Cour constitutionnelle
Arrêt n° 137/2024
du 21 novembre 2024
Numéro du rôle : 8117
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 330/2, alinéa 5, de l’ancien Code civil, posée par le tribunal de la famille et de la jeunesse du Tribunal de première instance d’Anvers, division d’Anvers.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters et Magali Plovie, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 23 novembre 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 6 décembre 2023, le tribunal de la famille et de la jeunesse du Tribunal de première instance d’Anvers, division d’Anvers, a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 330/2, alinéa 5, de l’ancien Code civil viole-t-il le principe d’égalité et de non-discrimination prévu par les articles 10 et 11 de la Constitution et, par extension, l’article 13 de la Constitution, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantissent le droit d’accès au juge et le droit à un recours effectif, en ce que l’article 330/2, alinéa 5, précité, permet uniquement au candidat à la reconnaissance d’introduire un recours contre le refus de l’officier de l’état civil d’établir un acte de reconnaissance, mais non à d’autres personnes intéressées, en particulier à l’autre parent dont le consentement à la reconnaissance est requis ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- M.A., assistée et représentée par Me Brecht De Schutter, avocat au barreau d’Anvers;
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- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Steve Ronse et Me Thomas Quintens, avocats au barreau de Flandre occidentale.
Le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 25 septembre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Yasmine Kherbache et Michel Pâques, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le litige au fond concerne la reconnaissance d’un enfant mineur dont M.A. est la mère. O.H. souhaite reconnaître l’enfant, mais l’officier de l’état civil compétent refuse d’établir l’acte de reconnaissance, au motif que la reconnaissance de l’enfant mineur a manifestement pour seul but de conférer un avantage en matière de droit de séjour en faveur de M.A.
O.H. n’a pas introduit de recours contre cette décision de refus de l’officier de l’état civil. M.A., par contre, a introduit un tel recours auprès du tribunal de la famille et de la jeunesse du Tribunal de première instance d’Anvers, division d’Anvers. L’ancien Code civil ne prévoit toutefois pas la possibilité pour l’autre partie intéressée à la procédure de reconnaissance, à savoir l’autre parent, d’introduire un recours contre la décision de refus de l’officier de l’état civil. Conformément à l’article 330/2, alinéa 5, de l’ancien Code civil, seul le candidat à la reconnaissance peut former un recours contre la décision de refus.
Dans ce cadre, et compte tenu notamment de l’éventuelle irrecevabilité de son action, M.A. demande à la juridiction a quo de poser à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut, demande à laquelle la juridiction a quo fait droit.
III. En droit
-A-
A.1.1. Tout d’abord, M.A., partie demanderesse devant la juridiction a quo, estime qu’elle doit pouvoir disposer d’une possibilité autonome d’introduire un recours contre la décision de refus d’établissement d’un acte de reconnaissance. Conformément à l’article 330/2, alinéa 5, de l’ancien Code civil, le recours contre le refus de reconnaissance n’est ouvert qu’au candidat à la reconnaissance, à l’exclusion des autres parties intéressées, notamment l’autre parent qui doit donner son consentement. C’est en raison de l’absence d’une possibilité de recours pour toutes les parties intéressées que la Cour, par l’arrêt n° 58/2020 du 7 mai 2020
(ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.058), a annulé partiellement l’article 330/2 de l’ancien Code civil, après quoi l’article 39, 4°, de la loi du 31 juillet 2020 « portant dispositions urgentes diverses en matière de justice » (ci-
après : la loi du 31 juillet 2020) a inséré de nouveaux alinéas dans l’article 330/2.
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Par l’arrêt n° 58/2020, précité, la Cour a jugé que la simple possibilité pour les personnes concernées d’introduire une action en recherche de maternité, de paternité ou de comaternité sans que soit ouvert un recours contre la décision même de refus d’acter une reconnaissance par l’officier de l’état civil, violait le droit d’accès au juge, en particulier parce que, du fait de l’article 332quinquies de l’ancien Code civil, la procédure d’établissement de la paternité ou de la maternité est rejetée lorsqu’il est prouvé que la personne dont la filiation est recherchée n’est pas le père ou la mère biologique de l’enfant. Partant, la Cour a jugé qu’il appartenait au législateur de régler une procédure juridictionnelle qui compense ces restrictions, permettant aux parties intéressées, dans l’attente de cette intervention législative, d’introduire, devant le président du tribunal de la famille, un recours dirigé contre la décision de refus.
D’après M.A., il ressort de l’emploi des termes « parties intéressées » que le législateur n’était pas tenu de n’accorder cette possibilité qu’au seul candidat à la reconnaissance, mais qu’il pouvait également l’accorder aux autres parties intéressées, donc aussi à la personne dont le consentement à la reconnaissance est exigé. Le raisonnement, développé dans les travaux préparatoires, selon lequel la personne dont le consentement à la reconnaissance est exigé peut encore introduire une action en recherche de maternité, de paternité ou de comaternité ne tient pas compte du raisonnement fondamental de la Cour, selon lequel, notamment, sont exclues à cet égard les reconnaissances socio-affectives par des auteurs de reconnaissance n’ayant pas de lien de filiation biologique avec l’enfant. Par conséquent, le législateur a procédé à une transposition non conforme de l’arrêt et la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
A.1.2. Le Conseil des ministres allègue que M.A. fait de l’arrêt de la Cour n° 58/2020, précité, une lecture incomplète et donc erronée. De la lecture complète de l’arrêt précité, il faut déduire, selon lui, que la Cour a condamné le fait qu’aucune possibilité de recours n’était ouverte au candidat à la reconnaissance contre la décision de refus de l’officier de l’état civil d’acter une reconnaissance. La contrariété au droit d’accès au juge résidait dans la circonstance que le candidat à la reconnaissance était privé de toute possibilité d’avoir un lien de filiation qui n’était pas nécessairement de nature biologique. L’autre renvoi, par la Cour, aux « parties intéressées » doit s’entendre comme visant les candidats à la reconnaissance et non les personnes qui doivent marquer leur consentement à celle-ci.
Ceci rejoint aussi l’une des caractéristiques essentielles de la figure juridique de la reconnaissance, à savoir que la reconnaissance est un acte juridique volontaire qui émane d’une femme ou d’un homme qui souhaite créer un lien de filiation à l’égard d’un enfant (voy. C.C., n° 2/2020, 16 janvier 2020, ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.002, B.6.3). Une reconnaissance ne peut jamais être imposée par la contrainte, sans initiative de l’auteur de la reconnaissance.
A.2.1. M.A. considère ensuite que l’article en cause est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que le législateur n’a opéré aucune distinction selon que le candidat à la reconnaissance a pour seule intention d’obtenir un avantage en matière de droit de séjour pour lui-même ou pour l’autre parent dont le consentement à la reconnaissance est requis. L’autre parent dont le consentement à la reconnaissance est requis ne peut agir lui-
même contre le caractère prétendument fictif de la reconnaissance. La personne à l’égard de laquelle la filiation est déjà établie se trouve dans une position qui dépend totalement du choix autonome du candidat à la reconnaissance d’introduire ou non un recours contre le refus. Selon la partie demanderesse devant la juridiction a quo, cela ouvre la porte au chantage et à l’abus de la part du candidat à la reconnaissance qui ne poursuit pas un avantage en matière de droit de séjour par rapport à l’autre parent qui pourrait ambitionner un tel avantage.
A.2.2. En ce qui concerne la violation, soulevée, du principe d’égalité, le Conseil des ministres observe que la prétendue inégalité de traitement ne découle pas de la disposition en cause et que cette assertion néglige l’objectif de la norme. La disposition en cause vise à offrir au candidat à la reconnaissance la possibilité de reconnaître un enfant, par le biais d’une procédure de recours. Le candidat à la reconnaissance doit avoir la volonté d’établir un lien de filiation à l’égard d’un enfant et l’intérêt de ce dernier est primordial. La disposition en cause ne peut pas avoir pour but de créer des avantages en matière de droit de séjour pour l’auteur de la reconnaissance.
A.3. Le Conseil des ministres soutient que, pour pouvoir répondre à la question préjudicielle précitée, il importe d’insister sur la portée du terme « reconnaissance ». Ainsi que la Cour l’a constaté par l’arrêt n° 58/2020, précité, la reconnaissance est un acte juridique volontaire qui émane d’une femme ou d’un homme qui a l’intention de créer un lien de filiation avec un enfant. Le caractère volontaire de la figure juridique signifie que seul le candidat à la reconnaissance peut effectuer une déclaration de reconnaissance. En cas de refus de cette reconnaissance, il découle également du caractère volontaire de la reconnaissance que seul le candidat à la reconnaissance peut introduire un recours contre cette décision de refus, devant le tribunal de la famille. Étant
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donné que, conformément à la disposition en cause, le candidat à la reconnaissance dispose d’un recours juridictionnel effectif pour contester la décision de refus, cette disposition est en tout état de cause conforme au droit d’accès au juge et au droit à un recours juridictionnel effectif.
Cela ne signifie pas que les autres parties intéressées, en particulier l’autre parent dont le consentement à la reconnaissance est requis, ne disposeraient pas d’autres possibilités légales pour tout de même faire établir le lien de filiation du candidat à la reconnaissance qui n’a pas introduit de recours contre la décision de refus, étant donné qu’une action en recherche de maternité ou de paternité peut être introduite devant le tribunal de la famille (article 332quinquies, §§ 1er, 1/1, 2 et 4, de l’ancien Code civil).
-B-
B.1. La juridiction a quo demande à la Cour si l’article 330/2, alinéa 5, de l’ancien Code civil viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 13 de la Constitution et avec les articles 6, paragraphe 1, et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que seul le candidat à la reconnaissance a la possibilité d’introduire un recours contre le refus de l’officier de l’état civil d’établir un acte de reconnaissance, à l’exclusion des autres parties intéressées, notamment du parent à l’égard duquel la filiation est établie et dont le consentement à la reconnaissance est requis.
B.2.1. L’article 330/2, de l’ancien Code civil, tel qu’il a été modifié par l’article 39, 4°, de la loi du 31 juillet 2020 « portant dispositions urgentes diverses en matière de justice » (ci-
après : la loi du 31 juillet 2020), dispose :
« L’officier de l’état civil refuse d’établir l’acte de reconnaissance lorsqu’il constate que la déclaration se rapporte à une situation telle que visée à l’article 330/1.
S’il existe une présomption sérieuse que la reconnaissance se rapporte à une situation telle que visée à l’article 330/1, l’officier de l’état civil peut surseoir à établir l’acte de reconnaissance, éventuellement après avoir recueilli l’avis du procureur du Roi de l’arrondissement judiciaire dans lequel la personne qui veut reconnaître l’enfant a l’intention de reconnaître l’enfant, pendant un délai de deux mois au maximum à partir de la signature de la déclaration, afin de procéder à une enquête complémentaire. Le procureur du Roi peut prolonger ce délai de trois mois au maximum. Dans ce cas, il en informe l’officier de l’état civil qui en informe à son tour les parties intéressées.
S’il n’a pas pris de décision définitive dans le délai prévu à l’alinéa 2, l’officier de l’état civil est tenu d’établir sans délai l’acte de reconnaissance.
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En cas de refus visé à l’alinéa 1er, l’officier de l’état civil notifie sans délai sa décision motivée aux parties intéressées. Une copie de celle-ci, accompagnée d’une copie de tous documents utiles, est, en même temps, transmise au procureur du Roi de l’arrondissement judiciaire dans lequel la décision de refus a été prise et à l’Office des étrangers.
Le refus de l’officier de l’état civil d’établir l’acte de reconnaissance est susceptible de recours par la personne qui veut reconnaître l’enfant pendant un délai d’un mois suivant la notification de sa décision, devant le tribunal de la famille.
Les personnes dont le consentement à la reconnaissance est requis sont appelées à la cause.
Le tribunal détermine s’il s’agit d’une situation telle que visée à l’article 330/1 en tenant compte des intérêts en présence et de l’intérêt de l’enfant de manière primordiale ».
B.2.2. Avant cette modification législative, l’article 330/2 de l’ancien Code civil disposait :
« L’officier de l’état civil refuse d’établir l’acte de reconnaissance lorsqu’il constate que la déclaration se rapporte à une situation telle que visée à l’article 330/1.
S’il existe une présomption sérieuse que la reconnaissance se rapporte à une situation telle que visée à l’article 330/1, l’officier de l’état civil peut surseoir à établir l’acte de reconnaissance, éventuellement après avoir recueilli l’avis du procureur du Roi de l’arrondissement judiciaire dans lequel la personne qui veut reconnaître l’enfant a l’intention de reconnaître l’enfant, pendant un délai de deux mois au maximum à partir de la signature de la déclaration, afin de procéder à une enquête complémentaire. Le procureur du Roi peut prolonger ce délai de trois mois au maximum. Dans ce cas, il en informe l’officier de l’état civil qui en informe à son tour les parties intéressées.
S’il n’a pas pris de décision définitive dans le délai prévu à l’alinéa 2, l’officier de l’état civil est tenu d’établir sans délai l’acte de reconnaissance.
En cas de refus visé à l’alinéa 1er, l’officier de l’état civil notifie sans délai sa décision motivée aux parties intéressées. Une copie de celle-ci, accompagnée d’une copie de tous documents utiles, est, en même temps, transmise au procureur du Roi de l’arrondissement judiciaire dans lequel la décision de refus a été prise et à l’Office des étrangers.
En cas de refus de l’officier de l’état civil d’acter la reconnaissance, la personne qui veut faire établir le lien de filiation, peut introduire une action en recherche de maternité, de paternité ou de comaternité auprès du tribunal de la famille du lieu de déclaration de la reconnaissance.
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Dans le cas visé à l’alinéa 5, l’exploit de citation ou la requête contient, à peine de nullité, la décision de refus de l’officier de l’état civil ».
B.2.3. Par l’arrêt n° 58/2020 du 7 mai 2020 (ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.058), la Cour a annulé les alinéas 5 et 6 de l’article 330/2 de l’ancien Code civil, au motif que « l’auteur de la reconnaissance et l’enfant [étaient] totalement privés de la possibilité de bénéficier d’un lien de filiation s’il n’[existait] pas de lien biologique entre eux » et que le juge qui se prononçait sur une action en recherche de paternité ou de maternité « n’[avait] aucune possibilité d’apprécier in concreto les intérêts [...] des enfants » (B.27.4).
À la suite de l’arrêt n° 58/2020, précité, le législateur a inséré, par l’article 39, 4°, de la loi du 31 juillet 2020, l’article 330/2, alinéa 5, en cause, de l’ancien Code civil, qui permet au candidat à la reconnaissance d’introduire devant le tribunal de la famille un recours contre la décision de refus de l’officier de l’état civil d’établir l’acte de reconnaissance. Le tribunal de la famille détermine s’il est question d’une des situations visées à l’article 330/1 de l’ancien Code civil, en tenant compte des intérêts en présence, en particulier de l’intérêt primordial de l’enfant.
B.2.4. L’article 330/2, alinéa 5, en cause, de l’ancien Code civil est justifié comme suit, dans les travaux préparatoires :
« Cet article vise à adapter la disposition concernant le recours contre une décision de refus de l’officier de l’état civil d’acter une reconnaissance afin de rendre cette disposition conforme à l’arrêt de la Cour Constitutionnelle n° 58/2020 du 7 mai 2020.
Dans cet arrêt, la Cour Constitutionnelle a décidé d’annuler l’article 330/2, alinéas 5 et 6, du Code civil, tel qu’il a été inséré par l’article 10 de la loi du 19 septembre 2017 modifiant le Code civil, le Code judiciaire, la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers et le Code consulaire, en vue de lutter contre la reconnaissance frauduleuse et comportant diverses dispositions en matière de recherche de paternité, de maternité et de comaternité, ainsi qu’en matière de mariage de complaisance et de cohabitation légale de complaisance.
Par ailleurs, la Cour a jugé qu’il appartient au législateur de mettre en place une procédure d’appel.
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[...]
Il appartient au législateur d’organiser une procédure d’appel qui donne au juge saisi toute juridiction pour évaluer les différents intérêts en présence, la prise en compte de l’intérêt de l’enfant restant toutefois primordiale.
Le tribunal de la famille doit ainsi avoir la capacité d’établir qu’il ne ressort manifestement pas de la combinaison des circonstances que la reconnaissance vise uniquement l’obtention d’un avantage en matière de séjour, mais également l’établissement d’un lien de filiation dans l’intérêt de l’enfant, et que par conséquent, les conditions d’application de l’article 330/1 du Code civil ne sont pas remplies, de sorte que cette disposition ne peut trouver à s’appliquer et que rien n’empêche la reconnaissance (B.28.2).
Lors d’un tel recours, l’article 332quinquies, § 3, du Code civil ne peut faire obstacle à ce que la filiation soit établie, le cas échéant, sur une base socio-affective.
[...]
La nouvelle procédure de recours contre le refus qui vient s’ajouter n’est ouverte qu’à la personne qui souhaite reconnaître l’enfant. La reconnaissance demeure en effet un acte juridique volontaire et unilatéral émanant d’une personne qui souhaite créer de sa propre initiative un lien de filiation à l’égard d’un enfant. La personne qui souhaite reconnaître un enfant est par conséquent ‘ la personne intéressée ’ qui doit pouvoir bénéficier d’une procédure d’appel spécifique.
Si l’auteur de la reconnaissance en question ne souhaite pas former de recours contre le refus de l’officier de l’état civil d’acter la reconnaissance, les personnes qui ont donné leur consentement préalable à la reconnaissance refusée (l’autre auteur et l’enfant) et qui souhaitent néanmoins l’établissement du lien de filiation à l’égard de l’auteur de la reconnaissance refusée, peuvent introduire une action en recherche de maternité, de paternité ou de comaternité auprès du tribunal de la famille. Lorsque le lien de filiation n’est pas établi en vertu de la présomption légale ni sur la base d’une reconnaissance, il peut être établi par jugement aux conditions prévues à l’article 332quinquies, §§ 1er, 1er/1, 2 et 4, du Code civil » (Doc. parl., Chambre, 2019-2020, DOC 55-1295/001, pp. 24-27).
B.3. L’article 330/2, alinéa 5, en cause, de l’ancien Code civil limite la possibilité de recours au candidat à la reconnaissance qui souhaite attaquer la décision de refus de l’officier de l’état civil.
La question préjudicielle porte sur l’absence d’une possibilité de recours contre la décision de refus de l’officier de l’état civil d’acter la reconnaissance, pour le parent à l’égard duquel la filiation est établie et qui a donné son consentement préalablement à la reconnaissance.
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La Cour limite son examen à cette hypothèse.
B.4.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.4.2. L’article 13 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne ».
B.4.3. L’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ».
L’article 13 de cette Convention dispose :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ».
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B.5.1. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir un tribunal en matière civile, constitue un aspect.
B.5.2. Le droit d’accès à un juge n’est toutefois pas absolu. Les limitations apportées à ce droit ne peuvent porter atteinte à la substance de ce droit. Elles doivent, en outre, présenter un lien raisonnable de proportionnalité avec le but légitime qu’elles poursuivent (CEDH, 7 juillet 2009, Stagno c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:2009:0707JUD000106207, § 25; grande chambre, 17 janvier 2012, Stanev c. Bulgarie, ECLI:CE:ECHR:2012:0117:JUD003676006, §§ 229 et 230). La réglementation du droit d’accès à un juge ne peut cesser de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constituer une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir la substance de son litige tranchée par la juridiction compétente (CEDH, 7 juillet 2009, Stagno c. Belgique, précité, § 25; 29 mars 2011, RTBF c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:2011:0329JUD005008406, § 69). La compatibilité de ces limitations avec le droit d’accès à un juge s’apprécie en tenant compte des particularités de la procédure en cause et de l’ensemble du procès (CEDH, 29 mars 2011, RTBF c. Belgique, précité, § 70).
B.6.1. Comme il est dit en B.2.4, le législateur n’a pas organisé de recours spécifique contre le refus de l’officier de l’état civil d’acter la reconnaissance pour le parent à l’égard duquel la filiation est établie et qui a consenti à cette reconnaissance. Par contre, il donne à cet autre parent la possibilité de demander, dans un tel cas, l’établissement judiciaire d’un lien de filiation auprès du tribunal de la famille.
Les actions en recherche de maternité, de paternité ou de comaternité sont réglées par les articles 314, 322 à 325, 325/8 à 325/10 et 332quinquies du Code civil.
B.6.2. La différence de traitement repose sur un critère objectif, à savoir le constat de ce que la décision de refus de l’officier de l’état civil d’acter la reconnaissance est attaquée ou non par le candidat à la reconnaissance. Seul le candidat à la reconnaissance peut introduire un recours contre une telle décision de refus, devant le tribunal de la famille.
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B.7.1. La reconnaissance est un acte juridique volontaire qui émane d’une personne qui a l’intention de créer un lien de filiation avec un enfant. Le candidat à la reconnaissance est réputé poser un tel acte juridique de manière éclairée et ne peut contester la reconnaissance que s’il prouve que son consentement a été vicié.
Pour procéder à la reconnaissance, le candidat à la reconnaissance ne doit pas démontrer son lien biologique avec l’enfant. Il est donc possible, pour une personne, de reconnaître un enfant dont elle n’est pas le parent biologique.
B.7.2. Le caractère volontaire de la figure juridique de la reconnaissance signifie que seul un candidat à la reconnaissance peut faire une déclaration de reconnaissance. Si l’officier de l’état civil refuse la reconnaissance en raison d’une situation telle que visée à l’article 330/1 de l’ancien Code civil, il découle du caractère volontaire de la reconnaissance que seul le candidat à la reconnaissance peut introduire un recours contre cette décision de refus, devant le tribunal de la famille.
B.7.3. Il est raisonnablement justifié qu’un recours contre une telle décision de refus devant le tribunal de la famille ne soit ouvert qu’au candidat à la reconnaissance, à l’exclusion du parent à l’égard duquel la filiation est établie et qui a consenti à la reconnaissance, dès lors que la reconnaissance est un acte juridique volontaire et qu’elle ne peut donc en aucun cas être imposée à une personne déterminée.
Ainsi, le législateur pouvait limiter la faculté de recours au candidat à la reconnaissance, étant donné que la demande de reconnaissance émane de la personne qui, d’initiative, souhaite créer un lien de filiation à l’égard d’un enfant. En juger autrement aurait pour conséquence qu’il serait porté atteinte au caractère unilatéral et volontaire de la reconnaissance.
Le parent à l’égard duquel la filiation est établie et dont le consentement à la reconnaissance est requis peut toujours se prévaloir de la procédure judiciaire d’établissement de la filiation, dans le cadre de laquelle l’absence d’un lien biologique empêchera, le cas échéant, l’établissement d’un lien de filiation (article 332quinquies de l’ancien Code civil).
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Cette restriction aussi est raisonnablement justifiée, étant donné que la décision d’établir un lien de filiation qui ne correspond pas à la réalité biologique appartient au seul candidat à la reconnaissance.
B.7.4. L’article 330/2, alinéa 5, de l’ancien Code civil est par conséquent compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 13 de la Constitution et avec les articles 6, paragraphe 1, et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 330/2, alinéa 5, de l’ancien Code civil ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 13 de la Constitution et avec les articles 6, paragraphe 1, et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 novembre 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Luc Lavrysen