une mesure grave liée au comportement ou à la personne de son destinataire.
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Le principe audi alteram partem exige que le membre du personnel encourant une mesure grave en raison d’une appréciation négative de son comportement en soit préalablement informé et qu’il puisse faire valoir utilement ses observations.
B.27.2. Comme il est dit en B.24.1, il convient de considérer, sauf mention contraire, qu’un organe public auquel le législateur attribue une certaine compétence ne peut l’exercer que d’une manière conforme à la Constitution, aux dispositions internationales et aux principes généraux de droit qui comprennent une garantie fondamentale.
Par conséquent, la simple circonstance que le législateur n’a pas expressément prévu l’application d’un principe général de bonne administration lorsqu’il a réglé une matière déterminée ne permet pas de déduire que ce principe ne peut ou ne doit pas trouver à s’appliquer dans le cadre de la matière réglée.
B.27.3. Il ne peut se déduire ni des dispositions de la loi du 11 décembre 1998, telle qu’elle a été modifiée par la loi du 7 avril 2023, ni des travaux préparatoires de cette dernière loi, que le législateur, lorsqu’il a réglé la procédure de vérification de sécurité, entendait déroger au principe général de bonne administration audi alteram partem ou souhaitait en exclure l’application.
B.28. Dans la mesure où la disposition attaquée dans le troisième moyen, en sa deuxième branche, n’a pas la portée que lui confèrent les parties requérantes, cette branche n’est pas fondée.
B.29. Dans le troisième moyen, en sa troisième branche, les parties requérantes dénoncent la violation, par l’article 22sexies/4, §§ 1er et 3, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 49 de la loi du 7 avril 2023 (nouvel article 42, §§ 1er et 3), des articles 10, 11 et 19 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec la directive (UE) 2019/1937, en ce que les lanceurs d’alerte au sein du ministère de la Défense sont empêchés de rendre publiques des pratiques illicites au travail, étant donné qu’un pareil signalement pourrait donner lieu à un avis de sécurité négatif et aux conséquences y liées. Elles dénoncent également le fait que la disposition attaquée, en dérogeant à la règle énoncée dans la loi du 8 décembre 2022 « [relative] aux canaux
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de signalement et à la protection des auteurs de signalement d’atteintes à l’intégrité dans les organismes du secteur public fédéral et au sein de la police intégrée » (ci-après : la loi du 8 décembre 2022), fait naître une différence de traitement non justifiée entre des personnes qui travaillent pour des services publics, selon qu’elles exercent leurs fonctions au sein du ministère de la Défense ou d’un autre service public.
B.30.1. L’article 19 de la Constitution dispose :
« La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés ».
L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».
B.30.2. Dans la mesure où l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme reconnaît le droit à la liberté d’expression, cette disposition a une portée qui est analogue à celle de l’article 19 de la Constitution, lequel reconnaît la liberté de manifester ses opinions en toute matière. Les garanties qu’offrent ces dispositions forment dès lors, dans cette mesure, un tout indissociable.
B.31.1. Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que les personnes occupées dans des services publics qui signalent des pratiques illicites au travail (les lanceurs d’alerte) sont, moyennant le respect de certaines conditions, protégées par la liberté d’expression, telle qu’elle est garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, grande chambre, 12 février 2008, Guja c. Moldavie,
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ECLI:CE:ECHR:2008:0212JUD001427704, §§ 70 à 78; grande chambre, 14 février 2023, Halet c. Luxembourg, ECLI:CE:ECHR:2023:0214JUD002188418, §§ 111 et suiv.). Il en ressort en outre que cette protection s’applique également aux membres du personnel du ministère de la Défense (CEDH, 21 juin 2016, Soares c. Portugal, ECLI:CE:ECHR:2016:0621JUD007997212, §§ 6 à 12 et 40).
B.31.2. En vertu de l’article 1er de la directive (UE) 2019/1937, celle-ci a pour objet « de renforcer l’application du droit et des politiques de l’Union dans des domaines spécifiques en établissant des normes minimales communes assurant un niveau élevé de protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union ». Elle offre une protection juridique aux personnes signalant des violations du droit de l’Union qui satisfont aux conditions d’obtention du statut de lanceur d’alerte. Elle s’applique dans les domaines décrits à l’article 2, paragraphe 1, mais, en vertu du paragraphe 2 du même article, elle ne porte pas atteinte au pouvoir qu’ont les États membres d’étendre la protection au titre du droit national en ce qui concerne d’autres domaines ou actes. Le considérant 5 de la directive (UE) 2019/1937 signale à cet égard que les États membres « pourraient décider d’étendre l’application de dispositions nationales à d’autres domaines en vue de garantir un cadre complet et cohérent de protection des lanceurs d’alerte au niveau national ».
B.31.3. La directive (UE) 2019/1937 a été transposée en droit belge par diverses lois, dont celle du 8 décembre 2022, qui vise la protection des auteurs de signalement d’atteintes à l’intégrité dans les organismes du secteur public fédéral et au sein de la police intégrée. La loi du 8 décembre 2022 a un champ d’application matériel plus large que la directive (UE) 2019/1937 et elle ne vise pas à protéger les seuls signalements d’infractions au droit de l’Union, mais, en principe, tous les signalements d’atteintes à l’intégrité. L’article 2, § 1er, de la loi du 8 décembre 2022 décrit une « atteinte à l’intégrité » en ces termes :
1° l’acte ou l’omission d’un acte qui constitue une menace pour l’intérêt général ou une atteinte à celui-ci, et qui :
a) constitue une violation aux dispositions européennes directement applicables, aux lois, arrêtés, circulaires, règles internes et aux procédures internes qui sont applicables aux organismes du secteur public fédéral et leurs membres du personnel; et/ou
b) implique un risque pour la vie, la santé ou la sécurité des personnes ou pour l’environnement; et/ou
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c) témoigne d’un manquement grave aux obligations professionnelles ou à la bonne gestion d’un organisme du secteur public fédéral;
2° le fait d’ordonner ou de conseiller sciemment de commettre une atteinte à l’intégrité telle que visée au 1° ».
B.32.1. Comme il est dit en B.24.1, il convient de considérer, sauf mention contraire, qu’un organe public auquel le législateur attribue une certaine compétence ne peut l’exercer que d’une manière conforme à la Constitution, aux dispositions internationales et aux principes généraux de droit qui comprennent une garantie fondamentale.
B.32.2. Il ne peut se déduire d’aucune disposition de la loi du 11 décembre 1998, telle qu’elle a été modifiée par la du 7 avril 2023, que le chef du SGRS pourrait, en application de l’article 22sexies/2, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 47 de la loi du 7 avril 2023 (nouvel article 40), fonder un avis de sécurité négatif sur le fait qu’un membre du personnel a rendu publiques des pratiques illicites au travail, conformément à la liberté d’expression.
Les travaux préparatoires de la loi du 7 avril 2023 ne contiennent pas non plus la moindre indication en ce sens. Il ressort par contre des travaux préparatoires cités en B.3 que la vérification de sécurité « a pour but de sélectionner et de retenir les collaborateurs les plus adéquats, civils ou militaires » et de « garantir que l’accès privilégié aux armes, aux formations spécialisées, aux informations sensibles et aux infrastructures spécifiques propres à un service de sécurité tel que la Défense ne puisse pas faire l’objet d’abus et ainsi créer des risques de sécurité pour le citoyen ».
B.32.3. Ainsi, l’article 22sexies/2 de la loi du 11 décembre 1998 (nouvel article 40) ne permet pas au chef du SGRS d’exercer sa compétence d’une manière qui porterait atteinte à la liberté d’expression, telle qu’elle est garantie par l’article 19 de la Constitution et par l’article 10
de la Convention européenne des droits de l’homme, pas plus que d’une manière qui porterait atteinte à la directive (UE) 2019/1937, dans la mesure où il serait satisfait aux conditions d’application de cette directive.
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Du reste, un recours contre un avis de sécurité négatif peut être introduit devant l’organe de recours, auquel il revient alors de contrôler si le chef du SGRS a excédé sa compétence.
B.32.4. Par ailleurs, il ne ressort d’aucune disposition de la loi du 11 décembre 1998, telle qu’elle a été modifiée par la loi du 7 avril 2023, que le législateur aurait, par cette dernière loi, entendu déroger à la protection que la loi du 8 décembre 2022 offre aux lanceurs d’alerte. Les travaux préparatoires ne contiennent pas non plus la moindre indication en ce sens.
B.33. Sans qu’il soit nécessaire d’examiner les exceptions soulevées par le Conseil des ministres, il suffit de constater que la disposition attaquée n’a pas la portée que lui confèrent les parties requérantes dans le troisième moyen, en sa troisième branche.
B.34. Le troisième moyen, en sa troisième branche, n’est pas fondé.
B.35. Dans le troisième moyen, en sa quatrième branche, les parties requérantes dénoncent la violation, par l’article 22sexies/3, § 4, alinéa 3, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 48 de la loi du 7 avril 2023 (nouvel article 41, § 4, alinéa 3), de l’article 22
de la directive (UE) 2019/1937 et des articles 8 et 47 de la Charte, lus en combinaison avec, entre autres, les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que la motivation d’un avis de sécurité négatif est soumise à des restrictions, de sorte qu’un lanceur d’alerte au sein du ministère de la Défense ne dispose que d’un accès restreint à son dossier, ce qui est contraire aux normes de référence précitées.
Dans le troisième moyen, en sa cinquième branche, elles allèguent que l’article 22sexies/4, §§ 1er, 3 et 4, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 49 de la loi du 7 avril 2023 (nouvel article 42, §§ 1er, 3 et 4 ), est contraire à l’article 22 de la directive (UE) 2019/1937 et à l’article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, lus en combinaison avec, entre autres, les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que les mesures décrites en B.22.4 qui sont associées à un retrait ou un refus par la personne concernée de consentement à une vérification de sécurité, à une notification à celle-ci d’un avis de sécurité négatif et à l’absence de réponse à une demande de consentement à une vérification de sécurité prennent immédiatement effet, même lorsque la personne concernée introduit un recours devant l’organe de recours, de sorte qu’il est porté atteinte à la présomption d’innocence
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dont un lanceur d’alerte doit pouvoir jouir pleinement, conformément à l’article 22 de la directive (UE) 2019/1937.
B.36.1. Il ressort de l’exposé des quatrième et cinquième branches du troisième moyen dans la requête que la critique contenue dans ces branches repose sur la prémisse selon laquelle le chef du SGRS pourrait fonder un avis de sécurité négatif sur le fait qu’un membre du personnel a rendu publiques, conformément à la liberté d’expression, des pratiques illicites au travail. Ainsi qu’il a déjà été constaté à l’occasion de l’examen du troisième moyen en sa troisième branche, l’article 22sexies/2 de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 49 de la loi du 7 avril 2023 (nouvel article 40), n’accorde pas un tel pouvoir au chef du SGRS. Les dispositions attaquées dans le troisième moyen, en ses quatrième et cinquième branches, ne lui confèrent pas non plus un tel pouvoir.
B.36.2. Étant donné que les dispositions attaquées n’ont pas la portée que leur donnent les parties requérantes dans le troisième moyen, en ses quatrième et cinquième branches, ces dernières ne sont pas fondées.
B.37. Le troisième moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le quatrième moyen
B.38. Le quatrième moyen est pris de la violation, par l’article 22sexies/4, §§ 1er et 3, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 49 de la loi du 7 avril 2023 (nouvel article 42, §§ 1er et 3), des articles 10, 11, 13, 22, 23, 26 et 27 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6, 8, 10, 11, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 7, 8, 12, 28 et 47 de la Charte, avec l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec les articles 5 et 6 de la Charte sociale européenne révisée, avec l’article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, avec les Conventions de l’OIT nos 87, 98 et 154, avec la liberté syndicale, avec le principe général du droit à un recours effectif et avec le droit d’être entendu.
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Les parties requérantes soutiennent en substance qu’un avis de sécurité négatif pourrait être fondé sur le point de vue syndical d’un délégué syndical et critiquent le fait que les mesures décrites dans la disposition attaquée puissent prendre effet sans intervention du comité du contentieux visé dans la loi du 11 juillet 1978 et sans que la personne concernée ait le droit d’être entendue. Elles en déduisent une violation de la liberté syndicale, de la liberté d’expression et du principe d’égalité et de non-discrimination.
B.39. L’article attaqué détermine les conséquences – décrites en B.22.4 – liées à un retrait ou à un refus par la personne concernée de consentement à une vérification de sécurité, à une notification à cette personne d’un avis de sécurité négatif et à l’absence de réponse à une demande de consentement à une vérification de sécurité.
B.40. Il ressort de l’exposé, dans la requête, du quatrième moyen que la critique qu’il contient repose sur la prémisse selon laquelle le chef du SGRS pourrait fonder un avis de sécurité négatif sur des actes que posent des délégués syndicaux en cette qualité et qui sont directement liés aux prérogatives syndicales que ces délégués exercent, alors qu’en vertu de l’article 15, § 3, alinéa 2, de la loi du 11 juillet 1978, ces derniers ne peuvent faire l’objet d’une mesure statutaire ni d’une sanction disciplinaire pour de tels actes.
B.41.1. Il ne peut se déduire ni des dispositions de la loi du 11 décembre 1998, telle qu’elle a été modifiée par la loi du 7 avril 2023, ni des travaux préparatoires à cette dernière loi que le chef du SGRS pourrait fonder un avis de sécurité négatif sur des actes que posent des délégués syndicaux en cette qualité et qui sont directement liés aux prérogatives syndicales que ces délégués exercent. L’article 22sexies/2 de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 49 de la loi du 7 avril 2023 (nouvel article 40), ne confère pas une telle attribution au chef du SGRS. La disposition attaquée dans le quatrième moyen ne lui confère pas non plus un tel pouvoir.
Du reste, un recours contre un avis de sécurité négatif peut être introduit devant l’organe de recours, auquel il incombe alors de contrôler si le chef du SGRS a excédé sa compétence.
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B.41.2. Par ailleurs, il ne ressort d’aucune disposition de la loi du 11 décembre 1998, telle qu’elle a été modifiée par la loi du 7 avril 2023, que le législateur aurait, par cette dernière loi, entendu déroger aux droits consentis aux syndicats et aux délégués syndicaux par la loi du 11 juillet 1978. Les travaux préparatoires ne contiennent pas non plus d’indications en ce sens.
Il ressort par contre des travaux préparatoires cités en B.3 que la vérification de sécurité « a pour but de sélectionner et de retenir les collaborateurs les plus adéquats, civils ou militaires » et de « garantir que l’accès privilégié aux armes, aux formations spécialisées, aux informations sensibles et aux infrastructures spécifiques propres à un service de sécurité tel que la Défense ne puisse pas faire l’objet d’abus et ainsi créer des risques de sécurité pour le citoyen ». Ainsi, la vérification de sécurité n’a pas pour objectif de porter atteinte aux droits consentis aux syndicats et aux délégués syndicaux par d’autres dispositions légales.
B.42. En ce que les parties requérantes critiquent de nouveau l’absence d’un droit à une audition préalable au bénéfice d’une personne à l’égard de laquelle a été délivré un avis de sécurité négatif, la Cour a déjà jugé, lors de l’examen de la deuxième branche du troisième moyen, que les dispositions attaquées n’excluaient pas l’application du principe général de bonne administration audi alteram partem.
B.43. Sans qu’il soit nécessaire d’examiner les exceptions soulevées par le Conseil des ministres, il suffit de constater que la disposition attaquée n’a pas la portée que lui confèrent les parties requérantes dans le quatrième moyen.
B.44. Le quatrième moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le cinquième moyen
B.45. Le cinquième moyen est pris de la violation des articles 10, 11, 22, 23, 26 et 27 de la Constitution par l’article 22sexies/4, §§ 1er et 3, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 49 de la loi du 7 avril 2023 (nouvel article 42, §§ 1er et 3).
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Les parties requérantes reprochent à la disposition attaquée d’associer de lourdes conséquences à un retrait ou à un refus par la personne concernée de consentement à une vérification de sécurité, à une notification à celle-ci d’un avis de sécurité négatif et au refus de réponse à une demande de consentement à une vérification de sécurité, alors que l’article 22, alinéa 4, de la loi du 8 décembre 1998 n’associe pas de telles conséquences au retrait d’une habilitation de sécurité par les autorités compétentes (première branche) et que l’article 16, § 1er, alinéa 3 de cette loi ne prévoit pas non plus de tels effets en cas de rétractation du consentement par une personne qui ne souhaite plus se soumettre à l’enquête de sécurité ni être titulaire d’une habilitation de sécurité (seconde branche). Elles soutiennent que ces différences de traitement ne sont pas raisonnablement justifiées.
B.46. Dans leur requête, les parties requérantes n’exposent pas en quoi la disposition attaquée violerait les articles 22, 23, 26 et 27 de la Constitution. Conformément à ce qui est rappelé en B.6.5, la Cour n’examine le cinquième moyen que dans la mesure où il est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
B.47.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination.
B.47.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et l’objectif visé.
B.48.1. Comme il est dit en B.22.2 à B.22.4, l’officier de sécurité compétent demande aux personnes qui doivent se soumettre à une vérification de sécurité en vertu de l’article 22sexies/2, alinéa 1er, de la loi du 11 décembre 1998 (nouvel article 40, alinéa 1er) de consentir à cette vérification. Selon l’article 22sexies/4, § 1er, alinéa 1er, attaqué, de la loi du 11 décembre 1998,
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tel qu’il a été inséré par l’article 49 de la loi du 7 avril 2023 (nouvel article 42, § 1er, alinéa 1er), le retrait ou le refus de consentement par la personne concernée et l’absence de réponse à la demande de consentement mettent fin à 1) la procédure de recrutement ou d’engagement; 2) la formation; 3) la procédure de nomination; et 4) la possibilité pour la personne concernée de continuer à exercer une fonction ou un emploi visés à l’article 22sexies/2, alinéa 1er, de cette loi (nouvel article 40, alinéa 1er). D’après cette même disposition, les mêmes conséquences sont attachées à la notification d’un avis de sécurité négatif. Selon l’article 22sexies/4, § 3, alinéa 1er, de la loi du 11 décembre 1998 (nouvel article 42, § 3), également attaqué, la notification d’un avis de sécurité négatif entraîne en outre de plein droit la suspension de la personne concernée dans l’intérêt du service.
B.48.2. La vérification de sécurité doit être distinguée de l’enquête de sécurité sur la base de laquelle une habilitation de sécurité peut être octroyée (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-2443/002, pp. 6-7).
Selon l’article 1bis, 10°, de la loi du 11 décembre 1998, l’habilitation de sécurité est :
« la décision officielle, établie après une enquête de sécurité, selon laquelle, pour accéder à des données auxquelles une classification de niveau CONFIDENTIEL ou supérieur, au sens de la présente loi, a été attribuée :
a) une personne physique présente des garanties suffisantes quant à la discrétion, la loyauté et l’intégrité;
b) une personne morale présente des garanties suffisantes quant à la discrétion, la loyauté et l’intégrité de ses organes et préposés susceptibles d’avoir accès à ces données ».
Il ressort de l’article 12 de la loi du 11 décembre 1998 que l’autorité compétente pour régler l’accès à un emploi, une fonction ou un grade, à des informations, documents ou données, à des matériels, matériaux ou matières classifiés, à des locaux, des bâtiments ou des sites ou pour organiser la passation et l’exécution d’un contrat ou d’un marché public, peut imposer la possession d’une habilitation de sécurité.
B.48.3. Selon l’article 16, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 11 décembre 1998, la personne qui doit obtenir une habilitation de sécurité est informée du niveau et de l’objet de l’habilitation,
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ainsi que des types de données qui pourront être examinées ou vérifiées lors de l’enquête de sécurité, des modalités de celle-ci et de la durée de validité de l’habilitation de sécurité. Son accord est requis pour qu’il puisse être procédé à l’enquête de sécurité nécessaire à la délivrance de l’habilitation (article 16, § 1er, alinéa 2). Cet accord peut à tout moment être retiré par la personne concernée qui ne consent plus à faire l’objet d’une enquête de sécurité ou à détenir une habilitation de sécurité (article 16, § 1er, alinéa 3). Si l’habilitation est requise pour l’accès à un emploi, une fonction ou un grade, le refus explicite du candidat ou, le cas échéant, l’absence d’accord dans un délai de quinze jours suivant le jour de la réception du document l’avertissant de l’enquête, met automatiquement fin à la procédure de recrutement, d’engagement, de nomination ou de promotion (article 16, § 1er, dernier alinéa).
À l’issue de l’enquête de sécurité, l’autorité de sécurité statue par décision motivée sur l’octroi de l’habilitation de sécurité requise (article 22, alinéa 1er). Aux termes de l’article 22, alinéa 4, de la loi du 11 décembre 1998, l’autorité de sécurité peut modifier, suspendre ou retirer une habilitation de sécurité sur la base d’informations qui lui sont présentées par les services de renseignement et de sécurité ou dans le cas visé à l’article 16, § 1er, alinéa 3.
B.49. Il s’ensuit que les conséquences liées à un retrait ou à un refus de consentement par la personne concernée à une vérification de sécurité, à une notification à celle-ci d’un avis de sécurité négatif et à l’absence de réponse à une demande de consentement à une vérification de sécurité sont différentes de celles qu’entraînent la rétractation du consentement à une enquête de sécurité par la personne qui ne souhaite plus s’y soumettre ou être titulaire d’une habilitation de sécurité et le retrait consécutif de cette habilitation par l’autorité de sécurité.
B.50. La disposition attaquée fait ainsi naître des différences de traitement entre des personnes qui doivent faire l’objet d’une enquête selon qu’il s’agit d’une vérification de sécurité ou d’une enquête de sécurité dans le cadre de l’octroi d’une habilitation de sécurité.
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B.51.1. Le Conseil des ministres fait valoir que les catégories de personnes visées ne sont pas comparables, compte tenu des natures différentes des enquêtes concernées.
B.51.2. Il ne faut pas confondre différence et non-comparabilité. S’il est vrai que les éléments de différence entre les deux catégories d’enquête cités par le Conseil des ministres peuvent, le cas échéant, constituer des éléments pour l’appréciation du caractère raisonnable de la différence de traitement, ils ne sauraient suffire pour conclure à la non-comparabilité des personnes visées, au risque de vider de sa substance le contrôle exercé au regard du principe d’égalité et de non-discrimination.
B.52.1. Les différences de traitement visées en B.49 reposent sur un critère objectif, en particulier sur la nature de l’enquête à laquelle la personne concernée doit se soumettre.
B.52.2. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.3 que la vérification de sécurité « a pour but de sélectionner et de retenir les collaborateurs les plus adéquats, civils ou militaires »
et de « garantir que l’accès privilégié aux armes, aux formations spécialisées, aux informations sensibles et aux infrastructures spécifiques propres à un service de sécurité tel que la Défense ne puisse pas faire l’objet d’abus et ainsi créer des risques de sécurité pour le citoyen ». Aux termes de ces travaux préparatoires, la vérification de sécurité s’inscrit dans le cadre de la lutte contre l’extrémisme et contre d’autres menaces au sein du ministère de la Défense. Toutes les personnes occupées au sein de ce ministère ainsi que tous les candidats à une fonction ou à un emploi au sein de celui-ci doivent en principe se soumettre à une vérification de sécurité afin d’éviter que les membres du personnel de ce ministère se rendent coupables d’abus susceptibles d’entraîner des risques de sécurité. En revanche, les titulaires d’une habilitation de sécurité ne doivent pas se soumettre à une vérification de sécurité.
B.52.3. Il découle de la définition de l’habilitation de sécurité contenue dans l’article 1bis, 10°, de la loi du 11 décembre 1998 que l’enquête de sécurité en vue de l’octroi d’une telle habilitation doit viser des personnes qui, dans le cadre de leur fonction ou de leur emploi, « [accèdent] à des données auxquelles une classification de niveau CONFIDENTIEL ou supérieur a été attribuée ». Ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires cités en B.3, « l’obtention de cette habilitation se fait après une enquête approfondie qui est beaucoup plus pointue que la procédure dite de vérification de sécurité ».
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Ainsi, l’enquête de sécurité relative à l’habilitation de sécurité poursuit des objectifs autres que la vérification de sécurité.
Les travaux préparatoires mentionnent à cet égard :
« Habilitations et vérifications de sécurité sont donc deux mesures différentes répondant à des objectifs différents :
- les habilitations de sécurité tendent essentiellement à s’assurer qu’une personne offre suffisamment de garanties en fait de discrétion, de loyauté et d’intégrité que pour pouvoir accéder à des données classifiées ou à des bâtiments, locaux ou sites y relatifs;
- les vérifications de sécurité tendent essentiellement à s’assurer qu’une personne n’est pas, dans le cadre de l’exercice d’une fonction sensible, susceptible de constituer une menace potentielle pour l’un des intérêts fondamentaux de l’État ou pour la sécurité publique » (Doc.
parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-2443/002, pp. 6-7).
B.52.4. Eu égard aux objectifs poursuivis avec la vérification de sécurité, il est pertinent que des membres du personnel du ministère de la Défense et des candidats à une fonction ou à un emploi au sein de ce ministère qui refusent de se soumettre à une vérification de sécurité ou qui se voient délivrer un avis de sécurité négatif à l’occasion d’une telle vérification n’aient pas ou n’aient plus la possibilité d’exercer une fonction ou un emploi au sein de ce ministère. Il est également opportun que les procédures de recrutement ou d’engagement ouvertes, les formations en cours et les procédures initiées en vue de la nomination prennent fin pour ces personnes.
Eu égard aux objectifs poursuivis avec l’habilitation de sécurité, il est pertinent que les conséquences précitées associées à la vérification de sécurité ne s’appliquent pas dans la même mesure dans le cadre de l’enquête de sécurité en vue de l’octroi d’une habilitation de sécurité.
En effet, des personnes qui ne sont pas jugées aptes à avoir accès à des informations confidentielles ne sont pas nécessairement incapables d’exercer une fonction ou un emploi au sein du ministère de la Défense. Par ailleurs, les personnes à qui l’habilitation de sécurité a été retirée, soit de leur propre initiative, soit de celle de l’autorité compétente, ne disposent plus d’une telle habilitation, de sorte qu’elles ont l’obligation de se soumettre à une vérification de sécurité.
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B.52.5. À cela s’ajoute que le législateur a assorti de diverses garanties les conséquences qui sont liées à un avis de sécurité négatif et au refus de se soumettre à une vérification de sécurité. C’est ainsi que l’article 22sexies/4, § 4, alinéa 2, de la loi du 11 décembre 1998
(nouvel article 42, § 4, alinéa 2) prévoit une procédure dérogatoire lorsque la personne concernée était dans l’impossibilité de répondre dans le délai imparti à la demande de consentement à la vérification de sécurité. De plus, un avis de sécurité négatif peut faire l’objet d’un recours devant l’organe de recours. Durant le délai pendant lequel un recours peut être formé et durant la procédure de recours devant l’organe de recours, la personne concernée continue à bénéficier de son traitement plein et entier, ainsi que de tous les avantages statutaires liés à sa fonction (article 22sexies/4, § 5, de la loi du 11 décembre 1998; nouvel article 42, § 5).
Si une mobilité dans un autre service de la fonction fédérale est possible, la personne concernée conserve son grade ou un grade équivalent, ainsi que les droits, tels que les droits pécuniaires et les droits à la pension, acquis jusqu’alors (article 22sexies/4, § 4, alinéa 4, de la loi du 11 décembre 1998; nouvel article 42, § 4, alinéa 4).
B.52.6. Compte tenu, notamment, des garanties précitées, la disposition attaquée n’entraîne pas des conséquences qui seraient disproportionnées aux objectifs poursuivis par le législateur.
B.53. Les différences de traitement critiquées par les parties requérantes sont raisonnablement justifiées.
B.54. Le cinquième moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le sixième moyen
B.55. Le sixième moyen est pris de la violation, par les articles 22sexies/1 et 22sexies/4 de la loi du 11 décembre 1998, tels qu’ils ont été insérés par les articles 46 et 49 de la loi 7 avril 2023 (nouveaux articles 1erbis, 26°, 39 et 42), des articles 10, 11, 13, 22, 23, 26 et 27 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6, 8, 10, 11, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 8 et 47 de la Charte, avec les droits de la défense et avec les articles 77 et 78 du RGPD.
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Les parties requérantes critiquent le fait que les dispositions attaquées désignent l’organe de recours qui a été établi par la loi du 11 décembre 1998 en ce qui concerne l’organe de recours comme instance compétente auprès de laquelle introduire un recours contre un avis de sécurité négatif. Elles prétendent en substance que cette désignation en tant qu’instance de recours compétente viole les droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif, étant donné que la procédure devant cet organe « n’est pas transparente » et que seul un recours en cassation devant le Conseil d’État est ouvert contre sa décision. Elles avancent également que l’organe de recours intervient en tant qu’autorité de contrôle dans le cadre du traitement des données à caractère personnel et que le droit de l’Union européenne exige qu’un recours juridictionnel effectif puisse être formé contre toute décision d’une autorité de contrôle.
B.56. Dans leur requête, les parties requérantes n’exposent pas en quoi les dispositions attaquées violeraient les articles 23, 26 et 27 de la Constitution et les articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme. Conformément à ce qui est rappelé en B.6.5, le sixième moyen n’est pas recevable dans la mesure où il est pris de la violation de ces normes de référence.
B.57. Il découle de l’article 22sexies/4, §§ 4, 5 et 6, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 49 de la loi du 7 avril 2023 (nouvel article 42, §§ 4, 5 et 6) qu’un avis de sécurité négatif peut faire l’objet d’un recours devant l’organe de recours. Selon l’article 22sexies/1 de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 46 de la loi du 7 avril 2023 (nouvel article 1erbis, 26°), il y a lieu d’entendre par « organe de recours »
l’organe créé par la loi du 11 décembre 1998 relative à l’organe de recours.
B.58.1. Avant sa modification par la loi du 3 mai 2005 « modifiant la loi du 11 décembre 1998 portant création d’un organe de recours en matière d’habilitations de sécurité » (ci-après :
la loi du 3 mai 2005), l’article 3 de la loi du 11 décembre 1998 prévoyait la compétence du Comité permanent R comme organe de recours.
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Par son arrêt n° 14/2006 du 25 janvier 2006 (ECLI:BE:GHCC:2006:ARR.014), la Cour a jugé que le Comité R intervient en qualité d’organe juridictionnel lorsqu’il fait office d’organe de recours en matière d’habilitations de sécurité en vertu de la loi du 11 décembre 1998.
B.58.2. La loi du 3 mai 2005 a remplacé le Comité permanent R par un nouvel organe de recours pour ce qui concerne la tâche juridictionnelle qui lui était confiée en vertu de la loi du 11 décembre 1998 relative à l’organe de recours. Comme la Cour l’a jugé par son arrêt n° 151/2006 du 18 octobre 2006 (ECLI:BE:GHCC:2006:ARR.151), cet organe agit en qualité de juridiction administrative. Initialement, il était composé de trois magistrats spécialisés en matière d’habilitations de sécurité, à savoir le président du Comité permanent de contrôle des services de police (ci-après : le Comité permanent P), le président du Comité permanent R et le président de la Commission de la protection de la vie privée.
B.58.3. La loi du 13 septembre 2018 « portant modification de la loi du 11 décembre 1998
portant création d’un organe de recours en matière d’habilitations, d’attestations et d’avis de sécurité » a modifié cette composition en remplaçant le président de la Commission de la protection de la vie privée par le président de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données.
Ainsi que l’a jugé la Cour par son arrêt n° 50/2024 du 25 avril 2024
(ECLI:BE:GHCC:2024:ARR.050), ce changement n’a pas eu pour conséquence de modifier la nature juridictionnelle de l’organe de recours.
B.59.1. Conformément à l’article 14, § 2, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, la section du contentieux administratif du Conseil d’État statue par voie d’arrêts sur les recours en cassation formés contre les décisions contentieuses rendues en dernier ressort par les juridictions administratives pour contravention à la loi ou pour violation des formes, soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité. Conformément à cette disposition, elle ne connaît pas du fond des affaires.
B.59.2. Étant donné que l’organe de recours est une juridiction administrative et que celle-
ci statue en dernier ressort, un recours en cassation peut en principe être formé contre ses décisions devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État pour contravention à
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la loi ou pour violation des formes, soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité (CE, 26 octobre 2021, n° 251.927, ECLI:BE:RVSCE:2021:ARR.251.927).
B.60. Les parties requérantes allèguent entre autres que la procédure devant l’organe de recours « n’est pas transparente », étant donné que le requérant et son avocat n’ont pas accès à l’ensemble du dossier et que la notification de la décision de l’organe de recours ne peut contenir aucune information dont la communication serait de nature à porter atteinte à certains intérêts. Elles font valoir que les dispositions attaquées violent de ce fait les droits de la défense et le droit à un recours effectif en droit.
B.61.1. Selon l’article 6, alinéa 1er, de la loi du 11 décembre 1998 relative à l’organe de recours, sans préjudice de l’article 5, § 3, alinéas 1er et 2 de cette loi, le requérant et son avocat peuvent consulter le rapport d’enquête au greffe de l’organe de recours et, le cas échéant, le dossier d’enquête, pendant cinq jours ouvrables avant l’audience, aux dates et heures indiquées par l’organe de recours.
Selon l’article 5, § 3, alinéas 1er et 2, de cette loi, l’organe de recours peut décider, à la demande d’un service de police ou de renseignement, que certaines informations figurant dans la déposition d’un membre d’un service de police ou de renseignement qui a procédé à l’enquête, dans le rapport d’enquête, dans le dossier d’enquête ou dans le dossier de vérification, sont secrètes pour un des motifs visés au § 2, alinéa 4, ou lorsqu’elles relèvent du secret d’une information judiciaire ou d’une instruction en cours, et qu’elles ne pourront être consultées ni par le requérant ni par son avocat. Si ces secrets se rapportent à une information judiciaire ou à une instruction en cours, l’organe de recours se concerte préalablement à ce sujet avec le magistrat compétent. Lorsque ces informations proviennent d’un service de renseignement étranger, la décision de non-consultation est prise par le service de renseignement et de sécurité.
Selon l’article 7, § 2, de la loi précitée, l’organe de recours doit prendre les mesures internes nécessaires afin de garantir le caractère confidentiel des dossiers de vérification, des rapports d’enquête, des documents qui y sont joints conformément à l’article 5, § 1er, et, le cas échéant, des dossiers d’enquête.
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B.61.2. Selon l’article 9, alinéa 3, de la loi précitée, la notification adressée au requérant ne peut contenir aucune information dont la communication serait de nature à porter atteinte à la défense de l’intégrité du territoire national, au plan de défense militaire, à l’accomplissement des missions des forces armées, à la sûreté intérieure de l’État, y compris dans le domaine de l’énergie nucléaire, à la pérennité de l’ordre démocratique et constitutionnel, à la sûreté intérieure de l’État et aux relations internationales, au potentiel scientifique ou économique ou tout autre intérêt fondamental du pays, à la sécurité des ressortissants belges à l’étranger, au fonctionnement des organes décisionnels de l’État, à la protection des sources, au secret d’une information judiciaire ou d’une instruction en cours ou à la protection de la vie privée de tiers.
B.62.1. Par son arrêt n° 14/2006, précité, la Cour a répondu à une question préjudicielle relative à la compatibilité de l’article 5, § 3, de la loi du 11 décembre 1998 relative à l’organe de recours avec les articles 10, 11, 22 et 32 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6, 8 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, « en ce qu’il limite l’accès à certaines informations figurant dans la déposition d’un membre du service de renseignement, dans le rapport d’enquête ou dans le dossier d’enquête ».
La Cour a jugé, dans cet arrêt :
« B.17. L’article 5, § 3, de la loi en cause permet à l’organe de recours de décider, à la demande du service de renseignement et de sécurité, que certaines informations sont secrètes pour un des motifs qui sont visés au paragraphe 2, alinéa 4, et qu’elles ne pourront être consultées ni par le requérant ni par son avocat. Cette décision n’est susceptible d’aucun recours.
B.18. Il apparaît des travaux préparatoires de la loi litigieuse que le législateur a voulu que l’organe de recours puisse « avoir accès, pour statuer sur le recours qui lui est soumis à un dossier d’enquête complet, et donc, à toutes les informations que l’autorité de sécurité a eues à sa disposition pour prendre sa décision » et « même demander des renseignements complémentaires » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, nos 1193/1 et 1194/1, p. 6). La disposition soumise au contrôle de la Cour tend « à réaliser un équilibre entre les droits de la défense et les exigences de la protection des sources et de la sécurité nationale » (Doc. parl., Chambre, 1996-
1997, nos 1193/1 et 1194/1, p. 23).
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B.19. Le caractère contradictoire du procès constitue un aspect fondamental du droit à un procès équitable et du respect des droits de défense.
Toutefois, le droit de prendre connaissance de tous les éléments d’un dossier peut faire l’objet de restrictions, notamment lorsque la sécurité nationale l’exige. Dans certains cas, il peut être nécessaire de ne pas divulguer des éléments du dossier à une partie en vue de préserver ou de garantir un intérêt général important.
L’ingérence dans les droits de la défense ne peut cependant être justifiée que si elle est strictement proportionnée à l’importance des objectifs à atteindre et si elle va de pair avec une procédure qui permet à un juge indépendant et impartial de vérifier la légalité de la procédure (voir Cour européenne des droits de l’homme, Edwards et Lewis c. Royaume-Uni, 22 juillet 2003 et 27 octobre 2004).
B.20. Par les deux lois du 11 décembre 1998, le législateur a entendu autoriser des ingérences dans l’exercice du droit au respect de la vie privée, pour des motifs de sécurité nationale, tout en offrant aux personnes concernées des garanties de procédure.
Pour préserver la sécurité nationale, les autorités compétentes peuvent être autorisées à recueillir et à mémoriser dans des fichiers secrets des renseignements sur des personnes, puis à les utiliser quand il s’agit d’évaluer l’aptitude de candidats à des postes importants du point de vue de la sécurité (Cour européenne des droits de l’homme, Leander c/ Suède, 25 février 1987, série A, § 59).
B.21. En l’espèce, le législateur a soumis la procédure, en ce compris son caractère partiellement secret, au contrôle de l’organe de recours, qui peut être considéré comme un juge indépendant et impartial, ainsi qu’il a été constaté en B.8 à B.10.
Dès lors que l’ingérence dans les droits de la défense est proportionnée à l’objectif de sécurité nationale et qu’elle va de pair avec une procédure qui permet à un juge indépendant et impartial, ayant accès à toutes les pièces de la procédure, de contrôler la légalité de celle-ci, l’article 5, § 3, de la loi litigieuse n’est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les dispositions mentionnées en B.16 ».
B.62.2. Pour les mêmes motifs que ceux qui ont été mentionnés dans l’arrêt précité, les dispositions attaquées, en ce qu’elles ont pour conséquence que l’organe de recours peut, dans certaines circonstances, soumettre à des restrictions l’accès au dossier et la notification de sa décision, dans le cadre d’un recours contre un avis de sécurité négatif, ne violent pas les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, l’ingérence, concernée, dans les droits de la défense est proportionnée à l’objectif de sécurité nationale et s’accompagne d’une procédure permettant à une juridiction indépendante et impartiale, qui a accès à toutes les pièces de la procédure, de veiller à la légalité de cette dernière. Par ailleurs, il ressort de la
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jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne relative à l'article 47 de la Charte qu’il appartient à un organe de recours « de mettre en œuvre, dans le cadre du contrôle juridictionnel qu’il exerce, des techniques permettant de concilier, d’une part, les considérations légitimes de sécurité quant à la nature et aux sources de renseignements ayant été pris en considération [...] et, d’autre part, la nécessité de garantir à suffisance au justiciable le respect de ses droits procéduraux, tels que le droit d’être entendu ainsi que le principe du contradictoire » (CJUE, grande chambre, 18 juillet 2013, C-584/10 P, Commission e.a. c. Kadi, ECLI:EU:C:2013:518, point 125).
B.63.1. Les parties requérantes critiquent également les dispositions attaquées en ce qu’il n’existe pas de recours en droit effectif contre les décisions de l’organe de recours.
B.63.2. Hormis en matière pénale, il n’existe pas de principe général qui impose l’existence d’un double degré de juridiction. Toutefois, le droit à un procès équitable suppose que la décision d’une autorité administrative subisse le contrôle ultérieur d’un organe juridictionnel disposant d’une compétence de pleine juridiction.
Ainsi que l’a jugé la Cour par son arrêt n° 14/2006, précité, l’organe de recours est une juridiction, de sorte que « l’absence de recours contre les décisions qu’il rend à l’issue d’une procédure contradictoire ne méconnaît pas les dispositions mentionnées dans la question préjudicielle [lire les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 22 et 23, alinéa 3, 1°, et avec les articles 6, 8 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme] » (B.14).
Du reste, un recours en cassation dirigé contre une décision de l’organe de recours peut être introduit devant le Conseil d’État. Bien que, dans ce cadre, celui-ci ne connaisse pas du fond de l’affaire et qu’il contrôle uniquement le respect de la loi et des formes, soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, la possibilité de former un tel recours constitue une garantie juridictionnelle supplémentaire pour les personnes qui font l’objet d’un avis de sécurité négatif.
B.64. Dans la mesure où les parties requérantes allèguent encore que l’organe de recours intervient comme autorité de contrôle dans le cadre du traitement des données à caractère personnel et que les articles 77 et 78 du RGPD et l’article 47 de la Charte, lus en combinaison
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avec l’article 22 de la Constitution et avec l’article 8 de la Charte, exigent qu’un recours juridictionnel effectif puisse être formé contre une décision de l’autorité de contrôle, il suffit de constater, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si le droit de l’Union européenne trouve à s’appliquer en l’espèce, que l’organe de recours intervient en tant que juridiction administrative et non en tant qu’autorité de contrôle au sens de l’article 8 de la Charte et de l’article 51, paragraphe 1, du RGPD.
B.65. Le sixième moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le septième moyen
B.66. Le septième moyen est pris de la violation, par l’article 22sexies/3, § 4, alinéa 3, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 48 de la loi du 7 avril 2023 (nouvel article 41, § 4, alinéa 3), des articles 10, 11, 13, 22, 23, 26 et 27 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’obligation générale de motivation formelle, avec la loi du 29 juillet 1991 « relative à la motivation formelle des actes administratifs » (ci-après : la loi du 29 juillet 1991), avec les articles 8, 11, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec les articles 159, 160 et 161 de la Constitution.
Les parties requérantes allèguent en substance que la disposition attaquée, en soumettant la motivation d’un avis de sécurité négatif à des restrictions, fait naître une différence de traitement non justifiée entre les personnes, selon qu’elles font l’objet d’un avis de sécurité négatif ou d’un autre acte administratif. Elles prétendent également que la disposition attaquée viole le droit à un recours juridictionnel effectif.
B.67.1. Dans leur requête, les parties requérantes n’exposent pas en quoi la disposition attaquée violerait les articles 22, 23, 26, 27, 159, 160 et 161 de la Constitution et les articles 8
et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme. Conformément à ce qui est rappelé en B.6.5, le septième moyen n’est pas recevable dans la mesure où il est pris de la violation de ces normes de référence.
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B.67.2. Ainsi que le soutient le Conseil des ministres, la Cour n’est pas compétente pour contrôler des normes législatives au regard d’autres normes de même nature qui ne sont pas des règles répartitrices de compétences, de sorte que le septième moyen n’est pas recevable dans la mesure où il est pris de la violation de la loi du 29 juillet 1991.
La Cour est toutefois compétente pour contrôler la disposition attaquée au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec d’autres normes de référence, dans la mesure où la disposition attaquée fait naître une différence de traitement entre des personnes qui font l’objet d’un acte administratif, selon qu’il s’agit d’un avis de sécurité négatif ou d’un autre acte administratif.
B.68. Selon la disposition attaquée, un avis de sécurité négatif doit être motivé en fait et en droit, conformément à l’article 22, alinéa 5, de la loi du 11 décembre 1998.
Selon cette disposition, qui porte sur l’habilitation de sécurité, la notification du refus, de la modification, de la suspension ou du retrait de l’habilitation de sécurité doit reprendre les motifs justifiant cette décision, à l’exception de toute information dont la communication serait de nature à porter atteinte à la défense de l’intégrité du territoire national, aux plans de défense militaires, à l’accomplissement des missions des forces armées, à la sûreté intérieure de l’État, y compris dans le domaine de l’énergie nucléaire, à la pérennité de l’ordre démocratique et constitutionnel, à la sûreté extérieure de l’État et aux relations internationales, au potentiel scientifique ou économique du pays ou tout autre intérêt fondamental de l’État, à la sécurité des ressortissants belges à l’étranger, au fonctionnement des organes décisionnels de l’État, à la protection des sources ou à la protection de la vie privée de tiers.
B.69.1. Les travaux préparatoires de la loi du 11 décembre 1998 mentionnent :
« L’autorité de sécurité peut prendre trois types de décision: octroyer l’habilitation de sécurité, refuser l’octroi ou retirer l’habilitation. La notification de l’autorité de sécurité doit toujours faire état des motifs servant de fondement à la décision. Cependant, pour des raisons évidentes de sécurité et de confidentialité, elle ne peut contenir des informations dont la
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communication serait de nature à porter atteinte à un ou plusieurs des intérêts énumérés à l’article 2, à la protection des sources ou à la protection de la vie privée de tiers.
En réponse à l’observation du Conseil d’Etat, il y a lieu de préciser que l’intention du Gouvernement est bien de s’écarter du régime prévu par la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs. En effet, d’une part, la loi en projet impose à l’autorité de sécurité de motiver toute décision qu’elle prend en application de la loi, contrairement à l’article 4 de la loi du 29 juillet 1991 qui prévoit des exceptions à l’obligation de motiver, lorsque l’indication des motifs peut porter atteinte à la sécurité extérieure de l’Etat, à l’ordre public, à la protection de la vie privée ou au secret professionnel. Le but poursuivi, en supprimant toute dérogation, est de mettre l’organe de recours en possession de tous les éléments sur lesquels se fonde la décision de l’autorité de sécurité, afin qu’il puisse lui-même statuer en parfaite connaissance de cause. D’autre part, l’alinéa 5 de l’article 12, qui prévoit que la notification de la décision de l’autorité à l’intéressé doit dans certains cas être expurgée de certaines données, est une disposition comparable à celle de l’article 4 de la loi du 29 juillet 1991. Mais, là encore, la loi en projet adopte une position différente puisque les exceptions qu’elle prévoit sont plus nombreuses » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, nos 1193/1 et 1194/1, pp. 19-20).
B.69.2. Il en ressort qu’en ce qui concerne la motivation des avis de sécurité, d’une part, le législateur a entendu prescrire une obligation de motivation plus large que celle qu’impose la loi du 29 juillet 1991, en dérogeant à l’article 4 de cette dernière loi qui prévoit des exceptions à l’obligation de motivation, et qu’en ce qui concerne la notification de la décision correspondante à la personne concernée, d’autre part, il a voulu prévoir certaines restrictions, « pour des raisons évidentes de sécurité et de confidentialité ». Il découle de la lecture des travaux préparatoires cités que l’obligation de motivation plus large est dictée par l’objectif de permettre à l’organe de recours de statuer en parfaite connaissance de cause lorsqu’il est saisi d’un recours contre une décision de l’autorité compétente.
B.69.3. La différence de traitement entre les personnes selon qu’elles font l’objet d’un avis de sécurité négatif ou d’un autre acte administratif, qui est critiquée par les parties requérantes, repose sur un critère objectif, plus précisément sur la nature de l’acte administratif en question.
B.69.4. Les restrictions auxquelles est soumise la notification d’un avis de sécurité sont pertinentes eu égard aux objectifs légitimes visés en matière de sécurité nationale et de confidentialité. Compte tenu de ce que le législateur a prévu en parallèle une obligation de motivation qui est plus large que celle que prescrit la loi du 29 juillet 1991, dans le but de
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permettre à l’organe de recours de statuer en parfaite connaissance de cause dans le cadre d’un recours pendant devant lui, la disposition attaquée repose sur un juste équilibre entre les intérêts liés à la sécurité nationale et à la confidentialité et les intérêts liés aux droits de la défense, et cette disposition ne produit pas des effets disproportionnés aux objectifs poursuivis.
B.70. La différence de traitement, résultant de la disposition attaquée, entre les personnes qui font l’objet d’un acte administratif selon qu’il s’agit d’un avis de sécurité négatif ou d’un autre acte administratif est raisonnablement justifiée. La disposition attaquée ne viole par conséquent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.71. Par ailleurs, pour les mêmes motifs que ceux qui ont été mentionnés par la Cour dans son arrêt n° 14/2006, cité en B.62.1, la disposition attaquée ne porte pas une atteinte déraisonnable au droit à un recours juridictionnel effectif. En effet, dans la mesure où cette disposition doit être qualifiée d’ingérence dans les droits de la défense, elle est proportionnée aux objectifs poursuivis en matière de sécurité nationale et de confidentialité et elle s’accompagne en outre d’une procédure qui permet à un juge indépendant et impartial, ayant accès à toutes les pièces de la procédure, de contrôler la légalité d’un avis de sécurité négatif.
La disposition attaquée ne viole par conséquent pas les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.72. Le septième moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le huitième moyen
B.73. Le huitième moyen est pris de la violation, par l’article 22sexies/2 de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 47 de la loi du 7 avril 2023 (nouvel article 40), des articles 10, 11, 13, 22, 23, 26 et 27 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6, 8, 10, 11, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec le principe du raisonnable, avec le droit au libre choix d’un conseil, avec les articles 7, 8, 12, 28 et 47 de la Charte, avec le RGPD, avec les articles 182 et 190 de la Constitution, avec les Conventions de l’OIT nos 87, 98 et 154 et avec la liberté syndicale.
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B.74. Dans une première branche, les parties requérantes allèguent que la disposition attaquée viole les articles 10, 11 et 22, lus en combinaison avec l’article 182, de la Constitution, avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec les articles 7 et 8
de la Charte, en ce qu’elle ne prévoit pas les critères légaux sur la base desquels il convient de procéder à une évaluation des données consultées dans le cadre d’une vérification de sécurité et en ce que le Roi est habilité à déterminer des critères lorsque l’évaluation des données disponibles ne permet pas de délivrer un avis positif ou négatif sans équivoque.
Dans la deuxième branche de ce moyen, les parties requérantes allèguent que la disposition attaquée viole l’article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 7 et 8 de la Charte et avec le RGPD, en ce que les termes « comportement » et « environnement » qui y sont employés sont trop vagues et ne satisfont pas à l’exigence de prévisibilité qui fait partie intégrante du principe de légalité énoncé dans les normes de référence précitées.
B.75.1. Selon le deuxième alinéa de la disposition attaquée, un avis de sécurité négatif est délivré s’il ressort des données consultées que la personne concernée ne présente pas des garanties suffisantes quant à l’intégrité et est susceptible de porter atteinte par son comportement et/ou son environnement à un des intérêts visés à l’article 3 de la loi du 11 décembre 1998 ou à l’intégrité physique des personnes, au moyen de ressources auxquelles elle a accès dans le cadre de ses fonctions.
L’article 22sexies, § 1er, alinéa 1er, non attaqué, de la loi du 11 décembre 1998 (nouvel article 32, § 1er, alinéa 1er) détermine les données qui peuvent être consultées et évaluées dans le cadre d’une vérification de sécurité. Il s’agit, entre autres, du Registre national, du registre d’attente des étrangers, des casiers judiciaires, des données policières qui sont accessibles aux fonctionnaires de police lors de l’exécution de contrôles d’identité, des informations rassemblées dans le cadre de la loi organique des services de renseignement et de sécurité du 30 novembre 1998, communiquées par les services de renseignement et de sécurité, des données et informations des banques de données policières internationales résultant de traités liant la Belgique et de données et informations visées aux articles 44/1 et 44/2 de la loi du
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5 août 1992 « sur la fonction de police » qui sont communiquées par les services de police moyennant autorisation des autorités judiciaires compétentes pour les données de police judiciaire. Selon l’article 22sexies, § 1er, alinéa 2, de la loi du 11 décembre 1998 (nouvel article 32, § 2), le caractère adéquat, pertinent et non excessif des données et informations visées à l’alinéa 1er, 3°, 4° et 5° (nouvel article 32, § 1er, alinéa 1er, 3°, 4° et 5°), ainsi que la liste de ces données et informations sont déterminés par un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres après avis du Comité permanent R. Il a été donné exécution à cette disposition par l’arrêté royal du 8 mai 2018 « déterminant la liste des données et informations qui peuvent être consultées dans le cadre de l’exécution d’une vérification de sécurité ».
B.75.2. Si les informations disponibles ne permettent pas au chef du SGRS de délivrer un avis de sécurité positif ou négatif sans équivoque, il faut, aux termes de l’article 22sexies/2, dernier alinéa, de la loi du 11 décembre 1998 (nouvel article 40, dernier alinéa), attaqué, qu’un collège créé au sein du SGRS procède à l’évaluation de l’information disponible et donne un avis au chef du SGRS. Les règles de fonctionnement de ce collège et les critères sur lesquels est basée l’évaluation des données consultées pour déterminer la nature de l’avis de sécurité doivent être fixés par le Roi.
Les travaux préparatoires disposent :
« Afin d’aviser le chef du SGRS et de préparer ses décisions, un collège sera institué au sein du SGRS par arrêté royal, à l’initiative du ministre compétent pour la Défense. Ce collège évaluera seulement les dossiers individuels dont il ressort que l’évaluation de l’information disponible ne donne pas lieu à un avis positif ou négatif sans équivoque. Cette méthode de travail doit garantir que dans les cas où un avis négatif peut potentiellement être délivré, aura lieu une concertation entre différentes parties au sein de la Défense qui peuvent chacune évaluer le dossier à partir de leur propre expertise. Cela permettra d’examiner les informations disponibles selon différents points de vue et, de cette façon, de parvenir à une décision équilibrée et soutenue. La procédure de travail et la constitution, avec le directeur Sécurité du SGRS, un représentant du service juridique, du service personnel, du CHOD et, si nécessaire, de l’expertise externe, sera fixée [sic] au sein d’une procédure interne soumise au contrôle général du Comité permanent R.
[...]
Pour répondre à l’observation particulière 4.2. à l’amendement n° 4 du Conseil d’État, a été prévu que la création de ce collège, les règles de son fonctionnement et les critères sur
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lesquels est basée l’évaluation des données consultées afin de déterminer la nature de l’avis de sécurité sont fixés par le Roi » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-2443/002, pp. 25-
26).
B.76.1. L’article 182 de la Constitution dispose :
« Le mode de recrutement de l’armée est déterminé par la loi. Elle règle également l’avancement, les droits et les obligations des militaires ».
En attribuant au pouvoir législatif les compétences précitées, le Constituant a voulu éviter que le pouvoir exécutif règle seul la force armée. L’article 182 de la Constitution garantit ainsi à tout militaire qu’il ne pourrait être soumis à des obligations sans que celles-ci aient été décidées par une assemblée délibérante démocratiquement élue.
B.76.2. Bien que l’article 182 de la Constitution réserve la compétence normative au législateur fédéral, il n’exclut cependant pas que le législateur attribue un pouvoir limité d’exécution au Roi ou à une autre autorité. Une délégation conférée au Roi n’est pas contraire au principe de légalité pour autant que l’habilitation soit définie de manière suffisamment précise et porte sur l’exécution de mesures dont les éléments essentiels sont fixés préalablement par le législateur.
B.77.1. L’article 22 de la Constitution dispose :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.
La loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent la protection de ce droit ».
Le Constituant a recherché la plus grande concordance possible entre l’article 22 de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).
La portée de cet article 8 est analogue à celle de la disposition constitutionnelle précitée, de sorte que les garanties que fournissent ces deux dispositions forment un tout indissociable.
B.77.2. Le terme « loi » utilisé à l’article 22, alinéa 1er, de la Constitution désigne une disposition législative. En réservant au législateur compétent le pouvoir de fixer dans quels cas
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et à quelles conditions il peut être porté atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, cette disposition garantit à tout citoyen qu’aucune immixtion dans ce droit ne pourra avoir lieu qu’en vertu de règles adoptées par une assemblée délibérante, démocratiquement élue.
Une délégation à un autre pouvoir n’est pas contraire au principe de légalité, pour autant que l’habilitation soit définie de manière suffisamment précise et porte sur l’exécution de mesures dont les éléments essentiels sont fixés préalablement par le législateur.
B.77.3. Outre cette exigence de légalité formelle, l’article 22 de la Constitution impose également que l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée soit libellée en des termes clairs et suffisamment précis qui permettent d’appréhender de manière prévisible les hypothèses dans lesquelles le législateur autorise pareille ingérence dans le droit au respect de la vie privée.
De même, l’exigence de prévisibilité à laquelle la loi doit satisfaire pour être jugée conforme à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme implique que sa formulation soit assez précise pour que tout individu puisse prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé (CEDH, grande chambre, 17 février 2004, Maestri c. Italie, ECLI:CE:ECHR:2004:0217JUD003974898, § 30).
La loi doit offrir des garanties contre les atteintes arbitraires de la puissance publique au droit au respect de la vie privée, à savoir en délimitant le pouvoir d’appréciation des autorités concernées avec une netteté suffisante, d’une part, et en prévoyant un contrôle juridictionnel effectif, d’autre part (voy., entre autres, CEDH, grande chambre, 4 mai 2000, Rotaru c. Roumanie, ECLI:CE:ECHR:2000:0504JUD002834195, § 55; 6 juin 2006, Segerstedt-
Wiberg e.a. c. Suède, ECLI:CE:ECHR:2006:0606JUD006é200, § 76; 8 juin 2006, Lupsa c. Roumanie, ECLI:CE:ECHR:2006:0608JUD001033704, § 34).
B.77.4. Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme admet que le niveau de précision de la loi puisse être moindre dans le domaine de la sécurité nationale que dans les
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autres domaines (CEDH, 26 mars 1987, Leander c. Suède, § 51; 8 juin 2006, Lupsa c. Roumanie, précité, § 33).
B.78. Puisque la disposition attaquée porte sur les droits et obligations des militaires et qu’elle prévoit une ingérence dans le droit au respect de la vie privée en permettant au chef du SGRS et au collège créé en son sein de consulter et d’analyser certaines données à caractère personnel, il faut qu’elle respecte en l’espèce le principe de légalité, tel qu’il est garanti par l’article 22, alinéa 1er, de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, et par l’article 182, lu en combinaison avec les articles 10
et 11, de la Constitution.
B.79.1. Comme il est dit en B.75.1, un avis de sécurité négatif peut être délivré s’il ressort des données consultées que la personne concernée ne présente pas des garanties suffisantes quant à l’intégrité ou qu’elle est susceptible de porter atteinte par son comportement ou son environnement à un des intérêts visés à l’article 3 de la loi du 11 décembre 1998 ou à l’intégrité physique des personnes, au moyen de ressources auxquelles elle a accès dans le cadre de ses fonctions (article 22sexies/2, alinéa 2, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’introduit par l’article 47 de la loi du 7 avril 2023; nouvel article 40, alinéa 2).
Le législateur a par conséquent prévu des critères sur la base desquels un avis de sécurité négatif peut être délivré. Il a en outre déterminé, à l’article 22sexies de la loi du 11 décembre 1998 (nouvel article 32), les données qui peuvent être consultées et analysées dans le cadre d’une vérification de sécurité.
B.79.2. L’article 22sexies/2, attaqué, de la loi du 11 décembre 1998, tel qu’il a été inséré par l’article 47 de la loi du 7 avril 2023 (nouvel article 40), détermine par ailleurs les personnes qui doivent se soumettre à une vérification de sécurité (alinéa 1er), l’instance chargée de délivrer les avis de sécurité (alinéa 3), ainsi que la procédure à suivre si l’information disponible ne permet pas de délivrer un avis positif ou négatif sans équivoque (dernier alinéa).
B.79.3. Le législateur a ainsi déterminé les éléments essentiels du régime concerné.
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B.80.1. Le principe de légalité contenu dans les articles 22, alinéa 1er, et 182 de la Constitution n’exige pas que chaque terme qui figure dans une disposition législative soit défini ou précisé. Sauf mention expresse ou contraire, les termes employés dans une disposition légale doivent en effet se comprendre dans leur acception usuelle, en tenant compte du contexte de la disposition légale en question.
B.80.2. Les termes « comportement » et « environnement » utilisés dans la disposition attaquée doivent ainsi être compris dans leur acception usuelle, compte tenu des objectifs poursuivis par la vérification de sécurité, en particulier la sélection des collaborateurs les plus adéquats et la garantie que l’accès privilégié aux armes, aux formations spécialisées, aux informations sensibles et aux infrastructures spécifiques ne puisse pas faire l’objet d’abus et créer des risques de sécurité. Les travaux préparatoires soulignent à cet égard que « l’objectif poursuivi par une vérification de sécurité n’est pas de sanctionner des comportements répréhensibles, mais bien d’assurer la sécurité vis-à-vis des intérêts protégés par la loi du 11 décembre 1998 » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-2443/002, p. 23).
Du reste, le terme « environnement » est explicité dans les travaux préparatoires en des termes qui correspondent à l’acception usuelle de ce terme, compte tenu des objectifs que poursuit la vérification de sécurité :
« L’environnement d’un individu doit se concevoir comme les lieux, organisations, évènements et personnes qu’il choisit de fréquenter.
[...] Sont par exemple prises en compte des informations selon lesquelles une personne fréquente régulièrement un café lié à des activités d’extrême droite, ou qu’une personne joue un rôle actif dans une organisation à but non lucratif ayant des liens étroits avec une puissance étrangère connue pour s’ingérer activement dans les processus décisionnels d’autres pays. Il s’agit d’éléments qui peuvent être présents dans les bases de données dont la consultation est légalement autorisée dans le cadre de la réalisation des vérifications et qui peuvent être importants pour l’octroi ou non d’un avis de sécurité positif. Il y a donc un certain degré de contrôle que chaque individu exerce sur son environnement. En revanche, la simple existence de certains liens familiaux problématiques ne peut justifier à elle seule l’émission d’un avis de sécurité négatif » (ibid., pp. 23 et 24).
B.80.3. Compte tenu de ce qui est dit en B.77.4, les termes « comportement » et « environnement » employés dans la disposition attaquée sont suffisamment précis et permettent aux personnes concernées, dans le contexte de cette disposition, de prévoir les conséquences de leurs actes.
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B.81. Contrairement à ce que prétendent les parties requérantes, la circonstance que le législateur a prévu qu’il appartenait au Roi d’arrêter les critères sur la base desquels le collège établi au sein du SGRS peut évaluer les données consultées dans le cadre de la procédure à respecter lorsque le SGRS ne peut délivrer un avis de sécurité positif ou négatif sans équivoque à l’aide de l’information disponible ne permet pas de déduire que la disposition attaquée viole le principe de légalité.
En effet, ainsi qu’il a déjà été constaté, le législateur a déterminé dans la disposition attaquée les éléments essentiels du régime en cause, en des termes qui satisfont à l’exigence de prévisibilité contenue dans l’article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Comme il est dit en B.76.2 et B.77.2, une délégation au Roi ne contrevient pas au principe de légalité, garanti par les articles 22, alinéa 1er, et 182 de la Constitution, pour autant que cette habilitation soit décrite de manière suffisamment précise et qu’elle se rapporte à l’exécution de mesures dont le législateur a préalablement déterminé les éléments essentiels. L’habilitation conférée au Roi dans la disposition attaquée concerne des règles relatives au fonctionnement du collège et aux critères sur la base desquels celui-ci doit évaluer les données consultées. Elle est suffisamment précise et se rapporte à l’exécution de mesures dont les éléments essentiels ont été préalablement déterminés par le législateur. En effet, ce dernier a identifié le service au sein duquel le collège était établi, les cas dans lesquels il devait intervenir dans le cadre de la vérification de sécurité, ainsi que les modalités de son intervention.
Il ressort en outre des travaux préparatoires cités en B.75.2 que l’intervention de ce collège est envisagée comme une garantie supplémentaire pour la personne concernée dans les cas où
le chef du SGRS, sur la base des données consultées, a des doutes quant à la nature de l’avis de sécurité à délivrer. Compte tenu de ce fait ainsi que de l’économie générale de la disposition attaquée, il convient d’interpréter l’habilitation faite au Roi en ce sens qu’elle permet de préciser les critères énoncés à l’article 22sexies/2, alinéa 2, de la loi du 11 décembre 1998 (nouvel article 40, alinéa 2) dans les cas où l’information disponible ne permet pas de délivrer un avis
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positif ou négatif sans équivoque, afin, notamment, d’aboutir à une approche uniforme des données consultées par le collège établi au sein du SGRS.
B.82.1. Dans la mesure où les première et deuxième branches du huitième moyen sont prises de la violation des articles 10, 11 et 22, alinéa 1er, de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 182 de la Constitution, ce moyen, en ces branches, n’est pas fondé.
B.82.2. Dans la mesure où ces branches sont également prises de la violation des articles 7
et 8 de la Charte, il suffit de constater, vu notamment l’article 52, § 3, de la Charte, que ces normes de référence n’ont pas, en ce qui concerne le principe de légalité, une portée plus large que celle de l’article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.82.3. Dans la mesure où la deuxième branche du huitième moyen est également prise de la violation du RGPD, ce moyen, en cette branche, n’est pas recevable, et il n’est pas nécessaire d’examiner l’applicabilité du RGPD en l’espèce, dès lors que les parties requérantes n’exposent pas, dans leur requête, les articles du RGPD à prendre pour normes de référence, et en ce qu’elles n’exposent donc pas non plus en quoi la disposition attaquée violerait un article du RGPD en particulier.
B.83. Le huitième moyen, en ses première et deuxième branches, n’est pas fondé.
B.84. Dans le huitième moyen, en sa troisième branche, les parties requérantes soutiennent que la disposition attaquée viole le droit au libre choix d’un conseil et d’un syndicat, étant donné que cette disposition, sur la base du mot « environnement » qu’elle contient, permet à l’autorité de consulter des données relatives à l’avocat, au syndicat et au délégué syndical de la personne concernée et de décider, sur la base des informations obtenues, que l’avocat, le syndicat ou le délégué syndical porte atteinte à un des intérêts visés à l’article 3 de la loi du 11 décembre 1998.
D’après elles, la violation des droits précités constitue également une atteinte au principe d’égalité et de non-discrimination. Elles critiquent également l’absence d’une voie de recours contre un avis de sécurité négatif pour les personnes qui appartiennent à l’environnement de la personne concernée.
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B.85.1. Comme il est dit en B.75.1, un avis de sécurité négatif peut être délivré s’il ressort des données consultées que la personne concernée présente des garanties insuffisantes quant à l’intégrité et qu’elle est susceptible de porter atteinte, par son comportement ou son environnement, à un des intérêts visés à l’article 3 de la loi du 11 décembre 1998 ou à l’intégrité physique des personnes, au moyen de ressources auxquelles elle a accès dans le cadre de l’exercice de ses fonctions.
Contrairement à ce que prétendent les parties requérantes, il ne peut se déduire de la possible prise en compte, dans le cadre d’une vérification de sécurité, de l’environnement de la personne qui fait l’objet de cette vérification que la disposition attaquée a des conséquences juridiques pour des personnes ou des associations qui appartiennent à l’environnement de la personne concernée, telles que son conseil, son syndicat ou son délégué syndical. Un avis de sécurité négatif n’a de conséquence juridique que pour la personne qui fait l’objet de la vérification de sécurité.
B.85.2. Étant donné qu’un avis de sécurité négatif n’entraîne pas des effets juridiques pour les personnes ou les associations appartenant à l’environnement de la personne qui fait l’objet d’une vérification de sécurité, la disposition attaquée, en ce qu’elle ne prévoit pas pour ces personnes et associations de voie de recours contre un avis de sécurité négatif, ne viole pas le droit à un recours juridictionnel effectif, tel qu’il est garanti, entre autres, par l’article 13 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.86.1. Comme il est dit en B.24.1, il convient de considérer, sauf indication contraire, que lorsque le législateur accorde à un organisme public, comme en l’espèce le chef du SGRS, un pouvoir déterminé, comme en l’espèce celui de procéder à une vérification de sécurité à l’égard d’une personne, cet organisme public ne peut exercer cette compétence que d’une manière qui est conforme à la Constitution, aux dispositions internationales et aux principes généraux qui contiennent une garantie fondamentale.
Il ne peut se déduire d’aucune disposition de la loi attaquée que le chef du SGRS peut porter atteinte à la liberté syndicale et au droit au libre choix d’un conseil dans le cadre d’une
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vérification de sécurité. Les travaux préparatoires de cette loi ne contiennent pas non plus la moindre indication en ce sens.
B.86.2. Contrairement à ce qu’allèguent les parties requérantes, le chef du SGRS ne peut ainsi pas exercer sa compétence dans le cadre de la vérification de sécurité pour donner libre cours à son inclination à la défiance envers des organisations syndicales et pour ainsi porter atteinte à la liberté syndicale, telle qu’elle est garantie par les normes de référence citées au moyen examiné. Le chef du SGRS ne peut pas non plus exercer sa compétence pour violer le droit au libre choix d’un conseil.
Du reste, un avis de sécurité négatif peut faire l’objet d’un recours devant l’organe de recours, lequel doit alors contrôler si le chef du SGRS a excédé sa compétence.
B.87.1. Pour le surplus, les parties requérantes n’exposent pas clairement, dans la troisième branche du huitième moyen, en quoi la disposition attaquée violerait chacune des normes de référence mentionnées au moyen.
B.87.2. Le moyen, en sa troisième branche, dans la mesure où il est recevable, n’est pas fondé.
B.88. Le huitième moyen n’est pas fondé.
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Par ces motifs,
la Cour,
compte tenu de ce qui est dit en B.24, B.27, B.80.2 et B.86, rejette le recours.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 décembre 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Luc Lavrysen