La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/12/2024 | BELGIQUE | N°151/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 12 décembre 2024, 151/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 151/2024
du 12 décembre 2024
Numéro du rôle : 8158
En cause : le recours en annulation partielle de l’article 58 de la loi-programme du 22 décembre 2023 (en ce qu’il concerne le paragraphe 3 de la rubrique XXXVII du tableau A
de l’annexe à l’arrêté royal n° 20 du 20 juillet 1970 « fixant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée et déterminant la répartition des biens et des services selon ces taux »), introduit par l’ASBL « Union Professionnelle du Secteur Immobilier » et autres.
La Cour constitutionnelle,

composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Joséphine Moerman, Michel P...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 151/2024
du 12 décembre 2024
Numéro du rôle : 8158
En cause : le recours en annulation partielle de l’article 58 de la loi-programme du 22 décembre 2023 (en ce qu’il concerne le paragraphe 3 de la rubrique XXXVII du tableau A
de l’annexe à l’arrêté royal n° 20 du 20 juillet 1970 « fixant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée et déterminant la répartition des biens et des services selon ces taux »), introduit par l’ASBL « Union Professionnelle du Secteur Immobilier » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Joséphine Moerman, Michel Pâques, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Kattrin Jadin, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 6 février 2024 et parvenue au greffe le 7 février 2024, un recours en annulation partielle de l’article 58 de la loi-programme du 22 décembre 2023 (en ce qu’il concerne le paragraphe 3 de la rubrique XXXVII du tableau A de l’annexe à l’arrêté royal n° 20 du 20 juillet 1970 « fixant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée et déterminant la répartition des biens et des services selon ces taux »), publiée au Moniteur belge du 29 décembre 2023, a été introduit par l’ASBL « Union Professionnelle du Secteur Immobilier », la SA « AG Real Estate », la SA « Alides Real Estate Investment and Management », la SA « Atenor », la SA « Bouw Francis Bostoen », la SA « BPI Real Estate Belgium », la SA « Cores Development », la SA « Eaglestone », la SA « Compagnie Immobilière de Belgique », la SRL « Ion Holding », la SA « Matexi Projects », la SA « Thomas & Piron Holding » et la SA « Triple Living », assistées et représentées par Me Patrick Smet, avocat au barreau de Bruxelles.
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Ann Lauwens, conseillère au SPF Finances, a introduit un mémoire.
2
Par ordonnance du 25 septembre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures Joséphine Moerman et Emmanuelle Bribosia, a décidé :
- que l’affaire était en état,
- d’inviter toutes les parties à exposer, dans un mémoire complémentaire à introduire par lettre recommandée à la poste au plus tard le 18 octobre 2024, dont elles échangeront une copie dans le même délai, ainsi que par courriel, à l’adresse greffe@const-court.be, leur point de vue sur l’incidence de l’article 114 de la loi du 12 mai 2024 « portant des dispositions fiscales diverses » sur le recours en annulation dans l’affaire présentement examinée,
- qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et
- qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Des mémoires complémentaires ont été introduits par :
- les parties requérantes;
- le Conseil des ministres.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant au premier moyen
A.1.1. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation, par l’article 58 de la loi-
programme du 22 décembre 2023, des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 98
et l’annexe III de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 « relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée » ainsi qu’avec le principe de la neutralité fiscale. Selon les parties requérantes, l’article 58 de la loi-programme du 22 décembre 2023 viole le principe de la neutralité fiscale, parce que les biens et les prestations de services semblables qui sont en concurrence les uns avec les autres sont traités différemment du point de vue de la TVA. Elles estiment que les travaux immobiliers de démolition et de reconstruction de bâtiments d’habitation, d’une part, et la livraison de bâtiments d’habitation après démolition et reconstruction, d’autre part, sont des opérations semblables du point de vue du consommateur. Les parties requérantes renvoient à cet égard à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.
A.1.2. Le Conseil des ministres répond qu’il ressort de la jurisprudence constante de la Cour de justice que l’application sélective d’un taux réduit n’est pas exclue, à condition qu’elle n’entraîne aucun risque de distorsion de concurrence. La distinction doit être fondée sur un aspect concret et spécifique d’une opération, ce qui est le
ECLI:BE:GHCC:2024:ARR151
3
cas en l’espèce. La distinction est en effet fondée sur la summa divisio en matière de TVA, à savoir la différence entre la livraison de biens et la livraison de services.
Quant au second moyen
A.2.1. Les parties requérantes prennent un second moyen de la violation, par l’article 58 de la loi-programme du 22 décembre 2023, des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que cette disposition fait naître une différence de traitement entre, d’une part, les entrepreneurs qui exécutent des travaux immobiliers de démolition et de reconstruction de bâtiments d’habitation et, d’autre part, les promoteurs immobiliers qui assurent la livraison de logements sociaux après démolition et reconstruction. Selon les parties requérantes, cette différence de traitement n’est pas raisonnablement justifiée au regard des objectifs économiques, écologiques et sociaux poursuivis par le législateur. Les motifs budgétaires invoqués par le législateur ne sont pas étayés, en particulier vu l’absence de toute analyse d’impact. Ladite différence de traitement peut effectivement avoir une influence considérable sur la décision du consommateur moyen, surtout lorsque l’on tient compte des différents contextes juridiques.
A.2.2. Le Conseil des ministres répond que le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour fixer les taux d’imposition. Les choix sociaux qui sont effectués pour l’utilisation des ressources ainsi que les motifs qui les fondent ne peuvent être censurés par la Cour que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou s’ils sont manifestement déraisonnables. Selon le Conseil des ministres, les différentes catégories ne sont pas comparables.
Et même à supposer qu’elles le soient, la nécessité d’un régime permanent uniforme qui garantisse tant les objectifs sociaux, économiques et écologiques que les objectifs budgétaires justifie le choix du législateur. Le fait que, dans le cadre de ce choix, un ou plusieurs objectifs ne soient pas réalisés dans la même mesure peut être la conséquence d’un choix politique légitime qui, en tant que tel, relève de la marge de manœuvre politique normale du législateur.
A.3. Dans leur mémoire complémentaire relatif aux effets de l’article 114 de la loi du 12 mai 2024 « portant des dispositions fiscales diverses », les parties requérantes relèvent que leur recours a perdu son objet du fait de cet article. D’après le Conseil des ministres, il n’en est rien.
-B-
Quant à la disposition attaquée
B.1. Le recours en annulation concerne l’article 58 de la loi-programme du 22 décembre 2023, en ce qu’il porte sur le paragraphe 3 de la rubrique XXXVII du tableau A de l’annexe à l’arrêté royal n° 20 du 20 juillet 1970 « fixant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée et déterminant la répartition des biens et des services selon ces taux » (ci-après : l’arrêté royal n° 20 du 20 juillet 1970).
B.2. Il s’agit d’un régime transitoire dans le cadre de l’instauration d’un nouveau régime permanent. Ce nouveau régime remplace deux régimes antérieurement en vigueur. D’une part, un régime permanent qui prévoyait un taux de TVA réduit de 6 % pour la démolition et la reconstruction de logements dans 32 zones urbaines et qui était applicable depuis le 1er janvier 2007. Ce régime concernait la démolition et la reconstruction pour le maître d’ouvrage et ne s’appliquait pas à la livraison de bâtiments par des promoteurs immobiliers. L’application
ECLI:BE:GHCC:2024:ARR151
4
n’était pas non plus soumise à des conditions sociales. D’autre part, un régime temporaire qui s’est appliqué du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2023 et qui prévoyait un taux de TVA réduit de 6 % pour la démolition et la reconstruction de logements sur l’ensemble du territoire belge, à l’exception des 32 zones urbaines. Ce régime concernait la démolition et la reconstruction pour le maître d’ouvrage ainsi que la livraison de bâtiments par des promoteurs immobiliers, mais, contrairement à ce qui était le cas pour le régime permanent, des conditions spécifiques de nature sociale étaient d’application. Le nouveau régime permanent s’applique à l’ensemble du territoire belge et est soumis aux conditions de nature sociale du régime temporaire existant et au champ d’application matériel du régime permanent existant (à savoir uniquement pour la démolition et la reconstruction pour le maître d’ouvrage et pas pour la livraison d’un bien par un promoteur immobilier).
B.3. Il ressort des travaux préparatoires que, compte tenu des limites budgétaires, le législateur entendait tout de même mettre en place un régime permanent uniforme pour l’ensemble du territoire, à la suite de l’expiration du régime temporaire :
« Comme indiqué ci-avant, la présente disposition poursuit déjà quatre objectifs distincts :
un objectif économique (relancer le secteur de la construction), un objectif écologique (la rénovation comme clé de la transition énergétique vers une utilisation plus économe de l’énergie avec des sources d’énergie non-fossiles), un objectif social (stimulus fiscal visant les logements dans le cadre de la politique de logement social) et un objectif budgétaire (limitation de l’impact financier de la mesure en fonction des contraintes budgétaires actuelles).
En outre, en ce qui concerne l’objectif budgétaire, il convient de noter que cet aspect est d’autant plus important dans le cadre de la mesure en question qu’il s’agit d’un régime tarifaire favorable permanent. Ce n’est pas le cas du régime tarifaire favorable temporaire prévu à l’article 1erquater de l’arrêté royal n° 20, qui a été décidé en tant que mesure de relance temporaire pendant la crise Corona. L’impact budgétaire a donc pesé moins lourd dans la décision relative à cette mesure, étant donné qu’il avait été initialement supposé que la mesure ne pourrait être appliquée que pendant une courte période, à savoir les années 2021-2022
(finalement prolongée d’une année).
L’aspect multifocal de la mesure conduit nécessairement à un équilibre mutuel des différentes conditions et modalités afin d’élaborer une mesure qui soit aussi équilibrée que possible et qui donne une impulsion positive à l’appui des quatre objectifs proposés. Cette impulsion positive consiste à perpétuer les mesures tarifaires favorables existantes, qui expireraient le 31 décembre 2023 pour la majeure partie du territoire belge, avec une portée qui est dans une large mesure déterminée par la nécessité absolue d’utiliser les ressources budgétaires disponibles d’une manière responsable et donc aussi ciblée que possible.
ECLI:BE:GHCC:2024:ARR151
5
Le point essentiel est que la mesure de relance temporaire prend fin le 31 décembre 2023.
Sans la présente mesure :
- le régime tarifaire favorable pour la démolition et la reconstruction aurait de toute façon laissé automatiquement place, dès le 1er janvier 2024, à la mesure tarifaire favorable permanente en vigueur, dont le champ d’application matériel et territorial est limité. En effet, cette mesure ne prévoit un taux de TVA réduit pour les travaux de démolition et de reconstruction (à l’exclusion des livraisons après ces travaux) que dans les 32 zones urbaines;
- en tout état de cause, il n’y aurait plus eu de régime tarifaire favorable pour les projets de démolition et de reconstruction pour la majeure partie du territoire belge, ni de régime tarifaire favorable pour la livraison d’habitations après démolition et reconstruction.
[...]
La présente mesure permet donc en tout état de cause d’éviter l’absence totale d’un régime tarifaire favorable pour la démolition et la reconstruction à partir du 1er janvier 2024 pour la majeure partie du territoire belge » (Doc. parl., Chambre, 2023-2024, DOC 55-3697/001, pp. 45-46).
B.4. Le paragraphe 3 de la rubrique XXXVII du tableau A de l’annexe à l’arrêté royal n° 20 du 20 juillet 1970 prévoit un régime transitoire pour les livraisons de bâtiments d’habitation et le sol y attenant, après démolition et reconstruction. Pour ces livraisons, l’ancien régime temporaire reste d’application lorsque la demande du permis d’urbanisme concernant les opérations relatives à la reconstruction d’un bâtiment d’habitation a été introduite avant le 1er juillet 2023 et que la taxe due sur ces opérations est exigible au plus tard le 31 décembre 2024.
Tel qu’il a été remplacé par l’article 58 de la loi-programme du 22 décembre 2023, ce paragraphe dispose :
« Le taux réduit de six p.c. s’applique aux livraisons de bâtiments d’habitation et le sol y attenant, ainsi qu’aux constitutions, cessions ou rétrocessions de droits réels au sens de l’article 9, alinéa 2, 2°, du Code, portant sur un bâtiment d’habitation et le sol y attenant, qui ne sont pas exemptées de la taxe conformément à l’article 44, § 3, 1°, du Code, par l’assujetti qui a procédé à la démolition d’un bâtiment et la reconstruction conjointe d’un bâtiment d’habitation situé sur la même parcelle cadastrale que ce bâtiment, lorsque :
1° la demande du permis d’urbanisme concernant les opérations relatives à la reconstruction du bâtiment d’habitation a été introduite auprès de l’autorité compétente avant le 1er juillet 2023;
2° la taxe due sur ces opérations est exigible conformément à l’article 17, § 1er, du Code au plus tard le 31 décembre 2024.
ECLI:BE:GHCC:2024:ARR151
6
[...] ».
B.5. Par l’article 114 de la loi du 12 mai 2024 « portant des dispositions fiscales diverses », la rubrique XXXVII du tableau A de l’annexe à l’arrêté royal n° 20 du 20 juillet 1970 a été une nouvelle fois remplacée. Par un recours en annulation, inscrit sous le numéro 8243 du rôle de la Cour, les parties requérantes demandent l’annulation de cette disposition, en ce qu’elle insère les termes suivants dans le paragraphe 3 de la rubrique XXXVII :
« lorsque :
1° la demande du permis d’urbanisme concernant les opérations relatives à la reconstruction du bâtiment d’habitation a été introduite auprès de l’autorité compétente avant le 1er juillet 2023;
2° la taxe due sur ces opérations est exigible conformément à l’article 17, § 1er, du Code au plus tard le 31 décembre 2024 ».
B.6. Par leur recours, les parties requérantes dans l’affaire n° 8158 visent, par l’annulation des restrictions temporelles mentionnées dans la disposition attaquée, à rendre de facto permanent le régime tarifaire temporaire relatif à la livraison de biens immobiliers après démolition et reconstruction. La disposition attaquée ayant encore été remplacée, avant même l’expiration de la période de transition, par une disposition qui est identique en ce qui concerne les conditions temporelles, l’annulation de la disposition attaquée dans l’affaire n° 8158 ne pourrait plus procurer un avantage aux parties requérantes. Celles-ci n’ont dès lors plus d’intérêt à cette annulation, ce que confirme le contenu du mémoire complémentaire.
ECLI:BE:GHCC:2024:ARR151
7
Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 12 décembre 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Luc Lavrysen
ECLI:BE:GHCC:2024:ARR151


Synthèse
Numéro d'arrêt : 151/2024
Date de la décision : 12/12/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-12-12;151.2024 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award