Cour constitutionnelle
Arrêt n° 136/2024
du 21 novembre 2024
Numéros du rôle : 8099 et 8100
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986 « réglant la mise à la retraite des membres du personnel enseignant de l’enseignement universitaire et modifiant d’autres dispositions de la législation de l’enseignement », posées par le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par deux jugements du 23 octobre 2023, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour les 6 et 8 novembre 2023, le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986 réglant la mise à la retraite des membres du personnel enseignant de l’enseignement universitaire et modifiant d’autres dispositions de la législation de l’enseignement viole-t-il les articles 10 ou 11 de la Constitution, en ce qu’il rend la loi en question applicable aux catégories du personnel enseignant qu’elle énumère, sans faire de même à l’égard du personnel enseignant de la ‘ Evangelische Theologische Faculteit ’ (Faculté de théologie évangélique) à Heverlee ? ».
Ces affaires, inscrites sous les numéros 8099 et 8100 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Des mémoires ont été introduits par :
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- l’ASBL « Evangelische Theologische Faculteit », assistée et représentée par Me Jan Proesmans et Me Nathanaëlle Kiekens, avocats au barreau de Bruxelles (dans l’affaire n° 8099);
- Guido Vleugels, assisté et représenté par Me Jan Proesmans et Me Nathanaëlle Kiekens (dans l’affaire n° 8100);
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Liesbet Vandenplas, avocate au barreau de Bruxelles (dans les deux affaires).
Des mémoires en réponse ont été introduits par :
- l’ASBL « Evangelische Theologische Faculteit »;
- Guido Vleugels.
Par ordonnance du 25 septembre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Sabine de Bethune et Thierry Giet, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et les affaires seraient mises en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et les procédures antérieures
Du 1er octobre 1984 au 31 juillet 2021, la partie demanderesse dans l’affaire n° 8100 travaille pour l’ASBL « Evangelische Theologische Faculteit » (Faculté de théologie évangélique) (ci-après : l’« Evangelische Theologische Faculteit ») en tant que membre du personnel enseignant. Le 1er janvier 2003, l’« Evangelische Theologische Faculteit » est reconnue en sa qualité d’institution d’enseignement supérieur enregistrée d’office (article 54 du décret de la Communauté flamande du 4 avril 2003 « relatif à la restructuration de l’enseignement supérieur en Flandre » (ci-après : le décret du 4 avril 2003), actuel article II.105 du Code flamand de l’enseignement supérieur, coordonné par l’arrêté du Gouvernement flamand du 11 octobre 2013 « portant codification des dispositions décrétales relatives à l’enseignement supérieur » (ci-après : le Code flamand de l’enseignement supérieur)).
Le 1er août 2021, le membre du personnel enseignant prend sa retraite. Depuis, il perçoit une pension de travailleur salarié.
Le 18 février 2022, l’« Evangelische Theologische Faculteit » et le membre du personnel enseignant de cette dernière admis à la retraite citent l’État belge à comparaître. Les parties demanderesses devant la juridiction a quo, à savoir l’« Evangelische Theologische Faculteit » et le membre du personnel enseignant de cette dernière admis à la retraite estiment que, eu égard au fait que ladite ASBL a été reconnue en sa qualité d’institution d’enseignement supérieur enregistrée d’office, les membres du personnel enseignant de cette ASBL doivent relever du champ d’application du chapitre I de la loi du 4 août 1986 « réglant la mise à la retraite des membres du personnel enseignant de l’enseignement universitaire et modifiant d’autres dispositions de la loi sur l’enseignement » (ci-
après : la loi du 4 août 1986).
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L’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986 contient une liste d’institutions dont les membres du personnel enseignant relèvent du champ d’application du chapitre I de la loi du 4 août 1986. L’« Evangelische Theologische Faculteit » ne figure cependant pas sur la liste contenue dans cet article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986. Cela a d’abord pour effet que les membres du personnel enseignant de l’« Evangelische Theologische Faculteit » bénéficient d’une pension de travailleur salarié et qu’ils n’ont pas droit à une pension de fonctionnaire, ni aux tantièmes avantageux tels qu’ils sont décrits à l’article 5, § 3, de la loi du 4 août 1986.
Ensuite, la non-reprise de l’« Evangelische Theologische Faculteit » sur la liste des institutions contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986 entraîne une augmentation des cotisations de sécurité sociale dues par l’« Evangelische Theologische Faculteit » à l’Office national de sécurité sociale (ci-après : l’ONSS)
(article 7, § 1er, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 « pris en exécution de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs »).
L’« Evangelische Theologische Faculteit » demande à titre principal une indemnité provisionnelle d’1 euro pour avoir payé trop de cotisations de sécurité sociale, une indemnité de 10 000 euros en principal pour avoir subi un préjudice moral et une indemnité de 50 euros par jour sans législation mettant un terme au prétendu traitement inconstitutionnel après le jugement devant être rendu. Le membre du personnel enseignant de l’« Evangelische Theologische Faculteit » admis à la retraite demande, à titre principal, la condamnation de l’État belge à recalculer ses droits à la pension et à lui accorder ceux-ci comme si l’ASBL figurait depuis le 1er janvier 2003 sur la liste des institutions contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986 et elle demande, à titre subsidiaire, que l’équivalent des droits à la pension précités lui soit accordé sous la forme d’une indemnité provisionnelle d’1 euro par mois depuis le 1er août 2021.
Les parties demanderesses soutiennent à cet égard que la circonstance que les membres du personnel enseignant de l’« Evangelische Theologische Faculteit » ne relèvent pas du champ d’application du chapitre I de la loi du 4 août 1986, alors que les membres du personnel enseignant d’autres établissements d’enseignement, en particulier ceux de la Faculté de théologie protestante de Bruxelles, relèvent du champ d’application dudit chapitre I, entraîne une violation des articles 10 et 11 de la Constitution. Cela amène la juridiction a quo à poser à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1.1. Les parties demanderesses devant la juridiction a quo estiment que la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
A.1.2. Elles soutiennent tout d’abord qu’il n’est pas question d’une différence de traitement entre des destinataires comparables qui sont soumis à des législations émanant de deux autorités compétentes distinctes, ce qui ne conduit pas nécessairement à une violation du principe d’égalité. Il est par contre effectivement question d’institutions comparables qui, en matière de politique des pensions, sont traitées différemment par un même législateur.
Selon elles, l’« Evangelische Theologische Faculteit » se trouve dans une situation qui est comparable à celle des institutions figurant sur la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986. Tout comme les institutions figurant sur la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986, l’« Evangelische Theologische Faculteit » (1) est une institution d’enseignement supérieur enregistrée d’office (article II.105 du Code flamand de l’enseignement supérieur); (2) reçoit un financement public; (3) relève exactement de la même manière, en ce qui concerne les membres de son personnel enseignant, de la réglementation et de la législation applicables.
A.1.3. Elles soutiennent que le choix de faire figurer ou non des institutions sur la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986 ne repose pas sur un critère de distinction objectif. Elles rejettent le critère invoqué par le Conseil des ministres quant à la décision éclairée de faire figurer ou non l’institution sur la liste.
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A.1.4. Elles estiment en outre que la différence de traitement entre l’« Evangelische Theologische Faculteit »
et les institutions qui figurent sur la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986 n’est pas raisonnablement justifiée. À cet égard, elles font tout d’abord valoir que l’obligation de parcimonie ne saurait justifier la différence de traitement à l’égard de l’« Evangelische Theologische Faculteit ». L’obligation de parcimonie implique que, lorsque l’autorité dispose de plusieurs possibilités de choix, elle ne peut pas opter pour celle qui grève inutilement ses finances. Elles soulignent que, lorsqu’il s’agit de faire des choix pour répartir les moyens, il convient de toujours respecter le principe d’égalité. C’est pourquoi elles estiment que l’obligation de parcimonie ne saurait en soi justifier l’inégalité de traitement entre des catégories comparables.
Elles soulignent par ailleurs que la non-reprise, non raisonnablement justifiée, dans la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986, d’autres institutions enregistrées d’office ne change rien au fait que l’ASBL est discriminée.
A.1.5. Enfin, elles allèguent que la distinction opérée entre l’« Evangelische Theologische Faculteit » et les institutions figurant sur la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986 n’est en rien raisonnablement proportionnée aux objectifs poursuivis. Elles s’opposent ainsi au raisonnement du Conseil des ministres selon lequel la différence de traitement serait raisonnablement justifiée au regard des objectifs poursuivis parce que les membres du personnel enseignant de l’ « Evangelische Theologische Faculteit » perçoivent une pension légale et une pension complémentaire au lieu d’une pension de fonctionnaire.
Elles soutiennent à cet égard que le champ d’application personnel du chapitre I de la loi du 4 août 1986 a été délimité en fonction des institutions figurant sur la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986 et non en fonction des membres du personnel de ces institutions ni du fait qu’ils peuvent prétendre ou non à une autre pension (complémentaire). Elles soutiennent par ailleurs que le Conseil des ministres ne démontre pas en vertu de quelle disposition une pension complémentaire aurait été exclue ou devrait être déduite de la pension légale du personnel enseignant des institutions qui figurent effectivement sur la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986. Elles soulignent que l’ASBL se charge elle-même de la constitution de la pension complémentaire et que, jusqu’à présent, l’« Evangelische Theologische Faculteit » a payé des cotisations de sécurité sociale nettement plus élevées à l’ONSS en faveur de son personnel enseignant.
Selon elles, la différence de traitement ne saurait être fondée sur le fait que les membres du personnel enseignant de l’« Evangelische Theologische Faculteit » bénéficient d’une pension complémentaire.
A.2.1. Le Conseil des ministres estime que la question préjudicielle appelle une réponse négative.
A.2.2. Le Conseil des ministres souligne tout d’abord que les communautés sont compétentes pour la reconnaissance des établissements d’enseignement supérieur (universitaire), alors que le législateur fédéral est compétent pour l’octroi et pour le financement des pensions des fonctionnaires (article 127, § 1er, alinéa 1er, 2°, c), de la Constitution, juncto l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 12°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles).
La reconnaissance par la Communauté flamande de l’« Evangelische Theologische Faculteit » en sa qualité d’institution d’enseignement supérieur enregistrée d’office ne signifie donc nullement que l’établissement d’enseignement doit automatiquement figurer sur la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986. La mention d’une institution dans cette liste dépend d’une décision autonome émanant de l’autorité fédérale, qui est seule compétente en matière de régime des pensions. Selon le Conseil des ministres, en juger autrement viderait de sa substance l’autonomie des entités fédérées. Le Conseil des ministres renvoie à cet égard à la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle une différence de traitement qui résulte de l’intervention de deux autorités différentes ne peut pas, en tant que telle, être considérée comme étant contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.
A.2.3. Le Conseil des ministres souligne en outre que le législateur dispose d’un pouvoir discrétionnaire, de sorte qu’il n’y a violation du principe d’égalité que si l’inégalité de traitement contestée est manifestement déraisonnable.
A.2.4. Le Conseil des ministres, qui ne conteste pas que l’« Evangelische Theologische Faculteit » et les institutions figurant sur la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986 sont comparables, soutient ensuite que la différence de traitement repose sur un critère objectif, à savoir la décision éclairée du législateur fédéral de faire figurer ou non l’institution sur la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986.
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A.2.5. Il estime en outre que la distinction entre les catégories comparées poursuit un but légitime et qu’elle est pertinente. Ainsi, le Conseil des ministres considère que le choix du législateur de ne pas simplement inclure tous les établissements d’enseignement supérieur (universitaire) reconnus par les communautés sur la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986, mais uniquement certains d’entre eux, est motivé par le devoir de parcimonie qui incombe à l’autorité fédérale. Lorsqu’elle dispose de plusieurs possibilités de choix, comme celle de faire figurer ou non un établissement d’enseignement reconnu par les communautés sur la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986, l’autorité est tenue de faire un choix qui ne grève pas inutilement ses finances. À cet égard, le Conseil des ministres souligne que la liste des institutions d’enseignement supérieur reconnues de la Communauté flamande est plus étendue que celle des institutions contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986.
A.2.6. Enfin, le Conseil des ministres considère que la différence de traitement soulevée est raisonnablement justifiée au regard des objectifs poursuivis. Ainsi, les membres du personnel enseignant de l’« Evangelische Theologische Faculteit » ne sont en rien exclus d’une pension légale. Ils bénéficient de la pension de retraite légale dans le régime des travailleurs salariés. En outre, les membres du personnel enseignant de l’« Evangelische Theologische Faculteit » bénéficient aussi, en plus d’une pension de travailleur salarié, d’une pension complémentaire, ce qui, selon le Conseil des ministres, n’est pas possible pour les membres du personnel enseignant des établissements d’enseignement supérieur qui figurent sur la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986. Le Conseil des ministres soutient que, de ce fait, les membres du personnel enseignant de l’« Evangelische Theologische Faculteit » jouissent pratiquement des mêmes droits à la pension que les membres du personnel enseignant des établissements d’enseignement supérieur figurant sur la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986.
-B-
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1. Les questions préjudicielles identiques portent sur l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986 « réglant la mise à la retraite des membres du personnel enseignant de l’enseignement universitaire et modifiant d’autres dispositions de la législation de l’enseignement » (ci-après : la loi du 4 août 1986).
B.2.1. L’article 1er, alinéa 1er, de la loi du 4 août 1986 dispose :
« Ce chapitre est applicable :
1° aux membres du personnel enseignant de l’enseignement universitaire visé par la loi du 28 avril 1953 sur l’organisation de l’enseignement universitaire par l’Etat et par le décret spécial de la Communauté flamande du 26 juin 1991 relatif à l’‘ Universiteit Gent ’ et à l’‘ Universitair Centrum Antwerpen ’, à l’exclusion des membres du personnel enseignant de l’Institut supérieur des Traducteurs et interprètes de l’Ecole d’Interprètes internationaux nommés après le 27 avril 1965;
2° aux membres du personnel enseignant de la Faculté des Sciences agronomiques à Gembloux;
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3° aux membres du personnel enseignant civil de l’Ecole de guerre, de l’Institut royal supérieur de défense et des facultés de l’Ecole royale militaire;
4° aux membres du personnel enseignant des institutions suivantes :
- la ‘ Vrije Universiteit Brussel ’;
- l’Université libre de Bruxelles;
- la ‘ Katholieke Universiteit te Leuven ’;
- l’Université catholique de Louvain;
- les ‘ Universitaire Faculteiten Sint-Ignatius te Antwerpen ’;
- la ‘ Universitaire Instelling Antwerpen ’;
- les Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles;
- les ‘ Universitaire Faculteiten Sint-Aloysius te Brussel ’;
- le ‘ Universitaire Centrum Limburg ’
- la Faculté polytechnique de Mons;
- la Faculté universitaire catholique de Mons;
- les Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur;
- la Faculté de Théologie protestante à Bruxelles;
- la Fondation Universitaire Luxembourgeoise;
- la ‘ Universiteit Antwerpen ’.
En ce qui concerne les universités de la Communauté flamande, sont considérés comme membre du personnel enseignant, les membres du personnel académique autonome visés par le décret de la Communauté flamande du 12 juin 1991 relatif aux universités dans la Communauté flamande ».
B.2.2. L’article 1er précité fixe le champ d’application du chapitre I de la loi du 4 août 1986, qui règle la « mise à la retraite et [le] régime de pensions des membres du personnel enseignant de l’enseignement universitaire ».
B.3. La loi du 4 août 1986 contient un régime de pension spécifique.
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Ce régime implique l’application du régime de pension des fonctionnaires de l’administration générale de l’État aux personnes relevant du champ d’application (article 1er)
qui sont titulaires d’une nomination à titre définitif ou d’une nomination y assimilée par la loi ou en vertu de celle-ci (article 4, alinéa 1er). Le régime de pension contient en outre des règles spécifiques concernant l’âge de la pension (article 2), les titres honorifiques après la retraite (article 3), les années de service et tantièmes à prendre en considération (articles 5 et 6).
Ces pensions sont aussi entièrement à charge du Trésor public (article 4, alinéa 2).
B.4.1. Afin de cerner le champ d’application précis de la loi du 4 août 1986, il convient de prendre en compte la genèse et les antécédents de cette loi.
B.4.2.1. Ainsi, le champ d’application de la loi du 4 août 1986 trouve son origine dans la loi du 30 juillet 1879 « relative à l’éméritat pour les professeurs de l’enseignement supérieur »
(ci-après : la loi du 30 juillet 1879). Cette loi du 30 juillet 1879, qui contenait un régime de pension spécifique (entre autres pour ce qui concerne les années de service à prendre en compte et le montant de la pension), impliquait notamment que les pensions relevant de son champ d’application étaient à charge du Trésor public.
B.4.2.2. La loi du 30 juillet 1879 était en substance appliquée aux universités de l’État, à l’école de guerre et à l’école militaire, à l’école de médecine vétérinaire et à « l’institut agricole de l’État », mais son champ d’application a par la suite été étendu, par diverses modifications de cette loi (voy. notamment l’article 48 de la loi du 9 avril 1965 « portant diverses mesures en faveur de l’expansion universitaire » et l’article 44 de la loi du 7 avril 1971 « portant création et fonctionnement de l’‘ Universitaire Instelling Antwerpen ’ ») ou par l’application de la loi du 30 juillet 1879 à d’autres institutions d’enseignement du Royaume (voy. par exemple l’article 6 de la loi du 26 février 1923 « relative à la reconnaissance légale de l’Institut supérieur de Commerce d’Anvers »).
B.4.2.3. Par l’article 37 de la loi du 27 juillet 1971 « sur le financement et le contrôle des institutions universitaires », le champ d’application de la loi du 30 juillet 1879 a été fondamentalement étendu aux institutions suivantes : la « Vrije Universiteit Brussel », l’Université libre de Bruxelles, la « Katholieke Universiteit te Leuven », l’Université catholique
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de Louvain, les « Universitaire Faculteiten Sint-Ignatius te Antwerpen », la « Universitaire Instelling Antwerpen », les Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles, les « Universitaire Faculteiten St.-Aloysius te Brussel », le « Universitair Centrum te Limburg », la Faculté polytechnique de Mons, la Faculté universitaire catholique de Mons, les Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur et la Faculté de théologie protestante de Bruxelles (article 5bis de la loi du 30 juillet 1879).
Par cette mesure, le législateur entendait faire relever du régime de la loi du 30 juillet 1879
les pensions des membres du personnel enseignant de ces établissements d’enseignement (Doc.
parl., Chambre, 1970-1971, n° 1043/1, p. 7).
B.4.2.4. Face à la nécessité d’une rectification de quelques imperfections et d’autres adaptations dans la loi du 30 juillet 1879, qui a été modifiée à de multiples reprises, l’arrêté royal n° 127 du 30 décembre 1982 « relatif au régime de pension des membres du personnel enseignant de l’enseignement supérieur » (ci-après : l’arrêté royal n° 127) a, d’une part, abrogé la loi du 30 juillet 1879 et toutes ses modifications (article 10) et, d’autre part, établi un nouveau texte, autonome, relatif au régime de pension (voy. le rapport au Roi précédant l’arrêté royal n° 127 précité).
L’article 1er de l’arrêté royal n° 127 fixe le champ d’application du régime en ces termes :
« 1° aux membres du personnel enseignant de l’enseignement universitaire visé par la loi du 28 avril 1953 sur l’organisation de l’enseignement universitaire par l’Etat, à l’exclusion des membres du personnel enseignant de l’Institut supérieur de Traducteurs et Interprètes et de l’Ecole d’Interprètes internationaux nommés après le 27 avril 1965;
2° aux membres du personnel enseignant de la Faculté des Sciences agronomiques à Gembloux;
3° aux membres du personnel enseignant civil de l’Ecole de Guerre, aux chargés de cours et professeurs civils de l’Ecole royale militaire ainsi qu’aux personnes nommées avant le 1er octobre 1982 en qualité de maître et de répétiteur civils auprès de l’Ecole royale militaire;
4° aux membres du personnel enseignant des institutions suivantes :
- la ‘ Vrije Universiteit Brussel ’;
- l’Université libre de Bruxelles;
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- la ‘ Katholieke Universiteit te Leuven ’;
- l’Université catholique de Louvain;
- les ‘ Universitaire Faculteiten Sint-Ignatius te Antwerpen ’;
- la ‘ Universitaire Instelling Antwerpen ’;
- les Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles;
- les ‘ Universitaire Faculteiten Sint-Aloysius te Brussel ’;
- le ‘ Universitair Centrum Limburg ’;
- la Faculté polytechnique de Mons;
- la Faculté universitaire catholique de Mons;
- les Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur;
- la Faculté de Théologie protestante à Bruxelles ».
B.4.2.5. Par l’arrêt n° 25.763 du 23 octobre 1985, le Conseil d’État a toutefois annulé l’arrêté royal n° 127, à l’exception de son article 3.
B.4.2.6. Le législateur a ensuite remédié à l’annulation de l’arrêté royal n° 127 en adoptant la loi du 4 août 1986 (Doc. parl., Chambre, 1985-1986, n° 464/5, p. 2).
Par la loi du 4 août 1986, le législateur s’est, en ce qui concerne l’article 1er (champ d’application), fondé sur l’arrêté royal n° 127 annulé, ainsi qu’il peut être déduit de la formulation reprise tant du texte de loi que des considérations formulées lors des travaux préparatoires.
Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 4 août 1986 que, lorsqu’il a fixé le champ d’application, le législateur visait, pour le surplus, à faire correspondre la terminologie déjà utilisée à l’évolution des structures de l’enseignement supérieur (Doc. parl., Chambre, 1985-
1986, n° 464/1, p. 1).
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Quant au fond
B.5. La juridiction a quo demande à la Cour si l’article 1er, alinéa 1er, 4°, en cause, de la loi du 4 août 1986 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il rend le régime de pension visé dans cette loi applicable aux catégories du personnel enseignant énumérées dans cette disposition, sans faire de même à l’égard du personnel enseignant de l’ASBL « Evangelische Theologische Faculteit » (Faculté de théologie évangélique) (ci-
après : l’« Evangelische Theologische Faculteit »).
B.6. La différence de traitement porte en substance sur la reprise ou la non-reprise d’un établissement dans la liste figurant au point 4°, de sorte que la Cour est interrogée sur la non-
reprise de l’« Evangelische Theologische Faculteit » dans la liste des institutions visées au point 4°, dont il résulte que cet établissement d’enseignement et les membres de son personnel enseignant ne relèvent pas du champ d’application du régime de pension spécifique, explicité plus haut, de la loi du 4 août 1986.
B.7.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination.
B.7.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.8. Pour établir sa politique en matière de pensions, le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation.
Toutefois, si un régime légal de pension vise certaines catégories de personnes et non d’autres ou si un même régime est applicable à des catégories de personnes qui se trouvent dans des situations essentiellement différentes, la Cour doit examiner si les dispositions en cause
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sont pertinentes au regard du but poursuivi et si elles n’ont pas d’effets disproportionnés à l’égard de la situation de l’une ou de l’autre de ces catégories de personnes. Par conséquent, il ne saurait être question de discrimination que si la différence de traitement ou l’identité de traitement qui résulte de l’application des règles en matière de pensions entraînait une restriction disproportionnée des droits des personnes concernées à cet égard.
B.9. Il ressort de ce qui est dit en B.4 que le législateur, par la loi du 4 août 1986, entendait pérenniser les institutions universitaires qui existaient en 1982.
Par l’arrêté royal, non publié, du 3 juin 1983 portant reconnaissance de la « Evangelische Theologische Faculteit » située à Heverlee, l’« Evangelische Theologische Faculteit » a toutefois été reconnue par les pouvoirs publics en vue de la collation des titres de licencié et de docteur en théologie (voy. la mention de la reconnaissance au Moniteur belge du 4 août 1983, p. 9927).
La Faculté de théologie protestante de Bruxelles a également été reconnue, par l’arrêté royal du 4 mars 1963 « portant reconnaissance de la faculté de théologie protestante de Bruxelles », en vue de la collation des titres de licencié et de docteur en théologie. En tant qu’institution, elle figure sur la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4 de la loi du 4 août 1986.
À l’heure actuelle, les deux institutions sont habilitées par la Communauté flamande à délivrer les grades de master et de docteur en théologie et elles sont soumises aux mêmes exigences quant à l’organisation et à la qualité de leurs formations, à l’octroi des grades académiques, au financement et au contrôle des comptes, et quant au contrôle exercé par le commissaire du gouvernement.
Le fait que l’« Evangelische Theologische Faculteit » ne figure pas sur la liste contenue dans l’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986, contrairement à la Faculté de théologie protestante de Bruxelles, n’est dès lors pas raisonnablement justifié.
B.10. Dans son mémoire, le Conseil des ministres justifie la différence de traitement en renvoyant à des considérations budgétaires. Des motifs purement budgétaires ne sauraient toutefois justifier à eux seuls la différence de traitement.
ECLI:BE:GHCC:2024:ARR136
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B.11. L’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986 n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que l’« Evangelische Theologische Faculteit » ne figure pas sur la liste des établissements qu’il contient.
ECLI:BE:GHCC:2024:ARR136
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 4 août 1986 « réglant la mise à la retraite des membres du personnel enseignant de l’enseignement universitaire et modifiant d’autres dispositions de la législation de l’enseignement » viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que l’ASBL « Evangelische Theologische Faculteit » ne figure pas sur la liste des établissements qu’il contient.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 novembre 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Luc Lavrysen
ECLI:BE:GHCC:2024:ARR136