Cour constitutionnelle
Arrêt n° 154/2024
du 19 décembre 2024
Numéros du rôle : 7905, 7910, 7911 et 7914
En cause : les recours en annulation partielle de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 9 juin 2022 « relative aux services de taxis », introduits par l’ASBL « Union des Chauffeurs Limousine Belge » et autres, par la SA « Taxis Autolux », par l’union professionnelle « Fédération Belge des Taxis » et autres et par la SA « Taxi Radio Bruxellois ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des recours et procédure
a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 30 décembre 2022
et parvenue au greffe le 2 janvier 2023, un recours en annulation des articles 3, 5°, 4, § 5, 5, §§ 2 et 3, 6, § 4, 2°, 10, §§ 2 à 5, 26, § 1er, 47, §§ 1er et 3, et 48 de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 9 juin 2022 « relative aux services de taxis » (publiée au Moniteur belge du 7 juillet 2022) a été introduit par l’ASBL « Union des Chauffeurs Limousine Belge », Taoufik Azouz, la SRL « Ber-Drive », la SRL « C.J.I. Trans », Abdel-Karim Daimoussi, Ahmed Addou, la SRL « HMD Transport », Fraterne Kabiligi, la SRL « Nisoufred », la SRL « Autoluxe », la SRL « DS Limo », la SRL « E.B.S. Clean », la SRL « Euro taxi luxe », la SRL « H&L Consulting », la SRL « Armtrans », la SRL « Belka Services », la SRL « J.T.I.
Drive », la SCS « MZR », la SRL « Brussels EU Empire Limousine », la SRL « HI-Drivers Services », la SRL « Lynatransport », la SPRL « MLK Transport », la SRL « Road Movie », la SPRL « I.A. Trading », la SPRL « Aya Services », la SCS « Haya Transport », la SPRL « V.T.A. », la SRL « CK Limousine », la SCS « Elikha » et la SRL « Drivmiiz »
(actuellement « Group Kourouka »), assistés et représentés par Me Cyrille Dony, avocat au barreau du Brabant wallon.
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b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 6 janvier 2023 et parvenue au greffe le 9 janvier 2023, la SA « Taxis Autolux », assistée et représentée par Me France Vlassembrouck et Me Yassine Laghmiche, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 3, 1°, b), 36 et 37 de la même ordonnance.
c. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 6 janvier 2023 et parvenue au greffe le 9 janvier 2023, un recours en annulation des articles 2, alinéa 1er, 8°, 5, §§ 1er, 2 et 3, 6, § 3, 7, 10, 26, § 2, 27, alinéa 1er, 3°, 30, alinéa 1er, 4°, et 42 à 45 de la même ordonnance a été introduit par l’union professionnelle « Fédération Belge des Taxis », la SRL « Fylra », la SRL « Cabriol », la SCS « Hami » et Elachkar Anis, assistés et représentés par Me Sébastien Kaisergruber, avocat au barreau de Bruxelles.
d. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 9 janvier 2023 et parvenue au greffe le 11 janvier 2023, la SA « Taxi Radio Bruxellois », assistée et représentée par Me Anne Feyt et Me Nathan Mouraux, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 30, 42, 43, 44 et 45 de la même ordonnance.
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7905, 7910, 7911 et 7914 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Des mémoires et mémoires en réplique ont été introduits par :
- le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, assisté et représenté par Me Frédéric De Muynck, avocat au barreau de Bruxelles;
- le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, assisté et représenté par Me Jean Bourtembourg, Me Matthieu de Mûelenaere et Me Ahmed Tiouririne, avocats au barreau de Bruxelles.
Les parties requérantes ont introduit des mémoires en réponse.
Par ordonnance du 26 juin 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Magali Plovie et Willem Verrijdt, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et les affaires seraient mises en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
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II. En droit
-A-
Quant à l’affaire n° 7905
A.1.1. Les parties requérantes sont de trois types. Il s’agit d’abord de l’ASBL « Union des Chauffeurs Limousine Belge », ensuite de quatre personnes physiques, et enfin de 25 entreprises. Tant les personnes physiques que les entreprises requérantes disposaient d’une autorisation d’exploiter un service de location de véhicule avec chauffeur (ci-après : LVC) avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 9 juin 2022 « relative aux services de taxis » (ci-après : l’ordonnance du 9 juin 2022). Elles sont dorénavant considérées comme pouvant exercer une activité de « taxis de rue » au sens de l’ordonnance précitée. Quant à l’ASBL
requérante, elle a pour but de défendre et représenter les conducteurs de limousine. L’ordonnance du 9 juin 2022
affecte défavorablement l’ensemble des parties requérantes car elle crée des différences de traitement entre plusieurs catégories de véhicules et car elle opère une régression de leurs droits acquis. Les parties requérantes estiment donc disposer de l’intérêt au recours.
A.1.1.1. Les parties requérantes prennent un moyen unique de la violation, par les articles 3, 5°, 4, § 5, 5, §§ 2 et 3, 6, § 4, 2°, 10, §§ 2 à 5, 26, § 1er, 47, §§ 1er et 3, et 48 de l’ordonnance du 9 juin 2022, des articles 10, 11 et 23 de la Constitution et de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980), lus en combinaison avec la liberté de commerce et d’industrie, le principe de la libre prestation des services, la liberté d’entreprendre, les articles II.3, II.4 et III.13
du Code de droit économique, l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le principe de sécurité juridique, le principe de la confiance légitime et l’obligation de standstill.
A.1.1.1.1. Dans une première branche, les parties requérantes font grief à l’ordonnance du 9 juin 2022 de réserver les privilèges attachés aux « taxis » au sens du Code de la route aux seuls taxis de station, à l’exclusion des taxis de rue, et ce alors que l’objectif de l’ordonnance du 9 juin 2022 était d’unifier le secteur des taxis sur le territoire de la région bilingue de Bruxelles-Capitale. Ces privilèges sont prévus dans le Code de la route et permettent notamment aux taxis d’emprunter des « sites spéciaux franchissables ». Le Code ne définit toutefois pas ce qu’il entend par taxi mais renvoie à la législation applicable. Sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995
« relative aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur » (ci-après : l’ordonnance du 27 avril 1995), les taxis étaient distingués des LVC. Désormais, il existe trois types de taxis, à savoir les taxis de station, les taxis de rue et les taxis de cérémonie. Toutefois, l’article 4, § 5, de l’ordonnance du 9 juin 2022 dispose que « seuls les taxis de station sont des taxis au sens du Code de la route », privant les deux autres catégories des privilèges liés à cette qualification. Le législateur ordonnanciel a justifié cette différence de traitement en pointant le fait que les taxis de rue et les taxis de cérémonie n’étaient pas nécessairement visuellement identifiables et qu’il convenait donc d’opérer la distinction, compte tenu de la nature des droits spécifiquement accordés aux taxis de station et en raison de la nécessité de pouvoir mener des contrôles efficaces.
Les parties requérantes soutiennent que les titulaires d’une autorisation d’exploiter un taxi de station et les titulaires d’une autorisation d’exploiter un taxi de rue constituent des catégories comparables, puisque les titulaires des deux catégories disposent d’une autorisation d’exploiter un service de taxis sur le territoire de la région bilingue de Bruxelles-Capitale.
Elles font ensuite valoir que le critère opéré pour distinguer les différents types de taxis, qu’elles estiment être « l’identification visuelle », n’est pas objectif, puisque les taxis de rue peuvent au contraire être également aisément identifiables, par le biais de leur plaque d’immatriculation « TX » et leur vignette d’identification.
Selon les parties requérantes, ce critère est à tout le moins non pertinent au regard de la justification de permettre un contrôle aisé et effectif aux autorités compétentes. Outre le fait qu’une telle justification est contradictoire avec l’intention d’unifier le secteur des taxis, elle n’est pas convaincante, puisque les taxis de rue, aisément identifiables, peuvent tout autant faire l’objet de contrôle par les agents compétents, ce qui était d’ailleurs
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déjà le cas sous l’empire de l’ancienne législation. Les parties requérantes soulignent d’ailleurs que de nombreuses critiques ont été émises sur ce point lors des débats parlementaires et qu’en Région flamande, les privilèges du Code de la route ne sont pas réservés aux seuls taxis de station.
Enfin, les parties requérantes soutiennent que la mesure attaquée emporte des conséquences disproportionnées pour les taxis de rue. En effet, les privilèges octroyés aux taxis de station leur offrent un avantage concurrentiel important. Ceux-ci pourront effectuer des courses plus rapidement, en plus grand nombre, et deviendront de ce fait plus attractifs que les taxis de rue.
A.1.1.1.2. Dans une deuxième branche, les parties requérantes font grief à l’article 5, §§ 2 et 3, de l’ordonnance du 9 juin 2022 de ne permettre la délivrance d’une autorisation d’exploiter un service de taxis qu’aux personnes physiques, à l’exclusion des personnes morales, sauf si, pour ces dernières, le titulaire de l’autorisation est l’administrateur chargé de sa gestion journalière. La mesure attaquée est accompagnée d’une mesure transitoire pour les titulaires d’une autorisation d’exploiter un service de taxis au sens de l’ordonnance du 27 avril 1995, donc de taxis de station, délivrée avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 juin 2022. Ceux-ci peuvent non seulement poursuivre leur activité, mais également revendre leur autorisation au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pour un montant forfaitaire. Aucune mesure transitoire n’existe pour les titulaires d’une autorisation de LVC, devenus taxis de rue, ce qui crée dès lors une différence de traitement.
Les parties requérantes estiment que la mesure critiquée augmente la charge administrative des titulaires d’autorisations, qu’elle restreint la liberté d’entreprendre et qu’elle viole l’obligation de standstill. Selon elles, les avantages liés à la détention d’une autorisation par une personne morale sont, d’une part, la transmission automatique en cas de cession d’entreprise et, d’autre part, la possibilité de valoriser l’autorisation. Elles relèvent le fait que la section de législation du Conseil d’État a critiqué la restriction de la liberté d’entreprendre qu’entraîne la mesure, insuffisamment justifiée, et a pointé la nécessité d’introduire une disposition transitoire adéquate au cas où cette mesure était maintenue.
Selon les travaux préparatoires de l’ordonnance du 9 juin 2022, il s’agit de faciliter le contrôle du respect des conditions d’exploitation. Le législateur ordonnanciel explique la restriction aux personnes physiques par le fait que les conditions de moralité et de qualification professionnelles sont intrinsèquement liées à la personne physique exerçant réellement l’activité. En outre, puisque l’ordonnance du 9 juin 2022 interdit par principe toute cession d’autorisations, le fait de pouvoir délivrer celles-ci à une personne morale n’aurait rien changé. En ce qui concerne la mesure transitoire, les travaux préparatoires l’estiment suffisante au regard des objectifs de dynamiser le secteur et de lutter contre la spéculation tout en ménageant les équilibres adéquats. Enfin, les parties requérantes ne peuvent que constater que le législateur ordonnanciel reconnaît lui-même les mérites d’une exploitation en personne morale et qu’il n’a introduit aucune disposition transitoire pour les LVC.
Les parties requérantes soutiennent qu’il existe une différence de traitement non justifiée entre deux catégories de personnes comparables, à savoir, d’une part, les titulaires d’autorisations d’exploiter un service de taxis délivrées avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 juin 2022 et, d’autre part, les titulaires d’autorisations d’exploiter un service de LVC délivrées avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 juin 2022, en ce que seuls les premiers peuvent poursuivre leur activité en personne morale.
Selon les parties requérantes, le critère de la similarité des conditions d’exploitation des taxis avant et après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 juin 2022 n’est pas objectif ou n’est, à tout le moins, pas pertinent.
D’après le législateur ordonnanciel, la mesure transitoire ne pourrait pas être appliquée telle quelle aux LVC
car les conditions d’exploitation de cette activité ont changé, contrairement à celles des taxis, et qu’il leur faudra du temps pour s’adapter aux nouvelles règles. Les parties requérantes réfutent cet argument car les exploitants de LVC pouvaient eux aussi auparavant exercer en personne morale. Dès lors que le régime des taxis est désormais unifié et que les conditions d’exploitation sont désormais identiques, il est d’autant moins compréhensible de continuer à faire la différence entre les anciens LVC et taxis au regard du régime transitoire à leur appliquer. Le
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principe même de la titularité des autorisations pour les seules personnes physiques n’est en outre pas justifié adéquatement, ce qu’a pu souligner le Conseil d’État. Une autre mesure aurait pu être envisagée, à savoir la mention sur l’autorisation du nom des chauffeurs remplissant les conditions pour effectuer des courses. Enfin, les parties requérantes soutiennent que la différence de traitement est non pertinente au regard de l’objectif de lutte contre la spéculation et notent, au surplus, qu’en Région flamande, il est toujours possible d’être titulaire d’une autorisation d’exploiter en personne morale.
Par ailleurs, les parties requérantes estiment que la différence de traitement emporte des effets disproportionnés pour les titulaires-personnes morales d’une autorisation d’exploiter un service de LVC en ce que ces derniers sont privés d’un régime favorable que les taxis conservent. Par conséquent, elles demandent, à titre principal, l’annulation du principe de l’octroi d’autorisations aux seules personnes physiques. À titre subsidiaire, elles réclament que les mesures transitoires applicables aux taxis sous l’ancienne législation le soient aussi aux LVC avec effet rétroactif.
A.1.1.1.3. Dans une troisième branche, les parties requérantes font grief à l’article 10, §§ 2 à 5, de l’ordonnance du 9 juin 2022 d’instaurer une dérogation à l’incessibilité des autorisations reçues sous l’ancienne législation qui ne vaut que pour les taxis, à l’exclusion des LVC. Or, sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995, une cession était possible pour les LVC.
Les parties requérantes relèvent que les deux catégories d’exploitants précités sont comparables, puisqu’elles sont désormais toutes deux considérées comme des « taxis » au sens de l’ordonnance du 9 juin 2022.
Selon les parties requérantes, il n’existe aucun critère objectif à la différence de traitement et celle-ci n’est, en tout état de cause, pas suffisamment justifiée compte tenu de la volonté d’unifier le secteur. Contrairement à ce qu’a soutenu le ministre-président de la Région dans les travaux préparatoires, il n’existe pas de différence entre des taxis qui ont un droit acquis à la cessibilité de leur autorisation et les LVC, pour qui l’incessibilité a toujours été la règle. Cette affirmation est contraire à la réalité et a d’ailleurs fait l’objet de critiques et de propositions d’amendement au cours des mêmes débats. Le législateur ordonnanciel a créé à dessein une discrimination car soit il permettait la cession, soit il prescrivait l’incessibilité, mais il aurait alors dû le faire pour tout le monde. Ainsi, en Région flamande, il existe une incessibilité de principe, soumise à une exception pour décès ou inaptitude au travail, sans différence entre les types de taxis.
En outre, les parties requérantes soutiennent que la mesure entraîne des conséquences disproportionnées dues à l’absence totale de valorisation des autorisations de LVC, contrairement aux autorisations de taxis.
A.1.1.1.4. Dans une quatrième branche, les parties requérantes font grief à l’article 6, § 4, 2°, a), de l’ordonnance du 9 juin 2022 d’imposer une condition de mise à disposition du véhicule au moins vingt heures par semaine en moyenne par année civile, ce qui fait qu’il est très difficile voire impossible pour un chauffeur d’exercer à titre d’indépendant complémentaire. Sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995, il n’existait aucune obligation d’un nombre d’heures de mise à disposition minimum. Quant à l’ordonnance du 10 décembre 2021
« insérant un régime dérogatoire transitoire dans l’ordonnance du 27 avril 1995 relative aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur » (ci-après : l’ordonnance du 10 décembre 2021), elle prévoyait un régime dérogatoire applicable si le nombre d’heures de mise à disposition du véhicule était supérieur ou égal à vingt heures. Selon les parties requérantes, le législateur ordonnanciel a très peu commenté ou justifié explicitement ce nombre de vingt heures. Les travaux préparatoires font mention d’un souci de maintenir une disponibilité du service effectif auprès du public ou de lutter contre les autorisations dormantes ou encore de la nécessité de la continuité du service public.
Il existe pour les parties requérantes une différence de traitement entre deux catégories comparables, à savoir les chauffeurs qui travaillent effectivement un minimum de vingt heures par semaine et les chauffeurs qui désirent exercer cette activité à titre d’indépendant complémentaire.
Les parties requérantes soutiennent que le critère de vingt heures par semaine est arbitraire, n’est fondé sur aucune donnée concrète et ignore le nombre maximum de véhicules autorisés sur le territoire ainsi que le nombre de véhicules réellement en circulation, négligeant en cela toute preuve d’une incidence sur la continuité du service.
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Si le but, comme annoncé, est d’éviter les autorisations dormantes et d’assurer une mise à disposition à temps plein de chaque véhicule, la fixation du critère aurait dû tenir compte du nombre d’autorisations et de véhicules.
L’imposition de la mesure attaquée est, selon les parties requérantes, discriminatoire et constitue une ingérence dans la liberté d’entreprendre. Elle ne tient, en outre, pas compte de la spécificité de l’activité de taxis, qui doit compter sur une demande qui varie fortement en fonction des moments de la journée, de la semaine et de l’année.
Cette obligation a par ailleurs également une incidence sur l’organisation de la vie privée et familiale des chauffeurs. En bref, les parties requérantes estiment qu’il n’existe aucune justification raisonnable au principe de réserver l’activité de taxis de facto aux temps pleins. En Région flamande, la législation n’impose d’ailleurs pas de durée minimale de travail.
Enfin, la mesure entraîne des effets disproportionnés en ce qu’elle prive les exploitants-chauffeurs de la possibilité d’exercer une activité de service de taxis à titre d’indépendant complémentaire ou les expose à des sanctions s’ils le font. Il convient de noter qu’il existait d’autres mesures possibles pour assurer la continuité, comme l’augmentation du nombre d’autorisations.
A.1.1.1.5. Dans une cinquième branche, les parties requérantes font grief à l’article 3, 5°, de l’ordonnance du 9 juin 2022 d’interdire les courses proposées par un intermédiaire de réservation non agréé, privant de ce fait les taxis de rue de la possibilité de développer et de conserver une clientèle privée. Sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995, il était autorisé de travailler avec des plateformes de réservation électronique, ainsi que d’entretenir une clientèle privée en les contactant directement. Supprimer cette faculté constitue une discrimination et une violation de l’obligation de standstill.
La reconnaissance officielle des plateformes de réservation, par le biais d’un agrément en tant qu’intermédiaires de réservation, constitue la grande nouveauté de l’ordonnance du 9 juin 2022. Elle tend à favoriser un cadre protecteur pour le client, le chauffeur et l’exploitant. Elle a également pour objectif un contrôle plus ferme des conditions d’exploitation imposées par l’ordonnance, comme l’obligation de réservation préalable, dans un souci de traçabilité. Les parties requérantes relèvent donc qu’il n’existait pas de volonté explicite du législateur ordonnanciel d’interdire la clientèle privée, puisque les chauffeurs pourraient en théorie devenir eux-
mêmes des intermédiaires de réservation agréés. Toutefois, force est de constater que la plupart des exploitants n’ont ni les moyens, ni les ressources permettant de développer et de gérer une telle plateforme. La mesure attaquée a donc bien pour effet d’interdire, en pratique, la constitution d’une clientèle privée pour les chauffeurs.
Il existe pour les parties requérantes une différence de traitement entre deux catégories comparables, à savoir les exploitants d’un service de taxis qui disposent d’un agrément comme intermédiaire de réservation et tous les autres, puisque seuls les premiers peuvent développer une clientèle privée.
La condition d’agrément empêche en pratique toute constitution de clientèle privée, bien que, selon les travaux préparatoires, tel n’était pas l’objectif de l’ordonnance. Cette condition a été très critiquée durant les débats et des amendements suggérant d’autres mesures ont été proposés, mais finalement rejetés. En Région flamande, la création de la base de données centrale « Chiron » permet de se passer d’un recours systématique à un intermédiaire agréé. Si le ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale a déclaré étudier la possibilité d’un « Chiron bruxellois », cette éventualité n’existe pas pour le moment.
Pour les parties requérantes, la mesure entraîne des effets disproportionnés, puisqu’elle a pour conséquence une perte de clientèle et un manque à gagner important pour les chauffeurs. D’autres solutions existent pourtant.
Outre le système « Chiron », les réservations peuvent se faire par d’autres moyens (SMS, e-mail, appels), dont la preuve peut être tout aussi aisément rapportée au contrôleur.
A.1.2. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient tout d’abord que le recours est irrecevable. L’ordonnance du 9 juin 2022 favorise en réalité les parties requérantes en légalisant les activités impliquant des intermédiaires de réservation de type « Uber ». Il n’est donc pas question de droits acquis. Par conséquent, les parties requérantes ne démontrent pas leur intérêt au recours.
A.1.2.1. En ce qui concerne le moyen unique, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale estime en premier lieu qu’il doit être déclaré partiellement irrecevable en ce qu’il est pris de la violation de l’article 23 de la Constitution, de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, de la liberté de
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commerce et d’industrie, du principe de la libre prestation des services, de la liberté d’entreprendre, des articles II.3, II.4 et III.13 du Code de droit économique, de l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, du principe de sécurité juridique, du principe de la confiance légitime et de l’obligation de standstill. En effet, les parties requérantes n’exposent pas précisément en quoi ces dispositions et principes seraient violés. L’examen du moyen doit donc être limité aux articles 10 et 11 de la Constitution.
A.1.2.1.1. En ce qui concerne la première branche, l’article 4, § 5, de l’ordonnance du 9 juin 2022 est simple : « seuls les taxis de station sont des taxis au sens du Code de la route ». Selon le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, l’intention des parties requérantes est en réalité de bénéficier des mêmes prérogatives que les taxis de station.
En ce qui concerne les catégories visées, à savoir les taxis de station et les taxis de rue, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale estime qu’elles ne sont pas comparables. Les taxis de station sont, pour citer les travaux préparatoires, « ce que tout le monde connaît aujourd’hui », tandis que les taxis de rue sont les anciens LVC sous l’ordonnance du 27 avril 1995. Il s’agit d’une distinction fondamentale. Les taxis, devenus taxis de station, ont toujours eu et conservent le monopole du marché de transport de personnes sans réservation.
La Cour n’a d’ailleurs jamais remis en question cette distinction, dans les affaires dont elle a eu à connaître en la matière (arrêts nos 164/2018 (ECLI:BE:GHCC:2018:ARR.164), 164/2020 (ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.164) et 77/2022 (ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.077)). Le changement de dénomination n’y change rien. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale rappelle que l’ordonnance du 9 juin 2022 met fin à un long conflit, à l’issue duquel le législateur ordonnanciel a opéré des choix politiques. Les deux catégories doivent désormais coexister. Le regroupement dans un secteur en partie unifié ne signifie pas que toutes les règles doivent être identiques pour tous.
Quand bien même les catégories seraient jugées comparables, la différence de traitement est fondée sur un critère objectif, à savoir l’appartenance à l’une ou l’autre des catégories de taxis. À ce propos, l’identité visuelle des véhicules fait partie intégrante de la définition des taxis de station et est décrite à l’annexe 8 de l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 6 octobre 2022 « relatif aux services de taxis ». Quant aux taxis de rue, ils ne répondent pas à ces exigences visuelles, conformément à l’article 2, 10°, de l’ordonnance du 9 juin 2022, non attaqué. L’ancien article 17, § 1er, 8°, de l’ordonnance du 27 avril 1995 interdisait d’ailleurs aux véhicules LVC de porter un quelconque signe distinctif extérieur comme intérieur. À nouveau, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale souligne qu’il s’agit d’un choix d’opportunité de conserver ces catégories.
La mesure est ensuite parfaitement justifiée au regard des objectifs poursuivis, au premier rang desquels se trouve la nécessité de permettre un contrôle aisé et effectif par les autorités en charge. En effet, comme l’indiquent longuement les travaux préparatoires, il est particulièrement difficile de repérer un taxi de rue dans la circulation, a fortiori de nuit et en mouvement. À cela s’ajoutent plusieurs justifications supplémentaires, à savoir des raisons de mobilité propres à la situation urbaine et dense de Bruxelles, le souci de ne pas nuire à la vitesse commerciale de la STIB (y compris pour des raisons budgétaires), la nécessité d’éviter un effet d’aspiration des autres conducteurs et la diminution constante des places de stationnement. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale cite enfin la nature même des prestations des deux catégories de taxis. Quant à la plaque d’immatriculation « TX », elle ne saurait suffire, d’autant plus que les véhicules de type « Uber » sont de couleur noire. En tout état de cause, la plaque TX est imposée par le droit fédéral et le législateur ordonnanciel n’aurait pas pu raisonnablement établir un régime en se fondant sur un critère dont il n’a pas la maîtrise. Enfin, les critiques de l’opposition dans les débats n’y changent rien, pas plus que ce que fait le législateur flamand, qui, au demeurant, ne permet pas le stationnement réservé pour les taxis de rue.
En ce qui concerne la proportionnalité, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale relève que les taxis de rue, contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, ne sont pas privés de privilèges car ils n’en ont jamais bénéficié. Celles-ci exagèrent en outre largement l’importance et le nombre des sites franchissables, dont certains ne sont pas ouverts aux taxis. Ensuite, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale ne voit pas comment la situation des taxis de rue serait affectée par l’absence d’emplacements réservés, alors qu’ils ne peuvent pas prendre en charge des clients en stationnant. Enfin, les parties n’expliquent pas pourquoi la Cour devrait se départir de sa propre jurisprudence.
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A.1.2.1.2. En ce qui concerne la deuxième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-
Capitale estime que la critique porte sur une comparaison de deux situations dans le temps. En effet, sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995, tant les personnes physiques que les personnes morales pouvaient être titulaires d’une autorisation d’exploiter un service de taxis (ou de LVC), alors que, désormais, cette possibilité n’est plus ouverte qu’aux personnes physiques. Les parties requérantes ne peuvent donc contester le principe de délivrance aux seules personnes physiques, puisqu’il s’applique tant aux taxis de station qu’aux taxis de rue, ne créant de ce fait aucune différence de traitement. En tout état de cause, ce principe est suffisamment justifié. En réalité, les parties requérantes critiquent l’absence de disposition transitoire similaire à l’article 47 de l’ordonnance du 9 juin 2022 pour les anciens LVC devenus taxis de rue. Toutefois, ceux-ci disposent bien d’une disposition transitoire qui leur est propre, l’article 48, qui n’est pas attaqué dans son contenu propre.
Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient tout d’abord que les deux catégories (taxis de station et taxis de rue) ne sont pas comparables, pour les raisons déjà évoquées à la première branche.
Ceci vaut aussi pour la poursuite de l’autorisation ancienne sous l’empire de la nouvelle ordonnance. Il n’existe aucune nécessité de prévoir une disposition transitoire similaire pour les deux catégories.
Le maintien des anciennes autorisations pour les taxis est justifié, selon le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, car ceux-ci remplissent déjà les conditions d’exploitation de leur nouveau régime de taxis de station. Ce n’est pas le cas pour les LVC, pour lesquels le régime de taxis de rue obéit à de nouvelles obligations et conditions. Pour les LVC, le législateur ordonnanciel a adopté une autre mesure transitoire, qui leur laisse deux choix : soit ils décident de demander une autorisation de taxis de rue et obéissent aux nouvelles règles, soit, s’ils ne désirent pas devenir des taxis de rue, ils peuvent continuer leur activité de LVC en restant soumis à l’ordonnance du 27 avril 1995 jusqu’à l’échéance de leur autorisation.
La mesure critiquée est par ailleurs proportionnée. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale relève que l’interdiction de titularité pour une personne morale s’applique à tous. Elle l’est d’autant plus que les exploitants-chauffeurs peuvent bien exercer leur activité en personne morale s’ils le souhaitent, à condition d’en assurer la gestion quotidienne, ce qui, dans la pratique, représente l’écrasante majorité d’entre eux.
Enfin, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale constate que les parties requérantes demandent à la Cour d’annuler les dispositions attaquées en les modifiant avec effet rétroactif. La Cour n’est pas compétente pour effectuer une telle modification.
A.1.2.1.3. En ce qui concerne la troisième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-
Capitale fait valoir que les parties requérantes partent du principe que, sous l’ordonnance du 27 avril 1995, tant les autorisations d’exploiter un service de taxis que les autorisations d’exploiter un service de LVC pouvaient être cédées. Ce postulat est erroné. L’article 23 de l’ancienne ordonnance interdisait expressément la cession des autorisations LVC, tandis que l’article 10bis permettait la cession des autorisations des taxis sous certaines conditions. La loi ancienne ne traitait donc pas de la même façon les deux catégories, qui, partant, sont incomparables.
En tout état de cause, la dérogation à l’incessibilité de principe se fonde sur un critère objectif, à savoir le fait d’être titulaire d’une autorisation d’exploiter un service de taxis obtenue sous l’ancienne législation, laquelle pouvait faire l’objet d’une cession à certaines conditions. Cette dérogation est justifiée par l’héritage du passé. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale souligne que le but est l’extinction d’un système apparu sous l’ancien régime fédéral, qui date de 1974. Il s’agissait de respecter les droits acquis et le principe de confiance légitime de ces exploitants. Au contraire, les exploitants LVC ne peuvent se targuer d’un droit acquis, puisque leurs autorisations n’ont jamais été cessibles. De la même façon, la mesure ne produit pas des effets disproportionnés à leur encontre, dès lors qu’ils n’ont jamais pu et ne peuvent toujours pas céder leur autorisation.
A.1.2.1.4. En ce qui concerne la quatrième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-
Capitale soutient que le grief n’est pas fondé. Tout d’abord, les parties requérantes n’exposent pas que l’une d’entre elles se trouverait dans la situation lésée. Ensuite, la condition de mise à disposition de vingt heures par semaine en moyenne, calculées par an, constitue un critère objectif. Ce critère est, en outre, approprié pour assurer
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l’utilisation effective de l’autorisation d’exploitation, tout en permettant aux exploitants-chauffeurs qui le désirent d’exercer une autre activité professionnelle par ailleurs.
La mesure est justifiée par l’existence d’un numerus clausus (qui rend la comparaison avec la Flandre non pertinente), choix d’opportunité qui n’est pas contesté, ainsi que par le caractère d’intérêt public des missions des taxis. Partant, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale estime qu’il est raisonnable de vouloir que les autorisations en nombre limité soient effectivement exploitées. Ceci tient compte des enseignements du passé. En effet, auparavant, les LVC étaient beaucoup trop concentrés sur les soirées du jeudi au dimanche. Le premier projet du législateur bruxellois était d’obliger chaque véhicule à être disponible selon un horaire d’équivalent temps plein mais, après que les demandes des acteurs ont été entendues, le projet a été remanié pour introduire la mesure attaquée. En conclusion, le dispositif est assez souple, puisque le nombre d’heures est calculé sur une base annuelle, et est proportionné aux objectifs visés.
A.1.2.1.5. En ce qui concerne la cinquième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-
Capitale relève tout d’abord que les travaux préparatoires indiquent bien qu’il n’est pas interdit de travailler avec une clientèle privée, tant que l’on respecte les exigences réglementaires appliquées aux intermédiaires de réservation. L’exploitant peut donc soit passer par un intermédiaire de réservation, soit demander un agrément lui-
même; ce qui compte est la traçabilité des courses.
Les parties requérantes critiquent en réalité l’identité de traitement entre les exploitants de taxis qui disposent d’un agrément comme intermédiaire de réservation et ceux qui n’en disposent pas, au regard des exigences de traçage. Le législateur n’a pas à instaurer une différence de traitement entre les exploitants selon qu’ils recourent ou non à un intermédiaire de réservation. Le président du parlement de la Région de Bruxelles-Capitale fait référence par analogie à l’arrêt de la Cour n° 107/2017 du 28 septembre 2017 (ECLI:BE:GHCC:2017:ARR.107)
sur les caisses enregistreuses. En tout état de cause, la clientèle privée est toujours possible. Les exploitants doivent seulement s’assurer que les courses ont été tracées et transmises. Il s’agit d’un objectif de contrôle et de lutte contre le travail au noir, qui constitue un objectif légitime non contestable. Enfin, la mesure n’est pas disproportionnée, puisque l’exploitant, s’il ne demande pas d’agrément lui-même, peut s’affilier à plusieurs intermédiaires de réservation.
A.1.3.1. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute le moyen unique en toutes ses branches.
A.1.3.1.1. En ce qui concerne la première branche, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale estime tout d’abord que les deux catégories visées ne sont pas comparables. En effet, s’il suffisait de prendre comme critère la seule titularité d’une autorisation quelconque pour rendre comparables deux situations, alors la distinction entre les trois catégories de taxis serait dépourvue de portée. Fondamentalement, les taxis de station et les taxis de rue se distinguent par la caractéristique visuelle du véhicule. Cette différence matérielle est héritée de l’ordonnance du 27 avril 1995. Actuellement, les taxis de station, anciennement taxis, ne peuvent toujours pas être exploités au moyen de véhicules ordinaires, au contraire des taxis de rue, anciennement LVC.
Quand bien même les catégories seraient-elles comparables, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale soutient que la différence de traitement est suffisamment justifiée. En effet, elle est fondée sur un critère objectif indiscutable, à savoir celui de répondre aux exigences d’identité visuelle du véhicule de taxi de station ou non. À cet égard, le critère de la plaque d’immatriculation « TX » n’aurait pas été pertinent, puisqu’il dépend de la législation fédérale. Quant à la vignette placée à l’avant du véhicule, elle est manifestement insuffisante pour un contrôle efficace, a fortiori lorsqu’il doit être effectué sur les flancs ou à l’arrière d’un véhicule en mouvement.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale affirme que les parties requérantes se contentent en réalité de défendre une autre conception de la régulation des services de taxis. Or, l’ordonnance du 9 juin 2022 a opté pour un choix d’opportunité qu’il ne revient pas à la Cour de mettre en cause. Parmi les objectifs cités dans les travaux préparatoires pour justifier la distinction, on trouve au premier chef celui de faciliter le contrôle des autorités, surtout lorsque le véhicule est en mouvement. À cela s’ajoute en outre la facilité pour les autres automobilistes de constater que le véhicule empruntant un site propre est bien un taxi et d’éviter ainsi d’être soi-
même tenté de l’emprunter, phénomène d’aspiration bien connu. Ensuite, il s’agit de préserver la fonction première des sites propres, à savoir la fluidification du trafic des transports en commun, et de maintenir la vitesse
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commerciale de la STIB. Enfin, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale rappelle que la tendance est déjà à la baisse des places de stationnement réservées.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale estime enfin que la mesure est suffisamment proportionnée aux buts poursuivis. À cet égard, il n’aperçoit pas l’avantage concurrentiel disproportionné que les taxis pourraient tirer de ce droit. En effet, en pratique, l’écrasante majorité des voiries bruxelloises sont tout simplement dépourvues de tels sites. Quant à l’autorisation de stationnement réservé, elle a pour fonction essentielle de permettre aux usagers de prendre un taxi de station sans réservation, ce qui est interdit pour les taxis de rue. En tout état de cause, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale rappelle que, sous l’ordonnance du 27 avril 1995, les véhicules LVC n’étaient déjà pas considérés comme des taxis au sens du Code de la route.
A.1.3.1.2. En ce qui concerne la deuxième branche, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale fait valoir qu’elle part d’une prémisse erronée, à savoir que, pour les anciens LVC, l’autorisation était automatiquement transmise en cas de cession et qu’elle pouvait être valorisée. Il n’en est rien. Les autorisations dont une entreprise était titulaire n’étaient pas transmises en cas de cession de l’entreprise et ne le sont toujours pas. Il pouvait certes y avoir un changement de contrôle au sein de ladite entreprise, mais celui-ci était néanmoins encadré. Par ailleurs, c’est précisément ce qui posait problème en termes de contrôle des conditions de moralité et de qualification, et ce à quoi l’ordonnance du 9 juin 2022 entend remédier. Sous le nouveau régime légal, la délivrance des autorisations a lieu à titre gratuit. Auparavant, ce qui se monnayait n’était en réalité pas l’autorisation mais la « part de marché » que l’entreprise occupait, compte tenu du nombre de véhicules de chaque autorisation détenue. C’est ce qui expliquait d’ailleurs l’existence d’un marché, sans quoi toutes les entreprises auraient la même valeur, puisque les autorisations ne diffèrent pas intrinsèquement l’une de l’autre. En bref, l’autorisation n’a jamais été qu’un droit d’accès à la profession.
De plus, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale rappelle qu’auparavant, toute personne répondant aux conditions pouvait obtenir une autorisation LVC. Aux termes de l’article 23 de l’ordonnance du 27 avril 1995, cette autorisation était gratuite, personnelle, incessible et indivisible. Aucun marché de revente d’autorisations LVC n’existait donc. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale souligne qu’il n’existait par conséquent aucune raison de prévoir un régime transitoire pour la revente d’anciennes autorisations LVC. De plus, les anciens LVC peuvent, s’ils le souhaitent, toujours poursuivre leur activité en personne morale en application de l’ordonnance du 9 juin 2022, et ce de deux manières : soit ils n’entreprennent aucune démarche et ils resteront soumis à la législation de 1995 jusqu’à l’échéance de leur autorisation, soit ils décident de devenir des taxis de rue et, dans ce cas, ils pourront exercer leur activité au travers d’une personne morale en application de l’article 5, § 3, de l’ordonnance du 9 juin 2022.
Partant, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient, pour les mêmes raisons que celles qui ont été développées à la branche précédente, que les deux catégories visées ne sont pas comparables et que le moyen, en cette branche, doit donc être déclaré non fondé.
À titre subsidiaire, il considère que le régime transitoire attaqué est suffisamment justifié. Il est fondé sur un critère incontestablement objectif, qui n’est en réalité pas critiqué par les parties requérantes car elles refusent la différence entre les taxis de station et les taxis de rue. Celles-ci n’expliquent d’ailleurs pas en quoi leur situation serait affectée par le fait que d’autres catégories d’exploitants peuvent poursuivre leur activité sous les mêmes conditions. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale souligne qu’il était indispensable, pour les taxis de station déjà autorisés, d’adopter le régime transitoire attaqué afin de conserver et de respecter leurs droits acquis.
La délivrance des autorisations aux seules personnes physiques pour toutes les autres catégories découle de la nécessité de faciliter le contrôle des autorités. Il s’agit là d’un choix d’opportunité du législateur ordonnanciel.
Enfin, la mesure est proportionnée, puisque, contrairement aux taxis qui ne changent pas de régime légal en devenant taxis de station, les titulaires d’une autorisation LVC sont eux amenés à en changer. Le fait de leur demander de solliciter l’octroi d’une nouvelle autorisation, qui plus est gratuite, n’emporte pas d’effets négatifs.
Enfin, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale constate que les parties requérantes demandent à la Cour qu’elle annule les dispositions attaquées en les modifiant avec effet rétroactif. Il va de soi que la Cour n’est pas compétente pour accéder à une telle requête.
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A.1.3.1.3. En ce qui concerne la troisième branche, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que celle-ci part d’un postulat erroné, puisque les exploitants LVC n’ont jamais pu céder leur autorisation.
L’incessibilité, qui existait donc déjà pour eux, est désormais étendue à toutes les autres catégories, avec pour seule exception l’autorisation de taxi (devenu taxi de station) délivrée avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 juin 2022. Contrairement à ce qu’affirment les parties requérantes, ce choix est amplement justifié. En effet, il n’empêche nullement les taxis de rue de valoriser l’autorisation : c’est simplement l’autorisation qui est dépourvue de valeur intrinsèque. Enfin, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réitère son exception d’incompétence pour la demande des parties requérantes d’annulation avec modification rétroactive.
A.1.3.1.4. En ce qui concerne la quatrième branche, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale souligne d’abord que les taxis effectuent des missions d’intérêt public. Dès lors, le souci du législateur ordonnanciel a été de concilier les intérêts de tous les acteurs avec le besoin de fixer le numerus clausus sur une durée moyenne hypothétique de mise à disposition du public sans mettre en péril la viabilité économique de certains exploitants. Le principe finalement choisi est celui d’un véhicule mis à disposition du public pour un horaire équivalent à un temps plein, lequel peut être réparti entre plusieurs chauffeurs (article 6, § 4, 2°, de l’ordonnance du 9 juin 2022). C’est à partir de ce principe que le numerus clausus est ensuite fixé. Si l’on suit cette logique jusqu’au bout, dans la situation d’un exploitant-chauffeur seul, il devrait accomplir un équivalent temps plein. Toutefois, pour tempérer cette rigueur, le législateur ordonnanciel a opté pour une exception, à savoir celle des vingt heures par semaine en moyenne calculées sur l’année. Cela permet le temps partiel, tout en évitant le phénomène du travail de quelques heures seulement qui aurait eu un effet sur l’offre de services.
À titre principal, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que les situations visées ne sont pas comparables car les parties requérantes n’expliquent pas en quoi elles le seraient, autrement que par une pure pétition de principe. Au surplus, les parties auraient dû critiquer l’arrêté du Gouvernement, puisque c’est le numerus clausus qui est en réalité visé.
À titre subsidiaire, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale estime que la mesure est suffisamment justifiée. Le nombre de vingt heures est un critère objectif. Il est également pertinent. En effet, il peut être soutenu que les exploitants qui effectuent plus de vingt heures de courses par semaine sont réputés obtenir l’essentiel de leurs revenus professionnels par ce biais, ce qui n’est pas le cas de ceux qui effectuent moins de vingt heures. En ce qui concerne l’affirmation des parties requérantes selon laquelle les autorités publiques n’étaient pas en possession des chiffres du nombre d’autorisations et de véhicules avant d’avoir fixé ce seuil, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale déclare qu’elle est fausse et que ces données étaient bien en possession de la Région. Quant à la liberté de chacun de fixer à sa guise le nombre d’heures qu’il souhaite travailler, la mission d’intérêt public des taxis s’y oppose par principe. De plus, un seuil similaire était déjà en vigueur sous l’ordonnance du 10 décembre 2021. En tout état de cause, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale observe qu’il n’a jamais voulu réserver l’activité de taxis aux temps pleins, puisqu’il est possible d’allouer plusieurs chauffeurs à un véhicule. Enfin, selon le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, les parties requérantes n’apportent aucune démonstration que la mesure entraînerait des effets disproportionnés en ce qui les concerne, mais se contentent de soutenir une autre conception de la régulation des services de taxis.
A.1.3.1.5. En ce qui concerne le moyen, en sa cinquième branche, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale déclare tout d’abord qu’il repose sur une prémisse erronée. Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, toute course ne doit pas être désormais réservée via un intermédiaire de réservation agréé, puisque les taxis de station peuvent travailler sans réservation. De même, il est faux de dire qu’il serait impossible de développer une clientèle privée sans agrément personnel, dès lors que rien n’empêche les intermédiaires de réservation d’offrir aux exploitants affiliés la possibilité de développer une clientèle personnelle via leur plateforme. Par ailleurs, en prétendant que le coût est trop important, les parties requérantes oublient qu’un intermédiaire de réservation ne prend pas forcément la forme d’une application informatique : la réservation peut fonctionner par téléphone, pour peu que la communication des données à l’administration, elle, se fasse numériquement. Seule compte en effet la traçabilité des courses. En outre, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale ne peut que réfuter l’affirmation selon laquelle les parties requérantes seraient privées du jour au lendemain de leur clientèle privée. Pour rappel, le vote de l’ordonnance a eu lieu le 3 juin 2022, la publication au Moniteur belge le 7 juillet et l’entrée en vigueur le 22 octobre, ce qui leur a laissé du temps. Enfin, le
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Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réitère son exception d’incompétence pour la demande des parties requérantes d’annulation avec modification rétroactive.
A.1.3.1.6. Enfin, à titre subsidiaire, si la Cour devait annuler tout ou partie des dispositions attaquées, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale demande le maintien des effets des normes annulées durant une période de neuf mois afin de laisser un délai raisonnable au législateur ordonnanciel pour remédier aux inconstitutionnalités constatées. Cela permettra d’assurer la sécurité juridique dans un secteur qui en a amplement besoin ainsi que de prévenir les effets négatifs disproportionnés sur celui-ci.
A.1.4. La recevabilité du recours est réitérée par les parties requérantes. Le fait que l’ordonnance du 9 juin 2022 ait apporté une amélioration à certaines difficultés passées ne prive pas celles-ci de leur intérêt.
A.1.4.1.1. En ce qui concerne la première branche du moyen unique, les parties requérantes répondent d’abord à propos de la comparabilité des catégories visées. Certes, la Cour a jugé par le passé que la différence entre les LVC et les taxis n’était pas déraisonnable. Néanmoins, l’ordonnance du 9 juin 2022 a opéré une modification majeure en créant un secteur unifié des taxis. Le choix du même mot de « taxi » pour toutes les catégories n’est à cet égard pas anodin. De plus, ces exploitants ont en pratique la même activité, d’autant qu’ils peuvent à présent travailler avec des plateformes de réservation.
En ce qui concerne le critère, les parties requérantes affirment qu’il est faux de soutenir que l’identification par la plaque d’immatriculation ou la vignette serait malaisée pour les autorités publiques, d’autant plus que le trafic sur les sites spéciaux franchissables est justement dégagé. Ceci est également valable la nuit, puisque la plaque d’immatriculation est éclairée. En tout état de cause, les taxis n’ont pas forcément besoin d’emprunter ces sites la nuit vu le trafic moins dense dans la capitale. Le fait que la plaque d’immatriculation découle d’une norme fédérale est hors sujet, puisque les travaux préparatoires ne mentionnent que la prétendue difficulté d’identification visuelle. Il est à noter que la vignette d’identification, elle, est bien imposée par le législateur bruxellois.
Les parties requérantes relèvent ensuite qu’il est contradictoire de soutenir qu’un taxi de rue est bien un taxi, mais pas au sens du Code de la route. Rien ne permet de justifier cette affirmation. Les autres justifications apportées par le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale et le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, à savoir la mobilité, le budget et la nature des prestations, n’ont pas été évoquées dans l’exposé des motifs et ne peuvent donc être prises en compte. Quand bien même serait-ce le cas, les parties requérantes soulignent qu’en ce qui concerne la vitesse de la STIB, aucune donnée concrète ne vient démontrer l’incidence éventuelle. L’effet d’aspiration n’est pas plus démontré, sans parler qu’il présuppose que les conducteurs commettent en pleine conscience une infraction. Enfin, la justification relative au stationnement ne peut non plus être retenue, puisqu’il est justement beaucoup plus facile de contrôler des véhicules stationnés qu’en mouvement.
Enfin, les parties requérantes maintiennent l’argument du caractère disproportionné de la mesure. Elle constitue un avantage concurrentiel pour les taxis de station. Contrairement à ce que soutiennent les parties adverses, l’avantage est incontestable vu la densité du trafic à Bruxelles. Quant aux places de stationnement réservées, elles peuvent également servir aux taxis de rue pour charger et déposer leurs clients. La mesure est d’autant plus disproportionnée que la Région aurait pu opter pour d’autres mesures moins restrictives.
A.1.4.1.2. En ce qui concerne la deuxième branche, les parties requérantes affirment à nouveau que, sous l’ordonnance du 27 avril 1995, les autorisations d’exploitation LVC pouvaient être délivrées soit à une personne physique soit à une personne morale, ce qui les rend comparables avec les autorisations de services de taxis. Un formulaire existait, et est même produit dans l’affaire, pour signaler à l’administration tout changement de statuts dans l’entreprise. Quand la personne morale était titulaire de l’autorisation, cette dernière faisait partie du patrimoine de la société. Or, l’ordonnance du 9 juin 2022 change radicalement le principe et rien n’est prévu pour les anciennes autorisations LVC, contrairement aux autorisations de taxis.
La différence de traitement est fondée sur le critère de la facilité du contrôle. Les parties requérantes relèvent tout d’abord que ce critère ne fonctionne pas pour les personnes morales concernées par le régime transitoire. Or, dans la pratique, presque tous les anciens taxis sont concernés et aucun LVC ne l’est. En réponse aux arguments
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des parties adverses, les parties requérantes contestent le critère de la similarité des conditions d’exploitation avant et après l’ordonnance du 9 juin 2022 pour les taxis, ce qui ne serait pas le cas pour les LVC. Un tel critère n’est pas pertinent.
Au niveau de la justification de la mesure, les parties requérantes relèvent que la restriction aux personnes physiques et l’absence de dérogation pour les anciens LVC ont été critiquées par le Conseil d’État. Il n’y a aucune raison de distinguer les deux catégories, puisqu’elles pouvaient toutes deux être propriétaires d’une autorisation en personne morale. Par ailleurs, l’exploitation en personne morale ne constitue pas un obstacle au contrôle de celle-ci. Les parties requérantes répondent à l’argument de la spéculation en réfutant sa pertinence. Pour rappel, que ce soit pour les taxis ou pour les LVC, toutes les autorisations ont initialement été délivrées gratuitement.
Puisqu’elles étaient cessibles, elles ont progressivement acquis une valeur, tant pour les taxis que pour les LVC, ce que le législateur ordonnanciel passe sous silence. En pratique, de nombreux exploitants LVC ont acquis leur autorisation en la rachetant à une personne morale. La discrimination n’en est donc que plus évidente. Enfin, les parties requérantes estiment que l’objectif de renforcer la place des petits exploitants n’est justifié en rien.
La mesure entraîne des effets disproportionnés car aucune mesure transitoire adéquate n’a été adoptée pour les LVC. Quant au principe de restriction aux personnes physiques, d’autres solutions existaient.
Enfin, les parties requérantes prennent acte de la critique des parties adverses concernant la demande de modification des dispositions annulées. Elles demandent donc, à titre principal, l’annulation de l’article 5, § 3, de l’ordonnance du 9 juin 2022, ainsi que du paragraphe 2 de la même disposition, afin que le législateur bruxellois prévoie désormais la possibilité de délivrer les autorisations à une personne morale. À titre subsidiaire, elles sollicitent l’annulation de l’article 48 de l’ordonnance du 9 juin 2022, afin d’étendre la mesure transitoire aux autorisations LVC avec effet rétroactif.
A.1.4.1.3. En ce qui concerne la troisième branche, les parties requérantes soutiennent qu’elle ne part pas d’une prémisse erronée. Contrairement à ce qu’affirment les parties adverses, les autorisations LVC délivrées sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995 étaient effectivement cessibles.
Les catégories restent comparables. Si, auparavant, la Cour a pu juger du caractère raisonnable de la différence entre taxis et LVC, le nouveau système a mis en place un secteur unifié des taxis, comme il ressort des travaux préparatoires. Les taxis de rue comme les taxis de station ont la même activité, y compris celle de travailler avec des plateformes de réservation. Par ailleurs, tant les titulaires d’une ancienne autorisation LVC que les titulaires d’une ancienne autorisation de taxis sont en possession d’autorisations initialement délivrées gratuitement.
Les parties requérantes répètent que la mesure est injustifiée. À cet égard, l’argument de l’attente légitime des exploitants de taxis de revendre leurs autorisations vaut aussi pour les LVC qui ont acheté leur autorisation à une personne morale. Priver les taxis de rue de la possibilité de valoriser une autorisation qui a été acquise à titre onéreux constitue un effet manifestement disproportionné. Par conséquent, les parties requérantes sollicitent l’annulation des dispositions attaquées, afin que les taxis de rue aient les mêmes droits en la matière que les taxis de station.
A.1.4.1.4. En ce qui concerne la quatrième branche, les parties requérantes relèvent que le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale tente de justifier a posteriori l’exigence des vingt heures sans pour autant apporter aucun chiffre pour étayer ses dires. Elles rappellent que les catégories visées, à savoir les exploitants-
chauffeurs qui exercent au moins vingt heures et ceux qui désirent en effectuer moins, sont comparables. Or, les exploitants-chauffeurs de la seconde catégorie seront soumis à des sanctions. La première partie requérante représente des membres qui sont susceptibles de vouloir faire partie de cette catégorie et dispose, dès lors, d’un intérêt à la branche du moyen.
Le critère choisi n’est pas objectif ou n’est à tout le moins pas pertinent. Rien ne permet en effet de démontrer qu’en l’absence d’une durée minimale de prestation hebdomadaire, la continuité du service ne serait pas garantie.
La justification apportée de lutter contre les autorisations dormantes ne convainc pas les parties requérantes, qui estiment que le législateur ordonnanciel a fixé les vingt heures sans connaître le nombre d’autorisations et de
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véhicules en service à la date de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 juin 2022 et donc sans disposer de données démontrant la nécessité d’une durée minimale. Selon elles, les indépendants doivent pouvoir être libres de déterminer eux-mêmes le nombre d’heures pendant lesquelles ils souhaitent travailler. Il en va d’autant plus ainsi que le secteur du taxi connaît des demandes horaires qui varient fortement. En réalité, la volonté du législateur ordonnanciel ne peut qu’avoir été de privilégier les temps pleins.
La mesure est disproportionnée, puisque, selon les parties requérantes, un nombre plus élevé d’autorisations aurait pu être prévu pour répondre à l’objectif de mise à disposition du public. Les quotas de véhicules sont d’ailleurs revus tous les deux ans.
A.1.4.1.5. En ce qui concerne la cinquième branche, les parties requérantes répondent tout d’abord à la critique d’irrecevabilité soulevée par les parties adverses. En pratique, le respect des conditions de l’ordonnance du 9 juin 2022 pour maintenir une clientèle privée par le biais d’un agrément en tant qu’intermédiaire de réservation est trop lourd et coûteux. Les parties requérantes joignent à leur mémoire en réponse un tableau Excel qui chiffre à deux heures de travail quotidien le temps qu’il faut consacrer au seul encodage des données. Par ailleurs, les parties requérantes observent que, contrairement à ce que soutiennent les parties adverses, s’il n’est pas obligatoire en théorie de disposer d’une application informatique pour les réservations de courses, une telle application est néanmoins indispensable en pratique pour le traçage et l’envoi des données, sans lesquels il est impossible d’obtenir un agrément. En l’absence d’une plateforme régionale de type « Chiron », les exploitants sont donc obligés de recourir à un intermédiaire de réservation et sont privés de la possibilité de développer et de maintenir une clientèle propre.
Le ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale entend, dans les travaux préparatoires cités par les parties adverses, ne pas empêcher la clientèle privée. Il n’en reste pas moins que les conditions pour obtenir un agrément d’intermédiaire de réservations sont un obstacle pour la plupart des exploitants. Il s’impose ici, pour les parties requérantes, de comparer cette situation à celle qui existe en Flandre, où l’on peut utiliser le téléphone, les e-mails ou encore les SMS pour effectuer des réservations valides. La mesure est d’autant plus disproportionnée qu’il existait d’autres solutions, comme le montre cet exemple. Par conséquent, les parties requérantes sollicitent l’annulation des dispositions attaquées, afin que le législateur ordonnanciel permette à tous les exploitants de travailler avec une clientèle privée.
A.1.4.1.6. En ce qui concerne le maintien des effets, les parties requérantes n’aperçoivent pas en quoi la sécurité juridique serait mise à mal par les annulations demandées, ni quels effets négatifs en découleraient. Ceci n’est pas démontré par les parties adverses. À titre subsidiaire, les parties requérantes estiment qu’un délai de trois mois serait suffisant.
A.1.5. Dans son mémoire en réplique, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale maintient que le recours est irrecevable. Il n’aperçoit toujours pas ce que l’ordonnance du 9 juin 2022 aurait retiré aux parties requérantes. Au contraire, elles peuvent désormais entreprendre l’activité qu’elles n’effectuaient que de manière illégale jusque-là. En outre, aucune précision complémentaire n’a été apportée sur la façon dont leur liberté d’entreprendre et leur statut d’indépendant seraient affectés.
A.1.5.1. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute le moyen unique, à titre de réplique, en constatant d’abord que l’irrecevabilité du moyen en ce qu’il est pris de toutes les normes de référence visées, hormis les articles 10 et 11 de la Constitution, n’a pas été contestée par les parties requérantes dans leur réponse.
A.1.5.1.1. En ce qui concerne la première branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale conteste l’affirmation selon laquelle il ne distinguerait pas les taxis de station et les taxis de rue de la même façon que le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale. La distinction est définie à l’article 2
de l’ordonnance du 9 juin 2022. Une fois les catégories différenciées, l’application des mesures à l’une ou l’autre d’entre elles aura des implications différentes. Pour réfuter l’incomparabilité des catégories, les parties requérantes soutiennent qu’avec la nouvelle ordonnance, les choses auraient radicalement changé et que les précédents arrêts de la Cour auraient subitement perdu leur pertinence. Rien n’est plus erroné. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale souligne que la création d’un secteur unifié n’a jamais signifié que les catégories seraient fondues ensemble. Au contraire, ces catégories sont maintenues. Tout le raisonnement égalitaire des parties requérantes est fondé sur une mauvaise compréhension du but poursuivi. Elles n’acceptent tout simplement pas que l’ordonnance du 9 juin 2022 ait maintenu deux catégories distinctes et remettent de ce fait en question un choix politique.
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Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale tient à insister à nouveau sur les différentes justifications apportées à la mesure et à répliquer aux parties requérantes. En ce qui concerne les plaques d’immatriculation « TX », outre les arguments déjà développés, on ne peut décemment soutenir, comme le font les parties requérantes, qu’il s’agit d’un signe aisément reconnaissable en quelques secondes voire moins. En ce qui concerne l’effet d’aspiration, l’argument des parties requérantes est pour le moins naïf. La pratique montre que ce qui compte est la perception que peuvent avoir les usagers. En ce qui concerne les raisons budgétaires, la mobilité et la nature des prestations, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale relève que, bien qu’elles n’aient pas été mentionnées dans l’exposé des motifs, celles-ci ont toutefois fait l’objet de longs débats, comme en témoignent les travaux préparatoires. Or, la législation est le fruit d’un travail collectif législatif. Par ailleurs, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale se doit de rectifier l’affirmation selon laquelle de nombreuses voiries bruxelloises sont équipées de sites propres. C’est tout l’inverse, puisque ces sites sont rares et que nombre d’entre eux ne sont réservés qu’aux bus ou aux trams, à l’exclusion des taxis. Enfin, l’argument de l’utilité des places de stationnement réservées pour les taxis de rue ne convainc pas. Toute personne qui a déjà eu recours à ces services sait bien que ces véhicules n’ont pas besoin d’un endroit de stationnement, le départ et l’arrivée étant fixés par le client dans la réservation.
A.1.5.1.2. En ce qui concerne la deuxième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réplique tout d’abord que la constitutionnalité de l’article 5 de l’ordonnance du 9 juin 2022 doit être mise hors de cause, puisqu’il n’est pas contesté que cet article n’opère aucune différence entre les taxis de station et les taxis de rue. Quand bien même, les parties requérantes auraient alors dû viser la disposition transitoire qui les concerne, à savoir l’article 48 de l’ordonnance précitée. Au lieu d’attaquer celui-ci sur son contenu propre, elles critiquent l’inapplicabilité de l’article 47 de l’ordonnance à leur situation. Elles visent donc une disposition transitoire qui ne les concerne pas, puisqu’elle est applicable aux taxis de station, et soutiennent la comparabilité de leurs situations tout en reconnaissant leurs différences initiales. Ceci revient à quereller une disposition en soutenant qu’il ne faut pas partir du point de départ mais uniquement du point d’arrivée. Ensuite, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale souligne qu’autoriser les anciens LVC à conserver ad vitam æternam une autorisation qui ne correspond plus au cadre légal actuel n’aurait pas de sens. Les taxis ne souffrent pas une telle critique, puisque le cadre actuel est le prolongement du cadre ancien. Quant à l’argument qui consiste à dire que le législateur aurait pu choisir de conserver la titularité aux personnes morales pour ne pas nuire à la liberté d’entreprendre, il dépasse le cadre de la branche soulevée. Enfin, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réaffirme que la mesure transitoire va bien dans le sens de la lutte contre la spéculation, puisque l’objectif est bien d’arriver à terme à une extinction de l’ancien système sans méconnaître les droits acquis.
A.1.5.1.3. En ce qui concerne la troisième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale estime que les parties requérantes se complaisent dans leur erreur. On ne peut soutenir, comme elles le font, que l’ancien régime permettait la cession des autorisations LVC. La loi était on ne peut plus claire, puisqu’en vertu de l’article 23 de l’ordonnance du 27 avril 1995, « l’autorisation d’exploitation [était] personnelle, indivisible et incessible ». S’il existait certes une possibilité d’opérer des changements aux statuts de la personne morale, comme en témoigne le formulaire fourni par les parties requérantes, rien n’était prévu pour le changement de nom du titulaire de l’autorisation, et pour cause. Du reste, il n’était pas difficile d’acquérir une autre autorisation LVC car aucun numerus clausus n’était fixé. Selon le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, le fait que les parties requérantes estiment qu’une activité non autorisée par l’ordonnance du 9 juin 2022 était cessible démontre bien les problèmes de contrôle auxquels le législateur ordonnanciel devait remédier. Enfin, le caractère incessible et gratuit de l’autorisation explique qu’aucun marché de revente des autorisations LVC n’ait jamais été développé.
A.1.5.1.4. En ce qui concerne la quatrième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale rappelle qu’il n’existait pas, sous l’ancien régime, de minimum horaire de mise à disposition pour les véhicules LVC, mais bien pour les taxis. Pour ces derniers, le minimum correspondait à un équivalent temps plein par véhicule par an. L’ordonnance du 9 juin 2022 légalise les activités autrefois non autorisées, reconnaît le rôle d’utilité publique des nouvellement nommés taxis de rue et fixe un numerus clausus. Le législateur ordonnanciel aurait pu légitimement appliquer simplement la même règle que pour les taxis mais a choisi de tempérer la règle en réponse aux demandes du secteur. Il s’agit d’un assouplissement. Enfin, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale relève que, contrairement à ce que soutiennent les parties
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requérantes, il n’est pas « extrêmement compliqué » d’exercer une activité de taxi de rue à titre d’indépendant complémentaire. C’est même possible si l’on travaille à temps plein et qu’on fait le taxi certains jours en soirée et le week-end.
A.1.5.1.5. Enfin, en ce qui concerne la cinquième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réagit à l’argument des parties requérantes dans leur mémoire en réponse ainsi qu’à la fourniture d’un tableau Excel. La nécessité du traçage des courses résulte de dispositions non soulevées au moyen.
Les développements doivent donc être écartés. Quand bien même, le tableau annexé qui est censé prouver l’impossibilité de tracer les courses de façon aisée ne démontre en réalité rien. Pour le surplus, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale renvoie aux arguments déjà développés.
A.1.6.1.1. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réplique à la première branche du moyen unique en affirmant tout d’abord que les parties requérantes n’ont apporté aucun élément nouveau ni de réponses substantielles ou même formelles à ses arguments formulés dans son mémoire. Il pointe les erreurs des parties requérantes, qui affirment que les taxis (devenus taxis de station) n’avaient auparavant pas la possibilité de travailler via des plateformes de réservation électronique. C’était au contraire les LVC qui ne disposaient légalement pas de la possibilité de le faire, et Uber qui a illégalement choisi de tout de même travailler avec eux, en excluant les taxis. De même, il convient de contester l’affirmation des parties requérantes selon laquelle tous les taxis sont désormais des taxis au sens du Code de la route. Ceci est sans rapport avec l’objectivité du critère.
En tout état de cause, les titulaires d’autorisations flamandes et wallonnes ne peuvent effectuer sur le territoire bruxellois que des courses transrégionales, dans le respect des conditions de l’ordonnance du 9 juin 2022. Enfin, le fait que certains arguments ne sont pas présents dans les travaux préparatoires n’empêche pas le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale de les évoquer dans le cadre du recours présentement examiné.
En ce qui concerne la justification de la mesure, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale affirme que, contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, l’on trouve dans les travaux préparatoires de l’ordonnance une trace de tous les objectifs qu’il a évoqués. Il souligne également qu’il ne faut pas de démonstration statistique pour comprendre que, si seule la moitié des véhicules de taxis de rue autorisés circulait sur des sites propres, cela aurait une incidence négative certaine sur la vitesse commerciale des transports en commun. Pour en juger, il suffit d’indiquer qu’au moment de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 juin 2022, il y avait pas moins de 2 000 chauffeurs LVC sur le territoire. Quant à l’effet d’aspiration, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale estime qu’on ne peut raisonnablement tabler sur le civisme des conducteurs pour écarter l’argument, pourtant de bon sens, d’un revers de la main. Enfin, le fait de ne permettre le stationnement réservé qu’aux taxis de station n’a jamais été une question de contrôle des véhicules mais est lié à la nature des prestations de ceux-ci, puisqu’ils sont les seuls à pouvoir charger un client sans réservation et donc à avoir réellement besoin de ces emplacements.
En ce qui concerne la proportionnalité, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale relève que le site internet de Bruxelles Mobilité permet d’identifier avec une grande précision les sites propres sur le territoire de la capitale. Or, l’on constate rapidement que la majorité du réseau en est dépourvue et que, sur ces sites, la part accessible aux taxis est encore plus faible. En bref, les parties requérantes demandent tout simplement d’obtenir les mêmes droits que les taxis de station sans avoir à se plier à l’ensemble des obligations qui leur sont par ailleurs imposées.
A.1.6.1.2. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réplique à la deuxième branche du moyen unique en affirmant qu’aucun élément nouveau n’est apporté par les parties requérantes, hormis le formulaire de l’administration qui servait sous l’ordonnance du 27 avril 1995. Le Gouvernement ne voit pas en quoi cette pièce change quoi que ce soit et maintient que les exploitants LVC n’étaient pas titulaires d’une autorisation d’exploiter un service de taxis, mais seulement un service de LVC, ce qui rend les catégories incomparables.
En ce qui concerne le critère de distinction, les parties requérantes n’ont manifestement pas répondu au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, qui rappelle qu’il reste possible d’exercer en personne morale pour les taxis de rue. Le critère objectif est incontestable, puisque les anciennes autorisations LVC étaient gratuites.
En ce qui concerne la justification de la mesure, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale fait à nouveau valoir que la raison d’être du régime transitoire est de régler l’héritage du passé. En l’occurrence, les taxis
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ont dû acheter leur autorisation, contrairement aux LVC. À cet égard, les parties requérantes ne cessent de confondre la valeur de l’autorisation, inexistante, avec celle de la personne morale au travers de laquelle l’activité est organisée.
Enfin, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale remarque que les parties requérantes ne demandent plus à la Cour de modifier l’ordonnance mais sollicitent désormais son annulation, afin que le législateur modifie la législation dans leur sens. Il n’appartient toujours pas à la Cour de faire droit à une telle demande.
A.1.6.1.3. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réplique à la troisième branche du moyen unique en réaffirmant que, contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, l’ancien régime interdisait la cession de l’autorisation, en application de l’article 23 de l’ordonnance du 27 avril 1995. L’ordonnance du 9 juin 2022 n’a donc rien changé en la matière. Elle n’interdit au demeurant pas la cession des personnes morales en tant que telles, mais celle de l’autorisation. Les nouveaux titulaires doivent être des personnes physiques. Si l’on assiste à la cession d’une personne morale, de deux choses l’une, soit le cédant, titulaire de l’autorisation, reste actionnaire, salarié ou collaborateur, soit il rompt les liens et une autre personne titulaire d’une autorisation prend le relais. Ce système est simple. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale rappelle par ailleurs que, sous l’ordonnance du 27 avril 1995, la cession de la personne morale était déjà conditionnée à la preuve que le cessionnaire répondait aux conditions de moralité, de qualité professionnelle et de solvabilité. Par conséquent, tout le raisonnement des parties requérantes est fondé sur une prémisse erronée.
Enfin, comme à la branche précédente, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale remarque que les parties requérantes ne demandent plus à la Cour de modifier l’ordonnance mais sollicitent désormais son annulation, afin que le législateur modifie la législation dans leur sens. Il n’appartient toujours pas à la Cour de faire droit à une telle demande.
A.1.6.1.4. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réplique à la quatrième branche du moyen unique en affirmant que toutes les justifications nécessaires pour comprendre le choix des vingt heures, qui est un choix d’opportunité, se trouvent bien dans les travaux préparatoires et dans les mémoires du Gouvernement et du président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, quoi qu’en disent les parties requérantes. En outre, il existait bien un nombre d’heures minimum sous l’ancien régime, qui était fixé par l’article 3, alinéa 3, de l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 29 mars 2007 « relatif aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur », à savoir un équivalent temps plein par véhicule. Ensuite, et contrairement à ce qu’affirment les parties requérantes, le Gouvernement souligne que le nombre d’autorisations et de véhicules en circulation n’a pas fondé la règle critiquée et n’avait d’ailleurs pas à la fonder. Le choix est en tout état de cause amplement justifié. Enfin, il rappelle que le législateur ordonnanciel n’a nullement réservé l’activité de taxis de rue à des exploitants à temps plein.
A.1.6.1.5. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réplique à la cinquième branche du moyen unique en contestant l’affirmation des parties requérantes selon laquelle il n’est pas possible, sous l’ordonnance du 9 juin 2022, d’effectuer une réservation par téléphone, e-mail ou SMS. L’ordonnance le permet parfaitement.
Par ailleurs, la prétendue démonstration de l’ampleur de la tâche par un tableau Excel d’une provenance inconnue ne convainc pas. Les données qui seraient, selon les parties requérantes, particulièrement lourdes à collecter devaient pourtant déjà l’être sous l’ordonnance du 27 avril 1995. La seule différence à présent est l’obligation de les transférer sur un serveur informatique. La surcharge alléguée est donc d’autant plus incompréhensible. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale note qu’actuellement, 54 agréments d’intermédiaires de réservation ont été octroyés par l’administration, et 35 d’entre eux l’ont été à des exploitants de taxis de rue. C’est bien la preuve que l’argument des parties requérantes ne peut être retenu. La Région ne pose donc pas d’obstacle particulier à la demande d’agrément, ni en théorie, ni en pratique.
A.1.6.1.6. Enfin, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réitère sa demande de maintien des effets en pointant le caractère étonnant de l’argument des parties requérantes dans leur mémoire en réponse. Elles doivent pourtant bien savoir qu’il y a eu longtemps une insécurité juridique dans le secteur, qui a créé de nombreuses tensions. De plus, la demande de réduction du délai à trois mois n’est pas sérieuse et témoigne d’une grande méconnaissance des contraintes du processus parlementaire.
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Quant à l’affaire n° 7910
A.2.1. La partie requérante dans l’affaire n° 7910, la SA « Taxis Autolux », est une entreprise active dans le secteur des taxis depuis 1934. Elle dispose d’un siège sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.
Toutefois, la partie la plus importante de son activité concerne les trajets entre la capitale et l’aéroport de Bruxelles-
National, et 90 % de ses licences sont flamandes. Les nouvelles conditions d’exploitation de services de taxis mises en place par l’ordonnance du 9 juin 2022 font en sorte qu’il est désormais impossible ou à tout le moins extrêmement difficile pour les détenteurs de licences flamandes d’effectuer des courses interrégionales. Par conséquent, l’ordonnance du 9 juin 2022 affecte directement et défavorablement la SA « Taxis Autolux », qui dispose dès lors d’un intérêt au recours.
A.2.1.1. La partie requérante prend un premier moyen de la violation, par les articles 3, 1°, alinéa 2, b), 36
et 37 de l’ordonnance du 9 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, de l’article 92bis, § 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980 et du principe de proportionnalité. La partie requérante rappelle tout d’abord qu’aux termes de la jurisprudence de la Cour, l’absence de coopération entre les entités du pays peut être jugée incompatible avec le principe de proportionnalité. De plus, l’article 92bis, § 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980 impose la conclusion d’un accord de coopération pour les « services de taxis qui s’étendent sur le territoire de plus d’une Région ». L’ordonnance du 9 juin 2022 reconnaît d’ailleurs que la disposition précitée est applicable, puisqu’elle précise que l’accord de coopération visé n’est pas entré en vigueur, ce qui n’a pas manqué d’être relevé par la section de législation du Conseil d’État.
Selon la partie requérante, les dispositions attaquées ont pour effet de restreindre les courses interrégionales en les rendant impossibles ou à tout le moins exagérément difficiles. En effet, ces dispositions visent expressément la course qui commence dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la course qui finit sur ce même territoire.
Les travaux préparatoires mentionnent le principe de reconnaissance mutuelle entre les régions mais force est de constater que celui-ci est, en pratique, inexistant. Si la Cour a pu juger, dans son arrêt n° 40/2012 du 8 mars 2012
(ECLI:BE:GHCC:2012:ARR.040), que le facteur de rattachement à la Région de Bruxelles-Capitale était alors raisonnable, la situation est différente en l’espèce et la condition nouvelle est désormais disproportionnée, puisqu’elle porte atteinte à la liberté d’entreprendre, à l’union économique et monétaire et au droit de l’Union européenne. En conséquence, la partie requérante soutient que les dispositions attaquées violent les normes et principe visés au moyen en ce qu’elles nécessitaient la conclusion d’un accord de coopération.
A.2.1.2. La partie requérante prend un second moyen de la violation, par les articles 3, 1°, alinéa 2, b), 36 et 37 de l’ordonnance du 9 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de l’union économique et monétaire, avec le principe de proportionnalité, avec l’article 4 du Traité sur l’Union européenne, avec l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, avec l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec les principes généraux de la liberté de circulation et de la libre prestation des services et avec l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980. Le droit de l’Union européenne et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne interdisent de prendre ou de maintenir en vigueur des mesures susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence applicable aux entreprises, y compris dans le secteur des taxis. De même, l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, applicable en Région de Bruxelles-Capitale en vertu de l’article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989
relative aux Institutions bruxelloises, consacre la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux, ainsi que la liberté de commerce et d’industrie et l’union économique et monétaire au niveau belge.
En l’espèce, la partie requérante soutient que l’ordonnance du 9 juin 2022 crée une discrimination et une situation de concurrence déloyale manifestes, en ce que les exploitants de services de taxis bruxellois peuvent charger un client en Flandre alors que l’inverse est interdit. L’interdiction va au-delà de ce qui est nécessaire, puisqu’il suffisait simplement d’interdire les courses intra-bruxelloises. Les dispositions attaquées doivent donc être annulées.
A.2.2. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient tout d’abord que le recours est irrecevable. L’obstacle mis en avant par la partie requérante peut en réalité être aisément contourné si la course « Bruxelles - aéroport de Zaventem » est réservée lorsque le taxi se trouve encore en dehors de la Région de Bruxelles-Capitale, ce qui, en pratique, se déroulera dans la majorité des cas. Par conséquent, la partie requérante ne démontre pas que l’ordonnance rendrait son activité impossible ou extrêmement difficile et ne dispose donc pas d’un intérêt au recours.
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A.2.2.1. Le premier moyen, selon le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, repose sur une prémisse inexacte. En effet, l’ordonnance du 9 juin 2022 n’empêche nullement d’embarquer un passager sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale avant de retourner vers l’aéroport de Zaventem, pour autant que la course ait été réservée lorsque le taxi n’était pas sur le territoire de la capitale. Or, on peut raisonnablement supposer que les courses vers l’aéroport sont effectivement réservées à l’avance, d’autant plus que, via les nouvelles technologies, elles peuvent se faire très rapidement. Par conséquent, contrairement à ce que soutient la partie requérante, les courses interrégionales ne sont pas rendues impossibles ou exagérément difficiles. De plus, la partie requérante a omis de préciser que le critère de rattachement se trouve à l’article 2, 1°, e), de l’ordonnance du 9 juin 2022. Une course démarrant en Flandre n’est pas soumise à l’article 3 de l’ordonnance. La Cour avait déjà pu juger, dans son arrêt n° 40/2012, précité, que le point de départ du service est un critère pertinent. Cet arrêt est transposable en l’espèce.
En ce qui concerne l’argument formulé par la partie requérante selon lequel la conclusion d’un accord de coopération est obligatoire, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale rappelle qu’il ne l’est que pour le règlement des questions relatives aux services de taxis qui s’étendent sur le territoire de plus d’une région, mais pas pour les courses interrégionales.
Enfin, en tout état de cause, la critique de la partie requérante ne porte aucunement sur les articles 36 et 37
de l’ordonnance du 9 juin 2022. Elle ne montre en effet pas en quoi ces dispositions violeraient les normes visées au moyen et devraient être annulées. Le même raisonnement peut être apporté pour le principe de proportionnalité invoqué seul. Dès lors, le moyen est irrecevable en ce qu’il porte sur les articles 36 et 37 de l’ordonnance du 9 juin 2022 et en ce qu’il invoque la violation du « principe de proportionnalité ».
A.2.2.2. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale conteste ensuite la recevabilité du second moyen. Celui-ci est pris de la violation du droit de l’Union européenne mais la partie requérante n’apporte à aucun moment la preuve qu’il existe un élément d’extranéité qui justifierait son application. En ce qu’il est pris du droit européen, le moyen doit être déclaré irrecevable.
En tout état de cause, si le droit européen devait s’appliquer, le moyen n’est pas fondé. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale souligne que l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdit les ententes entre entreprises. Or, la partie requérante n’expose pas en quoi les dispositions attaquées seraient susceptibles de priver d’effet utile les règles de concurrence visant à interdire les ententes entre entreprises.
En ce qui concerne le moyen tiré du principe d’égalité et de non-discrimination, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale estime qu’il porte sur une comparaison entre les chauffeurs de taxi selon qu’ils sont soumis à la législation bruxelloise ou à la législation flamande. Or, cette différence n’est que la conséquence du fédéralisme et de l’autonomie des entités fédérées. Elle est, comme l’a souvent dit la Cour, inhérente à la structure fédérale de l’État et ne peut donc être remise en cause. Au surplus, la Cour a déjà jugé raisonnable la différence entre les taxis selon la région où ils exercent, dans l’arrêt n° 56/96 du 15 octobre 1996
(ECLI:BE:GHCC:1996:ARR.056).
En ce qui concerne les libertés de circulation et de libre prestation des services et l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale relève que l’argument est paradoxal. Soit un accord de coopération est obligatoire comme le soutient la partie requérante, mais cette affirmation a déjà été réfutée. Soit il ne l’est pas et la partie requérante ne peut, dès lors, utiliser l’argument de l’union économique et monétaire pour soutenir qu’il fallait un accord de coopération. En tout état de cause, la partie requérante n’expose pas en quoi le principe de l’union économique et monétaire serait violé en l’espèce. Au contraire, puisque, pour rappel, l’ordonnance du 9 juin 2022 n’empêche pas les chauffeurs titulaires d’une autorisation flamande de charger un passager sur le territoire de la capitale. Quant aux courses dont le point de départ se situe en dehors de la Région de Bruxelles-Capitale, elles ne sont tout simplement pas considérées comme un service de taxis au sens de l’ordonnance du 9 juin 2022.
Enfin, en ce qui concerne la liberté d’entreprendre, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que l’argument repose sur la prémisse erronée selon laquelle la partie requérante ne
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pourrait plus effectuer de courses vers l’aéroport de Zaventem au départ de Bruxelles. Quand bien même une atteinte pourrait être démontrée, elle est entièrement justifiée par le fait que les taxis sont des services d’utilité publique et par la nécessité de réguler le secteur, notamment par le biais d’un numerus clausus. Dans cette optique, il est raisonnable de ne pas permettre un contournement aisé de l’ordonnance par des taxis qui se situent en dehors de ce quota.
A.2.3. À titre principal, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soulève l’irrecevabilité du recours dans l’affaire n° 7910. Celui-ci est en effet fondé sur une lecture erronée de l’article 3, 1°, alinéa 2, b), de l’ordonnance du 9 juin 2022 en ce qu’il présuppose que l’acceptation de la course se fait au point de départ, donc dans le territoire de Bruxelles si la course démarre de cet endroit. Or, cette affirmation est contraire à la vérité. Un « dispatching » est possible à la suite de la réservation d’une course, ce dont la partie requérante dispose incontestablement, selon le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale. Ainsi, le chauffeur de la partie requérante qui quitte l’aéroport pour Bruxelles peut aisément accepter la course suivante commençant sur le territoire de la capitale avant d’y entrer. Par conséquent, la disposition attaquée n’empêche pas de telles courses ni ne les rend extrêmement difficiles, ce qui prive d’intérêt au recours la partie requérante. Il fait par ailleurs noter que le critère était déjà similaire sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995 et que la Cour a déjà pu le juger raisonnable dans son arrêt n° 40/2012, précité.
À titre subsidiaire, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute les deux moyens soulevés.
A.2.3.1. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réitère son argumentation formulée précédemment en ce qui concerne le caractère impossible ou exagérément difficile des courses pour le premier moyen. L’objectif de la condition attaquée est de garantir que les courses transrégionales le soient réellement. Ne pas prévoir une telle condition aurait eu pour conséquence de permettre les courses intra-bruxelloises pour les exploitants qui ne disposent pas d’une autorisation idoine. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale constate que la partie requérante n’explique pas en quoi seraient violés les articles 10 et 11 de la Constitution. De la même manière, la demande d’annulation porte sur les articles 36 et 37 de l’ordonnance du 9 juin 2022 mais la partie requérante n’explique nullement cette portée aussi large du recours. Le moyen n’est donc pas fondé.
A.2.3.2. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale se fonde également sur la lecture incorrecte constatée plus haut pour conclure que le second moyen manque en fait. Pour le surplus, il fait valoir que personne ne conteste que les régions peuvent prévoir certaines règles applicables aux courses effectuées en partie sur leur territoire. Contrairement à ce que soutient la partie requérante, les exploitants bruxellois ne peuvent pas aisément charger un client sur le territoire de la Région flamande, ni en fait ni en droit.
A.2.3.3. Enfin, à titre subsidiaire, si la Cour devait annuler la disposition attaquée, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale demande le maintien des effets des normes annulées durant une période de neuf mois, afin de laisser un délai raisonnable au législateur ordonnanciel pour remédier aux inconstitutionnalités constatées. Cela permettra d’assurer la sécurité juridique dans un secteur qui en a amplement besoin ainsi que de prévenir les effets négatifs disproportionnés sur celui-ci.
A.2.4. La partie requérante réagit à l’exception d’irrecevabilité du recours en contestant la facilité alléguée par les parties adverses d’accepter une course en Région flamande sur le chemin vers Bruxelles. Cela relève d’une mauvaise compréhension des exigences des clients. À titre d’illustration, un trajet de l’aéroport vers Bruxelles prend entre 30 et 60 minutes. Sur celui-ci, il ne faut que 10 minutes pour entrer sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale. Il est quasi impossible d’accepter une course dans ce laps de temps. En tout état de cause, cela signifierait que le client devrait alors attendre plus longtemps que ce qu’il est habituellement et commercialement prêt à concéder. Le fait que la réservation en elle-même puisse être faite numériquement en quelques secondes n’y change rien. La partie requérante conserve dès lors son intérêt au recours.
A.2.4.1. En ce qui concerne le premier moyen, la partie requérante observe que ni le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, ni le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale n’expliquent pourquoi l’accord de coopération n’a pas été conclu. Pour le reste, les parties adverses ne répondent jamais vraiment au moyen mais ne font que donner des explications sur les raisons de l’adoption de l’article attaqué et renvoient à la jurisprudence de la Cour quant au critère de rattachement, qui n’est pourtant pas l’objet de la critique initiale.
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A.2.4.2. En ce qui concerne le second moyen, la partie requérante conteste l’inapplicabilité de la législation européenne. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne est pourtant claire : l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’applique au contraire en interdisant aux États membres de prendre ou de maintenir en vigueur des mesures susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence. Or, les dispositions attaquées créent bien une distorsion de concurrence. Quant à l’argument de la structure institutionnelle du Royaume, il ne permet pas de justifier la violation du droit européen. La partie requérante note que le Gouvernement n’explique pas pourquoi il était impossible d’adopter une législation proportionnée à l’objectif poursuivi. Par conséquent, la condition visée à l’article 3, 1°, alinéa 2, b), de l’ordonnance du 9 juin 2022
est inutilement attentatoire à la liberté d’entreprendre et va au-delà de ce qui est nécessaire pour lutter contre les courses intra-bruxelloises, que la Région aurait simplement pu interdire en tant que telles. La partie requérante n’a jamais entendu réaliser ce type de courses et est pourtant sanctionnée.
A.2.5. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réitère son exception d’irrecevabilité en répliquant à la partie requérante. L’exemple hypothétique donné par cette dernière n’est pas sérieux. Les chiffres ne sont pas étayés et l’on n’aperçoit pas pourquoi les 10 minutes alléguées pour aller de Zaventem à la frontière de la Région de Bruxelles-Capitale ne varieraient pas au gré du trafic comme la durée totale du trajet de 30 à 60 minutes. En tout état de cause, rien n’indique qu’il est « quasiment impossible » d’accepter une course dans ce laps de temps. Rien n’empêche en effet de procéder à un dispatching entre les chauffeurs, ce que la partie requérante, comme ne peut que supposer le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, fait certainement déjà.
A.2.5.1. En ce qui concerne le premier moyen, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que l’article 92bis, § 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980 n’impose la conclusion d’un accord de coopération que pour l’encadrement des services de taxis interrégionaux et non pour les courses interrégionales. Cela seul répond à la critique de la partie requérante. Par ailleurs, il souligne que cette dernière n’a toujours pas répondu en ce qui concerne les articles 36 et 37 de l’ordonnance du 9 juin 2022 et qu’elle admet donc leur constitutionnalité.
A.2.5.2. En ce qui concerne le second moyen, la partie requérante n’a, selon le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, toujours pas avancé le moindre élément d’extranéité à l’appui de celui-ci. En outre, la jurisprudence européenne citée par la partie requérante n’a pas la portée qu’elle veut lui donner. D’une part, l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne doit pour cela être combiné à l’article 102 du même Traité, or il ne l’est pas. D’autre part, la même jurisprudence précise bien que les dispositions précitées sont applicables lorsqu’un État membre soit impose ou favorise la création d’ententes ou renforce ces effets, soit délègue aux entreprises la réglementation en matière économique. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale n’aperçoit pas en quoi ce serait le cas en l’espèce.
A.2.6. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réagit tout d’abord quant à la recevabilité du recours en soulignant que, pour que l’argument avancé par la partie requérante fonctionne, il faudrait partir du présupposé que la majorité des clients qui réservent un taxi pour se rendre à l’aéroport au départ de Bruxelles ne passeraient commande que moins d’une heure avant le moment où ils souhaitent arriver à destination. Ce n’est pas sérieusement défendable. En tout état de cause, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale estime qu’une telle affirmation n’est pas étayée. Après vérification, il s’avère que la partie requérante dispose d’une autorisation pour neuf véhicules; elle peut donc les prioriser en fonction des circonstances. Quant au renvoi à la législation précédente, le Gouvernement maintient que l’arrêt n° 40/2012, précité, est bien pertinent. Enfin, il souligne que, quand bien même la partie requérante obtiendrait l’annulation de l’article 3, 1°, alinéa 2, b), de l’ordonnance du 9 juin 2022, elle continuerait tout de même à être soumise à l’obligation qui y est inscrite, laquelle trouve son fondement véritable dans la loi spéciale du 8 août 1980. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale continue de soutenir à titre principal que la partie requérante n’a pas d’intérêt au recours.
A.2.6.1. En ce qui concerne le premier moyen et l’absence d’accord de coopération, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale souligne qu’il faut pour cela que les trois régions s’entendent entre elles. Or, ce n’est pas le cas en l’état et la Région de Bruxelles-Capitale ne peut en être tenue pour responsable. Ceci n’empêche toutefois pas chacune de légiférer sur ce qui relève de sa compétence.
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A.2.6.2. En ce qui concerne le second moyen, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale observe uniquement que la partie requérante n’a pas apporté d’éléments nouveaux.
A.2.6.3. Enfin, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale note que sa demande de maintien des effets n’a pas été contestée par la partie requérante.
Quant à l’affaire n° 7911
A.3.1. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7911 sont de trois types. Il s’agit de l’union professionnelle « Fédération Belge des Taxis » (ci-après : la FeBeT), d’une personne physique et de trois entreprises. La FeBeT
est une union professionnelle reconnue qui a pour objet de défendre et protéger les intérêts de ses membres.
L’ordonnance du 9 juin 2022 affecte directement et défavorablement ces derniers en ce qu’elle instaure l’interdiction d’octroi d’autorisations à une personne morale, la délivrance des autorisations à titre gratuit, l’incessibilité de principe, une ingérence dans les relations contractuelles, ainsi que de lourdes obligations de transmission de données. Les entreprises requérantes disposent toutes d’une autorisation d’exploiter un service de taxis au sens de l’ordonnance du 27 avril 1995 et la personne physique requérante est administratrice d’une de ces entreprises. Elles sont toutes affectées de la même manière par l’ordonnance du 9 juin 2022.
A.3.1.1. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation, par les articles 2, alinéa 1er, 8°, 5, §§ 2 et 3, et 6, § 3, de l’ordonnance du 9 juin 2022, des articles 10, 11, 16 et 27 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d’entreprendre et les libres circulations consacrées par l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 et par les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, ainsi qu’avec la liberté d’établissement consacrée par l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Elles soulèvent également l’incompétence de la Région de Bruxelles-Capitale au regard de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3 et alinéa 5, 5°, et X, 8°, et de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980. Le premier moyen vise l’impossibilité pour une personne morale de se voir délivrer directement une autorisation d’exploiter un service de taxis ou d’être directement titulaire d’une telle autorisation.
A.3.1.1.1. Dans une première branche, les parties requérantes estiment que les dispositions attaquées créent une différence de traitement injustifiée ainsi qu’une atteinte au droit de propriété et à la liberté d’association.
L’interdiction-suppression de la possibilité de délivrer une autorisation à une personne morale crée une triple différence de traitement. Premièrement, entre les personnes physiques et les personnes morales, différence encore plus marquée pour les sociétés unipersonnelles. Deuxièmement, entre les personnes morales détentrices d’une autorisation délivrée sous l’empire de l’ancienne législation et les personnes morales qui sollicitent une autorisation sous l’empire de l’actuelle législation, puisque les premières pourront à tout jamais conserver leur autorisation alors que les secondes en seront toujours privées. Troisièmement, entre les exploitants et les intermédiaires de réservation, puisque ces derniers peuvent être agréés en personne morale, ce qui est le cas en principe.
Les parties requérantes soutiennent qu’il s’agit d’une atteinte au droit de propriété, puisqu’une autorisation d’exploiter un service de taxis a une valeur, reconnue expressément par le législateur ordonnanciel en 2013.
L’ordonnance du 9 juin 2022 interdit totalement l’accès à cette propriété pour toute une catégorie, à savoir les personnes morales. Le simple fait de pouvoir exercer l’activité au travers de son administrateur n’y change rien.
L’atteinte est d’autant plus importante que les personnes morales déjà titulaires d’une autorisation peuvent, elles, transférer celle-ci à titre onéreux à une autre personne morale; en tout cas, rien ne l’interdit. Les parties requérantes estiment ensuite que les dispositions attaquées au moyen portent atteinte à la liberté d’association, puisqu’elles interdisent les exploitants de s’associer sous forme de société afin de se voir confier la titularité d’une autorisation d’exploiter.
Selon les travaux préparatoires de l’ordonnance du 9 juin 2022, l’objectif était de faciliter le contrôle des conditions d’exploitation. Les parties requérantes sont perplexes face à cet objectif. En toute hypothèse, la mesure ne permet pas d’atteindre celui-ci, puisqu’il n’est pas forcément plus aisé de communiquer avec une personne physique qu’avec une personne morale, au contraire. En outre, les parties requérantes ne comprennent pas pourquoi cet objectif vaudrait pour les exploitants et non pour les intermédiaires de réservation. Il existait par ailleurs d’autres mesures moins attentatoires aux droits de propriété et d’association, comme l’obligation de communication à bref délai de toute information nécessaire au contrôle sous peine de sanction. Si l’objectif est
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aussi de garantir la responsabilité de l’administrateur, la mesure n’est pas non plus nécessaire car les articles 5 du Code pénal, 1384 du Code civil et 2:56 et 2:59 du Code des sociétés et des associations suffisent, d’autant plus que l’ordonnance du 9 juin 2022 prévoit la responsabilité conjointe (article 5, § 3) et que les conditions et modalités doivent être remplies tant par la personne morale que par la personne physique (article 6, § 3). Les parties requérantes rappellent enfin que, sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995, les mêmes obligations étaient applicables aux personnes morales et aux personnes physiques.
A.3.1.1.2. Dans une deuxième branche, les parties requérantes estiment que les dispositions attaquées portent atteinte à la liberté d’entreprendre et se réfèrent à l’avis rendu par le Conseil d’État. Le fait que la personne morale puisse « exploiter » l’autorisation détenue par son administrateur n’y change rien, puisqu’elle ne peut en être titulaire. Les parties requérantes relèvent l’absurdité de l’ordonnance du 9 juin 2022 car si la personne morale peut être chargée de l’exploitation, qu’elle engage sa responsabilité conjointe et qu’elle peut être tenue au respect des conditions de moralité, pour quelle raison serait-elle privée de la titularité de l’autorisation ? La personne morale subit tous les inconvénients, sans aucun avantage, ce qui est disproportionné.
A.3.1.1.3. Dans une troisième branche, les parties requérantes soutiennent que les dispositions attaquées sont incompatibles avec la libre concurrence, la liberté d’établissement et les libertés de circulation. Le droit de l’Union européenne cité au moyen est applicable, puisque la mesure a pour effet d’affecter les conditions d’entrée sur le marché régional bruxellois d’opérateurs économiques ressortissants d’autres États membres, créant de ce fait un cloisonnement territorial qui entrave l’exploitation libre. La Cour de justice de l’Union européenne accepte certaines restrictions de concurrence pour autant qu’elles ne soient pas discriminatoires et qu’elles soient nécessaires et conformes à l’intérêt général et proportionnées au but poursuivi. Or, en l’espèce, aucune des conditions n’est remplie, pour les raisons déjà exposées.
A.3.1.1.4. Dans une quatrième branche, les parties requérantes affirment que la Région de Bruxelles-Capitale n’est pas compétente pour adopter les dispositions attaquées, qui relèvent de la compétence du législateur fédéral relative au droit commercial et au droit des sociétés, en vertu de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, de la loi spéciale du 8 août 1980. L’interdiction contestée revient en effet à créer un régime juridique paradoxal selon lequel une entreprise pourrait exercer une activité économique sans en être titulaire. Or, ceci n’existe ni dans le Code des sociétés et des associations, ni dans le Code de droit économique. Quand bien même la Région voudrait faire usage des pouvoirs implicites, les conditions pour ce faire ne seraient pas remplies, dès lors que la mesure n’est ni nécessaire, ni marginale et n’appelle aucun traitement différencié.
A.3.1.2. Les parties requérantes prennent un deuxième moyen de la violation, par les articles 5, § 1er, 6 et 7
de l’ordonnance du 9 juin 2022, des articles 10, 11, 16 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d’entreprendre consacrée par l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 et par les articles II.3
et II.4 du Code de droit économique, et avec la libre concurrence consacrée par l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ainsi que par la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 « sur l’attribution de contrats de concession » (ci-après : la directive 2014/23/UE) et par le règlement (CE) n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 « relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, et abrogeant les règlements (CEE) n° 1191/69 et (CEE) n° 1107/70 du Conseil » (ci-après : le règlement (CE) n° 1370/2007). Le deuxième moyen vise le système d’octroi des autorisations à titre gratuit selon un ordre d’arrivée des demandes et de mise dans une liste d’attente de celles-ci dès que le numerus clausus est atteint. Les parties requérantes soulignent qu’auparavant, sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995, l’autorisation d’exploiter était délivrée à titre onéreux au terme d’une procédure d’adjudication publique, ce qui était cohérent avec la valeur intrinsèque de l’autorisation, reconnue en 2013.
A.3.1.2.1. Dans une première branche, les parties requérantes estiment que la mesure attaquée rompt l’égalité, puisque les nouvelles autorisations sont gratuites et vont coexister pour toujours avec d’anciennes autorisations acquises à titre onéreux, en application du régime transitoire. Elles relèvent que le législateur ordonnanciel n’a pas donné d’explication sur le principe de la gratuité, alors même qu’une valeur était précédemment reconnue. De deux choses l’une : soit une autorisation a une valeur, soit elle n’en a pas. La suppression de cette valeur constitue, selon les parties requérantes, une atteinte injustifiée au droit de propriété, une violation du droit au libre choix d’une activité professionnelle et, enfin, une atteinte à l’article 23 de la
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Constitution et à l’obligation de standstill y afférente, dès lors que le législateur ordonnanciel est revenu sur un acquis reconnu en 2013.
A.3.1.2.2. Dans une deuxième branche, les parties requérantes soutiennent que la mesure méconnaît le principe d’égalité et de non-discrimination, lu en combinaison avec le principe de la libre concurrence, en ce qu’aucune adjudication publique n’est prévue. Le système actuel est donc inéquitable, puisqu’il ne fait aucune différence entre les demandes d’autorisation d’exploiter un service de taxis selon la qualité économique des candidats. Les parties requérantes estiment que le critère relatif à la date et l’heure du dépôt de la demande est dénué de toute pertinence et soulignent que ce critère neutralise in fine toute possibilité de concurrence.
A.3.1.2.3. Enfin, dans une troisième branche, les parties requérantes soutiennent que la mesure est incompatible avec la directive 2014/23/UE. En vertu de l’article 5, premier alinéa, 1), b), de la directive précitée, la concession de service public est un contrat à titre onéreux qui doit être attribué au terme d’une procédure de mise en concurrence organisée aux articles 37 à 41 du même texte. À titre subsidiaire, à supposer que l’ordonnance du 9 juin 2022 doive être considérée comme se trouvant en dehors du champ d’application de la directive, les parties requérantes font grief aux dispositions attaquées de violer le règlement (CE) n° 1370/2007, qui impose une mise en concurrence obligatoire des contrats de service public dans le domaine des transports.
A.3.1.3. Les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation, par l’article 10 de l’ordonnance du 9 juin 2022, des articles 10, 11, 16 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté contractuelle, la liberté de commerce et la liberté d’entreprendre consacrées par l’article 23 de la Constitution ainsi que par l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 et par les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, avec la libre concurrence consacrée par l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, avec la liberté d’établissement consacrée par l’article 49 du même Traité et avec les libertés de circulation consacrées par l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980. Elles soulèvent également l’incompétence de la Région de Bruxelles-Capitale au regard de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, et X, 8°, et de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980. Le troisième moyen vise la règle d’incessibilité de l’autorisation d’exploiter un service de taxis, ainsi que le régime dérogatoire qui permet aux autorisations délivrées sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995 de continuer à être cessibles, à tout jamais, et d’être revendues au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pour un prix forfaitaire de 35 000 euros.
A.3.1.3.1. Dans une première branche, les parties requérantes estiment que la mesure attaquée crée une différence de traitement non justifiée entre les autorisations d’exploiter qui ont une valeur et celles qui n’en ont pas. Elles reprochent au régime transitoire de ne pas vraiment l’être, puisque les autorisations cessibles à titre onéreux pourront continuer à coexister avec les autres sur le marché de façon pérenne. Selon les parties requérantes, soit une autorisation a une valeur, soit elle n’en a pas, et le législateur ordonnanciel n’apporte aucune justification raisonnable de cette incohérence. Il y a une atteinte à la liberté contractuelle, de commerce et d’entreprendre ainsi qu’à l’obligation de standstill, dès lors que, comme il a déjà pu être soutenu, la valeur de l’autorisation a été reconnue en 2013. La Région ne pouvait revenir sur cet acquis. Ce retrait de valeur injustifié et l’incessibilité de l’autorisation constituent en outre une immixtion disproportionnée de l’autorité publique dans les relations contractuelles et commerciales et une atteinte à la substance même du droit de propriété.
A.3.1.3.2. Dans une deuxième branche, les parties requérantes soutiennent que l’incessibilité des nouvelles autorisations et le maintien des anciennes autorisations cessibles créent une distorsion de concurrence et des barrières inutiles à la libre concurrence. Cet effet est par ailleurs reconnu dans les travaux préparatoires de l’ordonnance du 9 juin 2022, qui font état du souhait d’empêcher la revente d’autorisations, sans expliquer toutefois pourquoi le régime antérieur était contraire à l’intérêt général. Selon les parties requérantes, empêcher la concurrence est donc l’objet même de la réforme, qui ne peut dès lors être considérée comme justifiée.
A.3.1.3.3. Dans une troisième branche, les parties requérantes soutiennent que la mesure est incompatible avec la liberté d’établissement et la libre circulation des biens, des personnes et des services. En effet, elle crée des difficultés pour un opérateur économique de services de taxis qui veut s’installer à Bruxelles, puisqu’il est impossible de racheter une autorisation une fois que le numerus clausus est atteint. De même, il devient difficile
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de cesser son activité sur le territoire si la revente de celle-ci est interdite. À nouveau, aucune justification n’est apportée à ces effets.
A.3.1.3.4. Enfin, dans une quatrième branche, les parties requérantes contestent la compétence de la Région de Bruxelles-Capitale d’adopter la mesure qui fait grief. Aux termes de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, de la loi spéciale du 8 août 1980, le législateur fédéral est compétent pour le droit commercial et le droit des sociétés. En interdisant la revente et l’achat d’autorisations, la Région empiète sur ces matières. Quand bien même voudrait-on recourir aux pouvoirs implicites, les conditions pour ce faire ne sont pas remplies. En effet, les parties requérantes estiment que la mesure n’est pas nécessaire, qu’elle n’est pas marginale, puisqu’on porte atteinte à la substance même de la liberté contractuelle, et qu’elle ne requiert pas un régime différencié car la revente et l’achat d’autorisations étaient permis dans le passé et sont permis actuellement dans les autres régions.
A.3.1.4. Les parties requérantes prennent un quatrième moyen de la violation, par l’article 30, alinéa 1er, 4°, f), de l’ordonnance du 9 juin 2022, des articles 10, 11, 22 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté contractuelle, la liberté de commerce et la liberté d’entreprendre consacrées par l’article 23 de la Constitution ainsi que par l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 et par les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, et avec la libre concurrence consacrée par l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Elles soulèvent également l’incompétence de la Région de Bruxelles-Capitale au regard de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, et X, 8°, et de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980. Le quatrième moyen vise l’interdiction des clauses d’exclusivité dans les relations contractuelles entre les exploitants de services de taxis et les intermédiaires de réservation et l’interdiction d’imposer un surcoût à l’affiliation d’exploitants déjà affiliés à d’autres intermédiaires de réservation.
A.3.1.4.1. Dans une première branche, les parties requérantes estiment que le législateur ordonnanciel s’immisce dans les relations contractuelles privées des parties, ce qui heurte frontalement la liberté de contracter, laquelle comprend la conclusion d’une clause d’exclusivité. La Région justifie cette mesure par la volonté de maintenir la mise à disposition des véhicules sur le marché, d’éviter que les exploitants soient « captifs » d’un intermédiaire de réservation, de garantir l’indépendance des chauffeurs et de prévenir les situations de monopole.
En ce qui concerne l’objectif de maintien de la mise à disposition des véhicules sur le marché, les parties requérantes ne comprennent pas comment la présence d’une clause d’exclusivité ne garantirait pas une présence maximale à disposition du public. Les taxis de station ne sont au demeurant pas obligés de recourir à un intermédiaire de réservation. De plus, la disponibilité au public est déjà garantie par l’obligation d’un certain nombre d’heures de mise à disposition de chaque véhicule. Force est de constater que, sous cet angle, la mesure n’est pas nécessaire.
En ce qui concerne l’objectif d’éviter que les exploitants soient « captifs » d’un intermédiaire de réservation et de garantir l’indépendance des chauffeurs, les parties requérantes rappellent que les exploitants-chauffeurs sont des commerçants déjà juridiquement indépendants et libres. L’argument relatif à un exploitant « captif » est étonnant car les clauses d’exclusivité existent dans de nombreux contrats commerciaux dans de nombreux secteurs.
Les exploitants sont des commerçants et n’ont pas besoin d’être protégés comme les consommateurs.
En ce qui concerne l’objectif de prévenir les situations de monopole, les parties requérantes font valoir que la Région de Bruxelles-Capitale n’explique pas en quoi la mesure serait la seule façon de prévenir ces situations.
Jusqu’à présent, les clauses d’exclusivité existaient et plusieurs intermédiaires de réservations coexistent sur le marché. La mesure n’est en cela pas justifiée.
A.3.1.4.2. Dans une deuxième branche, les parties requérantes soutiennent que, sous le prétexte de prévenir les situations de monopole, les mesures contestées portent drastiquement atteinte à la libre concurrence voire la neutralisent. En effet, si les intermédiaires de réservation ne peuvent ni imposer l’exclusivité, ni prévoir un prix d’adhésion plus élevé pour les exploitants qui sont affiliés ailleurs, ceux-ci n’ont alors plus aucun intérêt à proposer un prix d’adhésion moins élevé que leurs concurrents. Ceci a pour effet paradoxal qu’il n’y a plus de concurrence sur le marché. Partant, les coûts d’affiliation deviennent plus importants, dès lors que les intermédiaires de réservation ne sont plus incités à les baisser.
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A.3.1.4.3. Enfin, dans une troisième branche, les parties requérantes contestent la compétence de la Région de Bruxelles-Capitale d’adopter les mesures qui font grief. Aux termes de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, de la loi spéciale du 8 août 1980, le législateur fédéral est compétent pour le droit commercial et le droit des sociétés.
En interdisant les clauses d’exclusivité, la Région empiète sur ces matières. Quand bien même voudrait-on recourir aux pouvoirs implicites, les conditions pour ce faire ne sont pas remplies, les mesures n’étant ni nécessaires ni marginales et ne requérant pas un régime différencié.
A.3.1.5. Les parties requérantes prennent un cinquième et dernier moyen de la violation, par les articles 26, § 2, 27, alinéa 1er, 3°, 30, alinéa 1er, 4°, et 42 à 45 de l’ordonnance du 9 juin 2022, de l’article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec les articles 5 et 6 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 « relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) »
(ci-après : le RGPD). Elles soulèvent également l’incompétence de la Région de Bruxelles-Capitale. Le cinquième moyen vise l’obligation de communication systématique de toute une série de données à caractère personnel, ainsi que la création d’une base de données informatisée au sein de l’administration.
A.3.1.5.1. Dans une première branche, les parties requérantes contestent le principe même d’une obligation de transmission massive, systématique et intégrale des données visées. L’avant-projet prévoyait même la transmission des données « en temps réel ». Rien ne la justifie. Selon l’Autorité de protection des données, dont l’avis a été sollicité, il existait d’autres moyens, moins attentatoires à la vie privée, d’atteindre les buts poursuivis, à savoir la gestion administrative et le contrôle efficace, la protection du client, la prévention de la fraude sociale et fiscale ainsi que la garantie de la bonne mise à disposition des taxis. L’Autorité de protection des données a d’ailleurs encouragé le législateur ordonnanciel à prendre ces autres mesures.
En ce qui concerne la protection du client, les exploitants pourraient être tenus de conserver durant une période déterminée les données pertinentes, sans pour autant être soumis à une obligation de communication systématique, et de les communiquer à l’administration à la première demande. Ce système était celui de l’ordonnance du 27 avril 1995 et est d’ailleurs toujours d’application, dans l’attente de l’exécution de la mesure attaquée par le ministre en charge.
En ce qui concerne la fraude fiscale et sociale, la Région de Bruxelles-Capitale n’est pas compétente, puisqu’il s’agit d’une compétence fédérale. En tout état de cause, la communication systématique des données ne remédie pas aux problèmes des informations erronées ou lacunaires. Les parties requérantes réfutent ainsi le fait que la « perte ou la destruction » des feuilles de route soit fréquente, comme il est mentionné dans les travaux préparatoires.
En ce qui concerne la mise à disposition des taxis, la compétence de contrôle de l’administration et l’usage d’un tachygraphe numérique suffisent amplement.
Enfin, les parties requérantes soulignent que non seulement les autres mesures sont moins attentatoires à leurs droits, mais qu’elles sont également moins coûteuses et moins chronophages.
A.3.1.5.2. Dans une deuxième branche, les parties requérantes invoquent les mêmes objections concernant l’obligation pour les intermédiaires de réservation de communiquer des données. Elles contestent le principe et la pertinence de passer par un tiers pour obtenir des données produites par les exploitants. Cela mène en outre à une double communication inutile. Les parties requérantes n’aperçoivent pas en quoi l’administration aurait besoin de savoir quelle course a été réservée via quelle plateforme ou de connaître le prix d’affiliation et les conditions générales de celle-ci.
A.3.1.5.3. Enfin, dans une troisième branche, les parties requérantes estiment que la création d’une base de données est contraire aux dispositions citées au moyen. Il découle des arguments développés dans les deux branches précédentes qu’une telle base de données n’est pas justifiée. Les objectifs peuvent être atteints par d’autres moyens et les exploitants peuvent conserver eux-mêmes les données. Comme l’a souligné l’Autorité de protection des données, la seule volonté de gagner du temps et de faciliter les démarches ne suffit pas. Par ailleurs, rien ne justifie la conservation des données durant une période aussi longue de six ans, a fortiori après la cessation de l’exploitation liée. Selon les parties requérantes, quelques semaines suffisent pour procéder au contrôle.
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A.3.2.1. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute le premier moyen dans chacune de ses branches.
A.3.2.1.1. En ce qui concerne la première branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale fait tout d’abord valoir que les différences de traitement invoquées portent sur des catégories non comparables.
Premièrement, les personnes physiques et les personnes morales ne sont pas comparables. En général, les personnes morales qui exploitent un service de taxis sont des sociétés unipersonnelles ou sont à tout le moins gérées par un administrateur unique, or celles-ci sont bien autorisées à exploiter un service de taxis par l’article 5, § 3, de l’ordonnance du 9 juin 2022. Cette dernière n’a pas d’incidence sur leur situation. Les seules personnes morales défavorisées sont les grosses entreprises dont aucun gestionnaire journalier n’est un exploitant lui-même.
Quand bien même de telles entreprises existeraient dans le secteur, leur situation est bien trop éloignée de celle d’une personne physique pour y être utilement comparée. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale apporte ici un éclairage pratique par analogie avec la situation des avocats. Il n’est pas contestable qu’un avocat soit toujours une personne physique : c’est lui qui est autorisé à exercer cette profession.
Toutefois, il peut choisir de l’exercer par le biais d’une personne morale, pour des raisons diverses. Or, personne ne songerait à solliciter l’inscription au barreau de ladite personne morale. Il en va exactement de même dans le nouveau régime d’autorisations mis en place par l’ordonnance du 9 juin 2022.
Deuxièmement, les personnes morales titulaires d’une autorisation obtenue sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995 ne sont pas comparables aux autres personnes morales. Selon le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, les parties réclament en réalité l’immutabilité d’une politique publique. Or, le législateur ordonnanciel a opéré ici un choix d’opportunité, qu’il n’appartient pas à la Cour de censurer. Par ailleurs, le principe d’égalité n’est pas violé lorsque le législateur traite différemment une même catégorie de personnes dans deux législations successives. Les situations sont d’autant plus différentes que, sous le régime de 1995, les autorisations d’exploiter un service de taxis avaient une valeur économique en elle-même, ce qui donne aux personnes morales concernées une espérance légitime et un droit acquis, d’où l’existence de la disposition transitoire.
Troisièmement, les exploitants et les intermédiaires de réservation ne sont pas comparables. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale relève qu’ils n’ont d’abord pas du tout les mêmes activités, lesquelles sont visées par des conditions d’exercice différentes. Les travaux préparatoires précisent d’ailleurs que leurs besoins et intérêts ne se confondent pas. En pratique, l’écrasante majorité des exploitants sont des personnes physiques, tandis que les intermédiaires de réservation sont quasi toujours de grosses sociétés, voire des multinationales. La seule circonstance que les procédures administratives pour demander l’autorisation d’exploiter et l’agrément d’intermédiaire sont similaires ne suffit pas à rendre ces catégories comparables. Au surplus, la Cour a déjà conclu en ce sens dans son arrêt n° 164/2020, précité.
Quoi qu’il en soit, le critère de distinction est bien objectif, puisqu’il porte sur le fait d’appartenir à l’une ou l’autre des catégories.
Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient ensuite qu’il n’y a pas d’atteinte au droit de propriété, puisque celui-ci est préservé pour ceux pour qui les autorisations avaient une valeur économique sous le régime de l’ordonnance du 27 avril 1995, ce qui n’est pas le cas des parties requérantes ni des nouveaux exploitants, pour lesquels l’autorisation est gratuite et qui, en tout état de cause, n’étaient pas encore propriétaires.
Par ailleurs, l’argument selon lequel les dispositions attaquées empêchent les personnes morales d’exercer une activité économique est faux, puisqu’elles y sont précisément autorisées, à la condition qu’une personne physique titulaire de l’autorisation assure la gestion journalière. Désormais, la valeur ne sera plus attachée à la titularité de l’autorisation mais à son exploitation.
Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale estime que les arguments développés ci-avant peuvent également être appliqués à la liberté d’association.
À titre subsidiaire, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale précise que la mesure est de toute façon suffisamment justifiée. L’ordonnance prévoit une série de conditions d’exploitation, dont des conditions de moralité et de qualification qui sont intrinsèquement liées à la personne physique exerçant l’activité.
Il n’est pas déraisonnable, dès lors, de demander à une personne morale qui désirerait exploiter un service de taxis
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d’être gérée par une personne qui répond à ces conditions. Sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995, le contrôle des conditions était peu aisé car beaucoup de changements étaient possibles, en raison de cessions d’entreprises, de modifications d’organes ou de statuts, etc. La législation actuelle vise à faciliter ces contrôles.
Elle constitue en outre un ensemble cohérent avec les autres mesures telles que l’incessibilité des autorisations et obéit à des objectifs légitimes en respectant les droits acquis comme fondement du régime transitoire.
Enfin, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que la mesure est proportionnée aux buts poursuivis. Les parties requérantes ne démontrent pas le contraire. Les personnes morales déjà titulaires d’une autorisation cessible à titre onéreux ne sont pas lésées par le nouveau régime, puisqu’elles bénéficient de la mesure transitoire. L’interdiction de la titularité, mais non de l’exploitation économique, d’une autorisation sans valeur économique ne saurait engendrer des effets disproportionnés.
A.3.2.1.2. En ce qui concerne la deuxième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient à titre principal qu’elle doit être déclarée irrecevable. La liberté de commerce et d’industrie ainsi que la liberté d’entreprendre ne sont pas des normes de référence de la Cour. Elles ne font en l’espèce même pas l’objet d’un argumentaire lié aux articles 10 et 11 de la Constitution.
À titre subsidiaire, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute toute atteinte à la liberté d’entreprendre. Les parties requérantes partent en effet du postulat erroné selon lequel la titularité de l’autorisation aurait en soi une valeur économique, ce que le législateur ordonnanciel a nié en choisissant de changer de modèle. L’absence de valeur est d’ailleurs consolidée par la combinaison avec les autres mesures, comme l’incessibilité. En d’autres termes, c’est l’exploitation qui crée du profit et non l’autorisation.
À titre infiniment subsidiaire, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale fait valoir que la mesure est largement justifiée et proportionnée aux buts poursuivis, pour les raisons déjà développées aux moyens et branches précédents.
A.3.2.1.3. En ce qui concerne la troisième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient tout d’abord qu’elle doit être déclarée irrecevable en ce qu’elle vise le droit de l’Union européenne. En effet, les parties n’apportent aucun élément d’extranéité pour soutenir l’application du droit européen. En tout état de cause, ni la libre concurrence, ni la liberté d’établissement, ni la libre circulation ne sont violées.
La mesure qui fait grief ne porte pas atteinte à la libre concurrence. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale relève que les parties n’invoquent aucune restriction de concurrence trouvant sa cause dans les dispositions attaquées. Il affirme que les articles 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et 4, paragraphe 3, du Traité sur l’Union européenne sont inapplicables en l’espèce. Quand bien même le seraient-
ils, la mesure n’est pas discriminatoire, mais au contraire nécessaire pour préserver l’intérêt général, et proportionnée à l’objectif poursuivi. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale se réfère aux arguments préalablement développés.
La mesure attaquée ne porte ensuite pas atteinte à la liberté d’établissement. L’ordonnance du 9 juin 2022 ne crée aucune condition plus avantageuse pour les ressortissants belges. Par ailleurs, il n’existe aucune restriction à la liberté, pour une personne morale étrangère, de s’installer sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.
Elle devra uniquement respecter les conditions qui sont applicables.
La mesure visée par le moyen ne porte enfin pas atteinte aux principes de libre circulation. Les régions doivent reconnaître les autorisations délivrées par les autres régions, ce qui est le cas et ce qui n’est pas contesté par les parties requérantes. Selon le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, les parties requérantes semblent affirmer en réalité que l’interdiction de titularité aux personnes morales privilégierait les Bruxellois, sans toutefois en apporter la démonstration. En tout état de cause, cette affirmation est erronée, puisque les conditions d’exploitation sont valables pour tout le monde.
A.3.2.1.4. En ce qui concerne la question de la compétence de la Région de Bruxelles-Capitale, soulevée dans la quatrième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient, à titre principal, que la Région était parfaitement compétente pour adopter les dispositions attaquées. C’est à tort que les parties requérantes considèrent qu’une personne morale devrait toujours être titulaire d’une autorisation pour exercer
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l’activité économique. Cela témoigne en premier lieu d’une confusion entre la titularité et l’exploitation.
L’ordonnance du 9 juin 2022 permet bien aux personnes morales d’exploiter un service de taxis et d’en générer des revenus. En deuxième lieu, cette distinction existe bel et bien pour de nombreuses professions, dont les avocats, notaires, architectes, etc. En troisième lieu, quand bien même existerait le principe qu’une personne morale devrait toujours être titulaire d’une autorisation pour exercer l’activité économique, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale n’aperçoit pas dans quelles dispositions du Code des sociétés et des associations ou du Code de droit économique ce principe trouverait son fondement et les parties requérantes ne le précisent pas.
Le législateur ordonnanciel est compétent en matière de services de taxis et de location de voitures avec chauffeur. Il a, à l’instar des autres régions, reçu toute la compétence en la matière et peut donc, en principe, prendre toutes les mesures nécessaires à son exercice. Une telle règle doit être interprétée largement. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale rappelle qu’il existe une large jurisprudence de la Cour en ce sens et l’arrêt n° 145/2015 du 22 octobre 2015 (ECLI:BE:GHCC:2015:ARR.145), par exemple, peut être transposé en l’espèce. Les conditions pour l’autorisation d’exploiter un service de taxis font manifestement partie de cette compétence. Au surplus, les taxis effectuent des missions d’intérêt public, ce qui justifie qu’ils ne rentrent pas pleinement dans la matière du droit applicable à toute société ou association.
À titre subsidiaire, à supposer que la Cour juge que la Région de Bruxelles-Capitale empiète sur des compétences qui ne sont pas les siennes, l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 est applicable. La mesure qui fait grief est en effet nécessaire, ce qui a déjà été démontré, elle n’a qu’un effet marginal sur la législation fédérale, puisqu’elle concerne uniquement les services de taxis bruxellois, et elle appelle un traitement différencié, pour les raisons également déjà développées.
A.3.2.2. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute le deuxième moyen en relevant, à titre liminaire, qu’aucune critique ne porte sur l’habilitation donnée au Gouvernement par l’article 5 de l’ordonnance du 9 juin 2022 pour établir la procédure d’introduction et d’instruction des demandes d’autorisation, ainsi que leur forme. De même, aucune critique ne porte sur les conditions d’introduction de la demande en application de l’article 6 de l’ordonnance. Le moyen doit donc être considéré comme recevable uniquement en ce qu’il porte sur l’article 7 de l’ordonnance du 9 juin 2022.
A.3.2.2.1. En ce qui concerne la première branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient qu’il n’existe pas de différence de traitement injustifiée, ni d’atteinte au droit au travail et au libre choix d’une profession, pas plus qu’une atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre. Ces arguments sont examinés successivement.
Premièrement, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale renvoie aux arguments déjà développés relativement au principe d’égalité et de non-discrimination. La mesure qui fait grief ne peut être critiquée en ce que sont traitées différemment des catégories de personnes dans deux législations successives. La différence de traitement est inexistante. Quand bien même serait-elle reconnue, les catégories en question ne sont pas comparables. Sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995, les autorisations avaient une valeur économique reconnue, y compris pour le premier achat de celles-ci par les exploitants. Dans le nouveau régime, les autorisations sont dépourvues de valeur pour les nouveaux arrivants. À titre subsidiaire, à supposer que les catégories soient jugées comparables, la mesure attaquée trouve sa justification dans la volonté de dynamiser le secteur des taxis.
Toutefois, le législateur ordonnanciel a tenu compte des droits acquis et de la confiance légitime des détenteurs d’autorisations à titre onéreux. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale n’aperçoit en tout état de cause pas quel serait le préjudice de ne plus avoir à payer pour acquérir une autorisation.
Deuxièmement, il n’existe pas d’atteinte au droit au travail et au libre choix d’une profession. Les parties requérantes reprochent au législateur d’être revenu sur un acquis, à savoir la valeur de l’autorisation. Or, le moyen est irrecevable car une telle affirmation n’est pas étayée. Les parties requérantes n’exposent pas en quoi le droit au travail et le libre choix d’une profession seraient violés en l’espèce. En réalité, la critique est fondée sur une prémisse erronée. Les autorisations n’ont plus de valeur, dès lors que le législateur ordonnanciel actuel ne reconnaît encore une valeur qu’aux autorisations obtenues sous l’ancienne ordonnance. Or, il n’existe pas de principe supra-
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légal qui prescrirait que toute autorisation d’exploiter un service de taxis à Bruxelles devrait être acquise à titre onéreux et être cessible.
Troisièmement, il n’existe pas d’atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale estime également que les parties présupposent à tort qu’une autorisation a toujours une valeur. En tout état de cause, les exploitants qui ont dû acheter une autorisation à titre onéreux continuent d’en bénéficier par la mesure transitoire. Quant aux nouveaux arrivants, ils ne souffrent nullement d’une atteinte car ils peuvent acquérir une autorisation à titre gratuit. À titre subsidiaire, la mesure est amplement justifiée, comme cela a déjà été démontré.
A.3.2.2.2. En ce qui concerne la deuxième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale fait valoir que le principe de libre concurrence, tiré indirectement de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, est irrecevable car le droit européen n’est pas applicable, comme cela a déjà été démontré. Quand bien même, la mesure attaquée ne méconnaît pas le principe d’égalité et de non-
discrimination. La critique des parties requérantes porte sur les conditions de recevabilité pour l’octroi d’une autorisation. Cette dernière est délivrée si certaines conditions, notamment de moralité et de qualification professionnelle, sont remplies, dans la limite du numerus clausus et dans l’ordre des demandes, après quoi les demandeurs sont versés dans une liste d’attente. D’autres critères n’auraient pas pu entrer en compte pour les demandes surnuméraires.
A.3.2.2.3. En ce qui concerne la troisième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient tout d’abord que le moyen est irrecevable en ce qu’il vise la directive 2014/23/UE.
Celle-ci n’est pas une norme de référence de la Cour, ni une norme de droit positif belge, puisqu’elle a été transposée en droit interne. Quand bien même serait-elle déclarée applicable, la branche est non fondée, puisque ladite directive, en vertu de son considérant n° 14, n’est pas applicable aux autorisations en l’espèce. De la même manière, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale estime que le moyen est irrecevable en ce qu’il vise le règlement (CE) n° 1370/2007, qui n’est pas non plus une norme de référence de la Cour. Quand bien même serait-il déclaré applicable, la branche est non fondée puisque le règlement s’applique aux transports publics et non au transport individuel de personnes, en vertu de son article 1er.
A.3.2.3. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute le troisième moyen en relevant, à titre liminaire, qu’il part de la prémisse erronée que l’autorisation aurait nécessairement une valeur qu’on ne peut jamais décider de retirer. L’erreur de cette affirmation a été déjà été démontrée. Dans la mesure où le troisième moyen invoque ce point, ce moyen est irrecevable car cela n’a rien à voir avec l’incessibilité.
A.3.2.3.1. En ce qui concerne la première branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient qu’il n’existe pas de différence de traitement injustifiée, ni d’atteinte à la liberté contractuelle ou à la liberté de commerce et d’entreprise, pas plus qu’une atteinte au droit de propriété. Ces arguments sont examinés successivement.
Premièrement, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale renvoie à ses développements précédents qui touchent à la critique sur la gratuité de l’autorisation. Il n’existe en l’espèce aucune différence de traitement, pas plus qu’une rupture d’égalité entre deux situations successives dans le temps. Il convient également de contester l’argument selon lequel aucune justification ne serait apportée au principe de l’incessibilité. Au contraire, les travaux préparatoires montrent que cette mesure est destinée à dynamiser le secteur du taxi, à lutter contre la spéculation autour de la revente des autorisations et à recentrer la valeur sur l’exercice effectif de l’activité. Pour la mesure transitoire, il s’agissait de ne pas mettre en péril les droits acquis, dans le souci d’une réforme juste. Par ailleurs, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale estime que les parties requérantes ne démontrent pas qu’il existerait des effets disproportionnés pour la catégorie qu’elles estiment défavorisée et ne peut que se demander où gît le préjudice de ne pas pouvoir revendre une autorisation que l’on a reçue à titre gratuit.
Deuxièmement, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale estime que le moyen, en ce qu’il est pris de la violation de l’obligation de standstill relative à la liberté contractuelle, de commerce et d’entreprendre, est irrecevable, puisque l’article 23 de la Constitution ne protège pas la liberté contractuelle, de commerce et d’entreprendre, comme l’a jugé la Cour dans l’arrêt n° 29/2010 du 18 mars 2010
(ECLI:BE:GHCC:2010:ARR.029). À titre subsidiaire, il n’existe pas d’atteinte à ces trois libertés. Les parties
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requérantes n’expliquent nullement en quoi consisterait l’atteinte, et pour cause, ceux qui n’ont pas de droits acquis ne peuvent pas se les voir retirés.
Troisièmement, il n’existe pas non plus d’atteinte au droit de propriété. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale affirme que les parties requérantes se plaignent en réalité de ne pouvoir gagner de l’argent en revendant une autorisation obtenue gratuitement. Il renvoie à cet égard aux arguments déjà formulés.
A.3.2.3.2. En ce qui concerne la deuxième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale fait valoir son irrecevabilité en ce qu’elle est prise de la violation de la libre concurrence, pour les raisons déjà évoquées à la troisième branche du premier moyen. L’invocation de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne n’est possible qu’à certaines conditions, notamment lorsque la critique postule que la norme législative attaquée permet une restriction de concurrence trouvant sa cause dans les comportements autonomes des entreprises, ce qui n’est pas le cas de la critique formulée par les parties requérantes.
À titre subsidiaire, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale relève que le grief des parties requérantes porte sur l’impossibilité de revendre une autorisation reçue gratuitement. Il précise à ce propos que l’ordonnance du 9 juin 2022 n’empêche nullement qu’un titulaire d’une autorisation d’exploiter cède sa société à titre onéreux à un autre titulaire d’une autorisation d’exploiter si ce dernier en reprend la gestion. On peut lire dans les travaux préparatoires qu’il s’agit d’une situation tout à fait commune, en prenant l’exemple de la cession du fonds de commerce d’une boucherie.
À titre infiniment subsidiaire, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que la mesure est suffisamment justifiée au regard des buts visés, comme il a déjà été démontré précédemment.
A.3.2.3.3. En ce qui concerne la troisième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale conteste sa recevabilité en ce qu’elle vise la liberté de circulation, puisque les parties requérantes ne précisent pas les normes invoquées ni le critère de rattachement avec le droit de l’Union européenne.
À titre subsidiaire, il indique que l’article 58 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne soustrait les services de transport aux dispositions garantissant la libre prestation de services.
Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale conteste de la même façon l’atteinte à la liberté d’établissement, puisque les parties requérantes ne mentionnent pas non plus les dispositions de référence. La mesure critiquée ne crée aucune condition plus avantageuse pour les ressortissants belges ni aucun critère fondé sur la nationalité. Un opérateur économique établi dans un autre État membre qui souhaiterait s’installer à Bruxelles peut très bien déposer une demande d’autorisation d’exploiter, dans les mêmes conditions que les exploitants bruxellois, et il en va de même des opérateurs wallons ou flamands. Ce que visent en réalité les parties requérantes, c’est l’existence d’un numerus clausus, dont le bien-fondé, cependant, n’est pas remis en cause. En effet, que ce soit via les autorités ou par le biais de la cession, le numerus clausus demeure.
A.3.2.3.4. En ce qui concerne la quatrième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale postule, à titre principal, qu’il n’est pas empiété sur les compétences du législateur fédéral. Il n’est en effet pas contesté que le législateur bruxellois est compétent en matière de services de taxis et de services de location de voitures avec chauffeur. Or, la compétence lui a été attribuée en entier, ce qu’il faut interpréter largement. La Région peut donc prendre toutes les mesures qu’elle juge appropriées. Comme le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale l’a déjà indiqué, l’arrêt n° 145/2015, précité, est transposable en l’espèce. De plus, on se trouve dans la régulation du secteur des taxis, une matière qui concerne des missions de service public. Enfin, à titre subsidiaire, à supposer que la Cour juge que la Région de Bruxelles-Capitale empiète sur des compétences qui ne sont pas les siennes, l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 est applicable. La mesure qui fait grief est en effet nécessaire, ce qui a déjà été démontré, elle n’a qu’un effet marginal sur la législation fédérale, puisqu’elle concerne uniquement les services de taxis bruxellois, et elle appelle un traitement différencié, pour les raisons également déjà développées.
A.3.2.4. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale estime que le quatrième moyen est irrecevable, puisque les parties requérantes n’exposent pas en quoi le droit à la vie privée serait violé. Il est
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également irrecevable en ce qu’il vise la liberté de commerce et d’entreprendre et la liberté contractuelle, puisque celles-ci ne peuvent être invoquées seules. À titre subsidiaire, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute le fondement des trois branches soulevées.
A.3.2.4.1. En ce qui concerne la première branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale rappelle que l’ordonnance du 9 juin 2022 a été adoptée dans un contexte dans lequel il fallait trouver un équilibre entre les différents acteurs en tenant compte de l’arrivée des nouvelles technologies. Le choix a été fait de reconnaître et d’encadrer les intermédiaires de réservation, avec l’objectif de stimuler les innovations tout en prévenant les dérives. C’est dans cette optique que s’inscrit la mesure attaquée. Selon le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, l’objectif de la mesure critiquée n’est donc pas de s’immiscer dans les relations contractuelles mais d’assurer deux grands objectifs. D’une part, garantir la mise à la disposition du public des véhicules et éviter de rendre les exploitants captifs d’un seul intermédiaire. En effet, les véhicules ne seraient pas mis à la disposition du public de façon optimale s’ils étaient dispersés de manière exclusive entre plusieurs intermédiaires. D’autre part, il s’agit de lutter contre les abus de position dominante, constatés dans le passé, de réguler le secteur et de faire jouer la concurrence au bénéfice des chauffeurs. Les missions d’intérêt public dévolues aux taxis expliquent que ceux-ci sont soumis à des contraintes et à des obligations. Les exploitants ne sont pas de simples commerçants. Enfin, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale n’aperçoit pas quels seraient les effets disproportionnés de la mesure, d’autant plus que les parties requérantes, qui sont des taxis de station, n’ont pas besoin de passer par un intermédiaire de réservation pour exercer leur activité.
A.3.2.4.2. En ce qui concerne la troisième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale renvoie aux arguments déjà développés relativement à la compétence de la Région pour adopter l’ordonnance du 9 juin 2022.
A.3.2.5. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute le cinquième moyen et précise, à titre liminaire, que l’avis de l’Autorité de protection des données a été sollicité sur l’avant-projet de l’ordonnance, de même que celui du Conseil d’État. Le projet a ensuite été remanié et amendé pour tenir compte de ces avis.
A.3.2.5.1. En ce qui concerne la première branche, qui vise l’obligation de communiquer des données dans le chef des exploitants, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale affirme que l’ordonnance du 9 juin 2022 était indispensable pour donner un cadre légal à l’utilisation des nouvelles technologies dans le secteur des taxis. L’ordonnance du 27 avril 1995 était obsolète et insatisfaisante, puisqu’elle obligeait les exploitants à tenir une feuille de route journalière. À présent, les données autrefois collectées sur papier sont communiquées sur un serveur désigné par l’administration. Les finalités du traitement des données sont dûment énumérées à l’article 44 de l’ordonnance du 9 juin 2022. Les objectifs poursuivis sont de plusieurs ordres : protéger le client, notamment les personnes vulnérables, prévenir la fraude fiscale et sociale, et s’assurer de la mise à disposition des taxis au public. Dans ce cadre, l’obligation de communication est nécessaire. Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, la conservation des données par les exploitants eux-mêmes et la communication de celles-
ci sur demande a posteriori ont démontré leur inefficacité. Un tel système menait à un nombre trop important de classements sans suite des plaintes des usagers. À l’inverse, communiquer à bref délai sans attendre d’être saisi d’une demande est un gage d’efficacité du contrôle. En outre, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que la mesure est proportionnée aux buts poursuivis, conformément à l’article 5 du RGPD. Le législateur a d’ailleurs intégré les critiques de l’Autorité de protection des données, notamment en supprimant l’exigence de communication des données « en temps réel ». Enfin, la mesure n’emporte aucune immixtion dans les relations contractuelles. À cet égard, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale ne comprend pas en quoi la communication des conditions générales empiéterait sur la compétence fédérale en matière de contrats, d’autant plus que ces conditions générales doivent être accessibles à tout client.
A.3.2.5.2. En ce qui concerne la deuxième branche, qui vise l’obligation pour les intermédiaires de communiquer des données, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute l’argument portant sur la double communication car elle n’existe tout simplement pas, les données communiquées n’étant pas les mêmes. L’ordonnance avait d’ailleurs été modifiée afin d’assurer que l’on ne pas réclamerait pas aux intermédiaires des données qui pourraient être aussi bien communiquées par les exploitants. Au surplus, la mesure poursuit les mêmes finalités que celles qui s’appliquent aux exploitants. Elle était nécessaire pour assurer la gestion
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administrative et le contrôle du respect de l’ordonnance. Par ailleurs, la communication des données par les intermédiaires de réservation permet aussi de contrôler le respect des courses effectuées sur le territoire de la capitale par des taxis en possession d’une autorisation délivrée par une autre entité.
A.3.2.5.3. En ce qui concerne la troisième branche, qui vise la création d’une base de données, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale précise que le principe même de celle-ci découle de l’obligation de communication visée aux branches précédentes. Dès lors que cette obligation est justifiée, la création d’une base de données aux fins de conservation s’impose. L’ordonnance du 9 juin 2022 prévoit au demeurant toutes les garanties pour préserver la vie privée des parties requérantes. Quant au délai de conservation, il n’a pas été jugé opportun de mettre fin à la conservation des données au moment où le titulaire de l’autorisation mettrait fin à son activité, puisque cela nuirait au contrôle des fraudes et irrégularités éventuelles. De plus, l’avant-projet d’ordonnance avait prévu un délai de sept ans, réduit à six ans en réponse aux critiques de l’Autorité de protection des données. Enfin, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale rappelle qu’il s’agit là du délai maximal, mais que d’autres délais plus courts sont prévus dans l’ordonnance du 9 juin 2022, de même que des hypothèses de non-conservation de certaines données.
A.3.3.1. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute le premier moyen en ses quatre branches.
A.3.3.1.1. En ce qui concerne la première branche, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale conteste d’abord l’existence des trois différences de traitement soulevées.
En premier lieu, la différence entre les personnes physiques et les personnes morales est précisément le cœur de la mesure attaquée. Les parties requérantes n’exposent pas en quoi ces deux catégories seraient comparables.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale relève que le grief est d’autant plus étonnant que les parties requérantes reconnaissent qu’en règle générale, les personnes morales actives dans le secteur des taxis sont des sociétés unipersonnelles, pour lesquelles la délivrance de l’autorisation aux seules personnes physiques ne devrait pas poser de problème.
En deuxième lieu, la différence entre les personnes morales titulaires d’une autorisation de taxis obtenue sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995 et les autres s’explique très simplement. Il s’agissait de protéger les droits acquis de ces exploitants, dont les autres ne disposent pas. Les parties requérantes ne font ici que pointer la différence, sans expliquer en quoi elle violerait les dispositions visées au moyen.
En troisième lieu, la différence entre les exploitants et les intermédiaires de réservation ne porte pas sur des catégories comparables. Les deux profils sont en effet très différents, avec d’un côté des personnes physiques ou des sociétés unipersonnelles en très grande majorité, et de l’autre des sociétés commerciales, voire des multinationales. Délivrer l’agrément d’intermédiaire de réservation à une seule personne physique pour ces dernières n’aurait aucun sens en pratique. La facilité du contrôle par l’administration est dès lors parfaitement adaptée pour chaque catégorie et il est faux de soutenir qu’il aurait été tout aussi aisé d’octroyer les autorisations à des personnes morales, compte tenu de cet objectif de contrôle.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale conteste ensuite toute atteinte au droit de propriété.
L’autorisation n’a intrinsèquement aucune valeur économique, puisqu’elle est reçue gratuitement, qu’elle a une durée de validité limitée et qu’elle est incessible. La mention, par les parties requérantes, d’une « valeur symbolique » n’explique pas en quoi les personnes morales seraient lésées par le fait d’être privées de la possibilité d’être propriétaires. Seules les autorisations de taxis obtenues sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995 font l’objet d’une dérogation, mais uniquement pour conserver les droits acquis de leurs détenteurs. Selon le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, les parties requérantes confondent en réalité la titularité d’une autorisation et l’exercice d’une activité économique. On n’est pas « titulaire » d’une activité, on l’exerce. On est par contre titulaire de l’autorisation, ce qui explique que l’on permette à une personne morale d’exercer un service de taxis si son gestionnaire-personne physique est titulaire de l’autorisation. Le Gouvernement prend à cet égard l’exemple des avocats qui exercent en société, qui est entièrement transposable en l’espèce.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale conteste enfin toute atteinte à la liberté d’association.
Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, on ne constitue pas une société pour se faire conférer
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collectivement l’autorisation d’exploiter; on le fait pour exploiter collectivement l’activité économique qui nécessite une autorisation. Or, l’ordonnance permet cela.
A.3.3.1.2. En ce qui concerne la deuxième branche, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale renvoie pour le principal aux arguments déjà formulés. Il réfute ensuite la lecture qui est faite de l’avis du Conseil d’État par les parties requérantes. Ce dernier n’a jamais déclaré que la mesure était disproportionnée mais qu’elle constituait une restriction à la liberté d’entreprendre, dès lors susceptible de justifications. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a tenu compte de cette critique en justifiant dûment la mesure mise en place spécifiquement pour le nouveau système, ce dont témoignent les travaux préparatoires. Par ailleurs, il n’aperçoit pas, et les parties requérantes n’identifient pas, ce qui pourrait constituer un avantage de la titularité de l’autorisation, en comparaison avec l’exercice de l’activité économique.
A.3.3.1.3. En ce qui concerne la troisième branche, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale conteste l’argument du cloisonnement territorial, qu’il juge étonnant, puisque la matière est justement régionalisée.
Enfin, il a déjà été démontré plus haut qu’aucune atteinte à la liberté de concurrence n’était à déplorer.
A.3.3.1.4. En ce qui concerne la compétence de la Région de Bruxelles-Capitale, soulevée dans la quatrième branche, son Gouvernement estime qu’elle ne fait pas de doute. L’argument de la « chimère juridique » selon lequel une entreprise ne pourrait exercer une activité économique sans en « être titulaire » est faux. Il renvoie pour ce faire à l’exemple des avocats.
A.3.3.2. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute le deuxième moyen en se référant en grande partie à ce qui a déjà été relevé, notamment en ce qui concerne la (non-) valeur de l’autorisation, la différence entre les situations avant et après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 juin 2022 et les atteintes au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre. Relativement à l’article 23 de la Constitution, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale conteste l’affirmation du recul par rapport à la soi-disant reconnaissance de la valeur de l’autorisation en 2013. En réalité, les deux régimes légaux sont fondamentalement différents. Sous l’ordonnance du 9 juin 2022, le choix a été fait d’une autorisation à titre gratuit. Auparavant, ce qu’on payait était la part de marché. Il n’y a donc pas de violation.
En ce qui concerne la libre concurrence, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale rappelle que les taxis sont investis d’une mission d’intérêt public. L’attribution des autorisations ne peut donc se résumer à la recherche des meilleures offres, au risque de pousser à la surenchère. Le législateur ordonnanciel a fait le choix d’assurer les équilibres, notamment avec l’encadrement des tarifs. Dans cette optique, le mécanisme de délivrance selon la date de la demande n’est pas manifestement déraisonnable. Par ailleurs, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale estime que la directive 2014/23/UE n’est pas applicable en l’espèce, puisque les autorisations sont délivrées à la demande des opérateurs économiques. En tout état de cause, celles-ci tombent sous le seuil d’applicabilité de la directive, qui est de 5 186 000 euros. Enfin, le règlement (CE) n° 1370/2007 n’est pas applicable non plus, et ce en vertu de son article 5, paragraphe 4.
A.3.3.3. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute le troisième moyen en renvoyant principalement à l’argumentaire déjà développé. Pour le surplus, il ne peut être question d’atteinte à la libre concurrence. Les parties requérantes oublient que les taxis relèvent de missions de service public. Par ailleurs, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale souligne le caractère intuitu personæ des autorisations dans ce secteur. Le strict encadrement juridique est justifié par la nécessité de veiller aux intérêts non seulement des exploitants mais aussi des chauffeurs et des usagers. Partant, il est raisonnable de ne pas simplement permettre la cession au plus offrant. Il ne peut être question non plus d’atteinte à la liberté d’établissement. Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, un opérateur provenant d’une autre région ou d’un autre État membre de l’Union européenne peut introduire une demande d’autorisation dans les mêmes conditions qu’un opérateur bruxellois; il n’existe donc aucune différence de traitement en la matière. De même, le fait de ne pouvoir céder l’autorisation ne constitue pas un frein à la cession de l’activité économique, puisque tout le reste, ce qui constitue le patrimoine de l’entreprise, peut bien sûr être revendu.
A.3.3.4. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale considère à titre principal que le quatrième moyen est irrecevable, à défaut d’intérêt. En effet, la disposition attaquée protège les parties requérantes contre d’éventuels abus de position dominante par certains intermédiaires de réservation. Celles-ci ne démontrent donc pas quel serait l’avantage retiré d’une potentielle annulation.
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À titre subsidiaire, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale conteste le bien-fondé du moyen.
Les taxis de rue travaillent sur réservation et ont donc besoin des services fournis par les intermédiaires de réservation. Au vu de ce lien de dépendance, les exploitants risquent d’être soumis à des conditions contractuelles déséquilibrées. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale rappelle que l’on a pu assister par le passé à la « déconnexion » unilatérale par un intermédiaire de réservation d’un grand nombre d’exploitants, qui se sont retrouvés subitement privés de revenus. L’interdiction des clauses d’exclusivité répond à ce risque, puisque ces clauses peuvent favoriser l’émergence d’acteurs hégémoniques et entraîner l’obligation pour les usagers de multiplier les plateformes. Les exploitants ne sont en outre pas privés de leur liberté, puisqu’ils peuvent toujours ne contracter qu’avec un seul intermédiaire s’ils le souhaitent. En réponse à l’argument des parties requérantes, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale doute de l’existence de clauses d’exclusivité dans d’autres secteurs d’activité reconnus d’utilité publique. En outre, il convient de pointer le caractère alambiqué du raisonnement des parties requérantes, qui considèrent que les clauses d’exclusivité pourraient garantir un « haut degré » de concurrence, alors que l’interdiction desdites clauses agirait comme un inhibiteur de concurrence. Cet argument est paradoxal. Au contraire, même dans l’hypothèse improbable où les exploitants seraient abonnés à tous les intermédiaires, ils auraient toujours un intérêt à faire jouer la concurrence pour chercher à diminuer le pourcentage du prix de la course prélevé par l’intermédiaire de réservation.
A.3.3.5. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute le cinquième moyen en relevant tout d’abord que les données à communiquer ne sont qu’une petite partie des données dont les exploitants et les intermédiaires de réservation ont besoin pour faire fonctionner leurs activités. Il ne s’agit donc nullement d’une charge supplémentaire de collecte pour eux. La seule obligation additionnelle est de transmettre ces données à l’administration, obligation par ailleurs justifiée par des objectifs jugés légitimes par l’Autorité de protection des données. Celle-ci avait certes critiqué l’accès permanent et le transfert en temps réel des données, mais la législation a alors été adaptée pour répondre à cette préoccupation. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale explique que l’accès aux données par l’administration remplace les contrôles périodiques ou inopinés effectués auparavant. Le législateur ordonnanciel a choisi de ne pas suivre les autres solutions proposées par l’Autorité de protection des données, parce qu’elles ne garantissaient pas l’objectif de l’efficacité du contrôle.
À l’inverse, le nouveau système évite de devoir compter entièrement sur la bonne coopération des exploitants et des intermédiaires. Il s’agit d’un choix d’opportunité politique. Ce choix est par ailleurs proportionné au but visé.
Ensuite, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale doute de l’intérêt des parties requérantes au moyen en ce qui concerne le transfert de données par les intermédiaires de réservation, ce qu’elles ne sont pas. En tout état de cause, ces données sont elles-mêmes fournies par les exploitants, lesquels sont protégés par le contrôle des intermédiaires. Si certaines données sont recueillies deux fois, cela permet justement de les croiser et de limiter la fraude. En ce qui concerne le fait que l’administration saura désormais quel exploitant recourt à quel intermédiaire de réservation, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale souligne que c’est précisément le but de l’ordonnance du 9 juin 2022, afin d’avoir une vue claire sur les réalités du secteur. Sous l’ancien régime, la Région n’a jamais pu savoir combien d’exploitants étaient réellement affiliés à Uber, ce qui est inacceptable dans un secteur d’utilité publique. La connaissance de celui-ci est indispensable pour évaluer le système périodiquement, comme le prévoit l’ordonnance.
Par ailleurs, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale relève qu’il ne s’agit pas de « tout type »
de données qui sont réclamées, mais des données dûment énumérées, pour répondre à l’avis de l’Autorité de protection des données, à l’article 43, § 1er, de l’ordonnance du 9 juin 2022. En outre, le Gouvernement précise que l’ordonnance du 9 juin 2022 ne crée pas une « banque de données » mais un « système informatique », à savoir un système ou réseau répondant aux principes de protection des données dès la conception, au sens de l’article 25
du RGPD. Enfin, on signalera que les délais de conservation des données ont été adaptés à la suite de l’avis de l’Autorité de protection des données.
A.3.3.6. Enfin, à titre subsidiaire, à supposer que la Cour annule les dispositions attaquées en tout ou en partie, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale demande le maintien des effets des normes annulées durant une période de neuf mois afin de laisser un délai raisonnable au législateur ordonnanciel pour remédier aux
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inconstitutionnalités constatées. Cela permettra d’assurer la sécurité juridique dans un secteur qui en a amplement besoin ainsi que de prévenir les effets négatifs disproportionnés sur celui-ci.
A.3.4.1.1. En ce qui concerne la première branche du premier moyen, les parties requérantes répondent tout d’abord qu’il ne faut pas confondre différence et non-comparabilité. Les catégories sont bien comparables en l’espèce, bien qu’il existe des différences entre les deux types de taxis; pour cette raison, on ne peut souscrire à l’argument relatif aux sociétés unipersonnelles. Il y a donc bien une différence de traitement entre les catégories visées, puisque la personne morale, qui ne fait qu’exploiter sans être titulaire, se verra, en cas de cession, moins valorisée car ses parts n’incluront pas l’autorisation d’exploiter. Quant au reproche fait aux parties requérantes de ne poursuivre que l’immutabilité d’une politique, il ne saurait être accepté. Les parties requérantes ne contestent pas l’existence d’un régime purement transitoire mais une situation de régime différencié permanent. Enfin, en ce qui concerne la comparaison avec les intermédiaires de réservation, les parties requérantes soulignent que les obligations qui pèsent sur elles et sur les exploitants sont quasiment identiques, même si leurs intérêts sont distincts.
Contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, tant les exploitants que les intermédiaires de réservation sont des entreprises au sens du Code de droit économique; les « sociétés commerciales » n’existent plus.
Les parties requérantes doivent à nouveau rappeler que la valeur de l’autorisation a été reconnue en 2013. À
l’inverse du Gouvernement, elles ne voient pas en quoi une autorisation aurait un caractère intuitu personæ, lequel est introuvable dans la loi. Quand bien même, rien n’empêche de confier un tel caractère à une personne morale.
Par ailleurs, les parties requérantes marquent leur scepticisme quant à l’affirmation selon laquelle « on ne constitue pas une société pour se faire conférer collectivement une autorisation d’exploiter ». Elles n’aperçoivent pas pourquoi cela serait vrai. Au contraire, les associés d’une personne morale peuvent légitimement le souhaiter. En effet, si le titulaire-personne physique de l’autorisation décide de quitter la société exploitante, celle-ci se retrouve désormais en cessation d’activité, d’où l’intérêt d’une titularité collective.
Les parties requérantes contestent la justification de la mesure au regard de la facilité du contrôle. Le contrôle n’est pas forcément plus aisé avec une personne physique. Quant au risque de spéculation, il s’agit d’une affirmation péremptoire de la part des parties adverses. Enfin, il n’est pas démontré que l’exclusion des personnes morales permettrait de dynamiser le secteur, serait nécessaire pour protéger le caractère d’intérêt public des services et renforcerait la place des exploitants-chauffeurs.
A.3.4.1.2. En ce qui concerne la deuxième branche du premier moyen, les parties requérantes rappellent d’abord que la Cour a régulièrement examiné des normes au regard de la liberté d’entreprendre et de la liberté de commerce, de sorte que l’exception d’irrecevabilité soulevée doit être rejetée.
Ensuite, les parties requérantes répondent aux parties adverses que, si la personne morale peut, en vertu de l’ordonnance du 9 juin 2022, exploiter, engager sa responsabilité et être tenue au respect en tout temps des conditions de moralité des chauffeurs, pourquoi ne pourrait-elle pas être titulaire de l’autorisation ? Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient qu’il n’y aurait pas d’avantages à cela. C’est tout le contraire car l’autorisation a une valeur économique, quoi qu’en dise le Gouvernement.
A.3.4.1.3. En ce qui concerne la troisième branche du premier moyen, les parties requérantes contestent l’inapplicabilité invoquée des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Ces dispositions sont bien applicables et la Cour le reconnaît dans l’arrêt n° 159/2015 du 4 novembre 2015
(ECLI:BE:GHCC:2015:ARR.159). Bien que ces dispositions s’adressent aux entreprises, l’article 4, paragraphe 3, du Traité sur l’Union européenne, interprété par la Cour de justice, impose aux États membres l’obligation de s’abstenir de prendre ou de maintenir en vigueur des mesures susceptibles d’éliminer l’effet utile des articles 101
et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
L’élément transfrontalier que les parties adverses reprochent aux parties requérantes de ne pas démontrer est bien mentionné dans la requête en annulation. Celles-ci réitèrent l’argument selon lequel les mesures attaquées créent un cloisonnement territorial. Certes, la matière a été régionalisée, mais les conditions de l’autorisation régionale sont ici incompatibles avec le principe de l’union économique et monétaire.
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A.3.4.1.4. En ce qui concerne la quatrième branche du premier moyen, en réponse au reproche que ne soient pas identifiées les dispositions du Code de droit économique auxquelles il est porté atteinte, les parties requérantes font valoir qu’il s’agit des articles I.1 à I.6 dudit Code, qui fixent les différentes formes que peuvent prendre les entreprises, ainsi que son article I.1, qui propose la définition de l’entreprise, laquelle comprend tant des personnes physiques que morales. Le principe qui découle de ces dispositions est celui du libre choix, dans la stricte limite des exceptions fixées par la loi fédérale. L’ordonnance du 9 juin 2022 déroge à ce principe, puisqu’elle impose une forme juridique déterminée pour être titulaire de l’autorisation d’exploiter un service de taxis. Or, aucune disposition du Code de droit économique ne prévoit la dissociation de la titularité et de l’exercice d’une activité économique. C’est cela que les parties requérantes visent par les mots « chimère juridique ».
Quant à l’exemple de l’avocat, abondamment mis en avant par les parties adverses, il n’est pas pertinent en l’espèce. D’abord, la profession d’avocat est entièrement réglée par le droit fédéral. Ensuite, comme il s’agit d’une profession et non seulement d’une activité économique, il est normal que le « titre » ne puisse être porté que par une personne physique. À l’inverse, les services de taxis ne sont que des activités économiques, qui peuvent d’ailleurs être exercées par une personne morale et qu’il ne faut pas confondre avec la profession de chauffeur de taxi. Ici, c’est la société de taxis qui exerce l’activité au travers d’une personne physique, le chauffeur, alors que l’avocat exerce son activité au travers de sa société. Enfin, les parties requérantes soulignent qu’un avocat peut céder sa société et sa clientèle indépendamment de l’autorisation d’exercer la profession, tandis que la société de taxis n’a pas de valeur distincte de l’autorisation dont le gérant-personne physique est titulaire.
A.3.4.2.1. En ce qui concerne la première branche du deuxième moyen, les parties requérantes répondent qu’elles ne contestent pas qu’elles n’ont pas droit à l’immutabilité d’une politique. En l’espèce, elles contestent un régime différencié permanent, ainsi que le fait que l’autorisation n’ait plus la valeur économique qui lui a été reconnue en 2013, ce qui constitue une violation de l’obligation de standstill.
A.3.4.2.2. En ce qui concerne la deuxième branche du deuxième moyen, les parties requérantes renvoient à leur argument développé au moyen précédent en ce qui concerne l’applicabilité des normes de droit européen. Le fait que les taxis sont investis de missions d’utilité publique ne saurait tout justifier. Si une entrave aux droits et libertés est constatée, il faut le justifier, ce que les parties adverses ne font pas. Le président du Parlement et le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale n’exposent notamment pas en quoi, de 2013 à 2022, la délivrance des autorisations à titre onéreux après une mise en concurrence compromettait la qualité du service. Et pour preuve, c’était le contraire. Auparavant, l’autorisation était délivrée sur la base d’un critère prix et d’un critère qualité. À l’inverse, la délivrance au premier arrivé risque de déprécier la qualité du service. Selon les parties requérantes, il est à cet égard erroné de soutenir que le système d’adjudication faisait ensuite augmenter les prix, puisque les candidatures étaient précisément jugées sur un rapport qualité/prix.
Par ailleurs, les parties requérantes prennent note qu’il n’est pas répondu à l’argument de la discrimination subie par les candidats qui auraient une meilleure offre mais qui seraient arrivés trop tard. En outre, contrairement à ce que soutient le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, l’accès au marché dans l’ancien système n’était pas réservé aux plus fortunés. Un tel argument remet en cause le principe même de la liberté d’entreprendre, lequel suppose une prise de risque. En pratique, la majorité des exploitants de taxis ont au contraire peu de moyens et contractent un prêt, compte tenu d’ailleurs, pour le calcul du risque, du fait que l’autorisation pouvait être revendue.
A.3.4.2.3. En ce qui concerne la troisième branche du deuxième moyen, les parties requérantes rappellent, à nouveau, que la Cour est bien compétente pour s’assurer du respect des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, lus en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, qu’elles ont invoqués. Ceci a déjà été démontré au premier moyen. En ce qui concerne la directive 2014/23/UE, l’une de ses conditions d’applicabilité est que l’opérateur économique conserve la liberté de renoncer à la fourniture des services. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que tel est le cas pour les taxis.
Les parties requérantes contestent cela, puisqu’il existe une obligation contraignante de mise à disposition du public. Ensuite, l’argument tiré du seuil de 5 186 000 euros ne saurait être suivi. En effet, le montant doit tenir compte des recettes provenant des usagers et des éventuelles extensions de la durée de la concession. Or, les
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autorisations de taxis durent 7 ans et sont indéfiniment renouvelables, ce qui porte le montant total bien au-delà du seuil. Enfin, en ce qui concerne le règlement (CE) n° 1370/2007, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale estime qu’il ne s’applique pas au transport individuel de personnes mais bien aux transports publics. Or, il n’a cessé par ailleurs de répéter que les taxis sont un service d’utilité publique. Le règlement ne doit donc pas être écarté. Dans le doute, les parties requérantes demandent à la Cour constitutionnelle d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne de la manière suivante :
« Les articles 101 et 102 TFUE, l’article 4, § 3, TUE, l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Directive 2014/23 du 26 février 2014 sur l’attribution des contrats de concession et le Règlement n° 1370/2007 du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, doivent-ils être interprétés en ce sens que la délivrance, par un pouvoir adjudicateur, d’une autorisation d’exploiter un service de taxis – avec l’obligation corrélative pour l’exploitant bénéficiaire d’effectivement exploiter ce service à concurrence d’un nombre d’heures minimum par semaine – doit nécessairement être précédée d’une procédure de mise en concurrence, le cas échéant dans le respect des dispositions contenues dans la Directive 2014/23 précitée ? ».
A.3.4.3. En ce qui concerne le troisième moyen, les parties requérantes renvoient pour le principal à ce qui a été développé au moyen précédent. À la lumière des débats sur l’application pratique de l’ordonnance du 9 juin 2022, les parties requérantes ont envoyé un courrier au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pour s’enquérir des conditions précises du régime de cession mise en place par l’article 10, § 4, de l’ordonnance. Celui-
ci leur a répondu que l’on pouvait rencontrer deux cas de figure. Soit il s’agit d’une cession d’une personne morale, laquelle reste dès lors titulaire de l’autorisation. Soit il s’agit d’une cession de l’autorisation elle-même et l’on se trouve alors devant deux sous-cas de figure valables : soit il s’agit d’une personne morale cessionnaire qui est elle-
même titulaire d’une autorisation délivrée avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 juin 2022, soit il s’agit d’une personne physique, dans le respect de l’article 5, § 2, de l’ordonnance. Toutes les autres cessions sont prohibées.
Les parties requérantes s’étonnent d’une telle réponse et la contestent. Le Gouvernement invente ici une règle. Rien n’impose que le cessionnaire soit une personne physique s’il n’est pas déjà titulaire d’une autorisation.
Cette règle est d’autant plus incompréhensible que l’article 10, § 4, de l’ordonnance met en place un régime dérogatoire. La réponse est également contradictoire avec l’argument soulevé par les parties adverses selon lequel l’interdiction pour les personnes morales d’être titulaires de l’autorisation est justifiée par le fait que celle-ci est désormais délivrée à titre gratuit. Les parties requérantes soulignent qu’une telle lecture est derechef contradictoire avec l’argument du respect des droits acquis. En effet, dans l’ancien régime, la cession pouvait se faire tant à des personnes morales que physiques; si, dorénavant, ces anciennes autorisations, qui sont des droits acquis, ne peuvent plus être cédées à des personnes physiques, ces prétendus droits acquis sont méconnus, d’autant plus que le cessionnaire devra attendre dix ans avant de céder lui-même l’autorisation. Enfin, cette nouvelle condition est discriminatoire car elle traite différemment les cessionnaires à titre onéreux sous l’empire de l’ancienne législation avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 juin 2022 et les cessionnaires à titre onéreux sous l’empire de l’ancienne législation après l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée.
En conclusion, l’article 10, § 4, de l’ordonnance du 9 juin 2022 doit être interprété en ce sens que l’article 5, § 2, ne s’applique pas. À défaut, la disposition viole les articles 10, 11 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec l’obligation de standstill, le droit de propriété et la liberté d’entreprendre.
A.3.4.4. Les parties requérantes réfutent tout d’abord, en réponse au troisième moyen, l’exception d’irrecevabilité prise de l’absence d’intérêt à demander l’annulation d’une disposition conçue pour « les protéger ».
Les parties requérantes ne souhaitent pas que le législateur décide à leur place des clauses contractuelles qu’elles choisiraient de conclure. En tout état de cause, un moyen analogue est invoqué par un intermédiaire de réservation dans l’affaire n° 7914, jointe à l’affaire présentement examinée.
Les parties requérantes réitèrent également la recevabilité du moyen concernant la vie privée. Il est pourtant clair selon elles que les relations contractuelles relèvent du doit privé des entreprises privées. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà pu juger que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme s’y
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appliquait. Par conséquent, l’article 22 de la Constitution est lui aussi applicable. Le moyen est tout aussi recevable en ce qu’il vise la liberté d’entreprendre, puisqu’à de nombreuses reprises, la Cour constitutionnelle a accepté de connaître de moyens liés à cette liberté ainsi qu’à la liberté de commerce et à la liberté contractuelle.
A.3.4.4.1. En ce qui concerne la première branche du troisième moyen, les parties requérantes relèvent que l’argument selon lequel les taxis de rue ont besoin de travailler sur réservation est dénué de pertinence, puisque les parties requérantes sont des taxis de station. Pour autant, cela prouve bien que la mesure est discriminatoire.
En tout état de cause, ce seul argument est trop léger pour interdire les clauses d’exclusivité. Ensuite, les parties requérantes répondent que la situation d’exploitants « déconnectés » par le passé n’est pas étayée. Cela ne peut en tout cas pas concerner les taxis de station, qui peuvent travailler sans réservation, mais bien les anciens chauffeurs LVC qui travaillaient dans l’illégalité. En tout état de cause, l’argument ne suffit pas non plus. Pour ce qui est d’éviter l’hégémonie d’un acteur ou de multiplier les plateformes pour l’usager, les parties requérantes estiment que personne n’a jamais imposé aux usagers d’avoir recours à plusieurs intermédiaires. Le fait que l’usager ait le choix entre plusieurs intermédiaires de réservation et que ceux-ci jouent sur la fidélisation est propre à un système concurrentiel. Par ailleurs, si le but était de regrouper toutes les offres pour l’usager en un même endroit, la mesure attaquée serait inefficace et contradictoire. De plus, selon les parties requérantes, aucun lien n’est établi entre les clauses d’exclusivité et une potentielle carence au niveau de la mise à disposition du public. En réalité, en parlant d’hégémonie, le Gouvernement vise clairement Uber, or cette société a pu être longtemps hégémonique non grâce aux clauses d’exclusivité mais parce qu’elle agissait dans l’illégalité et créait de ce fait une concurrence déloyale.
Depuis, de nombreux concurrents sont apparus sur le marché. Ensuite, l’argument invoqué de l’utilité publique n’est pas un talisman qui justifierait tout; encore faut-il justifier l’atteinte aux droits et libertés, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Enfin, les parties requérantes réfutent l’argument de l’incapacité des exploitants à se défendre eux-
mêmes. Par celui-ci, les parties requérantes ne peuvent que supposer que le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale fait référence aux manifestations des taximen contre Uber il y a quelques années. Or, ces manifestations visaient avant tout l’inaction de la Région elle-même à empêcher le développement hégémonique d’une activité illégale.
A.3.4.4.2. En ce qui concerne la deuxième branche du troisième moyen, les parties requérantes répondent que le caractère anticoncurrentiel ne doit pas s’apprécier dans l’objet de la mesure mais dans son effet, en application de la jurisprudence du Tribunal de l’Union européenne du 27 octobre 1994 en cause de Fiatagri UK
Ltd et New Holland Ford Ltd c. Commission (T-34/92, ECLI:EU:T:1994:258). Une mesure ayant comme objet de garantir la concurrence peut avoir pour effet de la fausser, et c’est précisément le cas en l’espèce. Par ailleurs, les parties requérantes ne dénient pas la liberté contractuelle de changer d’intermédiaire de réservation, mais cela peut être fait par une résiliation de contrat d’affiliation; nul besoin d’interdire les clauses d’exclusivité. Une telle liberté est d’ailleurs nécessaire à la libre concurrence mais n’a rien à voir avec de quelconques exploitants prétendument captifs. De plus, en présence d’affiliations multiples, on assiste à un manque de visibilité, de prévisibilité et de garantie pour l’utilisateur. Cela peut également mener à des conflits de loyauté des exploitants et au risque d’annulation de courses si une course d’un autre intermédiaire de réservation est plus avantageuse. Les parties requérantes soulignent qu’en pratique, dans l’esprit des usagers, il y a une association entre l’intermédiaire et l’exploitant, indissociable et qui entraîne la fidélisation. L’usager choisit et évalue le service en fonction de cela.
Les parties requérantes le répètent : dans le cas où tous les exploitants sont affiliés à tous les intermédiaires de réservation, il y aura inévitablement une absence totale de concurrence de facto, ce qui entraîne un risque d’augmentation des coûts d’affiliation. Ceci est pour le moins paradoxal pour une mesure qui craint le monopole.
A.3.4.4.3. En ce qui concerne la troisième branche du troisième moyen, les parties requérantes répondent aux parties adverses et citent les dispositions législatives sur lesquelles l’ordonnance du 9 juin 2022 empiète, à savoir l’article 5.14 du Code civil, qui consacre la liberté contractuelle, et les articles VI.91/1 et suivants du Code de droit économique, qui prohibent les clauses abusives.
A.3.4.5.1. En ce qui concerne la première branche du cinquième moyen, les parties requérantes prennent note de la fierté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale d’avoir supprimé la transmission « en temps réel » à la suite de l’avis de l’Autorité de protection des données, mais signalent que la plupart des données doivent tout de même être transmises dès leur création ou leur collecte, de sorte qu’on peut parler d’un « quasi-temps réel »
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qui rend l’argument du Gouvernement quelque peu hypocrite. En réalité, la critique de l’Autorité de protection des données portait de façon générique sur le principe d’une transmission systématique, intégrale et systématisée de toutes les données relatives aux courses, aux chauffeurs, aux véhicules, aux contrats, aux périodes de mise à disposition et aux conditions générales. Enfin, les parties requérantes affirment qu’elles ne contestent pas le principe des contrôles inopinés, qu’elles auraient préféré, comme le suggère l’Autorité de protection des données.
Un tel système aurait en effet atteint tous les objectifs du législateur ordonnanciel, n’est ni coûteux ni complexe à mettre en œuvre et est conforme au principe de proportionnalité. Le législateur se doit de choisir la mesure la moins attentatoire : ce n’est pas qu’une question de choix d’opportunité.
A.3.4.5.2. En ce qui concerne la deuxième branche du cinquième moyen, les parties requérantes déclarent tout d’abord qu’elles ont un intérêt au grief car ces données les concernent directement. Ensuite, en réponse à l’argument selon lequel les informations recueillies sont recoupées deux fois pour éviter des fraudes et des lacunes, elles rétorquent que soit le nouveau système rend cela impossible et l’argument n’est pas pertinent, soit le nouveau système n’empêche pas les fraudes et les lacunes et la double communication ne l’empêche pas non plus. En tout état de cause, le recoupement des données est difficilement compatible avec le RGPD, comme a déjà pu le relever l’Autorité de protection des données. Quant à l’argument d’une « vue claire » sur les réalités du secteur, elle constitue une finalité statistique pour laquelle l’identification des personnes n’est pas nécessaire. Au surplus, elle peut être atteinte par d’autres moyens.
A.3.4.5.3. En ce qui concerne la troisième branche du cinquième moyen, les parties requérantes considèrent que les arguments du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale sont péremptoires. Celui-ci joue sur les mots avec la notion de système informatique, sans expliquer en quoi consiste la différence avec une base de données. De plus, la nécessité d’obtenir des données ne requiert pas ipso facto de les intégrer dans une base de données. Enfin, l’énumération limitative des données dans l’ordonnance ne suffit pas, d’autant plus que cette liste est très vaste. Une justification est nécessaire pour chaque type de données.
A.3.4.6. Enfin, les parties requérantes répondent à la demande de maintien des effets des dispositions attaquées formulée par les parties adverses qu’il convient de distinguer les situations. Premièrement, l’annulation relative à l’interdiction de délivrance aux personnes morales n’appelle pas d’intervention législative.
Deuxièmement, l’annulation relative à la délivrance à titre gratuit requiert une intervention législative mais le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale peut, dans l’intervalle, organiser des appels d’offre.
Troisièmement, ni l’annulation relative à l’incessibilité ni celle qui concerne les clauses d’exclusivité n’appellent d’intervention législative. Enfin, les annulations relatives aux données requièrent une intervention législative mais le Gouvernement n’expose pas en quoi le service public serait mis en péril par lesdites annulations.
A.3.5. À titre liminaire, en guise de réplique, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale entend faire valoir quelques observations sur les autorisations sous l’ordonnance du 9 juin 2022 en général. Les parties requérantes ne mettent pas en cause le fait que la plupart des exploitants de taxis de station actuels exercent en personne morale et peuvent continuer à exercer sous cette forme. Les arguments sont donc formulés au nom d’exploitants qui souhaiteraient entrer sur le marché des taxis de station sous le nouveau régime. Ceci étant dit, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale n’aperçoit pas en quoi les droits de ceux-ci sont restreints, puisqu’il leur revient de décider s’ils veulent ou non entrer sur ce marché, aux conditions applicables.
De plus, la titularité de l’autorisation par une personne physique qui peut exploiter le service de taxis en personne morale pour autant qu’elle en assure la gestion ne devrait pas poser de difficultés aux futurs candidats qui, comme la plupart des acteurs actuels, sont des exploitants-chauffeurs. Par l’application combinée des règles de l’ordonnance, la seule manière de faire du profit dans les secteurs des taxis est bien d’exploiter l’activité, l’autorisation n’étant pas un bien. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale se demande dès lors si ce qui est réellement demandé et admissible aux yeux des parties requérantes n’est pas tout simplement le statu quo perpétuel. Enfin, la pétition de principe selon laquelle une autorisation aurait nécessairement une valeur est une autre conception de l’organisation du secteur que celle du législateur. En tout état de cause, on ne peut avancer une ordonnance abrogée pour soutenir cet argument.
A.3.5.1.1. En ce qui concerne la première branche du premier moyen, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale estime qu’il faut relativiser le risque que la personne titulaire de l’autorisation quitte sa société en emportant son autorisation. Des précautions peuvent être prises par des clauses statutaires et
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contractuelles pour éviter la cessation totale d’activité. Dans la pratique, le titulaire n’ira pas très loin sans les ressources de la société, qui comprennent les véhicules.
A.3.5.1.2. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale ne réplique pas à la deuxième branche du premier moyen.
A.3.5.1.3. En ce qui concerne la troisième branche du premier moyen, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale maintient que la Cour est incompétente au regard des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Quand bien même le serait-elle, les parties requérantes ne démontrent pas que la Région aurait imposé ou favorisé la conclusion d’ententes ou délégué aux opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d’intervention d’intérêt économique, comme il peut être lu dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.
A.3.5.1.4. En ce qui concerne la quatrième branche du premier moyen, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale prend note des dispositions du Code de droit économique que les parties requérantes ont finalement avancées à l’appui de leur argument. Toutefois, l’ordonnance du 9 juin 2022 ne heurte nullement celles-ci. Il ne résulte pas des dispositions énumérées qu’il existerait un principe de liberté absolue de choix de pouvoir poursuivre toute activité économique, quelle qu’elle soit, sous n’importe quelle forme. En tout état de cause, l’ordonnance du 9 juin 2022 permet précisément d’exploiter un service de taxis sous la forme d’une personne morale. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale souligne en outre que les dispositions énumérées ne permettent pas non plus d’étayer l’affirmation selon laquelle le principe de base est qu’une entreprise est de facto titulaire de l’activité qu’elle exerce, ce qu’admettent en creux les parties requérantes en indiquant qu’il n’y a aucune disposition du Code de droit économique qui dissocie l’activité de sa titularité. Et pour cause, il existe en effet une titularité de l’autorisation, mais pas de l’activité. Enfin, les réponses apportées par les parties requérantes à la situation analogue des avocats ne convainquent pas. Elles distinguent la « profession » de l’activité sans pour autant définir la première. En tout état de cause, il existe bien d’autres exemples de professions réglementées qui supposent une autorisation, comme l’expert automobile, qui est nécessairement une personne physique mais peut exercer en personne morale.
A.3.5.2. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale relève avant toute chose, relativement au deuxième moyen, que les parties requérantes ne contestent pas qu’elles ne sont pas concernées par les articles 5, § 1er, et 6 de l’ordonnance du 9 juin 2022. Le moyen doit dès lors être limité à l’article 7.
A.3.5.2.1. En ce qui concerne la première branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale signale uniquement que l’irrecevabilité qu’il a soulevée au regard du droit au travail, du libre choix de l’activité professionnelle et de l’obligation de standstill n’a pas été contestée.
A.3.5.2.2. En ce qui concerne la deuxième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale ne comprend pas ce que pourrait revêtir la notion d’offres économiquement et qualitativement meilleures, avancée par les parties requérantes. En effet, l’autorisation est gratuite, et les demandeurs doivent tous remplir exactement les mêmes exigences qualitatives pour effectuer valablement la demande. Par conséquent, la catégorie désavantagée au sens des parties requérantes n’existe pas.
A.3.5.2.3. En ce qui concerne la troisième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réplique que rien dans la requête ne fait mention d’une quelconque discrimination, contrairement à ce que les parties requérantes soutiennent dans leur réponse. En ce qui concerne le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les parties requérantes font dire à la Cour de justice ce qu’elle ne dit pas et tissent un lien trop indirect entre l’action du législateur régional et les normes du Traité. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale ne peut que relever que les parties requérantes ne contestent pas le fait que la directive 2014/23/UE a bien été transposée en droit belge, en l’occurrence par la loi du 17 juin 2016
« relative aux contrats de concession », et n’est donc pas applicable en l’espèce. Or, l’autorisation d’exploiter un service de taxis n’est pas une non plus une concession en vertu de cette loi.
A.3.5.3. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale renvoie, relativement au troisième moyen, exclusivement aux arguments déjà développés.
A.3.5.4. Le quatrième moyen fait tout d’abord l’objet d’une réplique du président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale sur sa recevabilité. Il note que les parties requérantes ne contestent pas l’exception prise au
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regard de l’article 23 de la Constitution. Ensuite, contrairement à ce qu’elles soutiennent, le moyen continue à être irrecevable en ce qui concerne les libertés invoquées car rien dans la requête ne mentionne une prétendue discrimination.
A.3.5.4.1. En ce qui concerne la première branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réitère la force du lien qui existe entre l’interdiction des clauses d’exclusivité et la mise à disposition au public. En effet, une telle mesure ne peut qu’augmenter la probabilité de mise en contact entre les véhicules disponibles et les usagers. Par conséquent, elle favorise la concurrence et l’innovation, à l’inverse d’un monde gelé par les clauses d’exclusivité, où le risque à prendre est plus grand. Ensuite, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que les réponses des parties requérantes sont confuses lorsqu’elles mettent avant la liberté en cas de non-interdiction et les conflits de loyauté en cas d’interdiction des clauses critiquées, ou lorsqu’elles soutiennent l’absence totale de concurrence en cas d’interdiction et la possibilité d’apparition d’un acteur hégémonique sans interdiction. C’est exactement contraire à la réalité.
A.3.5.4.2. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale renvoie, relativement à la deuxième branche, exclusivement aux arguments déjà développés.
A.3.5.4.3. En ce qui concerne la troisième branche, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale estime que la mesure attaquée ne remet pas en question ni n’empêche le respect de l’article 5.14
du Code civil et des articles VI.91/1 et suivants du Code de droit économique. À suivre les parties requérantes, les entités du pays ne pourraient jamais exercer leurs compétences correctement, puisque la seule incidence sur les relations contractuelles constituerait un empiètement. En tout état de cause, la liberté contractuelle n’est pas absolue et chacun des législateurs du Royaume a pu, dans l’exercice de ses compétences, y apporter des dérogations. Ce qui est paradoxal, selon le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, c’est que les parties requérantes citent le droit des contrats, alors qu’elles dénoncent un empiètement sur le droit commercial et des sociétés. Quand bien même un empiètement serait-il constaté, les conditions de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 sont respectées, comme il a déjà été démontré.
A.3.5.5. En ce qui concerne le cinquième moyen, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale doute du fait que d’autres mesures seraient aussi efficaces que la mesure attaquée. Mettre les données à la disposition des autorités est clairement insuffisant, de même que le tachygraphe numérique, qui ne traite pas toutes les données, peut être défectueux ou peut tout simplement, comme on l’a vu par le passé pour les poids lourds, ne jamais être activé. Ensuite, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale affirme qu’il n’est pas pertinent de soutenir que les exploitants et les chauffeurs mal intentionnés ne fourniront de toute façon pas les données. Les contrôleurs s’en rendront justement compte rapidement et aisément grâce au système actuel et pourront agir en conséquence. Quant à l’incompétence de la Région en matière pénale pour adopter les articles 35 à 38 de l’ordonnance du 9 juin 2022, il convient de pointer le caractère erroné de la réponse des parties requérantes, puisqu’il s’agit d’un principe même de la répartition des compétences. Enfin, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale relève que les articles 42 à 45 de l’ordonnance viennent précisément garantir que les données transmises soient collectées dans le respect des principes généraux en matière de protection des données et de la vie privée.
A.3.6.1.1. La première branche du premier moyen fait l’objet d’une réplique du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, qui rappelle tout d’abord que l’ordonnance du 9 juin 2022 n’interdit pas la cession des personnes morales elles-mêmes. Ensuite, en ce qui concerne le caractère intuitu personæ, il relève qu’il ne devrait pas faire de doute, étant donné que l’autorisation d’exploitation n’est délivrée qu’à ceux qui satisfont à des conditions indissociables de leur personne. Certes, on peut confier ce caractère à une personne morale, mais ce n’est pas un argument pour contester le choix du législateur ordonnanciel. De même, le Gouvernement ne remet pas en cause qu’il existe une responsabilité conjointe de la société et du titulaire de l’autorisation mais, à nouveau, elle n’est pas contradictoire avec le caractère intuitu personæ.
En réplique à l’hypothèse soulevée par les parties requérantes d’un gérant titulaire d’une autorisation quittant sa société, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale conteste la pertinence de l’argument, en dépit de sa véracité. Cela montre surtout les limites de la fiction juridique de la personne morale. Par ailleurs, les parties requérantes semblent confondre la titularité collective et la titularité par une personne morale, qui sont deux choses différentes.
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Enfin, si le transfert d’une exploitation à une personne morale est possible, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale note que la Région n’est pas compétente en la matière. Cette possibilité rend plus ardue d’ailleurs la tâche de contrôle des autorités, d’où la volonté de limiter le plus possible ces situations compliquées.
A.3.6.1.2. La deuxième branche du premier moyen fait l’objet d’une réplique du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, qui pointe tout d’abord le caractère erroné de l’affirmation qu’à la suite du départ du titulaire d’une autorisation de sa propre société, cette dernière ne vaudrait subitement plus rien. Au contraire, le plus souvent, tout le patrimoine se trouve dans la société, y compris les véhicules.
A.3.6.1.3. La première branche du premier moyen fait l’objet d’une réplique du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, qui fait part de son incompréhension quant au lien que les parties requérantes font entre les dispositions attaquées et l’union économique et monétaire. Cette incohérence doit être due, selon lui, au fait que le « cloisonnement territorial » allégué par les parties requérantes n’existe pas.
A.3.6.1.4. Enfin, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réplique à la quatrième branche du premier moyen. Il remarque que plusieurs articles du Code des sociétés et des associations et du Code de droit économique sont cités. Toutefois, l’ordonnance du 9 juin 2022 n’entre pas en contradiction avec le choix de créer ou non une entreprise qui, comme les parties requérantes le soulignent, peut prendre la forme d’une personne morale comme d’une personne physique. Le titulaire d’une autorisation de taxis peut en effet exercer sous ces deux formes. Enfin, en ce qui concerne l’analogie avec la profession d’avocat, la réponse des parties requérantes ne convainc pas. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale se réfère sur ce point aux développements apportés par le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale.
A.3.6.2.1. En ce qui concerne la première branche du deuxième moyen, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale renvoie aux arguments déjà soulevés.
A.3.6.2.2. En ce qui concerne la deuxième branche du deuxième moyen, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale souligne, à propos de la prétendue perte de qualité des demandes d’autorisations, qu’il n’en est rien. En effet, sous l’ordonnance du 27 avril 1995, les critères de qualité étaient définis par des arrêtés d’exécution.
Le nouveau régime a repris en grande partie ces exigences, qui figurent dans l’annexe 8 de l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 6 octobre 2022 « relatif aux services de taxis ». Les parties requérantes ne démontrent pas que la « qualité » des candidats était supérieure à ces exigences dans l’ancien régime. Par ailleurs, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale estime que, comme il n’y a plus de conditions d’intégration de considérations économiques, ni de conditions de qualité du service dans les demandes d’autorisation, il ne peut y avoir de différence de traitement telle qu’invoquée par les parties requérantes.
A.3.6.2.3. En ce qui concerne la troisième branche du deuxième moyen, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale entend répliquer à la condition de liberté de renoncer à tout moment à la fourniture des services, afin de justifier l’applicabilité de la directive 2014/23/UE. Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, la simple obligation de mise à la disposition du public ne suffit pas à conclure qu’elles seraient privées de cette liberté. Un tel argument n’est pas sérieux. Rien n’empêche au contraire les exploitants de taxis de renoncer à leur activité tout court. Par conséquent, les services de taxis ne sont pas des concessions de service public, peu importe leur valeur. Dès lors que ni la directive ni le règlement ne sont applicables, il ne convient pas de faire droit à la demande de question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.
A.3.6.3. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale continue à réfuter le troisième moyen et conteste avoir ajouté une condition au texte légal. L’article 5, § 2, de l’ordonnance du 9 juin 2022 impose, de manière générale, de ne délivrer d’autorisation qu’à des personnes physiques. Il constitue le principe général du nouveau régime, qui s’applique dès lors également à l’article 10, § 4, de l’ordonnance. La seule exception concerne les personnes morales ayant obtenu une autorisation avant l’entrée en vigueur de la nouvelle ordonnance. Il est clair que cette dérogation n’est pas amenée à s’appliquer aux nouveaux acteurs sur le marché. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient en substance que l’article 10, § 4, déroge au droit commun de l’ordonnance et doit faire l’objet d’une interprétation restrictive.
A.3.6.4. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute le quatrième moyen dans sa réplique, tant sur la recevabilité que sur le fond. Quant à l’intérêt des parties requérantes, il souligne que le fait que les parties requérantes estiment pouvoir être libres de décider si elles veulent contracter une clause d’exclusivité est
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étranger à la question de l’intérêt. De plus, la liberté alléguée est douteuse, dès lors qu’en pratique, de telles clauses sont des clauses types insérées dans des contrats d’adhésion. Ensuite, en ce qui concerne l’argument relatif à l’incidence sur la concurrence, le Gouvernement estime que les parties requérantes omettent trop facilement que l’affiliation n’est pas le seul coût facturé par les intermédiaires de réservation, puisqu’il existe aussi et surtout les commissions prélevées sur chaque course.
A.3.6.4.1. En ce qui concerne la première branche du quatrième moyen, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réplique aux parties requérantes que les taxis de station sont également privés de la possibilité de conclure une clause d’exclusivité; ils ne sont donc pas traités de façon différente que les taxis de rue et le fait qu’ils puissent prendre une course sans réservation n’y change rien. Par ailleurs, le Gouvernement rappelle le risque de déconnexion unilatérale. Celle-ci n’est pas hypothétique, puisqu’elle a eu lieu en novembre 2021, lorsque Uber a subitement déconnecté 2 000 chauffeurs, les privant de revenus du jour au lendemain. Certes, il est possible de s’affilier à un autre intermédiaire pour faire face à une telle situation. Toutefois, ce changement a un coût et il faut le temps de s’habituer à d’autres conditions de travail. Si Uber était à l’époque illégal, il ne l’est désormais plus et les blocages intempestifs n’ont pas cessé pour autant. Par ailleurs, Uber domine toujours largement le marché, ce qui constitue une raison de plus d’interdire les clauses d’exclusivité.
A.3.6.4.2. En ce qui concerne la deuxième branche du quatrième moyen, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale n’est pas convaincu par l’argument qui consiste à soutenir que l’interdiction des clauses d’exclusivité a pour effet de limiter la libre concurrence et la liberté d’entreprendre. Par essence, l’effet est strictement inverse. En tout état de cause, cette limitation n’est pas prouvée. Par ailleurs, le Gouvernement réfute l’argument de la « fidélité à un intermédiaire », qui s’oppose précisément à l’objectif de la concurrence. De même, l’indissociabilité postulée entre le chauffeur et l’intermédiaire de réservation est contradictoire avec la tentative des parties requérantes de relativiser, dans le même mémoire, l’effet des déconnexions unilatérales. La fidélisation en pratique, selon le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, repose sur la qualité de la plateforme, le temps d’attente et la ponctualité, ainsi que la qualité du service fourni par un chauffeur. Aucun de ces points ne nécessite une clause d’exclusivité.
A.3.6.4.3. En ce qui concerne la troisième branche du quatrième moyen, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale conteste que la disposition attaquée constitue une immixtion dans les principes du droit de la concurrence : elle constitue au contraire une modalité d’exercice de la profession d’intermédiaire de réservation.
A.3.6.5.1. En ce qui concerne la première branche du cinquième moyen, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale souligne tout d’abord que la modification apportée à l’ordonnance par le législateur bruxellois en réaction à l’avis de l’Autorité de protection des données n’est pas anecdotique. Le transfert n’est pas fait en temps réel mais les informations sont transmises sur un serveur informatique auquel l’administration ne peut accéder que dans les limites strictes fixées par l’article 43, § 8, de l’ordonnance du 9 juin 2022. La transmission quasi instantanée n’est pas disproportionnée vu l’omniprésence du numérique dans la vie moderne et dans le secteur des taxis. Il va de soi qu’il existera toujours des personnes mal intentionnées, mais cela ne suffit pas, selon le Gouvernement, à remettre en cause le nouveau système.
A.3.6.5.2. En ce qui concerne la deuxième branche du cinquième moyen, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale signale qu’aucun système n’a jamais rendu les fraudes et les lacunes impossibles mais le système actuel les repère plus efficacement. Par ailleurs, il pointe le fait que l’Autorité de protection des données n’a pas porté de critique sur le recoupement de données.
A.3.6.5.3. En ce qui concerne la troisième branche du cinquième moyen, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale répond à la critique sur le choix lexical en précisant qu’une base de données est un simple fichier dans lequel sont compilées les informations (par exemple un fichier Excel), tandis qu’un fichier informatique est une architecture numérique plus complexe. Celui-ci est plus protecteur, puisqu’il permet de mettre en place des barrières à l’accès et d’éviter le risque de fuite et de vol. En réponse à l’argument sur le stockage, le Gouvernement relève qu’il est nécessaire si l’on veut que le système fonctionne. Quant à l’énumération des données visées, elle n’est pas « particulièrement vaste » mais elle est limitée aux données strictement indispensables.
A.3.6.5.4. En ce qui concerne le maintien des effets, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale estime que, même dans les cas où l’arrêt serait « auto-suffisant », il serait néanmoins nécessaire au législateur d’examiner les conséquences de l’arrêt et d’y répondre sur le plan législatif. Par ailleurs, le Gouvernement
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n’aperçoit pas comment il pourrait lancer des appels d’offre sans disposition ad hoc. Enfin, l’insécurité juridique ne peut faire de doute.
Quant à l’affaire n° 7914
A.4.1. La partie requérante dans l’affaire n° 7914 est la société anonyme « Taxi Radio Bruxellois », qui est connue sous le nom commercial de « Taxis Verts ». Selon son objet social, elle est une entreprise de gestion et d’exploitation de tous les services en moyens de télécommunication fixes ou mobiles au bénéfice d’entreprises de transport de personne et répond donc à la définition d’intermédiaire de réservation aux termes de l’ordonnance du 9 juin 2022. Les dispositions dont elle demande l’annulation affectent directement et défavorablement sa situation, puisqu’elles lui interdisent de prévoir une clause d’exclusivité et lui imposent de lourdes obligations de communication et de traitement de données. La partie requérante estime donc avoir intérêt au recours.
A.4.1.1. La partie requérante prend un premier moyen de la violation, par l’article 30, alinéa 1er, 4°, f), de l’ordonnance du 9 juin 2022, des articles 10, 11, 22 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 16
de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec l’article 4, paragraphe 3, du Traité sur l’Union européenne et avec les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Est également soulevée l’incompétence de la Région de Bruxelles-Capitale au regard de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, et X, 8°, et de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980. Le premier moyen vise l’interdiction des clauses d’exclusivité et l’interdiction d’imposer des surcoûts aux exploitants qui sont affiliés à plusieurs intermédiaires de réservation.
A.4.1.1.1. Dans une première branche, la partie requérante dénonce l’ingérence injustifiée dans la liberté de commerce et d’industrie et la liberté contractuelle. Selon elle, l’autorité publique s’immisce dans la manière dont les intermédiaires de réservation mènent leurs activités économiques et réglemente une relation de droit privé entre deux opérateurs économiques privés. Les travaux préparatoires font état de plusieurs objectifs aux mesures attaquées.
Premièrement, il s’agit de permettre aux véhicules d’être mis autant que possible à la disposition du public.
La partie requérante n’aperçoit pas le lien entre l’interdiction de la relation exclusive entre deux opérateurs économiques et cet objectif, d’autant qu’aucune explication n’est apportée. Ceci est d’autant plus incompréhensible que les exploitants ne sont pas obligés de recourir aux services d’un intermédiaire de réservation.
Par ailleurs, la disponibilité est déjà garantie par les articles 6, § 4, et 26, § 1er, de l’ordonnance du 9 juin 2022.
Par conséquent, les mesures ne sont pas nécessaires au but poursuivi et créent même l’effet inverse à celui escompté. En effet, sans exclusivité, les forfaits fixés par les autorités publiques pour les sous-catégories de taxis, comme les PMR et « Zéro-émission », sont rendus indisponibles dans les faits, puisque les chauffeurs choisiront les intermédiaires de réservation qui offrent les courses les plus avantageuses. Cela crée une situation où la mise à disposition des véhicules ne serait plus garantie pendant certaines périodes ou pour certains types de courses qui ne sont pas assez avantageuses financièrement pour les chauffeurs.
Deuxièmement, le législateur ordonnanciel entend éviter que certains exploitants soient « captifs » d’un intermédiaire de réservation. La partie requérante estime que ce motif est fantaisiste pour justifier une ingérence d’une telle importance. Les clauses d’exclusivité existent dans d’autres secteurs économiques sans que cela pose problème. Il s’agit, ici, d’une simple question de liberté contractuelle et rien ne démontre que les exploitants nécessitent un régime de protection particulier.
Troisièmement, les mesures visent à garantir l’indépendance des exploitants. La partie requérante soutient que les exploitants sont des entrepreneurs indépendants et que cette indépendance ne pourrait être remise en cause par la simple existence d’une clause d’exclusivité.
Quatrièmement, la volonté était de prévenir la survenance de situations de monopole. Selon la partie requérante, ceci est contredit par la situation concurrentielle qui existe sur le marché bruxellois et qui préexistait à l’interdiction qui fait grief. Au contraire, la partie requérante estime que les mesures auront un effet néfaste sur la concurrence. En effet, si les exploitants sont affiliés à tous les intermédiaires de réservation, ceux-ci n’auront plus de possibilité ou de volonté de se démarquer, ce qui risque de neutraliser la concurrence au lieu de la stimuler.
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A.4.1.1.2. Dans une deuxième branche, la partie requérante soutient que les mesures attaquées sont incompatibles avec le principe de libre concurrence consacré par les instruments de droit européen visés au moyen et cite, à ce propos, l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, rendu en grande chambre le 5 décembre 2006, en cause de Federico Cipolla e.a. (C-94/04 et C-202/04, ECLI:EU:C:2006:758), d’après lequel les États membres ne peuvent maintenir en vigueur des mesures susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises. Or, en l’espèce, l’ordonnance du 9 juin 2022 risque d’entraîner une neutralisation pure et simple de la concurrence sur le marché des intermédiaires de réservation, comme exposé à la branche précédente. À ceci s’ajoutent le risque de ne plus pouvoir se démarquer et donc le risque d’organisation de mécanismes d’ententes et d’abus de position dominante.
A.4.1.1.3. Enfin, dans une troisième branche, la partie requérante conteste la compétence de la Région de Bruxelles-Capitale. Aux termes de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, de la loi spéciale du 8 août 1980, le législateur fédéral est compétent pour le droit commercial et le droit des sociétés. En interdisant les clauses d’exclusivité, la Région empiète sur ces matières. Quand bien même voudrait-on recourir aux pouvoirs implicites, les conditions pour ce faire ne sont pas remplies, les mesures n’étant ni nécessaires ni marginales et ne requérant pas un régime différencié.
A.4.1.2. La partie requérante prend un second moyen de la violation, par les articles 30, alinéa 1er, 4°, et 42
à 45 de l’ordonnance du 9 juin 2022, de l’article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec les articles 7, 8 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec l’article 16 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et avec les articles 5 et 6 du RGPD. Le second moyen vise l’obligation de communication systématique de toute une série de données à caractère personnel, ainsi que la création d’une base de données informatisée au sein de l’administration.
La partie requérante soutient que la mesure va au-delà de ce qui est nécessaire et porte atteinte au droit à la protection des données et donc, a fortiori, au droit à la vie privée. À cet égard, il est particulièrement non pertinent de prévoir un double système de communication des données à la fois chez les exploitants et chez les intermédiaires de réservation. Ceci augmente le risque de fuite et est trop contraignant, d’autant qu’il existe d’autres solutions, prônées par l’Autorité de protection des données. Enfin, la partie requérante fait valoir que les données demandées violent le secret des affaires, notamment ce qui touche aux prix.
A.4.2.1. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute le premier moyen en renvoyant à l’argumentaire développé dans l’affaire n° 7911 en ce qui concerne le quatrième moyen. Il ajoute toutefois que la partie requérante critique en réalité l’article 31, §§ 1er et 2, de l’ordonnance du 9 juin 2022 et sa mise en œuvre en ce qui concerne l’habilitation faite au Gouvernement de fixer les tarifs qui ne tiendraient pas compte des contrats de partenariat des intermédiaires de réservation. Ce grief est irrecevable car il n’est pas visé par le moyen, il porte sur la mise en œuvre d’une habilitation et il ne pointe aucune différence de traitement.
A.4.2.2. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute le second moyen en renvoyant à l’argumentaire développé dans l’affaire n° 7911 en ce qui concerne les deuxième et troisième branches du cinquième moyen. Par ailleurs, le second moyen est irrecevable en ce que la partie requérante invoque encore davantage de normes violées sans expliquer ou préciser en quoi celles-ci le seraient.
A.4.3.1. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale conteste toute ingérence dans la liberté de commerce et d’industrie, dénoncée dans le premier moyen. Il existe en effet un double lien entre l’interdiction d’exclusivité et la disponibilité des véhicules. D’une part, si l’exclusivité est maintenue, l’offre sera inévitablement fragmentée, ce qui obligera l’usager à multiplier les applications de réservation, ce qui est l’inverse de ce que souhaite le législateur ordonnanciel. D’autre part, la mesure vise à éviter l’exclusion unilatérale de l’exploitant en cas de refus de l’exclusivité. Tout ceci est encore plus important pour les taxis de rue qui ne peuvent travailler que sur réservation et est a fortiori encore plus important pour le public. Le fait que les taxis de station ne sont pas obligés de recourir aux services d’un intermédiaire de réservation n’y change rien.
Par ailleurs, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale ne comprend pas l’argument de la partie requérante quant au risque de courses indisponibles en raison de prix contractuels, qui est pour le moins confus. Il n’en ressort qu’un enseignement, c’est que la partie requérante tente de défendre un système pouvant rendre les
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exploitants captifs d’un intermédiaire et violer les principes de la libre concurrence dont la partie requérante se fait pourtant la championne. Contrairement à ce que soutient la partie requérante, les exploitants de taxis ne sont pas des entreprises comme les autres, puisqu’on leur confie des missions d’intérêt public. La crainte d’abus de position dominante est fondée, au vu du passé en la matière. À cet égard, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale n’arrive pas à saisir l’argument selon lequel l’absence de clauses d’exclusivité « neutraliserait »
la concurrence. Au contraire, tout tend à l’effet inverse. En réalité, l’argument revient à justifier une violation de la norme invoquée, puisqu’il est prétendu que l’exclusion des clauses d’exclusivité mènera à des ententes prohibées.
A.4.3.2. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale réfute le second moyen, pour des raisons similaires à celles qui ont été développées dans l’affaire n° 7911, à laquelle il renvoie. Au surplus, il signale que l’Autorité de protection des données n’a jamais critiqué le « double » système de communication. Au contraire, ce système limite les risques de fraude et n’est valable que pour certaines données énumérées. Il n’y a pas plus de violation du secret des affaires ou de la vie privée, puisque les dispositions attaquées sont nécessaires pour garantir l’effectivité du contrôle du respect des obligations légales.
A.4.3.3. Enfin, à titre subsidiaire, à supposer que la Cour annule les dispositions attaquées en tout ou en partie, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale demande le maintien des effets des normes annulées durant une période de neuf mois afin de laisser un délai raisonnable au législateur ordonnanciel pour remédier aux inconstitutionnalités constatées. Cela permettra d’assurer la sécurité juridique dans un secteur qui en a amplement besoin ainsi que de prévenir les effets négatifs disproportionnés sur celui-ci.
A.4.4. En ce qui concerne la recevabilité du recours, la partie requérante répond, relativement à l’article 22
de la Constitution, que les développements en rapport avec la violation de la liberté de commerce, de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle sont transposables. Il existe en effet un lien indiscutable entre ces libertés et le droit à la vie privée. Pour les dispositions des traités européens, la critique doit être rejetée, puisque la partie requérante a déjà amplement développé le point dans sa requête. Il existe en effet un risque de neutralisation de la concurrence entre intermédiaires de réservation. En outre, en ce qui concerne la liberté contractuelle, de commerce et d’entreprendre, la partie requérante affirme qu’il est évident que, dans le moyen, ces libertés sont lues en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Enfin, en ce qui concerne l’article 31, §§ 1er et 2, de l’ordonnance du 9 juin 2022, la partie requérante fait valoir que, contrairement à ce que soutient le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, il ne s’agit pas de critiquer la faculté de fixer les tarifs, mais de confirmer que l’interdiction des clauses d’exclusivité risque de rendre indisponibles au public certaines courses dont les prix sont fixés contractuellement.
A.4.4.1.1. Sur le fond, en ce qui concerne la première branche du premier moyen, la partie requérante soutient que tout l’argumentaire des parties adverses part du postulat selon lequel l’interdiction des clauses d’exclusivité favoriserait la mise des taxis à la disposition du public. Cette position de principe n’est pas vérifiée et, au demeurant, est erronée. Il n’existe aucune démonstration de ce lien dans les travaux préparatoires. Pour la partie requérante, l’argument est en réalité de pure forme et circulaire. Ce n’est pas parce qu’un client pourrait avoir accès à l’ensemble des taxis par l’entremise d’un seul intermédiaire de réservation qu’il lui serait plus aisé d’obtenir l’accès à un véhicule. Par ailleurs, aucun exploitant n’est « captif », puisqu’il peut toujours changer d’intermédiaire. Selon la partie requérante, l’affiliation à plusieurs intermédiaires de réservation relève d’une logique « mercenariale ». Enfin, elle réitère le fait que la mesure a l’effet inverse de celui escompté et renvoie, sur ce point, à sa requête.
Ensuite, la partie requérante répond à l’argument du prix des courses que le Gouvernement ne comprend pas.
La combinaison de l’interdiction des clauses d’exclusivité et des tarifs fixés risque d’empêcher les intermédiaires de réservation de remplir leurs obligations contractuelles, à défaut de trouver des chauffeurs pour effectuer certaines courses. Cela mène à une situation où la disponibilité des véhicules au public ne serait plus garantie pendant certaines périodes. Selon la partie requérante, il faut constater que cet effet est pour le moins contre-
productif.
A.4.4.1.2. En ce qui concerne la deuxième branche du premier moyen, la partie requérante affirme tout d’abord que ce qui compte, lorsque l’on vise la concurrence, est l’effet de la mesure et non son objet, conformément
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à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. C’est ce que la partie requérante a développé dans sa requête en visant l’effet pervers de la mesure attaquée. Les clauses d’exclusivité permettent de dynamiser la concurrence, à l’inverse de leur interdiction, qui paralyse le marché et le lisse. Tous seront amenés à proposer les mêmes prix et les mêmes services. Pire, la situation pourrait favoriser la création d’ententes ou de positions dominantes. Si le doute subsistait encore, la partie requérante demande à la Cour de poser la question suivante à la Cour de justice de l’Union européenne :
« Les articles 101 et 102 du TFUE, lus en combinaison avec l’article 4, § 3 du TFUE, sont-ils compatibles avec la législation nationale en cause qui interdit les clauses d’exclusivité entre les intermédiaires de réservation et les exploitants de taxis dès lors qu’elle est susceptible de neutraliser la concurrence sur le marché des intermédiaires de réservation, de favoriser les comportements anti-concurrentiels dans le chef de ceux-ci et donc d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence applicables à ces entreprises ? ».
A.4.4.2. La partie requérante répond aux arguments des parties adverses sur le second moyen, tant sur la recevabilité que sur le fond. Au niveau de la recevabilité, celle-ci ne fait selon elle aucun doute, en vertu de la jurisprudence européenne, pour laquelle il est renvoyé aux développements précédents. Les dispositions de droit européen visées au moyen garantissent le droit à la vie privée et familiale, le droit à la protection des données à caractère personnel et le principe de proportionnalité.
Sur le fond, la partie requérante renvoie pour le principal aux arguments développés dans la requête. Au surplus, elle estime qu’on ne peut pas tirer d’argument du silence de l’Autorité de protection des données sur le double système de communication, lequel n’a pas été validé pour autant. Ensuite, que l’on soit face à un système informatique ou à une base de données, la critique de l’Autorité de protection des données portait sur le caractère intrusif de la collecte de données et n’a pas été apaisée par le seul remplacement des mots « tous [les] types de données » par les mots « les données visées à l’article 43, § 1er ». Enfin, la partie requérante affirme que le seul fait que le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale intervient dans les tarifs ne peut justifier la communication organisée et systématique de ces données, qui relèvent du secret des affaires, argument auquel ne répond d’ailleurs pas le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale.
A.4.5.1. En ce qui concerne le premier moyen, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale constate que la partie requérante fait état d’un « lien indiscutable » sans expliquer en quoi il le serait. La combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, censée être évidente, n’est pourtant pas manifeste dans la requête. Quant à la question préjudicielle demandée à la Cour de justice de l’Union européenne, elle se fonde sur le postulat précisément contesté de l’atteinte à la concurrence et est au demeurant trop vague; elle doit donc être écartée.
A.4.5.2. En ce qui concerne le second moyen, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale maintient qu’il est irrecevable au regard du droit européen. Il ne suffit pas d’invoquer une atteinte à la vie privée :
encore faut-il démontrer que l’ordonnance du 9 juin 2022 entre dans le champ d’application du droit de l’Union européenne, ce qui n’est pas le cas ici.
A.4.5.3. Enfin, le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale réitère sa demande de maintien des effets en rappelant que l’ordonnance du 9 juin 2022 a été adoptée après de longs débats et à la suite de nombreux blocages et manifestations. Il s’agit d’un équilibre difficile à conserver. Dès lors, une annulation viendrait bousculer cet équilibre précaire et risque de réactiver les tensions. Le délai proposé de neuf mois est en cela raisonnable et approprié.
A.4.6.1. En ce qui concerne le premier moyen, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale estime que les effets délétères d’une position dominante ne sont pas hypothétiques. Il rappelle l’épisode de la société Uber qui, le 26 novembre 2021 à 18 heures, a déconnecté 2 000 chauffeurs de sa plateforme. Cet épisode n’est que le plus spectaculaire d’une série d’autres et c’est précisément ce que veut prévenir l’interdiction des clauses d’exclusivité. Ensuite, la mise à disposition au public est, selon le Gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale, une problématique générale, à évaluer par rapport à l’ensemble de la flotte de véhicules et non pas à l’échelle individuelle comme la partie requérante le soutient. Quant à l’argument de l’esprit « mercenarial », il n’est pas sérieux. Recourir aux services de plusieurs intermédiaires de réservation est une manière plus sérieuse de garantir la liberté contractuelle et la libre concurrence que le système d’exclusivité vanté par la partie requérante, qui renforce les positions dominantes. Enfin, le Gouvernement ne comprend pas en quoi des prix contractuels
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auraient une incidence. L’exploitant effectue une course en toute hypothèse; la seule chose qui change est l’intermédiaire.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale s’oppose à ce que soit posée la question préjudicielle suggérée à la Cour de justice de l’Union européenne, puisqu’elle part du présupposé, erroné, de l’atteinte à la concurrence et que son utilité n’est pas démontrée.
A.4.6.2. En ce qui concerne le second moyen, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale reconnaît qu’il ne ressort pas du silence de l’Autorité de protection des données qu’elle valide un système. Néanmoins, ce silence met tout de même en perspective la pertinence de la critique de la partie requérante. Le Gouvernement rappelle également la différence entre base de données et système informatique, déjà développé. Contrairement à ce que soutient la partie requérante, les données ne sont donc pas toutes accessibles à tout moment.
A.4.6.3. Enfin, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale prend note que la partie requérante reste muette sur le maintien des effets des normes éventuellement annulées et doit donc être considérée comme ne s’y opposant pas.
-B-
Quant à l’ordonnance attaquée et à son contexte
B.1.1. Les quatre recours en annulation joints portent sur l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 9 juin 2022 « relative aux services de taxis » (ci-après : l’ordonnance du 9 juin 2022). Celle-ci opère une réforme importante des services de transport individuel de personnes en créant un secteur unifié des taxis.
B.1.2. L’ordonnance du 9 juin 2022 est le résultat d’une longue réflexion relative à la réforme du secteur des taxis depuis l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 27 avril 1995 « relative aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur »
(ci-après : l’ordonnance du 27 avril 1995). Elle vise à réformer le secteur à la lumière des nouvelles technologies et à concilier les besoins actuels en matière de transport et les intérêts en cause (des usagers, entreprises de taxis, chauffeurs de taxis et intermédiaires de réservation)
(Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/1, pp. 1-2).
B.1.3. L’ordonnance du 9 juin 2022 est entrée en vigueur le 22 octobre 2022.
B.1.4. Les recours joints portent sur les articles 2, alinéa 1er, 8°, 3, 1°, alinéa 2, b), et 5°, 4, § 5, 5, §§ 1er, 2 et 3, 6, § 3 et § 4, 2°, 7, 10, §§ 2 à 5, 26, §§ 1er et 2, 27, alinéa 1er, 3°, 30,
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36, 37, 42, 43, 44, 45, 47, §§ 1er et 3, et 48 de l’ordonnance. La Cour examine ces dispositions dans le cadre de chaque affaire et moyen invoqué.
B.1.5. L’article 2, qui fixe les définitions applicables à l’ordonnance, dispose :
« Dans la présente ordonnance, on entend par :
1° service de taxis : sous réserve de l’alinéa 2, tout service de transport de personnes qui réunit les conditions suivantes :
a) la course est effectuée au moyen d’un véhicule automoteur capable de transporter au maximum neuf personnes, chauffeur compris;
b) le véhicule est conduit par un chauffeur;
c) la destination de la course est fixée par l’usager ou le client;
d) le prix payé pour la course est supérieur aux coûts de celle-ci;
e) le point de départ de la course se situe sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.
En dérogation à l’alinéa 1er, sont exclus de cette définition les services de transport de personne qui relèvent des compétences visées à l’article 138 de la Constitution;
2° service de taxis cérémoniels : un service de taxis presté, sur réservation, dans le cadre d’une cérémonie dont le Gouvernement arrête la liste;
3° course : trajet effectué par un véhicule affecté à un service de taxis entre l’endroit où
l’usager monte à bord de ce véhicule (point de départ de la course) et l’endroit où l’usager en descend (point d’arrivée de la course);
4° chauffeur : personne physique qui conduit un taxi de station, de rue ou de cérémonie dans le cadre de la prestation d’un service de taxis;
5° usager : la personne physique qui fait usage du service de taxis;
6° client : la personne, physique ou morale, qui contracte avec l’exploitant du service de taxis;
7° prix : la contre-prestation en argent que l’exploitant d’un service de taxis perçoit pour le service de taxis qu’il preste;
8° exploitant : la personne physique titulaire de l’autorisation d’exploiter visée à l’article 5, § 2, et, conjointement, le cas échéant, la personne morale visée à l’article 5, § 3;
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9° taxi de station : véhicule affecté à un service de taxis qui répond aux exigences d’identité visuelle fixées par le Gouvernement en exécution de l’article 29, § 1er, 2°, à l’exception des taxis de cérémonie;
10° taxi de rue : véhicule affecté à un service de taxis qui ne répond pas aux exigences d’identité visuelle fixées par le Gouvernement en exécution de l’article 29, § 1er, 2°, à l’exception des taxis de cérémonie;
11° taxi de cérémonie : véhicule affecté à un service de taxis cérémoniel;
12° intermédiaire de réservation : toute personne, physique ou morale, qui, de quelque façon que ce soit, intervient contre rémunération dans la mise à disposition sur le marché de services de taxis, assure la promotion des services de taxis sur le marché ou offre des services permettant aux exploitants et aux clients et usagers d’entrer en contact;
13° Administration : la subdivision du Service public régional de Bruxelles définie par le Gouvernement;
14° ordonnance de 1995 : l’ordonnance du 27 avril 1995 relative aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur;
15° loi de 1974 : la loi du 27 décembre 1974 relative aux services de taxis;
16° décret flamand de 2019 : le décret flamand du 29 mars 2019 relatif au transport particulier rémunéré;
17° décret flamand de 2001 : le décret flamand du 20 avril 2001 relatif à l’organisation du transport de personnes par la route;
18° décret wallon de 2007 : le décret wallon du 18 octobre 2007 relatif aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur;
19° Code de la route : arrêté royal du 1er décembre 1975 portant règlement général sur la police de la circulation routière et de l’usage de la voie publique;
20° jour ouvrable : chaque jour, à l’exception des samedis, dimanches et jours fériés légaux ».
Quant à la recevabilité des recours
B.2.1. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale conteste l’intérêt des parties requérantes dans les affaires nos 7905 et 7910.
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B.2.2. Les deuxième, cinquième, sixième et huitième parties requérantes dans l’affaire n° 7905 sont des personnes physiques qui disposaient toutes d’une autorisation d’exploiter un service de location de voiture avec chauffeur (ci-après : LVC) avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 juin 2022. En vertu de cette dernière, elles peuvent désormais, notamment, demander l’octroi d’une autorisation d’exploiter un service de « taxi de rue ». Ces parties requérantes justifient de l’intérêt requis pour demander l’annulation de dispositions qui règlent l’accès à l’activité économique dans laquelle elles sont actives et les conditions pour l’exercice des services effectués. Le fait que le nouveau régime qui leur est applicable peut, dans certains aspects, constituer une amélioration de leurs conditions de travail ne modifie pas ce constat.
Leur recours étant recevable, il n’y a pas lieu d’examiner si tel est également le cas pour les autres parties requérantes dans l’affaire n° 7905.
B.2.3. La partie requérante dans l’affaire n° 7910 exploite un service de taxis en disposant d’une autorisation délivrée par la Région flamande et peut donc effectuer des courses sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, pour autant qu’elle respecte les conditions prévues à l’article 3, 1°, de l’ordonnance du 9 juin 2022. Elle dispose d’un intérêt au recours.
B.2.4. L’exception est rejetée.
Quant au fond
En ce qui concerne l’affaire n° 7905
B.3.1. Les parties requérantes demandent l’annulation des articles 3, 5°, 4, § 5, 5, §§ 2 et 3, 6, § 4, 2°, 10, §§ 2 à 5, 26, § 1er, 47, §§ 1er et 3, et 48 de l’ordonnance du 9 juin 2022.
B.3.2. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7905 étaient toutes actives comme exploitants de services de LVC au sens de l’ordonnance du 27 avril 1995. Cette dernière établissait, en ce qui concerne le transport de personnes à Bruxelles, une distinction entre, d’une part, les services de taxis et, d’autre part, les services de LVC, soumis à un régime juridique distinct. L’article 2, 2°, de l’ordonnance du 27 avril 1995 définissait les services de LVC
comme « tous services de transport rémunéré de personnes par véhicules automobiles qui ne
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sont pas des services de taxis et qui sont assurés au moyen de véhicules de type voiture, voiture mixte ou minibus, à l’exception des véhicules aménagés en ambulance ».
L’exploitation de services de LVC sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale était soumise à autorisation du Gouvernement (article 16 de l’ordonnance du 27 avril 1995) et à des conditions fixées par le Gouvernement et consacrant au moins l’application des principes énumérés dans l’article 17 de l’ordonnance du 27 avril 1995, « qui devront impérativement être [repris] afin d’assurer la spécificité des services de location de voitures avec chauffeur par rapport aux services de taxis », les services de location de voitures avec chauffeur « répondant au besoin particulier du transport rémunéré de personnes en catégorie de ‘ luxe ’ » (Doc. parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1994-1995, A-368/1, p. 21).
L’autorisation était délivrée après une enquête portant sur les garanties morales, la qualification professionnelle et la solvabilité du requérant ainsi que sur la qualité des véhicules (article 19), à toute personne physique ou morale qui en faisait la demande, sans limitation du nombre total d’autorisations d’exploiter un service de location de voitures qui avaient été délivrées (article 18), pour autant qu’elle fût propriétaire du ou des véhicules, ou en eût la disposition en vertu d’un contrat de vente à tempérament, d’un contrat de location-financement ou d’un contrat de location-vente (article 21, alinéa 1er).
L’autorisation d’exploiter un service de LVC était personnelle, indivisible et incessible (article 23) et elle donnait lieu à la perception d’une taxe annuelle et indivisible à charge de la personne physique ou morale bénéficiant de l’autorisation (article 26).
L’autorisation était valable pour une durée de cinq ans et était renouvelable pour une même durée ou une durée inférieure (article 20, § 1er). L’autorisation pouvait être retirée ou suspendue en cas de manquements aux obligations d’exploitation (article 25).
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Le nombre d’autorisations d’exploiter des services de LVC n’était pas limité, à la différence des autorisations d’exploiter des services de taxis, qui étaient limitées, conformément à l’article 5 de l’ordonnance du 27 avril 1995.
Les services de LVC et les services de taxis étaient soumis à des dispositions communes (articles 28 à 34).
B.3.3. La volonté du législateur ordonnanciel de réformer les services de LVC fait suite à une période d’insécurité juridique qui tenait à la condition selon laquelle le véhicule ne pouvait « pas être équipé d’un appareil émetteur ou récepteur de radiocommunication au sens de l’article 1er, 4°, de la loi du 30 juillet 1979 relative aux radiocommunications » (article 17, § 1er, 9°, de l’ordonnance du 27 avril 1995). La Cour d’appel de Bruxelles avait notamment jugé, dans un arrêt du 15 janvier 2021, que l’utilisation des contrats dans le cadre desquels les titulaires d’une autorisation LVC pouvaient offrir des services de transport via la plateforme électronique UberX constituait une fraude à la loi.
B.3.4. L’ordonnance du 9 juin 2022 entend répondre à l’incertitude pointée en B.3.3 et à la problématique des contours « flous » de la notion de service de LVC depuis l’origine, ainsi que lutter contre la « réalité des services de taxis déguisés ». La réforme supprime dès lors la notion de location de véhicule avec chauffeur et consacre l’existence d’un secteur du taxi « unifié », dans lequel coexistent trois catégories de véhicules de taxis : les taxis de station, les taxis de rue et les taxis de cérémonie.
B.3.5. Concrètement, au moment de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 juin 2022, les titulaires d’une autorisation d’exploiter un service de LVC doivent faire un choix, conformément à l’article 48 de l’ordonnance précitée. Soit ces titulaires sollicitent une autorisation d’exploiter un service de « taxis de rue » en en faisant la demande à l’administration bruxelloise dans les trois mois de l’entrée en vigueur de l’ordonnance. Soit, en cas d’inaction, ces titulaires restent soumis au régime de l’ordonnance de 1995 jusqu’à l’échéance de leur autorisation, qui ne sera pas renouvelée, d’exploiter un service de LVC.
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Moyen unique
B.4. Les parties requérantes prennent un moyen unique de la violation, par les articles 3, 5°, 4, § 5, 5, §§ 2 et 3, 6, § 4, 2°, 10, §§ 2 à 5, 26, § 1er, 47, §§ 1er et 3, et 48 de l’ordonnance du 9 juin 2022, des articles 10, 11 et 23 de la Constitution et de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980), lus en combinaison avec la liberté de commerce et d’industrie, avec le principe de la libre prestation des services, avec la liberté d’entreprendre, avec les articles II.3, II.4 et III.13
du Code de droit économique, avec l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec le principe de sécurité juridique, avec le principe de confiance légitime et avec l’obligation de standstill.
B.5.1. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que le moyen unique doit être déclaré partiellement irrecevable en ce qu’il est pris de la violation de l’article 23 de la Constitution, ainsi que de la lecture combinée des articles 10 et 11 de la Constitution avec l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, avec la liberté de commerce et d’industrie, avec le principe de la libre prestation des services, avec la liberté d’entreprendre, avec les articles II.3, II.4 et III.13 du Code de droit économique et avec l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, les parties requérantes n’exposeraient pas précisément en quoi ces dispositions seraient violées.
B.5.2. Contrairement à ce que fait valoir le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, il peut être déduit de la requête en quoi la liberté d’entreprendre, garantie par les dispositions visées en B.5.1, serait méconnue dans le cadre des discriminations invoquées par les parties requérantes. Il en va de même en ce qui concerne l’article 23 de la Constitution, puisque les parties requérantes font valoir une restriction au principe du libre choix d’une activité professionnelle, lequel est consacré par son alinéa 3, 1°, indépendamment de la liberté de commerce et d’industrie ou de la liberté d’entreprendre. Le moyen unique est dès lors recevable dans son intégralité.
B.5.3. L’exception est rejetée.
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B.6.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.6.2. L’article 23 de la Constitution dispose :
« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
À cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
Ces droits comprennent notamment :
1° le droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle dans le cadre d’une politique générale de l’emploi, visant entre autres à assurer un niveau d’emploi aussi stable et élevé que possible, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, ainsi que le droit d’information, de consultation et de négociation collective;
[...] ».
B.6.3. L’article 23, alinéa 1er, de la Constitution dispose que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine et l’alinéa 3, 1°, inscrit parmi les droits économiques, sociaux et culturels « le droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle ». Cette disposition ne précise pas ce qu’impliquent ces droits, dont seul le principe est exprimé, étant donné que chaque législateur est chargé de garantir ces droits, conformément à l’article 23, alinéa 2, « en tenant compte des obligations correspondantes ». Le législateur compétent peut donc imposer des limites au droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle. Ces restrictions ne seraient inconstitutionnelles que si le législateur réduisait significativement, sans justification raisonnable, le degré de protection offert par la législation applicable.
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B.6.4. L’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose que les régions exercent leurs compétences « dans le respect des principes de la libre circulation des personnes, biens, services et capitaux et de la liberté de commerce et d’industrie, ainsi que dans le respect du cadre normatif général de l’union économique et de l’unité monétaire, tel qu’il est établi par ou en vertu de la loi, et par ou en vertu des traités internationaux ».
B.6.5. La liberté d’entreprendre, visée par l’article II.3 du Code de droit économique, doit s’exercer « dans le respect des traités internationaux en vigueur en Belgique, du cadre normatif général de l’union économique et de l’unité monétaire tel qu’établi par ou en vertu des traités internationaux et de la loi » (article II.4 du même Code).
La liberté d’entreprendre doit par conséquent être lue en combinaison avec les dispositions de droit de l’Union européenne applicables, ainsi qu’avec l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, au regard duquel la Cour peut effectuer directement un contrôle, en tant que règle répartitrice de compétences.
B.6.6. La liberté d’entreprendre ne peut être conçue comme une liberté absolue. Elle ne fait pas obstacle à ce que le législateur compétent règle l’activité économique des personnes et des entreprises. Le législateur n’interviendrait de manière déraisonnable que s’il limitait la liberté d’entreprendre sans aucune nécessité ou si cette limitation était disproportionnée au but poursuivi.
B.6.7. La liberté d’entreprendre est étroitement liée à la liberté professionnelle, au droit de travailler et à la liberté d’entreprise, qui sont garantis par les articles 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et à plusieurs libertés fondamentales garanties par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE), comme la liberté d’établissement (article 49 du TFUE). Dès lors que les articles 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et les articles 49 et 56 du TFUE ont une portée analogue à celle de la liberté d’entreprendre, la Cour tient compte des garanties contenues dans ces dispositions dans le cadre de son contrôle des dispositions attaquées.
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Il résulte de cette disposition conventionnelle que les mesures nationales qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement doivent être considérées comme des restrictions à cette liberté. Les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le TFUE
peuvent néanmoins être admises dès lors qu’elles répondent à des raisons impérieuses d’intérêt général, qu’elles sont propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et qu’elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (CJUE, grande chambre, 13 novembre 2018, C-33/17, Čepelnik d.o.o., ECLI:EU:C:2018:896, point 42).
Première branche du moyen unique
B.7.1. Dans la première branche, les parties requérantes font grief à l’article 4, § 5, de l’ordonnance du 9 juin 2022 de réserver les privilèges attachés aux « taxis » au sens de l’arrêté royal du 1er décembre 1975 « portant règlement général sur la police de la circulation routière et de l’usage de la voie publique » (ci-après : le Code de la route) aux seuls taxis de station, en dépit de la volonté d’unifier le secteur des taxis sur le territoire de la région bilingue de Bruxelles-Capitale.
B.7.2. La disposition attaquée est libellée comme suit :
« Art. 4. [...]
§ 5. Seuls les taxis de station sont des taxis au sens du Code de la route ».
B.7.3. Les parties requérantes allèguent que la disposition attaquée crée une différence de traitement entre, d’une part, les taxis de station, seuls considérés comme « taxis » au sens du Code de la route, et, d’autre part, les taxis de rue. Les taxis au sens du Code de la route bénéficient de privilèges en vertu dudit Code. Ils peuvent par exemple faire usage des bandes de circulation pour le transport public (article 72.5 du même Code) et stationner sur les emplacements réservés (article 70.2.1, 3°, du même Code).
B.8.1. Selon le président du Parlement et le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, les taxis de station ne sont pas comparables aux taxis de rue, puisque la
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distinction entre les deux n’est que la poursuite d’une classification déjà existante sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995.
B.8.2. Il ne faut pas confondre différence et non-comparabilité. L’existence préalable de la distinction entre les deux types de services peut certes constituer un élément dans l’appréciation d’une différence de traitement, mais elle ne saurait suffire pour conclure à la non-
comparabilité, sous peine de vider de sa substance le contrôle au regard du principe d’égalité et de non-discrimination.
Étant donné que les deux catégories sont désormais considérées comme un « service de taxis » au sens de l’article 2 de l’ordonnance du 9 juin 2022, à savoir un service rémunéré de transport de personnes par la route, elles sont suffisamment comparables à la lumière des dispositions qui prévoient leurs droits et obligations respectifs.
B.9.1. La différence de traitement mentionnée en B.7.3 repose sur un critère objectif, à savoir la nature du service exploité : un service de taxis de station, d’une part, et un service de taxis de rue, d’autre part. Leurs services sont de natures différentes, puisque les courses des taxis de station peuvent être proposées sans réservation préalable à partir d’emplacements situés sur la voie publique, à l’inverse des courses effectuées par les taxis de rue.
B.9.2. Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, l’ordonnance du 9 juin 2022 n’a pas opéré une refonte totale du secteur des taxis mais a maintenu une distinction entre deux catégories de transport particulier rémunéré. Selon les travaux préparatoires, le législateur ordonnanciel a notamment souligné que « [l]es taxis de station disposeront exactement des mêmes prérogatives que les taxis actuels » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-
Capitale, 2021-2022, A-541/1, p. 5).
C’est en effet au législateur compétent qu’il appartient de déterminer comment le transport particulier rémunéré doit être organisé sur son territoire. Il n’appartient pas à la Cour de juger de l’opportunité ou du caractère souhaitable des choix politiques posés à cet égard, tels que le choix de subdiviser le transport particulier rémunéré en services de taxis de station et en services de taxis de rue, en soumettant chacun de ces services à des conditions d’exploitation distinctes.
Il en va de même du choix de faire de la première catégorie la continuation d’une catégorie de
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services déjà existante et de constituer la seconde comme une catégorie entièrement nouvelle.
La Cour ne peut censurer de tels choix politiques et les motifs qui les fondent que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou s’ils ne sont pas raisonnablement justifiés.
B.10. Les travaux préparatoires de l’article 4, § 5, de l’ordonnance du 9 juin 2022
mentionnent :
« Le § 5 de l’article 4 précise que seuls les taxis de station sont des taxis au sens du Code de la route. Cette distinction se justifie en raison de la nature des droits spécifiquement accordés aux taxis par le Code et de la nécessité de permettre un contrôle effectivement praticable du respect de ces droits. Pour ne prendre que l’exemple le plus évident, vérifier si un taxi a le droit d’emprunter un site propre accessible aux taxis est très simple si le véhicule en question est identifiable comme tel même en mouvement. Ça ne l’est pas dans le cas contraire. La police, confrontée à un véhicule d’apparence ordinaire qui emprunte un site propre, serait contrainte d’arrêter ce véhicule pour vérifier s’il s’agit ou non d’un taxi (de rue). Il s’agit là d’un inconvénient pratique majeur. Il en irait de même, dans une moindre mesure puisqu’il n’est pas nécessaire d’arrêter le véhicule dans cette hypothèse, de la vérification du droit d’occuper un emplacement de stationnement réservé aux taxis. En ne permettant qu’aux taxis de station de bénéficier des droits accordés spécifiquement aux taxis par le Code de la route, la présente ordonnance permet donc un contrôle aisé et effectif du respect de ces droits par les autres usagers de la route » (ibid., p. 12).
Il ressort des travaux précités que le législateur ordonnanciel a entendu permettre le contrôle rapide et aisé de l’utilisation des privilèges permis par le Code de la route, à savoir l’usage des bandes de circulation et des emplacements de stationnement réservés. Ce but est légitime.
B.11.1. Les exigences d’identité visuelle applicables aux taxis de station constituent un élément de leur définition (articles 2, 9°, et 29 de l’ordonnance du 9 juin 2022). Celles-ci, fixées par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, comprennent notamment un dispositif lumineux sur le toit du véhicule, une bande en damier avec le logo de l’« Iris » sur son flanc et la couleur noire obligatoire (annexe 8 de l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale du 6 octobre 2022 « relatif aux services de taxis » (ci-après : l’arrêté du 6 octobre 2022)). À l’inverse, l’apparence d’un taxi de rue n’est en principe pas distinguable de celle d’un véhicule ordinaire, puisqu’elle ne peut « pas prêter visuellement à confusion avec l’identité visuelle imposée aux véhicules affectés à un service de taxis de station » (article 29 de l’ordonnance du 9 juin 2022), et ce sous peine de sanction (article 36, § 1er, 3°, de la même
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ordonnance). Compte tenu de ces exigences, le législateur ordonnanciel a pu raisonnablement considérer que l’extension des privilèges du Code de la route aux taxis de rue ne permettrait pas une vérification aisée et effective du respect de ces droits, tant par les autorités publiques que par les autres usagers de la route.
B.11.2. Les parties requérantes soutiennent que la différence de traitement aurait pu être évitée par le fait d’effectuer l’identification visuelle sur la base de la seule plaque d’immatriculation avec lettre (index) « T » au sens de l’article 4, § 4, de l’arrêté ministériel du 23 juillet 2001 « relatif à l’immatriculation de véhicules » ou sur la base de la vignette d’identification obligatoire au sens de l’article 17 de l’ordonnance du 9 juin 2022 et de l’article 17 ainsi que de l’annexe 4 de l’arrêté du 6 octobre 2022. Le législateur ordonnanciel a toutefois estimé que tant la plaque d’immatriculation que la vignette d’identification ne permettaient pas d’identifier convenablement et rapidement les véhicules concernés, a fortiori lorsque ceux-ci sont en mouvement. Un tel choix n’est pas déraisonnable dans le contexte du trafic routier dense de la capitale. Au surplus, l’aspect visuel de la plaque d’immatriculation dépend d’une réglementation fédérale et il ne peut être reproché à la Région de Bruxelles-
Capitale de n’avoir pas fait dépendre l’application de sa propre législation d’un critère dont elle n’a pas la maîtrise.
B.12. La Cour doit encore examiner si les dispositions attaquées produisent des effets disproportionnés à l’objectif poursuivi. À cet égard, les parties requérantes allèguent que les privilèges octroyés aux taxis de station leur offrent un avantage concurrentiel important au détriment des taxis de rue, puisqu’ils permettraient d’effectuer des courses plus rapidement et en plus grand nombre.
B.13.1. Il ressort des données établies par le Service public régional de Bruxelles Mobilité, disponibles en ligne, que la majeure partie du réseau de voiries de la capitale est dépourvue de sites propres et que, parmi ceux-ci, les sites spéciaux franchissables ouverts aux taxis constituent une part encore plus réduite. Le nombre d’emplacements réservés aux taxis est quant à lui en constante diminution.
B.13.2. Par ailleurs, le législateur ordonnanciel a indiqué que la volonté de réserver ces privilèges à la seule catégorie des taxis de station, et donc à un nombre restreint de véhicules, visait également à garantir la fluidité du réseau des transports en commun bruxellois, à prévenir
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toute perturbation de sa vitesse commerciale et à éviter les phénomènes d’aspiration sur les autres usagers de la route (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-
2022, A-541/2, pp. 60-61). En ce qui concerne plus spécifiquement le stationnement réservé, le législateur ordonnanciel a fait également valoir l’intérêt pour les seuls taxis de station d’utiliser ces emplacements réservés en raison de la nature spécifique de leurs services, à l’exclusion des taxis de rue, pour lesquels le fait de charger un client sans réservation est interdit (ibid., p. 61).
B.13.3. Compte tenu de la nature des prestations des services de taxis de rue et du faible nombre des sites spéciaux franchissables ouverts aux taxis, ainsi que des motifs d’intérêt public visés par le législateur ordonnanciel et mentionnés en B.13.2, l’ampleur de l’éventuel désavantage concurrentiel n’est pas démontrée et la disposition attaquée ne produit pas des effets disproportionnés pour les taxis de rue.
B.14. Le moyen unique, en sa première branche, n’est pas fondé.
Deuxième branche du moyen unique
B.15.1. Dans la deuxième branche, les parties requérantes demandent l’annulation des articles 5 et 47 de l’ordonnance du 9 juin 2022.
B.15.2. Les dispositions attaquées dans cette branche sont libellées ainsi :
« Art. 5. § 1er. Le Gouvernement détermine :
1° la procédure d’introduction et d’instruction des demandes d’autorisation;
2° la forme de l’autorisation et les mentions qui doivent y figurer.
§ 2. L’autorisation est délivrée par le Gouvernement ou son délégué et ne peut l’être qu’à une personne physique.
§ 3. L’exploitation des services de taxis autorisée conformément au § 2 peut être prise en charge par une personne morale à la condition que le titulaire de l’autorisation d’exploiter soit l’administrateur chargé de la gestion journalière de cette personne morale.
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Le titulaire de l’autorisation et la personne morale visée à l’alinéa 1er sont conjointement responsables du respect des conditions visées à l’article 6 et au chapitre 2 du titre 2.
§ 4. Il ne peut être délivré qu’une seule autorisation par exploitant, laquelle doit mentionner le nombre de vignettes d’identification qui lui sont attribuées ».
« Art. 47. § 1er. Les autorisations d’exploiter un service de taxis délivrées initialement en application de l’ordonnance de 1995 ou de la loi de 1974 restent valables jusqu’à la date prévue par chacune de ces autorisations. Dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, les véhicules qui y sont enregistrés sont automatiquement considérés comme des taxis de station.
§ 2. En cas de renouvellement après l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, les autorisations visées au paragraphe 1er restent considérées comme ayant été initialement délivrées en application de l’ordonnance de 1995 ou de la loi de 1974.
§ 3. Les exploitants qui ont acquis une autorisation visée au paragraphe 1er dans le cadre d’une procédure de cession à titre onéreux ayant fait l’objet d’un avis favorable de la Commission visée à l’article 10bis, alinéa 1er, 4°, de l’ordonnance de 1995 peuvent, dans les deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, demander au Gouvernement de leur racheter leur autorisation.
Les exploitants qui auront bénéficié du dispositif prévu à l’alinéa précédent ne pourront plus demander de nouvelles autorisations d’exploiter un service de taxis.
Le prix payé par le Gouvernement pour ce rachat est fixé forfaitairement à 35.000 euros ».
B.15.3. L’article 48 de l’ordonnance du 9 juin 2022, non attaqué, dispose :
« § 1er. Les titulaires d’une autorisation d’exploiter un service de location de voitures avec chauffeur délivrée en application de l’ordonnance de 1995 qui souhaitent prester un service de taxis de rue le font savoir à l’Administration dans les trois mois de l’entrée en vigueur de la présente ordonnance.
Le Gouvernement précise les modalités de la communication de l’information visée à l’alinéa 1er, laquelle doit au moins préciser le nombre des véhicules que l’exploitant était autorisé à exploiter dans le cadre d’un service de location de véhicule avec chauffeur et parmi ceux-ci, le nombre qu’il souhaite continuer à exploiter dans le cadre d’un service de taxis.
Pendant le délai visé à l’alinéa 1er, les titulaires d’autorisation visés à l’alinéa 1er sont autorisés à prester des services de taxis de rue dans le respect des conditions prévues au chapitre 2 du titre 2.
§ 2. À l’échéance du délai visé au paragraphe 1er :
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1° l’exploitant qui n’a pas contacté l’Administration reste soumis au régime de l’ordonnance de 1995 jusqu’à l’échéance de son autorisation d’exploiter un service de location de voitures avec chauffeur, sous la réserve que cette autorisation ne pourra plus être renouvelée;
2° l’Administration attribue, dans un délai de six mois, aux exploitants qui l’ont contactée une nouvelle autorisation d’exploiter et les vignettes d’identification destinées aux véhicules de taxis de rue, conformément au paragraphe 3. L’exploitant qui, à l’issue de cette procédure, ne se verrait attribuer aucune vignette reste soumis au régime de l’ordonnance de 1995 jusqu’à l’échéance de son autorisation d’exploiter un service de location de voitures avec chauffeur, sous la réserve que cette autorisation ne pourra plus être renouvelée.
Le Gouvernement précise les modalités suivant lesquelles l’Administration peut demander aux exploitants qui l’ont contactée de compléter ou préciser les informations communiquées en application du paragraphe 1er, alinéa 2. Si l’exploitant ne répond pas dans le mois de l’envoi de la demande, l’Administration peut lui envoyer un rappel. Si l’exploitant ne répond pas dans le mois de l’envoi du rappel, il est automatiquement considéré comme entrant dans l’hypothèse visée à l’alinéa 1er, 1°.
Jusqu’à l’attribution de la nouvelle autorisation d’exploiter et des vignettes d’autorisation, ou jusqu’à la réception de la notification de l’absence de vignette à leur attribuer, conformément à l’alinéa 1er, 2°, les exploitants concernés sont autorisés à prester des services de taxis de rue dans le respect des conditions prévues au chapitre 2 du titre 2.
§ 3. Les exploitants visés au paragraphe 1er bénéficient d’une priorité dans l’attribution des vignettes d’identification destinées aux taxis de rue. Cette priorité est organisée comme suit :
1° l’Administration donne la priorité aux exploitants qui sont en ordre de paiement de leurs impôts et de leurs cotisations sociales;
2° si le nombre d’exploitants bénéficiant de la priorité visée au 1° dépasse le nombre de vignettes d’identification destinées aux taxis de rue à attribuer, l’Administration :
a) classe ces exploitants par ordre décroissant d’ancienneté, sur la base de la date à laquelle leur a été initialement délivrée leur autorisation d’exploiter un service de location de véhicule avec chauffeur;
b) conformément à ce classement, attribue à chaque exploitant le nombre de vignettes qu’il a demandé, jusqu’à épuisement des vignettes à attribuer ».
B.15.4. Les parties requérantes critiquent le fait que les autorisations d’exploiter un service de taxis sont désormais réservées aux personnes physiques, à l’exclusion des personnes morales, sauf si, pour ces dernières, le titulaire de l’autorisation est l’administrateur chargé de sa gestion journalière. Elles mettent également en cause l’absence de mesure transitoire pour les titulaires d’une autorisation d’exploiter un service de LVC délivrée avant l’entrée en vigueur
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de l’ordonnance attaquée, similaire à la mesure transitoire qui est applicable aux services de taxis au sens de l’ordonnance du 27 avril 1995, en ce que, pour ces derniers, la titularité de l’autorisation en personne morale est toujours permise et qu’il est en outre possible de revendre l’autorisation au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pour un montant forfaitaire.
La Cour examine successivement ces griefs.
L’exclusion de principe des personnes morales
B.16. L’article 5 de l’ordonnance du 9 juin 2022 précise que les autorisations d’exploiter un service de taxis, tant de station que de rue, ne sont délivrées qu’à des personnes physiques.
L’exploitation des services de taxis ne peut être prise en charge par une personne morale qu’à la condition que le titulaire de l’autorisation d’exploiter soit l’administrateur chargé de la gestion journalière de cette personne morale.
Les travaux préparatoires de cette disposition mentionnent :
« [L]es autorisations ne pourront plus être délivrées qu’à des personnes physiques, afin de faciliter le contrôle du respect des conditions d’exploitation imposées aux exploitants, que les reventes et changements de contrôle de sociétés exploitantes compliquent actuellement.
L’ordonnance précise que cette exigence n’interdit pas à la personne physique titulaire de l’autorisation d’exercer son activité par l’intermédiaire d’une société mais, dans cette hypothèse, d’une part, il est imposé que cette personne physique gère cette personne morale et, d’autre part, la qualité d’exploitant est attribuée conjointement à ces deux personnes, afin de faire peser sur elles deux les obligations imposées par l’ordonnance.
Cette exigence ne limite pas la liberté d’entreprendre du titulaire de l’autorisation d’exploiter puisque celui-ci ne se voit pas limité dans son droit d’organiser son activité professionnelle au travers d’une personne morale. Dans cette circonstance, la seule exigence imposée (la gestion de cette personne morale par le titulaire de l’autorisation d’exploiter lui-
même), est justifiée par les conditions qui sont requises pour pouvoir obtenir l’autorisation d’exploiter (voir le commentaire de l’article 6). Les conditions de moralité et de qualification professionnelle étant intrinsèquement liées à la personne (ou aux personnes) physique(s)
exerçant l’activité, même si la possibilité de délivrer l’autorisation à une personne morale était prévue, la nouvelle ordonnance imposerait que cette personne morale démontre que ces conditions sont remplies par la (ou les) personne(s) physique(s) en charge de sa gestion. Par ailleurs, la nouvelle ordonnance, pour garantir que ce sont bien les personnes physiques remplissant les conditions d’obtention de l’autorisation qui gèrent l’activité, ne permettra plus
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la cession des autorisations (sauf exception prévue à l’article 10 pour les autorisations délivrées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle ordonnance). Dans ce contexte, prévoir la possibilité de délivrer l’autorisation à une personne morale ne changerait rien sur le fond tout en compliquant le nouveau régime légal sur la forme (ce qui irait à l’encontre de l’un des objectifs de la réforme) » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/1, pp. 13-14).
B.17. Comme le souligne le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, la disposition attaquée est applicable de la même façon aux taxis de station et aux taxis de rue. Il n’existe donc aucune différence de traitement entre elles. La Cour doit toutefois encore examiner si cette mesure n’emporte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre des titulaires de l’autorisation d’exploiter.
B.18.1. Il peut être considéré que la communication avec une personne physique est, par nature, plus aisée qu’avec une personne morale. En outre, les conditions de moralité et de qualification professionnelle ne peuvent par définition s’attacher qu’à des personnes physiques.
La mesure est dès lors pertinente à la lumière de l’objectif de simplification du contrôle du respect des conditions d’exploitation, tel qu’il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.16.
B.18.2. Le législateur ordonnanciel a par ailleurs veillé à ce que les avantages, notamment économiques ou fiscaux, liés à l’exploitation d’une activité professionnelle sous la forme d’une personne morale soient conservés, puisque celle-ci est toujours permise par la disposition attaquée. Il ne saurait par conséquent être reproché à cette disposition d’avoir pour effet d’exclure les personnes morales du marché des services de taxis, ni d’augmenter la charge administrative pour les titulaires d’autorisations.
B.18.3. La condition que le titulaire de l’autorisation d’exploiter soit l’administrateur chargé de la gestion journalière de la personne morale ne constitue pas une limitation disproportionnée de la liberté d’entreprendre. Les personnes qui désirent entreprendre une activité de taxi font le choix d’une forme juridique en connaissance de cause, après avoir évalué les avantages et les inconvénients d’une éventuelle constitution de personne morale. Cette forme particulière d’entreprise correspond à la pratique du secteur. Le ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale a ainsi indiqué que la mesure visait à « renforcer la place des
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exploitants-chauffeurs – qui constituent l’écrasante majorité des exploitants actuels » (Doc.
parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/2, p. 7).
B.18.4. Enfin, le législateur ordonnanciel a entendu lutter contre un marché de revente d’autorisations entre personnes morales, lequel rend le contrôle du respect des conditions d’exploitation plus difficile. Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, il n’existe pas de droit subjectif à ce qu’une personne morale soit titulaire, en propre, d’une autorisation d’exercer une activité professionnelle. Enfin, la possibilité de revendre une telle autorisation, délivrée par les autorités publiques, ne peut être considérée comme faisant partie intégrante de la liberté d’entreprendre au sens des dispositions visées au moyen.
B.19. L’article 5 de l’ordonnance du 9 juin 2022 ne viole pas la liberté d’entreprendre.
L’absence de régime transitoire
B.20.1. Les travaux préparatoires de l’ordonnance du 9 juin 2022 mentionnent :
« Dans son avis sur l’avant-projet d’ordonnance, la section de législation du Conseil d’État a, notamment, souligné que ‘ l’exclusion des personnes morales du régime d’autorisation d’exploiter en projet devrait être assortie de mesures transitoires adéquates et assurant un traitement conforme au principe constitutionnel d’égalité et de non-discrimination des personnes morales exploitant actuellement les divers services de taxis entrant dans son champ d’application ’. À cet égard, il faut d’abord rappeler que le champ d’application de l’ordonnance de 1995 ne couvre pas divers services de taxis; celle-ci organise, de manière distincte du secteur de la location de véhicules avec chauffeur, le secteur du taxi. Il faut souligner, ensuite, que la nouvelle ordonnance permettra aux actuels titulaires d’une autorisation d’exploiter un service de taxis (qui peuvent être des personnes morales) de poursuivre leur activité sur la base de leur ‘ ancienne ’ autorisation; il est donc prévu, pour ces personnes morales exploitant actuellement un service de taxis, une dérogation au nouveau principe de délivrance exclusive des autorisations à des personnes physiques » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/1, p. 14).
Le ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale précise :
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« Pour ce faire, nous avons défini différentes mesures transitoires en fonction des situations existantes des différents acteurs afin de faciliter l’implémentation de la réforme :
- Les taxis actuels deviendront des taxis de station sans aucune formalité à effectuer. Il s’agit pour eux simplement de continuer leur activité. En revanche nous avons prévu le cas de figure où un exploitant souhaiterait mettre fin à ses activités et sortir du secteur. Pour cette catégorie d’exploitants, et si et seulement si leur licence avait été achetée et avait fait l’objet d’un avis favorable de la commission de cession, nous avons créé une possibilité temporaire de rachat de leurs autorisations. Cet aspect est particulièrement important pour les exploitants de taxis historiques, la réforme se doit d’être juste. En effet, de nombreux indépendants ont investi dans l’achat de licences avec parfois des prix très conséquents et il ne s’agissait pas de mettre tout simplement fin à l’investissement de toute une vie. La réforme ne remet pas en cause les acquis par les exploitants de taxis dans le cadre de l’ordonnance de 1995, qui a prévu certaines dispositions strictes dans lesquelles l’autorisation est, totalement ou partiellement, cessible. Ces dispositions sont maintenues dans la nouvelle ordonnance, mais exclusivement pour les autorisations d’exploiter délivrées avant l’entrée en vigueur de celle-ci, et en proportion du nombre de véhicules couverts par l’autorisation. Par contre, je le rappelle, toutes les nouvelles autorisations de taxis de station seront délivrées à une personne physique et ne seront plus cessibles.
- En ce qui concerne les LVC bruxellois, il existe deux possibilités durant la période transitoire :
- S’il souhaite devenir un taxi de rue, il se déclare alors auprès de Bruxelles Mobilité qui va dès lors l’inscrire comme taxi de rue avant de vérifier son dossier de candidature, sa conformité avec les exigences de l’ordonnance et avec les arrêtés d’exécution, et de délivrer une nouvelle autorisation;
- S’il souhaite rester un LVC dans ses conditions actuelles, la transition est également automatique, il ne doit remplir aucune démarche administrative. Bruxelles Mobilité va simplement considérer les exploitants LVC actuels qui ne se déclarent pas comme taxis de rue dans les trois mois après l’entrée en vigueur de l’ordonnance comme des LVC sur la base de l’ordonnance de 1995 » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/2, p. 12).
B.20.2. Le législateur ordonnanciel a instauré deux mesures transitoires différentes. La première vise les titulaires d’autorisations d’exploiter un service de taxis au sens des législations antérieures, à savoir la loi du 27 décembre 1974 « relative aux services de taxis » (ci-après : la loi du 27 décembre 1974) et l’ordonnance du 27 avril 1995. Cette mesure est contenue dans l’article 47 de l’ordonnance du 9 juin 2022. La seconde mesure vise les titulaires d’autorisations d’exploiter un service de LVC au sens de l’ordonnance de 1995. Cette mesure est contenue dans l’article 48 de l’ordonnance du 9 juin 2022.
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Pour les titulaires de la première catégorie, il est prévu que les autorisations déjà délivrées restent valables, en qualité d’autorisations d’exploiter un service de taxis de station. Elles peuvent être renouvelées telles quelles. Par ailleurs, ces autorisations peuvent être cédées à titre onéreux, sous conditions, au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pour un prix forfaitaire de 35 000 euros.
Pour les titulaires de la seconde catégorie, en l’absence de demande d’obtenir une nouvelle autorisation dans la catégorie de taxis de rue, il est prévu que les autorisations déjà délivrées restent valables jusqu’à leur échéance, en leur qualité d’autorisations d’exploiter un service de LVC. Elles ne peuvent pas être renouvelées.
B.21. Les parties requérantes soutiennent que les dispositions attaquées établissent une différence de traitement non justifiée entre les deux catégories de personnes visées en B.20.2, en ce que les personnes morales titulaires d’une autorisation d’exploiter un service de taxis au sens de l’ordonnance du 27 avril 1995 ne sont pas soumises à l’obligation de la titularité de l’autorisation en personne physique prévue à l’article 5 de l’ordonnance du 9 juin 2022 tant que leur autorisation sera renouvelée, tandis que les personnes morales titulaires d’une autorisation d’exploiter un service de LVC sont toutes, à brève échéance, soumises à l’obligation de la titularité en personne physique.
B.22. Si le législateur estime qu’un changement de politique s’impose, il peut décider de lui donner un effet immédiat et il n’est pas tenu, en principe, de prévoir un régime transitoire.
Les articles 10 et 11 de la Constitution ne sont violés que si l’absence d’une mesure transitoire entraîne une différence de traitement qui n’est pas susceptible de justification raisonnable ou s’il est porté une atteinte excessive au principe de la confiance légitime. Ce principe est étroitement lié au principe de la sécurité juridique, qui interdit au législateur de porter atteinte sans justification objective et raisonnable à l’intérêt que possèdent les sujets de droit d’être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes.
B.23. La différence de traitement visée par les parties requérantes est d’abord justifiée par le fait que l’ordonnance du 9 juin 2022 considère la catégorie des services de taxis de station comme la continuation des services de taxis au sens de l’ordonnance du 27 avril 1995, tandis
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qu’elle considère les services de taxis de rue comme une catégorie entièrement nouvelle.
Comme il est dit en B.9.2, il s’agit d’un choix politique que la Cour ne peut censurer en tant que tel.
B.24.1. Il ressort ensuite des travaux préparatoires mentionnés en B.20.1 que le législateur ordonnanciel entend garantir les droits acquis des titulaires d’une autorisation d’exploiter un service de taxis au sens de l’ordonnance du 27 avril 1995, qui découlent de l’existence historique d’un marché de revente des autorisations de service de taxis. Cet objectif est légitime.
B.24.2. Aux termes de l’article 23 de l’ordonnance du 27 avril 1995, l’autorisation d’exploiter un service de LVC était personnelle, indivisible et incessible. Il n’existait donc pas de marché de revente des autorisations de service de LVC, et par conséquent, pas de droits acquis similaires à ceux des services de taxis au sens de l’ordonnance précitée, qu’il s’agirait de protéger par un régime transitoire similaire. Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, les anciens exploitants de LVC ne sont donc pas privés d’un éventuel régime favorable. Le même raisonnement est applicable à la possibilité de revendre l’autorisation au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pour un montant forfaitaire.
Au surplus, les parties requérantes ne démontrent pas qu’il aurait existé une pratique générale de cession à titre onéreux des autorisations d’exploiter un service de LVC. La simple possibilité que, par le biais d’une cession d’entreprise, un montant supérieur de vente soit négocié en raison du fait que l’entreprise cédée dispose d’une autorisation d’exploiter ne permet pas de déduire que la différence de traitement serait injustifiée.
B.24.3. Enfin, la différence de traitement n’emporte pas de conséquences disproportionnées, compte tenu de la possibilité pour les taxis de rue, en application de l’article 5 de l’ordonnance du 9 juin 2022, d’exploiter leur activité sous la forme d’une personne morale.
B.25. Le moyen unique, en sa deuxième branche, n’est pas fondé.
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Troisième branche du moyen unique
B.26. Dans la troisième branche, les parties requérantes soutiennent que l’article 10, §§ 2
à 5, de l’ordonnance du 9 juin 2022 crée une différence de traitement entre les services de transport particulier rémunéré au sens des législations antérieures, à savoir la loi du 27 décembre 1974 et l’ordonnance du 27 avril 1995, d’une part, et les services de LVC au sens de l’ordonnance du 27 avril 1995, d’autre part, en ce qu’il crée une dérogation au principe de l’incessibilité des autorisations d’exploiter au bénéfice exclusif des services de transport de la première catégorie.
B.27.1. L’article 10 de l’ordonnance du 9 juin 2022 dispose :
« § 1er. Sous réserve de l’exception prévue au paragraphe 2, l’autorisation d’exploiter est personnelle et incessible.
Elle ne peut être donnée en location, sous quelque forme que ce soit.
§ 2. En dérogation au paragraphe 1er, alinéa 1er, dans l’une des hypothèses et conformément aux conditions listées aux paragraphes suivants, et après autorisation préalable du Gouvernement ou de son délégué, l’exploitant qui est titulaire d’une autorisation d’exploiter un service de taxis délivrée initialement en exécution de l’ordonnance de 1995 ou de la loi de 1974 est autorisé à céder totalement ou partiellement cette autorisation à concurrence, au maximum, du nombre de vignettes d’identification rattachées à celle-ci à la veille de l’entrée en vigueur de la présente ordonnance.
Lorsque le cessionnaire est déjà titulaire d’une autorisation d’exploiter, l’autorisation la plus récente est absorbée par l’autorisation la plus ancienne, la durée de validité de cette dernière restant seule applicable. Par la suite, le bénéfice de l’exception visée à l’alinéa 1er reste réservé aux vignettes d’identification visées au même alinéa.
§ 3. Une autorisation d’exploiter visée au paragraphe 2 peut être cédée sans conditions lorsque le cessionnaire est le conjoint, le cohabitant légal ou un parent ou allié jusqu’au deuxième degré du titulaire de l’autorisation, en cas de décès ou d’incapacité permanente de ce titulaire.
§ 4. Le titulaire d’une autorisation visée au paragraphe 2 qui l’a exploitée sans interruption pendant au moins les dix années civiles qui ont précédé celle de sa demande de cession peut céder son autorisation à un ou plusieurs cessionnaires, aux conditions suivantes :
1° le cédant doit, pendant au moins les dix années civiles qui ont précédé celle de sa demande de cession :
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a) avoir rempli toutes les obligations qui lui incombent en vertu de la présente ordonnance, des arrêtés d’exécution de celle-ci et de son autorisation d’exploiter;
b) avoir été titulaire des vignettes d’identification qui accompagnent la cession;
2° le cessionnaire doit :
a) soit déjà être titulaire d’une autorisation d’exploiter;
b) soit répondre aux conditions de délivrance de l’autorisation d’exploiter visées à l’article 6, § 1er;
3° l’opération de cession doit avoir reçu un avis favorable de la commission de cession visée à l’article 37.
L’alinéa 1er, 1°, n’est pas applicable lorsque la demande de cession s’inscrit dans le cadre :
1° d’une mesure de réorganisation judiciaire prononcée par un tribunal;
2° d’une procédure de faillite.
§ 5. Plusieurs personnes morales qui sont chacune titulaire d’une autorisation d’exploiter visée au § 2 peuvent, dans le cadre d’une opération d’absorption ou de fusion, céder leur autorisation à la personne morale absorbante ou à celle qui naît de la fusion. Dans ce cas, la durée de validité de l’autorisation :
1° en cas d’absorption, demeure celle de l’autorisation d’exploiter délivrée antérieurement à la personne morale absorbante;
2° en cas de fusion, est celle, parmi celles des autorisations d’exploiter délivrées antérieurement à chacune des personnes morales fusionnées, qui avait la durée de validité la plus courte.
§ 6. Le Gouvernement détermine la procédure d’introduction et d’instruction des demandes de cession d’autorisation visées aux paragraphes 2 à 5, lesquelles doivent préciser au minimum :
1° les coordonnées du cédant;
2° les coordonnées du ou des cessionnaire(s);
3° le nombre de vignettes d’identification de véhicules de taxis exploités par le cédant et concernés par la cession, les numéros d’identification de ceux-ci et, en cas de pluralité de cessionnaires, la répartition des véhicules concernés entre ceux-ci;
4° le fait que la transaction s’opère à titre gratuit ou onéreux et, dans la seconde hypothèse, le prix de la transaction;
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5° lorsque la demande s’inscrit dans le cadre d’une mesure de réorganisation judiciaire prononcée par un tribunal, une copie du jugement octroyant la réorganisation judiciaire ainsi que de l’extrait de ce jugement publié aux annexes du Moniteur belge ».
B.27.2. Dans cette branche, les parties requérantes ne critiquent pas le principe même des caractères personnel et incessible des autorisations d’exploiter un service de taxis au sens de l’ordonnance du 9 juin 2022.
B.27.3. Les travaux préparatoires de la disposition attaquée mentionnent :
« La nouvelle ordonnance pose, pour l’avenir, le principe du caractère personnel et de l’incessibilité des autorisations d’exploiter, qui ne pourront plus être délivrées qu’à des personnes physiques. Mais elle n’entend pas remettre en question les droits acquis par les exploitants de taxis dans le cadre de l’ordonnance de 1995, qui a prévu certaines hypothèses dans lesquelles l’autorisation est, totalement ou partiellement, cessible. Ces hypothèses sont donc maintenues dans la nouvelle ordonnance, mais exclusivement pour les autorisations d’exploiter délivrées avant l’entrée en vigueur de celle-ci, et seulement pour le nombre de vignettes qui étaient liées avant cette date à ces ‘ anciennes ’ autorisations d’exploiter.
Autrement dit, [l’]exploitant qui était titulaire de dix vignettes avant l’entrée en vigueur de la nouvelle ordonnance et qui en obtient cinq de plus après cette entrée en vigueur ne pourra céder son autorisation d’exploiter qu’à concurrence de dix vignettes au maximum. Celui qui récupérera cette ‘ ancienne ’ autorisation pourra, à son tour, la céder par la suite.
Les hypothèses de cession actuellement consacrées par les articles 10 à 10ter de l’ordonnance de 1995 sont reprises dans une formulation plus claire » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/1, pp. 16-17).
B.28.1. Il ressort des travaux préparatoires précités que l’article 10, §§ 2 à 5, de l’ordonnance du 9 juin 2022 s’applique aux seules autorisations d’exploiter un service de taxis obtenues sous l’empire des législations antérieures, puisque ces dernières permettaient alors leur cession sous conditions. Ceci constitue, selon le législateur ordonnanciel, un droit acquis.
Comme il est dit en B.3.2, en vertu de l’article 23 de l’ordonnance du 27 avril 1995, l’autorisation d’exploiter un service de LVC était quant à elle personnelle, indivisible et incessible. Les parties requérantes ne démontrent pas leur affirmation selon laquelle la cession, en violation du prescrit de la disposition précitée, aurait toujours été la règle. Par ailleurs, contrairement à ce qu’elles soutiennent, la volonté d’unifier le secteur des taxis n’a pas pour effet d’abolir les différences qui existaient entre ces deux anciennes catégories.
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B.28.2 Il découle de ce qui précède que la différence de traitement critiquée est raisonnablement justifiée et dès lors compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.29. Le moyen unique, en sa troisième branche, n’est pas fondé.
Quatrième branche du moyen unique
B.30.1. Dans la quatrième branche, les parties requérantes soutiennent que l’article 6, § 4, 2°, a), de l’ordonnance du 9 juin 2022 viole les dispositions visées au moyen, notamment le libre choix d’une activité professionnelle, en ce qu’il impose une condition de mise à disposition du véhicule au moins vingt heures par semaine en moyenne par année civile. Cette mesure irait à l’encontre du droit de chaque exploitant-chauffeur de fixer lui-même le nombre d’heures de mise à disposition de son véhicule. En outre, elle ferait en sorte qu’il soit très difficile voire impossible pour un chauffeur d’exercer l’activité d’exploitant-chauffeur à titre d’indépendant complémentaire.
B.30.2. L’article 6, § 4, de l’ordonnance du 9 juin 2022 dispose :
« Sauf si la demande d’autorisation ne porte que sur des services de taxis cérémoniels, le demandeur ou la personne morale visée à l’article 5, § 3, avec laquelle il entend partager la qualité d’exploitant doit s’engager dans un délai de six mois à compter de la date de réception de l’autorisation :
1° disposer du nombre de véhicules affectés à un service de taxis qui correspond au nombre de vignettes d’identification qui lui ont été attribuées.
Par disposer d’un véhicule, il y a lieu d’entendre soit en être propriétaire, soit en disposer en vertu d’un contrat de vente à tempérament, de location-financement ou de location-vente;
2° pour chaque véhicule visé au 1° :
a) si l’autorisation ne porte que sur une seule vignette d’identification et que le titulaire de l’autorisation est également le chauffeur du véhicule visé au 1° : mettre ce véhicule à la disposition du public au minimum vingt heures par semaine en moyenne par année civile;
[...] ».
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B.30.3. Le principe de la mise à disposition du véhicule au public fait partie des exigences imposées aux exploitants de services de taxis de station et de services de taxis de rue par l’article 26 de l’ordonnance du 9 juin 2022. Le commentaire de cet article indique :
« Le § 1er consacre explicitement l’obligation pour les exploitants de mettre leurs taxis de station et leurs taxis de rue à la disposition du public de manière effective. La raison d’être de cette obligation tient à la mission d’intérêt public que remplissent les services de taxis et au numerus clausus imposé aux taxis de station et de rue, qui imposent que le nombre de taxis autorisés soit mis à la disposition du public de manière suffisante pour répondre aux besoins »
(Doc. parl. Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/1, p. 22).
En outre, dans les travaux préparatoires de l’ordonnance du 9 juin 2022, le ministre-
président de la Région de Bruxelles-Capitale a précisé :
« La disponibilité du service effectif auprès du public sera également contrôlée. Cela se fera sur la base d’un ETP par véhicule sur une année civile. Une exception a été prévue pour l’exploitant-chauffeur qui exerce seul son activité en qualité d’indépendant complémentaire, qui doit s’engager à prester un minimum de vingt heures par semaine. À noter que dans le cas où il exerce en tant qu’indépendant complémentaire, il ne peut alors engager d’autres chauffeurs sous peine de rentrer dans les conditions de base valables pour tous les exploitants » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/2, p. 8).
« Le Ministre-Président [...] rappelle tout d’abord que le projet d’ordonnance fait le choix de l’instauration d’un numerus clausus afin d’éviter les effets négatifs d’une offre excédentaire, notamment en termes de congestion automobile ou de pollution.
Compte tenu de ce choix, le projet d’ordonnance veut s’assurer que le nombre limité de taxis de rue et de station autorisés soient réellement à la disposition du public, c’est-à-dire exploités de manière effective afin d’offrir aux usagers un service de taxis de qualité, suffisant et disponible à toute heure de la journée et pas uniquement le week-end.
L’étude Deloitte a en effet démontré que les chauffeurs LVC étaient incités à offrir leurs services les soirées du jeudi à dimanche, plutôt que de conduire en semaine lorsque la demande est plus faible, s’assurant des revenus plus élevés du fait de la tarification dynamique non régulée appliquée par ces plateformes.
L’exigence de mise à disposition permettra également de lutter contre les autorisations dormantes. Il s’agit des autorisations qui ne sont pas réellement exploitées parce que l’exploitant n’enregistre pas un véhicule ou ne dispose pas du nombre de chauffeurs nécessaires.
L’ordonnance prévoit donc une mise à disposition effective du véhicule correspondant à un équivalent temps plein. Cependant, pour répondre à la demande concernant les exploitants-
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chauffeurs qui travaillent seul à titre complémentaire, il a été prévu une durée minimale de 20 heures par semaine de mise à disposition du véhicule.
Par exemple, un exploitant chauffeur peut travailler 10 heures une semaine, puis 30 heures une autre semaine et ainsi de suite. L’administration effectuera un contrôle de cette durée sur une année civile. Il précise par ailleurs que les 20 heures portent sur une mise effective du véhicule à la disposition du public » (ibid., pp. 54-55).
B.31. Il ressort des travaux préparatoires précités que le législateur ordonnanciel a entendu, par l’article 6, § 4, 2°, a), attaqué, permettre l’exercice de l’activité d’exploitant-
chauffeur de taxi en qualité d’indépendant complémentaire, tout en assurant une mise à disposition suffisante des véhicules compte tenu de leur mission d’intérêt public. Il peut également être déduit que le législateur ordonnanciel a choisi de ne pas permettre la prestation de services de taxis de façon purement occasionnelle.
B.32. Ni le droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle, ni la liberté d’entreprendre ne garantissent un droit absolu à déterminer le nombre d’heures de prestation d’une activité exercée en tant qu’indépendant sans que l’autorité publique fixe la moindre condition à cet égard. Le choix d’imposer un nombre d’heures minimum de mise à disposition d’un véhicule, applicable à tous les exploitants-chauffeurs exerçant seuls, est pertinent au regard de l’objectif de garantir une disposition suffisante des véhicules compte tenu de leur mission d’intérêt public.
B.33.1. Le législateur ordonnanciel a pu raisonnablement estimer, dans le cadre de cette mesure dérogatoire, qu’il était nécessaire de fixer ce nombre de façon à ce qu’il ne soit pas trop éloigné de la règle de principe de mise à disposition d’un véhicule de taxi, de station ou de rue, à savoir d’un équivalent temps plein pouvant être effectué par un ou plusieurs chauffeurs pour le même véhicule. En effet, il ne peut être contesté qu’une trop grande diversité de pratiques entre les exploitants-chauffeurs, qui pourraient choisir eux-mêmes le nombre d’heures minimum de mise à disposition de leur véhicule, est susceptible de nuire à la présence d’un nombre suffisant de véhicules à tout moment sur le territoire de la capitale. Il en va d’autant plus ainsi que le secteur des taxis est soumis à une règle de numerus clausus. Par ailleurs, le nombre de vingt heures est calculé sur une année civile, ce qui permet d’introduire un élément de flexibilité. Au surplus, le législateur ordonnanciel pouvait choisir de fixer ce seuil en tenant compte de la durée maximale autorisée du travail des salariés du secteur privé, qui constitue la
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grande majorité du marché du travail, sans avoir égard à la diversité des activités professionnelles.
B.33.2. Il n’est pas démontré que la mesure attaquée rende extrêmement difficile ou impossible l’exercice de l’activité de services de taxis à titre d’indépendant complémentaire.
B.34. Le moyen unique, en sa quatrième branche, n’est pas fondé.
Cinquième branche du moyen unique
B.35. Dans la cinquième branche, les parties requérantes soutiennent que l’article 3, 5°, de l’ordonnance du 9 juin 2022 viole les dispositions visées au moyen, en ce qu’il prive les taxis de rue de la possibilité de développer et de conserver une clientèle privée. Il ressort de leur requête que les parties requérantes entendent par la notion de « clientèle privée » la possibilité pour des clients de faire « directement appel » à leurs services.
B.36.1. L’article 3 de l’ordonnance du 9 juin 2022 dispose :
« En raison de la mission d’intérêt public que remplissent les services de taxis, il est interdit :
1° sous la réserve énoncée à l’alinéa suivant, d’exploiter un service de taxis sans autorisation d’exploiter délivrée conformément aux dispositions de la présente ordonnance.
Tant que l’accord de coopération relatif aux services de taxis qui s’étendent sur le territoire de plus d’une Région visé à l’article 92bis, § 2, c), de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 n’est pas entré en vigueur, l’exigence visée à l’alinéa précédent n’est pas applicable aux personnes qui disposent de la licence visée à l’article 6, § 1er, du décret flamand de 2019 ou de l’autorisation visée à l’article 25 du décret flamand de 2001 ou de l’autorisation visée à l’article 3 du décret wallon de 2007, lorsque les conditions cumulatives suivantes sont remplies :
a) la course a été réservée;
b) sauf pour les services de taxis cérémoniels, le véhicule au moyen duquel la course sera prestée se trouve en dehors du territoire de la Région de Bruxelles-Capitale lorsque l’exploitant accepte de prester la course;
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c) sauf pour les services de taxis cérémoniels, le point d’arrivée de la course est situé en dehors du territoire de la Région de Bruxelles-Capitale;
2° de conduire un véhicule dans le cadre de la prestation d’un service de taxis sans certificat de capacité délivré conformément aux dispositions de la présente ordonnance. Cette condition n’est pas applicable dans le cadre d’une course qui répond aux conditions listées au 1°, alinéa 2, et qui est effectuée par ou pour un exploitant de service de taxis qui répond à la condition visée au 1°, alinéa 2;
3° sous la réserve prévue à l’article 19 pour les véhicules de remplacement, de prester un service de taxis au moyen d’un véhicule qui n’est pas enregistré conformément aux dispositions de la présente ordonnance. Cette condition n’est pas applicable dans le cadre d’une course qui répond aux conditions listées au 1°, alinéa 2, et qui est effectuée par ou pour un exploitant de service de taxis qui répond à la condition visée au 1°, alinéa 2;
4° de mettre à la disposition des exploitants, des chauffeurs, des clients et/ou des usagers de services de taxis un service d’intermédiation de réservation sans agrément délivré conformément aux dispositions de la présente ordonnance;
5° d’accepter de prester une course proposée par un intermédiaire de réservation non agréé ».
B.36.2. L’article 3 de l’ordonnance du 9 juin 2022 forme « le cœur du système mis en place par l’ordonnance » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/1, p. 11). Les parties requérantes portent leur critique sur l’interdiction, contenue dans le point 5° de cet article et applicable tant aux taxis de station qu’aux taxis de rue, « d’accepter de prester une course proposée par un intermédiaire de réservation non agréé ».
B.36.3. La reconnaissance des intermédiaires de réservation constitue une nouveauté de la réforme du secteur des taxis. Leur encadrement fait suite à l’apparition de nouveaux acteurs dans le secteur du transport rémunéré de personnes, notamment avec l’avènement des nouvelles technologies. Le législateur ordonnanciel a entendu à la fois réglementer ces intermédiaires pour éviter les pratiques déloyales et leur imposer une série de conditions pour s’assurer de la traçabilité des courses.
B.36.4. La problématique de la clientèle privée a été expressément abordée dans les travaux préparatoires de l’ordonnance du 9 juin 2022. Selon le ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale :
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« Le taxi de rue ou de station peut naturellement travailler avec une clientèle privée.
L’essentiel est que les données relatives aux courses soient bien transmises à l’administration à des fins de contrôle, notamment des tarifs demandés au client.
Les exploitants ou chauffeurs qui sont contactés par leurs clients privés devront dès lors respecter les exigences réglementaires appliquées aux intermédiaires de réservation.
Il leur faudra donc disposer d’un agrément d’intermédiaire de réservation ou passer par un intermédiaire de réservation. Cet intermédiaire de réservation n’est pas forcément une multinationale, ça peut être une application gérée par une coopérative de chauffeurs ou une application gérée par un seul chauffeur dans le respect des conditions d’exploitation imposées aux intermédiaires de réservation.
Cette condition exigée est la seule qui permette de vérifier et de contrôler les conditions d’exploitation de l’ordonnance – la réservation préalable par exemple.
Sans cette condition, les taxis de rue vont circuler sur le territoire bruxellois à la recherche de clients sans réservation préalable » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-
Capitale, 2021-2022, A-541/2, p. 59).
En réponse à une question posée, il précise encore :
« [C]’est la traçabilité qui importe et non d’interdire une clientèle privée. Dès lors il est important que l’on puisse apporter la démonstration qu’une réservation a été faite et que le client n’a pas été pris au passage. [...] Le but n’est pas d’empêcher de maintenir une clientèle privée, mais uniquement de maintenir l’équilibre entre la transparence et le fait que l’on puisse, au travers d’applications, répondre au besoin d’une clientèle privée. [...]
Le président résume qu’il n’est dès lors pas exclu d’avoir une clientèle privée, pour autant que cela reste traçable » (ibid., pp. 74-75).
Les contours de la notion de clientèle privée ne sont pas définis par les travaux préparatoires. À l’occasion du dépôt d’un amendement, il a été évoqué l’existence d’une « clientèle privée composée d’habitués qui font directement appel à eux. Ceux-ci, en l’absence d’une plateforme de réservation régionale, ne pourraient plus recevoir de réservations de la part d’un hôtel, d’un site qui propose des hébergements, de clients habitués, etc. » (ibid., p. 154).
B.37. Il découle de ce qui précède que l’article 3, 5°, de l’ordonnance du 9 juin 2022 ne fait pas obstacle à la possibilité pour des clients de faire directement appel aux services d’un
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taxi de rue mais soumet cette possibilité à la condition, pour l’exploitant, de disposer d’un agrément d’intermédiaire de réservation. Par conséquent, la disposition attaquée ne prive pas les taxis de rue de la possibilité de développer et de conserver une clientèle privée. La Cour doit toutefois encore examiner si la condition mise en place par l’ordonnance précitée n’emporte pas des conséquences disproportionnées en rendant exagérément difficile la constitution d’une telle clientèle.
B.38.1. L’agrément des intermédiaires de réservation est réglé par les articles 21 à 25 de l’ordonnance du 9 juin 2022, qui confie au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale le soin de préciser ses modalités pratiques. Comme le précise l’exposé des motifs de l’ordonnance du 9 juin 2022, « les conditions de délivrance de l’agrément sont calquées sur celles applicables à l’autorisation d’exploiter. [...] Une condition supplémentaire est prévue : la personne qui sollicite l’agrément doit avoir une unité d’établissement en Belgique, au plus tard la veille de la mise à disposition du public de son service d’intermédiation de réservation »
(Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/1, p. 21).
B.38.2. Compte tenu de ce parallélisme et de la condition supplémentaire marginale de l’unité d’établissement en Belgique, il n’apparaît pas que les conditions requises pour obtenir l’agrément d’intermédiaire de réservation soient particulièrement contraignantes pour un exploitant de services de taxis de rue. En outre, la pratique en la matière démontre que ce statut n’est pas réservé à des entreprises de grande taille voire à des multinationales. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale relève à cet effet que l’administration a procédé à l’agrément de 54 intermédiaires de réservation en date du 21 juin 2023. Parmi ceux-
ci, 35 sont également titulaires d’une autorisation d’exploiter un service de taxis de rue.
B.39. Par ailleurs, et contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, le lancement d’une activité comme intermédiaire de réservation n’implique pas, pour l’exploitant d’un service de taxis de rue, la gestion d’une plateforme électronique qui nécessiterait des moyens et ressources importantes. L’article 30, 2°, de l’ordonnance du 9 juin 2022 précise en effet que l’intermédiaire de réservation doit être « accessible au public électroniquement et/ou téléphoniquement ».
Les travaux préparatoires de l’ordonnance du 9 juin 2022 mentionnent :
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« Bien que les intermédiaires apparus récemment ont en commun leur modèle technologique basé sur l’utilisation d’une application pour téléphone mobile, il ne sera pas exigé des services des intermédiaires de réservation qu’ils soient accessibles au public électroniquement. Les centrales d’appel téléphoniques sont également des intermédiaires de réservation, et elles pourront continuer à fonctionner de la sorte si elles le souhaitent » (Doc.
parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/1, p. 24).
Il en résulte que le législateur ordonnanciel n’a pas restreint les moyens d’accès à un appareillage technologique unique mais a voulu à la fois s’assurer qu’aucune course ne serait effectuée sans réservation ainsi que garantir la traçabilité des courses. Au surplus, les parties requérantes n’indiquent pas en quoi consisterait un appel à leurs services qui ne passerait ni par une plateforme électronique, ni par le téléphone.
B.40. En ce qu’une clientèle privée peut faire appel aux services d’un exploitant de taxis de rue, agréé comme intermédiaire de réservation, tant par le biais d’une plateforme électronique qu’au moyen d’un téléphone, la mesure attaquée ne produit pas des effets disproportionnés aux buts visés.
B.41. Le moyen unique, en sa cinquième branche, n’est pas fondé.
En ce qui concerne l’affaire n° 7910
Premier moyen
B.42. La partie requérante prend un premier moyen de la violation, par les articles 3, 1°, alinéa 2, b), 36 et 37 de l’ordonnance du 9 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, de l’article 92bis, § 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980 et du principe de proportionnalité.
B.43.1. Les articles attaqués disposent :
« Art. 3. En raison de la mission d’intérêt public que remplissent les services de taxis, il est interdit :
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1° sous la réserve énoncée à l’alinéa suivant, d’exploiter un service de taxis sans autorisation d’exploiter délivrée conformément aux dispositions de la présente ordonnance.
Tant que l’accord de coopération relatif aux services de taxis qui s’étendent sur le territoire de plus d’une Région visé à l’article 92bis, § 2, c), de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 n’est pas entré en vigueur, l’exigence visée à l’alinéa précédent n’est pas applicable aux personnes qui disposent de la licence visée à l’article 6, § 1er, du décret flamand de 2019 ou de l’autorisation visée à l’article 25 du décret flamand de 2001 ou de l’autorisation visée à l’article 3 du décret wallon de 2007, lorsque les conditions cumulatives suivantes sont remplies :
a) la course a été réservée;
b) sauf pour les services de taxis cérémoniels, le véhicule au moyen duquel la course sera prestée se trouve en dehors du territoire de la Région de Bruxelles-Capitale lorsque l’exploitant accepte de prester la course;
c) sauf pour les services de taxis cérémoniels, le point d’arrivée de la course est situé en dehors du territoire de la Région de Bruxelles-Capitale;
[...] ».
« Art. 36. § 1er. Les comportements suivants constituent une infraction sanctionnée d’une peine d’emprisonnement de huit jours jusqu’à trois mois et/ou d’une amende allant de 500 euros à 10.000 euros :
1° exploiter un service de taxis sans autorisation;
2° prester une course de taxis sous le couvert de la licence visée à l’article 6, § 1er, du décret flamand de 2019, ou de l’autorisation visée à l’article 25 du décret flamand de 2001 ou de l’autorisation visée à l’article 3 du décret wallon de 2007, mais sans respecter l’ensemble des exigences liées à la délivrance et à l’exploitation de cette licence ou de cette autorisation;
3° donner les apparences d’un véhicule de taxi de station à un véhicule qui n’est pas enregistré pour prester un tel service de taxis;
4° occuper un emplacement de stationnement réservé aux taxis sans autorisation d’exploiter un service de taxis de station;
5° ne pas respecter les tarifs des services de taxis fixés par le Gouvernement;
6° négliger une injonction d’arrêt donnée par un agent qualifié.
§ 2. Sous réserve de l’hypothèse visée au paragraphe 3, toute autre violation des dispositions de la présente ordonnance ou de ses dispositions d’exécution constitue une infraction sanctionnée d’une peine d’emprisonnement de huit jours à trois mois et/ou d’une amende allant de 26 euros à 10.000 euros.
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§ 3. La violation des dispositions de la présente ordonnance relatives aux intermédiaires de réservation constitue une infraction sanctionnée d’une peine d’emprisonnement de huit jours jusqu’à trois mois et/ou d’une amende allant de 1.250 euros à 25.000 euros.
§ 4. Les dispositions du livre 1er du Code pénal, y compris le chapitre VII et l’article 85, sont applicables aux infractions visées aux paragraphes 1er à 3.
Toutefois, sans préjudice de l’article 56 du Code pénal, la peine ne peut, en cas de récidive dans les deux ans à partir de la condamnation, être inférieure au double de la peine prononcée antérieurement du chef de la même infraction.
§ 5. En cas de concours de plusieurs infractions visées aux paragraphes 1er et 2, les montants des amendes sont cumulés sans pouvoir excéder la somme de 20.000 euros.
§ 6. Le tribunal de police est compétent pour connaître des infractions visées aux paragraphes 1er à 3.
Art. 37. § 1er. Le juge ordonne la confiscation du ou des véhicule(s) avec le(s)quel(s)
l’une des infractions visées à l’article 36, § 1er, 1° à 3°, a été commise lorsque ce(s) véhicule(s)
appartien(nen)t au condamné.
§ 2. Le juge peut ordonner la confiscation du ou des véhicule(s) avec le(s)quel(s) l’une des autres infractions visées à l’article 36, § 1er, a été commise lorsque ce(s) véhicule(s)
appartien(nen)t au condamné ».
B.43.2. Il ressort des travaux préparatoires de l’ordonnance du 9 juin 2022 que le législateur ordonnanciel entend faire face à la concurrence créée par les exploitants de services de taxis qui bénéficient d’une autorisation non bruxelloise tout en reconnaissant sa marge réduite au regard de l’article 92bis, § 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980 ainsi que de la jurisprudence de la Cour et du principe d’union économique et d’unité monétaire. Il a dès lors été choisi de sanctionner pénalement le fait, pour un exploitant disposant d’une autorisation délivrée dans une autre région, d’accomplir ses services sur le territoire bruxellois sans respecter les obligations que lui impose la législation de cette autre région (Doc. parl, Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/1, p. 7).
Les commentaires des dispositions attaquées ajoutent :
« Article 3
84
Cet article est le cœur du système mis en place par l’ordonnance. Il pose le principe fondamental selon lequel personne ne peut, sans y avoir été autorisé au préalable, ni exploiter un service de taxis, ni travailler comme chauffeur de taxi, ni mettre à disposition une plateforme de réservation. Il est également interdit d’utiliser un véhicule dans le cadre d’un service de taxis sans l’avoir enregistré au préalable à cette fin (sauf dans le cas de l’utilisation d’un véhicule de remplacement conformément à ce que prévoit l’ordonnance) et d’accepter une course proposée par un intermédiaire de réservation non agréé.
L’article précise également que tant que l’accord de coopération dont la conclusion est imposée par la loi spéciale du 8 août 1980 pour les ‘ services de taxis qui s’étendent sur le territoire de plus d’une Région ’ n’est pas adopté, la législation régionale ne peut pas encadrer ces services ‘ transrégionaux ’. L’évocation de cet accord de coopération n’est pas nécessaire d’un point de vue légistique. Elle vise simplement à clarifier la situation actuelle, pour éviter toute mauvaise compréhension du champ d’application de l’ordonnance.
[...]
Article 36
L’échelle des sanctions pénales prévue par l’article 35 de l’ordonnance de 1995 est conservée, mais une série d’infractions est ajoutée à la liste de celles qui sont sanctionnées le plus sévèrement.
Parmi ces infractions, la nouvelle ordonnance reprend explicitement le fait, pour un exploitant de taxis qui offre ses services sur le territoire de la Région bruxelloise sous le couvert d’une licence/autorisation délivrée par une autre Région, de le faire en violant les obligations qui sont les siennes en vertu de la législation flamande ou wallonne à laquelle il est soumis.
L’objectif n’est pas de se substituer aux autorités flamandes ou wallonnes qui ont la compétence de veiller au respect de ces législations régionales, mais de lutter contre la concurrence déloyale que représenterait, pour les titulaires d’une autorisation d’exploiter délivrée par la Région bruxelloise soumis au contrôle de la législation bruxelloise, un ‘ exploitant flamand ’ ou un ‘ exploitant wallon ’ qui assurerait, sur réservation, des courses au départ du territoire bruxellois sans être soumis au régime légal bruxellois et sans respecter le régime flamand ou wallon qui s’applique à lui.
Il ne s’agit pas, ce faisant, de régler les services de taxis qui s’étendent sur le territoire de plus d’une Région (ce que l’ordonnance ne peut pas faire tant que l’accord de coopération ad hoc n’a pas été adopté; voir à ce sujet le commentaire de l’article 3). Cette mesure relève de la reconnaissance mutuelle des autorisations : l’ordonnance n’entend pas imposer elle-même quoi que ce soit aux ‘ exploitants flamands/wallons ’, elle se limite à autoriser ‘ ses ’ contrôleurs à vérifier que les exigences imposées par les deux autres Régions sont respectées. Si ce n’est pas le cas, la Région bruxelloise est en droit de considérer que l’exploitant fautif n’est pas autorisé à se prévaloir de la reconnaissance mutuelle des autorisations. Cela est conforme à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, qui a notamment jugé, dans son arrêt 41/2010, que ‘ Selon le principe de reconnaissance mutuelle, inhérent à l’union économique et monétaire entre les composantes de l’État, une personne proposant des services sur le territoire d’une de ces composantes en se conformant aux règles qui y sont applicables est présumée pouvoir exercer librement cette activité sur le territoire de toute autre composante de l’État [...] ’ (point
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B.5.3, alinéa 2). Le respect des règles applicables est donc bien la condition sine qua non du principe de reconnaissance mutuelle. À défaut, en l’espèce, l’exploitant ne devrait respecter ‘ sa ’ législation régionale que lorsqu’il preste ses services sur le territoire de cette Région, mais n’y serait de facto plus tenu dès le moment où il se trouve sur le territoire d’une autre Région, puisque le service devient alors ‘ transrégional ’ et que personne ne serait compétent pour le contrôler en l’absence d’accord de coopération. Une telle interprétation n’est pas admissible.
Est également sévèrement sanctionnable le fait de ‘ Donner les apparences d’un véhicule de taxi de station à un véhicule qui n’est pas enregistré pour prester un tel service de taxi ’.
L’ordonnance de 1995 prévoit déjà une incrimination similaire (art. 35, § 1er, al. 2). L’attention est ici attirée sur le fait que l’article 33 de la nouvelle ordonnance continuera à viser les ‘ apparences ’ données à un véhicule, et pas ‘ l’identité visuelle ’ imposée aux taxis de station, pour donner à cette infraction une portée large : la reproduction de l’identité visuelle n’est pas le seul comportement infractionnel concerné; toute création d’une confusion visuelle avec un taxi de station est visée, quelle qu’elle soit.
Le § 6 maintient la compétence des tribunaux de police pour connaître des infractions listées à l’article 33, qui est déjà inscrite à l’article 35, § 4, dernier alinéa, de l’ordonnance de 1995.
Article 37
Les modalités de confiscation du/des véhicule(s) en cas d’infractions feront désormais l’objet d’un article spécifique, mais qui conserve le principe de la distinction entre les infractions impliquant la confiscation obligatoire (art. 35, § 1er, al. 3, de l’ordonnance de 1995)
et celles pour lesquelles il s’agit d’une faculté laissée à l’appréciation du juge (art. 35, § 2, al. 2).
Il est par ailleurs précisé que la confiscation n’est, dans les deux hypothèses, possible que pour les véhicules qui appartiennent au condamné, conformément à la remarque formulée par la section de législation du Conseil d’État dans son avis rendu sur l’avant-projet devenu l’ordonnance de 1995 » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/1, pp. 11 et 27-29).
B.44.1. Tant le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale que le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale allèguent que le premier moyen est irrecevable en ce qu’il porte sur les articles 36 et 37 de l’ordonnance du 9 juin 2022, puisque la partie requérante ne démontre pas en quoi ceux-ci violeraient les normes visées au moyen. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient par ailleurs que le moyen est également irrecevable en ce qu’il est pris de la violation du « principe de proportionnalité »
invoqué seul.
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B.44.2. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle (ci-après : la loi spéciale du 6 janvier 1989), les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions.
B.44.3. La partie requérante n’expose pas en quoi les articles 36 et 37 de l’ordonnance du 9 juin 2022 violeraient les normes de contrôle mentionnées au moyen. Le moyen n’est dès lors recevable qu’en ce qu’il vise l’article 3, 1°, alinéa 2, b), de l’ordonnance du 9 juin 2022.
B.45.1. La Cour doit déterminer l’étendue du recours en annulation sur la base du contenu de la requête.
La Cour peut uniquement annuler des dispositions législatives explicitement attaquées contre lesquelles des moyens sont invoqués et, le cas échéant, des dispositions qui ne sont pas attaquées mais qui sont indissociablement liées aux dispositions qui doivent être annulées.
B.45.2. La partie requérante ne sollicite expressément que l’annulation de l’article 3, 1°, alinéa 2, b), de l’ordonnance du 9 juin 2022 et pas des points a) et c) de ce même alinéa. Il ressort toutefois de l’exposé développé dans la requête que la partie requérante critique en réalité les conséquences qu’entraîne la combinaison des conditions prévues à l’article 3, 1°, alinéa 2, pour les titulaires d’un permis de taxi délivré par la Région flamande, lorsqu’ils effectuent des services de taxis sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale. Eu égard à la portée de la requête et au caractère cumulatif des conditions énoncées à l’article 3, 1°, alinéa 2, de l’ordonnance du 9 juin 2022, les points a) et c) de cet alinéa doivent être considérés en l’espèce comme indissociablement liés au point b), attaqué, de ce même alinéa.
B.46. La loi spéciale du 8 août 1988 modifiant la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1988) a introduit dans l’article 6, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 une rubrique « X » aux termes de laquelle les régions sont
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compétentes notamment pour « le transport en commun urbain et vicinal, en ce compris les services réguliers spécialisés et les services de taxis » (article 6, § 1er, X, alinéa 1er, 8°). Par l’article 2, § 10, de la loi spéciale du 16 juillet 1993 visant à achever la structure fédérale de l’Etat, les termes « et les services de taxis » figurant dans cette disposition ont été remplacés par les termes « , les services de taxis et les services de location de voitures avec chauffeur ».
B.47.1. La loi spéciale du 8 août 1988 a introduit dans la loi spéciale du 8 août 1980 un article 92bis dont le deuxième paragraphe dispose que les régions « concluent en tout cas des accords de coopération pour le règlement des questions relatives : [...] c) aux services de transport en commun urbains et vicinaux et services de taxis qui s’étendent sur le territoire de plus d’une Région ».
B.47.2. Dès lors que l’absence de coopération dans une matière pour laquelle le législateur spécial prévoit une coopération obligatoire n’est compatible ni avec le principe de proportionnalité propre à tout exercice de compétence ni avec la loyauté fédérale, la Cour peut vérifier le respect de l’obligation de conclure des accords de coopération, contenue dans l’article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.47.3. La coopération rendue obligatoire par l’article 92bis, § 2, c), a été justifiée comme suit dans les travaux préparatoires de la loi spéciale du 8 août 1988 :
« Le projet fixe le cadre légal permettant une coopération entre les autorités nationales, les Communautés et les Régions, y compris le maintien éventuel, la création et la gestion conjointe de services et d’institutions.
Vu la nature des matières, une collaboration s’impose en tout cas dans le domaine des voies transfrontalières, des voies d’eau, des forêts, des transports urbains et vicinaux et des normes communes » (Doc. parl., Chambre, S.E. 1988, n° 516/1, p. 30).
B.48.1. L’article 3, 1°, alinéa 1er, de l’ordonnance du 9 juin 2022 dispose qu’il est interdit « d’exploiter un service de taxis sans autorisation d’exploiter délivrée conformément aux dispositions de la présente ordonnance ». Aux termes de l’article 2, 1°, de la même ordonnance, un service de taxis au sens de ladite ordonnance s’entend de « tout service de transport de personnes qui réunit les conditions suivantes : [...] e) le point de départ de la course se situe sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale ».
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B.48.2. Par dérogation à ce qui précède, l’article 3, 1°, alinéa 2, de l’ordonnance du 9 juin 2022 prévoit qu’une telle autorisation n’est pas requise pour les « personnes qui disposent de la licence visée à l’article 6, § 1er, du décret flamand de 2019 ou de l’autorisation visée à l’article 25 du décret flamand de 2001 ou de l’autorisation visée à l’article 3 du décret wallon de 2007 », mais à la condition que la course ait été réservée (a)), que le véhicule se trouve en dehors du territoire de la Région de Bruxelles-Capitale lorsque l’exploitant accepte d’effectuer la course (b)) et que le point d’arrivée de la course soit situé en dehors du territoire de la Région de Bruxelles-Capitale (c)). La disposition attaquée fixe dès lors des conditions spécifiques et dérogatoires dans lesquelles les titulaires d’une autorisation flamande ou wallonne peuvent accomplir des courses de taxi dont le point de départ est situé sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.
B.49. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale allègue qu’il y a lieu d’opérer une distinction entre l’exploitation d’un service de taxis et la simple exécution d’une course de taxi, se référant à la légisprudence du Conseil d’État (Doc. parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1994-1995, A-368/1, p. 44) ainsi qu’aux arrêts précédemment rendus par la Cour en la matière (arrêts nos 85/2008 (ECLI:BE:GHCC:2008:ARR.085), 40/2012
(ECLI:BE:GHCC:2012:ARR.040) et 129/2015 (ECLI:BE:GHCC:2015:ARR.129)). Toutefois, cette distinction ne saurait justifier l’absence d’un accord de coopération. En ce qui concerne le transport par taxi, la substance du service consiste en l’exécution de courses. À cet égard, l’article 2, 1°, de l’ordonnance du 9 juin 2022 définit la notion de « service de taxis » en se référant aux caractéristiques de la course effectuée, en particulier son point de départ. Par conséquent, toute limitation de la possibilité d’effectuer des courses renferme également une limitation de la façon dont le titulaire de l’autorisation concerné peut exploiter son service.
B.50. Ainsi, le législateur ordonnanciel a arrêté unilatéralement des dispositions qui portent spécifiquement sur l’exercice, sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, de services de taxis exploités depuis le territoire de la Région flamande et de la Région wallonne, et qui s’étendent donc sur le territoire de plus d’une région. Le règlement de telles questions doit faire l’objet d’un accord de coopération en vertu de l’article 92bis, § 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980 (voy. également, en ce sens, CE, avis n° 71.119/4 du 23 mars 2022, pp. 14-16, par référence à CE, avis n° 63.920/1/V du 26 octobre 2018, point 6). Au demeurant, l’article 3,
89
1°, alinéa 2, de l’ordonnance du 9 juin 2022 dispose lui-même que les conditions qu’il fixe ne s’appliquent que « tant que l’accord de coopération relatif aux services de taxis qui s’étendent sur le territoire de plus d’une Région visé à l’article 92bis, § 2, c), de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 n’est pas entré en vigueur ». La circonstance que l’ordonnance du 9 juin 2022 ne s’oppose pas à ce que les titulaires d’une autorisation délivrée en vertu de la réglementation flamande ou wallonne poursuivent leurs courses sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale ne conduit pas à une autre conclusion.
B.51. Le premier moyen dans l’affaire n° 7910 est fondé. L’article 3, 1°, alinéa 2, de l’ordonnance du 9 juin 2022 doit être annulé.
B.52. Dès lors que le second moyen dans l’affaire n° 7910 ne peut donner lieu à une annulation plus étendue, il ne doit pas être examiné.
En ce qui concerne l’affaire n° 7911
Premier moyen
B.53. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation, par les articles 2, alinéa 1er, 8°, 5, §§ 2 et 3, 6, § 3, et 47 de l’ordonnance du 9 juin 2022, des articles 10, 11, 16
et 27 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d’entreprendre, avec la libre concurrence consacrée par les articles 101 et 102 du TFUE et par l’article 4, paragraphe 3, du TUE, avec les libertés consacrées par l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 et par les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, et avec la liberté d’établissement consacrée par l’article 49 du TUE, ainsi qu’avec l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3
et alinéa 5, 5°, et X, 8°, et l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, en ce qu’ils interdisent à une personne morale de se voir délivrer directement une autorisation d’exploiter un service de taxis ou d’être directement titulaire d’une telle autorisation.
B.54.1. Les dispositions attaquées sont libellées comme suit :
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« Art. 2. Dans la présente ordonnance, on entend par :
[...]
8° exploitant : la personne physique titulaire de l’autorisation d’exploiter visée à l’article 5, § 2, et, conjointement, le cas échéant, la personne morale visée à l’article 5, § 3;
[...] ».
« Art. 5. [...]
§ 2. L’autorisation est délivrée par le Gouvernement ou son délégué et ne peut l’être qu’à une personne physique.
§ 3. L’exploitation des services de taxis autorisée conformément au § 2 peut être prise en charge par une personne morale à la condition que le titulaire de l’autorisation d’exploiter soit l’administrateur chargé de la gestion journalière de cette personne morale.
[...]
Art. 6. [...]
§ 3. Lorsque le demandeur entend partager la qualité d’exploitant avec une personne morale visée à l’article 5, § 3, les conditions de moralité visées au paragraphe 2 du présent article doivent être remplies par cette personne morale et par chaque personne physique qui siège dans l’organe statutaire en charge de la gestion journalière de cette personne morale, que ces personnes physiques y siègent en cette qualité ou en qualité de représentant d’une autre personne morale.
[...] ».
« Art. 47. § 1er. Les autorisations d’exploiter un service de taxis délivrées initialement en application de l’ordonnance de 1995 ou de la loi de 1974 restent valables jusqu’à la date prévue par chacune de ces autorisations. Dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, les véhicules qui y sont enregistrés sont automatiquement considérés comme des taxis de station.
§ 2. En cas de renouvellement après l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, les autorisations visées au paragraphe 1er restent considérées comme ayant été initialement délivrées en application de l’ordonnance de 1995 ou de la loi de 1974.
§ 3. Les exploitants qui ont acquis une autorisation visée au paragraphe 1er dans le cadre d’une procédure de cession à titre onéreux ayant fait l’objet d’un avis favorable de la Commission visée à l’article 10bis, alinéa 1er, 4°, de l’ordonnance de 1995 peuvent, dans les deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, demander au Gouvernement de leur racheter leur autorisation.
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Les exploitants qui auront bénéficié du dispositif prévu à l’alinéa précédent ne pourront plus demander de nouvelles autorisations d’exploiter un service de taxis.
Le prix payé par le Gouvernement pour ce rachat est fixé forfaitairement à 35.000 euros ».
B.54.2. Les travaux préparatoires de l’ordonnance du 9 juin 2022 précisent :
« La notion d’exploitant met en évidence le fait que, lorsque le titulaire de l’autorisation d’exploiter un service de taxis (qui doit obligatoirement être une personne physique; voir à ce sujet le commentaire de l’article 5) exerce cette activité via une société (ce qu’il peut faire dans le respect des conditions prévues par l’ordonnance; voir à ce sujet le commentaire de l’article 6), la qualité d’exploitant est reconnue conjointement à cette personne physique et à cette personne morale » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/1, p. 10).
« Par ailleurs, les autorisations ne pourront plus être délivrées qu’à des personnes physiques, afin de faciliter le contrôle du respect des conditions d’exploitation imposées aux exploitants, que les reventes et changements de contrôle de sociétés exploitantes compliquent actuellement.
L’ordonnance précise que cette exigence n’interdit pas à la personne physique titulaire de l’autorisation d’exercer son activité par l’intermédiaire d’une société mais, dans cette hypothèse, d’une part, il est imposé que cette personne physique gère cette personne morale et, d’autre part, la qualité d’exploitant est attribuée conjointement à ces deux personnes, afin de faire peser sur elles deux les obligations imposées par l’ordonnance.
Cette exigence ne limite pas la liberté d’entreprendre du titulaire de l’autorisation d’exploiter puisque celui-ci ne se voit pas limité dans son droit d’organiser son activité professionnelle au travers d’une personne morale. Dans cette circonstance, la seule exigence imposée (la gestion de cette personne morale par le titulaire de l’autorisation d’exploiter lui-
même), est justifiée par les conditions qui sont requises pour pouvoir obtenir l’autorisation d’exploiter (voir le commentaire de l’article 6). Les conditions de moralité et de qualification professionnelle étant intrinsèquement liées à la personne (ou aux personnes) physique(s)
exerçant l’activité, même si la possibilité de délivrer l’autorisation à une personne morale était prévue, la nouvelle ordonnance imposerait que cette personne morale démontre que ces conditions sont remplies par la (ou les) personne(s) physique(s) en charge de sa gestion. Par ailleurs, la nouvelle ordonnance, pour garantir que ce sont bien les personnes physiques remplissant les conditions d’obtention de l’autorisation qui gèrent l’activité, ne permettra plus la cession des autorisations (sauf exception prévue à l’article 10 pour les autorisations délivrées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle ordonnance). Dans ce contexte, prévoir la possibilité de délivrer l’autorisation à une personne morale ne changerait rien sur le fond tout en compliquant le nouveau régime légal sur la forme (ce qui irait à l’encontre de l’un des objectifs de la réforme).
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Dans son avis sur l’avant-projet d’ordonnance, la section de législation du Conseil d’État a, notamment, souligné que ‘ l’exclusion des personnes morales du régime d’autorisation d’exploiter en projet devrait être assortie de mesures transitoires adéquates et assurant un traitement conforme au principe constitutionnel d’égalité et de non-discrimination des personnes morales exploitant actuellement les divers services de taxis entrant dans son champ d’application ’. À cet égard, il faut d’abord rappeler que le champ d’application de l’ordonnance de 1995 ne couvre pas divers services de taxis; celle-ci organise, de manière distincte du secteur de la location de véhicules avec chauffeur, le secteur du taxi. Il faut souligner, ensuite, que la nouvelle ordonnance permettra aux actuels titulaires d’une autorisation d’exploiter un service de taxis (qui peuvent être des personnes morales) de poursuivre leur activité sur la base de leur ‘ ancienne ’ autorisation; il est donc prévu, pour ces personnes morales exploitant actuellement un service de taxis, une dérogation au nouveau principe de délivrance exclusive des autorisations à des personnes physiques » (ibid., pp. 13-14).
« Article 6
[...]
Le § 3 exprime l’une des conséquences de l’attribution conjointe de la qualité d’exploitant à la personne physique qui doit être la titulaire de l’autorisation et à la personne morale via laquelle l’activité peut être exercée : le respect des conditions de moralité doit être démontré tant dans le chef de la première que dans celui de toutes les personnes qui assurent la gestion journalière de la seconde » (ibid., pp. 14-15).
B.54.3. Le ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale ajoute :
« En ce qui concerne les nouvelles autorisations, le choix qui a été fait est clair : toutes les nouvelles autorisations de taxis de rue, de taxis de station et de cérémonie seront incessibles et réservées aux personnes physiques. La titularité aux personnes physiques vise aussi à lutter contre la spéculation autour de la vente d’autorisation. Il est préféré un système où la plus-value est liée à l’activité effective du service taxi plutôt qu’à la vente d’une autorisation délivrée initialement gratuitement. La titularité aux personnes physiques vise également à renforcer la place des petits exploitants et des chauffeurs. De plus, c’est une conséquence logique du principe d’incessibilité. Il est préféré en effet d’octroyer de nouvelles autorisations gratuitement à des candidats exploitants-chauffeurs qui veulent se lancer dans ce beau métier plutôt que de les contraindre à débourser des dizaines de milliers d’euros pour racheter une licence ou une société. Il indique avoir par ailleurs répondu à la remarque du Conseil d’État sur ce point, puisque dans son avis sur l’avant-projet d’ordonnance, la section de législation du Conseil d’État a notamment souligné que ‘ l’exclusion des personnes morales du régime d’autorisation d’exploiter en projet devrait être assortie de mesures transitoires adéquates et assurant un traitement conforme au principe constitutionnel d’égalité et de non-discrimination des personnes morales exploitant actuellement les divers services de taxis entrant dans son champ d’application ’ » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/2, p. 62).
93
B.55. Ce moyen contient plusieurs branches. La Cour examine d’abord le grief tiré de la répartition des compétences, qui constitue la quatrième branche.
Quatrième branche du premier moyen
B.56. Dans la quatrième branche, les parties requérantes contestent la compétence de la Région de Bruxelles-Capitale d’adopter la mesure d’interdiction, pour une personne morale, de se voir délivrer directement une autorisation d’exploiter un service de taxis ou d’être directement titulaire d’une telle autorisation, en ce que cette mesure empiéterait sur la compétence du législateur fédéral relative au droit commercial et au droit des sociétés.
B.57.1. La loi spéciale du 8 août 1988 a introduit dans l’article 6, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 une rubrique « X » aux termes de laquelle les régions sont compétentes notamment pour « le transport en commun urbain et vicinal, en ce compris les services réguliers spécialisés et les services de taxis » (article 6, § 1er, X, alinéa 1er, 8°).
B.57.2. En vertu de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, de la loi spéciale du 8 août 1980, le législateur fédéral est compétent pour le droit commercial et le droit des sociétés.
B.57.3. Il faut considérer que le Constituant et le législateur spécial, dans la mesure où ils ne disposent pas autrement, ont attribué aux communautés et aux régions toute la compétence d’édicter les règles propres aux matières qui leur ont été transférées. Sauf dispositions contraires, le législateur spécial a transféré aux communautés et aux régions l’ensemble de la politique relative aux matières qu’il a attribuées.
B.58.1. Les parties requérantes soutiennent que les dispositions attaquées dérogent aux articles I.1 à I.6 du Code de droit économique, lesquels consacreraient une indissociabilité de la titularité d’une autorisation d’exercer une activité économique et son exercice effectif.
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B.58.2. Les articles I.1 à I.6 du Code de droit économique comportent une série de définitions applicables au reste du Code, parmi lesquelles celles d’entreprise, de service ou de prestataire. Contrairement à ce qu’affirment les parties requérantes, aucune de ces définitions ne concerne la titularité d’une autorisation d’exercer une activité économique.
B.58.3. Les dispositions attaquées n’empêchent en rien et ne rendent pas exagérément difficile l’exercice de la compétence de l’autorité fédérale en matière de droit commercial et de droit des sociétés. En limitant la délivrance de l’autorisation d’exploiter un service de taxis à une personne physique, mais en maintenant la possibilité de confier la qualité d’exploitant à une personne morale, l’ordonnance ne remet pas en cause les définitions inscrites dans le Code de droit économique. Au surplus, contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, il n’apparaît pas que l’ordonnance du 9 juin 2022 créerait un nouveau type d’entreprise sui generis.
En mettant en place le principe de la délivrance de l’autorisation d’exploiter un service de taxis à des personnes physiques tout en leur permettant l’exploitation dudit service par une personne morale, le législateur ordonnanciel a exercé la compétence que lui confère l’article 6, § 1er, X, alinéa 1er, 8°, de la loi spéciale du 8 août 1980, en application de l’article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux Institutions bruxelloises. En procédant de la sorte, le législateur ordonnanciel n’a pas méconnu les compétences de l’autorité fédérale.
B.59. Le premier moyen, en sa quatrième branche, n’est pas fondé.
Première branche du premier moyen
B.60. Dans la première branche, les parties requérantes allèguent que la mesure attaquée crée plusieurs différences de traitement injustifiées ainsi qu’une atteinte au droit de propriété et à la liberté d’association.
B.61. L’article 16 de la Constitution dispose :
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« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
B.62.1. L’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après : le Premier Protocole additionnel) ayant une portée analogue à celle de l’article 16 de la Constitution, les garanties qu’il contient forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans cette disposition constitutionnelle, de sorte que la Cour en tient compte lors de son contrôle de la disposition attaquée.
B.62.2. L’article 1er du Premier Protocole additionnel dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».
B.62.3. L’article 1er du Premier Protocole additionnel offre une protection non seulement contre l’expropriation ou contre la privation de propriété (premier alinéa, seconde phrase), mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase) et contre toute réglementation de l’usage des biens (second alinéa).
Cet article ne porte pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général.
L’ingérence dans le droit au respect des biens n’est compatible avec ce droit que si elle est raisonnablement proportionnée au but poursuivi, c’est-à-dire si elle ne rompt pas le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et celles de la protection de ce droit. La Cour européenne des droits de l’homme considère également que les États membres disposent en la matière d’une grande marge d’appréciation (CEDH, 2 juillet 2013, R.Sz. c. Hongrie, ECLI:CE:ECHR:2013:0702JUD004183811, § 38).
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B.63.1. L’article 27 de la Constitution dispose :
« Les Belges ont le droit de s’associer; ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive ».
B.63.2. L’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État ».
B.63.3. L’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose :
« 1. Toute personne a le droit de s’associer librement avec d’autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer pour la protection de ses intérêts.
2. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui. Le présent article n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ce droit par les membres des forces armées et de la police.
3. Aucune disposition du présent article ne permet aux États parties à la Convention de 1948 de l’Organisation internationale du Travail concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical de prendre des mesures législatives portant atteinte – ou d’appliquer la loi de façon à porter atteinte – aux garanties prévues dans ladite convention ».
B.63.4. Lorsqu’une disposition conventionnelle liant la Belgique a une portée analogue à celle d’une des dispositions constitutionnelles dont le contrôle relève de la compétence de la Cour et dont la violation est alléguée, les garanties consacrées par cette disposition
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conventionnelle constituent un ensemble indissociable avec les garanties inscrites dans les dispositions constitutionnelles concernées.
Il s’ensuit que, dans le contrôle qu’elle exerce au regard de l’article 27 de la Constitution, la Cour tient compte de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui garantissent des droits ou libertés analogues.
B.63.5. La liberté d’association consacrée par l’article 27 de la Constitution a pour objet de garantir la création d’associations privées et la participation à leurs activités. Elle implique le droit de s’associer et celui de déterminer librement l’organisation interne de l’association, mais également le droit de ne pas s’associer.
L’autonomie organisationnelle des associations constitue un aspect important de la liberté d’association protégée par l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, 4 avril 2017, Lovrić c. Croatie, ECLI:CE:ECHR:2017:0404JUD003845815, § 71).
B.64. Les parties requérantes soulèvent trois différences de traitement : premièrement, entre les personnes physiques et les personnes morales qui entrent sur le marché des services de taxi; deuxièmement, entre les personnes morales détentrices d’une autorisation délivrée sous l’empire des anciennes législations et les personnes morales qui sollicitent une autorisation sous l’empire de l’actuelle législation; troisièmement, entre les exploitants et les intermédiaires de réservation. La Cour examine ces différences de traitement successivement.
Personnes physiques et personnes morales qui entrent sur le marché du taxi
B.65. Les parties requérantes soutiennent tout d’abord que la mesure attaquée traite différemment les personnes physiques et les personnes morales qui effectuent une demande d’autorisation sous l’empire de l’ordonnance du 9 juin 2022, puisque seules les personnes de la première catégorie peuvent se voir délivrer une autorisation d’exploiter un service de taxis.
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B.66. Les personnes morales et les personnes physiques constituent des catégories de personnes suffisamment comparables au regard de l’ordonnance du 9 juin 2022, puisqu’il s’agit, dans les deux cas, de personnes qui peuvent se voir confier la qualité d’exploitant d’un service de taxis.
B.67.1. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.54.2 que le fait que les autorisations d’exploiter ne peuvent être délivrées qu’aux seules personnes physiques vise à faciliter le contrôle du respect des conditions d’exploitation imposées aux exploitants. Le législateur ordonnanciel a mis en avant la difficulté de suivi et de communication qui découlait des nombreuses cessions et changements de statuts des personnes morales. Le choix est également motivé par la nature des conditions à contrôler, à savoir celles de moralité et de qualification professionnelle, qui sont intrinsèquement liées à une personne physique.
B.67.2. La circonstance qu’une personne morale ne puisse se voir délivrer en propre une autorisation d’exploiter un service de taxis n’a pas en soi pour effet de priver celle-ci de la possibilité d’exercer cette activité et d’en tirer des revenus, sous la condition que le titulaire de l’autorisation d’exploiter soit l’administrateur chargé de la gestion journalière de cette personne morale.
Il n’existe pas de droit subjectif pour une société à être titulaire, en propre, d’une autorisation d’exploiter une activité économique, a fortiori lorsque celle-ci est considérée par les autorités publiques comme une mission d’intérêt public qui fait l’objet d’une réglementation détaillée.
Enfin, l’obligation qui découle des dispositions attaquées de s’assurer, quels que soient les changements apportés à la société, que l’administrateur chargé de la gestion journalière de cette personne morale soit titulaire d’une autorisation d’exploiter un service de taxis afin que ladite société puisse continuer à fournir ces services ne constitue pas un obstacle ni une difficulté qui emporterait des effets disproportionnés sur la liberté d’association. Le législateur ordonnanciel a tenu à ne pas limiter le droit de s’associer et celui de déterminer librement l’organisation interne de l’association, puisque l’ordonnance du 9 juin 2022 permet aux titulaires d’une autorisation d’exploiter un service de taxis d’exploiter ce service sous la forme d’une société.
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Ces titulaires conservent dès lors le choix de la forme de l’entreprise ainsi que la capacité de s’associer le cas échéant avec d’autres exploitants.
B.67.3. Pour ces motifs, la différence de traitement repose sur un critère objectif et pertinent par rapport aux buts poursuivis et ne produit pas des effets disproportionnés, y compris au regard de la liberté d’association. La Cour doit toutefois encore examiner si la mesure attaquée n’emporte pas une atteinte injustifiée au droit de propriété.
B.68.1. En l’espèce, les parties requérantes soutiennent que l’autorisation d’exploiter un service de taxis revêt une valeur économique et que les personnes morales sont dès lors privées de l’accès à cette propriété.
B.68.2. La Cour européenne des droits de l’homme considère que la notion de « biens »
au sens de l’article 1er du Premier Protocole additionnel a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits de propriété » et donc pour des « biens » aux fins de l’article précité (CEDH, 23 février 1995, Gasus Dosier- und Fördertechnik GmbH c. Pays-Bas, ECLI:CE:ECHR:1995:0223JUD001537589, § 53; grande chambre, 25 mars 1999, Iatridis c. Grèce, ECLI:CE:ECHR:1999:0325JUD003110796, § 54).
À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu’une licence d’exploitation d’une activité commerciale constitue un bien (CEDH, 13 janvier 2015, Vékony c. Hongrie, ECLI:CE:ECHR:2015:0113JUD006568113, § 29; 8 avril 2008, Megadat.com SRL
c. Moldavie, ECLI:CE:ECHR:2008:0408JUD002115104, §§ 62 et 63; 10 juillet 2007, Bimer S.A. c. Moldavie, ECLI:CE:ECHR:2007:0710JUD001508403, § 49; 28 juillet 2005, Rosenzweig et Bonded Warehouses Ltd. c. Pologne, ECLI:CE:ECHR:2005:0728JUD005172899, § 49; 24 novembre 2005, Capital Bank AD
c. Bulgarie, ECLI:CE:ECHR:2005:1124JUD004942999, § 130; 7 juillet 1989, Tre Traktörer Aktiebolag c. Suède, ECLI:CE:ECHR:1989:0707JUD001087384, § 53). Toutefois, la Cour précitée estime que c’est le retrait d’une telle licence qui s’analyse en une atteinte au droit garanti par l’article 1er du Premier Protocole additionnel, tel que celui d’une autorisation de récolte (CEDH, 7 juin 2018, O’Sullivan McCarthy Mussel Development Ltd c. Irlande,
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ECLI:CE:ECHR:2018:0607JUD004446016, § 89). Par ailleurs, cette atteinte est liée à la conséquence négative d’affecter de manière significative les conditions d’une activité professionnelle et de réduire le champ de celle-ci, ce qui peut générer une diminution de revenus et de la valeur de l’entreprise (CEDH, 13 mars 2012, Malik c. Royaume-Uni, ECLI:CE:ECHR:2012:0313JUD002378008, § 90).
B.68.3. L’article 1er du Premier Protocole additionnel ne garantit pas le droit d’acquérir des biens (CEDH, 13 juin 1979, Marckx c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:1979:0613JUD000683374, § 50; grande chambre, 28 septembre 2004, Kopecký c. Slovaquie, ECLI:CE:ECHR:2004:0928JUD004491298, § 35). Dans certaines circonstances, des attentes fondées relatives à la réalisation de futurs titres de propriété peuvent certes relever de la protection de la disposition conventionnelle précitée. Cela implique qu’il soit question d’un titre ayant force obligatoire et qu’il existe une base suffisante en droit national avant qu’un justiciable puisse invoquer une espérance légitime. Le simple espoir d’obtenir la jouissance d’un droit de propriété ne constitue pas pareille espérance légitime (ibid.).
B.69. Il n’apparaît pas que les personnes morales pouvaient légitimement espérer que, dans le cadre de la réforme du secteur des taxis visée par le législateur ordonnanciel, elles pourraient elles-mêmes obtenir une future autorisation d’exploiter un service de taxis. Il ne s’agit dès lors pas d’une atteinte au droit de propriété de cette catégorie de personnes.
Les personnes morales qui disposent déjà d’une autorisation d’exploiter
B.70. Les parties requérantes soutiennent qu’il existe une différence de traitement entre les personnes qui effectuent une demande d’autorisation d’exploiter un service de taxis à partir de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 juin 2022 et les personnes morales qui disposaient déjà d’une autorisation d’exploiter un service de taxis, obtenue en application d’une législation antérieure, en ce que les personnes de la seconde catégorie ne sont pas soumises au principe de la délivrance exclusive aux personnes physiques.
101
B.71. En vertu du régime transitoire prévu par l’article 47 de l’ordonnance du 9 juin 2022, les personnes morales qui disposent d’une autorisation d’exploiter un service de taxis délivrée initialement en application de la loi du 27 décembre 1974 ou de l’ordonnance du 27 avril 1995
sont autorisées à conserver celle-ci en qualité de taxis de station, de manière renouvelable. Par conséquent, ces personnes morales ne sont pas soumises à l’obligation d’avoir comme administrateur chargé de sa gestion journalière le titulaire, personne physique, de l’autorisation d’exploiter.
B.72. Comme il est dit en B.22, les articles 10 et 11 de la Constitution ne sont violés que si l’absence d’une mesure transitoire entraîne une différence de traitement qui n’est pas susceptible de justification raisonnable ou s’il est porté une atteinte excessive au principe de la confiance légitime.
B.73. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.20.1 et en B.54.2 que le législateur ordonnanciel entend garantir les droits acquis des titulaires d’une autorisation d’exploiter un service de taxis délivrée sous l’empire des anciennes législations, qui découlent de l’existence historique d’un marché de revente des autorisations de service de taxis. Compte tenu du fait que ces exploitants-personnes morales ont acheté leur autorisation et fonctionnent déjà sous cette forme, le cas échéant depuis de nombreuses années, il est raisonnablement justifié de préserver leurs droits acquis. Les exploitants qui font une première demande d’autorisation d’exploiter un service de taxis après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 juin 2022 se voient en revanche délivrer leur autorisation à titre gratuit et sont soumis indistinctement à l’obligation de titularité en personne physique, qui, pour les motifs développés en B.67.1 à B.69, est suffisamment justifiée.
B.74. Une telle mesure ne produit par ailleurs pas des effets disproportionnés. Si le régime attaqué n’est pas extinctif, il a pour objectif de réduire progressivement le nombre de personnes morales qui sont titulaires, en propre, d’une autorisation d’exploiter un service de taxis de station (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/1, pp. 30-
31, et A-541/2, p. 48). En effet, il ressort de l’application combinée des articles 10 et 47 de l’ordonnance du 9 juin 2022 que la cession d’une autorisation détenue par une personne morale ne peut être effectuée que dans des conditions strictes, après autorisation préalable du Gouvernement, notamment dans le respect de l’obligation que le cessionnaire soit une personne
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physique ou, à défaut, qu’il soit une personne morale disposant déjà d’une autorisation délivrée sous l’empire d’une ancienne législation. Il en résulte que le régime transitoire est strictement limité à la situation des détenteurs de droits acquis.
Exploitants et intermédiaires de réservation
B.75. Enfin, les parties requérantes soutiennent qu’il existe une différence de traitement entre les exploitants de services de taxis de station qui effectuent une demande d’autorisation d’exploiter à partir de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 juin 2022 et les intermédiaires de réservation, en ce que les personnes de la seconde catégorie peuvent être agréées tant en personne physique qu’en personne morale.
B.76. Les exploitants et les intermédiaires de réservation effectuent des activités différentes, lesquelles sont visées par des conditions d’exercice distinctes. En vertu de l’article 2, 12°, de l’ordonnance du 9 juin 2022, un intermédiaire de réservation est « toute personne, physique ou morale, qui, de quelque façon que ce soit, intervient contre rémunération dans la mise à disposition sur le marché de services de taxis, assure la promotion des services de taxis sur le marché ou offre des services permettant aux exploitants et aux clients et usagers d’entrer en contact ». Par conséquent, un intermédiaire de réservation n’exploite pas lui-même un service de taxis et n’assure pas personnellement l’exécution des courses. Ces différences peuvent justifier que les personnes morales ne puissent pas obtenir une autorisation d’exploiter un service de taxis, mais qu’elles puissent être agréées en tant qu’intermédiaire de réservation.
B.77. Le premier moyen, en sa première branche, n’est pas fondé.
Deuxième branche du premier moyen
B.78. Dans la deuxième branche, les parties requérantes soutiennent que les dispositions attaquées portent atteinte à la liberté de commerce et d’industrie et à la liberté d’entreprendre.
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B.79.1. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soulève l’irrecevabilité du premier moyen, en sa deuxième branche, en raison du fait que la liberté de commerce et d’industrie ainsi que la liberté d’entreprendre ne sont pas des normes de référence de la Cour.
B.79.2. Pour les motifs mentionnés en B.5.2, l’exception est rejetée.
B.80.1. L’impossibilité, pour une personne morale, d’être titulaire en propre d’une autorisation d’exploiter un service de taxis et la condition, pour ce faire, que le titulaire de l’autorisation d’exploiter soit l’administrateur chargé de la gestion journalière de cette personne morale constituent une ingérence dans la liberté d’organisation interne de cette personne morale et une restriction à sa liberté d’entreprendre.
B.80.2. Comme il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.54.2, la mesure attaquée constitue une mesure de contrôle du respect des conditions d’exploitation imposées aux exploitants de service de taxis, qui effectuent des missions d’intérêt public. La liberté d’entreprendre ne fait en principe pas obstacle à ce que l’autorité publique élabore des mesures de contrôle dans de telles circonstances.
B.80.3. La mesure vise plus particulièrement à permettre un suivi efficace, par l’administration, sans avoir égard aux nombreuses cessions et changements de statuts des personnes morales. Les objectifs poursuivis par le législateur ordonnanciel sont légitimes.
Le fait d’attacher une autorisation à une personne physique, nonobstant la forme sous laquelle est exploitée l’activité de taxis, constitue une mesure pertinente au regard de ces objectifs, compte tenu de la nature des conditions à contrôler, intrinsèquement liées à la personne et non à l’entreprise.
En ce qu’elle n’empêche pas de poursuivre l’activité économique de service de taxis et d’en tirer des revenus sous la forme d’une personne morale, y compris d’une société, cette mesure ne produit pas des effets disproportionnés. Il n’apparaît en outre pas que l’obligation de disposer d’un administrateur chargé de la gestion journalière, titulaire d’une autorisation d’exploiter un service de taxis, constitue un obstacle ou une difficulté particulière. Au surplus,
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les parties requérantes ne démontrent pas que la titularité de l’autorisation pour la personne morale uniquement constituerait un avantage particulier, eu égard à son caractère gratuit, personnel et incessible.
B.81. Le premier moyen, en sa deuxième branche, n’est pas fondé.
Troisième branche du premier moyen
B.82. Dans la troisième branche, les parties requérantes soutiennent que les dispositions attaquées ne sont pas compatibles avec la libre concurrence, la liberté d’établissement et les libertés de circulation.
B.83.1. En ce qu’elle subordonne l’exploitation de l’activité de taxis à l’autorisation de l’autorité publique, l’ordonnance du 9 juin 2022 entraîne une restriction à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services. Toutefois, la critique des parties requérantes ne porte pas sur le principe de l’autorisation d’exploiter mais sur une modalité d’exercice de celle-ci.
B.83.2. La règle de la délivrance des autorisations d’exploiter aux seules personnes physiques ne porte pas atteinte en soi à la liberté d’établissement. Cette règle ne fait pas obstacle à la possibilité pour une personne morale de s’installer sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, sous la réserve du respect des conditions applicables. Quant au principe de libre circulation et au principe de la libre concurrence, les parties requérantes n’expliquent pas en quoi consisterait l’éventuelle atteinte. Enfin, les parties requérantes ne démontrent pas que l’interdiction de titularité des autorisations d’exploiter aux personnes morales privilégierait les entreprises bruxelloises.
B.84. Sans qu’il soit nécessaire d’examiner si le droit de l’Union européenne est applicable en l’espèce, il n’existe pas d’atteinte à la libre concurrence, à la liberté d’établissement ni à la libre circulation.
B.85. Le premier moyen, en sa troisième branche, n’est pas fondé.
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Deuxième moyen
B.86. Les parties requérantes prennent un deuxième moyen de la violation, par les articles 5, § 1er, 6 et 7 de l’ordonnance du 9 juin 2022, des articles 10, 11, 16 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d’entreprendre consacrée par l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 et par les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, et avec la libre concurrence consacrée par les articles 101 et 102 du TFUE, ainsi qu’avec la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 « sur l’attribution de contrats de concession » (ci-après : la directive 2014/23/UE) et avec le règlement (CE) n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 « relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, et abrogeant les règlements (CEE) n° 1191/69 et (CEE) n° 1107/70 du Conseil » (ci-après : le règlement (CE) n° 1370/2007), en ce qu’il est créé un système d’octroi des autorisations à titre gratuit selon un ordre d’arrivée des demandes et de mise dans une liste d’attente de celles-ci dès que le numerus clausus est atteint.
B.87.1. Les dispositions attaquées sont libellées ainsi :
« Art. 5. § 1er. Le Gouvernement détermine :
1° la procédure d’introduction et d’instruction des demandes d’autorisation;
2° la forme de l’autorisation et les mentions qui doivent y figurer.
[...]
Art. 6. § 1er. Pour que sa demande d’autorisation soit recevable, un demandeur doit remplir les conditions de moralité visées au paragraphe 2 et les conditions de qualification professionnelle et de solvabilité fixées par le Gouvernement.
§ 2. La demande d’autorisation est irrecevable si le demandeur fait l’objet, en Belgique ou à l’étranger, de l’une des condamnations suivantes ayant force de chose jugée :
1° une condamnation datant de moins de dix ans à une peine criminelle, avec ou sans sursis;
2° une condamnation datant de moins de cinq ans pour infraction :
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a) aux dispositions du livre 2, titre III, chapitres I à V et au titre IX, chapitres I et II du Code pénal;
b) aux dispositions du livre IV, titre 1er, chapitre 1er, ou du livre VI, titre 4, chapitres 1er et 2, du Code de droit économique;
c) à la loi du 22 mai 2014 tendant à lutter contre le sexisme dans l’espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l’acte de discrimination;
d) aux dispositions du titre IV de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes;
e) aux dispositions du titre IV de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination;
f) aux dispositions de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie.
Il n’est pas tenu compte des condamnations effacées ou pour lesquelles l’intéressé a obtenu sa réhabilitation.
S’agissant des condamnations prononcées par une juridiction étrangère, il est tenu compte de toute condamnation s’appliquant à un fait qui, d’après la loi belge, constitue une des infractions visées à la présente disposition.
Le demandeur communique à l’Administration, selon les modalités déterminées par le Gouvernement, un extrait de casier judiciaire délivré conformément à l’article 596, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle datant de moins de 3 mois. Selon les mêmes modalités, le demandeur établi depuis moins de cinq ans en Belgique communique une attestation équivalente émanant de l’autorité étrangère compétente établissant ses bonnes conduite, vie et mœurs antérieures à sa venue en Belgique ou, subsidiairement, la preuve qu’il bénéficie du statut de réfugié.
§ 3. Lorsque le demandeur entend partager la qualité d’exploitant avec une personne morale visée à l’article 5, § 3, les conditions de moralité visées au paragraphe 2 du présent article doivent être remplies par cette personne morale et par chaque personne physique qui siège dans l’organe statutaire en charge de la gestion journalière de cette personne morale, que ces personnes physiques y siègent en cette qualité ou en qualité de représentant d’une autre personne morale.
§ 4. Sauf si la demande d’autorisation ne porte que sur des services de taxis cérémoniels, le demandeur ou la personne morale visée à l’article 5, § 3, avec laquelle il entend partager la qualité d’exploitant doit s’engager dans un délai de six mois à compter de la date de réception de l’autorisation :
1° disposer du nombre de véhicules affectés à un service de taxis qui correspond au nombre de vignettes d’identification qui lui ont été attribuées.
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Par disposer d’un véhicule, il y a lieu d’entendre soit en être propriétaire, soit en disposer en vertu d’un contrat de vente à tempérament, de location-financement ou de location-vente;
2° pour chaque véhicule visé au 1° :
a) si l’autorisation ne porte que sur une seule vignette d’identification et que le titulaire de l’autorisation est également le chauffeur du véhicule visé au 1° : mettre ce véhicule à la disposition du public au minimum vingt heures par semaine en moyenne par année civile;
b) dans les autres cas : disposer, pour chaque véhicule visé au 1°, d’au moins un équivalent temps plein de chauffeur presté;
soit par un ou plusieurs tiers engagé(s) dans le cadre d’un contrat de travail ou de collaboration indépendante;
soit par le titulaire de l’autorisation lui-même et par un ou plusieurs tiers engagé(s) dans le cadre d’un contrat de travail ou de collaboration indépendante.
§ 5. Le Gouvernement ou son délégué peut préciser les modalités suivant lesquelles la preuve de la réunion des conditions visées aux paragraphes précédents peut être rapportée.
Art. 7. § 1er. Lorsque le nombre de vignettes d’identification fixé par le Gouvernement conformément à l’article 4 § 2, ou, le cas échéant, conformément à l’article 4, § 4, est atteint, le demandeur qui a introduit une demande d’autorisation recevable est informé du fait que, sauf refus exprès de sa part dans le délai fixé par le Gouvernement ou son délégué, sa demande est inscrite sur une liste d’attente pseudonymisée publiée sur un site internet géré par l’Administration.
§ 2. L’inscription sur la liste d’attente s’opère de manière chronologique, suivant le jour et l’heure du dépôt des documents ayant permis d’établir la recevabilité de la demande.
§ 3. Il ne peut y avoir qu’une seule inscription par demandeur, laquelle ne peut viser l’attribution que de deux vignettes d’identification au maximum.
§ 4. Selon les modalités déterminées par le Gouvernement, le demandeur inscrit sur la liste d’attente confirme annuellement son souhait de maintenir cette inscription en démontrant qu’il remplit toujours les conditions visées à l’article 6.
§ 5. Lorsqu’une (ou plusieurs) vignette(s) d’identification est/sont attribuable(s), l’Administration en informe la personne en tête de la liste d’attente et l’invite à lui faire savoir dans un délai de vingt jours ouvrables si elle souhaite se voir attribuer cette ou ces vignettes, dans la limite du nombre de vignettes visé dans sa demande d’autorisation. À défaut de réponse envoyée dans ce délai ou en cas de réponse négative :
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1° le demandeur est retiré de la liste d’attente;
2° l’Administration contacte le demandeur suivant sur la liste, et ainsi de suite jusqu’à attribution de toutes les vignettes attribuables.
§ 6. Le présent article n’est pas applicable aux demandes d’autorisation qui ne portent que sur des services de taxis cérémoniels ».
B.87.2. Dans les travaux préparatoires de l’ordonnance du 9 juin 2022, il est indiqué :
« Actuellement, l’article 6 de l’ordonnance de 1995 prévoit que l’autorisation est délivrée par adjudication publique au terme d’une comparaison des offres qui prend notamment en compte le prix proposé par les demandeurs d’autorisation. La nouvelle ordonnance abandonne ce système. Les autorisations seront délivrées gratuitement (sous réserve des redevances et/ou taxes qui peuvent être directement ou indirectement liées à l’autorisation d’exploiter) » (Doc.
parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/1, p. 12);
« Cet article [7] organise la manière dont les autorisations seront attribuées si les demandes dépassent le numerus clausus fixé par le Gouvernement : une liste d’attente sera établie, sur laquelle les demandes qui remplissent les conditions de l’article 6 seront inscrites par ordre chronologique. Le demandeur qui ne souhaite pas être inscrit sur la liste pourra refuser de l’être.
Pour limiter au maximum les démarches imposées aux demandeurs, tout en s’assurant que la liste reste à jour, il sera demandé annuellement aux demandeurs qui souhaitent rester inscrits de confirmer qu’ils remplissent toujours aux conditions de l’article 6. Lorsque des vignettes sont attribuables (soit parce que des vignettes précédemment attribuées ont été restituées à l’Administration, soit parce que le numerus clausus a été augmenté), elles le sont dans l’ordre de la liste, avec un maximum de deux vignettes par demandeur. Cette limite vise à empêcher qu’un demandeur placé en haut de la liste puisse obtenir toutes les vignettes disponibles, au détriment des autres. Elle est, par ailleurs, cohérente avec la réalité actuelle du secteur, qui est composé, dans une grande majorité, d’exploitants chauffeurs qui ne disposent que d’un véhicule, parfois deux » (ibid., p. 15).
B.88.1. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soulève l’irrecevabilité du deuxième moyen en ce qu’il vise les articles 5 et 6 de l’ordonnance du 9 juin 2022. Les parties requérantes n’indiqueraient pas en quoi ceux-ci méconnaîtraient les normes de références indiquées au moyen.
B.88.2. Il ressort de la requête que les parties requérantes critiquent la procédure globale de délivrance des autorisations d’exploiter un service de taxis, désormais fondée sur le critère de la date du dépôt. Elles estiment que le législateur ordonnanciel aurait dû opter pour un régime
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similaire à celui qui était d’application sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995, lorsque l’autorisation d’exploiter était délivrée au terme d’une procédure d’adjudication publique. Par conséquent, le moyen n’est pas limité à la seule liste d’attente mise en place par l’article 7 de l’ordonnance du 9 juin 2022.
B.88.3. L’exception est rejetée.
Première branche du deuxième moyen
B.89.1. Dans la première branche, les parties requérantes invoquent la violation du principe d’égalité et de non-discrimination, du droit de propriété et du droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle, en ce que les nouvelles autorisations d’exploiter sont gratuites, alors que les anciennes autorisations acquises à titre onéreux continuent d’avoir une valeur en application du régime transitoire.
B.89.2. Les parties requérantes ne précisent pas en quoi les dispositions attaquées violeraient les droits au travail et au libre choix d’une activité professionnelle. La Cour limite par conséquent son examen à la compatibilité des dispositions attaquées avec les articles 10 et 11 de la Constitution, ainsi qu’avec le droit de propriété.
B.90. En ce qu’elle fait grief aux dispositions attaquées de mettre en place la gratuité des autorisations d’exploiter un service de taxis, la première branche du moyen invite en réalité à comparer les conditions de délivrance de ces autorisations sous l’empire de législations successives. Le principe d’égalité ne peut toutefois être violé que si un législateur traite inégalement, sans justification raisonnable, deux catégories de personnes comparables et non lorsqu’il traite différemment une même catégorie de personnes dans deux législations successives.
Le deuxième moyen, en sa première branche, n’est donc pas fondé en ce qu’il compare la situation créée par l’ordonnance du 9 juin 2022 à celle qui existait avant son adoption.
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B.91. La Cour doit encore examiner si la coexistence des personnes titulaires de nouvelles autorisations d’exploiter et des personnes titulaires d’anciennes autorisations, en vertu du régime transitoire, ne constitue pas une différence de traitement non justifiée ou une atteinte au droit de propriété.
B.92. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.20.1, en B.54.2 et en B.87.2 que le législateur ordonnanciel justifie le choix de la gratuité des autorisations d’exploiter par la volonté de lutter contre la spéculation et d’ouvrir le marché des taxis à de nouveaux exploitants-
chauffeurs. Le choix de maintenir l’existence, jusqu’à échéance et potentiellement pour une durée indéfinie, d’autorisations à titre onéreux pour les personnes qui en sont déjà titulaires est quant à lui mû par la volonté de préserver les droits acquis. Ces objectifs sont légitimes.
B.93.1. En vertu de l’ordonnance du 9 juin 2022, les autorisations d’exploiter sont désormais dépourvues de valeur pécuniaire pour les nouveaux arrivants. Le législateur ordonnanciel a raisonnablement pu estimer que la volonté de dynamiser le secteur des taxis nécessitait de revenir sur un système d’accès à des autorisations par l’achat-revente, qui avait pour effet de restreindre l’accès au secteur. En outre, le maintien des droits acquis pour les détenteurs d’anciennes autorisations et la coexistence avec les nouvelles autorisations ne porte pas en soi préjudice aux nouveaux arrivants, lesquels se voient au contraire favorisés puisqu’ils n’ont plus à payer pour acquérir une autorisation. Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, le droit acquis pour ces anciens détenteurs d’autorisation ne peut être interprété comme portant sur la valeur de l’autorisation, laquelle devrait être conservée quelle que soit la réforme adoptée.
B.93.2. La coexistence d’autorisations dotées d’une valeur pécuniaire et d’autorisations qui en sont dépourvues ne crée un éventuel avantage au profit des autorisations de la première catégorie qu’en ce qu’une cession à titre onéreux peut être effectuée. Toutefois, l’article 10, § 2, de l’ordonnance du 9 juin 2022 soumet cette possibilité de cession, qui constitue une dérogation, à une série de conditions. Pour les motifs développés en B.74, le régime transitoire est en outre strictement limité à la situation des détenteurs de droits acquis. Les dispositions attaquées ne produisent dès lors pas des conséquences disproportionnées aux buts visés.
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B.94. Le deuxième moyen, en sa première branche, n’est pas fondé.
Deuxième branche du deuxième moyen
B.95. Dans la deuxième branche, les parties requérantes soutiennent que l’absence d’adjudication publique méconnaît les principes d’égalité et de non-discrimination, lus en combinaison avec le principe de la libre concurrence.
B.96. En ce qu’elle critique l’abandon de la procédure d’adjudication publique pour toute demande d’autorisation d’exploiter un service de taxis, la deuxième branche du moyen invite en réalité à comparer les conditions de délivrance de ces autorisations sous l’empire de législations successives. Comme il est dit en B.90, le principe d’égalité ne peut être violé que si un législateur traite inégalement, sans justification raisonnable, deux catégories de personnes comparables et non lorsqu’il traite différemment une même catégorie de personnes dans deux législations successives.
Cette branche du moyen n’est donc pas fondée en ce qu’elle compare la situation créée par l’ordonnance du 9 juin 2022 à celle qui existait avant son adoption.
B.97. La Cour doit encore examiner si les dispositions attaquées violent les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la libre concurrence, tel qu’il est consacré par les articles 101 et 102 du TFUE, en ce que ces derniers requerraient une adjudication publique pour la délivrance des autorisations d’exploiter un service de taxis.
B.98. L’article 101 du TFUE interdit tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur. L’article 102 du TFUE
interdit aux entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché
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intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté.
Bien que les articles 101 et 102 du TFUE s’adressent aux entreprises, l’article 4, paragraphe 3, du TUE impose aux États membres l’obligation de s’abstenir de prendre ou de maintenir en vigueur des mesures susceptibles d’éliminer l’effet utile des articles 101 et 102 du TFUE (CJCE, 16 novembre 1977, 13/77, SA G.B.-INNO-B.M., ECLI:EU:C:1977:185, points 31 et 32; 23 avril 1991, C-41/90, Höfner et Elser, ECLI:EU:C:1991:161, point 26;
18 juin 1991, C-260/89, ERT AE, ECLI:EU:C:1991:254, point 35; 19 mai 1993, C-320/91, Corbeau, ECLI:EU:C:1993:198, points 10 et 11).
B.99. En l’espèce, les parties requérantes font grief au législateur ordonnanciel d’avoir mis en place une procédure qu’elles qualifient d’anticoncurrentielle.
B.100. L’article 6 de l’ordonnance du 9 juin 2022 subordonne la recevabilité de la demande d’autorisation au respect de certaines conditions de moralité, de qualification professionnelle et de solvabilité. Lorsque les vignettes d’identification ne sont plus disponibles, l’attribution de l’autorisation d’exploiter est subordonnée à la place occupée par l’intéressé sur une liste d’attente, conformément à l’article 7 de l’ordonnance du 9 juin 2022. Cette place est déterminée par le moment où la recevabilité de la demande a pu être établie. La liste d’attente pseudonymisée est publiée sur un site internet géré par l’administration.
Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, il ne saurait être reproché au législateur ordonnanciel que, lorsqu’une ou plusieurs vignettes d’identification sont à nouveau attribuables, il n’y a pas lieu de vérifier chaque fois quel demandeur a l’offre la plus avantageuse. Compte tenu de la nature des services de taxis et des tarifs fixés par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale qui s’y appliquent (article 31 de l’ordonnance du 9 juin 2022), du fait que les demandeurs doivent de toute façon remplir les conditions de moralité, de qualification professionnelle et de solvabilité précitées, ainsi que du nombre relativement important d’autorisations d’exploiter et de la rotation qui peut y être liée, le principe d’égalité et de non-discrimination n’impose pas qu’il y ait systématiquement une telle comparaison in concreto de chaque offre introduite par les demandeurs. Il est raisonnablement justifié de subordonner l’attribution de nouvelles autorisations d’exploiter des
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services de taxis à l’ordre d’apparition des demandeurs sur la liste d’attente précitée. Une telle procédure repose sur un critère objectif et transparent, traite de la même manière tous les demandeurs qui remplissent les conditions précitées et permet au demandeur d’estimer s’il pourra acquérir ou non une autorisation d’exploitation à relativement brève échéance.
B.101. Il s’ensuit qu’en ce qu’il est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 101 et 102 du TFUE, le deuxième moyen, en sa deuxième branche, n’est pas fondé.
Troisième branche du deuxième moyen
B.102. Dans la troisième branche, les parties requérantes soutiennent que les dispositions attaquées ne sont pas compatibles avec la directive 2014/23/UE et le règlement (CE) n° 1370/2007.
B.103. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soulève l’irrecevabilité de la branche, puisque ni la directive 2014/23/UE ni le règlement (CE) n° 1370/2007 ne sont applicables en l’espèce.
B.104.1. Le considérant n° 14 de la directive 2014/23/UE indique :
« Par ailleurs, ne devraient pas avoir le statut de concession certains actes établis par des États membres tels que les autorisations ou licences, par lesquels l’État membre ou un pouvoir public fixe les conditions d’exercice d’une activité économique, y compris la condition d’effectuer une opération donnée, délivrés normalement à la demande de l’opérateur économique et non sur l’initiative du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice, lorsque l’opérateur économique conserve la liberté de renoncer à la fourniture de travaux ou de services.
Dans le cas de ces actes établis par des États membres, les dispositions particulières de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil peuvent s’appliquer.
Contrairement à ces actes établis par des États membres, les contrats de concession induisent des engagements mutuellement contraignants, en vertu desquels l’exécution des travaux ou services est soumise à des exigences spécifiques définies par le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice, lesquelles exigences ont force exécutoire ».
L’article 1er, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1370/2007 dispose :
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« Le présent règlement s’applique à l’exploitation nationale et internationale de services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et autres modes ferroviaires et par route, à l’exception des services qui sont essentiellement exploités pour leur intérêt historique ou leur vocation touristique. Les États membres peuvent appliquer le présent règlement au transport public de voyageurs par voie navigable et, sans préjudice du règlement (CEE) n° 3577/92 du Conseil du 7 décembre 1992 concernant l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des États membres (cabotage maritime), par voie maritime nationale ».
B.104.2. Il en résulte que l’activité économique des services de transport individuel de personnes, qui est soumise en Région de Bruxelles-Capitale à une autorisation d’exploiter, n’entre ni dans le champ d’application de la directive 2014/23/UE, ni dans celui du règlement (CE) n° 1370/2007. Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, le caractère de mission d’intérêt général des taxis n’implique pas que ceux-ci doivent être considérés comme un service public de transport. De même, l’existence d’une obligation de mise à disposition des véhicules de taxis ne suffit pas à conclure que l’exploitant-chauffeur serait privé de sa liberté de renoncer à la fourniture de services.
B.105. Le deuxième moyen, en chacune de ses branches, n’est pas fondé.
Question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne
B.106. Les parties requérantes demandent à la Cour constitutionnelle d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne de la manière suivante :
« Les articles 101 et 102 TFUE, l’article 4, § 3, TUE, l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Directive 2014/23 du 26 février 2014 sur l’attribution des contrats de concession et le Règlement n° 1370/2007 du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, doivent-ils être interprétés en ce sens que la délivrance, par un pouvoir adjudicateur, d’une autorisation d’exploiter un service de taxis – avec l’obligation corrélative pour l’exploitant bénéficiaire d’effectivement exploiter ce service à concurrence d’un nombre d’heures minimum par semaine – doit nécessairement être précédée d’une procédure de mise en concurrence, le cas échéant dans le respect des dispositions contenues dans la Directive 2014/23 précitée ? ».
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B.107. Compte tenu de l’inapplicabilité de la directive 2014/23/UE et du règlement (CE) n° 1370/2007, il n’est pas nécessaire de poser à la Cour de justice la question préjudicielle suggérée par la partie requérante.
Troisième moyen
B.108. Les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation, par l’article 10
de l’ordonnance du 9 juin 2022, des articles 10, 11, 16 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté contractuelle, avec la liberté de commerce et avec la liberté d’entreprendre consacrées par l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980
et par les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, avec la libre concurrence consacrée par les articles 101 et 102 du TFUE, avec la liberté d’établissement consacrée par l’article 49
du même Traité, avec les libertés de circulation consacrées par l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 et avec les articles 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, et X, 8°, et 10 de la loi spéciale du 8 août 1980. Les parties requérantes critiquent la règle d’incessibilité de l’autorisation d’exploiter un service de taxis, ainsi que le régime dérogatoire qui permet aux autorisations délivrées sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995 de continuer à être cédées sous certaines conditions.
B.109.1. L’article 10 de l’ordonnance du 9 juin 2022 dispose :
« § 1er. Sous réserve de l’exception prévue au paragraphe 2, l’autorisation d’exploiter est personnelle et incessible.
Elle ne peut être donnée en location, sous quelque forme que ce soit.
§ 2. En dérogation au paragraphe 1er, alinéa 1er, dans l’une des hypothèses et conformément aux conditions listées aux paragraphes suivants, et après autorisation préalable du Gouvernement ou de son délégué, l’exploitant qui est titulaire d’une autorisation d’exploiter un service de taxis délivrée initialement en exécution de l’ordonnance de 1995 ou de la loi de 1974 est autorisé à céder totalement ou partiellement cette autorisation à concurrence, au maximum, du nombre de vignettes d’identification rattachées à celle-ci à la veille de l’entrée en vigueur de la présente ordonnance.
Lorsque le cessionnaire est déjà titulaire d’une autorisation d’exploiter, l’autorisation la plus récente est absorbée par l’autorisation la plus ancienne, la durée de validité de cette
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dernière restant seule applicable. Par la suite, le bénéfice de l’exception visée à l’alinéa 1er reste réservé aux vignettes d’identification visées au même alinéa.
§ 3. Une autorisation d’exploiter visée au paragraphe 2 peut être cédée sans conditions lorsque le cessionnaire est le conjoint, le cohabitant légal ou un parent ou allié jusqu’au deuxième degré du titulaire de l’autorisation, en cas de décès ou d’incapacité permanente de ce titulaire.
§ 4. Le titulaire d’une autorisation visée au paragraphe 2 qui l’a exploitée sans interruption pendant au moins les dix années civiles qui ont précédé celle de sa demande de cession peut céder son autorisation à un ou plusieurs cessionnaires, aux conditions suivantes :
1° le cédant doit, pendant au moins les dix années civiles qui ont précédé celle de sa demande de cession :
a) avoir rempli toutes les obligations qui lui incombent en vertu de la présente ordonnance, des arrêtés d’exécution de celle-ci et de son autorisation d’exploiter;
b) avoir été titulaire des vignettes d’identification qui accompagnent la cession;
2° le cessionnaire doit :
a) soit déjà être titulaire d’une autorisation d’exploiter;
b) soit répondre aux conditions de délivrance de l’autorisation d’exploiter visées à l’article 6, § 1er;
3° l’opération de cession doit avoir reçu un avis favorable de la commission de cession visée à l’article 37.
L’alinéa 1er, 1°, n’est pas applicable lorsque la demande de cession s’inscrit dans le cadre :
1° d’une mesure de réorganisation judiciaire prononcée par un tribunal;
2° d’une procédure de faillite.
§ 5. Plusieurs personnes morales qui sont chacune titulaire d’une autorisation d’exploiter visée au § 2 peuvent, dans le cadre d’une opération d’absorption ou de fusion, céder leur autorisation à la personne morale absorbante ou à celle qui naît de la fusion. Dans ce cas, la durée de validité de l’autorisation :
1° en cas d’absorption, demeure celle de l’autorisation d’exploiter délivrée antérieurement à la personne morale absorbante;
2° en cas de fusion, est celle, parmi celles des autorisations d’exploiter délivrées antérieurement à chacune des personnes morales fusionnées, qui avait la durée de validité la plus courte.
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§ 6. Le Gouvernement détermine la procédure d’introduction et d’instruction des demandes de cession d’autorisation visées aux paragraphes 2 à 5, lesquelles doivent préciser au minimum :
1° les coordonnées du cédant;
2° les coordonnées du ou des cessionnaire(s);
3° le nombre de vignettes d’identification de véhicules de taxis exploités par le cédant et concernés par la cession, les numéros d’identification de ceux-ci et, en cas de pluralité de cessionnaires, la répartition des véhicules concernés entre ceux-ci;
4° le fait que la transaction s’opère à titre gratuit ou onéreux et, dans la seconde hypothèse, le prix de la transaction;
5° lorsque la demande s’inscrit dans le cadre d’une mesure de réorganisation judiciaire prononcée par un tribunal, une copie du jugement octroyant la réorganisation judiciaire ainsi que de l’extrait de ce jugement publié aux annexes du Moniteur belge ».
B.109.2. Les travaux préparatoires de l’ordonnance du 9 juin 2022 mentionnent :
« La nouvelle ordonnance pose, pour l’avenir, le principe du caractère personnel et de l’incessibilité des autorisations d’exploiter, qui ne pourront plus être délivrées qu’à des personnes physiques. Mais elle n’entend pas remettre en question les droits acquis par les exploitants de taxis dans le cadre de l’ordonnance de 1995, qui a prévu certaines hypothèses dans lesquelles l’autorisation est, totalement ou partiellement, cessible. Ces hypothèses sont donc maintenues dans la nouvelle ordonnance, mais exclusivement pour les autorisations d’exploiter délivrées avant l’entrée en vigueur de celle-ci, et seulement pour le nombre de vignettes qui étaient liées avant cette date à ces ‘ anciennes ’ autorisations d’exploiter.
Autrement dit, exploitant qui était titulaire de dix vignettes avant l’entrée en vigueur de la nouvelle ordonnance et qui en obtient cinq de plus après cette entrée en vigueur ne pourra céder son autorisation d’exploiter qu’à concurrence de dix vignettes au maximum. Celui qui récupérera cette ‘ ancienne ’ autorisation pourra, à son tour, la céder par la suite.
Les hypothèses de cession actuellement consacrées par les articles 10 à 10ter de l’ordonnance de 1995 sont reprises dans une formulation plus claire » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/1, pp. 16-17).
B.109.3. L’article 47 de l’ordonnance du 9 juin 2022, non attaqué au moyen, met en place un régime transitoire au bénéfice des exploitants qui ont acquis une autorisation sous l’empire d’une législation antérieure. Il leur est loisible, dans les deux ans à compter de l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, de demander au Gouvernement de leur racheter leur autorisation pour un montant forfaitaire de 35 000 euros.
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Les travaux préparatoires de cette disposition indiquent :
« Il se pourrait toutefois que certains de ces exploitants souhaitent cesser leur activité en raison de la réforme. Ceux qui ont racheté leur autorisation à un autre exploitant après avoir obtenu l’avis favorable de la Commission de cession ne doivent pas être financièrement pénalisés (ceux qui ont obtenu leur autorisation directement de la Région ne le sont pas puisque ces autorisations ont toujours été attribuées à titre gratuit). C’est la raison pour laquelle la nouvelle ordonnance met en place une possibilité temporaire de rachat de ces autorisations par le Gouvernement. L’ordonnance fixe elle-même le prix de ce rachat à 35.000 euros, qui est l’estimation actuelle de la valeur d’une autorisation d’exploitation. Ce prix n’est pas indexé parce que la possibilité n’est ouverte que pendant les deux années qui suivront l’entrée en vigueur de l’ordonnance. Ce laps de temps paraît en effet suffisamment raisonnable pour permettre à tous les exploitants concernés de prendre une décision en pleine connaissance de cause » (ibid., p. 30).
B.110. Ce moyen contient plusieurs branches. La Cour examine d’abord le grief tiré de la répartition des compétences, qui constitue la quatrième branche.
Quatrième branche du troisième moyen
B.111. Dans la quatrième branche, les parties requérantes soutiennent que la Région de Bruxelles-Capitale empiète sur la compétence du législateur fédéral en matière de droit commercial et de droit des sociétés.
B.112.1. Les parties requérantes soutiennent que l’incessibilité des autorisations d’exploiter un service de taxis constitue une immixtion dans des relations contractuelles et commerciales entre des entreprises privées.
B.112.2. Les compétences fédérales en matière de droit commercial et de droit des sociétés ne s’étendent pas à la nature et aux conditions d’une autorisation d’activité économique ou d’une licence professionnelle octroyée par une entité fédérée dans le cadre de ses propres compétences. Le régime adopté par la Région de Bruxelles-Capitale se contente de modifier les contours juridiques de l’autorisation d’exploiter un service de taxis, désormais gratuite et incessible, telle que l’était l’autorisation d’exploiter un service de LVC sous l’empire de l’ordonnance du 27 avril 1995. Un tel régime s’inscrit dans le cadre de la compétence régionale en matière de transport en commun urbain et vicinal, en ce compris les services réguliers
119
spécialisés et les services de taxis, visée à l’article 6, § 1er, X, alinéa 1er, 8°, de la loi spéciale du 8 août 1980. Il n’apparaît pas que ce régime rende impossible ou exagérément difficile l’exercice des compétences fédérales. Les entreprises privées exercent leur liberté contractuelle en tenant compte de l’ensemble des normes et règles qui leur sont applicables, qu’elles émanent du législateur fédéral ou d’autres législateurs, dans le respect des droits et libertés constitutionnels.
B.113. Le troisième moyen, en sa quatrième branche, n’est pas fondé.
Première branche du troisième moyen
B.114. Dans la première branche, les parties requérantes allèguent que la disposition attaquée crée une différence de traitement non justifiée. Elles font grief à l’ordonnance du 9 juin 2022 de mettre en place un système dans lequel les nouvelles autorisations d’exploiter un service de taxis, délivrées à titre gratuit et incessible, en vertu de l’ordonnance précitée, coexistent avec les autorisations d’exploiter un service de taxis obtenues sous l’empire des anciennes législations. Selon les parties requérantes, la différence de traitement gît dans le fait que les autorisations de la seconde catégorie ont une valeur, au contraire des autorisations de la première catégorie.
B.115. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.54.2 que le législateur ordonnanciel lie l’incessibilité des autorisations d’exploiter à leur gratuité. Les objectifs poursuivis sont analogues à ceux déjà mentionnés en B.92, et il en va de même pour la justification de la mesure.
Par conséquent, pour les motifs développés en B.93.1 et en B.93.2, la coexistence d’autorisations dotées d’une valeur pécuniaire et d’autorisations qui en sont dépourvues ne crée pas de différence de traitement injustifiée.
B.116. Le troisième moyen, en sa première branche, n’est pas fondé.
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Deuxième branche du troisième moyen
B.117. Dans la deuxième branche, les parties requérantes allèguent que la différence de traitement pointée en B.114 emporte une distorsion de concurrence et crée des barrières inutiles à la libre concurrence.
B.118.1. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale soulève l’irrecevabilité de la branche en ce qu’elle est prise de la violation des instruments du droit de l’Union européenne relatifs à la libre concurrence, puisque les parties n’apportent aucun élément d’extranéité pour soutenir l’application du droit de l’Union.
B.118.2. L’ordonnance du 9 juin 2022 s’applique indistinctement aux opérateurs économiques qui désirent entrer dans le secteur des taxis sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, quelle que soit leur nationalité. Par conséquent, le droit de l’Union européenne relatif à la libre concurrence s’applique.
B.118.3. L’exception est rejetée.
B.119. En outre, en ce que les parties requérantes font valoir la difficulté d’accéder au secteur des taxis sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale lorsque le numerus clausus est atteint, elles portent leur grief sur une disposition qui n’est pas visée au moyen.
B.120.1. La libre concurrence est consacrée par les articles 101 et 102 du TFUE et par l’article 4, paragraphe 3, du TUE. Ces articles disposent :
« Article 101
1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à :
a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction,
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b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,
c) répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement,
d) appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
e) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats.
2. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit.
3. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables :
- à tout accord ou catégorie d’accords entre entreprises,
- à toute décision ou catégorie de décisions d’associations d’entreprises et
- à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans :
a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,
b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence.
Article 102
Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.
Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :
a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables,
b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,
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c) appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
d) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats »;
« Article 4
[...]
3. En vertu du principe de coopération loyale, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités.
Les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union.
Les États membres facilitent l’accomplissement par l’Union de sa mission et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union ».
B.120.2. Les articles 101 et 102 du TFUE ne sont pas d’application « si un comportement anticoncurrentiel est imposé aux entreprises par une législation nationale ou si celle-ci crée un cadre juridique qui lui-même élimine toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part ». « Dans une telle situation, en effet, la restriction de concurrence ne trouve pas sa cause, ainsi que l’impliquent ces dispositions, dans des comportements autonomes des entreprises. En revanche, les articles [101 et 102 du TFUE] peuvent s’appliquer s’il s’avère que la législation nationale laisse subsister la possibilité d’une concurrence susceptible d’être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes des entreprises (arrêt du 11 novembre 1997, Commission et France/Ladbroke Racing, C-359/95 P et C-379/95 P, Rec. p. I 6265, points 33 et 34, ainsi que jurisprudence citée) » (CJUE, 14 octobre 2010, C-280/08 P, Deutsche Telekom AG c. Commission, ECLI:EU:C:2010:603, point 80).
Comme il est dit en B.98, les États membres ont l’obligation de s’abstenir de prendre ou de maintenir en vigueur des mesures susceptibles d’éliminer l’effet utile des articles 101 et 102
du TFUE.
B.121. Les parties requérantes affirment que la mesure d’incessibilité des autorisations d’exploiter un service de taxis aurait pour objet en tant que telle de restreindre la libre
123
concurrence. Elles interprètent l’objectif du législateur ordonnanciel d’empêcher la survenance d’un marché de revente d’autorisations comme la preuve d’une atteinte aux dispositions européennes précitées.
B.122.1. L’ordonnance du 9 juin 2022 n’a pas pour objet de restreindre la concurrence entre les opérateurs économiques mais de mettre fin à un marché qui, au contraire, excluait un grand nombre de ceux-ci, notamment pour des raisons de coût. La mesure précitée a pour but de préserver l’équilibre entre la réduction des obstacles à l’accès au secteur des taxis et l’intérêt des usagers de bénéficier de services d’intérêt public diversifiés, en instaurant, pour le secteur concerné, un régime qui n’entrave pas inutilement la libre concurrence.
B.122.2. Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, le fait que certaines autorisations restent cessibles ne procure pas un avantage disproportionné à leurs titulaires et n’entraîne pas de distorsion de concurrence, puisque le nombre de ces titulaires est amené à se réduire avec le temps. En effet, comme il est dit en B.74, il ressort de l’application combinée des articles 10 et 47 de l’ordonnance du 9 juin 2022 que la cession d’une autorisation détenue par une personne morale ne peut être effectuée que dans des conditions strictes, après autorisation préalable du Gouvernement, notamment dans le respect de l’obligation que le cessionnaire soit une personne physique, ou, à défaut, une personne morale qui dispose déjà d’une autorisation délivrée sous l’empire d’une ancienne législation. Il en résulte que la majorité des nouveaux opérateurs économiques ne peuvent accéder au secteur des taxis par ce biais, et sont donc soumis aux mêmes conditions de concurrence que les autres nouveaux opérateurs.
L’existence de la catégorie de titulaires d’autorisations cessibles est nécessaire en vue de préserver l’intérêt général et est proportionnée à l’objectif poursuivi de maintien des droits acquis.
B.123. Le troisième moyen, en sa deuxième branche, n’est pas fondé.
124
Troisième branche du troisième moyen
B.124. Dans la troisième branche, les parties requérantes soutiennent que l’incessibilité des autorisations d’exploitation, telle qu’elle a été introduite par l’article 10 de l’ordonnance du 9 juin 2022, est incompatible avec la liberté d’établissement, telle qu’elle est garantie par l’article 49 du TFUE, et avec la libre circulation des biens, des personnes et des services, telle qu’elle est garantie par l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980. Les parties requérantes soutiennent que cette mesure a pour effet qu’il est difficile pour un opérateur économique de services de taxis de s’installer dans la Région de Bruxelles-Capitale, puisqu’il est impossible de racheter une autorisation une fois que le numerus clausus est atteint. Il devient également difficile pour un tel opérateur économique de cesser son activité sur le territoire de cette Région si la revente de l’autorisation est interdite, ce qui n’incite pas à investir dans le secteur.
B.125. Comme le soutient le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, le troisième moyen, en sa troisième branche, est irrecevable en ce qu’il invoque la violation de la libre circulation des biens et des personnes. Les parties requérantes n’exposent pas en quoi l’article 10 de l’ordonnance du 9 juin 2022 violerait cette liberté. Le moyen n’est dès lors recevable qu’en ce qu’il est pris de la violation de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services.
B.126.1. L’article 49 du TFUE dispose :
« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre.
La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux ».
B.126.2. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qu’une mesure constitue une restriction à la liberté d’établissement garantie par l’article 49 du TFUE
125
lorsque cette mesure interdit, gêne ou rend moins attrayant l’exercice de cette liberté (CJUE, 22 janvier 2015, C-463/13, Stanley International Betting Ltd, ECLI:EU:C:2015:25, point 45).
Pour être compatible avec l’article 49 du TFUE, une mesure indistinctement applicable restreignant la liberté d’établissement doit être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, elle doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, ce qui implique qu’elle doit répondre véritablement au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique, et elle ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (CJUE, 22 juin 2017, C-49/16, Unibet International Ltd, ECLI:EU:C:2017:491, point 40;
grande chambre, 8 septembre 2010, C-46/08, Carmen Media Group Ltd, ECLI:EU:C:2010:505, point 55; CJCE, 6 novembre 2003, C-243/01, Gambelli e.a., ECLI:EU:C:2003:597, point 65).
B.127. Comme il est dit en B.6.4, l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose que les régions exercent leurs compétences « dans le respect des principes de la libre circulation des personnes, biens, services et capitaux et de la liberté de commerce et d’industrie, ainsi que dans le respect du cadre normatif général de l’union économique et de l’unité monétaire, tel qu’il est établi par ou en vertu de la loi, et par ou en vertu des traités internationaux ».
B.128. En ce qu’il subordonne l’exploitation de l’activité de taxis à une autorisation qui ne peut être cédée, l’article 10 de l’ordonnance du 9 juin 2022 entraîne potentiellement une restriction à la liberté d’établissement. Une telle interdiction de cession d’une autorisation peut, notamment si le numerus clausus est atteint, avoir pour effet de priver certains nouveaux venus de l’accès au marché des services de taxis.
B.129. Dans le domaine du transport par taxi, la Cour de justice a jugé que les objectifs de la bonne gestion du transport, du trafic et de l’espace public constituent des raisons impérieuses d’intérêt général pouvant justifier une restriction à la liberté d’établissement (CJUE, 8 juin 2023, C-50/21, Prestige and Limousine SL, ECLI:EU:C:2023:448, point 83).
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B.130. L’incessibilité de l’autorisation d’exploiter un service de taxis est étroitement liée au caractère personnel de l’autorisation, qui ne peut être délivrée que si le demandeur remplit certaines conditions en matière de moralité, de qualification professionnelle et de solvabilité.
Le caractère non cessible constitue une mesure pertinente pour éviter la création d’un marché spécifique de revente d’autorisations d’exploiter à des prix potentiellement élevés. Les nouveaux venus qui souhaitent exploiter un service de taxis sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale peuvent demander une autorisation à cet effet conformément à la procédure prévue aux articles 5 et suivants de l’ordonnance du 9 juin 2022, qui est, en principe, ouverte à toute personne qui satisfait aux conditions précitées.
L’incessibilité de l’autorisation d’exploiter un service de taxis ne limite dès lors pas de manière disproportionnée l’accès à ce secteur d’activité économique sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, mais contribue, au contraire, à l’accessibilité de chacun à ce secteur, à des conditions égales et transparentes. L’article 10 de l’ordonnance du 9 juin 2022
est compatible avec la liberté d’établissement, garantie par l’article 49 du TFUE.
L’effet dissuasif, invoqué par les parties requérantes, de l’incessibilité des autorisations d’exploiter un service de taxis pour les opérateurs économiques qui voudraient s’installer sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale mais qui y renonceraient en raison du fait qu’ils ne pourront pas revendre l’autorisation en cas de cessation d’activité repose sur un raisonnement trop hypothétique. En tout état de cause, cette incessibilité de l’autorisation n’empêche pas qu’on cède l’entreprise à titre onéreux, en prenant en compte l’intégralité de ses biens et actifs économiques. Il n’est au surplus pas démontré que la revente d’une autorisation qui peut être obtenue sur simple demande à titre gratuit aurait pour effet d’augmenter le prix de ladite cession dans une mesure qui rendrait, par elle-même, l’activité économique de taxis particulièrement profitable. Un tel raisonnement relève précisément de la spéculation contre laquelle le législateur ordonnanciel a expressément entendu lutter, comme il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.54.2.
127
B.131. Pour les mêmes motifs, l’article 10 de l’ordonnance du 9 juin 2022 ne viole pas l’obligation pour les régions d’exercer leurs compétences dans le respect du principe de la libre circulation des services, visé à l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.132. Le troisième moyen, en sa troisième branche, n’est pas fondé.
Quatrième moyen
B.133. Les parties requérantes prennent un quatrième moyen de la violation, par l’article 30, alinéa 1er, 4°, f), de l’ordonnance du 9 juin 2022, des articles 10, 11, 22 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté contractuelle, avec la liberté de commerce et la liberté d’entreprendre consacrées par l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 et par les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, avec la libre concurrence consacrée par les articles 101 et 102 du TFUE, ainsi qu’avec les articles 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, et X, 8°, et 10 de la loi spéciale du 8 août 1980. Le quatrième moyen vise l’interdiction des clauses d’exclusivité dans les relations contractuelles entre les exploitants de services de taxis et les intermédiaires de réservation et l’interdiction d’imposer un surcoût à l’affiliation d’exploitants déjà affiliés à d’autres intermédiaires de réservation.
B.134.1. La disposition attaquée est libellée comme suit :
« Art. 30. Chaque intermédiaire de réservation doit :
[...]
4° transmettre sur un serveur désigné par l’Administration :
[...]
f) les conditions générales d’affiliation à l’intermédiaire de réservation applicables aux exploitants de services de taxis, lesquelles doivent être conformes aux tarifs visés à l’article 31
et ne peuvent ni interdire aux exploitants de s’affilier également à d’autres intermédiaires de réservation de leur choix, ni imposer de surcoût aux exploitants qui s’affilient à plusieurs intermédiaires de réservation ».
128
B.134.2. Dans les travaux préparatoires de l’ordonnance du 9 juin 2022, il est précisé :
« Les intermédiaires de réservation ne pourront pas imposer aux exploitants de service de taxis une affiliation exclusive, ou les y inciter en leur imposant un tarif différent selon qu’ils sont ou non affiliés aux services d’autres intermédiaires. Cette exigence n’a pas pour objectif de s’immiscer dans les relations contractuelles entre intermédiaires et exploitants, mais seulement de garantir que les véhicules de taxis, dont le nombre est limité par le Gouvernement, sont bien mis, autant que possible, à la disposition du public. Permettre que certains de ces véhicules soient ‘ captifs ’ d’un intermédiaire irait à l’encontre de ce qui est l’un des objectifs essentiels de la Région dans le cadre de sa compétence de régulation du secteur du taxi » (Doc.
parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/1, p. 24).
Le ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale a ajouté :
« [L]’intermédiaire ne peut imposer d’une manière ou d’une autre une exclusivité d’affiliation aux chauffeurs ou exploitants, qui garderont toute leur faculté d’aller chercher des courses auprès de plusieurs intermédiaires.
[...]
Par ailleurs, parallèlement aux intermédiaires de réservation 100 % privés, et afin de permettre aux opérateurs de s’affilier à une offre de service publique, la Région va développer une plateforme régionale. Cette plateforme sera intégrée dans les futurs outils régionaux dans le cadre du MaaS (Mobility as a service) » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-
Capitale, 2021-2022, A-541/2, p. 10).
B.135.1. Le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale allègue que le quatrième moyen est irrecevable, puisque les parties requérantes n’exposent pas en quoi le droit au respect de la vie privée serait violé.
B.135.2. L’exposé de la requête ne permet pas de déduire en quoi l’article 30, alinéa 1er, 4°, f), de l’ordonnance du 9 juin 2022 serait contraire au droit au respect de la vie privée. Dans cette mesure, le moyen ne satisfait donc pas aux exigences de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, selon lesquelles les moyens de la requête doivent exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par les dispositions visées au moyen.
129
B.135.3. Le quatrième moyen est irrecevable en ce qu’il est pris de la violation du droit au respect de la vie privée.
B.136. Ce moyen contient plusieurs branches. La Cour examine d’abord le grief tiré de la répartition des compétences, qui constitue la troisième branche.
Troisième branche du quatrième moyen
B.137. Dans la troisième branche, les parties requérantes allèguent que la mesure attaquée empiète sur la compétence du législateur fédéral en matière de droit commercial et de droit des sociétés.
B.138. Les parties requérantes soutiennent que l’interdiction des clauses d’exclusivité constitue une immixtion dans les relations contractuelles et commerciales entre des entreprises privées.
B.139.1. Le législateur ordonnanciel a choisi de réguler la relation entre les opérateurs économiques actifs dans le secteur des taxis par le biais de l’encadrement des conditions générales d’affiliation des intermédiaires de réservation. Cette réglementation peut être, comme le soutiennent les parties requérantes, assimilée à une interdiction de conclure des clauses d’exclusivité ou de non-concurrence entre un tel intermédiaire et un exploitant de services de taxis. L’interdiction d’imposer un surcoût aux exploitants qui s’affilient à plusieurs intermédiaires de réservation vise quant à elle à garantir l’effectivité de la première interdiction.
B.139.2. Les clauses entre opérateurs économiques telles que celles qui sont désormais interdites par l’ordonnance du 9 juin 2022 constituent des clauses contractuelles qui sont réglées par le droit de la concurrence au sein du Code de droit économique. Elles font par conséquent partie de la compétence du législateur fédéral en matière de droit commercial et de droit des sociétés.
B.140. L’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose :
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« Les décrets peuvent porter des dispositions de droit relatives à des matières pour lesquelles les Parlements ne sont pas compétents, dans la mesure où ces dispositions sont nécessaires à l’exercice de leur compétence ».
La disposition précitée est applicable à la Région de Bruxelles-Capitale en application de l’article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux Institutions bruxelloises.
Plus particulièrement, cette disposition autorise la Région de Bruxelles-Capitale à prendre une ordonnance réglant une matière fédérale, pour autant que cette disposition soit nécessaire à l’exercice de ses compétences, que cette matière se prête à un règlement différencié et que son incidence sur la matière fédérale ne soit que marginale.
B.141. Dès lors que le secteur des taxis répond à des missions d’intérêt public et que tant l’activité des exploitants que celle des intermédiaires de réservation sont soumises à une autorisation ou à un agrément de l’autorité publique, le législateur ordonnanciel a pu considérer qu’il était nécessaire de prévoir que les clauses qui stipulent l’exclusivité de la relation commerciale entre un exploitant et un intermédiaire de réservation, lesquelles relèvent de l’application du Livre V du Code de droit économique, soient interdites. Eu égard au fait que le droit fédéral, notamment le livre V, titre 3/1, du Code de droit économique, s’il réglemente les relations commerciales, n’impose ni n’interdit les clauses d’exclusivité mais se contente d’encadrer la liberté contractuelle des agents économiques, la matière se prête en principe à un régime différencié. Compte tenu de ce que la disposition attaquée a été conçue comme une condition d’agrément à laquelle les intermédiaires de réservation se soumettent volontairement et que le champ d’application de ces dispositions se limite au secteur du taxi en Région de Bruxelles-Capitale, son incidence sur la matière fédérale du droit des sociétés est marginale.
B.142. Le quatrième moyen, en sa troisième branche, n’est pas fondé.
131
Première et deuxième branches du quatrième moyen
B.143. Dans la première branche, les parties requérantes allèguent que la disposition attaquée méconnaît la liberté contractuelle, de commerce et d’entreprendre sans justification raisonnable. Dans la deuxième branche, elles soutiennent que cette disposition porte atteinte à la libre concurrence. Elles allèguent que la mesure a en réalité un effet inverse, puisqu’elle neutralise toute concurrence. La Cour examine ces branches conjointement.
B.144. Lorsqu’est invoquée une violation du principe d’égalité et de non-discrimination, il faut en règle générale préciser quelles sont les catégories de personnes qui doivent être comparées et en quoi la disposition attaquée entraîne une différence de traitement qui serait discriminatoire. Tel n’est pas le cas en l’espèce.
Toutefois, lorsqu’une violation du principe d’égalité et de non-discrimination est alléguée en combinaison avec un autre droit fondamental, il suffit de préciser en quoi ce droit fondamental est violé. La catégorie de personnes pour lesquelles ce droit fondamental serait violé doit être comparée à la catégorie de personnes envers lesquelles ce droit fondamental est garanti.
B.145. Les considérants B.6.5 à B.6.7, relatifs à la liberté d’entreprendre, sont applicables à la branche à l’examen.
B.146. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.134.2 que le législateur ordonnanciel entendait garantir une mise à disposition du public suffisante des véhicules de taxis sur le territoire bruxellois, ainsi que d’éviter que ces véhicules soient « captifs » d’un intermédiaire. À cet égard, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a relevé qu’il entendait prévenir la survenance de situations malheureuses connues par le passé, à savoir la « déconnexion » unilatérale par un intermédiaire de réservation d’un grand nombre d’exploitants, qui se retrouvent de ce fait subitement privés de revenus. La disposition attaquée vise dès lors également à freiner l’émergence d’acteurs hégémoniques, qui seraient dans une position telle qu’ils pourraient imposer des conditions contractuelles déséquilibrées et un lien de dépendance trop important avec les exploitants de services de taxis. Ces objectifs sont légitimes.
132
B.147.1. Compte tenu de la réalité des expériences antérieures en la matière telles que mentionnée au B.146, qui ont notamment conduit à l’ordonnance de la Région de Bruxelles-
Capitale du 10 décembre 2021 « insérant un régime dérogatoire transitoire dans l’ordonnance du 27 avril 1995 relative aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur », le législateur ordonnanciel a raisonnablement pu considérer que le risque de lien de dépendance unilatéral était trop important dans le secteur des taxis, lequel est régulé en raison de ses missions de service public, pour laisser intact le principe de liberté contractuelle entre entreprises sur ce point. Le fait que tous les intermédiaires de réservation ne prennent pas la forme de sociétés multinationales ne change pas le constat que le législateur ordonnanciel a posé, à savoir que les exploitants de services de taxis sont en principe la partie vulnérable dans ce type de relations commerciales.
La mesure est pertinente pour la sauvegarde de l’égalité des relations contractuelles. Elle est également pertinente au regard de l’objectif de mise à disposition suffisante au public des véhicules de taxis sur le territoire bruxellois. En effet, les clauses d’exclusivité entre un intermédiaire de réservation et des exploitants de services de taxis créent un système de « bulles » dans lesquelles l’usager est obligé de multiplier les intermédiaires auxquels il accède afin d’atteindre un grand nombre de véhicules disponibles. À l’inverse, dans un système dans lequel les exploitants sont affiliés à plusieurs intermédiaires de réservation, le nombre de véhicules par intermédiaire se trouve, par définition, augmenté.
B.147.2. La mesure attaquée n’emporte en outre pas de conséquences disproportionnées.
Il n’apparaît pas que le fait que des exploitants s’affilieraient à plusieurs intermédiaires de réservation ou que les intermédiaires de réservation ne peuvent pas facturer un surcoût pour cela causerait à ces intermédiaires un préjudice financier ou économique qui empêche ou rende excessivement difficile l’exercice de leurs activités. Pour le surplus, les exploitants et les intermédiaires de réservation conservent la liberté de conclure un accord entre eux et d’en déterminer les conditions.
B.148. La disposition attaquée ne crée pas une différence de traitement qui ne soit pas raisonnablement justifiée au regard de la liberté contractuelle, de commerce et d’entreprendre.
133
B.149. La Cour doit encore examiner la compatibilité de la mesure attaquée avec les principes de la libre concurrence.
B.150. Les considérants B.120.1 et B.120.2, relatifs à la libre concurrence, sont applicables à la branche à l’examen.
B.151. Les parties requérantes allèguent que la disposition attaquée, bien qu’elle ait pour objet de garantir une plus grande concurrence sur le marché des services de taxis, emporte en réalité la conséquence inverse. Elles affirment que, si les intermédiaires de réservation ne peuvent ni imposer l’exclusivité, ni prévoir un prix d’adhésion plus élevé pour les exploitants qui sont affiliés ailleurs, ces intermédiaires n’ont alors plus aucun intérêt à proposer un prix d’adhésion moins élevé que leurs concurrents, ce qui neutralise toute concurrence.
B.152. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.134.2 que le législateur ordonnanciel vise, par l’adoption de la disposition attaquée, à prévenir les situations de position dominante de certains acteurs dans le secteur des taxis. Aux termes de l’article 102 du TFUE, est « incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à : [...]
c) appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ». La Cour de justice a ainsi jugé que l’existence d’une position dominante peut résulter d’une dépendance économique entre deux opérateurs économiques inégaux (CJCE, 11 novembre 1986, 226/84, British Leyland Public Limited Company, ECLI:EU:C:1986:421).
B.153. Il appartient à l’exploitant de déterminer s’il ne souhaite s’affilier qu’à un seul ou à plusieurs intermédiaires de réservation et à en assumer les frais, le cas échéant. La mesure attaquée n’a pas pour effet qu’un intermédiaire de réservation n’aurait plus intérêt à maintenir les coûts d’affiliation aussi bas que possible pour les exploitants. Du reste, d’autres facteurs, comme la convivialité de la plateforme et le nombre d’utilisateurs, peuvent avoir une incidence sur le choix de l’exploitant de s’affilier à l’un ou à l’autre intermédiaire de réservation.
134
B.154. Il découle de ce qui précède que la critique des parties requérantes, qui implique que la mesure attaquée « neutraliserait » la concurrence, repose sur une prémisse erronée. Par conséquent, il n’y a pas non plus lieu de poser à la Cour de justice la question préjudicielle suggérée par les parties requérantes.
B.155. Le quatrième moyen, en ses première et deuxième branches, n’est pas fondé.
Cinquième moyen
B.156. Les parties requérantes prennent un cinquième moyen de la violation, par les articles 26, § 2, 27, alinéa 1er, 3°, 30, alinéa 1er, 4°, et 42 à 45 de l’ordonnance du 9 juin 2022, de l’article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec les articles 5 et 6 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 « relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) » (ci-après : le RPGD), en ce que les dispositions attaquées mettent en place une obligation de communication systématique de toute une série de données à caractère personnel, ainsi que la création d’une base de données informatisée au sein de l’administration.
B.157. Les parties requérantes soulèvent en outre l’incompétence de la Région de Bruxelles-Capitale. Toutefois, l’exposé de la requête ne permet pas de déduire en quoi la Région de Bruxelles-Capitale aurait empiété sur les compétences d’une autre entité en adoptant les articles attaqués ni quelles sont les règles répartitrices de compétences visées. Par conséquent, le moyen n’indique pas les règles qui seraient violées ni n’expose en quoi elles auraient été transgressées par les dispositions attaquées.
Le moyen est irrecevable en ce qu’il vise l’incompétence de la Région de Bruxelles-Capitale.
B.158.1. Les dispositions attaquées sont libellées ainsi :
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« Art. 26. [...]
§ 2. L’exploitant doit transmettre sur un serveur désigné par l’Administration :
1° les données visées à l’article 43, § 1er, 8°, relatives aux chauffeurs qui travaillent pour l’exploitant;
2° les données visées à l’article 43, § 1er, 10° à 11°, relatives aux courses effectuées, aux courses réservées;
3° pour chaque véhicule enregistré conformément à l’article 17, les données visées à l’article 43, § 1er, 12°, a) et b), relatives aux périodes de mise à la disposition du public;
4° les données visées à l’article 43, § 1er, 13°, relatives aux véhicules mis à la disposition du public;
5° les conditions générales d’utilisation applicables aux clients et usagers.
Le Gouvernement ou son délégué détermine les modalités de la communication de ces données.
[...]
Art. 27. Le Gouvernement peut déterminer les conditions d’exploitation des services de taxis cérémoniels qui complètent les conditions de base suivantes :
[...]
3° l’exploitant doit transmettre sur un serveur désigné par l’Administration :
a) les données visées à l’article 43, § 1er, 8°, relatives aux chauffeurs qui travaillent pour l’exploitant;
b) les données visées à l’article 43, § 1er, 10° et 11°, relatives aux courses réservées et aux courses effectuées;
c) une copie des contrats visés au point 1° du présent article;
d) les conditions générales d’utilisation applicables aux clients et usagers ».
« Art. 30. Chaque intermédiaire de réservation doit :
[...]
4° transmettre sur un serveur désigné par l’Administration :
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a) les données visées à l’article 43, § 1er, 7°, relatives aux exploitants qui ont recours aux services de l’intermédiaire de réservation;
b) les données visées à l’article 43, § 1er, 8°, relatives aux chauffeurs qui ont recours aux services de l’intermédiaire de réservation;
c) les données visées à l’article 43, § 1er, 10° et 11°, relatives aux courses réservées et aux courses effectuées via les services de l’intermédiaire de réservation;
d) pour chaque véhicule enregistré conformément à l’article 17, les données visées à l’article 43, § 1er, 12°, relatives à la mise à la disposition du public via les services de l’intermédiaire de réservation;
e) l’ensemble des coûts qui sont mis à la charge des affiliés à l’intermédiaire de réservation;
f) les conditions générales d’affiliation à l’intermédiaire de réservation applicables aux exploitants de services de taxis, lesquelles doivent être conformes aux tarifs visés à l’article 31
et ne peuvent ni interdire aux exploitants de s’affilier également à d’autres intermédiaires de réservation de leur choix, ni imposer de surcoût aux exploitants qui s’affilient à plusieurs intermédiaires de réservation;
g) les conditions générales d’utilisation des services de l’intermédiaire de réservation applicables aux clients et usagers ».
« Art. 42. § 1er. Toutes les communications et tous les échanges de documents qui s’inscrivent dans le cadre de la présente ordonnance se font par la voie électronique.
§ 2. Le Gouvernement ou son délégué peut créer et mettre en ligne un système informatique constitué d’un recueil des données visées à l’article 43, § 1er. Il en détermine le contenu, les modalités de mise à jour et les caractéristiques techniques.
Une fois le système informatique fonctionnel, le Gouvernement peut imposer que toutes les communications et tous les échanges de documents qui s’inscrivent dans le cadre de la présente ordonnance se font par la voie de ce système informatique.
Au cas où le système informatique est temporairement indisponible pendant plus d’un jour ouvrable, les délais imposés par la présente ordonnance et ses arrêtés d’exécution sont, de plein droit, prorogés du nombre de jours ouvrables qu’aura duré la période d’indisponibilité. Les périodes pendant lesquelles le système informatique a été indisponible sont mentionnées sur le site internet du système informatique.
Art. 43. § 1er. Les données suivantes peuvent être collectées et traitées dans le cadre de la présente ordonnance et de ses arrêtés d’exécution :
1° les données relatives aux autorisations d’exploiter un service de taxis, à la liste d’attente de délivrance de nouvelles autorisations d’exploiter un service de taxis, aux certificats de capacité de chauffeur, aux agréments d’intermédiaire de réservation et aux véhicules enregistrés;
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2° les demandes d’autorisation d’exploiter un service de taxis, de cession d’une telle autorisation, de certificat de capacité de chauffeur, d’agréments d’intermédiaire de réservation et d’enregistrement de véhicules qui ont fait l’objet d’un refus, ainsi que les motifs du refus, y compris les condamnations pénales et l’inaptitude médicale visée à l’article 44 de l’arrêté royal du 23 mars 1998 relatif au permis de conduire;
3° les autorisations d’exploiter un service de taxis, les certificats de capacité de chauffeur et les agréments d’intermédiaire de réservation qui ont fait l’objet d’une suspension, ainsi que la durée et les motifs de la suspension, y compris les condamnations pénales et l’inaptitude médicale visée à l’article 44 de l’arrêté royal du 23 mars 1998 relatif au permis de conduire;
4° les autorisations d’exploiter un service de taxis, les certificats de capacité de chauffeur, les agréments d’intermédiaire de réservation et les enregistrements de véhicules qui ont fait l’objet d’un retrait, ainsi que les motifs du retrait, y compris les condamnations pénales et l’inaptitude médicale visée à l’article 44 de l’arrêté royal du 23 mars 1998 relatif au permis de conduire;
5° les informations relatives aux recours introduits contre les décisions de suspension et de retrait, ainsi que les décisions prises par l’autorité de recours;
6° les plaintes et les avis du Conseil de discipline visé à l’article 41;
7° les données suivantes relatives à l’exploitant :
a) les noms et prénoms et/ou dénomination sociale;
b) le numéro de registre national et/ou d’entreprise;
c) l’adresse du siège d’exploitation et, le cas échéant, de l’unité ou des unités d’établissement;
d) un numéro de téléphone et une adresse de messagerie électronique de contact;
e) les données relatives aux conditions de moralité, solvabilité et capacité professionnelles visées à l’article 6;
f) le statut social;
g) l’identité et le statut social du/des chauffeur(s) conduisant le/les véhicules de l’exploitant;
8° les données suivantes relatives au chauffeur :
a) les noms et prénoms, numéro de registre national et adresse du domicile;
b) un numéro de téléphone et une adresse de messagerie électronique de contact;
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c) les données relatives aux conditions de moralité visées à l’article 14;
d) le numéro de permis de conduire;
e) la date de validité du permis de conduire et du certificat d’aptitude médicale;
f) le statut social;
g) le régime de travail;
9° les données suivantes relatives aux intermédiaires de réservation :
a) les noms et prénoms et/ou dénomination sociale;
b) le numéro de registre national et/ou d’entreprise;
c) l’adresse du siège d’exploitation et, le cas échéant, de l’unité ou des unités d’établissement;
d) un numéro de téléphone et une adresse de messagerie électronique de contact;
e) les données relatives aux conditions de moralité, solvabilité et capacité professionnelles visées à l’article 22;
10° les données suivantes relatives aux courses prestées par les services de taxis :
a) les données relatives à l’identification de l’exploitant visées au 7°, a) à c);
b) les données relatives à l’identification du chauffeur visées au 8°, a);
c) la plaque d’immatriculation du véhicule;
d) la date;
e) les données de localisation du point de départ et d’arrivée;
f) les heures de départ et d’arrivée;
g) le numéro unique de la course;
h) le prix final de la course;
i) la distance de la course;
11° complémentairement au point 10°, les données suivantes relatives aux courses prestées sur réservation par les services de taxis :
a) les date et heure auxquelles la réservation a été effectuée;
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b) les dates, heures et lieux de départ et d’arrivée de la course définis au moment où la réservation a été effectuée;
c) le prix convenu pour la course au moment où la réservation a été effectuée;
d) le cas échéant, les données relatives au contrat de cérémonie visées à l’article 27;
12° les données relatives au service quotidien du véhicule :
a) les dates et heures de début et de fin du service;
b) les heures de début et de fin des périodes de pause prises pendant la durée du service;
c) le nombre de courses effectuées;
d) la distance totale parcourue et, au sein de celle-ci, la distance parcourue avec des usagers à bord;
13° les données suivantes relatives au véhicule exploité dans le cadre d’un service de taxis :
a) la plaque d’immatriculation;
b) les données relatives au contrôle technique;
c) les données relatives au titre de propriété du véhicule;
d) les données relatives à l’assurance;
§ 2. Les condamnations pénales visées au paragraphe 1er, 1° à 4° et 7° à 9°, ne concernent que les infractions aux conditions relatives à la moralité de l’exploitant, du chauffeur ou de l’intermédiaire de réservation visées à l’article 6 ou à l’article 14 ou à l’article 22 et les infractions visées à l’article 36.
La base de données ne mentionne, le cas échéant, que l’existence d’une condamnation de ce genre, sans indication de l’infraction qui a été sanctionnée.
§ 3. Pour les causes d’inaptitude médicale visées au paragraphe 1er, 2°, 3° et 4°, la base de données ne mentionne que les codes visés à l’annexe 7 de l’arrêté royal du 23 mars 1998 tels que mentionnés sur le permis de conduire.
§ 4. La base de données est alimentée :
1° s’agissant des données visées au paragraphe 1er, 1° à 6, par l’Administration;
2° s’agissant des données visées au paragraphe 1er, 7° à 13°, par les exploitants d’un service de taxis, les chauffeurs ou par les intermédiaires de réservation.
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§ 5. Les données sont transférées sur le serveur désigné par l’Administration :
a) en ce qui concerne celles visées à l’article 43, § 1er, 8° : avant l’entrée en vigueur du contrat ou de sa modification, de l’engagement, du changement de régime de travail, de la démission ou du licenciement d’un chauffeur;
b) en ce qui concerne celles visées au § 1er, 10° : à la fin de chaque course;
c) en ce qui concerne celles visées au § 1er, 11° : après chaque réservation ou conclusion de contrat de cérémonie;
d) en ce qui concerne celles visées au § 1er, 12° : après chaque fin de service;
e) en ce qui concerne celles visées au § 1er, 13° : avant la mise en service du véhicule.
§ 6. L’Administration est autorisée à accéder aux sources authentiques contenant les données relatives aux chauffeurs, exploitants, et intermédiaires de réservation.
Ces données sont :
1° en ce qui concerne le chauffeur :
a) les données relatives à l’identification de l’exploitant visées au § 1er, 7°, a) à c);
b) les données relatives à l’identification du chauffeur visées au § 1er, 8°, a);
c) les données relatives au respect des conditions de moralité conformément au paragraphe 2 du même article;
d) les données relatives à la validité du permis de conduire;
e) les données relatives à l’aptitude médicale visée à l’article 44 de l’arrêté royal du 23 mars 1998 relatif au permis de conduire;
f) les données relatives au statut social des travailleurs et le régime de travail;
2° en ce qui concerne l’exploitant :
a) les données relatives à l’identification de l’exploitant visées au § 1er, 7°, a) à c);
b) les données relatives au respect des conditions de moralité conformément au paragraphe 2 du même article;
c) les données relatives au respect des conditions de solvabilité;
d) les données relatives au statut social des chauffeurs;
e) les données relatives au(x) véhicule(s);
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3° en ce qui concerne l’intermédiaire de réservation :
a) les données relatives à l’identification visées au § 1er, 9°, a) à c);
b) les données relatives au respect des conditions de moralité conformément au paragraphe 2 du même article;
c) les données relatives au respect des conditions de solvabilité.
§ 7. La base de données est soumise à une gestion stricte des utilisateurs et des accès, l’accès étant limité aux données strictement nécessaires à l’application de la présente ordonnance et de ses arrêtés d’exécution, en fonction du rôle joué par chaque bénéficiaire d’accès.
§ 8. L’Administration accède à la base de données suivant les modalités suivantes :
1° s’agissant des données visées au § 1er, 1° à 6° et 13°, en permanence;
2° s’agissant des données visées au § 1er, 7° à 12°, uniquement dans le cadre d’une enquête administrative et/ou pénale portant sur le respect des dispositions de l’ordonnance et de ses arrêtés d’exécution, lors d’une plainte, pour la vérification de la mise à disposition du véhicule;
§ 9. Les données visées au § 1er sont conservées dans la base de données six ans après la cessation de l’exploitation à laquelle elles se rapportent.
En dérogation à l’alinéa 1er :
1° en cas d’inscription sur la liste d’attente visée à l’article 7, et sous réserve de l’application du 2°, les données de la demande d’autorisation d’exploiter ne sont pas conservées au-delà de la date à laquelle le demandeur est rayé de la liste d’attente sans avoir obtenu l’autorisation demandée;
2° les données visées au § 1er, 2°, sont conservées jusqu’à l’expiration des voies de recours ouvertes à l’encontre des décisions en cause, ou des délais pour introduire ces recours;
3° les données visées au § 1er, 10° et 11°, sont conservées dans la base de données pendant 2 ans.
Art. 44. Les données listées à l’article 43 sont collectées et traitées en vue de :
1° permettre une gestion administrative efficace des procédures d’octroi et de renouvellement d’autorisation et d’agrément, d’octroi du certificat de capacité, d’enregistrement du véhicule mises en place par la présente ordonnance;
2° contrôler le respect des dispositions relatives :
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a) aux conditions d’octroi et d’exploitation, de renouvellement, de suspension, du retrait de l’autorisation d’exploiter;
b) aux conditions d’octroi et d’exploitation de renouvellement, de suspension, du retrait de l’agrément d’intermédiaire de réservation;
c) aux conditions d’octroi, de suspension et de retrait du certificat de capacité, et aux exigences imposées aux chauffeurs;
d) aux exigences imposées aux véhicules;
e) à la mise à disposition du véhicule;
f) aux tarifs applicables aux services de taxis;
3° partager les données relatives aux véhicules exploités dans le cadre d’un service de taxis, aux exploitants et aux certificats de capacité entre les services publics bruxellois et fédéraux compétents, les services publics compétents des autres Régions, la police et le Conseil de discipline visé à l’article 41.
Art. 45. § 1er. L’Administration est le responsable du traitement au sens de l’article 4, 7), du règlement 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE.
§ 2. Le Gouvernement détermine à quelles données de la base de données peuvent avoir accès, les exploitants, les chauffeurs, la police, les services publics fédéraux et les services publics chargés de la gestion administrative et du contrôle des services de transport rémunéré de personnes, ainsi que les conditions et les modalités techniques de cet accès.
L’accès visé à l’alinéa 1er est strictement limité aux informations personnelles de la personne qui sollicite l’accès ou, si la demanderesse est une autorité publique, à ce qui lui est nécessaire à l’exercice de ses compétences ».
B.158.2. Les dispositions précitées ont ensuite été modifiées par l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 1er décembre 2022 « modifiant l’ordonnance du 9 juin 2022
relative aux services de taxis et l’ordonnance du 6 mars 2019 relative au Code bruxellois de procédure fiscale ». Ces modifications n’ont pas d’incidence sur les affaires jointes présentement examinées.
B.158.3. Les dispositions attaquées ont fait l’objet, sous leur formulation antérieure contenue dans un avant-projet d’ordonnance, de l’avis de l’Autorité de protection des données n° 249/2021 du 23 décembre 2021. Celle-ci a indiqué que le traitement des données en projet constituait une ingérence dans les droits et libertés des personnes concernées et restait soumis
143
au principe de nécessité et de proportionnalité. Elle a également invité le législateur ordonnanciel à décrire plus précisément les finalités poursuivies. L’avis indique :
« [L]’Autorité estime que trois types de traitements de données mis en place par l’avant-
projet semblent disproportionnés au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi. Il s’agit de l’accès de l’Administration et la transmission en temps réel à l’Administration par, d’une part, les exploitants d’un service de taxi (article 24, § 2) et d’autre part, par les gestionnaires de plateformes (article 27, § 2, 4°), notamment des données relatives aux courses réservées et effectuées ainsi qu’au temps de travail presté par les chauffeurs [...]. De même, en ce qui concerne la mise en place éventuelle par le Gouvernement d’un système informatique constitué d’un recueil de tous types de données encodées reçues, échangées ou stockées dans le cadre des procédures ou des formalités visées par l’ordonnance en projet (article 45) » (avis n° 249/2021
du 23 décembre 2021, pp. 4-5).
« En ce qui concerne la précision de la finalité de gestion administrative, l’Autorité invite le demandeur à veiller à ce qu’elle soit exhaustive afin de permettre aux personnes concernées de pouvoir se faire une idée claire et prévisible des traitements qui seront effectués de leurs données. Ainsi, l’Autorité est d’avis que cette finalité doit viser aussi l’octroi de l’autorisation d’exploiter, du certificat de capacité, de l’agrément des plateformes, l’enregistrement du véhicule et la réception de la déclaration préalable à laquelle est soumis le secteur du transport de personnes à caractère événementiel » (ibid., p. 7).
« L’Autorité considère que l’accès permanent de l’Administration, avec un transfert en temps réel des données précitées sur un serveur de l’Administration est démesuré en vue d’assurer une mission de contrôle du service d’intérêt public qu’est le taxi » (ibid., p. 18).
« Dans le même ordre d’idées, l’Autorité ne comprend pas pour quelle raison les données relatives au temps de travail presté par les chauffeurs doivent être accessibles et transférées à l’Administration au regard des finalités visées » (ibid., p. 19).
« L’Autorité relève que les expressions ‘ informations et documents relatifs aux chauffeurs ’ et ‘ les courses réservées et les courses effectuées ’ sont larges et floues, ce qui ne permet pas aux personnes concernées de se faire une idée précise des traitements de leurs données » (ibid., p. 20).
B.158.4. Sollicitée sur le même avant-projet, la section de législation du Conseil d’État, dans son avis n° 71.119/4 du 23 mars 2022, a observé :
« 1. Conformément au principe de légalité consacré par l’article 22 de la Constitution, le paragraphe 1er énumère les données qui peuvent être collectées dans le cadre de l’ordonnance en projet.
Dans ce cadre, il est notamment fait usage de la notion de ‘ données relatives à l’identification ’ de l’exploitant, du chauffeur ou de l’intermédiaire de réservation.
144
Cette notion sera définie afin d’y préciser quelles sont les données à caractère personnel qu’elle recouvre.
2. Le paragraphe 8, relatif aux modalités d’accès de l’administration à la base de données, sera complété pour ce qui concerne les données visées au paragraphe 1er, 7° à 9° » (CE, avis n° 71.119/4 du 23 mars 2022, p. 11).
B.158.5. En réponse aux avis précités, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale a adapté son projet, notamment en supprimant le caractère « en temps réel » de la collecte des données, en supprimant la mention du temps de travail accompli par les chauffeurs, en supprimant la publication de l’adresse du siège d’exploitation des chauffeurs et en procédant à l’énumération des données précises que recouvrent les « informations et documents relatifs aux chauffeurs » ainsi que « les courses réservées et les courses effectuées ».
B.158.6. Dans les travaux préparatoires de l’ordonnance du 9 juin 2022, il est précisé :
« Ces articles visent à rendre l’ordonnance conforme aux exigences du RGPD et de la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel, ainsi qu’à l’avis nº 249/2021 rendu par l’APD sur l’avant-projet d’ordonnance le 23 décembre 2021 » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-
Capitale, 2021-2022, A-541/1, p. 29).
Le ministre-président a ajouté :
« Le projet d’ordonnance prévoit également la communication, par les exploitants, chauffeurs, intermédiaires, d’un certain nombre de données permettant un meilleur contrôle. La communication de ces données n’était en effet pas prévue par l’ordonnance de 1995.
Pour encore renforcer le contrôle et surtout alléger la gestion administrative de Bruxelles Mobilité autant que celle des exploitants, des chauffeurs et des intermédiaires de réservation, un nouveau système de gestion informatique de données sera créé au sein de l’administration.
À cet effet, il a demandé à Bruxelles Mobilité de démarrer la réflexion pour aboutir à un projet à soumettre à concertation avec le secteur au sens large. Les modalités de gestion des données seront définies par arrêté de Gouvernement. L’objectif est d’être opérationnel fin 2023 » (Doc.
parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-541/2, pp. 57-58).
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Première, deuxième et troisième branches du cinquième moyen
B.159. Dans les première et deuxième branches du cinquième moyen, les parties requérantes critiquent le principe de l’obligation, pour les exploitants de services de taxis ainsi que pour les intermédiaires de réservation, de transmission des données visées ainsi que la justification de celle-ci au regard des objectifs de la protection du client et de la facilitation du contrôle par l’administration. Elles font valoir que cette transmission n’est pas nécessaire et que les objectifs poursuivis auraient pu être atteints par d’autres moyens. Elles font en outre grief aux dispositions attaquées de passer par un tiers, les intermédiaires de réservation, pour obtenir des données produites par les exploitants, ce qui mène par ailleurs à une double communication inutile. Dans la troisième branche, les parties requérantes allèguent, pour les mêmes raisons, que la création d’une base de données est contraire aux dispositions citées au moyen. Enfin, la critique porte sur la durée de conservation des données, que les parties requérantes jugent trop longue. La Cour examine ces branches conjointement.
B.160.1. L’article 22 de la Constitution dispose :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.
La loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent la protection de ce droit ».
L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
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B.160.2. Le Constituant a recherché la plus grande concordance possible entre l’article 22
de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).
La portée de cet article 8 est analogue à celle de la disposition constitutionnelle précitée, de sorte que les garanties que fournissent ces deux dispositions forment un tout indissociable.
B.160.3. Les articles du RGPD indiqués au moyen disposent :
« Article 5
Principes relatifs au traitement des données à caractère personnel
1. Les données à caractère personnel doivent être :
a) traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée (licéité, loyauté, transparence);
b) collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement d’une manière incompatible avec ces finalités; le traitement ultérieur à des fins archivistiques dans l’intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques n’est pas considéré, conformément à l’article 89, paragraphe 1, comme incompatible avec les finalités initiales (limitation des finalités);
c) adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées (minimisation des données);
d) exactes et, si nécessaire, tenues à jour; toutes les mesures raisonnables doivent être prises pour que les données à caractère personnel qui sont inexactes, eu égard aux finalités pour lesquelles elles sont traitées, soient effacées ou rectifiées sans tarder (exactitude);
e) conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées; les données à caractère personnel peuvent être conservées pour des durées plus longues dans la mesure où elles seront traitées exclusivement à des fins archivistiques dans l’intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques conformément à l’article 89, paragraphe 1, pour autant que soient mises en œuvre les mesures techniques et organisationnelles appropriées requises par le présent règlement afin de garantir les droits et libertés de la personne concernée (limitation de la conservation);
f) traitées de façon à garantir une sécurité appropriée des données à caractère personnel, y compris la protection contre le traitement non autorisé ou illicite et contre la perte, la destruction ou les dégâts d’origine accidentelle, à l’aide de mesures techniques ou organisationnelles appropriées (intégrité et confidentialité);
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2. Le responsable du traitement est responsable du respect du paragraphe 1 et est en mesure de démontrer que celui-ci est respecté (responsabilité).
Article 6
Licéité du traitement
1. Le traitement n’est licite que si, et dans la mesure où, au moins une des conditions suivantes est remplie :
a) la personne concernée a consenti au traitement de ses données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques;
b) le traitement est nécessaire à l’exécution d’un contrat auquel la personne concernée est partie ou à l’exécution de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci;
c) le traitement est nécessaire au respect d’une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis;
d) le traitement est nécessaire à la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne concernée ou d’une autre personne physique;
e) le traitement est nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement;
f) le traitement est nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers, à moins que ne prévalent les intérêts ou les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée qui exigent une protection des données à caractère personnel, notamment lorsque la personne concernée est un enfant.
Le point f) du premier alinéa ne s’applique pas au traitement effectué par les autorités publiques dans l’exécution de leurs missions.
2. Les États membres peuvent maintenir ou introduire des dispositions plus spécifiques pour adapter l’application des règles du présent règlement pour ce qui est du traitement dans le but de respecter le paragraphe 1, points c) et e), en déterminant plus précisément les exigences spécifiques applicables au traitement ainsi que d’autres mesures visant à garantir un traitement licite et loyal, y compris dans d’autres situations particulières de traitement comme le prévoit le chapitre IX.
3. Le fondement du traitement visé au paragraphe 1, points c) et e), est défini par :
a) le droit de l’Union; ou
b) le droit de l’État membre auquel le responsable du traitement est soumis.
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Les finalités du traitement sont définies dans cette base juridique ou, en ce qui concerne le traitement visé au paragraphe 1, point e), sont nécessaires à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement. Cette base juridique peut contenir des dispositions spécifiques pour adapter l’application des règles du présent règlement, entre autres: les conditions générales régissant la licéité du traitement par le responsable du traitement; les types de données qui font l’objet du traitement; les personnes concernées; les entités auxquelles les données à caractère personnel peuvent être communiquées et les finalités pour lesquelles elles peuvent l’être; la limitation des finalités; les durées de conservation; et les opérations et procédures de traitement, y compris les mesures visant à garantir un traitement licite et loyal, telles que celles prévues dans d’autres situations particulières de traitement comme le prévoit le chapitre IX. Le droit de l’Union ou le droit des États membres répond à un objectif d’intérêt public et est proportionné à l’objectif légitime poursuivi.
4. Lorsque le traitement à une fin autre que celle pour laquelle les données ont été collectées n’est pas fondé sur le consentement de la personne concernée ou sur le droit de l’Union ou le droit d’un État membre qui constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir les objectifs visés à l’article 23, paragraphe 1, le responsable du traitement, afin de déterminer si le traitement à une autre fin est compatible avec la finalité pour laquelle les données à caractère personnel ont été initialement collectées, tient compte, entre autres :
a) de l’existence éventuelle d’un lien entre les finalités pour lesquelles les données à caractère personnel ont été collectées et les finalités du traitement ultérieur envisagé;
b) du contexte dans lequel les données à caractère personnel ont été collectées, en particulier en ce qui concerne la relation entre les personnes concernées et le responsable du traitement;
c) de la nature des données à caractère personnel, en particulier si le traitement porte sur des catégories particulières de données à caractère personnel, en vertu de l’article 9, ou si des données à caractère personnel relatives à des condamnations pénales et à des infractions sont traitées, en vertu de l’article 10;
d) des conséquences possibles du traitement ultérieur envisagé pour les personnes concernées;
e) de l’existence de garanties appropriées, qui peuvent comprendre le chiffrement ou la pseudonymisation ».
B.161. Il ressort des travaux préparatoires de l’ordonnance du 9 juin 2022 ainsi que des mémoires du président du Parlement et du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale que le législateur ordonnanciel a entendu adapter le système de contrôle à l’utilisation des nouvelles technologies dans le secteur des taxis, ainsi que répondre au caractère obsolète et insatisfaisant de l’ancien système, qui consistait, pour les exploitants, à tenir une feuille de route journalière. Selon les autorités compétentes, un tel système menait à un nombre trop important de classements sans suite des plaintes des usagers. L’objectif poursuivi est principalement de
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rendre le contrôle des obligations de l’ordonnance du 9 juin 2022 plus effectif, auquel s’ajoute celui de protéger les clients, notamment les personnes vulnérables.
B.162. Compte tenu de ce constat et de ces objectifs, le législateur ordonnanciel a raisonnablement pu estimer que l’obligation de transmission était nécessaire, afin d’éviter la rétention ou la perte d’informations constatées sous l’empire des anciennes législations.
Contrairement à ce que font valoir les parties requérantes, l’expérience antérieure démontre à suffisance que les objectifs poursuivis n’auraient pu être atteints par un autre moyen, a fortiori celui du maintien du système précédent de la communication des données sur demande de l’administration. Il n’appartient pas à la Cour de remettre en question ce choix d’opportunité.
B.163. La critique des parties requérantes portant sur la création d’une base de données informatisée suit le même raisonnement, puisqu’elles dénoncent son caractère non nécessaire au regard des objectifs visés, lesquels auraient pu être atteints par la conservation du système tel qu’il existait auparavant. Le législateur ordonnanciel a raisonnablement pu estimer que la création d’une base de données informatisée était nécessaire et constituait une mesure indissociable de l’obligation de transmission des données visées.
B.164. La Cour doit encore examiner si le traitement des données par l’administration, qui est le responsable du traitement au sens de l’article 4, paragraphe 7, du RGPD, est compatible avec les principes relatifs à la protection des données, notamment le principe de proportionnalité.
B.165. Pour juger du caractère proportionné des mesures relatives au traitement de données à caractère personnel, il convient de tenir compte notamment de leur caractère automatisé, des techniques utilisées, de la précision, de la pertinence et du caractère excessif ou non des données traitées, de l’existence ou de l’absence de mesures qui limitent la durée de conservation des données, de l’existence ou de l’absence d’un système de contrôle indépendant permettant de vérifier si la conservation des données est encore requise, de la présence ou de l’absence de droits de contrôle et de voies de recours suffisants pour les personnes concernées, de la présence ou de l’absence de garanties visant à éviter la stigmatisation des personnes dont les données sont traitées, du caractère distinctif de la réglementation et de la présence ou de l’absence de garanties visant à éviter l’usage inapproprié et abusif, par les services publics, des
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données à caractère personnel traitées (CEDH, grande chambre, 4 mai 2000, Rotaru c. Roumanie, ECLI:CE:ECHR:2000:0504JUD002834195, § 59; décision, 29 juin 2006, Weber et Saravia c. Allemagne, ECLI:CE:ECHR:2006:0629DEC005493400, § 135; 28 avril 2009, K.H. e.a. c. Slovaquie, ECLI:CE:ECHR:2009:0428JUD003288104, §§ 60 à 69; grande chambre, 4 décembre 2008, S. et Marper c. Royaume-Uni, ECLI:CE:ECHR:2008:1204JUD003056204, §§ 101 à 103, 119, 122 et 124; 18 avril 2013, M.K.
c. France, ECLI:CE:ECHR:2013:0418JUD001952209, §§ 37 et 42 à 44; 18 septembre 2014, Brunet c. France, ECLI:CE:ECHR:2014:0918JUD002101010, §§ 35 à 37; 12 janvier 2016, Szabó et Vissy c. Hongrie, ECLI:CE:ECHR:2016:0112JUD003713814, § 68; CJUE, grande chambre, 8 avril 2014, C-293/12, Digital Rights Ireland Ltd, et C-594/12, Kärntner Landesregierung e.a., ECLI:EU:C:2014:238, points 56 à 66).
B.166. L’article 43, §§ 1er à 3, de l’ordonnance du 9 juin 2022 énumère précisément quelles sont les données à caractère personnel qui font l’objet d’une obligation de transmission et d’un accès éventuel par l’administration. Aucune de ces données n’est entachée d’un caractère vague qui serait susceptible d’abus. En outre, chacune d’entre elles est liée aux exploitants, chauffeurs et intermédiaires de réservation et porte sur des informations qui ne dépassent pas le cadre professionnel de l’activité de taxi. Aucune donnée relative aux clients n’est collectée. En outre, le paragraphe 5 de la même disposition indique quels sont les délais de transmission de ces données par les exploitants et intermédiaires de réservation, laquelle ne doit pas être effectuée en temps réel. Par conséquent, les données transmises sont adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées. Au surplus, le fait que cette obligation s’impose aux exploitants et aux intermédiaires de réservation et que certaines données puissent être obtenues en double n’y change rien.
B.167. L’administration ne peut accéder aux données fournies par les exploitants et les intermédiaires de réservation que pour les finalités énumérées limitativement dans l’article 44
de l’ordonnance du 9 juin 2022. Il s’agit, d’une part, de la gestion des procédures relatives aux obligations et conditions prévues dans l’ordonnance précitée, parmi lesquelles la délivrance des autorisations d’exploiter et des agréments d’intermédiaires de réservation. Il s’agit, d’autre part, du partage des données entre les services publics bruxellois, des entités fédérées et fédéraux compétents aux fins de lutte contre la fraude et les infractions. Par ailleurs, l’article 43, § 8, de
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la même ordonnance réserve l’accès aux données les plus personnelles au cadre d’une enquête administrative et/ou pénale portant sur le respect des dispositions de l’ordonnance et de ses arrêtés d’exécution, tandis qu’il ne permet l’accès en permanence qu’aux données relatives aux autorisations et agréments, recours et plaintes, ainsi qu’aux données d’ordre public relatives aux véhicules, à savoir la plaque d’immatriculation, le contrôle technique, le titre de propriété du véhicule et l’assurance.
B.168. L’article 43, § 9, de l’ordonnance du 9 juin 2022 fixe le délai de conservation maximal des données à caractère personnel traitées à six ans après la cessation de l’exploitation à laquelle elles se rapportent et à une durée moindre dans certains cas.
B.169. La transmission et le traitement des données énumérées dans les dispositions attaquées poursuit dès lors concrètement les finalités mentionnées en B.167. Celles-ci sont déterminées, explicites et légitimes, au sens de l’article 5, paragraphe 1, b), du RGPD. Compte tenu du caractère strictement limité à la sphère des services de taxis, il s’ensuit que les dispositions attaquées ne méconnaissent pas l’essence du droit à la protection des données et qu’elles sont assorties de mesures appropriées et spécifiques pour la sauvegarde des droits fondamentaux et des intérêts des exploitants et des intermédiaires de réservation.
Pour le surplus, c’est aux autorités compétentes, en leur qualité de responsable du traitement, qu’il appartient de veiller au respect de l’ensemble des garanties encadrant le traitement de ces données, en ce compris les dispositions directement applicables du RGPD.
B.170. L’ingérence est par conséquent justifiée et n’entraîne pas des effets disproportionnés pour les droits des exploitants et des intermédiaires de réservation, au regard des objectifs poursuivis.
B.171. Le cinquième moyen n’est pas fondé.
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En ce qui concerne l’affaire n° 7914
Premier moyen
B.172. La partie requérante prend un premier moyen de la violation, par l’article 30, alinéa 1er, 4°, f), de l’ordonnance du 9 juin 2022, des articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec l’article 4, paragraphe 3, du TUE, et avec les articles 101 et 102 du TFUE, ainsi qu’avec l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, et X, alinéa 1er, 8°, et avec l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980. Le moyen vise l’interdiction des clauses d’exclusivité et l’interdiction d’imposer des surcoûts aux exploitants qui sont affiliés à plusieurs intermédiaires de réservation.
B.173. Dans la première branche, la partie requérante dénonce l’ingérence injustifiée dans la liberté de commerce et d’industrie et dans la liberté contractuelle entre deux opérateurs économiques privés. Dans la deuxième branche, elle soutient que les mesures attaquées sont incompatibles avec le principe de libre concurrence consacré notamment par le droit de l’Union européenne. Dans la troisième branche, elle conteste la compétence de la Région de Bruxelles-Capitale, qui empiéterait sur la compétence fédérale en matière de droit commercial et de droit des sociétés.
B.174. Pour les motifs développés relativement au quatrième moyen dans l’affaire n° 7911, le premier moyen, en ses trois branches, n’est pas fondé.
Second moyen
B.175. La partie requérante prend un second moyen de la violation, par les articles 30, alinéa 1er, 4°, et 42 à 45 de l’ordonnance du 9 juin 2022, de l’article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec les articles 7, 8 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec l’article 16 du TFUE et avec les articles 5 et 6 du RGPD. Le second moyen vise l’obligation de communication systématique de toute une série de données à caractère personnel, ainsi que la création d’une base de données informatisée au sein de l’administration.
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B.176. Pour les motifs développés relativement au cinquième moyen dans l’affaire n° 7911, le second moyen n’est pas fondé.
Quant au maintien des effets
B.177.1. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale demandent à la Cour, en cas d’annulation totale ou partielle de l’ordonnance du 9 juin 2022, de maintenir les effets des dispositions annulées.
B.177.2. L’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 dispose :
« Si la Cour l’estime nécessaire, elle indique, par voie de disposition générale, ceux des effets des dispositions annulées qui doivent être considérés comme définitifs ou maintenus provisoirement pour le délai qu’elle détermine ».
B.178. La Cour n’a jugé fondé que le premier moyen dans l’affaire n° 7910, de sorte que seul l’article 3, 1°, alinéa 2, de l’ordonnance du 9 juin 2022 doit être annulé. Il ressort de l’examen de ce moyen que la matière réglée dans cette disposition doit faire l’objet d’un accord de coopération conclu par les différentes régions, conformément à l’article 92bis, § 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.179.1. L’article 6, § 3, du décret de la Région flamande du 29 mars 2019 « relatif au transport particulier rémunéré » dispose :
« Le Gouvernement flamand peut fixer les règles relatives aux courses qui s’étendent sur le territoire de la Région flamande, et qui sont effectuées par des services bénéficiant d’une licence dans une autre région ».
L’article 8 de l’arrêté du Gouvernement flamand du 8 novembre 2019 « relatif aux conditions d’exploitation du transport individuel rémunéré de personnes » dispose :
« Au cours d’une course effectuée sur le territoire de la Région flamande par un service de taxi ou un service de location d’un véhicule avec un chauffeur autorisé dans une autre région,
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aucune personne ne peut monter à bord sur le territoire de la Région flamande, sauf si la course a été commandée ».
B.179.2. L’article 12 du décret de la Région wallonne du 28 septembre 2023 « relatif aux services de transport rémunéré de personnes par route au moyen de véhicules de petite capacité » dispose :
« [...]
Hormis les cas prévus par un accord de coopération visé par l’article 92bis, § 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles au cours d’une course effectuée sur le territoire de la Région wallonne par un service de taxi autorisé dans une autre Région, aucune personne ne peut monter à bord sur le territoire de la Région wallonne, sauf si la course a été commandée et acceptée avant d’entrer sur le territoire de la Région.
§ 3. Si l’exploitant effectue un trajet intra-régional, il dispose, pour chaque véhicule, d’une licence d’exploitation délivrée par la commune du point de prise en charge ou du point d’arrivée de la course.
Par dérogation à l’alinéa 1er, si la course a été commandée et acceptée avant d’entrer sur le territoire de la commune du point de prise en charge, l’exploitant peut disposer d’une licence d’exploitation délivrée par une autre commune ».
B.180.1. Il en ressort que la Région flamande et la Région wallonne ont elles aussi prévu des dispositions spécifiques concernant l’exercice, sur leur territoire, de services de taxis qui sont exploités à partir du territoire d’une autre région. Une annulation non modulée de l’article 3, 1°, alinéa 2, de l’ordonnance du 9 juin 2022 aurait pour conséquence qu’il n’y aurait que dans la Région de Bruxelles-Capitale que de telles dispositions ne seraient plus applicables.
B.180.2. Afin de prévenir un tel déséquilibre et ses possibles répercussions pour la circulation routière sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, mais aussi de permettre aux régions de conclure l’accord de coopération visé à l’article 92bis, § 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980 et de mettre leur réglementation en conformité avec cet accord, les effets de l’article 3, 1°, alinéa 2, de l’ordonnance du 9 juin 2022 doivent être maintenus jusqu’à l’entrée en vigueur de cet accord, et au plus tard jusqu’au 30 juin 2027.
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Par ces motifs,
la Cour
- annule l’article 3, 1°, alinéa 2, de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 9 juin 2022 « relative aux services de taxis »;
- maintient les effets de la disposition annulée jusqu’à l’entrée en vigueur de l’accord de coopération visé à l’article 92bis, § 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, et au plus tard jusqu’au 30 juin 2027;
- rejette les recours pour le surplus.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 décembre 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Pierre Nihoul