Cour constitutionnelle
Arrêt n° 142/2024
du 28 novembre 2024
Numéro du rôle : 8062
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle et à l’article 219ter du Code des impôts sur les revenus 1992 (exercices d’imposition 2015 et 2016), posées par la Cour d’appel de Gand.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par arrêt du 13 juin 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 11 juillet 2023, la Cour d’appel de Gand a posé les questions préjudicielles suivantes :
« 1. L’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle viole-t-il les articles 10, 11, 16 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14
de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, dans l’interprétation selon laquelle cette disposition permet que les effets des dispositions annulées par la Cour constitutionnelle soient uniquement maintenus pour une période déterminée à charge d’une catégorie de personnes, à l’exclusion d’une autre catégorie de personnes qui se trouvent, au regard de l’objectif de la disposition annulée ainsi qu’au regard de l’objectif de l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, dans la même situation ?
2. L’article 219ter du CIR 1992, auquel la décision de maintien des effets prise par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 24/2018 du 1er mars 2018 a conféré une validité temporaire, viole-t-il les articles 10, 11, 16 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14
de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 1er du Premier Protocole
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additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, dans l’interprétation selon laquelle :
- la cotisation distincte prévue dans cet article, telle qu’elle est maintenue pour les exercices d’imposition 2015 et 2016, ne peut être établie que dans le chef des contribuables qui sont soumis à l’impôt des sociétés,
- eu égard au fait que la cotisation distincte prévue dans cet article ne peut pas être établie dans le chef des contribuables qui sont soumis à l’impôt des non-résidents, compte tenu de la non-application de l’article é, alinéa 3, du CIR 1992 – auquel la décision de maintien des effets prise par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 24/2018 du 1er mars 2018 a conféré une validité temporaire – en raison d’une violation de la liberté d’établissement pour laquelle la décision de maintien des effets ne s’applique pas ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- la SA « Volvo Group Belgium », assistée et représentée par Me Thierry Lauwers, avocat au barreau de Gand;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Carmenta Decordier et Me Tine Bricout, avocates au barreau de Gand.
Par ordonnance du 17 juillet 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Sabine de Bethune et Thierry Giet, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
À la suite de la demande d’une partie à être entendue, la Cour, par ordonnance du 25 septembre 2024, a fixé l’audience au 23 octobre 2024.
À l’audience publique du 23 octobre 2024 :
- ont comparu :
. Me Thierry Lauwers, pour la SA « Volvo Group Belgium »;
. Me Lukas Asselman, avocat au barreau de Gand, loco Me Carmenta Decordier et Me Tine Bricout, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs Sabine de Bethune et Thierry Giet ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
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Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le 3 novembre 2015, une cotisation à l’impôt des sociétés pour l’exercice d’imposition 2015 a été établie à l’égard de la SA « Volvo Group Belgium » pour un montant de 1 056 466,18 euros, dont 1 052 467,14 euros portaient sur la « Fairness Tax » (cotisation distincte de 1 004 831,11 euros + contribution de crise de 30 144,93 euros + majoration pour insuffisance de versements anticipés de 17 491,10 euros). Pour l’exercice d’imposition 2016, une cotisation à l’impôt des sociétés a également été établie à l’égard de la société précitée pour un montant de 773 573,17 euros, dont 769 881,87 euros portaient sur la « Fairness Tax » (cotisation distincte de 739 142,77 euros + contribution de crise de 22 174,28 euros + majoration pour insuffisance de versements anticipés de 8 564,82 euros).
La SA « Volvo Group Belgium » a introduit des réclamations contre les cotisations précitées par lettres du 2 mai 2016 (exercice d’imposition 2015) et du 7 décembre 2016 (exercice d’imposition 2016), dans lesquelles elle a fait valoir que la « Fairness Tax » était illégale et inconstitutionnelle. À la suite de l’arrêt de la Cour n° 24/2018
du 1er mars 2018 (ECLI:BE:GHCC:2018:ARR.024), par lequel celle-ci a annulé les articles 43 à 49 et 51, alinéas 1er et 2, de la loi du 30 juillet 2013 « portant des dispositions diverses », la SA « Volvo Group Belgium »
a complété ses réclamations par lettres du 10 avril 2018.
L’administration fiscale a rejeté les réclamations par décisions distinctes du 9 décembre 2019. Dans la motivation de ses décisions, l’administration fiscale souligne que, bien que la Cour constitutionnelle et la Cour de justice de l’Union européenne aient souscrit aux arguments exposés par la SA « Volvo Group Belgium » sur l’illégalité et l’inconstitutionnalité de la « Fairness Tax », elle se doit de rejeter les réclamations en raison du maintien des effets des dispositions annulées pour les exercices d’imposition 2014 à 2018.
Le 12 février 2020, la SA « Volvo Group Belgium » a introduit des actions en annulation des impositions précitées devant le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand. Le 4 février 2022, le Tribunal a jugé les actions de la SA « Volvo Group Belgium » recevables et fondées. Le Tribunal a également jugé que le maintien de l’imposition de la « Fairness Tax » à des sociétés résidentes par application de l’article 219ter du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), à l’exclusion des sociétés non-
résidentes disposant d’un établissement belge, auxquelles s’applique l’article é, alinéa 3, du CIR 1992, est contraire à la liberté d’établissement. Le Tribunal a jugé qu’il peut se déduire de l’arrêt rendu le 17 mai 2017 par la Cour de justice de l’Union européenne en cause de X. c. Ministerraad (C-68/15, ECLI:EU:C:2017:379) que l’article é, alinéa 3, du CIR 1992 viole la liberté d’établissement et qu’il ne peut dès lors être appliqué. Dès lors que l’article é, alinéa 3, du CIR 1992 ne peut être appliqué, les sociétés non-résidentes disposant d’un établissement belge sont traitées, selon le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand, plus favorablement que les sociétés résidentes, telles que la SA « Volvo Group Belgium » en l’espèce, ce qui conduit, selon le Tribunal, vu la décision de la Cour constitutionnelle de maintenir les dispositions annulées, à une violation de la liberté d’établissement. Selon le Tribunal, les motifs invoqués par la Cour pour maintenir les effets des dispositions annulées ne constituent pas, en raison de leur manque de précision, des motifs impérieux permettant de justifier l’entrave à la liberté d’établissement.
Le 11 mars 2022, l’État belge (en l’espèce, le Service public fédéral Finances) a interjeté appel du jugement précité du 4 février 2022 devant la Cour d’appel de Gand.
Un débat a eu lieu devant la Cour d’appel de Gand sur l’exigibilité de la cotisation (ou son remboursement), dès lors que la Cour constitutionnelle a maintenu par son arrêt n° 24/2018, précité, les effets des dispositions annulées de la « Fairness Tax » entre autres pour les exercices d’imposition 2015 et 2016.
La SA « Volvo Group Belgium » a objecté en l’espèce qu’en vertu de la décision de maintien précitée, la poursuite de l’application de la « Fairness Tax » aux filiales belges de sociétés non-résidentes conduit à une discrimination en ce que celle-ci ne s’appliquerait pas aux établissements belges de sociétés non-résidentes, ce qui
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entraînerait également une violation de la liberté d’établissement et du droit de propriété. La « Fairness Tax »
empêcherait dans ce cas les sociétés non-résidentes de choisir librement leur forme juridique pour exercer leurs activités en Belgique, dès lors qu’elles sont traitées différemment selon qu’elles exercent leurs activités en Belgique par l’intermédiaire d’un établissement stable ou par l’intermédiaire d’une filiale. La non-application (du maintien) de la « Fairness Tax » aux établissements belges de sociétés non-résidentes conduirait à traiter les établissements de sociétés étrangères plus favorablement que les filiales de sociétés étrangères. Elle fait encore valoir que ses attentes légitimes ont été déjouées, et ce de façon discriminatoire, ce qui serait constitutif d’une atteinte à l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et à l’article 14 de cette Convention, dès lors qu’elle disposait d’une attente légitime garantie par la Cour de justice de l’Union européenne et aussi, dans un premier temps, par la Cour constitutionnelle quant à l’aboutissement de ses réclamations et de l’action en remboursement de la « Fairness Tax » qui en découle. Selon elle, la décision de maintien de la Cour constitutionnelle a réduit cette attente légitime à néant.
La Cour d’appel a ensuite considéré que tout juge national doit garantir le plein effet du droit de l’Union en écartant l’application ou en faisant abstraction d’une disposition législative, mesure administrative ou pratique judiciaire nationale qui porterait atteinte à ce plein effet. La Cour d’appel a constaté que l’article é, alinéa 3, du CIR 1992, qui établit la « Fairness Tax » à l’égard des établissements belges de sociétés étrangères dans le cadre de l’impôt des non-résidents, viole la liberté d’établissement qui découle de l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La Cour d’appel a jugé que l’application de cette disposition législative doit être écartée. Ensuite, elle a également considéré que le maintien par la Cour constitutionnelle des effets de la « Fairness Tax » dans le cadre de l’impôt des non-résidents est contraire au droit de l’Union et ne saurait dès lors s’appliquer aux établissements belges de sociétés non-résidentes. La Cour d’appel a donc considéré que la « Fairness Tax » ne peut être établie à l’égard des établissements belges de sociétés étrangères (c’est-à-dire non-
résidentes) et que rien ne s’oppose à son remboursement.
La Cour d’appel a ensuite considéré que, dans le cadre de l’impôt des sociétés, la « Fairness Tax » peut en revanche encore être établie en vertu de l’article 219ter du CIR 1992 à l’égard de sociétés belges compte tenu de la décision de maintien de la Cour constitutionnelle, de sorte qu’elle peut encore être imposée à des filiales belges comme la SA « Volvo Group Belgium ». La Cour d’appel a toutefois constaté que le fait d’écarter l’application de l’article é, alinéa 3, du CIR 1992 en vertu du droit de l’Union, alors que l’article 219ter du CIR 1992 demeure applicable compte tenu de la décision de maintien de la Cour constitutionnelle, peut induire une différence de traitement entre deux catégories de personnes qui se trouvent dans des situations identiques au regard de l’objectif de la « Fairness Tax » : les contribuables soumis à l’impôt des non-résidents, d’une part, et les contribuables soumis à l’impôt des sociétés, d’autre part. Par conséquent, la Cour d’appel se demande ensuite, vu que les deux catégories de personnes se trouvent dans des situations apparemment identiques au regard de l’objectif de la « Fairness Tax », si cette différence de traitement conduit à une violation de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, lu en combinaison avec l’article 14 de cette Convention.
La Cour d’appel s’estime obligée de soumettre des questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle sur la violation des articles 10, 11, 16 et 172 de la Constitution par l’article 219ter du CIR 1992 maintenu en vertu de l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, plutôt que de constater par elle-même que ces dispositions législatives sont contraires à l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et à l’article 14 de ladite Convention.
Compte tenu de ce qui précède, la juridiction a quo pose à la Cour les questions préjudicielles reproduites plus haut.
Par le même arrêt, la juridiction a quo interroge la Cour de justice de l’Union européenne, à titre préjudiciel, quant à l’interprétation de l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
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III. En droit
-A-
Quant à la recevabilité des questions préjudicielles
A.1.1. Le Conseil des ministres estime tout d’abord que la réponse à la première question préjudicielle n’est pas utile à la solution du litige soumis à la juridiction a quo. D’après la première question préjudicielle, la prétendue différence de traitement découlerait de l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle (ci-après : la loi spéciale du 6 janvier 1989), dans l’interprétation selon laquelle cette disposition permet le maintien des dispositions annulées à l’égard d’une catégorie de personnes, à l’exclusion d’une autre catégorie de personnes, comparable à la première. La Cour a appliqué cette disposition législative spéciale par son arrêt n° 24/2018 du 1er mars 2018 (ECLI:BE:GHCC:2018:ARR.024). Le Conseil des ministres observe que la Cour n’a nullement maintenu les effets à l’égard d’une catégorie donnée à l’exclusion d’une autre catégorie, comparable à la première. Dès lors qu’elle repose sur la thèse contraire, la question préjudicielle n’est pas pertinente, n’est manifestement pas utile à la solution du litige soumis à la juridiction a quo et n’appelle donc pas non plus de réponse.
A.1.2. À supposer que la Cour considère tout de même que la première question préjudicielle appelle une réponse, le Conseil des ministres estime que cette question ne relève pas de la compétence de la Cour et qu’elle est dès lors irrecevable. Il souligne dans ce contexte que l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989
prévoit que la Cour doit indiquer le maintien des effets des dispositions annulées par voie de disposition générale afin d’éviter toute discrimination. Il fait valoir à cet égard qu’il est impossible d’imputer la différence de traitement mentionnée dans la première question préjudicielle à l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, dès lors que la Cour fixe elle-même l’étendue du maintien des effets. La Cour ne peut se prononcer sur le caractère justifié ou non d’une différence de traitement au regard des dispositions de la Constitution dont elle est habilitée à contrôler le respect que si cette différence est imputable à une norme législative. Tel n’est pas le cas, selon le Conseil des ministres.
A.2. La SA « Volvo Group Belgium » conteste le fait que la réponse à la première question préjudicielle ne serait manifestement pas utile à la solution du litige soumis à la juridiction a quo. Selon elle, la réponse à la question peut effectivement influencer l’appréciation de la juridiction a quo. Elle relève que la juridiction a quo a constaté que le maintien des effets de la « Fairness Tax », tel que la Cour l’a décidé par son arrêt n° 24/2018, précité, ne peut s’appliquer aux établissements belges de sociétés non-résidentes soumises à l’impôt des non-
résidents, dès lors que l’application de cette taxe à cette catégorie de personnes entraînerait une violation de l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et dès lors que la juridiction a quo est tenue de faire primer le droit de l’Union. Ceci aurait donc pour conséquence que le maintien décidé par la Cour n’est encore applicable qu’à l’égard de sociétés belges soumises à l’impôt des sociétés, dont les filiales belges de sociétés non-
résidentes, qui, au regard des objectifs de la « Fairness Tax » et de l’objectif de l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, sont tout à fait comparables aux établissements belges de sociétés non-résidentes. Elle souligne que la juridiction a quo se demande dès lors si une telle différence de traitement est admissible au regard des articles 10, 11, 16 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14 de cette Convention.
Si la Cour venait à constater que l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 ne permettrait pas une telle différence de traitement, la juridiction a quo pourrait donner leur plein effet aux dispositions conventionnelles précitées en annulant les cotisations contestées. La SA « Volvo Group Belgium » affirme que, selon la juridiction a quo, la question se pose de savoir si la Cour aurait maintenu différemment les effets de la « Fairness Tax » annulée dans l’hypothèse où elle aurait également vérifié si cette taxe viole l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à l’égard des établissements belges de sociétés non-résidentes. Selon elle, la question se pose plus particulièrement de savoir si, au regard des dispositions constitutionnelles et conventionnelles citées dans la question préjudicielle, la disposition législative spéciale aurait permis de décider le même maintien à l’égard des sociétés belges soumises à l’impôt des sociétés, dont les filiales belges de sociétés non-résidentes, et si, de la même manière donc, cette disposition législative spéciale aurait pu servir de base légale
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pour le maintien à l’égard de cette catégorie si la Cour avait pris en compte dans son appréciation l’incompatibilité, constatée par la juridiction a quo, de la cotisation avec l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à l’égard des établissements belges de sociétés non-résidentes et l’impossibilité d’en maintenir les effets à l’égard de ces établissements. Dans l’hypothèse où l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989
n’aurait pas pu servir de base légale pour un maintien des effets à l’égard d’une catégorie de personnes qui, au regard des objectifs de la disposition annulée et de la disposition législative spéciale précitée, se trouve dans une situation comparable à celle d’une catégorie de personnes à l’égard de laquelle les effets n’ont pas pu être maintenus, la juridiction a quo saurait alors que les effets ont également été maintenus à tort à l’égard de la SA « Volvo Group Belgium », dès lors que ce maintien serait contraire aux articles 10, 11, 16 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14 de cette Convention.
La première question préjudicielle a seulement pour objet de vérifier si, dans une certaine interprétation, une norme législative viole la Constitution, de sorte que la question est recevable. En outre, la SA « Volvo Group Belgium » soutient que la différence de traitement est effectivement imputable à l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989. Selon elle, l’exigence que la Cour décide le maintien des effets de dispositions annulées par voie de disposition générale n’exclut pas qu’elle puisse décider un maintien diversifié à l’égard de certaines catégories de personnes. Selon la SA « Volvo Group Belgium », un contribuable est de plus confronté à la poursuite de l’application d’une disposition législative jugée inconstitutionnelle, dont les effets ont été maintenus en vertu de l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, alors que le maintien ne peut être appliqué à des personnes d’une catégorie tout à fait comparable à la sienne, à cause de la primauté du droit de l’Union. La circonstance que la décision de maintien continue de s’appliquer au contribuable, à savoir la SA « Volvo Group Belgium », est bien imputable à la disposition législative spéciale, dès lors qu’elle peut manifestement avoir pour conséquence de créer une telle situation. Le fait que la différence de traitement visée par la première question préjudicielle n’apparaisse qu’après que la Cour a appliqué l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989
n’implique pas que la différence n’est pas imputable à cette disposition.
A.3. Le Conseil des ministres estime que la seconde question préjudicielle ne relève pas de la compétence de la Cour et qu’elle est donc également irrecevable. Il souligne que, par son arrêt n° 24/2018, précité, la Cour a annulé l’article 46 de la loi du 30 juillet 2013 « portant des dispositions diverses », qui avait inséré l’article 219ter du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), mentionné dans la seconde question préjudicielle. Ce faisant, la Cour a seulement maintenu les effets de l’article 46, annulé, de la loi précitée du 30 juillet 2013. Le maintien des effets ne change cependant rien au fait que l’article 46 de la loi précitée du 30 juillet 2013 – l’article 219ter du CIR 1992 – a été définitivement annulé et a donc disparu ex tunc de l’ordre juridique. La Cour a seulement maintenu le fait d’être redevable de la « Fairness Tax » ou de rester redevable de la « Fairness Tax » déjà payée. Le Conseil des ministres fait valoir à cet égard qu’il est donc impossible d’imputer la différence mentionnée dans la seconde question préjudicielle à l’article 219ter, définitivement annulé, du CIR 1992. Dès lors que la Cour peut seulement se prononcer sur le caractère justifié ou non d’une différence de traitement si cette différence est imputable à une norme législative, la seconde question préjudicielle ne relève pas de la compétence de la Cour et est donc irrecevable.
A.4. La SA « Volvo Group Belgium » conteste la thèse selon laquelle la seconde question préjudicielle serait irrecevable. Elle fait valoir que la différence de traitement peut bien être imputée à l’article 219ter du CIR 1992, dès lors qu’elle découle de la poursuite de l’application de cette disposition à des sociétés belges dans le cadre des exercices d’imposition litigieux. Rien ne s’oppose à ce que la Cour réponde à une question préjudicielle concernant une disposition déjà annulée dont les effets ont été maintenus.
Quant au fond
A.5. La SA « Volvo Group Belgium » souligne que, comme la juridiction a quo l’a jugé, les effets de la « Fairness Tax » ne peuvent pas être maintenus à l’égard des établissements belges de sociétés non-résidentes, pour cause d’incompatibilité avec l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Une différence de traitement apparaît dès lors entre deux catégories de personnes : les établissements belges de sociétés non-résidentes, d’une part, et les sociétés résidentes, en ce compris les filiales de sociétés non-résidentes, d’autre part. Les deux catégories de personnes se trouvent dans des situations comparables au regard de l’objectif du législateur d’éviter toute discrimination entre ces deux catégories quant à l’application de la « Fairness Tax ». La
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première catégorie citée pourra obtenir le remboursement de la « Fairness Tax » qu’elle a payée si elle a fait usage des moyens disponibles pour faire annuler cette cotisation ou si elle peut encore faire usage desdits moyens. En revanche, la dernière catégorie citée ne pourra obtenir aucun remboursement, dès lors que les effets resteront maintenus à la suite de l’arrêt de la Cour n° 24/2018, précité, même si des réclamations ou autres procédures juridiques sont encore pendantes et que la cotisation n’est donc pas encore définitivement due.
La SA « Volvo Group Belgium » soutient qu’aucune justification objective et raisonnable ne peut se concevoir pour expliquer cette différence de traitement, dès lors que le législateur n’a jamais voulu une telle différence. La circonstance que la première catégorie citée peut échapper à la cotisation en raison du plein effet et de la primauté de la liberté d’établissement, ancrée dans l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ne peut justifier cette différence. En ce que l’article 219ter du CIR 1992 ne peut être appliqué qu’à des sociétés résidentes, y compris aux filiales belges de sociétés non-résidentes, à l’exclusion des établissements belges de sociétés non-résidentes, cette disposition viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution. En ce que l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 permet que la Cour prenne une décision de maintien qui autorise une telle différence de traitement, cette disposition viole elle aussi les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
La SA « Volvo Group Belgium » souligne ensuite que l’obligation de payer une cotisation touche au droit de propriété. Pour les raisons précitées, ces dispositions violent également l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14 de cette Convention, dès lors qu’elles instaurent également une différence de traitement injustifiée quant au droit de propriété, en particulier en ce qui concerne la possibilité d’obtenir le remboursement de la « Fairness Tax ». Les personnes de la première catégorie disposent en effet d’un droit d’action en remboursement de la cotisation et ne seront donc pas tenues de payer la « Fairness Tax », alors que les sociétés résidentes, en ce compris les filiales belges de sociétés non-résidentes, ne disposent pas d’un tel droit d’action et seront donc tenues de payer cette cotisation, même si des procédures contre cette cotisation sont encore pendantes.
Selon la SA « Volvo Group Belgium », l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 viole en tout cas le droit de propriété, dès lors que, dans des litiges fiscaux, il peut avoir pour conséquence qu’une décision de maintien est prise en vertu de cette disposition législative spéciale, décision qui servira de base légale pour la poursuite de l’application d’une norme fiscale. Une telle norme qui porte atteinte au droit de propriété doit être claire et prévisible. En outre, il doit y avoir des garanties suffisantes contre l’arbitraire. Dès lors que les applications qui sont faites de la disposition législative spéciale précitée sont totalement imprévisibles, arbitraires, non étayées et incontrôlables, les conditions ne sont pas réunies. Des motifs concernant des difficultés budgétaires et administratives, tels que ceux avancés par la Cour dans son arrêt n° 24/2018, précité, ne peuvent pas non plus justifier la différence de traitement ni l’atteinte au droit de propriété.
Les questions préjudicielles appellent dès lors une réponse affirmative.
A.6. En ordre subsidiaire, le Conseil des ministres est d’avis que la première question préjudicielle appelle une réponse négative. Le Conseil des ministres réfute par ailleurs la thèse de la SA « Volvo Group Belgium »
selon laquelle l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 violerait le droit de propriété parce que la norme serait insuffisamment prévisible. La Cour est en effet interrogée sur la différence de traitement entre des contribuables. La Cour n’est pas interrogée à cet égard sur un prétendu manque de prévisibilité de l’article en cause.
En ce qui concerne la seconde question préjudicielle, le Conseil des ministres rappelle que l’article 219ter du CIR 1992 prévoyait que la « Fairness Tax » était établie dans le cadre de l’impôt des sociétés et que l’article é, alinéa 3, du CIR 1992 prévoyait que la « Fairness Tax » était également établie dans le cadre de l’impôt des non-
résidents. Cependant, la SA « Volvo Group Belgium », ainsi que la juridiction a quo, considèrent à tort que la « Fairness Tax » ne pourra jamais être appliquée à des contribuables soumis à l’impôt des non-résidents. C’est seulement lorsqu’il s’avère, dans un cas concret, que le mode de calcul de la base imposable de la « Fairness Tax »
conduit à taxer une société non-résidente sur des bénéfices qui ne relèvent pas de la compétence fiscale de la Belgique, ou lorsqu’il s’avère que la détermination de la base imposable dans le chef d’une société non-résidente n’est pas suffisamment claire, que l’application de la « Fairness Tax » doit être écartée. Il souligne que, dans l’instance soumise à la juridiction a quo, il n’est nullement question d’une société non-résidente, ni d’un traitement concret plus défavorable de cette société. La juridiction a quo n’avait dès lors aucune raison d’écarter l’application de la « Fairness Tax » dans le cadre de l’impôt des non-résidents, et encore moins erga omnes. La prétendue
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violation du principe d’égalité, de l’article 16 de la Constitution et de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, lu en combinaison avec l’article 14 de cette Convention, est donc basée sur la prémisse erronée que la « Fairness Tax » dans le cadre de l’impôt des non-résidents a été déclarée inapplicable erga omnes.
Le Conseil des ministres estime ensuite qu’en l’espèce, les contribuables ne disposent pas d’une attente légitime quant à l’acceptation future de l’action en remboursement de la « Fairness Tax », dès lors que la Cour en a maintenu les effets. Il n’est dès lors nullement question d’un droit d’action qui bénéficie d’une protection dans le cadre de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. Enfin, le Conseil des ministres observe encore que, lorsque le législateur lève des impôts et lorsque la Cour prend une décision de maintien, ceux-ci disposent d’un large pouvoir d’appréciation, et qu’il n’est pas démontré que la « Fairness Tax » représenterait une charge excessive pour le contribuable.
Quant au maintien des effets
A.7. Le Conseil des ministres demande à la Cour, dans l’hypothèse où elle répondrait par l’affirmative à l’une des questions préjudicielles ou aux deux, de maintenir les effets des dispositions jugées inconstitutionnelles en appliquant l’article 28, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989. Selon le Conseil des ministres, il s’indique de maintenir les effets d’une éventuelle inconstitutionnalité pour les exercices d’imposition 2014 à 2018. Il invoque la nécessité de garantir la sécurité juridique et de ne pas compromettre la décision que la Cour a prise dans son arrêt n° 24/2018, précité.
Le Conseil des ministres estime qu’aucune exception ne peut être établie à cet égard vis-à-vis de contribuables qui auraient préservé leurs droits en introduisant une procédure administrative ou judiciaire. Les contribuables qui ont recouru à cette possibilité ont simplement introduit une action. Leurs droits ne sont donc pas préservés et une situation d’insécurité juridique n’a pas non plus été créée. Le Conseil des ministres estime en outre qu’un maintien des effets ne violerait pas l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, lu en combinaison avec l’article 14 de la même Convention. En effet, l’article 6 n’est applicable qu’à la détermination de droits et obligations de caractère civil. Il résulte cependant de la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme que les litiges fiscaux tombent en dehors de cette catégorie.
A.8. La SA « Volvo Group Belgium » s’oppose à un éventuel maintien des effets. Elle ne comprend pas pourquoi, dès lors que la Cour est réputée respecter le principe d’égalité lorsqu’elle prend une décision de maintien, la sécurité juridique ou l’arrêt de la Cour n° 24/2018, précité, imposerait de maintenir la « Fairness Tax » d’une manière qui, selon elle, est contraire aux articles 10, 11, 16 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14 de cette Convention.
Selon la SA « Volvo Group Belgium », un constat d’inconstitutionnalité ne peut bénéficier essentiellement qu’à des contribuables qui ont préservé à temps leurs droits concernant la « Fairness Tax ». Selon toute vraisemblance, ce groupe est très réduit pour l’année 2024. En outre, le motif de la garantie de la sécurité juridique ne s’applique pas à ces contribuables, dès lors qu’ils se trouvent plutôt dans une situation d’insécurité juridique.
Un maintien des effets porterait par ailleurs atteinte au principe d’égalité et à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui pourrait à nouveau engendrer une violation de l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Aucun argument ne saurait justifier l’impossibilité de recouvrer une cotisation jugée inconstitutionnelle.
-B-
B.1. La première question préjudicielle porte sur l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle (ci-après : la loi spéciale du 6 janvier 1989).
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B.2. L’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 dispose :
« Si la Cour l’estime nécessaire, elle indique, par voie de disposition générale, ceux des effets des dispositions annulées qui doivent être considérés comme définitifs ou maintenus provisoirement pour le délai qu’elle détermine ».
La Cour fixe donc elle-même l’étendue du maintien des effets, à condition qu’elle le fasse par voie de disposition générale. En employant la formulation « par voie de disposition générale », le législateur spécial cherchait à éviter qu’en prenant une décision de maintien, la Cour crée des différences de traitement injustifiées, ce qui implique que la disposition législative spéciale s’oppose au maintien de décisions administratives ou judiciaires spécifiques, mais pas à un maintien différencié de catégories d’effets définies de manière générale et abstraite (Doc. parl., Sénat, 1983-1984, n° 579/3, p. 43).
B.3.1. En l’espèce, la juridiction a quo soumet au contrôle de la Cour l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, dans l’interprétation selon laquelle cette disposition permet que les effets de dispositions annulées par la Cour demeurent seulement maintenus pour un certain délai à l’égard d’une catégorie déterminée de personnes, à l’exclusion d’une autre catégorie de personnes, alors que ces deux catégories se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par la disposition annulée et par la disposition législative spéciale précitée, dans une même situation.
Il est donc demandé à la Cour d’examiner la disposition législative spéciale dans cette interprétation.
B.3.2. En posant sa première question préjudicielle, la juridiction a quo souhaite savoir si l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, dans l’interprétation mentionnée en B.3.1, viole les articles 10, 11, 16 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14 de cette Convention.
B.4. Le Conseil des ministres soutient que la première question préjudicielle est irrecevable, dès lors qu’elle n’est pas utile à la solution du litige au fond et ne relève pas non plus de la compétence de la Cour.
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B.5.1. Le litige pendant devant la juridiction a quo porte sur des réclamations introduites contre des cotisations à l’impôt des sociétés établies en vertu de la « Fairness Tax »
(article 219ter du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992)) pour les exercices d’imposition 2015 et 2016 à l’égard d’une filiale belge d’une société non-résidente.
B.5.2. À l’origine, la « Fairness Tax » a été instaurée par les articles 43 à 51 de la loi du 30 juillet 2013 « portant des dispositions diverses » (ci-après : la loi du 30 juillet 2013).
L’article 46 de la loi du 30 juillet 2013 a inséré un article 219ter, nouveau, dans le CIR 1992.
L’article 47 de la loi du 30 juillet 2013 a ajouté à l’article é du CIR 1992 un alinéa 3, nouveau.
À partir de l’exercice d’imposition 2014, les sociétés belges et les sociétés étrangères disposant d’un établissement belge ont été soumises à une cotisation distincte (la « Fairness Tax »), respectivement à l’impôt des sociétés et à l’impôt des non-résidents, conformément aux articles 219ter et é, alinéa 3, du CIR 1992.
B.5.3. L’article 219ter du CIR 1992, tel qu’il avait été inséré par l’article 46 de la loi du 30 juillet 2013, disposait :
« § 1er. Pour la période imposable au cours de laquelle des dividendes sont distribués au sens de l’article 18, alinéa 1er, 1° à 2°bis, une cotisation distincte est instaurée et calculée suivant les dispositions des paragraphes suivants ci-après.
Cette cotisation distincte est indépendante de, et est, le cas échéant, complémentaire à d’autres impositions qui sont dues en vertu d’autres dispositions du présent Code ou, le cas échéant, dans le cadre de la mise en œuvre de dispositions légales particulières.
§ 2. La base de cette cotisation distincte est constituée de la différence positive entre, d’une part, les dividendes bruts distribués pour la période imposable, et, d’autre part, le résultat imposable final qui est en fait soumis au taux d’impôt sur les sociétés visé aux articles 215 et 216.
§ 3. La base imposable ainsi établie est réduite de la partie des dividendes distribués qui est prélevée de réserves taxées antérieurement, et au plus tard au cours de l’exercice d’imposition 2014. Pour l’application de cette réduction, la prise en compte de réserves déjà taxées se fera en priorité sur les dernières réserves introduites.
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Pour l’exercice d’imposition 2014, des dividendes distribués au cours de ce même exercice d’imposition ne peuvent jamais être pris en considération comme réserves taxées de ce même exercice d’imposition.
§ 4. Le solde obtenu est ensuite limité selon un pourcentage qui exprime le rapport entre :
- d’une part, au numérateur, la déduction des pertes reportées effectivement opérée pour la période imposable et la déduction pour capital à risque effectivement opérée pour la même période imposable, et,
- d’autre part, au dénominateur, le résultat fiscal de la période imposable à l’exclusion des réductions de valeur, provisions et plus-values exonérées.
§ 5. La base déterminée conformément aux paragraphes précédents ne pourra être limitée ou réduite d’aucune autre manière.
§ 6. La cotisation distincte est égale à 5 p.c. du montant ainsi calculé.
§ 7. Les sociétés qui, sur base de l’article 15 du Code des sociétés, sont considérées comme petites sociétés pour l’exercice d’imposition lié à la période imposable au cours de laquelle les dividendes sont distribués, ne sont pas soumises à ladite cotisation ».
B.5.4. L’article é, alinéa 3, du CIR 1992, tel qu’il avait été inséré par l’article 47 de la loi du 30 juillet 2013, disposait :
« En outre, une cotisation distincte est établie selon les règles prévues à l’article 219ter.
Pour l’application de cette mesure, en ce qui concerne les établissements belges, on entend par ‘ dividendes distribués ’, la partie des dividendes bruts distribués par la société qui correspond à la partie positive du résultat comptable de l’établissement belge dans le résultat comptable global de la société ».
B.5.5. La Cour a annulé les articles 46 et 47 de la loi du 30 juillet 2013 par son arrêt n° 24/2018 du 1er mars 2018 (ECLI:BE:GHCC:2018:ARR.024). Les articles 219ter et é, alinéa 3, du CIR 1992 ont donc été annulés.
B.5.6. Par ce même arrêt n° 24/2018, la Cour a également maintenu, en vertu de l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, les effets des articles 219ter et é, alinéa 3, annulés, du CIR 1992 pour les exercices d’imposition 2014 à 2018, exception faite pour les impositions par lesquelles la « Fairness Tax » a été perçue dans le chef des sociétés belges qui entrent dans le champ d’application de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 « concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États
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membres différents (refonte) » sur les bénéfices qu’elles ont perçus de leurs filiales et qu’elles ont redistribués à leur tour, le seuil visé à l’article 4, paragraphe 3, de la directive étant ainsi dépassé.
B.5.7. Ainsi qu’il ressort du B.5.6, la Cour a, par son arrêt n° 24/2018, précité, en réalité définitivement maintenu toutes les décisions de l’administration fiscale qui trouvent leur fondement juridique dans les dispositions annulées de la « Fairness Tax » concernant des contribuables à l’impôt des sociétés et à l’impôt des non-résidents pour les exercices 2014 à 2018, survenues avant la publication de l’arrêt d’annulation au Moniteur belge du 28 mai 2018, exception faite de l’application du droit de l’Union mentionnée en B.5.6.
B.6.1. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que la juridiction a quo considère que le maintien des effets de l’article é, alinéa 3, annulé, du CIR 1992 (« Fairness Tax »), tel qu’il a été décidé par la Cour par son arrêt n° 24/2018, précité, ne peut s’appliquer aux établissements belges de sociétés non-résidentes soumises à l’impôt des non-résidents, dès lors que l’application de cette cotisation à l’égard de cette catégorie de personnes entraîne une violation de l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La juridiction a quo compare cette situation d’inapplicabilité avec celle des contribuables à l’impôt des sociétés à l’égard desquels l’article 219ter, annulé, du CIR 1992 (« Fairness Tax ») continue en revanche de s’appliquer du fait du maintien de ses effets.
Selon la juridiction a quo, il y a lieu, compte tenu de cette différence de traitement, de poser à la Cour une question préjudicielle sur l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, d’une part, et sur l’article é, alinéa 3, du CIR 1992, d’autre part.
B.6.2. Il ressort de ce qui précède que la Cour n’a, par son arrêt n° 24/2018, précité, pas instauré de différence de traitement quant au maintien des effets de la disposition annulée entre les contribuables à l’impôt des non-résidents (article é, alinéa 3, du CIR 1992), d’une part, et les contribuables à l’impôt des sociétés (article 219ter du CIR 1992), d’autre part. La différence
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de traitement mentionnée par la juridiction a quo procède des conséquences que celle-ci tire de cet arrêt de la Cour et ne découle pas de l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
B.6.3. La première question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
B.7.1. La seconde question préjudicielle porte sur l’article 219ter du CIR 1992 pour les exercices 2015 et 2016.
B.7.2. Bien qu’en apparence, la juridiction a quo soumette au contrôle de la Cour l’article 219ter du CIR 1992 dans une certaine interprétation, elle souhaite en réalité savoir, en posant sa seconde question préjudicielle, si cette disposition, compte tenu de la décision de maintien que la Cour a prise dans son arrêt n° 24/2018, précité, viole les articles 10, 11, 16 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14 de cette Convention, en ce qu’une cotisation distincte en matière de « Fairness Tax » peut être établie à l’égard de contribuables soumis à l’impôt des sociétés, alors que cette cotisation distincte ne peut pas être établie à l’égard de contribuables soumis à l’impôt des non-résidents.
B.8. Le Conseil des ministres fait valoir que la seconde question préjudicielle n’est pas recevable, dès lors qu’elle porte sur une disposition annulée, ce qui ne relève pas de la compétence de la Cour.
B.9.1. En vertu de l’article 142, alinéa 2, de la Constitution et de l’article 26, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur les questions relatives à la violation par une loi, un décret ou une règle visée à l’article 134 de la Constitution, des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l’autorité fédérale, des communautés et des régions, des articles du titre II (« Des Belges et de leurs droits ») et des articles 143, § 1er, 170, 172 et 191 de la Constitution.
B.9.2. Dès lors que la Cour a annulé l’article 219ter du CIR 1992 par son arrêt n° 24/2018, précité, cette disposition a disparu rétroactivement de l’ordre juridique, de sorte qu’elle est réputée n’avoir jamais existé.
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Lorsque la Cour décide, par voie de disposition générale, de maintenir les effets d’une disposition annulée, son arrêt d’annulation constitue alors le fondement juridique des effets produits par la disposition annulée.
B.10. En vertu de l’article 9, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, les arrêts d’annulation rendus par la Cour ont l’autorité absolue de la chose jugée à partir de leur publication au Moniteur belge. L’annulation a par ailleurs un effet rétroactif.
Cette autorité absolue de la chose jugée s’étend aussi à la décision éventuelle de la Cour de maintenir les effets de dispositions annulées (Cass., 2 octobre 2018, ECLI:BE:CASS:2018:ARR.20181002.10).
Selon l’article 116 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, un arrêt de la Cour est « définitif et sans recours ».
Ces dispositions s’opposent dès lors à ce que la Cour se prononce sur une question préjudicielle ou sur un recours qui vise en réalité à l’amener à revenir sur sa décision précédente.
B.11. La seconde question préjudicielle est irrecevable.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
1. La première question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
2. La seconde question préjudicielle est irrecevable.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 28 novembre 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Luc Lavrysen