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21/11/2024 | BELGIQUE | N°140/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 21 novembre 2024, 140/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 140/2024
du 21 novembre 2024
Numéro du rôle : 8170
En cause : le recours en annulation des articles 5, 6 et 8 du décret de la Région flamande du 14 juillet 2023 « modifiant le Décret sur l’Énergie du 8 mai 2009 en ce qui concerne les activités des gestionnaires de réseau et portant abrogation de l’article 22 du décret du 2 avril 2021 modifiant le décret relatif à l’Énergie du 8 mai 2009 transposant partiellement la Directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l

’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et transposant...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 140/2024
du 21 novembre 2024
Numéro du rôle : 8170
En cause : le recours en annulation des articles 5, 6 et 8 du décret de la Région flamande du 14 juillet 2023 « modifiant le Décret sur l’Énergie du 8 mai 2009 en ce qui concerne les activités des gestionnaires de réseau et portant abrogation de l’article 22 du décret du 2 avril 2021 modifiant le décret relatif à l’Énergie du 8 mai 2009 transposant partiellement la Directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et transposant la Directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019
concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE », introduit par le Conseil des ministres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 20 février 2024 et parvenue au greffe le 23 février 2024, le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Barteld Schutyser, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 5, 6 et 8 du décret de la Région flamande du 14 juillet 2023 « modifiant le Décret sur l’Énergie du 8 mai 2009 en ce qui concerne les activités des gestionnaires de réseau et portant abrogation de l’article 22 du décret du 2 avril 2021 modifiant le décret relatif à l’Énergie du 8 mai 2009 transposant partiellement la Directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et transposant la Directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE » (publié au Moniteur belge du 25 août 2023).
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Le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me Thomas Chellingsworth et Me Laura Pellens, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire, la partie requérante a introduit un mémoire en réponse et le Gouvernement flamand a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 25 septembre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Danny Pieters et Kattrin Jadin, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité du recours
A.1. Le Conseil des ministres allègue que le premier moyen, en sa première branche, est dirigé de manière recevable contre l’article 5 du décret de la Région flamande du 14 juillet 2023 « modifiant le Décret sur l’Énergie du 8 mai 2009 en ce qui concerne les activités des gestionnaires de réseau et portant abrogation de l’article 22 du décret du 2 avril 2021 modifiant le décret relatif à l’Énergie du 8 mai 2009 transposant partiellement la Directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et transposant la Directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE » (ci-après : le décret du 14 juillet 2023). En ce qu’il insère une nouvelle sous-section V (« Autres activités du gestionnaire de réseau de transmission et du gestionnaire du réseau de transport ») dans le décret de la Région flamande du 8 mai 2009 « portant les dispositions générales en matière de la politique de l’énergie » (ci-après : le décret sur l’Énergie), cet article 5 est indissociablement lié à l’article 6
du décret du 14 juillet 2023, lequel, par l’insertion d’un article 4.1.8/7 dans le décret sur l’Énergie, détermine effectivement ces « activités autres ».
A.2. Le Gouvernement flamand objecte que le premier moyen, en sa première branche, est irrecevable en ce qu’il est dirigé contre l’article 5 du décret du 14 juillet 2023, dès lors que le Conseil des ministres ne précise pas en quoi cette disposition viole les normes de contrôle citées. Cette branche n’est à tout le moins pas fondée en ce qu’elle est dirigée contre cette disposition, étant donné que celle-ci ne fait qu’insérer la dénomination d’une nouvelle sous-section dans le décret sur l’Énergie.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
A.3. Le Conseil des ministres prend un premier moyen de la violation, par les articles 5, 6 et 8 du décret du 14 juillet 2023, de l’article 6, § 1er, VII, alinéa 1er, a), et alinéa 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980).
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Le premier moyen, en sa première branche
A.4.1. Le premier moyen, en sa première branche, est dirigé contre les articles 5 et 6 du décret du 14 juillet 2023.
A.4.2. À titre principal, le Conseil des ministres allègue qu’il ressort de l’article 6, § 1er, VII, alinéa 1er, a), et alinéa 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980 que l’autorité fédérale est compétente, à l’exclusion des régions, pour régler les activités du gestionnaire du réseau de transmission et du gestionnaire du réseau de transport. Le pouvoir de déterminer la gestion du réseau de transmission et du réseau de transport englobe également le pouvoir de déterminer comment cette gestion doit être assurée. La détermination des activités du gestionnaire du réseau de transmission et du gestionnaire du réseau de transport occupe une place centrale dans la gestion du réseau de transmission et du réseau de transport pour laquelle l’autorité fédérale est compétente. Le Conseil des ministres souligne que l’autorité fédérale a elle-même également transposé l’article 40 de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 « concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (refonte) » (ci-après : la directive (UE) 2019/944). À cette fin, elle a inscrit les missions du gestionnaire du réseau de transmission et du gestionnaire du réseau de transport à l’article 8 de la loi du 29 avril 1999 « relative à l’organisation du marché de l’électricité » (ci-après : la loi du 29 avril 1999) ainsi qu’à l’article 15/1 de la loi du 12 avril 1965 « relative au transport de produits gazeux et autres par canalisations ».
A.4.3. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres allègue que les activités réglées par les articles 5 et 6 du décret du 14 juillet 2023 sont définies de manière tellement large qu’elles ne peuvent être réputées toutes relever des compétences régionales en matière de nouvelles sources d’énergie et d’utilisation rationnelle de l’énergie.
C’est ainsi que l’« activité de gestion du réseau et des données », à laquelle les travaux préparatoires du décret du 14 juillet 2023 font référence, est intimement liée à la compétence fédérale en matière de « gestion » du réseau de transmission et du réseau de transport. Le même constat vaut pour les « sous-activités, accessoires ou modalités des activités de gestion du réseau et des données », qui sont en effet de même nature et ont le même objet que l’activité de gestion du réseau et des données en tant que telle. En ce qui concerne les « activités permises par une lex specialis de droit européen », le Conseil des ministres observe que les activités relevant de cette catégorie ne peuvent pas toutes être considérées comme des activités relevant des compétences régionales. Enfin, les deux catégories restantes d’activités mentionnées dans les travaux préparatoires du décret du 14 juillet 2023, à savoir « les obligations générales applicables à tous types d’entreprises d’électricité et de gaz naturel, y compris les gestionnaires de réseau » et les « obligations de service public », sont définies de manière tellement large qu’il est évident qu’elles excèdent les compétences régionales. Ainsi, la protection des clients vulnérables ne saurait en tout état de cause relever de la première catégorie, dès lors qu’en vertu de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 4, 2°, de la loi spéciale du 8 août 1980, l’autorité fédérale est compétente pour la protection des consommateurs. En ce qui concerne la seconde catégorie, le Conseil des ministres renvoie à l’article 21 de la loi du 29 avril 1999, qui habilite le Roi à imposer des obligations de service public au gestionnaire du réseau de transmission.
La circonstance que les exemples précités issus des travaux préparatoires du décret du 14 juillet 2023 font partie du commentaire relatif à l’article 4 de ce décret n’est pas pertinente selon le Conseil des ministres, dès lors qu’il ressort de ces travaux préparatoires que le législateur décrétal a voulu conférer aux dispositions attaquées la même portée que celle de l’article 4. Il n’est pas non plus pertinent que ces exemples concernent la question de savoir si une évaluation de la nécessité de l’activité par le régulateur flamand du marché de l’électricité et du gaz (ci-après : le VREG) est requise ou non, étant donné qu’il n’en demeure pas moins que le législateur décrétal flamand considère toutes ces catégories comme des activités au sens des dispositions attaquées.
A.4.4. À titre infiniment subsidiaire, le Conseil des ministres allègue que les dispositions de l’article 4.1.8/7, alinéas 2 et 3, du décret sur l’Énergie, tel qu’il a été inséré par l’article 6 du décret du 14 juillet 2023, ne peuvent être considérées comme portant exclusivement sur les activités qui relèvent des compétences régionales. Ces dispositions prévoient en effet expressément que le gestionnaire du réseau de transmission et le gestionnaire du réseau de transport peuvent effectuer des activités « autres » que les « activités régionales » mentionnées à l’alinéa 1er. La circonstance que ces autres activités soient nécessaires du point de vue du droit européen pour effectuer les activités visées à l’alinéa 1er de l’article 4.1.8/7 ne saurait justifier la violation des compétences fédérales.
A.5. Le Gouvernement flamand soutient que le premier moyen, en sa première branche, n’est pas fondé en ce qu’il est dirigé contre l’article 6 du décret du 14 juillet 2023.
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Premièrement, le Gouvernement flamand objecte que cette disposition porte exclusivement sur les activités qui relèvent des compétences régionales. En ce qui concerne l’alinéa 1er de l’article 4.1.8/7, inséré dans le décret sur l’Énergie, cela ressort du texte même de cet article, qui dispose en effet expressément que le gestionnaire du réseau de transmission et le gestionnaire du réseau de transport effectuent les activités qui relèvent des compétences régionales. De même, les alinéas 2 et 3 de l’article précité disposent expressément qu’il doit s’agir d’activités « qui relèvent des compétences régionales ». Il s’ensuit que l’article 4.1.8/7, alinéas 2 et 3, du décret sur l’Énergie ne porte pas sur la gestion du réseau de transmission et du réseau de transport. Enfin, l’article 4.1.8/7, alinéa 4, inséré, du même décret habilite le Gouvernement flamand à déterminer les « activités telles que visées aux alinéas 2 et 3 », de sorte que cette disposition ne permet pas non plus que soient déterminées des activités qui ne relèvent pas des compétences régionales.
Deuxièmement, le Gouvernement flamand estime que le Conseil des ministres considère à tort que l’autorité fédérale est seule compétente en ce qui concerne le gestionnaire du réseau de transmission et le gestionnaire du réseau de transport. Il ressort tant de la jurisprudence de la Cour que de la légisprudence de la section de législation du Conseil d’État que les régions sont compétentes pour imposer, dans les matières relevant de leurs compétences, des obligations au gestionnaire du réseau de transmission et au gestionnaire du réseau de transport. Selon le Gouvernement flamand, il n’est pas correct d’affirmer que toute activité imposée aux gestionnaires reviendrait par définition à réglementer la gestion du réseau de transmission et du réseau de transport. À cet égard, le Gouvernement flamand renvoie aux dispositions du décret sur l’Énergie relatives aux certificats verts et aux certificats de cogénération. Il souligne d’ailleurs que le Conseil des ministres n’énumère aucune activité qui relève de la compétence de l’autorité fédérale.
Troisièmement, le Gouvernement flamand observe que les activités que le Conseil des ministres cite à partir des travaux préparatoires du décret du 14 juillet 2023 ne portent pas sur les articles 5 et 6, attaqués, du même décret, mais plutôt sur son article 4, lequel s’applique uniquement aux gestionnaires de réseau de distribution et au gestionnaire du réseau de transport local d’électricité et leur société d’exploitation. Par ailleurs, ces activités n’ont aucun lien avec la distinction faite entre les compétences fédérales et régionales, mais plutôt avec la distinction faite entre les activités des gestionnaires de réseau de distribution et du gestionnaire du réseau de transport local d’électricité selon qu’une évaluation de la nécessité de ces activités est requise ou non par le VREG.
En ce qui concerne l’accomplissement des trois activités citées par le Conseil des ministres, une telle évaluation de la nécessité n’est pas requise.
Le premier moyen, en sa seconde branche
A.6. Le Conseil des ministres allègue que l’habilitation accordée au Gouvernement flamand, telle qu’elle a été insérée dans l’article 7.5.1, alinéa 1er, du décret sur l’Énergie par l’article 8 du décret du 14 juillet 2023, d’imposer au gestionnaire du réseau de transmission et au gestionnaire du réseau de transport des obligations de service public en matière de programmes visant à promouvoir l’utilisation rationnelle de l’énergie et de sources d’énergie renouvelable, des exigences minimales en matière d’utilisation rationnelle de l’énergie auprès de leurs clients et des investissements dans des installations de cogénération qualitative, des installations pour la production d’électricité écologique, des certificats d’électricité écologique ou des certificats de cogénération empiète sur la compétence fédérale en matière de gestion du réseau de transmission et du réseau de transport. L’imposition d’obligations de service public au gestionnaire du réseau de transmission et au gestionnaire du réseau de transport est intimement liée à la gestion du réseau de transmission et du réseau de transport. Le renvoi, dans les travaux préparatoires du décret du 14 juillet 2023, à l’arrêt de la Cour n° 98/2013 du 9 juillet 2013
(ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.098) n’est pas pertinent, dès lors que, depuis cet arrêt, le gestionnaire du réseau de transmission et le gestionnaire du réseau de transport opèrent dans des circonstances qui ont connu de profondes modifications. D’une part, la transition énergétique et climatique a incité le législateur européen et le législateur belge à adapter les missions du gestionnaire du réseau de transmission. D’autre part, et c’est une conséquence de cette transition, le curseur relatif aux obligations de service public n’est plus mis, au sein du droit de l’Union européenne, sur la garantie du système énergétique, mais sur la promotion de l’énergie renouvelable et de l’utilisation rationnelle de l’énergie, qui figurent désormais parmi les aspects essentiels de la gestion du réseau de transmission et du réseau de transport. En juger autrement aboutirait à une situation impraticable dans laquelle un seul et même gestionnaire du réseau de transmission se verrait imposer différentes obligations de service public selon la région dans laquelle les différentes parties du réseau de transmission sont situées.
A.7. Selon le Gouvernement flamand, le premier moyen, en sa seconde branche, n’est pas fondé. Les régions ont le pouvoir, dans les limites de leurs compétences, d’imposer des obligations de service public au gestionnaire
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du réseau de transmission et au gestionnaire du réseau de transport. L’imposition d’obligations de service public à ces deux gestionnaires ne revient pas à réglementer la gestion de ces réseaux. Le Gouvernement flamand conteste la thèse du Conseil des ministres selon laquelle le curseur relatif aux obligations de service public au sein du droit de l’Union européenne aurait été modifié. Les dispositions de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 « concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE » (troisième directive sur l’électricité) et de la directive (UE) 2019/944
(quatrième directive sur l’électricité) sont similaires en ce qui concerne les obligations de service public. De même, il ne saurait être considéré que les circonstances ont changé depuis l’arrêt de la Cour n° 98/2013, précité. De nouvelles circonstances ne pourraient d’ailleurs pas limiter les compétences régionales en matière d’utilisation rationnelle de l’énergie et de protection de l’environnement et du climat. Enfin, le Gouvernement flamand estime que différentes obligations de service public s’appliquent depuis des années déjà dans les différentes régions et dans les espaces marins en mer du Nord, sans que cela soit impraticable. Une telle situation est, au demeurant, inhérente à la répartition des compétences.
En ce qui concerne le second moyen
A.8. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres prend un second moyen de la violation, par les articles 5, 6
et 8 du décret du 14 juillet 2023, de l’article 6, § 3, 3°, et § 8, de la loi spéciale du 8 août 1980, du principe de proportionnalité et du principe de la loyauté fédérale, consacré par l’article 143, § 1er, de la Constitution.
L’article 6, § 3, 3°, de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose qu’une concertation doit avoir lieu entre les gouvernements concernés et l’autorité fédérale sur les règles concernant les grands axes de la politique énergétique nationale. Le Conseil des ministres souligne qu’il ressort tant de la jurisprudence que de la légisprudence de la section de législation du Conseil d’État qu’une réglementation qui, comme la réglementation attaquée, a une incidence structurelle sur la gestion du réseau de transport et du réseau de transmission relève de cette obligation de concertation. Or, la réglementation attaquée n’a pas fait l’objet d’une concertation préalable avec l’autorité fédérale.
A.9. Le Gouvernement flamand conteste que les articles 5, 6 et 8 du décret du 14 juillet 2023 relèvent des grands axes de la politique énergétique nationale visés à l’article 6, § 3, 3°, de la loi spéciale du 8 août 1980.
Premièrement, la réglementation attaquée est une réglementation régionale et non une réglementation nationale.
Deuxièmement, même sur le plan du contenu, les articles attaqués ne présentent aucun lien avec les grands axes de la politique énergétique nationale. C’est ainsi que l’article 5, attaqué, n’a pas de contenu normatif.
L’article 4.1.8/7, alinéa 1er, du décret sur l’Énergie, tel qu’il a été inséré par l’article 6, attaqué, n’est qu’une simple confirmation d’un certain nombre de prescriptions existantes dans le décret sur l’Énergie et ses arrêtés d’exécution.
Les alinéas 2, 3 et 4 de l’article 4.1.8/7, insérés également, ne concernent pas le réseau de transmission et le réseau de transport et n’imposent pas d’activités aux gestionnaires de ces réseaux. L’article 7.5.1, alinéa 1er, du décret sur l’Énergie, tel qu’il a été inséré par l’article 8, attaqué, se limite à habiliter le Gouvernement flamand à imposer aux gestionnaires de réseau des obligations de service public dans quatre domaines spécifiques qui relèvent des compétences régionales en matière de sources nouvelles d’énergie, d’utilisation rationnelle de l’énergie et de protection de l’environnement et du climat.
Quant à la violation du principe de proportionnalité et du principe de la loyauté fédérale qu’allègue le Conseil des ministres, le Gouvernement flamand objecte que ce n’est en réalité pas sur les dispositions décrétales attaquées que le Conseil des ministres étaie cette violation, mais sur les activités et les obligations de service public que les gestionnaires de réseau pourraient se voir imposer par le Gouvernement flamand sur la base de ces dispositions. Il appartient au Gouvernement flamand de respecter les règles répartitrices de compétences, le principe de proportionnalité et le principe de la loyauté fédérale lorsqu’il exécute les habilitations qui lui ont été conférées.
-B-
B.1.1. Le Conseil des ministres demande l’annulation des articles 5, 6 et 8 du décret de la Région flamande du 14 juillet 2023 « modifiant le Décret sur l’Énergie du 8 mai 2009 en ce qui
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concerne les activités des gestionnaires de réseau et portant abrogation de l’article 22 du décret du 2 avril 2021 modifiant le décret relatif à l’Énergie du 8 mai 2009 transposant partiellement la Directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018
relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et transposant la Directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019
concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE » (ci-après : le décret du 14 juillet 2023).
B.1.2. Les dispositions attaquées modifient le décret de la Région flamande du 8 mai 2009
« portant les dispositions générales en matière de la politique de l’énergie » (ci-après : le décret sur l’Énergie).
L’article 5 du décret du 14 juillet 2023 ajoute au titre IV, chapitre Ier, section III, du décret sur l’Énergie une sous-section V (« Autres activités du gestionnaire de réseau de transmission et du gestionnaire du réseau de transport »).
L’article 6 du décret du 14 juillet 2023 ajoute à la sous-section V précitée un article 4.1.8/7, qui dispose :
« Le gestionnaire [du] réseau de transmission et le gestionnaire du réseau de transport [exercent] les activités qui relèvent des compétences régionales, visées dans le présent décret et dans les arrêtés d’exécution y afférents.
Le gestionnaire [du] réseau de transmission peut [exercer] des activités autres que celles, visées à l’alinéa 1er, qui relèvent des compétences régionales dans la mesure où celles-ci sont nécessaires pour répondre à ses obligations précitées et à ses obligations en vertu du règlement (UE) 2019/943 et si le VREG a évalué la nécessité d’une telle dérogation.
Le gestionnaire [du] réseau de transport peut [exercer] des activités autres que celles, visées à l’alinéa 1er, qui relèvent des compétences régionales dans la mesure où ces activités sont nécessaires pour répondre à ses obligations précitées et si le VREG a évalué la nécessité d’une telle dérogation.
Sur la base de l’évaluation du VREG, visée aux alinéas 2 et 3, le Gouvernement flamand détermine quelles activités telles que visées aux alinéas 2 et 3 peuvent être [exercées] par le gestionnaire [du] réseau de transmission et le gestionnaire [du] réseau de transport ».
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L’article 8 du décret du 14 juillet 2023 ajoute à l’article 7.5.1, alinéa 1er, du décret sur l’Énergie les termes « au gestionnaire [du] réseau de transmission » et « au gestionnaire [du]
réseau de transport », de sorte que cette dernière disposition dispose désormais :
« Sur avis [du] VREG, le Gouvernement flamand peut imposer des obligations de service public aux fournisseurs, au gestionnaire [du] réseau de transmission, au gestionnaire [du] réseau de transport et aux gestionnaires de réseau en matière de programmes visant à promouvoir l’utilisation rationnelle de l’énergie et de sources d’énergie renouvelables, des exigences minimales en matière [d’]utilisation de l’énergie rationnelle auprès de leurs clients et des investissements dans des installations de cogénération qualitative, des installations pour la production d’électricité écologique, des certificats d’électricité écologique ou des certificats de cogénération ».
B.1.3. En ce qui concerne l’électricité, le « gestionnaire [du] réseau de transmission » est l’« instance désignée comme gestionnaire [du] réseau de transmission conformément à la Loi fédérale sur l’électricité » (article 1.1.3, 125°/1, inséré par l’article 2, 3°, du décret du 14 juillet 2023). Au mot « transmissienet » de la version néerlandaise de la loi du 29 avril 1999 « relative à l’organisation du marché de l’électricité » correspondent les mots « réseau de transport » dans la version française de cette loi.
Le « gestionnaire du réseau de transport » est l’« instance désignée comme gestionnaire du réseau de transport conformément à la loi gaz fédérale » (article 1.1.3, 13°/4, inséré par l’article 2, 1°, du décret du 14 juillet 2023).
Le « VREG » est le régulateur flamand du marché de l’électricité et du gaz (article 3.1.1, § 1er, du décret du 8 mai 2009).
Quant à la recevabilité du premier moyen
B.2.1. La Cour détermine l’objet du recours en annulation à partir du contenu de la requête et, en particulier, en tenant compte de l’exposé des moyens. La Cour limite son examen aux dispositions contre lesquelles des griefs sont effectivement dirigés.
B.2.2. Comme il est dit en B.1.2, l’article 5 du décret du 14 juillet 2023 se limite à ajouter la dénomination d’une nouvelle sous-section au décret sur l’Énergie.
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Dès lors que l’article 4.1.8/7 du décret sur l’Énergie, tel qu’il a été inséré par l’article 6, également attaqué par le Conseil des ministres, du décret du 14 juillet 2023, est le seul article figurant dans la sous-section insérée par l’article 5 de ce décret, cette dernière disposition est indissociablement liée à l’article 6 du décret du 14 juillet 2023.
B.2.3. L’exception est rejetée.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
L’article 8 du décret du 14 juillet 2023 (le premier moyen, en sa seconde branche)
B.3. Dans le premier moyen, en sa seconde branche, le Conseil des ministres allègue la violation, par l’article 8 du décret du 14 juillet 2023, de l’article 6, § 1er, VII, alinéa 1er, a), et alinéa 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980), en ce que cette disposition impose des obligations de service public au gestionnaire du réseau de transmission et au gestionnaire du réseau de transport de gaz naturel, désignés en application de la législation fédérale.
B.4. Comme il est dit en B.1.2, l’article 8 du décret du 14 juillet 2023 ajoute à l’article 7.5.1, alinéa 1er, du décret sur l’Énergie les termes « au gestionnaire [du] réseau de transmission » et « au gestionnaire [du] réseau de transport », de sorte que, dorénavant, ce n’est plus seulement aux fournisseurs, au gestionnaire du réseau de distribution d’électricité, au gestionnaire du réseau de distribution de gaz naturel et au gestionnaire du réseau de transport local d’électricité, mais également au gestionnaire du réseau de transmission et au gestionnaire du réseau de transport de gaz naturel, désignés en application de la législation fédérale, que le Gouvernement flamand peut imposer des obligations de service public en matière de programmes visant à promouvoir l’utilisation rationnelle de l’énergie et de sources d’énergie renouvelable, des exigences minimales en matière d’utilisation rationnelle de l’énergie auprès
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de leurs clients et des investissements dans des installations de cogénération qualitative, des installations pour la production d’électricité écologique, des certificats d’électricité écologique ou des certificats de cogénération.
B.5. Au sujet de l’article 8, les travaux préparatoires du décret du 14 juillet 2023
mentionnent :
« L’article 7.5.1, alinéa 1er, du décret sur l’Énergie dispose aujourd’hui que le Gouvernement flamand peut, après avis du VREG, imposer aux fournisseurs et aux gestionnaires de réseau des obligations de service public en matière de programmes visant à promouvoir l’utilisation rationnelle de l’énergie et de sources d’énergie renouvelable, des exigences minimales en matière d’utilisation rationnelle de l’énergie auprès de leurs clients et des investissements dans des installations de cogénération qualitative, des installations pour la production d’électricité écologique, des certificats d’électricité écologique ou des certificats de cogénération.
Dans cette liste, il manque cependant le gestionnaire du réseau de transmission (Elia) ainsi que le gestionnaire du réseau de transport (Fluxys), de sorte que le Gouvernement flamand n’a aujourd’hui pas la possibilité d’imposer à ces personnes morales une des obligations de service public écologiques précitées. Conformément à l’article 6, § 1er, VII, alinéa 1er, f) et h), de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, ce sont toutefois les régions qui sont exclusivement compétentes pour les sources nouvelles d’énergie et l’utilisation rationnelle de l’énergie sur terre. [...]
[...]
Pour ces motifs, il est proposé d’ajouter le gestionnaire du réseau de transmission et le gestionnaire du réseau de transport à la liste des acteurs du marché auxquels de telles obligations de service public écologiques peuvent être imposées par le Gouvernement flamand. Il est évident que ce dernier doit interpréter et appliquer cette disposition dans les limites de la compétence territoriale de la région : étant donné que la Région flamande s’arrête à la laisse de basse mer, cette compétence est donc limitée à la terre ferme. À la lumière des compétences résiduelles, l’autorité fédérale demeure compétente pour les espaces marins en ce qui concerne les sources nouvelles d’énergie et l’utilisation rationnelle de l’énergie » (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1753/1, pp. 9-11).
B.6.1. En vertu de l’article 6, § 1er, VII, alinéa 1er, a), b), f) et h), de la loi spéciale du 8 août 1980, les régions sont compétentes pour :
« En ce qui concerne la politique de l’énergie :
Les aspects régionaux de l’énergie, et en tout cas :
a) La distribution et le transport local d’électricité au moyen de réseaux dont la tension nominale est inférieure ou égale à 70 000 volts, y compris les tarifs des réseaux de distribution
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d’électricité, à l’exception des tarifs des réseaux ayant une fonction de transport et qui sont opérés par le même gestionnaire que le réseau de transport;
b) La distribution publique du gaz, y compris les tarifs des réseaux de distribution publique du gaz, à l’exception des tarifs des réseaux qui remplissent aussi une fonction de transport du gaz naturel et qui sont opérés par le même gestionnaire que le réseau de transport du gaz naturel;
[...]
f) Les sources nouvelles d’énergie à l’exception de celles liées à l’énergie nucléaire;
[...]
h) L’utilisation rationnelle de l’énergie ».
B.6.2. L’article 6, § 1er, VII, alinéa 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980 réserve toutefois à l’autorité fédérale les compétences concernant les matières « dont l’indivisibilité technique et économique requiert une mise en œuvre homogène sur le plan national, à savoir : [...] Les grandes infrastructures de stockage; le transport et la production de l’énergie ». Les travaux préparatoires de l’article 6, § 1er, VII, alinéa 2, c), précité (Doc. parl., Chambre, S.E. 1988, n 516/6, pp. 143 à 145), font apparaître que le législateur spécial a conçu cette réserve de compétence pour permettre à l’autorité fédérale de continuer soit à prendre part à la gestion des entreprises et organismes actifs dans les secteurs concernés, soit à exercer un contrôle dans la production, le stockage et le transport d’énergie et à intervenir en la matière dans l’intérêt de l’approvisionnement du pays en énergie.
L’autorité fédérale est par ailleurs également exclusivement compétente pour la politique de l’énergie dans les espaces marins situés en dehors de la sphère de compétence territoriale des régions.
B.6.3. En transférant aux régions la compétence relative aux aspects régionaux de l’énergie, le Constituant et le législateur spécial ont attribué à celles-ci toute la compétence d’édicter les règles propres à cette matière, et ce, sans préjudice de leur recours, au besoin, à l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980.
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B.6.4. Concernant l’articulation entre les compétences attribuées aux régions et celles qui sont réservées à l’autorité fédérale, les travaux préparatoires de la loi spéciale du 8 août 1988
modifiant la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles exposent :
« Concernant la politique de l’énergie, les Régions sont compétentes pour les aspects régionaux de la politique de l’énergie et, en tout cas, pour les matières énumérées au premier alinéa de l’article 6, § 1er, VII, à la seule exception des matières dont l’indivisibilité technique et économique [requiert] une mise en œuvre homogène sur le plan national, matières limitativement et exhaustivement énumérées après les mots ‘ à savoir :’. L’autorité nationale est compétente pour les exceptions précitées, ainsi que pour les aspects non régionaux de la politique de l’énergie » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n° 405/2, p. 111).
B.6.5. Le législateur spécial a donc conçu la politique de l’énergie comme une compétence exclusive partagée, dans le cadre de laquelle la distribution de gaz et la distribution et le transport local d’électricité (au moyen de réseaux dont la tension nominale est inférieure ou égale à 70 000 volts) sont confiés aux régions, tandis que le transport (non local) de l’énergie continue à relever de la compétence du législateur fédéral.
B.6.6. Enfin, en vertu de l’article 6, § 1er, II, alinéa 1er, 1°, de la même loi spéciale, la protection de l’environnement relève en principe de la compétence des régions. Ce fondement de compétence comprend la protection du climat.
B.7.1. Il résulte de ce qui précède que, sauf les exceptions mentionnées expressément, le législateur spécial a attribué aux régions la compétence exclusive en matière de protection de l’environnement, des sources nouvelles d’énergie et de l’utilisation rationnelle de l’énergie. Il appartient dès lors aux régions d’imposer, dans ces matières, des obligations à tous les acteurs concernés du marché de l’énergie, y compris au gestionnaire du réseau de transmission et au gestionnaire du réseau de transport de gaz naturel.
B.7.2. Par conséquent, le législateur décrétal est compétent pour habiliter le Gouvernement flamand à imposer au gestionnaire du réseau de transmission et au gestionnaire du réseau de transport de gaz naturel des obligations de service public en matière de programmes visant à promouvoir l’utilisation rationnelle de l’énergie et de sources d’énergie renouvelable, des exigences minimales en matière d’utilisation rationnelle de l’énergie auprès de leurs clients et des investissements dans des installations de cogénération qualitative, des
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installations pour la production d’électricité écologique, des certificats d’électricité écologique ou des certificats de cogénération.
La compétence fédérale de régler les matières mentionnées à l’article 6, § 1er, VII, alinéa 1er, a), et alinéa 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980 ne peut, compte tenu de l’article 6, § 1er, II, alinéa 1er, 1°, et VII, alinéa 1er, f) et h), de la loi spéciale du 8 août 1980, être interprétée en ce sens qu’elle comprend également la compétence d’imposer au gestionnaire du réseau de transmission et au gestionnaire du réseau de transport de gaz naturel des obligations liées aux sources nouvelles d’énergie, à l’utilisation rationnelle de l’énergie et à la protection de l’environnement. Le Conseil des ministres ne démontre pas non plus que les obligations visées à l’article 8 du décret du 14 juillet 2023 sont nécessaires pour que le législateur fédéral puisse exercer sa compétence réservée en matière de transport de l’énergie.
B.7.3. Pour le surplus, il revient au Gouvernement flamand, sous le contrôle du juge compétent, de faire usage de l’habilitation qui lui est conférée par l’article 8 du décret du 14 juillet 2023 dans le respect des limites de cette habilitation ainsi que des règles répartitrices de compétences, y compris le principe de la loyauté fédérale, selon lequel il est tenu de veiller à ne pas rendre impossible ou exagérément difficile l’exercice des compétences fédérales.
B.8. Le premier moyen, en sa seconde branche, n’est pas fondé.
Les articles 5 et 6 du décret du 14 juillet 2023 (le premier moyen, en sa première branche)
B.9. Dans le premier moyen, en sa première branche, le Conseil des ministres allègue la violation, par les articles 5 et 6 du décret du 14 juillet 2023, de l’article 6, § 1er, VII, alinéa 1er, a), et alinéa 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980, en ce que ces dispositions autorisent le gestionnaire du réseau de transmission et le gestionnaire du réseau de transport de gaz naturel à exercer des activités qui ne relèvent pas, ou pas exclusivement, des compétences régionales.
B.10.1. L’article 4.1.8/7 du décret sur l’Énergie, tel qu’il a été inséré par l’article 6 du décret du 14 juillet 2023, contient trois règles. L’alinéa 1er enjoint au gestionnaire du réseau de
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transmission et au gestionnaire du réseau de transport de gaz naturel d’exercer les activités qui relèvent des compétences régionales, visées dans le décret sur l’Énergie et dans les arrêtés d’exécution y afférents. En vertu des alinéas 2 et 3, le gestionnaire du réseau de transmission et le gestionnaire du réseau de transport de gaz naturel peuvent, respectivement, exercer des activités autres que celles, visées à l’alinéa 1er, qui relèvent des compétences régionales dans la mesure où celles-ci sont nécessaires pour répondre à leurs obligations et si le VREG a évalué la nécessité d’une telle dérogation. L’alinéa 4 habilite le Gouvernement flamand à déterminer, sur la base de l’évaluation du VREG, visée aux alinéas 2 et 3, les « activités autres » que le gestionnaire du réseau de transmission et le gestionnaire du réseau de transport peuvent exercer.
B.10.2. Au sujet des articles 5 et 6 du décret du 14 juillet 2023, les travaux préparatoires de ce décret mentionnent :
« Tout comme l’article 31, paragraphe 10, première phrase, de la quatrième directive sur l’électricité dispose que les États membres de l’UE peuvent, sous certaines conditions, autoriser les gestionnaires de réseau de distribution à exercer des activités autres que celles prévues par la quatrième directive sur l’électricité ou par le règlement 2019/943 (voir ci-dessus), l’article 40, paragraphe 8, contient une condition comparable en ce qui concerne le gestionnaire du réseau de transport.
Dès lors que la fixation des missions relatives aux sources nouvelles d’énergie (à l’exception de l’énergie nucléaire) et à l’utilisation rationnelle de l’énergie sur terre constitue une compétence régionale exclusive (voir ci-après), il revient à la région de transposer cette disposition pour ces matières spécifiques. Il est en effet impossible de justifier sur le plan de la répartition des compétences que l’autorité fédérale ou le régulateur fédéral (la Commission de régulation de l’électricité et du gaz, la ‘ CREG ’) puissent ainsi en quelque sorte exercer un droit de veto quant à la mise en œuvre des compétences régionales en matière de sources nouvelles d’énergie et d’utilisation rationnelle de l’énergie.
Pour ces motifs, le décret sur l’Énergie du 8 mai 2009 se voit adjoindre, sur le modèle de l’article 4.1.8/6 et avec une même portée, une nouvelle sous-section V, constituée de l’article 4.1.8/7, qui règle également cette question pour le gestionnaire du réseau de transmission (Elia) ainsi que, par analogie en ce qui concerne le gaz naturel, pour le gestionnaire du réseau de transport (Fluxys). La différence tient en ceci qu’un règlement spécifique (le règlement (UE) 2019/944) s’applique également à l’électricité, alors qu’il n’existe pour l’heure aucun règlement similaire pour le gaz naturel. Cela explique pourquoi le libellé de l’alinéa 2
(gestionnaire du réseau de transmission) et le libellé de l’alinéa 3 (gestionnaire du réseau de transport) diffèrent quelque peu.
Cela revient à dire que le gestionnaire du réseau de transmission et le gestionnaire du réseau de transport peuvent également exercer d’autres activités relevant des compétences régionales que les activités visées à l’alinéa 1er, mais qu’ils ne le peuvent que pour autant que ces activités
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soient nécessaires pour satisfaire à leurs obligations précitées et si le VREG a évalué la nécessité d’une telle dérogation » (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1753/1, pp. 8-9).
B.11.1. Par conséquent, l’article 6 vise, en ce qui concerne les activités du gestionnaire du réseau de transmission, à transposer l’article 40, paragraphe 8, de la directive (UE) 2019/944
du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 « concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (refonte) » (ci-après : la directive (UE) 2019/944), qui dispose :
« Les États membres ou leurs autorités compétentes désignées peuvent autoriser les gestionnaires de réseau de transport à exercer des activités autres que celles prévues par la présente directive et par le règlement (UE) 2019/943 lorsque ces activités sont nécessaires aux gestionnaires de réseau de transport pour qu’ils s’acquittent de leurs obligations prévues dans la présente directive ou dans le règlement (UE) 2019/943, à condition que l’autorité de régulation ait conclu qu’une telle dérogation est nécessaire. Le présent paragraphe est sans préjudice du droit des gestionnaires de réseau de transport d’être propriétaires de réseaux autres que les réseaux d’électricité, de les développer, de les gérer ou de les exploiter, lorsque l’État membre ou l’autorité compétente désignée a accordé un tel droit ».
B.11.2. Comme il est dit dans les travaux préparatoires cités en B.10.2, l’article 31, paragraphe 10, de la directive (UE) 2019/944 contient une disposition comparable à l’égard des gestionnaires de réseau de distribution et du gestionnaire du réseau de transport local d’électricité.
B.11.3. L’article 31, paragraphe 10, première phrase, et l’article 40, paragraphe 8, première phrase, de la directive (UE) 2019/944 visent à limiter les activités potentielles des gestionnaires de réseau qui ne sont pas prévues par la directive précitée ou par le règlement (UE) 2019/943 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 « sur le marché intérieur de l’électricité (refonte) » et qui ne relèvent donc pas du domaine de l’électricité, et ils procèdent, ce faisant, à une « dissociation horizontale » des activités des gestionnaires de réseau (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1753/1, p. 5). Outre leurs activités principales en exécution de la directive et du règlement précités, les gestionnaires de réseau ne peuvent exercer que les activités qui sont nécessaires pour remplir leurs obligations relatives à ces activités principales et à condition que la nécessité en ait été évaluée par le régulateur.
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B.11.4. Ainsi qu’il ressort du B.1.2, l’article 6 du décret du 14 juillet 2023 s’applique également au gestionnaire du réseau de transport du gaz naturel. En ce qui concerne le transport du gaz naturel, le droit de l’Union n’impose aujourd’hui aucune obligation comparable de dissociation horizontale.
B.12.1. Comme il est dit en B.7.1, la protection de l’environnement, la promotion des sources d’énergie renouvelable et l’utilisation rationnelle de l’énergie relèvent des compétences des régions, et ces dernières peuvent imposer au gestionnaire du réseau de transport d’électricité et au gestionnaire du réseau de transport de gaz naturel des obligations dans ces matières.
B.12.2. Il s’ensuit que les régions doivent a fortiori être considérées comme compétentes pour adopter une disposition telle que l’article 6 du décret du 14 juillet 2023, puisque sa portée est moins large.
En effet, comme il est dit en B.10.1, les alinéas 1er, 2 et 3 de l’article 4.1.8/7 du décret sur l’Énergie n’imposent pas en soi des activités ou obligations au gestionnaire du réseau de transmission et au gestionnaire du réseau de transport de gaz naturel, mais ils se bornent à faire une distinction, au sein des activités « qui relèvent des compétences régionales », entre, d’une part, les activités qui ont été attribuées par le décret sur l’Énergie et par les arrêtés d’exécution y afférents au gestionnaire du réseau de transmission et au gestionnaire du réseau de transport de gaz naturel, lesquelles constituent les activités principales, pour lesquelles n’est requise aucune évaluation de nécessité de la part du VREG, et, d’autre part, les autres activités, pour lesquelles une telle évaluation est requise. Bien que ces dispositions ne modifient donc pas la répartition des compétences, elles soulignent une fois de plus expressément que la répartition des activités du gestionnaire du réseau de transmission et du gestionnaire du réseau de transport de gaz naturel ne porte que sur les activités qui relèvent des compétences régionales.
L’énumération des activités dans les travaux préparatoires du décret du 14 juillet 2023
(ibid., pp. 5-8) que le Conseil des ministres cite dans sa requête ne conduit pas une autre conclusion. Cette énumération, qui n’a d’ailleurs pas été reprise dans le libellé du décret du 14 juillet 2023, ne concerne pas les articles 5 et 6 de ce décret, mais son article 4, non attaqué par le Conseil des ministres, qui s’applique uniquement aux gestionnaires de réseau de distribution et au gestionnaire du réseau de transport local d’électricité ainsi qu’à leur société
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d’exploitation, qui, en vertu de l’article 6, § 1er, VII, alinéa 1er, a), de la loi spéciale du 8 août 1980, relèvent de la compétence des régions. Qui plus est, cette énumération ne s’inscrit pas dans une attribution d’activités, mais, par analogie avec l’article 6 du décret du 14 juillet 2023, dans une distinction entre les activités principales et les autres activités dans le cadre de la « dissociation horizontale » des activités des gestionnaires de réseau visée par le législateur décrétal.
B.12.3. En ce que l’alinéa 4 de l’article 4.1.8/7 du décret sur l’Énergie habilite le Gouvernement flamand à déterminer les « activités autres » que le gestionnaire du réseau de transmission et le gestionnaire du réseau de transport de gaz naturel peuvent exercer, cette disposition peut certes donner lieu à une attribution matérielle d’activités au gestionnaire du réseau de transmission et au gestionnaire du réseau de transport de gaz naturel, mais, en renvoyant aux « activités telles que visées aux alinéas 2 et 3 », cette disposition indique également explicitement qu’il doit s’agir d’activités pouvant relever des compétences régionales. De surcroît, ces autres activités doivent être nécessaires pour exercer les activités prévues dans le décret sur l’Énergie et dans les arrêtés d’exécution y afférents, ce qui limite donc la portée de ces activités et leur effet éventuel sur les compétences fédérales. En tout état de cause, il revient au Gouvernement flamand, sous le contrôle du juge compétent, de faire usage de l’habilitation qui lui est conférée par l’article 4.1.8/7 du décret sur l’Énergie dans le respect des limites de cette habilitation ainsi que des règles répartitrices de compétences, y compris le principe de proportionnalité.
B.13. Il découle de ce qui précède que les articles 5 et 6 du décret du 14 juillet 2023
doivent être exclusivement considérés comme résultant de l’exercice des compétences régionales en matière de protection de l’environnement, de promotion des sources d’énergie renouvelable et d’utilisation rationnelle de l’énergie, mentionnées à l’article 6, § 1er, II, alinéa 1er, 1°, et VII, alinéa 1er, f) et h), de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.14. Le premier moyen, en sa première branche, n’est pas fondé.
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En ce qui concerne le second moyen
B.15. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres prend un second moyen de la violation, par les articles 5, 6 et 8 du décret du 14 juillet 2023, de l’article 6, § 3, 3°, et § 8, de la loi spéciale du 8 août 1980, du principe de proportionnalité et du principe de la loyauté fédérale, consacré par l’article 143, § 1er, de la Constitution, en ce que les dispositions attaquées n’ont pas fait l’objet d’une concertation préalable avec l’autorité fédérale.
B.16.1. L’article 6, § 3, 3°, de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose :
« Une concertation associant les Gouvernements concernés et l’autorité fédérale compétente aura lieu :
[...]
3° sur les grands axes de la politique énergétique nationale ».
L’article 6, § 8, de la même loi dispose :
« Si une proposition [...] de décret [...] concerne une matière visée aux §§ 2, 2bis, 3 [...], la concertation [...] a lieu selon les règles prévues par le règlement [...] du Parlement devant [...]
lequel la proposition [...] de décret [...] est déposée ».
B.16.2. Il ressort de la réponse donnée au premier moyen que les articles 6 et 8 du décret du 14 juillet 2023 règlent des matières régionales.
Ces dispositions législatives ne relèvent donc pas de la « politique énergétique nationale ».
B.16.3. L’article 6, § 3, 3°, et § 8, de la loi spéciale du 8 août 1980 n’est donc pas applicable.
B.17.1. Comme le principe de proportionnalité, l’exigence de loyauté fédérale qui est énoncée à l’article 143, § 1er, de la Constitution oblige chaque législateur à veiller à ce que l’exercice de sa propre compétence ne rende pas impossible ou exagérément difficile l’exercice de leurs compétences par les autres législateurs.
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B.17.2. Le Conseil des ministres ne démontre pas que les dispositions attaquées entravent d’une quelconque manière l’exercice des compétences fédérales.
B.18. Le second moyen n’est pas fondé.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 novembre 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Luc Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 140/2024
Date de la décision : 21/11/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 06/12/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-11-21;140.2024 ?

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