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28/11/2024 | BELGIQUE | N°143/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 28 novembre 2024, 143/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 143/2024
du 28 novembre 2024
Numéro du rôle : 8105
En cause : la question préjudicielle relative aux articles 6 et 7 de la loi du 2 décembre 2018
« modifiant l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, afin de réformer le fonctionnement de la Commission des dispenses de cotisations », posée par le Tribunal du travail du Brabant wallon, division de Wavre.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Jos

éphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, ...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 143/2024
du 28 novembre 2024
Numéro du rôle : 8105
En cause : la question préjudicielle relative aux articles 6 et 7 de la loi du 2 décembre 2018
« modifiant l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, afin de réformer le fonctionnement de la Commission des dispenses de cotisations », posée par le Tribunal du travail du Brabant wallon, division de Wavre.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 13 novembre 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 16 novembre 2023, le Tribunal du travail du Brabant wallon, division de Wavre, a posé la question préjudicielle suivante :
« Les articles 6 et 7 de la loi du 2 décembre 2018 modifiant l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, afin de réformer le fonctionnement de la Commission des dispenses de cotisations, violent-t-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les principes de la non-rétroactivité des lois et de la sécurité juridique en ce qu’ils prévoient un régime transitoire pour les demandes de dispenses de cotisations introduites avant l’entrée en vigueur de la loi fixée au 1er janvier 2019, distinguant d’une part les demandes introduites avant le 1er octobre 2018 et d’autre part celles introduites entre le 1er octobre 2018 et le 31 décembre 2018 et appliquant de manière rétroactive aux demandes introduites entre 1er octobre 2018 et le 31 décembre 2018, en les considérants comme introduites après le 31 décembre 2018, le nouveau critère établi par l’article 17 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, tel que modifié par la loi du 2 décembre 2018, alors que les demandes introduites avant le 1er octobre 2018 pour lesquelles il n’a pas été statué de manière définitive au
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31 décembre 2018 pourront, après le 1er janvier 2019, être traitées conformément aux dispositions des articles 15 et 17 du même arrêté royal dans la version en vigueur au 31 décembre 2018 ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (INASTI), assisté et représenté par Me François Tulkens et Me Antoine Mésot, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me François Tulkens et Me Antoine Mésot.
Par ordonnance du 25 septembre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Kattrin Jadin et Danny Pieters, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
La partie demanderesse devant la juridiction a quo est affiliée en qualité de travailleur indépendant à titre principal depuis le 15 janvier 2013. Entre le 1er avril 2013 et le 31 décembre 2016, la Commission des dispenses de cotisations lui accorde des dispenses de cotisations pour douze trimestres. Le 14 décembre 2018, la partie demanderesse devant la juridiction a quo remplit un formulaire de demande de dispense pour les cotisations provisoires du quatrième trimestre 2017 au quatrième trimestre 2018 et pour les cotisations de régularisation du premier trimestre 2017 au quatrième trimestre 2018. Le 21 décembre 2018, la caisse d’assurances sociales à laquelle elle est affiliée accuse réception de cette demande.
Le 27 décembre 2018 est publiée au Moniteur belge la loi du 2 décembre 2018 « modifiant l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, afin de réformer le fonctionnement de la Commission des dispenses de cotisations » (ci-après : la loi du 2 décembre 2018). Cette loi remplace l’instance compétente pour se prononcer sur une demande de dispense de cotisations : il ne s’agit plus de la Commission des dispenses de cotisations, mais de l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (ci-après : l’INASTI) et, sur recours, de la Commission de recours en matière de dispense de cotisations (ci-après : la Commission de recours). La loi du 2 décembre 2018 modifie aussi le critère au regard duquel une demande de dispense de cotisations est appréciée : alors que l’ancien critère était de se trouver « dans le besoin ou dans une situation voisine de l’état de besoin » (article 17 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967
« organisant le statut social des travailleurs indépendants », ci-après : l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, tel qu’il était applicable avant son remplacement par la loi du 2 décembre 2018), le nouveau critère est de se trouver « temporairement dans une situation financière ou économique difficile » (article 17 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, tel qu’il a été remplacé par la loi du 2 décembre 2018). Le 14 juin 2019, l’INASTI, faisant application de la nouvelle législation, refuse d’accorder la dispense de cotisations sollicitée par la partie demanderesse devant la juridiction a quo. Cette dernière introduit un recours contre cette décision auprès de la
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Commission de recours. Le 25 juin 2020, la Commission de recours confirme la décision de refus. La partie demanderesse devant la juridiction a quo conteste cette décision auprès de la juridiction a quo.
La juridiction a quo considère que, lorsque la partie demanderesse devant la juridiction a quo a introduit sa demande de dispense, elle ne disposait certes d’aucun droit à obtenir effectivement la dispense, mais elle pouvait irrévocablement prétendre à ce que sa situation soit examinée au regard du critère prévu à l’article 17 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, tel qu’il était en vigueur à ce moment-là. Or, si l’article 7 de la loi du 2 décembre 2018 prévoit que cette loi entre en vigueur le 1er janvier 2019 et qu’elle s’applique aux demandes de dispense de cotisations introduites à partir de cette date, il prévoit également que l’article 6 de la même loi produit ses effets au 1er octobre 2018. L’article 6, alinéa 1er, de la loi du 2 décembre 2018 prévoit qu’« aucune demande de dispense ne pourra être introduite entre le 1er octobre 2018 et le 31 décembre 2018 » et que « le délai d’introduction de la demande sera prolongé de cette période ». Selon la juridiction a quo, il en résulte que les demandes qui ont été introduites au cours de la période visée dans cette disposition doivent rétroactivement être considérées comme ayant été introduites après le 31 décembre 2018 et se voir appliquer le nouveau critère prévu à l’article 17 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, tel qu’il a été remplacé par la loi du 2 décembre 2018. Toujours selon la juridiction a quo, les articles 6 et 7 de la loi du 2 décembre 2018 sont rétroactifs en ce qu’ils prévoient que ce nouveau critère s’applique à des demandes qui ont été introduites avant l’entrée en vigueur de ladite loi. La juridiction a quo ajoute que ces mêmes articles sont de nature à porter atteinte au principe de la sécurité juridique, dès lors que la partie demanderesse devant la juridiction a quo ne pouvait pas prévoir la portée des modifications à venir, qu’elle pouvait raisonnablement s’attendre à ce que l’ancien critère reste applicable et que, dans sa situation, le nouveau critère est plus strict que l’ancien. Enfin, la juridiction a quo constate qu’en vertu de l’article 6, alinéa 2, de la loi du 2 décembre 2018, les demandes de dispense de cotisations qui ont été introduites avant le 1er octobre 2018 et pour lesquelles la Commission des dispenses de cotisations n’a pas encore statué définitivement au 31 décembre 2018 sont traitées, à partir du 1er janvier 2019, par la Commission de recours, qui doit dans ce cas appliquer l’ancien critère. La juridiction a quo relève que les demandes qui ont été introduites avant l’entrée en vigueur de la loi du 2 décembre 2018 font ainsi l’objet de traitements différents selon que la demande a été introduite avant le 1er octobre 2018 (application de l’ancien critère) ou après cette date (application du nouveau critère). La juridiction a quo pose dès lors la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1. Le Conseil des ministres soutient que la loi du 2 décembre 2018 n’est rétroactive qu’en ce qu’elle fixe une période de gel de l’introduction des demandes de dispense de cotisations entre le 1er octobre 2018 et le 31 décembre 2018. Selon lui, cette mesure a pour effet que les demandes introduites durant cette période n’existent qu’à partir du 1er janvier 2019, et ce, tant en droit qu’en fait (la réception de ces demandes dans le nouveau système informatique de l’INASTI n’ayant pu avoir lieu qu’à partir de cette date). Il estime que l’application du nouveau critère à la demande introduite par la partie demanderesse devant la juridiction a quo n’est donc, quant à elle, pas rétroactive, mais qu’elle procède de l’application immédiate de la loi nouvelle aux situations nées après son entrée en vigueur.
Selon le Conseil des ministres, l’examen de la constitutionnalité d’une loi au regard des principes de la sécurité juridique et de la non-rétroactivité des lois se fait en deux étapes, qui consistent d’abord à vérifier si la rétroactivité porte effectivement atteinte à la sécurité juridique et ensuite à examiner si la rétroactivité est justifiée par un objectif d’intérêt général. En ce qui concerne la première étape, il fait valoir que la période de suspension rétroactive prévue à l’article 6 de la loi du 2 décembre 2018 ne fait que confirmer ce qui figurait dans des circulaires du SPF Sécurité sociale du 5 septembre 2018 et du 18 octobre 2018, lesquelles avaient anticipé la mise en œuvre de la réforme. Il soutient que les dispositions en cause n’ont donc pas pu produire le moindre effet de surprise, ce qui, selon la jurisprudence de la Cour, est un facteur essentiel à prendre en considération. À cet égard, il ajoute que, conformément aux circulaires précitées, qui imposaient aux caisses d’assurances sociales d’avertir les
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travailleurs indépendants de l’application du régime transitoire, la partie demanderesse devant la juridiction a quo a reçu et complété le nouveau formulaire de demande, basé sur la nouvelle législation. Par conséquent, lorsqu’elle a introduit sa demande, elle ne pouvait avoir aucun doute quant au fait que sa demande serait considérée comme ayant été introduite après le 1er janvier 2019 et qu’elle serait dès lors traitée sur la base de la nouvelle législation.
Ensuite, le Conseil des ministres, se référant à un arrêt rendu le 20 juin 2022 par la Cour du travail d’Anvers dans une affaire similaire, fait valoir que, lorsqu’elle a introduit sa demande, la partie demanderesse devant la juridiction a quo ne disposait d’aucun droit acquis à obtenir la dispense de cotisations. Se référant au même arrêt et aux travaux préparatoires de la loi du 2 décembre 2018, il soutient en outre que la nouvelle législation n’est pas moins favorable aux travailleurs indépendants, dès lors qu’elle remplace le critère flou de l’état de besoin par le critère, plus précis, de se trouver temporairement dans une situation financière ou économique difficile, ce qui renforce la sécurité juridique et met fin au procédé abusif qui consistait à demander systématiquement des dispenses de cotisations sans démontrer un projet d’activité économique viable à long terme. Le Conseil des ministres en conclut qu’en l’espèce, la rétroactivité ne porte nullement atteinte au principe de la sécurité juridique.
Ensuite, à supposer que la mise en œuvre anticipée du régime transitoire par le SPF Sécurité sociale ne satisfasse pas aux exigences de la sécurité juridique, le Conseil des ministres fait valoir que la rétroactivité est en tout état de cause indispensable pour la continuité du service public. Il expose que le défi principal consistait à permettre à la Commission des dispenses de cotisations de continuer à traiter - et d’apurer - les demandes de dispense qui avaient déjà été introduites sous l’empire du système précédent, tout en organisant le transfert de compétence vers l’INASTI, afin que le nouveau système puisse bénéficier aux travailleurs indépendants dès le 1er janvier 2019. D’une part, il fallait opérer le transfert du personnel concerné vers l’INASTI et mettre en place le nouveau système informatique, ce qui ne pouvait pas se faire du jour au lendemain. D’autre part, il fallait, dans le même temps, garantir la continuité du service public en maintenant les structures capables de traiter les demandes introduites avant le 1er octobre 2018. Selon le Conseil des ministres, la combinaison de ces deux impératifs ne permettait pas l’introduction de demandes de dispense de cotisations durant le dernier trimestre de l’année 2018, de sorte que la seule solution pour le législateur était de geler rétroactivement les demandes durant cette période. Toujours selon lui, si la période de gel avait été prévue pour l’avenir, c’est-à-dire pour le premier trimestre de l’année 2019, le traitement des demandes des travailleurs indépendants souhaitant bénéficier du nouveau système aurait été retardé de manière inacceptable.
Enfin, en ce qui concerne la différence de traitement selon que la demande a été introduite avant le 1er octobre 2018 ou entre le 1er octobre 2018 et le 31 décembre 2018, le Conseil des ministres soutient que l’application du nouveau critère aux demandes introduites entre le 1er octobre 2018 et le 31 décembre 2018 résulte de ce que ces demandes n’ont pu produire leurs effets juridiques qu’à partir du 1er janvier 2019, c’est-à-dire à un moment où le nouveau critère était déjà en vigueur. Se référant à la jurisprudence de la Cour, il soutient qu’il n’est pas pertinent de comparer, au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, les travailleurs indépendants dont les demandes de dispense ont produit leurs effets avant l’entrée en vigueur de la réforme avec les travailleurs indépendants dont les demandes existent depuis l’entrée en vigueur de la réforme. Selon lui, ces deux catégories ne sont pas comparables.
Enfin, il fait valoir que seule la solution retenue par le législateur permettait le respect de l’égalité de traitement tout en garantissant la continuité du service public.
A.2. L’INASTI se réfère à l’argumentation du Conseil des ministres.
-B-
Quant aux dispositions en cause et à leur contexte
B.1.1. La question préjudicielle porte sur les articles 6 et 7 de la loi du 2 décembre 2018
« modifiant l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, afin de réformer le fonctionnement de la Commission des dispenses de
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cotisations » (ci-après : la loi du 2 décembre 2018). La loi du 2 décembre 2018 modifie les dispositions relatives aux demandes de dispense de cotisations que peuvent introduire les travailleurs indépendants.
B.1.2. Tel qu’il était applicable avant son remplacement par l’article 3 de la loi du 2 décembre 2018, l’article 17 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 « organisant le statut social des travailleurs indépendants » (ci-après : l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967)
prévoyait qu’une demande de dispense de cotisations pouvait être introduite par le travailleur indépendant qui estimait se trouver dans le besoin ou dans une situation voisine de l’état de besoin. La Commission des dispenses de cotisations, instituée auprès du SPF Sécurité sociale, était compétente pour statuer sur la demande et sa décision était susceptible de recours devant le tribunal du travail (article 22 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, tel qu’il était applicable avant son abrogation par l’article 5 de la loi du 2 décembre 2018).
L’article 17 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, tel qu’il était applicable avant son remplacement par l’article 3 de la loi du 2 décembre 2018, disposait :
« Les travailleurs indépendants, qui estiment se trouver dans le besoin ou dans une situation voisine de l’état de besoin, peuvent demander dispense des cotisations provisoires dues en vertu du présent arrêté royal, pour autant que ces cotisations ne soient pas dues en vertu de l’article 12bis, § 1er, ou en tant qu’assujetti visé par l’article 12, § 2, en s’adressant à la Commission visée à l’article 22.
Les travailleurs indépendants qui demandent une dispense des cotisations visées au présent article, doivent prouver leur état de besoin ou leur situation voisine de l’état de besoin. Pour apprécier leur état de besoin, la Commission tient notamment compte des ressources et charges des personnes qui font partie de leur ménage, à l’exception des personnes pour lesquelles la preuve est apportée qu’elles sont étrangères à l’activité indépendante des travailleurs indépendants concernés et qu’elles sont en outre dénuées d’obligation légale de secours et d’aliments à l’égard de ces travailleurs indépendants.
[...]
En vue de l’octroi des prestations dans le cadre du statut social des travailleurs indépendants, à l’exception des prestations de retraite et de survie et sous réserve de l’application de l’alinéa 8, les cotisations pour lesquelles la Commission a accordé dispense, sont censées avoir été payées, même lorsque la dispense est censée ne jamais avoir été accordée au sens de l’alinéa 3.
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Pour l’application de l’article 28, § 2, de l’arrêté royal du 22 décembre 1967 portant règlement général relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants, les cotisations pour lesquelles une dispense a été obtenue, sont censées avoir été payées.
[...] ».
B.1.3. Tel qu’il a été remplacé par l’article 3 de la loi du 2 décembre 2018, l’article 17 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 prévoit désormais qu’une demande de dispense de cotisations peut être introduite par le travailleur indépendant qui estime se trouver temporairement dans une situation financière ou économique difficile en raison de laquelle il n’est pas en mesure de payer ses cotisations. L’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (INASTI) est dorénavant compétent pour statuer sur la demande. Sa décision peut faire l’objet d’un recours devant la Commission de recours en matière de dispense de cotisations, nouvellement instituée (ci-après : la Commission de recours). La décision de la Commission de recours est susceptible de recours devant le tribunal du travail (article 21ter de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, tel qu’il a été inséré par l’article 4 de la loi du 2 décembre 2018).
L’article 17 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, tel qu’il a été remplacé par l’article 3
de la loi du 2 décembre 2018, dispose :
« § 1er. Les travailleurs indépendants, qui estiment se trouver temporairement dans une situation financière ou économique difficile en raison de laquelle ils ne sont pas en mesure de payer leurs cotisations, peuvent demander dispense des cotisations visées au paragraphe 2 en s’adressant à l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants, ci-après dénommé ‘ Institut national ’.
Les travailleurs indépendants qui demandent une dispense des cotisations visées dans le présent article doivent prouver qu’ils se trouvent temporairement dans une situation financière ou économique difficile qui ne leur permet pas de payer leurs cotisations lors de la réclamation desdites cotisations par la caisse d’assurances sociales.
L’Institut national apprécie la situation du travailleur indépendant en se basant sur les éléments invoqués lors de l’introduction de sa demande.
§ 2. La demande de dispense ne peut être introduite que pour les cotisations provisoires visées aux articles 11, § 3, et 13bis, § 2, et pour le supplément de cotisations résultant d’une régularisation visée à l’article 11, § 5, alinéa 1er, dus par le travailleur indépendant qui appartient à la catégorie de cotisants visée aux articles 12, § 1er, 12, § 1erbis, 12, § 1erter, 12bis, § 2 et 13, § 1er.
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§ 3. Pour apprécier si le travailleur indépendant se trouve temporairement dans une situation financière ou économique difficile, l’Institut national tient notamment compte des revenus professionnels et des charges professionnelles du travailleur indépendant ou du chiffre d’affaires et des coûts qui s’y rapportent de l’entreprise ou de la société au sein de laquelle il exerce son activité, ainsi que des circonstances exceptionnelles justifiant la demande. Le Roi peut définir des conditions et des critères supplémentaires permettant d’apprécier si le travailleur indépendant se trouve temporairement dans une situation financière et économique difficile qui l’empêche de payer ses cotisations.
§ 4. Le travailleur indépendant qui démontre qu’il se trouve dans l’une des situations ci-
dessous, est présumé se trouver dans une situation financière ou économique difficile, comme indiqué dans le premier paragraphe :
1° s’il bénéficie d’un revenu d’intégration en application de la loi du 26 mai 2002
concernant le droit à l’intégration sociale durant les trimestres qui font l’objet de la demande ou, dans les 6 mois suivant la cessation de l’activité indépendante;
2° s’il bénéficie d’une garantie de revenus aux personnes âgées en application de la loi du 22 mars 2001 instituant la garantie de revenus aux personnes âgées durant les trimestres qui font l’objet de la demande ou dans les 6 mois suivant la cessation de l’activité indépendante;
3° s’il a en tant que failli obtenu l’effacement des dettes au sens du chapitre 6, titre VI, livre XX du Code de droit économique;
4° si, dans le cadre d’un règlement collectif de dettes, il a obtenu du juge l’homologation d’un plan de règlement amiable, un plan de règlement judiciaire lui a été imposé ou il a obtenu une adaptation ou une révision du règlement, au sens de la loi du 5 juillet 1998 relative au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis;
5° s’il a obtenu le sursis dans le cadre d’une procédure de réorganisation judiciaire au sens du titre V, livre XX du code de droit économique;
6° s’il est victime d’une calamité naturelle, d’incendie, d’une destruction ou d’une allergie au sens de l’article 2 de l’arrêté royal du 8 janvier 2017 portant exécution de la loi du 22 décembre 2016 instaurant un droit passerelle en faveur des travailleurs indépendants.
§ 5. L’Institut national peut décider de ne pas prendre les demandes en considération, dans le cas où :
1° le travailleur indépendant n’a pas introduit au préalable une demande de réduction des cotisations provisoires faisant l’objet de la demande alors qu’il entre dans les conditions pour le faire, en application de l’article 11, § 3, alinéa 6;
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2° l’Institut national a, dans les deux années précédant la demande de dispense, infligé à l’indépendant une amende administrative sans sursis de paiement et sans application de circonstances atténuantes en application de l’article 17bis;
3° le travailleur indépendant qui dans les deux années précédant la demande de dispense, s’est vu infliger une sanction en application du Code pénal social suite à des infractions aux dispositions du chapitre VIII du titre IV de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 et des infractions énumérées aux articles 25 et 25bis;
4° le travailleur indépendant qui dans les 5 années précédant la demande a obtenu une décision de dispense totale ou partielle :
a) par le biais de déclarations qui par la suite se sont avérées fausses ou incomplètes;
b) par le fait d’avoir omis de fournir des informations obligatoires et déterminantes dans la prise de la décision précédente.
§ 6. Le Roi fixe le délai et les modalités d’introduction de la demande de dispense des cotisations.
Les demandes sont traitées par l’Institut national suivant une procédure déterminée par le Roi.
§ 7. Lorsque la dispense est accordée pour la cotisation provisoire relative à un trimestre civil déterminé, cette dispense vaut pour le montant de la cotisation trimestrielle définitive, telle que fixée suite à la régularisation qui s’y rapporte.
§ 8. En vue de l’octroi des prestations dans le cadre du statut social des travailleurs indépendants, à l’exception des prestations de retraite et de survie et sous réserve de l’application de l’alinéa suivant, les cotisations pour lesquelles l’Institut national ou la Commission de recours a accordé dispense, sont réputées avoir été payées.
Pour l’application de l’article 28, § 2, de l’arrêté royal du 22 décembre 1967 portant règlement général relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants, les cotisations pour lesquelles une dispense a été obtenue, sont réputées avoir été payées.
[...]
§ 11. Le travailleur indépendant ou la personne visée à l’article 17, paragraphe 9, de l’arrêté royal n° 38 peut s’opposer à une décision de l’Institut national concernant la dispense des cotisations en introduisant un recours sur le fond auprès de la Commission de recours visée à l’article 21ter dans le délai et selon la procédure et les modalités définis par le Roi.
Le recours suspend le recouvrement des cotisations qui en font l’objet ».
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B.1.4. En ce qui concerne le remplacement du critère de l’état de besoin ou de la situation voisine de l’état de besoin par celui de se trouver temporairement dans une situation financière ou économique difficile, l’exposé des motifs du projet qui est à l’origine de la loi du 2 décembre 2018 indique :
« Le critère vague de ‘ besoin ’ ou ‘ situation voisine de l’état de besoin ’ est remplacé par le critère unique ‘ se trouver dans une situation financière ou économique difficile ’.
[...]
Le nouveau critère présente plusieurs avantages :
- il souligne que le fait de se trouver dans une situation financière ou économique difficile doit avoir une cause ou une explication. L’incapacité de payer les cotisations doit revêtir un caractère temporaire. L’indépendant qui commence une activité doit se préparer correctement à sa fonction d’entrepreneur et doit être conscient de tous les devoirs qui s’y rapportent, notamment l’obligation de payer des cotisations sociales. L’objectif n’est pas, pour les indépendants, d’introduire chaque année une dispense des cotisations parce que leur activité n’est pas (plus) économiquement rentable;
- l’importance des revenus professionnels ou du chiffre d’affaires n’est pas le seul facteur déterminant;
- il implique avant tout de venir en aide aux travailleurs indépendants confrontés à des difficultés imprévues qui font suite à des dépenses ou des investissements professionnels, à des clients qui ne paient pas leur dû…;
- il contribue à l’amélioration du climat économique en donnant au travailleur indépendant qui doit ponctuellement faire face à de grosses difficultés, la possibilité d’introduire une demande de dispense, quelle que soit l’importance de ses revenus professionnels.
Prenons l’exemple d’un agriculteur qui est confronté à une forte diminution de ses revenus professionnels ou de son chiffre d’affaires en raison d’un embargo mais qui ne se trouve pas pour autant dans le besoin. Le nouveau critère lui permet d’entrer en ligne de compte pour introduire une demande alors qu’auparavant, cela lui était impossible sur la base du critère de ‘ besoin ’. Il en va de même pour un avocat dont les revenus professionnels sont élevés mais qui doit réduire son activité et voit pendant plusieurs trimestres ses revenus fortement se réduire en raison de problèmes de santé, de telle sorte qu’il éprouve des difficultés à payer ses cotisations;
- le critère est plus proche de la réalité économique et stimule l’entrepreneuriat indépendant;
- il tient davantage compte de la situation professionnelle du demandeur;
- il est moins flou que la notion de ‘ besoin ’;
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- A l’inverse, pour les travailleurs indépendants qui ne s’efforcent pas de faire fructifier leur activité indépendante ou qui décident, sans avoir de plan d’activités réaliste ou de plan de faisabilité ou sans aucune explication, de lancer ou de continuer d’exercer une activité indépendante non rentable, le critère vise à les décourager d’introduire une demande;
- le critère n’empêche toutefois pas les travailleurs indépendants dans le besoin de s’adresser à d’autres instances telles que le CPAS. Le présent projet tient également compte de ce groupe en prévoyant une présomption selon laquelle ils satisfont au critère;
- le critère tient compte de la présence des matelas financiers comme la possession en pleine propriété d’immeuble(s) autres que la résidence principale ou les immeubles nécessaires à l’activité indépendante, même lorsqu’ils sont grevés d’hypothèque.
La constitution d’un patrimoine immobilier ne peut se faire au détriment du paiement des cotisations sociales.
[...]
Les notions de situations financière ou économique sont très proches, et une situation économique difficile mènera souvent à des problèmes financiers. La situation économique difficile vise en particulier les problèmes propres à tout un secteur, comme par exemple, l’horeca bruxellois, suite aux attentats, ou certains secteurs agricoles ou horticoles, qui peuvent être déclarés en crise par le ministre, suite à des graves intempéries » (Doc. parl., Chambre, 2018-2019, DOC 54-3317/001, pp. 7-10).
Lors des discussions en commission, le ministre compétent a ajouté :
« Le délai moyen de traitement des demandes de dispense est très long. Il tourne actuellement autour de 6 mois, ce qui est particulièrement long quand on est confronté à des difficultés économiques ou financières.
Cette longueur s’explique, d’une part, par la procédure actuelle. Mais aussi, d’autre part, par le caractère trop peu précis des notions d’‘ état de besoin ’ et de ‘ situation voisine de l’état de besoin ’. Ce manque de clarté met aussi l’indépendant dans l’impossibilité d’évaluer à l’avance les chances de voir sa démarche aboutir ou non » (Doc. parl., Chambre, 2018-2019, DOC 54-3317/002, p. 3).
B.1.5. La loi du 2 décembre 2018 a été publiée au Moniteur belge du 27 décembre 2018.
Son article 7 dispose :
« La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2019 et est d’application aux demandes de dispense de cotisations introduites à partir de cette date, à l’exception du chapitre 3 qui produit ses effets au 1er octobre 2018 ».
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Le chapitre 3 de la loi du 2 décembre 2018 contient uniquement l’article 6. Cette disposition, qui produit ainsi ses effets au 1er octobre 2018, dispose :
« Par dérogation à l’article 17 [de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967], aucune demande de dispense ne pourra être introduite entre le 1er octobre 2018 et le 31 décembre 2018. Le délai d’introduction de la demande sera prolongé de cette période.
Les demandes de dispense de cotisations introduites avant le 1er octobre 2018, pour lesquelles la Commission de dispense de cotisations instituée auprès du Service public fédéral Sécurité sociale n’a pas encore statué d’une manière définitive au 31 décembre 2018, seront, à partir du 1er janvier 2019, traitées par la Commission de recours, instituée auprès de l’Institut national par l’article 21ter du même arrêté royal, conformément aux dispositions des articles 15
et 17 du même arrêté royal dans la version en vigueur au 31 décembre 2018 ».
À propos de cette disposition, l’exposé des motifs du projet qui est à l’origine de la loi du 2 décembre 2018 indique :
« Le transfert de la nouvelle compétence vers l’Institut national, l’instauration d’une nouvelle procédure et une Commission de recours sur le fond auprès de l’Institut national nécessitent des dispositions transitoires.
Le délai d’introduction d’une demande de dispense de cotisations sera suspendu durant une période de 3 mois à partir du 1er octobre 2018 jusqu’au 31 décembre 2018 inclus.
Cette suspension permet [à] la Commission des dispenses de cotisations dans sa composition actuelle de statuer sur les demandes introduites avant le 1er octobre 2018 au plus tard au 31 décembre 2018. Les demandes non encore statuées d’une manière définitive seront après l’abrogation du service auprès du Service public fédéral Sécurité sociale au 31 décembre 2018, traitées et décidées par la nouvelle Commission de recours instauré auprès de l’Institut national suivant les anciennes dispositions. Il s’agit entre autre des décisions de dispense de cotisations prises par la Commission existante avant son abrogation, qui seront annulées par les tribunaux de travail et pour lesquelles il appartiendra à la Commission de prendre une nouvelle décision » (Doc. parl., Chambre, 2018-2019, DOC 54-3317/001, p. 14).
À propos des articles 6 et 7 de la loi du 2 décembre 2018, le ministre compétent a également précisé, lors des discussions en commission :
« L’entrée en vigueur de la nouvelle loi est fixée au 1er janvier 2019.
La loi sera donc applicable aux demandes de dispense introduites à partir de cette date.
Un régime transitoire est par ailleurs prévu, en vertu duquel aucune demande de dispense ne pourra être introduite entre le 1er octobre 2018 et le 31 décembre 2018. Le délai d’introduction de la demande sera prolongé de cette période.
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Il s’agit d’un délai nécessaire à l’implémentation de la réforme.
Il faut bien entendu garder à l’esprit que le délai en vigueur dès le 1er janvier 2019
permettra à ces indépendants d’obtenir une réponse dans le mois, de sorte qu’ils obtiendront une décision plus rapidement que s’ils avaient pu introduire leur demande jusqu’au 31 décembre 2018.
Prenons l’exemple des éleveurs porcins situés dans la zone contaminée par la peste porcine africaine, reconnus comme ‘ secteur en crise ’ depuis le 1er octobre 2018.
Le ministre a veillé, notamment via une note aux caisses, à ce qu’ils soient proactivement informés du fait qu’ils pourront demander une dispense de cotisation à partir du 1er janvier 2019. Ils seront alors considérés dans une situation économique ou financière difficile et dispensés de cotisations sociales, tout en bénéficiant d’une procédure simplifiée et, surtout, beaucoup plus rapide.
Les demandes introduites avant le 1er octobre 2018, sur lesquelles la commission n’aura pas encore statué d’une manière définitive au 31 décembre 2018, seront pour leur part traitées par la Commission de recours conformément aux dispositions précédentes, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018 » (Doc. parl., Chambre, 2018-2019, DOC 54-3317/002, p. 7).
Quant au fond
B.2. La Cour est interrogée sur la compatibilité des articles 6 et 7 de la loi du 2 décembre 2018 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la non-
rétroactivité des lois et avec le principe de la sécurité juridique.
La Cour est plus particulièrement invitée à examiner la différence de traitement entre les travailleurs indépendants dont la demande de dispense de cotisations fait l’objet d’une décision administrative prise après le 1er janvier 2019, selon que la demande a été introduite avant le 1er octobre 2018 ou entre le 1er octobre 2018 et le 31 décembre 2018. D’une part, lorsque la demande a été introduite avant le 1er octobre 2018 et qu’elle n’a pas fait l’objet d’une décision définitive au 31 décembre 2018, elle est, à partir du 1er janvier 2019, traitée par la Commission de recours « conformément aux dispositions des articles 15 et 17 [de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967] dans la version en vigueur au 31 décembre 2018 » (article 6, alinéa 2, de la loi du 2 décembre 2018), de sorte que la demande est appréciée au regard de l’ancien critère de l’état de besoin ou de la situation voisine de l’état de besoin. D’autre part, lorsque la demande
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a été introduite entre le 1er octobre 2018 et le 31 décembre 2018, dans l’interprétation que la juridiction a quo donne aux articles 6, alinéa 1er, et 7 de la loi du 2 décembre 2018, la demande est réputée introduite à partir du 1er janvier 2019 et elle est appréciée au regard du nouveau critère, introduit par la loi du 2 décembre 2018, qui est de se trouver temporairement dans une situation financière ou économique difficile.
B.3. Une règle doit être qualifiée de rétroactive si elle s’applique à des faits, actes et situations qui étaient définitivement accomplis au moment où elle est entrée en vigueur.
La légalité d’un acte administratif, fût-il pris à la suite d’une demande, s’apprécie au regard de la législation en vigueur au moment où il est pris. Lorsque la législation change entre le moment de l’introduction de la demande et celui où la décision administrative est prise, cette dernière doit, en principe et sauf disposition transitoire, être fondée sur la nouvelle législation (CE, 29 mars 2024, n° 259.358, ECLI:BE:RVSCE:2024:ARR.259.358; 13 janvier 2021, n° 249.476, ECLI:BE:RVSCE:2021:ARR.249.476). Par conséquent, lorsqu’une demande a été introduite avant l’entrée en vigueur d’une législation nouvelle et qu’elle fait l’objet d’une décision administrative postérieure à cette entrée en vigueur, l’application de la législation nouvelle à l’examen de cette demande n’est en principe pas, en elle-même, rétroactive.
B.4. En ce qui concerne une demande de dispense de cotisations qui a été introduite entre le 1er octobre 2018 et le 31 décembre 2018 et qui fait l’objet d’une décision administrative prise après l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2019, de la loi du 2 décembre 2018, l’application à l’examen de cette demande du nouveau critère introduit par cette loi n’est pas, en elle-même, rétroactive.
Indépendamment de la question de savoir si les dispositions en cause sont rétroactives en ce qu’elles ont pour effet qu’une demande de dispense de cotisations qui a été introduite entre le 1er octobre 2018 et le 31 décembre 2018 est réputée introduite à partir du 1er janvier 2019, les dispositions en cause font naître la différence de traitement mentionnée en B.2.
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B.5. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.6. Il appartient en principe au législateur, lorsqu’il décide d’introduire une nouvelle réglementation, d’estimer s’il est nécessaire ou opportun d’assortir celle-ci de dispositions transitoires. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’est violé que si le régime transitoire ou son absence entraîne une différence de traitement dénuée de justification raisonnable ou s’il est porté une atteinte excessive au principe de la confiance légitime.
Tel est le cas lorsqu’il est porté atteinte aux attentes légitimes d’une catégorie déterminée de personnes sans qu’un motif impérieux d’intérêt général puisse justifier l’absence d’un régime transitoire établi à leur profit. Le principe de la confiance légitime est étroitement lié au principe de la sécurité juridique, également mentionné dans la question préjudicielle, qui interdit au législateur de porter atteinte, sans qu’existe une justification objective et raisonnable, à l’intérêt que possèdent les sujets de droit d’être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes.
B.7. Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, les deux catégories de personnes mentionnées en B.2 sont comparables au regard des articles 10 et 11 de la Constitution. La Cour n’est pas invitée à comparer une même catégorie de personnes sous l’empire de deux législations applicables successivement. Elle est invitée à examiner la différence de traitement, qui résulte du régime transitoire en cause, entre deux catégories de personnes sous l’empire de la législation qui est en vigueur depuis le 1er janvier 2019 : d’une part, les travailleurs indépendants dont la demande de dispense de cotisations a été introduite avant le 1er octobre 2018 et fait l’objet d’une décision administrative prise après le 1er janvier 2019 et, d’autre part, les travailleurs indépendants dont la demande de dispense de cotisations
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a été introduite entre le 1er octobre 2018 et le 31 décembre 2018 et fait l’objet d’une décision administrative prise après le 1er janvier 2019. Pour les travailleurs indépendants relevant de la première catégorie, la demande est appréciée au regard du critère de l’état de besoin ou de la situation voisine de l’état de besoin, tandis que, pour ceux qui relèvent de la seconde catégorie, la demande est appréciée au regard du critère de se trouver temporairement dans une situation financière ou économique difficile.
B.8. La différence de traitement en cause repose sur un critère de distinction objectif, à savoir la date à laquelle la demande de dispense de cotisations a été introduite.
B.9. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.1.5 que le législateur a estimé qu’il était nécessaire d’instaurer le régime transitoire pour les demandes de dispense introduites entre le 1er octobre 2018 et le 31 décembre 2018, et ce, pour permettre à l’Institut national de se préparer à la mise en œuvre de la réforme opérée par la loi du 2 décembre 2018. En suspendant l’introduction des demandes de dispense pendant une période limitée, le législateur entendait permettre à la Commission des dispenses existante de réaliser le transfert de compétences vers l’Institut national et d’apurer, avant l’entrée en vigueur de la nouvelle législation, le 1er janvier 2019, un maximum de demandes introduites sous l’empire de l’ancienne législation. À cet effet, le législateur a retenu la date du 1er octobre 2018 comme date-pivot. C’est uniquement à l’égard des demandes qui ont été introduites avant le 1er octobre 2018 et qui n’auraient pas encore été apurées définitivement avant l’entrée en vigueur de la loi du 2 décembre 2018 que le législateur a prévu qu’elles continueraient à être traitées et à faire l’objet d’une décision en vertu des articles 15 et 17 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, tels qu’ils étaient en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018.
Les articles 6 et 7 de la loi du 2 décembre 2018 visent donc à garantir la continuité du service public. C’est un objectif légitime.
Dans ce contexte, il n’est pas sans justification raisonnable que les demandes qui ont été introduites avant le 1er octobre 2018 et dont le traitement a dans de nombreux cas déjà commencé avant l’entrée en vigueur de la loi du 2 décembre 2018 soient apurées et fassent l’objet de décisions fondées sur l’ancien critère, alors que les demandes dont le délai
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d’introduction est suspendu jusqu’après l’entrée en vigueur de la loi du 2 décembre 2018 et dont le traitement n’est dès lors entamé qu’après l’entrée en vigueur de cette loi font l’objet d’un traitement et d’une décision fondés sur la nouvelle législation.
B.10. En ce qui concerne le contrôle au regard du principe de la sécurité juridique et du principe de la confiance légitime, les articles 6 et 7 de la loi du 2 décembre 2018, en ce qu’ils prévoient que les demandes de dispense de cotisations qui ont été introduites entre le 1er octobre 2018 et le 31 décembre 2018 et qui ont fait l’objet d’une décision administrative après le 1er janvier 2019 sont traitées selon les dispositions de la loi du 2 décembre 2018, ne portent pas atteinte aux attentes légitimes des auteurs de ces demandes.
En effet, comme il est dit en B.3, lorsque la législation change entre le moment de l’introduction de la demande et celui où la décision administrative est prise, cette décision doit être fondée sur la nouvelle législation, de sorte que les travailleurs indépendants qui ont introduit leur demande de dispense entre le 1er octobre 2018 et le 31 décembre 2018 ne pouvaient pas nourrir l’attente légitime que le traitement de leur demande et la décision prise à son sujet soient fondés sur les articles 15 et 17 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, tels qu’ils étaient en vigueur au moment de l’introduction de leur demande. Du reste, l’article 3 de la loi du 2 décembre 2018 ne prive pas les travailleurs indépendants concernés d’un « droit » à une dispense. À l’instar de ce qu’il prévoyait dans la version en vigueur sous l’ancienne législation, l’article 17 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, tel qu’il a été remplacé par l’article 3 de la loi du 2 décembre 2018, attribue à l’autorité un pouvoir discrétionnaire pour apprécier la demande (Doc. parl, Chambre, 2018-2019, DOC 54-3317/001, pp. 9-10). À cet égard aussi, l’article 3 de la loi du 2 décembre 2018 ne porte dès lors pas atteinte à une quelconque attente légitime des travailleurs indépendants concernés.
B.11. Les articles 6 et 7 de la loi du 2 décembre 2018 ne sont pas incompatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la non-rétroactivité des lois et avec le principe de la sécurité juridique.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
Les articles 6 et 7 de la loi du 2 décembre 2018 « modifiant l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, afin de réformer le fonctionnement de la Commission des dispenses de cotisations » ne violent pas les articles 10
et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la non-rétroactivité des lois et avec le principe de la sécurité juridique.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 28 novembre 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 143/2024
Date de la décision : 28/11/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-11-28;143.2024 ?

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