Cour constitutionnelle
Arrêt n° 146/2024
du 28 novembre 2024
Numéro du rôle : 8165
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 85, § 1er, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posée par la Cour d’appel d’Anvers.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Danny Pieters et Kattrin Jadin, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt du 6 février 2024, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 15 février 2024, corrigé par arrêt du 20 février 2024, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 27 février 2024, la Cour d’appel d’Anvers a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 85, § 1er, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, dans l’interprétation selon laquelle les droits du Trésor sont en péril en cas de prescription imminente, que cette prescription imminente résulte d’une faute/négligence de l’administration fiscale ou de circonstances non imputables à l’administration fiscale ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- la SRL « Mey », assistée et représentée par Me Henri Vandebergh, avocat au barreau du Limbourg;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Bert Bongaerts, avocat au barreau d’Anvers.
La SRL « Mey » a également introduit un mémoire en réponse.
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Par ordonnance du 17 juillet 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Danny Pieters et Kattrin Jadin, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
À la suite de la demande d’une partie à être entendue, la Cour, par ordonnance du 25 septembre 2024, a fixé l’audience au 23 octobre 2024.
À l’audience publique du 23 octobre 2024 :
- ont comparu :
. Me Henri Vandebergh, pour la SRL « Mey »;
. Me Bert Bongaerts, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs Danny Pieters et Kattrin Jadin ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Dans le cadre d’un contrôle de TVA, l’administration fiscale établit à charge de la SRL « Mey » un procès-
verbal de régularisation pour la période s’étalant du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2017. Ce procès-verbal lui est notifié par lettre recommandée du 10 décembre 2020. Cette lettre mentionne qu’eu égard à la prescription imminente de la dette fiscale, les droits du Trésor sont en péril, de sorte que, conformément à l’article 85, § 1er, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : le Code de la TVA), l’administration fiscale n’est pas tenue de porter la justification de la dette fiscale à la connaissance du redevable au plus tard un mois avant sa reprise à un registre de perception et recouvrement. La dette fiscale est ensuite reprise à un registre de perception et recouvrement le 15 décembre 2020.
La SRL « Mey » introduit une réclamation à ce sujet auprès de l’administration fiscale. Cette réclamation ayant été rejetée, elle forme opposition auprès du Tribunal de première instance du Limbourg, division de Hasselt.
Par jugement du 13 octobre 2022, le premier juge rejette l’opposition pour cause de non-fondement. Selon lui, l’administration fiscale pouvait légitimement appliquer l’article 85, § 1er, alinéa 3, du Code de la TVA au cas de prescription imminente de la dette fiscale. La SRL « Mey » interjette appel de ce jugement. La juridiction a quo constate que le législateur visait expressément l’application de l’article 85, § 1er, alinéa 3, du Code de la TVA au cas d’une prescription imminente de la dette fiscale. Elle constate cependant que cette disposition ne fait pas de distinction selon que la prescription imminente est imputable ou non à une faute ou négligence de l’administration fiscale. La juridiction a quo pose dès lors la question préjudicielle reproduite plus haut.
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III. En droit
-A-
A.1. La SRL « Mey » ne conteste pas que les droits du Trésor soient mis en péril par une prescription imminente de la dette fiscale. Elle considère toutefois que l’administration fiscale ne peut pas se fonder sur cette prescription imminente dans l’instance soumise à la juridiction a quo, étant donné qu’elle est uniquement imputable à la propre faute de l’administration fiscale, qui a en effet omis de lui notifier le procès-verbal plus tôt.
Selon la SRL « Mey », la disposition en cause doit dès lors être interprétée en ce sens qu’elle ne peut être invoquée en cas de prescription imminente imputable au comportement de l’administration fiscale. La SRL « Mey » établit une comparaison avec les impôts sur les revenus. En vertu de l’article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992
(ci-après : le CIR 1992), le contribuable dispose d’un délai d’un mois pour répondre à un avis de rectification de la déclaration. L’article 355 du CIR 1992 permet cependant à l’administration fiscale, lorsqu’une imposition a été annulée parce qu’elle n’a pas été établie conformément à une règle légale autre qu’une règle relative à la prescription, d’établir une nouvelle cotisation, même si le délai prévu pour établir la cotisation est écoulé. Il découle cependant de la jurisprudence que cette dernière disposition ne peut être appliquée – et que l’administration doit donc respecter le délai de réponse pour le contribuable – si l’administration fiscale a commis une erreur de procédure dans le seul but de pouvoir invoquer cette disposition. Selon la SRL « Mey », le principe d’égalité et de non-discrimination serait violé s’il n’en était pas de même en matière de TVA. La circonstance que l’article 346 du CIR 1992 s’inscrit dans le cadre des droits de la défense du contribuable, alors que la disposition en cause porte sur un devoir d’information dans le chef de l’administration, n’aboutit pas à une autre conclusion.
A.2. Le Conseil des ministres relève que la TVA est un impôt indirect qui devient exigible à la suite du fait générateur. La reprise de la dette fiscale au registre de perception et recouvrement vise uniquement à créer un titre exécutoire. La disposition en cause s’inscrit dès lors uniquement dans le cadre de l’obligation de l’administration de notifier au redevable les considérations de droit et de fait qui fondent la dette fiscale. Eu égard à ce constat, il est raisonnablement justifié que, pour l’application de la disposition en cause, il ne soit pas pertinent de savoir qui est responsable de la prescription imminente qui met les droits du Trésor en péril. Le Conseil des ministres relève qu’après le contrôle fiscal, un relevé de régularisation est d’abord procuré au redevable, lui laissant un délai de réponse d’un mois. En l’absence d’une reconnaissance de dette régulière, un rappel sera également envoyé. Ce n’est que lorsqu’il apparaît qu’un accord amiable n’est pas possible qu’un procès-verbal sera établi. Toutes ces étapes nécessitent du temps. Selon le Conseil des ministres, la durée de traitement du dossier de contrôle dans l’instance soumise à la juridiction a quo est assez normale, voire courte, l’administration fiscale ayant misé au maximum sur la concertation. La disposition en cause n’est dès lors pas contraire aux articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
-B-
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1.1. L’article 85, § 1er, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : le Code de la TVA) dispose :
« La justification de la dette fiscale doit avoir été portée à la connaissance du redevable au plus tard un mois avant que la dette fiscale ne soit reprise à un registre de perception et
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recouvrement visé à l’alinéa 1er ou 2, sauf si les droits du Trésor sont en péril, auquel cas elle doit avoir été portée à la connaissance du redevable au plus tard au moment où la dette fiscale est reprise à un registre de perception et recouvrement. Lorsque le redevable n’a pas de domicile connu en Belgique ou à l’étranger, cette justification est adressée au procureur du Roi à Bruxelles ».
En vertu de l’article 85, § 1er, alinéa 1er, du Code de la TVA, en cas de non-paiement, la dette fiscale, composée de la taxe, des intérêts de retard, des amendes fiscales et des accessoires, est reprise à un registre de perception et recouvrement, qui constitue le titre exécutoire pour le recouvrement de la dette fiscale et qui concrétise celle-ci. L’article 85, § 1er, alinéa 2, du Code de la TVA permet à l’administration de modifier le registre de perception et recouvrement par une rectification, si les montants repris dans ce registre doivent être modifiés. Les registres de perception et recouvrement sont établis et déclarés exécutoires par l’administrateur général de l’administration en charge de la taxe sur la valeur ajoutée ou par le fonctionnaire délégué par lui (article 85, § 2, alinéa 1er, du Code de la TVA).
B.1.2. Le régime du registre de perception et recouvrement a été instauré par l’article 9 de la loi du 26 novembre 2018 « modifiant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne l’automatisation du titre exécutoire en matière de taxe sur la valeur ajoutée » (ci-
après : la loi du 26 novembre 2018). Les travaux préparatoires de cette loi mentionnent, en ce qui concerne l’objectif général de la réforme visée :
« Le projet de loi que le Gouvernement a l’honneur de soumettre à votre approbation vise à modifier et moderniser le titre exécutoire en matière de taxe sur la valeur ajoutée.
En matière de T.V.A., l’exigibilité de la taxe qui correspond au droit que le Trésor peut faire valoir aux termes de la loi pour le paiement, existe dès le fait générateur lequel intervient au moment où les opérations imposables sont opérées ou par le paiement du prix totalement ou partiellement dans le cas où ceci a lieu avant le moment où l’opération ne soit considérée comme imposable.
La liquidation de la dette est assurée par l’assujetti à travers son obligation d’inscrire le décompte des sommes dues et des sommes déductibles dans sa déclaration.
Il s’ensuit que le paiement volontaire par le redevable éteint valablement sa dette sans que l’administration ne doive au préalable établir un titre de créance.
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Ce n’est qu’en cas de défaut de paiement que l’administration s’octroie, en vertu de la législation fiscale, un titre exécutoire en vue de l’exécution forcée. Dans la législation en vigueur, ce titre exécutoire est la contrainte administrative.
En vertu de l’article 85, § 1er, alinéa 1er, du Code de la T.V.A. (ci-après Code), la contrainte est décernée par le fonctionnaire chargé du recouvrement. Elle est visée et rendue exécutoire par le conseiller général de l’administration en charge de la T.V.A. ou par un fonctionnaire désigné par lui.
L’établissement du titre exécutoire nécessite dans ce contexte l’intervention à la fois des fonctionnaires chargés de la taxation et de ceux chargés du recouvrement.
Corollaire d’une nouvelle organisation administrative, le présent projet de loi prévoit, pour les dettes fiscales impayées, la création du titre exécutoire – le registre de perception et recouvrement – au moyen d’un système automatisé.
Le registre de perception et recouvrement, acte authentique, traduit désormais en lieu et place de la contrainte, les privilèges administratifs du préalable et de l’exécution d’office. À
l’instar de la contrainte (voir Cass., 9 mars 2006, R.G. n° C.04 0284.N et Cass., 16 octobre 2008, R.G. n° C.06 0433.F), le registre de perception et recouvrement constitue donc le titre exécutoire pour le recouvrement de la dette fiscale et concrétise celle-ci. Toutefois, à la différence de la contrainte qui constitue un titre exécutoire individuel, le registre de perception et recouvrement est une liste générale établie périodiquement et de manière automatisée qui reprend l’identification des différents redevables ainsi que le montant de la taxe, des intérêts, des amendes fiscales et des accessoires restant dus par chacun d’eux. Il s’agit donc en principe d’un titre exécutoire général dans la mesure où il reprend les dettes fiscales de plusieurs redevables, même si rien n’empêche qu’un registre de perception et recouvrement ne contienne, dans des circonstances particulières, qu’une seule dette fiscale.
Constituant un titre exécutoire permettant les poursuites en recouvrement, la reprise de la dette fiscale à un registre de perception et recouvrement intervient, comme de par le passé, en cas de non-paiement de cette dette.
Chaque dette fiscale impayée qui fait à l’heure actuelle l’objet d’une contrainte administrative décernée par le receveur de la T.V.A., visée et rendue exécutoire par le conseiller général de l’administration en charge de la T.V.A. ou par un fonctionnaire désigné par lui, sera à l’avenir reprise à un registre de perception et recouvrement par les services de taxation.
Les registres de perception et recouvrement seront donc formés et rendus exécutoires par l’administrateur général de l’administration en charge de la taxe sur la valeur ajoutée ou par le fonctionnaire délégué par lui.
En soustrayant le receveur chargé de recouvrer une dette T.V.A. de l’obligation d’élaborer le titre exécutoire, ce qui est actuellement le cas notamment en matière d’impôts directs, ce projet de loi permet de franchir une étape dans l’harmonisation et l’automatisation accrue des
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processus de recouvrement des créances fiscales et d’optimaliser l’activité des services du SPF Finances, et plus particulièrement celle de l’Administration générale de la Perception et du Recouvrement [...].
[...]
La rationalisation des travaux de recouvrement ira de pair avec la limitation des coûts des actions de recouvrement, ce qui ne peut être que bénéfique tant aux citoyens et aux entreprises qu’à l’État » (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-3277/001, pp. 4-6).
B.1.3. En ce qui concerne l’obligation de porter la justification de la dette fiscale à la connaissance du redevable, les travaux préparatoires de la loi du 26 novembre 2018
mentionnent :
« L’article 85, § 1er, alinéas 3 et 4, nouveaux, insèrent dans le Code l’obligation de communiquer au redevable un mois avant la reprise de la dette fiscale à un registre de perception et recouvrement les éléments justificatifs de la dette fiscale. La communication de ces éléments justificatifs relève de la motivation formelle du registre de perception et recouvrement et consiste en la mise à connaissance des considérations de droit et de fait servant de fondement au registre de perception et recouvrement.
Pour rappel, sous le régime de la contrainte administrative, la jurisprudence admet de manière unanime que la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs est intégralement applicable aux contraintes décernées en matière de T.V.A. afin de permettre au redevable de prendre connaissance de la cause des sommes qui lui sont réclamées, et ce en vue d’introduire, le cas échéant, les voies de recours.
En réponse à une question parlementaire, le ministre des Finances a précisé : ‘ En matière de T.V.A., la règle générale est d’énoncer les motifs dans l’acte lui-même étant donné que la motivation fait en principe partie de la décision elle-même. C’est ainsi que la contrainte est toujours motivée en fait et en droit, répondant ainsi aux exigences de la loi du 29 juillet 1991
relative à la motivation formelle des actes administratifs. De plus, le procès-verbal fait unité avec la contrainte et est ajouté à celle-ci, de sorte que l’assujetti peut y vérifier les fondements de la créance. ’ (Question n° 1283 de M. de CLIPPELE du 11 mai 2001, Bull. Q. et R., Sénat, 2001-2002, n° 2-44, p. 2277).
Comme le registre de perception et recouvrement qui se substitue à la contrainte sera établi de manière automatisée et doté d’un contenu forcément réduit, il a été jugé utile d’insérer dans le Code l’obligation de communiquer, préalablement à la reprise de la dette fiscale à un registre de perception et recouvrement, les considérations de droit et de fait – autrement dit la justification – de la dette fiscale et de son montant. [...]
Il est satisfait à cette obligation dès lors que l’objet et le fondement de la dette fiscale établis par l’administration sont portés à la connaissance du redevable à un moment quelconque mais
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au plus tard un mois avant la reprise de la dette fiscale à un registre de perception et recouvrement.
Il est cependant fait exception à la règle de l’antériorité dans l’hypothèse où les droits du Trésor sont en péril, auquel cas la communication des causes justificatives de la dette peut intervenir au plus tard concurremment avec sa reprise à un registre de perception et recouvrement. Les droits du Trésor peuvent être en péril lorsqu’il y a prescription imminente de la dette fiscale ou lorsqu’il ressort des éléments de fait que le paiement de la dette fiscale est menacé par des causes imputables au redevable, telle[s] que l’ébranlement de crédit, la cessation de paiement ou un départ imminent à l’étranger. Il peut également en être ainsi en cas d’existence d’un plan de réorganisation ou d’une faillite, ou de divers éléments d’où il ressort que le redevable se rend insolvable. L’exception à la règle de l’antériorité, c’est-à-dire au respect du délai d’un mois entre l’envoi de la justification de la dette fiscale et la reprise de cette dette à un registre de perception et recouvrement, doit donc être appliquée de manière restrictive.
Comme de par le passé, ces considérations de droit et de fait (la justification de la dette fiscale) peuvent se retrouver soit dans le procès-verbal (application de l’article 59, § 1er, du Code), soit dans la décision de taxation d’office (application des articles 66 et 67 du Code), soit dans le compte spécial (application de l’article 8 de l’arrêté royal n° 24, du 29 décembre 1992, relatif au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, pris en exécution des articles 52, 53, 53ter, 53octies, 53nonies, 54, 58, 70 et 91 du Code), soit encore dans tout autre document, tel[le] une décision de régularisation, par laquelle les fonctionnaires de l’administration qui a la taxe sur la valeur ajoutée dans ses compétences, communiquent aux redevables l’existence d’une dette fiscale » (ibid., pp. 7-9).
B.1.4. En vertu de l’article 85, § 1er, alinéas 4 et 5, du Code de la TVA, tel qu’il a été introduit par l’article 14 de la loi du 2 mai 2019 « portant des dispositions diverses en matière de taxe sur la valeur ajoutée et modifiant la réduction d’impôt pour libéralités », l’administration n’est pas tenue de communiquer la justification de la dette de TVA lorsque la dette découle de la déclaration du redevable ou lorsque le redevable a reconnu la dette. Dans ces cas, la déclaration ou la reconnaissance de dette vaut notification de la justification de la dette de TVA.
B.1.5. La notification de la justification se fait par pli ordinaire (article 85, § 1er, alinéa 6, du Code de la TVA) ou, moyennant l’accord explicite du redevable, par voie électronique (article 85, § 1er, alinéa 7, du Code de la TVA).
Aussitôt que le registre de perception et recouvrement est rendu exécutoire, la reprise de la dette fiscale à ce registre est portée à la connaissance du redevable par l’envoi, sous pli fermé,
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d’un avis de perception et recouvrement, qui mentionne la date d’exécutoire du registre de perception et recouvrement (article 85, § 3, alinéa 1er, du Code de la TVA). Tout comme pour la justification de la dette de TVA, le redevable peut marquer son accord sur un envoi électronique de l’avis de perception et recouvrement (article 85, § 3, alinéa 2, du Code de la TVA).
B.1.6. Le délai de prescription pour l’action en recouvrement de la taxe, des intérêts de retard et des amendes fiscales est en principe de trois ans (article 81bis, § 1er, du Code de la TVA), sauf en cas d’indices de fraude fiscale. Si la dette de TVA est reprise à un registre de perception et recouvrement déclaré exécutoire, la prescription de l’action en recouvrement de la dette n’est acquise qu’après l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la date d’exécutoire du registre (article 23, § 2, du Code du recouvrement amiable et forcé des créances fiscales et non fiscales).
Quant au fond
B.2. La juridiction a quo demande à la Cour si l’article 85, § 1er, alinéa 3, du Code de la TVA est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, si cette disposition est interprétée en ce sens que les droits du Trésor sont en péril en cas de prescription imminente de la dette fiscale, que cette prescription imminente résulte d’une faute ou négligence de l’administration ou de circonstances non imputables à l’administration.
La Cour examine la disposition en cause dans l’interprétation qu’en donne la juridiction a quo, qui n’est pas manifestement erronée.
B.3.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination. L’article 172 de la Constitution constitue une application particulière de ce principe en matière fiscale.
B.3.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination s’oppose à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes
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se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.4. La disposition en cause impose à l’administration de porter à la connaissance du redevable, au plus tard un mois avant la reprise de la dette fiscale au registre de perception et recouvrement, la justification de la dette fiscale, sauf si les droits du Trésor sont en péril, par exemple en cas de prescription imminente de la dette fiscale, auquel cas elle doit être portée à la connaissance du redevable au plus tard au moment où la dette fiscale est reprise au registre de perception et recouvrement.
B.5. Il relève du pouvoir d’appréciation du législateur fiscal, lorsqu’il établit un régime fiscal, de définir les procédures et délais de recouvrement appropriés. Il dispose en la matière d’un large pouvoir d’appréciation. L’identité de traitement instaurée doit toutefois reposer sur une justification raisonnable et ne peut pas conduire à des restrictions disproportionnées des droits des personnes concernées.
B.6. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.1.2 et B.1.3 que la disposition en cause s’inscrit dans l’objectif de simplifier les procédures de recouvrement en matière de dettes de TVA, afin de contribuer à un recouvrement et à une perception plus efficaces de ces dettes. En exonérant l’administration de l’obligation de porter la justification de la dette fiscale à la connaissance du redevable au plus tard un mois avant la reprise de la dette fiscale au registre de perception et recouvrement, le législateur entend également assurer la perception effective des dettes de TVA. Il s’agit d’objectifs d’intérêt général qui sont légitimes.
B.7.1. Le bon fonctionnement du régime fiscal, et finalement des pouvoirs publics chargés d’accomplir des tâches d’intérêt général au moyen d’impôts, suppose que les impôts fixés par
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la loi soient correctement payés par les contribuables et effectivement perçus par l’autorité.
L’établissement d’une cotisation ou la perception d’un impôt, dans les cas où l’impôt est dû
conformément à la loi, constitue, dans le chef de l’administration, une obligation qui doit permettre de garantir l’égalité du citoyen devant la loi fiscale. De surcroît, le régime de la TVA
est fortement régi par les dispositions de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 « relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée », sur la base desquelles les États membres doivent prendre toutes les mesures légales et administratives afin de garantir que la TVA soit intégralement perçue sur leurs territoires respectifs (CJUE, 14 octobre 2021, C-360/20, Ministerul Lucrărilor Publice, Dezvoltării şi Administraţiei c. NE, ECLI:EU:C:2021:856, point 36; grande chambre, 2 mai 2018, C-574/15, Mauro Scialdone, ECLI:EU:C:2018:295, points 26 et 27; grande chambre, 20 mars 2018, C-524/15, Luca Menci, ECLI:EU:C:2018:197, points 18 et 19; grande chambre, 8 septembre 2015, C-105/14, Ivo Taricco e.a., ECLI:EU:C:2015:555, points 36-40).
B.7.2. Comme il est également relevé dans les travaux préparatoires cités en B.1.2, en matière de TVA, la dette fiscale naît, en vertu de la loi, de l’opération soumise à la TVA, sans la moindre intervention de l’administration fiscale. Si l’opération est effectuée, la taxe est due.
La disposition en cause et les éventuelles irrégularités commises par l’administration dans le cadre de l’application de celle-ci n’interviennent qu’en l’absence d’un paiement volontaire de la taxe par le redevable; elles n’influencent, en tant que telles, que le titre exécutoire en vue du recouvrement de la dette fiscale et non la débition de la taxe (Cass., 12 décembre 2019, ECLI:BE:CASS:2019:ARR.20191212.1N.4; 23 décembre 2016, ECLI:BE:CASS:2016:ARR.20161223.2; 9 octobre 2014, ECLI:BE:CASS:2014:ARR.20141009.12; 22 mai 2014, ECLI:BE:CASS:2014:ARR.20140522.9; 3 mars 2011, ECLI:BE:CASS:2011:ARR.20110303.1); elles influencent uniquement un délai de prescription pour le recouvrement de la dette fiscale, et non un délai d’imposition, qui tend à limiter dans le temps la compétence de l’autorité pour établir la dette fiscale.
B.7.3. Eu égard à ce qui précède, il est raisonnablement justifié que le législateur n’ait pas prévu expressément que l’exception à l’obligation de notification préalable de la justification de la dette fiscale au redevable ne peut pas s’appliquer lorsque la mise en péril des droits du
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Trésor par une prescription imminente de la dette fiscale résulte d’une faute ou d’une négligence de l’administration.
B.8. La Cour doit encore examiner si la disposition en cause ne limite pas de manière disproportionnée les droits du redevable.
B.9.1. La motivation expresse d’un acte administratif individuel permet à l’administré de comprendre les considérations de droit et de fait qui en sont le fondement. Elle constitue un droit de l’administré, auquel est ainsi offerte une garantie supplémentaire contre les actes administratifs à portée individuelle qui seraient arbitraires.
B.9.2. La disposition en cause ne prive pas le redevable de la possibilité de prendre connaissance de la justification de la dette fiscale, mais elle a uniquement pour conséquence que le redevable ne peut en prendre connaissance qu’au plus tard au moment de la reprise au registre de perception et recouvrement. Du fait que l’administration doit envoyer une sommation de payer au redevable avant de pouvoir procéder à l’exécution forcée (article 13, § 1er, du Code du recouvrement amiable et forcé des créances fiscales et non fiscales), le redevable a la possibilité d’examiner la justification de la dette fiscale et d’apprécier s’il y a lieu d’intenter les voies de recours dont il dispose. Ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires cités en B.1.3, cette justification ne doit en outre pas nécessairement être portée à la connaissance du redevable de la manière visée à l’article 85, § 1er, alinéa 3, du Code de la TVA, mais, comme c’était déjà le cas dans l’ancien système de la contrainte, cela peut également se faire plus tôt dans la procédure administrative de recouvrement, par exemple par la reprise dans une décision de régularisation ou dans un quelconque autre document par lequel l’existence d’une dette fiscale est communiquée, tel un procès-verbal (en vertu de l’article 59, § 1er, du Code de la TVA) ou dans le cadre d’un contact avec l’administration de la TVA, ce à quoi le redevable peut en principe répondre (Q. R., Chambre, 2021-2022, 25 mai 2022, QRVA 55-086, pp. 151-154). Il ressort également de ces travaux préparatoires que le non-respect du délai d’un mois entre la notification et le titre exécutoire constitue l’exception et que celle-ci doit donc être appliquée de manière restrictive.
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B.9.3. Le redevable dispose ensuite de la possibilité d’introduire un recours administratif non suspensif auprès du ministre des Finances (article 84, alinéa 1er, du Code de la TVA). Il reste également possible de saisir le service de conciliation fiscale après la reprise de la dette de TVA au registre de perception et recouvrement (article 84quater du Code de la TVA et article 116 de la loi du 25 avril 2007 « portant des dispositions diverses (IV) »). Une demande de conciliation fiscale recevable suspend au demeurant tous les moyens d’exécution (article 116, § 1er/2, de la même loi du 25 avril 2007).
B.9.4. Par ailleurs, le contribuable dispose de voies de recours contre la reprise de la dette de TVA au registre de perception et recouvrement. En signifiant son opposition (article 19, § 2, du Code du recouvrement amiable et forcé des créances fiscales et non fiscales), le contribuable peut faire valoir, devant un juge de pleine juridiction, tous les griefs, notamment en ce qui concerne la base d’imposition, les irrégularités intervenues au cours de la phase d’investigation et le recouvrement lui-même. La procédure d’opposition interrompt également l’exécution du registre de perception et recouvrement.
De plus, l’administration fiscale doit, dans le cadre du recouvrement d’une dette fiscale, respecter les principes généraux de bonne administration comme le devoir de minutie.
B.9.5. Il résulte de ce qui précède que la disposition en cause ne limite pas les droits du redevable de manière disproportionnée.
B.10. L’article 85, § 1er, alinéa 3, du Code de la TVA est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 85, § 1er, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 28 novembre 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Luc Lavrysen