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21/11/2024 | BELGIQUE | N°138/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 21 novembre 2024, 138/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 138/2024
du 21 novembre 2024
Numéro du rôle : 8136
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 318, § 2, de l’ancien Code civil, posée par le tribunal de la famille du Tribunal de première instance de Namur, division de Namur.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffie

r Frank Meersschaut, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délib...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 138/2024
du 21 novembre 2024
Numéro du rôle : 8136
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 318, § 2, de l’ancien Code civil, posée par le tribunal de la famille du Tribunal de première instance de Namur, division de Namur.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 20 décembre 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 8 janvier 2024, le tribunal de la famille du Tribunal de première instance de Namur, division de Namur, a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 318 § 2 du Code civil viole-t-il ou non les articles 22 et 22 bis de la Constitution belge, combinés ou non avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’il ne permet pas à l’ex-mari de la mère de remettre en cause sa filiation (établie par présomption réfragable) au-delà du délai d’un an prévu légalement lorsqu’il n’a jamais existé aucun doute, et ce sans qu’aucun intérêt concret et effectif soit de nature à justifier une telle ingérence, étant donné que la filiation litigieuse n’a et n’a jamais eu aucune consistance socio-affective (il n’existe aucune possession d’état; la réalité socio-affective est vécue à l’égard d’un autre homme, aujourd’hui décédé; les moyens élevés pour s’opposer à la demande sont particuliers) ? ».
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Sébastien Depré, Me Evrard de Lophem et Me Juliette Van Vyve, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire.
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Par ordonnance du 25 septembre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Magali Plovie et Willem Verrijdt, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins que le Conseil des ministres n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendu, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
M.L. et F.M. se marient le 22 mai 1969. Dès l’année suivante, ils sont séparés de fait et recomposent chacun un couple, respectivement avec M.G. et avec A.H., lesquels formaient également un couple auparavant.
Alors qu’elle est toujours mariée à M.L., F.M. met au monde deux enfants : J.L., en 1971, et E.L., en 1973.
Même si, de notoriété publique, A.H. est le père biologique de ces enfants, la présomption légale de paternité du mari de la mère, prévue à l’article 315 de l’ancien Code civil, n’est pas désactivée ni contestée; le père légal des enfants de F.M. est donc M.L.
Le divorce de M.L. et F.M. est prononcé le 24 avril 1978.
Le 13 avril 2023, M.L. introduit devant le tribunal de la famille du Tribunal de première instance de Namur, division de Namur, une action en contestation de paternité à l’encontre de J.L. et E.L. et de leur mère, F.M. Le tribunal, avant dire droit quant à la recevabilité de cette demande, pose à la Cour, à l’invitation de M.L. mais après reformulation, la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1. Le Conseil des ministres fait valoir que la Cour s’est déjà prononcée, dans l’arrêt n° 46/2013 du 28 mars 2013 (ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.046), sur une question préjudicielle ayant un objet identique. Le Conseil des ministres considère que la Cour n’a aucune raison de s’écarter de sa jurisprudence antérieure, puisque le litige pendant devant la juridiction a quo vise une hypothèse identique à celle qui a conduit à l’arrêt n° 46/2013, précité, à savoir celle d’un ex-mari qui conteste la paternité après l’écoulement du délai prévu d’un an, dans un contexte dans lequel la présomption de paternité ne correspond pas à la réalité socio-affective et dans lequel il n’y a dès lors pas de possession d’état.
A.2.1. Quant au fait, souligné par la juridiction a quo, que l’arrêt de la Cour n° 46/2013, précité, date d’il y a plus de dix ans, le Conseil des ministres souligne que l’article 318, § 2, de l’ancien Code civil n’a connu aucune modification législative depuis lors.
A.2.2. Le Conseil des ministres admet que la Cour a eu à se prononcer sur des questions liées à la filiation et à la contestation de celle-ci dans les dix dernières années. Cependant, les arrêts prononcés par la Cour dans cette matière concernaient soit le délai dans lequel l’enfant peut agir en contestation de paternité en vertu de l’article 318,
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§ 2, de l’ancien Code civil (arrêt n° 18/2016 du 3 février 2016, ECLI:BE:GHCC:2016:ARR.018), soit le délai d’un an prévu à l’article 330, § 1er, alinéa 4, de l’ancien Code civil en ce qui concerne l’action en contestation d’une reconnaissance de filiation, lorsque cette action est introduite par la personne qui revendique la filiation (arrêts nos 139/2013 du 17 octobre 2013, ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.139 et 165/2013 du 5 décembre 2013, ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.165) ou par l’homme qui a reconnu l’enfant et qui découvre qu’il n’est pas le père de l’enfant (arrêt n° 139/2014 du 25 septembre 2014, ECLI:BE:GHCC:2014:ARR.139). Dans sa jurisprudence relative à la contestation d’une reconnaissance de filiation, la Cour souligne que le législateur a entendu aligner les conditions et modalités des deux actions (contestation de paternité, d’une part, et contestation de reconnaissance, d’autre part). Par sa jurisprudence précitée, la Cour confirme également, d’après le Conseil des ministres, que l’asymétrie des actions intentées par l’enfant, d’une part, et par le père (légal ou biologique), d’autre part, n’est pas contraire à la Constitution.
A.3. Selon le Conseil des ministres, ce qui précède confirme que l’article 318, § 2, de l’ancien Code civil est compatible avec les articles 22 et 22bis de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’il prévoit que l’action en contestation de la présomption de paternité du mari de la mère doit être intentée dans l’année de la découverte du fait qu’il n’est pas le père de l’enfant.
-B-
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1. L’article 315 de l’ancien Code civil établit la présomption légale de paternité du mari de la mère d’un enfant. Cette disposition prévoit que l’enfant né pendant le mariage ou dans les 300 jours qui suivent la dissolution ou l’annulation du mariage a pour père le mari.
B.2.1. La présomption légale de paternité n’est pas irréfragable et elle peut donc être contestée, selon les modalités prévues à l’article 318 de l’ancien Code civil.
Aux termes du paragraphe 1er de cette disposition, l’action en contestation de la présomption de paternité est ouverte à la mère, à l’enfant, à l’homme à l’égard duquel la filiation est établie, à l’homme qui revendique la paternité de l’enfant et à la femme qui revendique la comaternité de l’enfant.
B.2.2. L’article 318, § 2, de l’ancien Code civil fixe le délai dans lequel les titulaires de l’action en contestation de la présomption de paternité doivent intenter ladite action. Il dispose :
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« L’action de la mère doit être intentée dans l’année de la naissance. L’action du mari doit être intentée dans l’année de la découverte du fait qu’il n’est pas le père de l’enfant, celle de celui qui revendique la paternité de l’enfant doit être intentée dans l’année de la découverte qu’il est le père de l’enfant et celle de l’enfant doit être intentée au plus tôt le jour où il a atteint l’âge de douze ans et au plus tard le jour où il atteint l’âge de vingt-deux ans ou dans l’année de la découverte du fait que le mari n’est pas son père. L’action de la femme qui revendique la comaternité doit être intentée dans l’année de la découverte du fait qu’elle a consenti à la conception, conformément à l’article 7 de la loi du 6 juillet 2007 relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes, et que la conception peut en être la conséquence.
[…] ».
B.3. La loi du 31 mars 1987 « modifiant diverses dispositions légales relatives à la filiation » (ci-après : la loi du 31 mars 1987) a, comme son intitulé l’indique, modifié diverses dispositions légales relatives à la filiation.
Selon l’exposé des motifs de la loi du 31 mars 1987, un des objectifs de celle-ci était de « cerner le plus près possible la vérité », c’est-à-dire la filiation biologique (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n 305/1, p. 3). En ce qui concerne l’établissement de la filiation paternelle, il a été indiqué que « la volonté de régler l’établissement de la filiation en cernant le plus possible la vérité [devait] avoir pour conséquence d’ouvrir largement les possibilités de contestation »
(ibid., p. 12). Toutefois, il ressort des mêmes travaux préparatoires que le législateur a également entendu prendre en considération et protéger « la paix des familles », en tempérant, si nécessaire à cette fin, la recherche de la vérité biologique (ibid., p. 15). Il a choisi de ne pas s’écarter de l’adage « pater is est quem nuptiae demonstrant » (ibid., p. 11).
B.4.1. À défaut d’un délai spécifique pour l’introduction de l’action en contestation de la présomption de paternité, il fallait appliquer l’article 332 de l’ancien Code civil, qui disposait :
« La paternité établie en vertu de l’article 315 peut être contestée par le mari, par la mère et par l’enfant.
[...]
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L’action de la mère doit être intentée dans l’année de la naissance et celle du mari ou du précédent mari dans l’année de la naissance ou de la découverte de celle-ci.
[...] ».
Pour ce qui est de la fixation du délai, le législateur a estimé que l’intérêt de l’enfant est prioritaire et qu’il est « inadmissible qu’un désaveu de paternité soit encore possible après un certain délai, c’est-à-dire après le moment à partir duquel on peut raisonnablement considérer qu’il y a possession d’état » (Doc. parl., Sénat, 1984-1985, n° 904/2, p. 115).
Bien qu’il n’ait pas voulu totalement empêcher le mari de la mère de contester la paternité, le législateur a ainsi exprimé la volonté de considérer comme prioritaires la sécurité juridique des relations familiales et l’intérêt de l’enfant, et il a par conséquent prévu un délai préfix de déchéance d’un an pour l’introduction de l’action en contestation de la paternité.
B.4.2. Le droit de la filiation a toutefois été profondément réformé par la loi du 1er juillet 2006 « modifiant des dispositions du Code civil relatives à l’établissement de la filiation et aux effets de celle-ci ».
Il ressort des travaux préparatoires de cette loi que le législateur a entendu procéder à une réforme des textes qui ont été censurés par la Cour en la matière et tenir compte de l’évolution sociologique, en rapprochant la filiation dans le mariage et hors mariage :
« La loi de 1987 a pratiquement gommé toutes les différences pour ce qui concerne les effets mais elle a conservé un mécanisme de présomption de paternité du mari qui aboutit à des conséquences choquantes pour ce qui concerne l’établissement de la filiation. […]
La présente proposition a donc également pour objet tout en conservant la présomption de paternité du mari de donner à celle-ci des effets à peu près équivalents à ceux d’une reconnaissance » (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0597/001, p. 5).
« […] Enfin, l’action doit être introduite dans un délai d’un an (à dater de la découverte de la naissance ou de l’année de la découverte du fait par le mari ou l’auteur de la reconnaissance qu’il n’est pas le père de l’enfant) » (Doc. parl., Chambre, 2005-2006, DOC 51-0597/037, p. 5).
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B.4.3. En ce qui concerne les délais, peu de choses ont changé à l’égard du mari ou de l’ex-mari de la mère. En effet, l’article 318, § 2, de l’ancien Code civil dispose que l’action doit être intentée dans l’année de la découverte du fait qu’il n’est pas le père de l’enfant. Par rapport au régime de 1987, dans lequel le mari devait intenter l’action dans l’année de la naissance ou de la découverte de la naissance, seul le point de départ du délai de forclusion a changé.
Quant à ce point de départ du délai de forclusion, il convient de souligner que l’interprétation de la notion de « fait » relève de la compétence du juge du fond, qui a un pouvoir d’appréciation étendu à cet égard, comme la Cour l’a jugé dans l’arrêt n° 46/2013 du 28 mars 2013 (ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.046).
Quant au fond
B.5.1. La question préjudicielle concerne le délai dans lequel le mari de la mère doit introduire son action en contestation de la présomption de paternité aux termes de l’article 318, § 2, de l’ancien Code civil.
B.5.2. La juridiction a quo demande si l’article 318, § 2, de l’ancien Code civil est compatible avec les articles 22 et 22bis de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’il impose au mari de la mère d’agir dans un délai d’un an à partir de la découverte du fait qu’il n’est pas le père biologique de l’enfant, alors qu’il n’a jamais existé le moindre doute à ce sujet et que la filiation litigieuse n’a aucune consistance socio-affective et n’en a jamais eu.
B.5.3. Il ressort des éléments de la cause et de la motivation de la décision de renvoi que le litige soumis à la juridiction a quo porte sur une action intentée par l’ex-époux de la mère des enfants, qui conteste la présomption de paternité, que la présomption de paternité de l’ex-
époux de la mère ne correspond pas à la réalité socio-affective et qu’il n’y a dès lors pas possession d’état, que cette présomption de paternité ne correspond pas à la réalité biologique,
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que la paternité juridiquement établie est contraire à la volonté de l’ex-époux mais qu’elle n’est contestée ni par les enfants ni par la mère et qu’en application de l’article 318, § 2, de l’ancien Code civil, l’action en contestation de la présomption légale de paternité est prescrite dans le chef de tous les titulaires de cette action.
La Cour limite son examen à cette hypothèse.
B.6.1. L’article 22 de la Constitution dispose :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.
La loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent la protection de ce droit ».
L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
B.6.2. Le Constituant a recherché la plus grande concordance possible entre l’article 22 de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).
La portée de cet article 8 est analogue à celle de la disposition constitutionnelle précitée, de sorte que les garanties que fournissent ces deux dispositions forment un tout indissociable.
B.6.3. L’article 22bis de la Constitution dispose :
« Chaque enfant a droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle.
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Chaque enfant a le droit de s’exprimer sur toute question qui le concerne; son opinion est prise en considération, eu égard à son âge et à son discernement.
Chaque enfant a le droit de bénéficier des mesures et services qui concourent à son développement.
Dans toute décision qui le concerne, l’intérêt de l’enfant est pris en considération de manière primordiale.
La loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent ces droits de l’enfant ».
B.7.1. La Cour a déjà examiné la constitutionnalité du délai d’un an prévu à l’article 318, § 2, alinéa 1er, de l’ancien Code civil. Par l’arrêt n° 46/2013, précité, la Cour a dit pour droit que l’article 318, § 2, alinéa 1er, de l’ancien Code civil ne viole pas l’article 22 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que le mari doit intenter l’action en contestation de paternité dans l’année de la découverte du fait qu’il n’est pas le père de l’enfant.
Par cet arrêt, la Cour a jugé :
« B.10.1. Le législateur a pu estimer que l’homme, en se mariant, accepte d’être considéré, en principe, comme le père de tout enfant que sa femme enfantera. Compte tenu des préoccupations du législateur et des valeurs qu’il a voulu concilier, il n’apparaît pas déraisonnable, en principe, qu’il n’ait voulu accorder au mari qu’un court délai pour intenter l’action en contestation de paternité.
B.10.2. Par ailleurs, la fixation d’un délai pour l’introduction d’une action en contestation de paternité peut également être justifiée par la volonté de garantir la sécurité juridique et un caractère définitif des relations familiales.
B.10.3. L’article 318, § 2, [de l’ancien] Code civil dispose que l’action du mari doit être intentée dans l’année de la découverte du fait qu’il n’est pas le père de l’enfant. L’interprétation de la notion de ‘ fait ’ relève de la compétence du juge du fond, qui a, à cet égard, un pouvoir d’appréciation étendu. En effet, conformément à l’article 331octies [de l’ancien] Code civil, les tribunaux peuvent ‘ ordonner, même d’office, l’examen du sang ou tout autre examen selon des méthodes scientifiques éprouvées ’, rien ne les empêchant de considérer comme point de départ du délai d’un an le moment du résultat de cet examen.
B.11. Compte tenu de la marge d’appréciation importante dont dispose le législateur [...]
pour rechercher un juste équilibre entre tous les droits et intérêts en cause et compte tenu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme [...] relative aux délais que celle-ci admet dans certains cas, il convient de souligner également qu’à l’article 318 [de l’ancien]
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Code civil, le législateur prévoit aussi la possibilité pour les enfants d’introduire une demande en désaveu et en recherche de paternité et pour celui qui prétend être le père biologique la faculté d’intenter une action en contestation et en établissement de paternité, dans le respect des conditions mentionnées dans cet article ».
B.7.2. La Cour a également jugé que le délai d’un an à partir de la découverte de sa paternité dans lequel l’homme revendiquant la paternité de l’enfant doit introduire son action en vertu de l’article 318, § 2, alinéa 1er, de l’ancien Code civil ne violait pas les articles 10, 11, 22 et 22bis de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (arrêts nos 16/2014, ECLI:BE:GHCC:2014:ARR.016, 145/2014, ECLI:BE:GHCC:2014:ARR.145, et 87/2016, ECLI:BE:GHCC:2016:ARR.087).
B.8.1. En outre, comme la Cour l’a rappelé dans l’arrêt n° 139/2013 du 17 octobre 2013
(ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.139), le législateur a voulu réaliser un parallélisme maximal entre la procédure de contestation de la présomption de paternité (sur la base de l’article 318, § 2, de l’ancien Code civil) et la procédure de contestation de la reconnaissance de paternité (sur la base de l’article 330, § 1er, alinéa 4, de l’ancien Code civil). Les deux procédures sont ainsi formulées dans des termes comparables dans les dispositions en question, et le législateur a prévu, dans les deux procédures, le même délai d’un an pour intenter l’action.
B.8.2. Par l’arrêt n° 139/2014 du 25 septembre 2014 (ECLI:BE:GHCC:2014:ARR.139), la Cour a dit pour droit que l’article 330, § 1er, alinéa 4, du Code civil ne violait pas les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’il dispose que l’action de celui qui a reconnu l’enfant doit être intentée dans l’année qui suit la découverte du fait qu’il n’est pas le père de l’enfant.
Par cet arrêt, la Cour a jugé :
« B.23.3. La disposition en cause n’instaure pas une fin absolue de non-recevoir à l’action en contestation d’une reconnaissance de paternité, mais fixe un délai pour l’introduction d’une action en contestation de paternité, ce qui se justifie par la volonté de garantir la sécurité juridique et un caractère définitif des relations familiales.
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L’article 330, § 1er, [de l’ancien] Code civil prévoit par ailleurs la possibilité pour l’enfant d’introduire une telle action entre l’âge de douze ans et de vingt-deux ans ou dans l’année de la découverte du fait que la personne qui l’a reconnu n’est pas son père ou sa mère. Le législateur garantit ainsi le droit à l’identité qui, selon la Cour européenne des droits de l’homme, doit faire l’objet d’un examen approfondi lorsque l’on compare les intérêts en présence (CEDH, 3 avril 2014, Konstantinidis c. Grèce, § 47). Par son arrêt n° 96/2011 du 31 mai 2011, la Cour a en outre jugé qu’un enfant doit pouvoir contester même au-delà de ce délai la présomption de paternité établie à l’égard du mari de sa mère lorsque cette présomption ne correspond à aucune réalité ni biologique, ni socio-affective.
B.24. Compte tenu des préoccupations du législateur et des valeurs qu’il a voulu concilier, il n’est dès lors pas sans justification raisonnable que la personne qui a reconnu l'enfant ne dispose que d’un bref délai pour contester sa reconnaissance ».
B.9. Pour les mêmes motifs que ceux de l’arrêt de la Cour n° 46/2013, précité, et pour des motifs similaires à ceux de l’arrêt de la Cour n° 139/2014, précité, l’article 318, § 2, alinéa 1er, de l’ancien Code civil est compatible avec l’article 22 de la Constitution en ce que cette disposition prévoit que le mari ou l’ex-mari de la mère doit intenter l’action en contestation de paternité dans l’année de la découverte du fait qu’il n’est pas le père de l’enfant.
B.10.1. La Cour doit encore examiner si la disposition en cause est compatible avec l’article 22bis de la Constitution, lu en combinaison ou non avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.10.2. L’enfant dispose, aux termes de l’article 318, § 2, de l’ancien Code civil, de la possibilité de contester la présomption de paternité à l’encontre de l’époux ou de l’ex-époux de sa mère. Il doit intenter son action au plus tôt le jour où il atteint l’âge de douze ans et au plus tard le jour où il atteint l’âge de vingt-deux ans ou dans l’année de la découverte du fait que cet époux n’est pas son père, sachant que l’action en contestation de paternité reste en principe soumise au délai trentenaire de droit commun prévu à l’article 331ter du même Code (C.C., n° 18/2016, 3 février 2016, ECLI:BE:GHCC:2016:ARR.018; n° 142/2019,17 octobre 2019, ECLI:BE:GHCC:2019:ARR.142, B.7.3).
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B.10.3. Il résulte de ce qui précède que l’intérêt de l’enfant est sauvegardé, dès lors que la possibilité lui est offerte de contester lui-même ou par l’intermédiaire de son représentant légal la filiation paternelle établie en application de l’article 315 de l’ancien Code civil. Le fait que l’action du mari ou de l’ex-mari de la mère se prescrive par un an à partir de la découverte du fait qu’il n’est pas le père de l’enfant ne modifie pas ce constat.
B.11. L’article 318, § 2, alinéa 1er, de l’ancien Code civil est compatible avec l’article 22bis de la Constitution, lu en combinaison ou non avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que le mari ou l’ex-mari de la mère doit intenter l’action en contestation de paternité dans l’année de la découverte du fait qu’il n’est pas le père de l’enfant.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 318, § 2, alinéa 1er, de l’ancien Code civil ne viole pas les articles 22 et 22bis de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que le mari ou l’ex-mari de la mère doit intenter l’action en contestation de paternité dans l’année de la découverte du fait qu’il n’est pas le père de l’enfant.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 novembre 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 138/2024
Date de la décision : 21/11/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Non-violation (article 318, § 2, alinéa 1er, de l'ancien Code civil, en ce que le mari ou l'ex-mari de la mère doit intenter l'action en contestation de paternité dans l'année de la découverte du fait qu'il n'est pas le père de l'enfant)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle relative à l'article 318, § 2, de l'ancien Code civil, posée par le tribunal de la famille du Tribunal de première instance de Namur, division de Namur. Droit civil - Filiation paternelle - Présomption de paternité - Action en contestation de paternité - Mari ou ex-mari de la mère - Délai


Origine de la décision
Date de l'import : 06/12/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-11-21;138.2024 ?

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