La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/12/2024 | BELGIQUE | N°156/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 19 décembre 2024, 156/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 156/2024
du 19 décembre 2024
Numéros du rôle : 8067, 8068, 8075 et 8080
En cause : les recours en annulation partielle de l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023
« modifiant les lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973 », introduits par l’ASBL « Aktiekomitee Red de Voorkempen » et autres et par Dirk Bus et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine

de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assisté...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 156/2024
du 19 décembre 2024
Numéros du rôle : 8067, 8068, 8075 et 8080
En cause : les recours en annulation partielle de l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023
« modifiant les lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973 », introduits par l’ASBL « Aktiekomitee Red de Voorkempen » et autres et par Dirk Bus et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des recours et procédure
a. Par trois requêtes adressées à la Cour par lettres recommandées à la poste les 18, 24 juillet 2023 et 2 septembre 2023 et parvenues au greffe les 19, 25 juillet 2023 et 5 septembre 2023, des recours en annulation partielle de l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023 « modifiant les lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973 » (publiée au Moniteur belge du 24 juillet 2023) ont été introduits par l’ASBL « Aktiekomitee Red de Voorkempen », Dirk Bus, Jean de Ghellinck d’Elseghem Vaernewyck, Pascal Malumgré et Jan Creve, assistés et représentés par Me Philippe Vande Casteele, avocat au barreau d’Anvers.
b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 14 septembre 2023
et parvenue au greffe le 15 septembre 2023, un recours en annulation partielle de l’article 5 de la même loi a été introduit par Dirk Bus, Jean de Ghellinck d’Elseghem Vaernewyck, Pascal Malumgré et Jan Creve, assistés et représentés par Me Philippe Vande Casteele.
Ces affaires, inscrites sous les numéros 8067, 8068, 8075 et 8080 du rôle de la Cour, ont été jointes.
2
Des mémoires et mémoires en réplique ont été introduits par :
- l’ASBL « Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen », assistée et représentée par Me Philippe Vande Casteele (partie intervenante dans les affaires nos 8067, 8068 et 8075);
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Nicolas Bonbled, Me Sebastiaan De Meue et Me Junior Geysens, avocats au barreau de Bruxelles.
Les parties requérantes ont introduit des mémoires en réponse.
Par ordonnance du 23 octobre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Sabine de Bethune et Thierry Giet, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et les affaires seraient mises en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité des recours
A.1.1. Le Conseil des ministres soutient que les recours dans les affaires nos 8067, 8068, 8075 et 8080 sont irrecevables parce que les parties requérantes ne justifient pas d’un intérêt. Il affirme que celles-ci ne démontrent pas être directement et défavorablement affectées par l’article 5, attaqué, de la loi du 11 juillet 2023 « modifiant les lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973 » (ci-après : la loi du 11 juillet 2023). Avant toute chose, elles ne démontrent en effet pas qu’elles seraient parties à une procédure pendante ou imminente devant le Conseil d’État. Les parties requérantes dans les affaires nos 8068 et 8075 ne démontrent du reste pas en quoi la disposition attaquée affecterait leurs buts statutaires. Le Conseil des ministres estime par ailleurs que les conséquences que les parties requérantes attachent à la disposition attaquée sont trop spéculatives et indirectes. Il soutient que les scénarios et les hypothèses qu’elles avancent ne résultent pas de la disposition attaquée, mais de l’application qu’en pourrait faire le Conseil d’État. Selon lui, les moyens des parties requérantes dans les affaires nos 8067 et 8068 reposent sur des déductions erronées et conjecturales que l’on ne saurait attribuer telles quelles à la disposition attaquée. Dans l’affaire no 8075, les parties requérantes soulèvent des hypothèses très spécifiques, sans démontrer de manière plausible qu’elles-mêmes y seront un jour confrontées.
A.1.2. Les parties requérantes relèvent tout d’abord que la démonstration de leur intérêt ne leur impose pas une obligation d’allégation. Elles réfutent également les exceptions d’irrecevabilité que le Conseil des ministres a formulées en des termes très généraux. Les formules génériques employées par le Conseil des ministres sont dénuées de pertinence, puisque leur intérêt peut également se déduire de l’ensemble de la requête et que le Conseil des ministres ne l’ébranle pas. Toute personne a le droit constitutionnel d’accéder au juge. Dès lors, les parties requérantes justifient aussi d’un intérêt à l’annulation des nouvelles restrictions ou des nouveaux motifs d’exception instaurés par l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023. Les nouvelles restrictions procédurales que le législateur a introduites leur causent indéniablement grief. À cet égard, le fait que la disposition attaquée ait confirmé une restriction préexistante à l’issue d’un nouvel examen est dénué de pertinence. Les dispositions
3
présentement attaquées affectent directement un aspect essentiel de l’état de droit démocratique qui est à ce point essentiel que sa sauvegarde intéresse tous les citoyens. Elles soulignent également être (ou avoir été) impliquées dans des procédures devant le Conseil d’État, soit en tant que parties, soit en tant qu’avocats. Elles contestent aussi l’affirmation selon laquelle elles invoquent des hypothèses exceptionnelles et spécifiques qui seraient de nature à mettre en doute le fait qu’elles sont directement et défavorablement affectées.
A.2.1. Le Conseil des ministres soutient que les recours dans les affaires nos 8075 et 8080 sont tardifs, étant donné qu’ils sont exclusivement dirigés contre des dispositions reprenant des règles existantes, dont seule la numérotation a été révisée. Selon lui, les articles 17, § 9, et 17, § 10, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973 (ci-après : la loi du 12 janvier 1973), tels qu’ils ont été insérés par la disposition attaquée, sont identiques aux articles 17, § 6 et 17, § 7, de la loi du 12 janvier 1973, précédemment en vigueur. Il ajoute que l’article 17, § 3, de cette même loi, tel qu’il a été modifié par la disposition attaquée, ne différerait pas de l’article 17, § 3, de la loi du 12 janvier 1973, précédemment en vigueur, à une insertion limitée d’un segment de phrase près, que les parties requérantes dans l’affaire no 8080 ne critiquent pas. Partant, ces recours, en ce qu’ils ne sont en réalité pas dirigés contre des dispositions nouvelles, sont tardifs. Il s’agit, selon le Conseil des ministres, d’une législation de pure confirmation par laquelle le législateur aurait procédé essentiellement à une coordination, sans légiférer à nouveau.
A.2.2. Les parties requérantes dans l’affaire n° 8080 estiment que l’article 17, § 3, de la loi du 12 janvier 1973 n’a confirmé que partiellement la législation existante, et qu’il y a lieu de tenir compte de la réforme globale de la procédure du référé administratif, de sorte que la disposition introduit effectivement suffisamment de nouveautés et qu’il est donc question d’une nouvelle intervention normative du législateur. Ce dernier ne s’est pas contenté de confirmer le contenu sans le moindre réexamen ni la moindre donnée nouvelle. C’est en abordant pas à pas ce sujet avec un regard neuf, dans un contexte d’élargissement du cadre personnel, qu’il a remanié tout l’article 17 de la loi du 12 janvier 1973. Les passages que l’on pourrait dire « de confirmation » résultent d’un nouvel examen à la lumière de circonstances différentes. Le recours n’est donc pas tardif. Pour les raisons précitées, les parties requérantes dans l’affaire no 8075 considèrent, mutatis mutandis, que le recours contre l’article 17, § 10, de la loi du 12 janvier 1973 n’est pas tardif.
En ce qui concerne les affaires nos 8067 et 8068
A.3.1. Les parties requérantes dans les affaires nos 8067 et 8068 prennent un moyen unique de la violation, par l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023, des articles 10, 11, 13, 16, 19, 20, 21, 22, 22bis, 23, 26 et 27 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 142 et 160 de la Constitution, avec les articles 6, 8, 10, 11, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention précitée, avec le Protocole n° 16 à cette Convention, avec le principe général du droit d’accès à un juge et avec le principe de standstill, avec le principe du caractère raisonnable et le principe de précaution en matière environnementale, avec les articles 7, 47 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec les articles 4 et 6 du Traité sur l’Union européenne (ci-après : le TUE) et avec le principe de coopération, avec les articles 191 et 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE), avec le principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit de l’Union, avec les articles 1er, 3, 6 et 9 de la Convention d’Aarhus, avec les articles 4, 6, 9 et 11 de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 « concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (texte codifié) » (ci-après : la directive 2011/92/UE), et avec l’article 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.
A.3.2. Le moyen unique est dirigé contre l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023, en ce qu’il fixe, par l’article 17, § 1er, alinéa 3, 2°, de la loi du 12 janvier 1973, une nouvelle condition procédurale cumulative relative au référé administratif, qui résulte de l’insertion du segment de phrase « dont l’examen se prête à un examen accéléré et ».
A.4.1. Dans une première branche, les parties requérantes invoquent une violation des articles 191 et 267 du TFUE et des articles 4 et 6 du TUE, ainsi que des autres principes du droit de l’Union cités au moyen unique. La condition attaquée sape et restreint de manière inconstitutionnelle les garanties offertes par le droit de l’Union. De plus, elle supprime toute possibilité pour le Conseil d’État de soumettre par voie incidente à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle portant sur la légalité des actes de l’Union. Elle empêche en outre le Conseil d’État d’obtenir la suspension de l’exécution de la décision attaquée, dans l’attente de la réponse de la Cour de justice. Selon les parties requérantes, la condition attaquée empêche du reste le Conseil d’État d’imposer,
4
dans le cadre d’un recours régi par le droit de l’Union, des mesures provisoires visant à garantir le plein effet du droit de l’Union.
Selon les parties requérantes, cette violation du droit de l’Union entraîne automatiquement une différence de traitement injustifiée au détriment d’une catégorie de personnes qui se voient privées des droits garantis par ce droit.
A.4.2. À titre subsidiaire, elles demandent à la Cour de poser à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante :
« L’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’article 4.3 du Traité sur l’Union européenne, le principe général du droit d’accès à un juge, le principe de la loyauté communautaire et le principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire, considérés séparément et lus en combinaison avec l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ne s’opposent-ils pas à la réglementation nationale, prévue à l’article 5 de la loi du [11] juillet 2023
(modifiant les lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973),
en ce qu’elle remplace la règle, énoncée à l’ancien article 17, § 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, tel qu’il a été remplacé par la loi du 20 janvier 2014 (portant réforme de la compétence, de la procédure et de l’organisation du Conseil d’État, Moniteur belge du 3 février 2014), selon laquelle ‘ Cette suspension ou ces mesures provisoires peuvent être ordonnées à tout moment : 1° s’il existe une urgence incompatible avec le traitement de l’affaire en annulation; 2° et si au moins un moyen sérieux susceptible prima facie de justifier l’annulation de l’acte ou du règlement est invoqué ’, par la nouvelle règle, plus restrictive, selon laquelle ‘ Cette suspension ou ces mesures provisoires peuvent être ordonnées à tout moment : 1° s’il existe une urgence incompatible avec le traitement de l’affaire en annulation; 2° et si au moins un moyen sérieux est invoqué dont l’examen se prête à un traitement accéléré et qui est susceptible prima facie de justifier l’annulation de l’acte ou du règlement attaqué ’ »,
- compte tenu de ce que la nouvelle condition cumulative, qui résulte du complément de phrase ‘ si (au moins un moyen sérieux est invoqué) dont l’examen se prête à un traitement accéléré et (qui est susceptible prima facie de justifier l’annulation de l’acte ou du règlement attaqué) ’ – est justifiée comme suit dans l’exposé des motifs de la loi (Doc. Parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3220/001, pp. 16-17) :
‘ Il doit s’agir, par ailleurs, d’un moyen “ dont l’examen se prête à un traitement accéléré ”.
Cette qualification ne concerne pas le nombre de moyens invoqués, ou l’importance ou la manière de formuler les développements du moyen, mais bien la nature du moyen invoqué. Le magistrat doit pouvoir attendre d’une partie qui invoque, par exemple, la violation directe d’une directive, dans une procédure de suspension, qu’elle démontre également pourquoi cette directive, et non la réglementation de droit interne, est invoquée (par exemple, en raison de la transposition tardive ou incomplète en droit interne). Il ne peut être exigé du magistrat statuant en référé qu’il effectue cet examen sans les indications de la partie requérante dans une procédure caractérisée par la “ summaria cognitio ”. ’ ? ».
A.5.1. Dans la deuxième branche, les parties requérantes soutiennent que la condition ainsi attaquée restreint de manière disproportionnée l’accès au juge, tel qu’il est garanti par les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, par les articles 47 et 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, par l’article 11 de la directive 2011/92/UE et par l’article 9 de la Convention d’Aarhus.
Selon elles, en effet, le Conseil d’État ne peut plus ordonner la suspension et/ou des mesures provisoires, à moins que l’examen du moyen invoqué se prête à un traitement accéléré. Il s’agit d’une restriction excessive de l’accès au référé administratif devant le Conseil d’État et de la possibilité d’obtenir une suspension et/ou des mesures provisoires, dès lors que le justiciable devant le Conseil d’État a déjà l’obligation d’invoquer un moyen sérieux.
Le législateur ne poursuit pas un objectif légitime et les parties requérantes ne voient pas quel objectif le législateur poursuivrait avec la condition attaquée. Ne constitue en tout état de cause pas un objectif légitime le fait de simplement affirmer qu’il ne peut être exigé de la part du juge statuant en référé qu’il effectue cet examen sans les indications de la partie requérante dans une procédure caractérisée par la « summaria cognitio ». Le fait
5
que l’examen d’un moyen se prête ou non à un traitement accéléré constitue une restriction de l’accès au Conseil d’État qui n’est ni pertinente ni raisonnablement justifiée. Même à supposer qu’il y ait un but légitime, il n’en demeurerait pas moins qu’il serait manifestement déraisonnable d’entraver et de retarder l’examen du référé administratif au détriment des parties requérantes, en prévoyant la nouvelle condition cumulative.
La violation alléguée est d’autant plus criante en matière environnementale.
Selon les parties requérantes, la condition attaquée porte également atteinte à l’obligation de standstill, qui découle de l’article 3 de la Convention d’Aarhus et de l’article 23 de la Constitution. La condition attaquée entraîne en effet un recul significatif. De plus, en matière environnementale, l’entrave au traitement du référé administratif voire son report avec l’instauration de la condition attaquée, au détriment des parties requérantes, ne servent pas l’intérêt général. Ainsi, selon les parties requérantes, l’obligation de standstill est également violée.
Selon les parties requérantes, la condition attaquée rend également impossible l’examen de moyens d’ordre public, même si ces moyens ont été explicitement soulevés par des requérants, au seul motif que ces moyens ne se prêtent pas à un traitement accéléré. Dans cette optique, il est question d’un recul significatif. En matière environnementale, la condition attaquée excluant l’examen des moyens d’ordre public dessert l’intérêt général.
A.5.2. Les parties requérantes demandent à la Cour de soumettre à la Cour européenne des droits de l’homme la demande d’avis suivante quant à l’interprétation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme :
« Les articles 6, 13 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après : la CEDH) doivent-ils être interprétés et appliqués en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à la réglementation nationale, énoncée à l’article 5 de la loi du [11] juillet 2023 (modifiant les lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973) en ce qu’elle remplace la règle, énoncée à l’ancien article 17, § 1er des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, tel qu’il a été remplacé par la loi du 20 janvier 2014
(portant réforme de la compétence, de la procédure et de l’organisation du Conseil d’État, Moniteur belge du 3 février 2014), selon laquelle ‘ Cette suspension ou ces mesures provisoires peuvent être ordonnées à tout moment : 1° s’il existe une urgence incompatible avec le traitement de l’affaire en annulation; 2° et si au moins un moyen sérieux susceptible prima facie de justifier l’annulation de l’acte ou du règlement est invoqué ’, par la nouvelle règle, plus restrictive, selon laquelle ‘ Cette suspension ou ces mesures provisoires peuvent être ordonnées à tout moment : 1° s’il existe une urgence incompatible avec le traitement de l’affaire en annulation;
2° et si au moins un moyen sérieux est invoqué dont l’examen se prête à un traitement accéléré et qui est susceptible prima facie de justifier l’annulation de l’acte ou du règlement attaqué ’;
- compte tenu de ce que la nouvelle condition cumulative, qui résulte du complément de phrase ‘ si (au moins un moyen sérieux est invoqué) dont l’examen se prête à un traitement accéléré et (qui est susceptible prima facie de justifier l’annulation de l’acte ou du règlement attaqué) ’ est justifiée comme suit dans l’exposé des motifs de la loi (Doc. Parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55 3220/001, pp. 16-17) :
‘ Il doit s’agir, par ailleurs, d’un moyen “ dont l’examen se prête à un traitement accéléré ”.
Cette qualification ne concerne pas le nombre de moyens invoqués, ou l’importance ou la manière de formuler les développements du moyen, mais bien la nature du moyen invoqué. Le magistrat doit pouvoir attendre d’une partie qui invoque, par exemple, la violation directe d’une directive, dans une procédure de suspension, qu’elle démontre également pourquoi cette directive, et non la réglementation de droit interne, est invoquée (par exemple, en raison de la transposition tardive ou incomplète en droit interne). Il ne peut être exigé du magistrat statuant en référé qu’il effectue cet examen sans les indications de la partie requérante dans une procédure caractérisée par la “ summaria cognitio ” ’ ? ».
A.6. Dans la troisième branche, elles soutiennent que la condition attaquée prévoit une identité de traitement entre tous les moyens, qu’ils soient d’ordre public ou non. Elles affirment qu’il ne saurait être raisonnablement
6
justifié que la condition attaquée s’applique également aux moyens d’ordre public qui doivent être soulevés ou complétés d’office. Dès lors que les normes sur lesquelles portent ces moyens priment les intérêts particuliers, l’on peut attendre du juge qu’il les examine, même si les indications de la partie requérante sont insuffisantes ou inexistantes.
A.7. Dans la quatrième branche, les parties requérantes dénoncent une discrimination en ce que la loi du 17 juin 2013 « relative à la motivation, à l’information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions » (ci-après : la loi du 17 juin 2013) ne prévoit pas, pour les requérants, une condition procédurale plus lourde similaire et donc un amoindrissement de la protection juridique, en ce qui concerne les procédures de référé en matière de marchés publics. Aucun motif valable ne justifie de prévoir par contre une telle condition pour les procédures de suspension de droit commun.
A.8. Enfin, dans la cinquième branche, les parties requérantes soutiennent que la condition attaquée porte atteinte au principe d’égalité, au droit d’accès à un juge et à l’obligation de standstill, en ce qu’elle s’applique toujours, que la partie adverse ait déposé l’intégralité du dossier administratif ou non. L’imposition d’une condition plus stricte aux requérants ne tient pas, d’autant qu’ils ne jouent aucun rôle dans la décision de la partie adverse de renoncer au dépôt d’un dossier administratif. Une éventuelle obligation de déposer ce dossier dans le courant de la procédure d’annulation n’y changerait rien. Selon les parties requérantes, l’imposition de cette condition ne poursuit pas un objectif légitime et n’est pas raisonnablement justifiée, même lorsque le dossier administratif n’a pas été déposé.
A.9. Le Conseil des ministres estime que le moyen unique dans les affaires n os 8067 et 8068 est à tout le moins partiellement irrecevable. L’exposé du moyen ne satisfait pas aux exigences qui découlent de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989. Ainsi, les parties requérantes n’exposent pas en quoi l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023 violerait les articles 142 et 160 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 6, 8, 10 et 11 de la Convention européenne des droits l’homme, avec le Protocole no 16 à cette convention, avec le principe de précaution en matière environnementale, avec les articles 7 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec l’article 6 du Traité sur l’Union européenne, avec l’article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, avec les articles 1er, 3, 6 et 9 de la Convention d’Aarhus et avec les articles 4, 6 et 9 de la directive 2011/92/UE. Elles n’expliquent pas davantage en quoi la disposition attaquée violerait les articles 16, 20, 21, 22, 22bis, 26 et 27 de la Constitution. Dans la mesure où le moyen unique est pris d’une violation de ces dispositions, il est irrecevable.
A.10.1. Le Conseil des ministres fait ensuite valoir que le moyen des parties requérantes repose sur la prémisse erronée selon laquelle la disposition attaquée instaurerait une nouvelle condition cumulative relative à la procédure administrative. Selon lui, l’urgence et la gravité du moyen demeurent les deux conditions cumulatives de toute suspension. Il ne s’agit pas d’une condition supplémentaire à remplir cumulativement dans le cadre d’une suspension, de sorte qu’il n’est pas question d’un alourdissement de la procédure. Selon le Conseil des ministres, l’ajout du segment de phrase « dont l’examen se prête à un traitement accéléré » est simplement une codification de la jurisprudence du Conseil d’État. Selon lui, il ne s’agit que de clarifier la condition légale relative au caractère sérieux du moyen. Cette exigence supplémentaire relative au moyen est justifiée à la lumière des droits de la défense de la partie adverse, qui ne dispose que de délais très serrés pour réagir. La prémisse étant erronée, le moyen n’est pas fondé.
A.10.2. En ce qui concerne la première branche, le Conseil des ministres rappelle que les conditions de la suspension sont toujours les mêmes, à savoir (1) l’urgence et (2) le caractère sérieux du moyen. Si ces deux conditions sont remplies, une suspension ou une mesure provisoire peuvent être ordonnées. La disposition attaquée n’y change rien. Elle n’introduit aucune condition cumulative supplémentaire. Aussi, en ce que les parties requérantes prétendent que la disposition attaquée empêcherait de prononcer une suspension de l’exécution de l’acte attaqué ou d’ordonner des mesures provisoires, le moyen manque en fait. Rien ne s’oppose à ce que le Conseil d’État pose à la Cour de justice une question préjudicielle dans le cadre d’une procédure de référé administratif et suspende provisoirement, dans l’intervalle, l’exécution de l’acte attaqué ou ordonne, dans l’attente de l’arrêt, les mesures nécessaires à la sauvegarde des droits des parties. La disposition attaquée ne remet pas cela en cause. Elle ne prive nullement le Conseil d’État de cette possibilité. Elle ne fait que confirmer la jurisprudence de ce dernier selon laquelle le fait de poser une question préjudicielle à la Cour de justice n’est en principe pas compatible avec la procédure en référé. Elle n’exclut pas pour autant la possibilité qu’une question préjudicielle soit tout de même posée à ce stade. Aussi, c’est tout à fait à tort que les parties requérantes prétendent que la disposition attaquée aurait par définition pour effet d’empêcher désormais le Conseil d’État de poser une question
7
préjudicielle à la Cour de justice dans le cadre d’un référé administratif et d’adopter des mesures provisoires ou d’ordonner une suspension, dans l’attente de l’arrêt de la Cour de justice. Dès lors, il n’y a pas lieu de poser à la Cour de justice la question préjudicielle suggérée par les parties requérantes.
A.10.3. En ce qui concerne la deuxième branche, le Conseil des ministres estime que les parties requérantes n’expliquent pas en quoi le droit d’accès à un juge serait violé, de sorte que ce motif suffit à lui seul pour constater que le moyen, en cette branche, n’est pas fondé. C’est du reste à tort qu’elles prétendent que la disposition attaquée a pour effet d’empêcher le Conseil d’État de soulever d’office des moyens d’ordre public dans le cadre d’une procédure de référé administratif. En réalité, la disposition attaquée ne s’y oppose nullement. Cette affirmation ne trouve aucun fondement dans le texte de la disposition attaquée ni dans les travaux préparatoires. Cela dit, le fait est que le moyen d’ordre public, comme tout autre moyen soulevé dans le cadre d’une demande de suspension, doit se concilier avec la nature de la procédure en référé. Autrement dit, même un moyen d’ordre public doit être clair au point que l’on puisse immédiatement admettre, dès la première lecture, qu’il peut fonder une déclaration de nullité, sans qu’un examen approfondi du moyen soit nécessaire. Si un moyen d’ordre public témoigne effectivement d’une illégalité manifeste et se concilie donc avec la nature de la procédure en référé, il sera effectivement traité. La compétence du Conseil d’État n’est donc en aucune manière « restreinte ». Par conséquent, il ne peut pas être question non plus d’une absence de lien raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et l’objectif poursuivi, que ce soit en matière environnementale ou dans d’autres matières. Pour les mêmes motifs, il n’est pas non plus question d’un recul significatif du droit d’accès à un juge. En outre, la mesure attaquée est claire et elle ne soulève pas de difficultés d’interprétation particulières. Partant, il n’y a pas lieu de solliciter l’avis de la Cour européenne des droits de l’homme.
A.10.4. En ce qui concerne la troisième branche, le Conseil des ministres rappelle que la disposition attaquée n’instaure pas une condition cumulative supplémentaire dans le cadre du référé administratif. Une fois encore, le moyen, en cette branche, repose sur la même prémisse erronée, de sorte que, pour ce seul motif, il est dénué de fondement. Ensuite, la disposition attaquée ne change rien en ce qui concerne le traitement des moyens d’ordre public. Ni le texte de cette disposition ni les travaux préparatoires ne font référence aux moyens d’ordre public (ou à leur traitement). C’est d’ailleurs logique, puisque la théorie des moyens d’ordre public est le fruit de la jurisprudence du Conseil d’État. La disposition attaquée ne peut donc rien y changer. La critique des parties requérantes anticipe en substance le sort que réservera à l’avenir le Conseil d’État aux moyens dits « d’ordre public » dans le cadre des procédures de référé. Toutefois, elle ne vise pas la disposition attaquée proprement dite.
Il convient de rappeler à cet égard que la disposition attaquée n’empêche nullement le Conseil d’État de soulever d’office des moyens d’ordre public dans le cadre d’un référé administratif. Il faut seulement qu’un moyen (d’ordre public) puisse se concilier avec la nature de la procédure de référé. Le moyen, en sa troisième branche, n’est pas fondé.
A.10.5. En ce qui concerne la quatrième branche, le Conseil des ministres fait valoir que les parties requérantes se fondent sur une prémisse erronée. Le traitement des demandes de suspension introduites contre des décisions des autorités adjudicatrices au sens de la loi du 17 juin 2013 obéit aux mêmes dispositions procédurales.
Il s’ensuit également que la disposition attaquée s’applique effectivement aux demandes de suspension introduites contre les décisions des autorités adjudicatrices au sens de la loi du 17 juin 2013. Le moyen, en sa quatrième branche, n’est pas fondé.
A.10.6. En ce qui concerne la cinquième branche, le Conseil des ministres rappelle tout d’abord que la disposition attaquée n’introduit pas une condition cumulative supplémentaire dans le cadre du référé administratif.
Une fois encore, le moyen, en cette branche, repose sur la même prémisse erronée, de sorte que, pour ce seul motif, il est dénué de fondement. Ensuite, les parties requérantes avancent diverses hypothèses et déductions inexactes.
Dans la jurisprudence du Conseil d’État, la partie adverse qui ne dépose pas de dossier administratif ou en dépose un qui est incomplet est pénalisée de différentes manières. Avant toute chose, il est de jurisprudence constante devant le Conseil d’État que, lorsqu’aucun dossier administratif n’est déposé, les faits allégués par la partie requérante peuvent, sauf inexactitude manifeste, être réputés corrects. En outre, le Conseil d’État a déjà jugé à plusieurs reprises qu’en l’absence de dossier administratif, il doit être admis que la décision attaquée ne repose pas sur le fondement juridique requis, de sorte que le moyen est sérieux. Deuxièmement, il est de jurisprudence constante devant le Conseil d’État que le dossier administratif doit être déposé dans son intégralité et qu’il n’appartient pas à la partie adverse de passer au crible les pièces le composant pour décider de ce qui est utile dans l’appréciation de la régularité de la décision attaquée. En pareil cas, le Conseil d’État peut ordonner le dépôt du dossier administratif dans son intégralité. Cette possibilité existe également dans le cadre d’un référé administratif.
Troisièmement, un dossier administratif ou des pièces le composant déposés tardivement sont en tout cas écartés des débats. La disposition attaquée ne modifie ni n’affecte en rien cette jurisprudence. Celle-ci reste donc
8
pleinement applicable. Il est manifestement erroné d’affirmer que, lorsque la partie adverse ne dépose pas de dossier administratif ou qu’un tel dossier est incomplet, le Conseil d’État ne peut que conclure que les moyens soulevés ne se prêtent pas à un traitement accéléré. Le contraire semble du reste assez plausible, puisqu’un dossier administratif peut ajouter à la complexité et à la technicité de l’affaire, de sorte qu’un examen au fond plus approfondi s’impose. Dès lors, rien n’indique que la disposition attaquée habiliterait la partie adverse à déterminer elle-même que la demande de suspension et/ou de mesures provisoires sera rejetée en refusant simplement de déposer un dossier administratif ou en déposant un dossier incomplet. C’est plutôt l’inverse qui semble plausible, compte tenu du nouvel article 17, § 4, alinéa 5, de la loi du 12 janvier 1973, que les parties requérantes négligent à tort. Le moyen, en sa cinquième branche, n’est pas fondé.
En ce qui concerne l’affaire n° 8075
A.11.1. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation, par l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023, des articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 160 de la Constitution et avec le principe de l’accès au juge, avec les articles 6, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les principes généraux de légalité, du raisonnable, de la confiance et des attentes légitimes, ainsi qu’avec les articles 7, 47 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
A.11.2. Le premier moyen est dirigé contre l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023, en ce qu’il établit une présomption de désistement d’instance lorsqu’une demande de poursuite de la procédure n’a pas été introduite (en temps utile) à la suite d’un arrêt de rejet (voy. article 17, § 10, nouveau, de la loi du 12 janvier 1973).
A.11.3. Dans la première branche, les parties requérantes dénoncent une atteinte disproportionnée au droit d’accès à un juge dans l’hypothèse définie où les requérants introduiraient d’abord un recours en annulation, pour ne soumettre qu’ensuite une demande de suspension. Dans ce scénario, la demande de suspension n’énoncerait pas tous les moyens soulevés dans le recours en annulation, mais seulement ceux qui se prêtent à un traitement accéléré en référé. Dans cette même hypothèse, le Conseil d’État déciderait de rejeter la demande de suspension.
Selon les parties requérantes, l’application du délai préfix pour introduire une demande de poursuite de la procédure n’est pas raisonnablement justifiée au regard des réalisations particulièrement importantes de la récente réforme du Conseil d’État, compte tenu de la sanction prévue en cas de non-introduction de cette demande. Selon les parties requérantes, il n’est pas raisonnablement justifié, dans cette hypothèse particulière, que la non-
introduction d’une demande de poursuite entraîne l’application de la présomption de désistement d’instance.
Dans un premier addendum à cette branche du moyen, les parties requérantes soulignent que le caractère déraisonnable de cette règle est d’autant plus manifeste lorsque le recours en annulation contient également des moyens complexes d’ordre public ou tirés du droit de l’Union. Dans un second addendum à cette branche du moyen, les parties requérantes soutiennent qu’il y a lieu de poser à la Cour de justice et à la Cour européenne des droits de l’homme, respectivement, la question préjudicielle et la demande d’avis suivantes :
« L’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le principe général du droit d’accès à un juge, le principe de la loyauté communautaire et le principe de la protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire, considérés séparément et en combinaison, ne s’opposent-ils pas à la réglementation nationale, prévue à l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023 (modifiant les lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973) (Moniteur belge, 24 juillet 2023), selon laquelle l’article 17, § 10, remplacé, des lois coordonnées sur le Conseil d’État dispose désormais qu’‘ Il existe dans le chef de la partie requérante une présomption de désistement d’instance (= le recours en annulation) lorsque, la demande de suspension d’un acte ou d’un règlement ou la demande de mesures provisoires ayant été rejetée, la partie requérante n’introduit aucune demande de poursuite de la procédure (= la procédure d’annulation) dans un délai de trente jours à compter de la notification de l’arrêt ’,
en ce que l’examen du recours en annulation après le rejet du référé administratif (c’est-à-dire à l’issue de la procédure d’annulation) est subordonné à l’introduction d’une ‘ demande de poursuite de la procédure ’ (dans un délai de 30 jours), lorsque les requérants se sont conformés par hypothèse à la recommandation procédurale (du législateur) selon laquelle ‘ (puisque) le recours en référé ordinaire ne devra plus être introduit en même temps que le recours en annulation, il sera possible pour les requérants d’identifier les moyens qui se prêtent à un examen
9
plus rapide [et] ceux qui exigent un traitement plus complexe ’ (libellé dans Doc. parl.,Chambre, [2022-2023,]
DOC 55-3320/001, pp. 16-17),
et en ce que les moyens d’ordre public et les moyens tirés du droit de l’Union, qui ‘ exigent un traitement plus complexe ’, n’ont cependant, par hypothèse, pas été soumis au Conseil d’État dans le cadre du référé administratif, mais uniquement dans le cadre du recours en annulation sur lequel le Conseil d’État ne s’est par conséquent pas encore prononcé, mais pour lequel l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023 (qui remplace l’article 17
des lois coordonnées sur le Conseil d’État) instaure et impose une présomption de désistement d’instance ? ».
« Les articles 6, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme ne s’opposent-ils pas à la règle nationale prévue à l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023 (modifiant les lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973) (Moniteur belge, 24 juillet 2023) - ci-après la loi du 11 juillet 2023 -, selon laquelle l’article 17, § 10, remplacé, des lois coordonnées sur le Conseil d’État dispose désormais qu’‘ [il]l existe dans le chef de la partie requérante une présomption de désistement d’instance (= le recours en annulation) lorsque, la demande de suspension d’un acte ou d’un règlement ou la demande de mesures provisoires ayant été rejetée, la partie requérante n’introduit aucune demande de poursuite de la procédure (= la procédure d’annulation) dans un délai de trente jours à compter de la notification de l’arrêt. ’,
en ce que l’examen du recours en annulation après le rejet du référé administratif (c’est-à-dire à l’issue de la procédure d’annulation) est subordonné à l’introduction d’une ‘ demande de poursuite de la procédure ’ (dans un délai de 30 jours), lorsque les requérants se sont conformés par hypothèse à la recommandation procédurale (du législateur) selon laquelle ‘ (puisque) le recours en référé ordinaire ne devra plus être introduit en même temps que le recours en annulation, il sera possible pour les requérants d’identifier les moyens qui se prêtent à un examen plus rapide [et] ceux qui exigent un traitement plus complexe ’ » (libellé dans Doc. parl., Chambre, [2022-2023,]
n° 55 3320/001, pp. 16-17),
et en ce que les moyens d’ordre public et les moyens tirés du droit de l’Union, qui ‘ exigent un traitement plus complexe ’, n’ont cependant, par hypothèse, pas été soumis au Conseil d’État dans le cadre du référé administratif, mais uniquement dans le cadre du recours en annulation sur lequel le Conseil d’État ne s’est par conséquent pas encore prononcé, mais pour lequel l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023 (qui remplace l’article 17
des lois coordonnées sur le Conseil d’État) instaure et impose une présomption de désistement d’instance, étant entendu également que le droit processuel commun national applicable prévoit comme lex generalis, à l’article 824, alinéa 3, du Code judiciaire, que : ‘ Le désistement tacite ne peut être déduit que d’actes ou de faits précis et concordants qui révèlent l’intention certaine de la partie d’abandonner l’instance ou l’action ’ ? ».
A.11.4. Dans la deuxième branche, les parties requérantes font valoir que la mesure attaquée viole le droit d’accès à un juge dans l’hypothèse où un requérant introduit devant le Conseil d’État tant une demande de suspension qu’une demande de mesures provisoires, et où la première est accueillie, tandis que la seconde est rejetée. Dans cette hypothèse également, le droit d’accès à un juge fait, selon elles, l’objet d’une restriction disproportionnée.
A.11.5. Dans la troisième branche, les parties requérantes soutiennent que la loi du 11 juillet 2023 appelle une appréciation renouvelée des restrictions et conditions en matière de référé administratif. Selon elles, les anciens objectifs de l’article 17, § 4ter, remplacé, de la loi du 12 janvier 1973 ne sauraient justifier la règle attaquée. En effet, la loi du 11 juillet 2023 rend caduc l’argument selon lequel le rejet d’une demande de suspension contient des indications sur l’issue de la procédure, qui peuvent amener le requérant à poursuivre celle-ci. Les parties requérantes estiment qu’aucune indication sur l’issue de la procédure ne ressort des motifs prévisibles de rejet pour défaut d’urgence ni du fait que le moyen invoqué, même sérieux, ne se prête pas à un traitement accéléré. En outre, du fait de la nouvelle condition, aucune décision n’est rendue au sujet des moyens complexes, de sorte qu’il n’y a pas non plus d’indication à cet égard. Elles relèvent également que les travaux préparatoires ne contiennent aucune justification quant au nouvel article 17, § 10, de la loi du 12 janvier 1973. Elles notent à cet égard que diverses modifications procédurales mettent également à mal l’argument de l’allongement inutile de la procédure. Elles renvoient en particulier aux nouvelles règles concernant le calendrier de procédure, les délais de traitement ainsi que les délais pour la remise du rapport de l’auditorat à une chambre du Conseil d’État et pour le prononcé de l’arrêt. Selon les parties requérantes, il est manifestement déraisonnable de pénaliser les requérants dont les demandes ont été rejetées, en imposant et en instituant une présomption de désistement d’instance. Le droit d’accès à un juge et le principe d’égalité sont violés, dès lors que l’examen au fond, à la suite du rejet du référé
10
administratif, est subordonné à une demande de poursuite de la procédure dans un délai de 30 jours. L’ancien objectif qui consistait à raccourcir la durée de la procédure et à encourager les requérants à ne pas la prolonger inutilement ne justifie pas la restriction de l’accès au recours en annulation. Elles soulignent encore que l’on ne peut déduire du silence des requérants qu’ils renonceraient à leurs droits. En effet, l’on ne saurait déduire de la seule absence de demande de poursuite de la procédure une volonté de désistement.
A.11.6. Dans la quatrième branche, les parties requérantes font valoir que la mesure attaquée traite à tort de la même manière des situations différentes, notamment en ce que l’obligation d’introduire une demande de poursuite s’applique tant aux jugements de rejet de la demande pour défaut d’urgence qu’à ceux constatant qu’il n’y a pas de moyen sérieux ou que l’examen du moyen ne se prête pas à un traitement accéléré. Il n’est en particulier pas raisonnable que soient traitées de la même manière l’absence de demande de poursuite de la procédure en cas de défaut de moyen sérieux et la même situation faisant suite cette fois au seul constat, par le Conseil d’État, que l’examen du moyen ne se prête pas à une procédure accélérée. Dans la seconde situation, l’arrêt de rejet de la demande ne contient aucune indication sur l’issue probable de la procédure ni aucune incitation plausible à ne pas poursuivre la procédure. Il n’est donc pas raisonnable d’instaurer une présomption de désistement quand le Conseil d’État s’est borné à juger que l’examen du moyen ne se prêtait pas à un traitement accéléré. Cette situation est effectivement à distinguer totalement de celle dans laquelle le Conseil d’État a décidé qu’un moyen n’est pas sérieux, ce qui peut effectivement constituer une indication.
A.11.7. Dans la cinquième branche, les parties requérantes soulèvent l’hypothèse où le Conseil d’État conclut, au cours de la procédure de référé administratif, que la demande est urgente et qu’il existe un moyen sérieux, mais où il renonce malgré tout à prononcer une suspension en raison de la mise en balance des intérêts.
Selon elles, l’obligation d’introduire une demande de poursuite de la procédure dans cette configuration constitue une restriction disproportionnée du droit d’accès à un juge. En effet, dans cette hypothèse, l’annulation poursuivie est en passe d’être acquise, puisque le moyen est considéré comme sérieux. Une perspective d’annulation existe donc. Compte tenu de ce que le défendeur a connaissance de l’illégalité et de ce qu’il est tenu d’y remédier, il n’est pas raisonnable, dans cette situation, d’imposer une présomption de désistement au requérant si celui-ci n’introduit pas (en temps utile) une demande de poursuite de la procédure. Il n’est pas raisonnable de subordonner l’examen d’un recours en annulation déjà introduit à une demande de poursuite de la procédure.
A.11.8. La partie intervenante se rallie aux moyens et aux griefs des parties requérantes.
A.12.1. Dans la mesure où les parties requérantes dénoncent dans la première branche l’absence d’une justification explicite de la mesure attaquée dans les travaux préparatoires, le Conseil des ministres souligne que cette règle n’est pas nouvelle, mais que seules des considérations légistiques ont présidé à sa mention dans la disposition modificative. Il s’agit d’un mécanisme qui fait déjà partie des règles procédurales applicables depuis 1996, de sorte qu’aucune justification supplémentaire ne s’impose. Pour autant que de besoin, il peut être renvoyé à la justification développée dans les travaux préparatoires de la loi du 4 août 1996 « modifiant les lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973 » (ci-après : la loi du 4 août 1996). En outre, la Cour a déjà confirmé à plusieurs reprises que cette règle n’est pas disproportionnée aux différentes garanties constitutionnelles, compte tenu du double objectif (1) de raccourcir la durée de la procédure et (2) d’inciter les requérants à ne pas poursuivre inutilement les procédures. Même en l’état actuel des choses, ces objectifs demeurent légitimes, actuels et pertinents. Du reste, le fait que l’introduction du référé administratif ordinaire ne doit plus être concomitante à celle du recours en annulation n’est pas une nouveauté non plus. Tel est déjà le cas depuis la modification législative de 2014.
En ce que les parties requérantes remettent en cause la règle même de la présomption de désistement, le Conseil des ministres rappelle que la Cour en a confirmé la constitutionnalité à plusieurs reprises. Les arguments des parties requérantes ne conduisent pas à une autre conclusion. Tout d’abord, aucune disposition légale n’impose à un requérant devant le Conseil d’État de procéder lui-même à la sélection des moyens qui seront soulevés dans le cadre d’un recours en suspension à la suite d’un recours en annulation déjà pendant. S’ils craignent qu’une telle sélection les désavantage, les requérants sont libres de soulever tous leurs moyens dans le cadre de l’éventuelle demande de suspension. En tout état de cause, l’obligation faite au requérant, dans l’hypothèse évoquée, de demander une poursuite de la procédure pour voir appréciés tous ses moyens au fond ne saurait être considérée comme une restriction disproportionnée du droit d’accès à un juge. Même dans l’hypothèse esquissée par les requérants, cette règle n’est pas disproportionnée au double objectif du législateur (1) de raccourcir la durée de la
11
procédure et (2) d’inciter les requérants à ne pas la poursuivre inutilement. Vu ce qui précède, l’on n’aperçoit pas non plus pourquoi il faudrait poser à la Cour de justice la question préjudicielle proposée ou solliciter l’avis de la Cour européenne des droits de l’homme.
Enfin, il relève qu’une référence au régime de l’article 824 du Code judiciaire est dénuée de pertinence, puisque, conformément à l’article 2 de ce Code, le régime spécifique prévu par la loi du 12 janvier 1973 s’applique aux procédures devant le Conseil d’État.
A.12.2. Même dans l’hypothèse soumise dans la deuxième branche, cette règle n’est pas, selon le Conseil des ministres, disproportionnée au regard du double objectif du législateur (1) de raccourcir la durée de la procédure et (2) d’inciter les parties requérantes à ne pas la poursuivre inutilement. En outre, il ne faut pas perdre de vue qu’une règle particulière pour chaque hypothèse spécifique envisageable ne ferait que saper une règle dont l’applicabilité générale assure la parfaite clarté et qui ne soulève pas de difficultés d’interprétation particulières.
A.12.3. Le Conseil des ministres soutient tout d’abord que les critiques formulées dans la troisième branche ne peuvent être bien comprises et qu’elles ne sauraient en tout cas convaincre. Les objectifs du législateur n’ont pas fondamentalement changé depuis l’introduction de l’article 17, § 4ter, de la loi du 12 janvier 1973 par la loi du 4 août 1996. Il s’agit toujours de veiller à ce que le traitement des procédures devant la section du contentieux administratif soit suffisamment rapide, tant au contentieux des recours en suspension qu’à celui des recours en annulation. Pour le surplus, il est renvoyé à ce qui a déjà été exposé en A.12.1.
A.12.4. Quant à la quatrième branche, le Conseil des ministres estime que les personnes relevant des catégories comparées ne se trouvent manifestement pas dans des situations substantiellement différentes. En effet, la condition selon laquelle le moyen doit se prêter à un traitement accéléré est inhérente à la condition du moyen sérieux. Dans les deux cas, selon lui, c’est une seule et même condition qui n’est pas remplie. Le fait qu’un moyen n’ait pas été jugé sérieux ne permet du reste pas, dans un cas comme dans l’autre, de conclure qu’il sera jugé fondé ou non. Ainsi qu’expliqué en A.12.5, un moyen dont le caractère sérieux n’a pas été reconnu peut en effet être néanmoins jugé fondé, sans que le Conseil d’État prenne des décisions contradictoires sur ce point. En tout état de cause, pour les raisons exposées en A.12.1, l’application du régime de sanctions peut également être considérée comme raisonnablement justifiée dans ce cas aussi.
A.12.5. En ce qui concerne la cinquième branche, le Conseil des ministres renvoie à ce qui est exposé en A.12.1. Les parties requérantes soutiennent à tort que la perspective procédurale de l’annulation est dûment acquise. Il n’en est rien. Le constat qu’un moyen est sérieux ne garantit nullement qu’il sera jugé fondé, précisément parce que ce constat repose sur un simple examen prima facie du recours, sur la base des informations dont dispose le Conseil d’État à ce stade de la procédure. Le principe de légalité n’exige par ailleurs nullement qu’un moyen sérieux conduise également au retrait. Il convient également de rappeler que le rejet d’une demande de suspension à la suite d’une mise en balance des intérêts peut également laisser présager une éventuelle application de l’article 14ter de la loi du 12 janvier 1973. Dans l’hypothèse ici examinée, il n’est pas question d’une d’atteinte disproportionnée au droit d’accès à un juge.
A.12.6. La partie intervenante se rallie au moyen des parties requérantes.
A.13.1. Les parties requérantes prennent un second moyen de la violation, par l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023, des articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 160 de la Constitution et avec le principe de l’accès à un juge, avec les articles 6, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les principes généraux de légalité, du raisonnable, de confiance et des attentes légitimes, ainsi qu’avec les articles 7, 47 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
A.13.2. Le second moyen est dirigé contre l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023, en ce qu’il ne prévoit pas, à l’article 17, § 10, nouveau, de la loi du 12 janvier 1973, la possibilité d’étendre le délai de 30 jours qui prend cours et arrive à échéance pendant les vacances judiciaires.
A.13.3. Selon les parties requérantes, l’impossibilité d’étendre le délai constitue une restriction disproportionnée du droit d’accès à un juge, vu que la durée totale de la procédure est limitée à 18 mois et que l’extension du délai implique, au maximum, une prorogation d’environ 45 jours. Ceci est d’autant plus vrai que le
12
délai pour statuer tient effectivement compte des vacances judiciaires. L’objectif de raccourcir la durée de la procédure et d’inciter les requérants à ne pas la poursuivre inutilement ne peut justifier la non-prorogation du délai pour demander une extension lorsque celui-ci prend cours et arrive à échéance pendant les vacances judiciaires.
A.13.4. La partie intervenante se rallie au moyen des parties requérantes.
A.14.1. Le Conseil des ministres objecte tout d’abord que, dans la mesure où il faut comprendre le second moyen en ce sens que les parties requérantes dénoncent l’inapplicabilité injustifiée de l’article 91, alinéa 2, du règlement général de procédure au délai de 30 jours mentionné à l’article 17, § 10, de la loi du 12 janvier 1973, il y a lieu de constater que la critique de constitutionnalité énoncée au moyen est dirigée contre l’arrêté royal du 21 juillet 2023 « modifiant divers arrêtés relatifs à la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État ».
A.14.2. À titre surabondant, le Conseil des ministres affirme que rien n’indique que les règles énoncées à l’article 91, alinéa 2, de l’arrêté du Régent du 23 août 1948 « déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État » ne seraient pas applicables au délai visé à l’article 17, § 10, de la loi du 12 janvier 1973. En ce sens, le moyen repose sur une prémisse erronée. Il ressort en effet du texte de l’article 91, alinéa 2, que celui-ci s’applique à tous les délais prescrits pour les actes de la procédure, égaux ou inférieurs à trente jours. L’introduction d’une demande de poursuite de la procédure en vertu de l’article 17, § 10, de la loi du 12 janvier 1973 est également un acte de procédure. Le délai pour ce faire est du reste de trente jours.
En ce qui concerne l’affaire n° 8080
A.15.1. Les parties requérantes prennent un moyen unique de la violation, par l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023, des articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 160 de la Constitution et avec le principe de l’accès à un juge, avec les articles 6, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les principes généraux de légalité, du raisonnable, de confiance et d’attentes légitimes, avec le principe fraus omnia corrumpit, avec les articles 7, 47 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec les articles 1er, 2, 3, 11 et 12 de la Convention civile sur la corruption et avec les articles 5 et 9
de la Convention des Nations Unies contre la corruption.
A.15.2. Le moyen unique est dirigé contre l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023 en ce que l’article 17, § 3, alinéa 1er, de la loi du 12 janvier 1973 prévoit que les arrêts de rejet qui ont écarté la suspension ou des mesures provisoires ne sont pas susceptibles de révision.
A.15.3. Dans une première branche, elles invoquent deux discriminations. Premièrement, elles dénoncent une discrimination entre, d’une part, le contentieux de l’annulation (article 14 de la loi du 12 janvier 1973) et, d’autre part, le contentieux de la suspension (article 17 de la loi du 12 janvier 1973). Deuxièmement, elles dénoncent une discrimination entre, d’une part, le contentieux devant les juridictions civiles et, d’autre part, le contentieux devant le Conseil d’État. Dans le premier des deux cas mentionnés respectivement ci-dessus, une révision est possible si l’usage de fausses pièces ou la rétention de pièces sont ultérieurement établis. Les parties requérantes soulignent que l’usage de fausses pièces ou la rétention de pièces doivent s’interpréter comme de la corruption dont les autorités peuvent se rendre complices dès lors qu’elles se sont basées sur ces éléments pour prendre leurs décisions. Selon elles, la possibilité de révision constitue un moyen effectif, au sens des dispositions des conventions internationales anti-corruption citées au moyen, pour les personnes lésées par un acte de corruption.
Selon les parties requérantes, il est donc manifestement déraisonnable d’exclure que les arrêts relatifs aux demandes de suspension ou de mesures provisoires soient susceptibles de révision, même lorsque sont établis l’usage de fausses pièces ou la rétention de pièces. En effet, il est d’intérêt public que, eu égard au principe fraus omnia corrumpit, le Conseil d’État sanctionne la corruption ainsi que les procédures déloyales. Selon les parties requérantes, cette exclusion du recours en révision est d’autant plus déraisonnable que le législateur entend inciter de diverses manières les requérants à accepter sans difficulté – après le rejet d’une demande de suspension – l’arrêt de rejet motivé du Conseil d’État et donc à s’abstenir d’introduire une demande de poursuite de la procédure engagée.
Elles font enfin valoir que la mesure a également une incidence déraisonnable sur l’exercice de la profession d’avocat. L’assujettissement des avocats à la TVA et le régime de l’indemnité de procédure dissuadent déjà les justiciables de poursuivre la procédure, de sorte que, dans cette optique, les avocats conseilleront généralement à
13
leurs clients de ne pas poursuivre la procédure, vu la décision de rejet rendue par le Conseil d’État sur la base du dossier déposé. Or, selon les parties requérantes, c’est un fait notoire pour tous les avocats en Belgique que certaines autorités et parties intéressées font peu de cas de l’interdiction d’utiliser de fausses pièces ou de procéder à la rétention de pièces. Forts de cette connaissance et afin de préserver leur responsabilité professionnelle, les avocats doivent se couvrir en demandant systématiquement la poursuite de la procédure, faute d’une voie de recours permettant de solliciter la révision. Les parties requérantes soulignent que l’article 17, § 3, alinéa 1er, de la loi du 12 janvier 1973 prive de toute efficacité l’économie de procédure prévue à l’article 17, § 10, de la même loi, en ce qu’il contraint les parties à demander par précaution la poursuite de la procédure.
A.15.4. Dans une deuxième branche, les parties requérantes critiquent la mesure au motif qu’elle entraîne une restriction injustifiée du droit d’accès à un juge. En outre, cette restriction injustifiée de l’accès à un juge entraînerait une discrimination, puisque les justiciables dans d’autres procédures urgentes, telles que le référé civil, disposent encore d’une voie de recours permettant la révision d’une décision judiciaire. Pour le surplus, elles réitèrent ce qui a été exposé en A.15.3.
A.15.5. Dans une troisième branche, elles font valoir qu’il devrait être possible de réparer la violation du droit d’accès à un juge, conformément à l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’impossibilité d’obtenir une révision s’y oppose et viole dès lors les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui implique également une discrimination. Rien ne justifie cela. Pour le surplus, elles réitèrent ce qui a été exposé en A.15.3.
A.15.6. Dans la quatrième branche, elles soutiennent en substance que l’impossibilité de révision, attaquée, a fortiori dans le contexte des marchés publics, porte atteinte aux dispositions de la Convention civile sur la corruption et de la Convention des Nations unies contre la corruption, citées au moyen. Ces dispositions conventionnelles s’opposent en effet à l’exclusion du recours en révision des arrêts rendus en référé administratif sur la base de pièces retenues ou de fausses pièces. Pour ce qui est du contexte des marchés publics, elles renvoient en particulier à l’article 9 de la Convention des Nations unies contre la corruption. Elles estiment que cette exclusion ne saurait être raisonnablement justifiée. Elles considèrent que l’existence même d’un recours en révision des arrêts rendus en référé prévient la corruption (y compris au cours des procédures devant le Conseil d’État), ce qui constitue une mesure efficace de prévention de la corruption, comme le prévoient les conventions internationales citées.
A.16.1. Le Conseil des ministres soulève tout d’abord l’irrecevabilité partielle du moyen. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions.
Selon lui, les parties requérantes n’exposent pas concrètement en quoi l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023
violerait l’article 160 de la Constitution et l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.
A.16.2. Le Conseil des ministres estime que la mesure constitue une restriction proportionnée du droit d’accès à un juge.
Il fait valoir que l’exclusion du recours en révision des arrêts rendus en référé administratif a été instaurée pour la première fois par l’article 6 de la loi du 15 septembre 2006 « réformant le Conseil d’Etat et créant un Conseil du Contentieux des Etrangers ». L’article 17, § 2, alinéa 2, de la loi du 12 janvier 1973, tel qu’il avait été modifié par l’article 6 précité, prévoyait que les arrêts ordonnant la suspension de l’exécution d’un acte ou d’un règlement n’étaient susceptibles ni d’opposition ni de tierce opposition et qu’ils n’étaient pas davantage sujets à révision. Le législateur souhaitait de la sorte garantir la sécurité juridique quant à l’application d’une disposition, étant donné que la jurisprudence dominante considérait déjà qu’un arrêt rendu dans le cadre de la procédure de suspension n’était pas sujet à révision. L’article 6 de la loi du 20 janvier 2014 « portant réforme de la compétence, de la procédure et de l’organisation du Conseil d’Etat » a ensuite étendu cette exclusion aux arrêts portant sur une demande de mesures provisoires. À la suite d’une refonte, l’article 17, § 2, alinéa 2, de la loi du 12 janvier 1973, alors en vigueur, est devenu l’article 17, § 3, alinéa 1er, de la loi du 12 janvier 1973, qui dispose que les arrêts portant sur une demande de suspension ou de mesures provisoires ne sont susceptibles ni d’opposition ni de tierce opposition et qu’ils ne sont pas davantage sujets à révision. Le Conseil des ministres relève que la Cour a déjà confirmé à plusieurs reprises la constitutionnalité de cette règle, de sorte qu’il n’est pas question d’une restriction disproportionnée du droit d’accès à un juge.
14
Il estime également que les conventions internationales visées en matière de lutte contre la corruption ne conduisent pas à une autre conclusion. Tout d’abord, la Cour constitutionnelle n’est pas compétente pour contrôler directement la conformité de la disposition attaquée aux conventions internationales de lutte contre la corruption citées au moyen. À titre subsidiaire, il soutient que la mesure attaquée n’est pas contraire à celles-ci. Les dispositions qu’elles énoncent imposent en substance la mise à disposition de voies de recours effectives en cas d’actes de corruption. Elles garantissent donc essentiellement le droit d’accès à un juge. Ainsi qu’il a été exposé précédemment, l’exclusion des recours en révision dirigés contre les arrêts relatifs à une demande de suspension ou de mesures provisoires n’est pas contraire au droit d’accès à un juge, tel qu’il est garanti par l’article 13 de la Constitution et par les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour ce qui concerne le droit d’accès à un juge, rien n’indique que les dispositions de la Convention civile sur la corruption et de la Convention des Nations unies contre la corruption aient une portée différente de celle de l’article 13 de la Constitution ou des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. À tout le moins les parties requérantes n’en apportent-elles pas la démonstration. Il s’ensuit que la disposition attaquée n’est pas contraire à ces conventions internationales.
Il fait enfin valoir qu’il suffit que l’utilisation de fausses pièces ou la rétention de pièces dans le cadre de la procédure au fond puisse être soulevée. Ainsi, la rétention de pièces résultant du non-dépôt ou du dépôt incomplet du dossier administratif est déjà sanctionnée. Lorsqu’aucun dossier administratif n’est déposé, le Conseil d’État juge que les faits allégués par la partie demanderesse peuvent être réputés démontrés, sauf inexactitude manifeste.
En cas de dépôt d’un dossier administratif incomplet, le Conseil d’État peut, s’il échet, ordonner le dépôt des pièces manquantes. La disposition attaquée n’affecte pas cette jurisprudence. Aucune autre conclusion ne saurait se déduire de ce que de tels agissements peuvent également être considérés comme des actes de corruption au sens des conventions visées.
-B-
B.1. Les parties requérantes dans les affaires nos 8067, 8068, 8075 et 8080 demandent toutes l’annulation partielle de l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023 « modifiant les lois sur le Conseil d’Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 » (ci-après : la loi du 11 juillet 2023). L’article 5
de la loi du 11 juillet 2023 remplace l’article 17 des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973 (ci-après : la loi du 12 janvier 1973), qui règle le référé administratif devant le Conseil d’État.
B.2. Les recours sont en substance dirigés contre les versions, postérieures à ce remplacement, de l’article 17, § 1er, alinéa 3, 2°, de la loi du 12 janvier 1973, de l’article 17, § 3, alinéa 1er, de cette loi et de l’article 17, § 10, de cette même loi.
B.3. L’article 17 de la loi du 12 janvier 1973, tel qu’il a été remplacé en dernier lieu par l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023, dispose :
« § 1er. La section du contentieux administratif est seule compétente pour ordonner par arrêt, les parties entendues ou dûment appelées, la suspension de l’exécution d’un acte ou d’un
15
règlement susceptible d’être annulé en vertu de l’article 14, §§ 1er et 3, et pour ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire.
La demande de suspension ou de mesures provisoires est introduite et traitée par la voie électronique, en tout cas, lorsque les parties sont assistées ou représentées par un avocat ou qu’elles sont une autorité visée à l’article 14, § 1er.
La suspension ou les mesures provisoires peuvent être ordonnées à tout moment :
1° s’il existe une urgence incompatible avec le traitement de l’affaire en annulation;
2° et si au moins un moyen sérieux est invoqué dont l’examen se prête à un traitement accéléré et qui est susceptible prima facie de justifier l’annulation de l’acte ou du règlement attaqué.
Par dérogation aux alinéas 1er et 3, la suspension ou les mesures provisoires ne peuvent être demandées après le dépôt du rapport visé à l’article 24. Toutefois, toute partie qui y a un intérêt peut dans ce cas adresser au président de la chambre saisie de l’affaire, une demande motivée en vue d’obtenir la fixation d’une audience en urgence. La demande de suspension ou de mesures provisoires introduite entre le dépôt du rapport et sa notification est assimilée à la demande motivée. Le président se prononce par ordonnance sur cette demande. Si l’urgence paraît justifiée, il fixe l’affaire à brève échéance et au plus tard dans les soixante jours de la réception de la demande, et peut aménager les délais pour le dépôt des derniers mémoires.
[...]
§ 3. Les arrêts portant sur une demande de suspension ou de mesures provisoires ainsi que l’ordonnance visée au paragraphe 7 ne sont susceptibles ni d’opposition ni de tierce opposition et ne sont pas davantage susceptibles de révision.
Les arrêts par lesquels la suspension ou des mesures provisoires ont été ordonnées sont susceptibles d’être rapportés ou modifiés à la demande des parties.
[...]
§ 10. Il existe dans le chef de la partie requérante une présomption de désistement d’instance lorsque, la demande de suspension d’un acte ou d’un règlement ou la demande de mesures provisoires ayant été rejetée, la partie requérante n’introduit aucune demande de poursuite de la procédure dans un délai de trente jours à compter de la notification de l’arrêt.
[...] ».
16
Quant à la recevabilité
B.4.1. Le Conseil des ministres soutient que les recours dans les affaires nos 8067, 8068, 8075 et 8080 sont irrecevables à défaut d’intérêt des parties requérantes.
B.4.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.4.3. Étant donné que, dans chacune des affaires jointes, une partie requérante a introduit par le passé un référé administratif devant le Conseil d’État et qu’elle démontre de manière plausible qu’elle le fera encore à l’avenir, cette partie justifie de l’intérêt requis.
Dès lors que, dans chacune des affaires jointes, au moins une des parties requérantes justifie d’un intérêt à l’annulation des articles attaqués, la Cour n’ est pas tenue d’examiner plus avant si les autres parties requérantes disposent également de l’intérêt requis.
B.5.1. Le Conseil des ministres soutient que les recours dans les affaires nos 8075 et 8080
ont été introduits tardivement et sont donc irrecevables parce qu’ils sont dirigés contre des dispositions qui reprennent simplement des mesures qui ne peuvent plus être attaquées valablement.
B.5.2. Pour satisfaire aux exigences de l’article 3, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, un recours en annulation doit être introduit dans le délai de six mois suivant la publication de la norme attaquée.
Lorsque, dans une législation nouvelle, le législateur reprend une disposition ancienne et s’approprie de cette manière son contenu, un recours peut être introduit contre la disposition reprise, dans les six mois de sa publication.
17
Toutefois, lorsque le législateur se limite à une intervention purement légistique ou linguistique ou à une coordination de dispositions existantes, il n’est pas censé légiférer à nouveau et les griefs sont irrecevables ratione temporis, en ce qu’ils sont en réalité dirigés contre les dispositions qui existaient déjà antérieurement.
Il faut dès lors vérifier si le recours est dirigé contre des dispositions nouvelles ou s’il concerne des dispositions non modifiées.
B.5.3. Bien que l’article 17, § 3, alinéa 1er, de la loi du 12 janvier 1973 et l’article 17, § 10, de cette même loi, tels qu’ils ont été remplacés par l’article 5, attaqué, de la loi du 11 juillet 2023, ne diffèrent pas respectivement, en termes de contenu, de l’article 17, § 3, alinéa 1er, de la loi du 12 janvier 1973 et de l’article 17, § 7, de cette même loi, avant leurs remplacements respectifs - sauf en ce qui concerne la première disposition citée qui contient une référence à un paragraphe 7, nouveau, que les parties requérantes ne critiquent pas -, les travaux préparatoires de l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023 ne permettent pas de déduire que le législateur a voulu reprendre simplement une législation existante.
Par la loi du 11 juillet 2023, le législateur a cherché à optimaliser la procédure de suspension devant le Conseil d’État et à permettre une approche sur mesure fondée sur le degré d’urgence afférent à la procédure (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3220/001, pp. 9-
18). Les travaux préparatoires de cette loi du 11 juillet 2023 ne permettent toutefois pas de conclure que le législateur avait pour objectif, sur la base des éléments nouveaux ou modifiés concernant les règles relatives à la procédure de suspension, d’une part, d’exclure la voie de recours permettant la révision d’arrêts portant sur une demande de suspension ou de mesures provisoires ou, d’autre part, d’établir une présomption de désistement lorsqu’aucune demande de poursuite de la procédure n’a été introduite à temps après le prononcé d’un arrêt rejetant la demande de suspension ou de mesures provisoires. Il ressort de ce qui précède que l’article 5
de la loi du 11 juillet 2023 se limite à renuméroter les dispositions ainsi attaquées.
En ce qu’ils sont dirigés respectivement contre l’article 17, § 10, de la loi du 12 janvier 1973, et contre l’article 17, § 3, alinéa 1er, de cette même loi, tels que remplacés par l’article 5, attaqué, les recours dans les affaires nos 8075 et 8080 sont irrecevables.
18
Quant au fond
B.6. Les parties requérantes dans les affaires nos 8067 et 8068 demandent l’annulation de l’article 17, § 1er, alinéa 3, 2°, de la loi du 12 janvier 1973, tel qu’il a été remplacé par l’article 5
de la loi du 11 juillet 2023, en ce qu’il établit une nouvelle condition cumulative concernant la procédure en référé en insérant le complément de phrase « dont l’examen se prête à un traitement accéléré ».
B.7. Les parties requérantes prennent un moyen unique de la violation, par la disposition attaquée, des articles 10, 11, 13, 16, 19, 20, 21, 22, 22bis, 23, 26 et 27 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 142 et 160 de la Constitution, avec les articles 6, 8, 10, 11, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention précitée, avec le Protocole n° 16 à cette Convention, avec le principe général du droit d’accès au juge et avec le principe de standstill, avec le principe du raisonnable et avec le principe de précaution en matière d’environnement, avec les articles 7, 47 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après : la Charte), avec les articles 4 et 6 du Traité sur l’Union européenne (ci-après : le TUE) et avec le principe de coopération, avec les articles 191 et 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE), avec le principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit de l’Union, avec les articles 1er, 3, 6 et 9 de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (ci-après : la Convention d’Aarhus), avec les articles 4, 6, 9 et 11 de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 « concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (texte codifié) » (ci-après : la directive 2011/92/UE), et avec l’article 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
B.8.1. Le Conseil des ministres estime que le moyen unique dans les deux affaires est à tout le moins partiellement irrecevable parce que l’exposé ne satisfait pas aux exigences qui découlent de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989. Ainsi, les parties requérantes n’exposent pas en quoi la disposition attaquée violerait les articles 142 et 160 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 6, 8, 10 et 11 de la Convention européenne des droits l’homme, avec le Protocole n° 16 à cette Convention, avec le principe de précaution en matière
19
d’environnement, avec les articles 7 et 52 de la Charte, avec l’article 6 du TUE, avec l’article 191 du TFUE, avec les articles 1er, 3, 6 et 9 de la Convention d’Aarhus ou avec les articles 4, 6 et 9 de la directive 2011/92/UE. Elles n’expliquent pas davantage en quoi la disposition attaquée violerait les articles 16, 20, 21, 22, 22bis, 26 et 27 de la Constitution. Selon le Conseil des ministres, le moyen unique est irrecevable en ce qu’il est pris d’une violation de ces dispositions.
B.8.2. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions.
B.8.3. Les parties requérantes n’exposent pas en quoi la disposition attaquée violerait les articles 16, 20, 21, 22, 22bis, 26 et 27 de la Constitution. Elles n’expliquent pas non plus en quoi la disposition attaquée violerait ces articles lus en combinaison avec les articles 8, 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec le Protocole n° 16 à cette Convention ou le principe de précaution en matière d’environnement, avec les articles 7 et 52
de la Charte, avec l’article 6 du TUE ou avec l’article 191 du TFUE.
Le moyen unique est irrecevable en ce qu’il est pris d’une violation de ces dispositions.
Pour le surplus, la Cour examine le moyen unique en ce qu’il satisfait aux exigences découlant de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
B.9. Le moyen unique comporte cinq branches. Les parties requérantes critiquent l’ajout, à l’article 17, § 1er, alinéa 3, 2°, de la condition selon laquelle l’examen du moyen doit se prêter à un traitement accéléré, parce que cette nouvelle exigence porterait atteinte au droit de l’Union, dont l’obligation de coopération entre juridictions (première branche), limiterait l’accès au juge de manière disproportionnée et en violation de l’obligation de standstill (deuxième branche), s’appliquerait, en violation du principe d’égalité et de non-discrimination, aussi bien aux moyens d’ordre public qu’aux autres moyens (troisième branche), ne s’appliquerait pas aux
20
procédures en référé en matière de marchés publics prévues par la loi du 17 juin 2013 « relative à la motivation, à l’information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions » (ci-après : la loi du 17 juin 2013) (quatrième branche), et trouverait également à s’appliquer, que le défendeur ait déposé ou non l’intégralité du dossier administratif (cinquième branche).
En ce qui concerne le moyen unique, en sa deuxième branche
B.10. La Cour commence par examiner la deuxième branche du moyen unique, dans laquelle les parties requérantes soutiennent que l’exigence, attaquée, selon laquelle l’examen du moyen doit se prêter à un traitement accéléré restreint de manière disproportionnée l’accès au juge, tel qu’il est garanti par l’article 13 de la Constitution, par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, par les articles 47 et 52, alinéa 1er, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, par l’article 11 de la directive 2011/92/UE, et par l’article 9 de la Convention d’Aarhus. Cette restriction disproportionnée de l’accès au juge porterait également atteinte à l’obligation de standstill, qui découle de l’article 23 de la Constitution et de l’article 3 de la Convention d’Aarhus.
B.11. L’article 13 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne ».
L’article 13 de la Constitution implique un droit d’accès au juge compétent. Ce droit est également garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et par un principe général de droit.
L’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme garantit le droit d’accès au juge pour déterminer les droits et obligations de caractère civil ou pour établir le bien-fondé des poursuites pénales. L’article 13 de la Constitution et le principe général de droit garantissent plus généralement le droit d’accès au juge pour tout litige qui concerne un droit ou une obligation, indépendamment du fait qu’il soit de caractère civil au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.
21
Le droit d’accès au juge peut être soumis à des conditions de recevabilité. Ces conditions ne peuvent cependant aboutir à restreindre le droit d’accès au juge de manière telle que celui-
ci s’en trouve atteint dans sa substance même. Tel serait le cas si les restrictions imposées ne tendaient pas vers un but légitime et s’il n’existait pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. La compatibilité d’une telle restriction avec le droit d’accès au juge dépend des particularités de la procédure en cause et s’apprécie au regard de l’ensemble du procès (CEDH, 24 février 2009, L’Érablière A.S.B.L. c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:2009:0224JUD004923007, § 36; 29 mars 2011, RTBF c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:2011:0329JUD005008406, § 70; 18 octobre 2016, Miessen c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:2016:1018JUD003151712, § 64; 17 juillet 2018, Ronald Vermeulen c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:2018:0717JUD000547506, § 58).
Les règles en question ne peuvent pas empêcher les justiciables de faire valoir les voies de recours disponibles. En effet, le droit d’accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente (CEDH, 24 mai 2011, Sabri Güneş c. Turquie, ECLI:CE:ECHR:2011:0524JUD002739606, § 58; 13 janvier 2011, Evaggelou c. Grèce, ECLI:CE:ECHR:2011:0113JUD004407807, § 19; 18 octobre 2016, Miessen c. Belgique, précité, § 66).
L’article 47 de la Charte prévoit également le droit à un recours effectif. Il convient de donner à cette disposition la même portée qu’aux articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme (CJUE, grande chambre, 19 novembre 2019, C-585/18, C-624/18 et C-625/18, A. K. c. Krajowa Rada Sądownictwa et CP et DO c. Sąd Najwyższy, ECLI:EU:C:2019:982, point 117).
B.12.1. L’article 23 de la Constitution dispose :
« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
22
À cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
Ces droits comprennent notamment :
[...]
2° le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l’aide sociale, médicale et juridique;
[...]
4° le droit à la protection d’un environnement sain;
[...] ».
B.12.2. L’article 23 de la Constitution dispose que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. À cette fin, les différents législateurs garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice. Ces droits comprennent notamment le droit à la protection d’un environnement sain. Il relève du pouvoir d’appréciation de chaque législateur de déterminer les mesures qu’il estime adéquates et opportunes pour réaliser cet objectif.
Un large accès à la justice en matière d’environnement contribue à la préservation, à la protection et à l’amélioration de la qualité de l’environnement et à la protection de la santé humaine (CJUE, 7 novembre 2013, C-72/12, Gemeinde Altrip, ECLI:EU:C:2013:712, point 46). Dans ce contexte, l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution est également pertinent en ce qui concerne l’accès à la justice en matière d’environnement.
B.13. L’article 9 de la Convention d’Aarhus dispose :
« 1. Chaque Partie veille, dans le cadre de sa législation nationale, à ce que toute personne qui estime que la demande d’informations qu’elle a présentée en application de l’article 4 a été ignorée, rejetée abusivement, en totalité ou en partie, ou insuffisamment prise en compte ou qu’elle n’a pas été traitée conformément aux dispositions de cet article, ait la possibilité de former un recours devant une instance judiciaire ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi.
Dans les cas où une Partie prévoit un tel recours devant une instance judiciaire, elle veille à ce que la personne concernée ait également accès à une procédure rapide établie par la loi qui
23
soit gratuite ou peu onéreuse, en vue du réexamen de la demande par une autorité publique ou de son examen par un organe indépendant et impartial autre qu’une instance judiciaire.
Les décisions finales prises au titre du présent paragraphe 1 s’imposent à l’autorité publique qui détient les informations. Les motifs qui les justifient sont indiqués par écrit, tout au moins lorsque l’accès à l’information est refusé au titre du présent paragraphe.
2. Chaque Partie veille, dans le cadre de sa législation nationale, à ce que les membres du public concerné
a) ayant un intérêt suffisant pour agir
ou, sinon,
b) faisant valoir une atteinte à un droit, lorsque le code de procédure administrative d’une Partie pose une telle condition,
puissent former un recours devant une instance judiciaire et/ou un autre organe indépendant et impartial établi par loi pour contester la légalité, quant au fond et à la procédure, de toute décision, tout acte ou toute omission tombant sous le coup des dispositions de l’article 6 et, si le droit interne le prévoit et sans préjudice du paragraphe 3 ci-après, des autres dispositions pertinentes de la présente Convention.
Ce qui constitue un intérêt suffisant et une atteinte à un droit est déterminé selon les dispositions du droit interne et conformément à l’objectif consistant à accorder au public concerné un large accès à la justice dans le cadre de la présente Convention. A cet effet, l’intérêt qu’a toute organisation non gouvernementale répondant aux conditions visées au paragraphe 5
de l’article 2 est réputé suffisant au sens de l’alinéa a) ci-dessus. Ces organisations sont également réputées avoir des droits auxquels il pourrait être porté atteinte au sens de l’alinéa b)
ci-dessus.
Les dispositions du présent paragraphe 2 n’excluent pas la possibilité de former un recours préliminaire devant une autorité administrative et ne dispensent pas de l’obligation d’épuiser les voies de recours administratif avant d’engager une procédure judiciaire lorsqu’une telle obligation est prévue en droit interne.
3. En outre, et sans préjudice des procédures de recours visées aux paragraphes 1 et 2 ci-
dessus, chaque Partie veille à ce que les membres du public qui répondent aux critères éventuels prévus par son droit interne puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement.
4. En outre, et sans préjudice du paragraphe 1, les procédures visées aux paragraphes 1, 2
et 3 ci-dessus doivent offrir des recours suffisants et effectifs, y compris un redressement par injonction s’il y a lieu, et doivent être objectives, équitables et rapides sans que leur coût soit prohibitif. Les décisions prises au titre du présent article sont prononcées ou consignées par écrit. Les décisions des tribunaux et, autant que possible, celles d’autres organes doivent être accessibles au public.
24
5. Pour rendre les dispositions du présent article encore plus efficaces, chaque Partie veille à ce que le public soit informé de la possibilité qui lui est donnée d’engager des procédures de recours administratif ou judiciaire, et envisage la mise en place de mécanismes appropriés d’assistance visant à éliminer ou à réduire les obstacles financiers ou autres qui entravent l’accès à la justice ».
L’article 11 de la directive 2011/92/UE dispose :
« 1. Les États membres veillent, conformément à leur cadre juridique en la matière, à ce que les membres du public concerné :
a) ayant un intérêt suffisant pour agir, ou sinon
b) faisant valoir une atteinte à un droit, lorsque le droit administratif procédural d’un État membre impose une telle condition,
puissent former un recours devant une instance juridictionnelle ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi pour contester la légalité, quant au fond ou à la procédure, des décisions, des actes ou omissions relevant des dispositions de la présente directive relatives à la participation du public.
2. Les États membres déterminent à quel stade les décisions, actes ou omissions peuvent être contestés.
3. Les États membres déterminent ce qui constitue un intérêt suffisant pour agir ou une atteinte à un droit, en conformité avec l’objectif visant à donner au public concerné un large accès à la justice. À cette fin, l’intérêt de toute organisation non gouvernementale, répondant aux exigences visées à l’article 1er, paragraphe 2, est réputé suffisant aux fins du paragraphe 1, point a), du présent article. De telles organisations sont aussi réputées bénéficier de droits susceptibles de faire l’objet d’une atteinte aux fins du paragraphe 1, point b), du présent article.
4. Le présent article n’exclut pas la possibilité d’un recours préalable devant une autorité administrative et n’affecte en rien l’obligation d’épuiser toutes les voies de recours administratif avant d’engager des procédures de recours juridictionnel dès lors que la législation nationale prévoit une telle obligation.
Ces procédures doivent être régulières, équitables, rapides et d’un coût non prohibitif.
5. Afin d’accroître l’efficacité des dispositions du présent article, les États membres veillent à ce qu’une information pratique soit mise à la disposition du public concernant l’accès aux voies de recours administratif et juridictionnel ».
B.14.1. L’article 17, § 1er, alinéa 3, de la loi du 12 janvier 1973, tel qu’il a été remplacé par l’article 5, attaqué, de la loi du 11 juillet 2023, dispose qu’une suspension ou une mesure provisoire ne peut être ordonnée que s’il est satisfait à la condition relative à l’urgence du
25
traitement (1°) et à la condition de l’invocation d’au moins un moyen sérieux dont l’examen se prête à un traitement accéléré et qui est susceptible prima facie de justifier l’annulation de l’acte ou du règlement attaqué (2°).
B.14.2. L’article 17, § 1er, alinéa 2, de la loi du 12 janvier 1973, avant son remplacement par l’article 5, attaqué, disposait :
« Cette suspension ou ces mesures provisoires peuvent être ordonnées à tout moment :
1° s’il existe une urgence incompatible avec le traitement de l’affaire en annulation;
2° et si au moins un moyen sérieux est invoqué qui est susceptible prima facie de justifier l’annulation de l’acte ou du règlement ».
B.14.3. Les termes de l’article 17, § 1er, alinéa 3, attaqué, de la loi du 12 janvier 1973, tel qu’il a été remplacé par l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023, sont pratiquement identiques à ceux de l’article 17, § 1er, alinéa 2, de la même loi, avant son remplacement. En dehors de quelques adaptations d’ordre linguistique, la seule différence de contenu réside dans les mots « dont l’examen se prête à un traitement accéléré et ». Par cet ajout, il est non seulement exigé qu’un moyen sérieux susceptible prima facie de justifier l’annulation soit invoqué, mais aussi que l’examen du moyen invoqué se prête à un traitement accéléré, conformément à l’ajout du membre de phrase résultant de l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023.
B.14.4. Les travaux préparatoires indiquent :
« Cette qualification ne concerne pas le nombre de moyens invoqués, ou l’importance ou la manière de formuler les développements du moyen, mais bien la nature du moyen invoqué.
Le magistrat doit pouvoir attendre d’une partie qui invoque, par exemple, la violation directe d’une directive, dans une procédure de suspension, qu’elle démontre également pourquoi cette directive, et non la réglementation de droit interne, est invoquée (par exemple, en raison de la transposition tardive ou incomplète en droit interne). Il ne peut être exigé du magistrat statuant en référé qu’il effectue cet examen sans les indications de la partie requérante dans une procédure caractérisée par la ‘ summaria cognitio ’.
Il peut également s’agir d’un moyen technique qui concerne une question complexe qui ne peut être clarifiée sans la désignation préalable d’un expert.
26
De même, à moins qu’il se justifie de poser une question préjudicielle dès le stade du référé, le traitement d’un moyen qui soulève une telle question sera privilégié au fond comme celui qui exige des mesures d’instruction plus longues que le temps imparti pour trancher le recours en suspension.
Il est ainsi rappelé que le recours en référé ne tranche jamais définitivement une affaire et qu’il est toujours statué au provisoire. Cette procédure se caractérise par la célérité avec laquelle le Conseil d’État doit se saisir du recours, l’idée étant d’éviter, au plus vite, la réalisation d’un dommage grave qui est craint par la partie requérante en raison de l’exécution de l’acte attaqué.
Il s’agit donc de garantir l’effectivité d’un recours juridictionnel qui exige de la rapidité dans son traitement.
Enfin, dès lors que le recours en référé ordinaire ne devra plus être introduit en même temps que le recours en annulation, il sera possible pour les requérants d’identifier les moyens qui se prêtent à un examen plus rapide de ceux qui exigent un traitement plus complexe. Il est à noter que déjà actuellement des avocats font cette distinction parmi les moyens qu’ils soulèvent dans leur requête unique et que la jurisprudence du Conseil d’État a déjà ciblé des moyens qui ne pouvaient pas être tranchés dans le bref délai imposé par la procédure du référé » (Doc. parl.
Chambre, 2022-2023, DOC 55-3220/001, pp. 16-17).
La ministre de l’Intérieur, des Réformes institutionnelles et du Renouveau démocratique a déclaré ce qui suit à cet égard :
« La ministre souligne qu’AVOCATS.BE, dans sa note en vue de la concertation en mai 2022, avait déjà fait valoir son opposition à l’exigence d’un moyen sérieux ‘ se prêtant à un traitement accéléré ’ pour l’obtention d’une suspension. Lors de la concertation du 15 juin 2022, le Conseil d’État et les collaborateurs de la ministre ont expliqué que certains moyens soulevés dans le cadre d’une procédure de suspension ne se prêtent effectivement pas à un traitement dans le bref délai dans lequel le Conseil doit statuer sur l’affaire, comme par exemple les mesures d’instruction, la désignation d’un expert, etc. Il est donc important que les moyens soulevés puissent être effectivement examinés et tranchés dans le délai envisagé de trois mois. Il s’agit déjà d’une jurisprudence constante du Conseil d’État.
Les avocats sont déjà conscients de cette problématique, puisqu’ils indiquent dans leurs demandes d’annulation et de suspension que certains moyens ne se prêtent à un examen de fond de l’affaire que dans le cadre de la requête en annulation. Cela ne signifie donc pas que ces autres moyens ne seront plus examinés, mais qu’ils le seront dans le cadre de la procédure d’annulation. De ce point de vue, la réglementation et les conditions actuelles de la procédure de suspension ne sont donc pas affectées.
La ministre indique que certaines précisions ont été apportées dans l’exposé des motifs afin de répondre à la remarque formulée par AVOCATS.BE à ce sujet. Ainsi, le commentaire de l’article 5 précise au point 15 que l’examen d’une question préjudicielle soumise à la Cour constitutionnelle sera examinée de manière ‘ privilégiée ’ dans le cadre de la procédure au fond, à moins qu’il se justifie de poser une question préjudicielle dès le stade du référé. Contrairement
27
à ce qu’AVOCATS.BE semble insinuer, le régime en projet est conforme à l’article 26, § 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, qui oblige le Conseil d’État à poser une question préjudicielle dans certains cas. En outre, la section de législation du Conseil d’État n’a formulé aucune observation à ce sujet dans son avis sur l’avant-projet, ce qui signifie que ce régime est également acceptable au regard des droits de la défense.
Enfin, la ministre fait observer que, contrairement à ce que prétend AVOCATS.BE, il appartient au final à l’auditeur, et ensuite au Conseil, d’apprécier quels sont les moyens qui se prêtent à un traitement accéléré et quels sont ceux qui ne s’y prêtent pas » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3220/006, pp. 5-6).
B.15. Le référé administratif vise à renforcer la protection juridique offerte par le Conseil d’État et s’inscrit dans le cadre des principes formulés dans la recommandation n° R(89) 8 du 13 septembre 1989 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe aux États membres relative à la protection juridictionnelle provisoire en matière administrative (Doc. parl., Sénat, 1990-
1991, n° 1300/1, pp. 1, 7-8, 21 et 25).
Cette recommandation énonce notamment que, quand un acte administratif est contesté devant une autorité juridictionnelle et que celle-ci ne s’est pas encore prononcée, le requérant a la possibilité de demander à la même autorité juridictionnelle ou à une autre autorité juridictionnelle compétente de décider des mesures de protection provisoire contre l’acte administratif, que la procédure à suivre devant l’autorité juridictionnelle est une procédure rapide, que, sauf les cas d’urgence, la procédure est contradictoire et que les tiers intéressés peuvent y intervenir.
B.16.1. La procédure de suspension d’un acte administratif ou celle visant à ordonner des mesures provisoires, réglée par l’article 17, précité, de la loi du 12 janvier 1973, est un accessoire du recours en annulation de cet acte. Ainsi, la suspension d’un acte administratif ne peut être obtenue que si cet acte est susceptible d’être annulé par le Conseil d’État en vertu de l’article 14, alinéa 1er, de la même loi. Des mesures provisoires ne peuvent être ordonnées que si une suspension ou une annulation ne sont pas suffisantes pour sauvegarder les intérêts du requérant.
Par ailleurs, la suspension ou une mesure provisoire ne peut être ordonnée que si des moyens sérieux susceptibles de justifier l’annulation sont invoqués.
28
B.16.2. La procédure de référé administratif, établie à l’article 17 de la loi du 12 janvier 1973, a pour objectif de permettre d’éviter qu’un acte administratif produise des effets irréversibles avant qu’une procédure en annulation soit introduite ou malgré l’introduction de celle-ci.
B.16.3. Lorsqu’il a instauré et étendu le référé administratif, le législateur voulait que tout moyen sérieux - notion dont le contenu a été aligné sur une exigence similaire de la procédure de suspension devant la Cour - puisse servir de motif de suspension (Doc. parl., Chambre, 1988-1989, n° 790/1, p. 6; Sénat, 1990-1991, n° 1300/1, p. 25). Un moyen doit s’entendre comme contenant une indication suffisamment claire de la règle de droit transgressée et de la manière dont cette règle a été méconnue par l’acte de l’administration qui est attaqué. Pour être qualifiés de « sérieux », les moyens invoqués doivent à première vue être susceptibles de mener à l’annulation (Doc. parl., Sénat, 1990-1991, n° 1300/2, p. 9). Il faut donc que le moyen revête une apparence de fondement au terme d’un premier examen des éléments dont le Conseil d’État dispose à ce stade de la procédure.
B.17. Bien que les procédures en référé relèvent, le cas échéant, de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 47 de la Charte ou, plus largement, du principe général de droit de l’accès au juge, elles ne doivent pas nécessairement respecter toutes les garanties qui en découlent. Ainsi, tandis que l’indépendance et l’impartialité de la juridiction constituent une garantie absolue qu’il est indispensable de respecter dans pareilles procédures, d’autres garanties procédurales peuvent ne s’appliquer que dans la mesure où la nature et le but de la procédure en référé le permettent (CEDH, grande chambre, 15 octobre 2009, Micallef c. Malte, ECLI:CE:ECHR:2009:1015JUD001705606, §§ 78 à 86).
B.18.1. L’article 17, § 1er, alinéa 3, 2°, de la loi du 12 janvier 1973, tel qu’il a été remplacé par l’article 5, attaqué, de la loi du 11 juillet 2023, implique que le Conseil d’État ne prend pas en considération un moyen lorsque son examen n’est pas conciliable avec le traitement accéléré dans le cadre d’un référé administratif.
B.18.2. Le corollaire de l’exigence attaquée est qu’un moyen invoqué par un justiciable dans le référé administratif devant le Conseil d’État ne peut justifier que cette juridiction ordonne la suspension de l’exécution d’un acte de l’administration ou des mesures provisoires
29
si l’examen de ce moyen n’est pas conciliable avec un traitement accéléré. Cette condition revient en substance à dire que le Conseil d’État ne qualifie pas un moyen de sérieux dès lors qu’il estime que son examen n’est pas conciliable avec le traitement accéléré en référé. Bien que cette exigence ne règle pas directement l’accès au référé proprement dit (demande de suspension ou de mesures provisoires), elle pourrait avoir pour effet d’entraver l’examen et l’admission de cette demande.
Cette exigence doit par conséquent répondre aux conditions qui découlent des dispositions constitutionnelle et conventionnelles ou du principe général de droit mentionnés en B.11. La Cour doit dès lors vérifier si cette exigence n’emporte pas une restriction supplémentaire inadmissible de l’accès au juge et du droit à un recours effectif. À cet égard, comme il est dit en B.12, il convient également de tenir compte du constat selon lequel l’accès à la justice en matière d’environnement contribue à la préservation du droit à la protection d’un environnement sain, garanti par l’article 23 de la Constitution.
B.19.1. Lorsque le législateur organise une procédure de référé administratif, il doit veiller à ce que les conditions visant à faire droit à une action en référé ménagent un juste équilibre entre, d’une part, le droit d’accès au juge, y compris le droit à un recours effectif et, d’autre part, la spécificité de la procédure.
Bien qu’une procédure de référé administratif incite, eu égard à sa nature même, à un traitement accéléré de la demande d’un justiciable, et que, dans ce cadre, il faille également tenir compte des restrictions découlant du temps et des moyens limités à consacrer à la défense et à l’examen, cela ne peut avoir pour effet de limiter de manière disproportionnée l’accès du justiciable au juge et son droit à un recours effectif pour éviter les conséquences irréversibles d’un acte administratif.
B.19.2. Dès lors que l’exigence selon laquelle l’examen du moyen doit se prêter à un traitement accéléré constitue une restriction du droit d’accès au juge, elle doit être interprétée de manière restrictive.
Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, l’intention du législateur n’était pas d’éviter que les moyens concernant une question complexe ou technique soient examinés
30
dans le cadre du contentieux de la suspension. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.14.4 que le législateur entendait viser trois hypothèses.
La première hypothèse porte sur les moyens qui, en raison de leur nature complexe ou technique, exigent des « indications » supplémentaires de la part des parties requérantes. Le législateur incite par conséquent les parties requérantes à faire preuve de davantage de pédagogie lorsque leurs moyens se rapportent à de telles matières, pour que l’examen prima facie effectué par les magistrats puisse se dérouler dans des conditions favorables. Il estime en effet qu’il « ne peut être exigé du magistrat statuant en référé qu’il effectue cet examen sans les indications de la partie requérante dans une procédure caractérisée par la summaria cognitio »
(Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3220/001, p. 16). En d’autres termes, si les parties requérantes veulent qu’un moyen complexe ou technique soit examiné dans le cadre du référé administratif, elles doivent fournir les explications nécessaires pour que l’examen du moyen se prête à un traitement accéléré. Il ressort également des travaux préparatoires mentionnés en B.14.4 que cette condition ne concerne pas l’étendue des développements du moyen ni son mode de formulation. Les moyens qui demandent davantage d’explications ne sont donc pas exclus par principe.
La deuxième hypothèse porte sur les moyens qui concernent une question technique et « complexe qui ne peut être clarifiée sans la désignation préalable d’un expert ». Sous cet angle, seuls les moyens techniques qui nécessitent la désignation d’un expert peuvent être considérés comme des moyens dont l’examen ne se prête pas à un traitement accéléré.
La troisième hypothèse concerne les moyens qui soulèvent une question préjudicielle, à moins qu’il se justifie de poser une question préjudicielle dès le stade du référé.
Il ressort de ce qui précède que l’application de la condition attaquée ne pourrait avoir pour effet que le Conseil d’État, dans le cadre du référé administratif, refuse par principe d’examiner les moyens qui se rapportent à une question complexe ou technique et ceux dont l’examen nécessite une mesure d’instruction ou une question préjudicielle.
31
Il appartient en outre au Conseil d’État d’appliquer la condition attaquée d’une manière qui soit conciliable avec le droit d’accès au juge.
B.19.3. En prévoyant que les moyens mentionnés en B.19.2 ne sont pas examinés et qu’ils ne peuvent dès lors être pris en considération pour être qualifiés de sérieux - qu’ils touchent ou non à l’ordre public - au motif que leur examen ne se prête pas à un traitement accéléré, le législateur a pris une mesure qui est pertinente et raisonnablement justifiée pour réaliser l’objectif consistant à pouvoir examiner des moyens de manière effective et à statuer sur leur caractère sérieux dans le bref délai, visé, du référé administratif.
Le référé administratif permet de statuer sur le litige au provisoire et à bref délai en ordonnant une suspension ou des mesures provisoires quand la condition d’urgence est établie et que le moyen invoqué est jugé sérieux. Le traitement accéléré du litige est inhérent à cette procédure et appelle des restrictions des garanties offertes dans le litige au fond, comme le caractère limité de l’examen et des investigations conduites par le juge pour qualifier le moyen de sérieux. Compte tenu du contexte précité, de la nature spécifique de la procédure et de l’interprétation mentionnée en B.19.2, la condition attaquée ne limite pas de manière disproportionnée le droit à un recours effectif et le droit d’accès au juge. Il n’est pas non plus porté atteinte à l’obligation de standstill, dès lors que ce n’est pas sans justification raisonnable que le législateur a estimé que l’examen d’un moyen doit se prêter à une procédure en référé, ce qui garantit l’effectivité du traitement accéléré.
Le moyen, en sa deuxième branche, n’est pas fondé.
En ce qui concerne le moyen unique, en ses troisième, quatrième et cinquième branches
B.19.4. Les parties requérantes développent une troisième, une quatrième et une cinquième branches du moyen unique, prises de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les dispositions constitutionnelle et conventionnelles relatives au droit d’accès au juge et avec l’obligation de standstill qui découle de l’article 23 de la Constitution. Elles font valoir que l’exigence attaquée selon laquelle l’examen du moyen doit se prêter à un traitement accéléré viole les articles 10 et 11, lus en
32
combinaison ou non avec l’article 13, de la Constitution, dès lors qu’elle est appliquée sans distinction selon qu’il s’agit d’un moyen d’ordre public ou d’un autre moyen (troisième branche), dès lors qu’elle est appliquée dans des procédures en référé à l’égard de toutes les matières, sauf dans les marchés publics (quatrième branche), et dès lors qu’elle est appliquée sans distinction selon que le dossier administratif a été déposé ou non (cinquième branche).
B.19.5. Lorsque le législateur limite l’accès au juge en instaurant la condition relative à la compatibilité de l’examen d’un moyen avec le traitement accéléré inhérent à la procédure en référé, il doit veiller à ne pas le faire de manière discriminatoire.
En ce qui concerne la prétendue différence de traitement selon que la procédure en référé porterait ou non sur un acte administratif relevant du champ d’application de la loi du 17 juin 2013, force est de constater que le législateur, par la loi du 17 juin 2013, a voulu instaurer des procédures rapides et efficaces pour lutter contre des actes illicites des instances adjudicatrices et en protéger les entreprises candidates ou soumissionnaires. Il ressort d’ailleurs de la lecture conjointe de la loi du 17 juin 2013 et de la loi du 12 janvier 1973 que le législateur a voulu aligner les conditions relatives aux possibilités de recours devant le Conseil d’État en matière d’adjudication publique sur les règles de droit commun applicables devant le Conseil d’État, sauf dans les cas pour lesquels il a expressément fixé des conditions différentes dans la loi du 17 juin 2013. Contrairement à ce qu’affirment les parties requérantes, il convient donc de constater que, si la procédure en référé devant le Conseil d’État visée à l’article 15 de la loi du 17 juin 2013 déroge, en ce qui concerne l’exigence de l’urgence, aux conditions prévues à l’article 17, § 1er, alinéa 3, de la loi du 12 janvier 1973 pour que puisse être ordonnée la suspension d’un acte administratif ou pour que puissent être imposées des mesures provisoires, il n’en demeure pas moins que tel n’est pas le cas en ce qui concerne la condition relative à la compatibilité de l’examen du moyen avec la procédure en référé, de sorte que la prétendue différence de traitement est en substance inexistante.
En ce qui concerne les autres prétendues différences de traitement relatives à l’application de la condition attaquée, il n’y a pas non plus violation du principe d’égalité. Le législateur pouvait, sans méconnaître le principe d’égalité, considérer qu’il ne devait pas prévoir
33
d’exception à cette condition lorsque le moyen est d’ordre public, ni dans le cas où le dossier administratif n’a pas été déposé par le défendeur. Le critère prévu pour exclure des moyens de l’examen dans une procédure en référé sur la base de leur compatibilité avec un traitement accéléré est objectif et pertinent. Au regard de l’objectif poursuivi, il n’est pas pertinent d’établir une distinction selon qu’il s’agit d’un moyen d’ordre public ou d’un autre moyen. L’objectif de protection publique et les caractéristiques d’un moyen d’ordre public ne conduisent pas à une autre conclusion au vu des objectifs poursuivis.
Il n’est du reste pas sans justification raisonnable que la condition attaquée puisse également être appliquée lorsque le dossier administratif fait défaut en tout ou en partie. Les parties requérantes considèrent d’ailleurs à tort que l’absence d’un dossier administratif empêche, par définition et automatiquement au détriment du justiciable, l’examen du caractère sérieux d’un moyen. C’est au juge qu’il incombe de se prononcer au cas par cas sur le caractère sérieux d’un moyen sur la base des pièces disponibles ou non selon le degré d’avancement de la procédure, et, le cas échéant, même en l’absence du dossier administratif. Dans cette optique, il convient de souligner qu’il ressort de la jurisprudence du Conseil d’État que l’absence d’un dossier administratif n’empêche pas le Conseil de considérer un moyen comme sérieux (CE, 1er décembre 2003, n° 125.888, ECLI:BE:RVSCE:2003:ARR.125.888), et que, dans des procédures en référé, il est également admis comme principe général que l’absence de ce dossier a pour effet que les faits cités par la partie requérante sont réputés prouvés, à moins qu’ils soient manifestement inexacts (CE, 22 juin 1999, n° 81.134, ECLI:BE:RVSCE:1999:ARR.81.134;
9 mars 2006, n° 156.091, ECLI:BE:RVSCE:2006:ARR.156.091).
Le moyen unique, en ses troisième, quatrième et cinquième branches, n’est pas fondé.
En ce qui concerne le moyen unique, en sa première branche
B.19.6. Les parties requérantes développent une première branche du moyen unique, prise de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 142 de la Constitution, avec l’article 4 du TUE, avec les principes de loyauté communautaire et de coopération, avec l’article 267 du TFUE et avec le principe de protection juridictionnelle
34
effective des droits conférés aux justiciables par le droit de l’Union, en ce que la condition attaquée empêcherait le Conseil d’État de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne ou à la Cour constitutionnelle.
B.19.7. Tout d’abord, il ne saurait être déduit du droit de l’Union que les juridictions seraient, dans des procédures en référé, tenues de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 24 mai 1977, C-107/76, Hoffmann-La Roche AG, ECLI:EU:C:1977:89, points 5 et 6; 27 octobre 1982, C-35 et 36/82, Morson et Jhanjan, ECLI:EU:C:1982:368, point 10). L’on peut en effet inférer de la jurisprudence citée que, dans le cadre de procédures sommaires et urgentes qui visent seulement à offrir une procédure juridictionnelle provisoire, les exigences découlant des objectifs de l’article 267 du TFUE sont respectées lorsque toute question de droit tranchée provisoirement dans la procédure sommaire peut être réexaminée dans une procédure ordinaire au fond, et lorsque l’obligation de poser une question préjudicielle à la Cour de justice s’applique dans le cadre de cette procédure au fond.
Le droit de l’Union prévoit en outre qu’aucune mesure nationale ne peut empêcher le juge de prendre des mesures provisoires dans l’attente d’une réponse à une question préjudicielle posée à la Cour de justice quant à l’interprétation du droit de l’Union, réponse dont dépend l’existence de droits invoqués sur la base du droit de l’Union. La pleine effectivité du droit de l’Union exige en effet que le juge saisi d’un litige régi par le droit de l’Union puisse accorder des mesures provisoires afin de garantir la pleine effectivité de la décision juridictionnelle à rendre. En effet, si la juridiction nationale qui sursoit à statuer jusqu’à ce que la Cour réponde à sa question préjudicielle ne pouvait pas accorder de mesures provisoires jusqu’au prononcé de sa décision prise à la suite de la réponse de la Cour, l’effet utile du système instauré à l’article 267 du TFUE serait amoindri (CJCE, 19 juin 1990, C‑213/89, Factortame Ltd e.a., ECLI:EU:C:1990:257, points 21 et 22; 9 novembre 1995, C‑465/93, Atlanta Fruchthandelsgesellschaft mbH e.a., ECLI:EU:C:1995:369, point 23.
B.19.8. Les parties requérantes dans les affaires nos 8067 et 8068 demandent à la Cour de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne concernant l’interprétation de l’article 267 du TFUE, de l’article 4, paragraphe 3 du TUE, du principe
35
général du droit d’accès à un juge, du principe de la loyauté communautaire et du principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire, considérés séparément et lus en combinaison avec l’article 47 de la Charte.
Lorsqu’une question d’interprétation du droit de l’Union européenne est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours en vertu du droit national, cette juridiction est tenue de poser la question à la Cour de justice, conformément à l’article 267, troisième alinéa, du TFUE.
Ce renvoi n’est toutefois pas nécessaire lorsque cette juridiction a constaté que la question soulevée n’est pas pertinente, que la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable (CJCE, 6 octobre 1982, C-283/81, CILFIT, ECLI:EU:C:1982:335, point 21; CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi SpA, ECLI:EU:C:2021:799, point 33). À la lumière de l’article 47 de la Charte, ces motifs doivent ressortir à suffisance de la motivation de l’arrêt par lequel la juridiction refuse de poser la question préjudicielle (CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, précité, point 51).
L’exception du défaut de pertinence a pour effet que la juridiction nationale n’est pas tenue de poser une question lorsque « la question n’est pas pertinente, c’est-à-dire dans les cas où la réponse à cette question, quelle qu’elle soit, ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige » (CJUE, 15 mars 2017, C-3/16, Aquino, ECLI:EU:C:2017:209, point 43; grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, précité, point 34).
L’exception selon laquelle l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec évidence implique que la juridiction nationale doit être convaincue que la même évidence s’imposerait également aux autres juridictions de dernier ressort des autres États membres et à la Cour de justice. La juridiction nationale doit à cet égard tenir compte des caractéristiques propres au droit de l’Union, des difficultés particulières que présente l’interprétation de ce dernier et du risque de divergences de jurisprudence au sein de l’Union. Elle doit également tenir compte des différences entre les versions linguistiques de la disposition concernée dont
36
elle a connaissance, notamment lorsque ces divergences sont exposées par les parties et sont avérées. Enfin, elle doit également avoir égard à la terminologie propre à l’Union et aux notions autonomes dans le droit de l’Union, ainsi qu’au contexte de la disposition applicable à la lumière de l’ensemble des dispositions du droit de l’Union, de ses finalités et de l’état de son évolution à la date à laquelle l’application de la disposition en cause doit être faite (CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, précité, points 40 à 46).
Pour le surplus, une juridiction nationale statuant en dernier ressort peut s’abstenir de soumettre une question préjudicielle à la Cour « pour des motifs d’irrecevabilité propres à la procédure devant cette juridiction, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité » (CJCE, 14 décembre 1995, C-430/93 et C-431/93, van Schijndel et van Veen, ECLI:EU:C:1995:441, point 17; CJUE, 15 mars 2017, C-3/16, précité, point 56; grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, précité, point 61).
Eu égard à ce qui est dit en B.19.7, l’interprétation des dispositions ou principes du droit de l’Union ne laisse place à aucun doute raisonnable, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’accueillir la demande de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.
B.19.9. La condition attaquée implique en principe que le fait de poser une question préjudicielle à la Cour de justice n’est pas considéré comme étant compatible avec un traitement accéléré du litige. Pour cette raison, cette condition ne porte en principe pas atteinte au plein effet du droit de l’Union. En effet, il ressort de la jurisprudence mentionnée en B.19.7 que, dans des procédures en référé, le Conseil d’État n’est pas tenu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice parce que l’obligation de poser une telle question reste applicable dans la procédure au fond et parce qu’il réexaminera les points de droit jugés en référé dans la procédure au fond. En outre, au vu des travaux préparatoires mentionnés en B.14.4, rien ne s’oppose à ce que le Conseil d’État pose quand même une question préjudicielle à la Cour de justice dans le cadre de la procédure en référé. Il pourrait, dans un même temps, suspendre l’acte administratif attaqué ou ordonner des mesures provisoires, notamment si cela s’avérait nécessaire pour garantir le plein effet du droit de l’Union dans l’attente de la réponse de la Cour de justice à la question posée.
37
B.19.10. Dans les procédures en référé, le Conseil d’État n’est pas non plus tenu de poser une question préjudicielle à la Cour, sauf s’il existe un doute sérieux quant à la constitutionnalité de la norme législative en cause et si aucune question similaire n’a été soumise à la Cour (article 26, § 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989). La condition attaquée ne s’oppose pas, comme on peut le déduire des travaux préparatoires mentionnés en B.14.4, à ce que le Conseil d’État pose une question préjudicielle durant la procédure en référé. À titre surabondant, la Cour ne peut faire abstraction du fait qu’il est tout à fait plausible que des doutes sérieux quant à la constitutionnalité incitent à considérer prima facie que le moyen dans lequel la question est soulevée est sérieux. La condition attaquée ne porte dès lors pas atteinte à l’accès à la Cour établi par l’article 142 de la Constitution, qui permet à une juridiction de la saisir par renvoi préjudiciel.
Le moyen unique, en sa première branche, n’est pas fondé.
B.20. Le moyen unique n’est pas fondé.
38
Par ces motifs,
la Cour
sous réserve de l’interprétation mentionnée en B.19.2, rejette les recours.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 décembre 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Luc Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 156/2024
Date de la décision : 19/12/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Rejet du recours (sous réserve de l'interprétation mentionnée en B.19.2)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - les recours en annulation partielle de l'article 5 de la loi du 11 juillet 2023 « modifiant les lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973 », introduits par l'ASBL « Aktiekomitee Red de Voorkempen » et autres et par Dirk Bus et autres. Conseil d'État - Section du contentieux administratif - Référé administratif - Nouvelle condition cumulative - Condition selon laquelle l'examen se prête à un traitement accéléré


Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2025
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-12-19;156.2024 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award