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21/11/2024 | BELGIQUE | N°135/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 21 novembre 2024, 135/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 135/2024
du 21 novembre 2024
Numéro du rôle : 8098
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 275 du Code wallon de l’action sociale et de la santé, posée par le Tribunal du travail de Liège, division de Neufchâteau.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Joséphine Moerman, Michel Pâques, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Kattrin Jadin, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir déli

béré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugeme...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 135/2024
du 21 novembre 2024
Numéro du rôle : 8098
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 275 du Code wallon de l’action sociale et de la santé, posée par le Tribunal du travail de Liège, division de Neufchâteau.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Joséphine Moerman, Michel Pâques, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Kattrin Jadin, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 23 octobre 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 2 novembre 2023, le Tribunal du travail de Liège, division de Neufchâteau, a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 275 du Code wallon de l’action sociale et de la santé du 29 septembre 2011
viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l’article 15 de la Charte sociale européenne révisée le 3 mai 1996 et les articles 19 et 26 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées adoptée à New York le 16 [lire : 13] décembre 2006, en ce que cette disposition législative exclut des ‘ prestations de services ’ comprises dans la notion d’‘ aide individuelle à l’intégration ’ (au sens de l’article 784 du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé) les personnes atteintes d’un handicap avant l’âge de 65 ans mais qui n’ont pas introduit de demande d’intervention auprès de l’AVIQ avant cet âge, alors que peuvent bénéficier de l’intervention de l’AVIQ pour ces ‘ prestations de services ’ les personnes atteintes d’un handicap avant l’âge de 65 ans et qui ont introduit, avant cet âge, une demande d’intervention auprès de cette institution ? ».
Le 22 novembre 2023, en application de l’article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges Emmanuelle Bribosia et Sabine de Bethune, rapporteure en remplacement de la juge-rapporteure Joséphine Moerman,
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légitimement empêchée, ont informé la Cour qu’elles pourraient être amenées à proposer de mettre fin à l’examen de l’affaire par un arrêt rendu sur procédure préliminaire.
Des mémoires justificatifs ont été introduits par :
- l’Agence wallonne de la santé, de la protection sociale, du handicap et des familles (AViQ), assistée et représentée par Me Laurence Gaj et Me Vincent Delfosse, avocats au barreau de Liège-Huy;
- le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me Michel Kaiser, Me Cécile Jadot et Me Elvira Barbé, avocats au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 17 janvier 2024, la Cour a décidé de poursuivre l’examen de l’affaire suivant la procédure ordinaire.
Des mémoires ont été introduits par :
- l’Agence wallonne de la santé, de la protection sociale, du handicap et des familles (AViQ);
- le Gouvernement wallon.
Par ordonnance du 25 septembre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures Emmanuelle Bribosia et Joséphine Moerman, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
L.K., atteint d’une paralysie supranucléaire progressive, introduit une demande auprès de l’Agence wallonne de la santé, de la protection sociale, du handicap et des familles (ci-après : l’AViQ) pour l’octroi d’un budget d’assistance personnelle, ainsi que de divers produits d’assistance et de prestations de service. Par une décision du 18 avril 2023, l’AViQ accède à la demande de produits d’assistance et de prestations de services mais refuse l’octroi d’un budget d’assistance personnelle, au motif que le demandeur était âgé de plus de 65 ans au moment de sa demande et qu’il n’a jamais obtenu d’intervention antérieurement.
L.K. introduit une réclamation à l’encontre de la décision précitée devant la juridiction a quo. Celle-ci constate que la Cour a déclaré, dans son arrêt n° 29/2022 du 24 février 2022 (ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.029), que l’article 275 du Code wallon de l’action sociale et de la santé était discriminatoire en ce qu’il créait une différence de traitement non justifiée entre une personne atteinte d’un handicap avant l’âge de 65 ans mais qui n’a
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pas fait de demande d’intervention avant cet âge et une personne également atteinte d’un handicap avant l’âge de 65 ans mais qui a introduit une première demande d’intervention avant cet âge. La juridiction a quo estime que, puisque le budget d’assistance personnelle constitue une prestation de service au sens de l’article 784 du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé, il convient de poser la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1.1. L’AViQ rappelle que le budget d’assistance personnelle, tel que visé par la demande qui fait l’objet de la réclamation devant la juridiction a quo, est réglé par les articles 797 et suivants du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé, et ne constitue pas une prestation de service, laquelle est comprise dans l’aide individuelle à l’intégration visée à l’article 784 du même Code. L’article 787 de ce Code a été modifié par l’arrêté du Gouvernement wallon du 16 novembre 2023 « modifiant l’article 787 du Code réglementaire wallon de l’Action sociale et de la Santé » à la suite de l’arrêt de la Cour n° 29/2022, précité, et cette modification ne s’applique pas au budget d’assistance personnelle. Aux termes des articles 798 et 799 du Code, l’assistance réglée par ces dispositions vise à compenser les incapacités du bénéficiaire dues à ses déficiences, notamment par le financement des prestations réalisées par un ou des assistants personnels, tandis que le budget d’assistance personnelle sert à couvrir la prise en charge financière de tous ces frais d’assistance personnelle ou d’une partie de ceux-ci.
Compte tenu de ces considérations, l’AViQ demande que la Cour reformule la question préjudicielle, en application de l’article 27 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, en remplaçant les mots « des ‘ prestations de services ’ comprises dans la notion d’‘ aide individuelle à l’intégration ’ (au sens de l’article 784 du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé) » par « du budget d’assistance personnelle, tel que défini et réglementé par les articles 797 et suivants du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé ».
A.1.2. L’AViQ estime que la Cour a déjà répondu à la question préjudicielle telle que reformulée, dans son arrêt n° 29/2022, précité. En effet, la Cour a relevé qu’il existait tant un régime légal pour les personnes en situation de handicap qu’un régime pour l’aide aux personnes en situation de handicap de 65 ans et plus. Toutefois, en ce qui concerne l’aide individuelle à l’intégration pour l’achat de produits d’assistance, la Cour a constaté qu’une telle symétrie n’existait pas et, par conséquent, a constaté l’inconstitutionnalité. Or, pour les autres types d’intervention, dont le budget d’assistance personnelle, une telle discrimination n’existe pas vu la coexistence des régimes légaux. Par conséquent, le raisonnement de la Cour est applicable a contrario à la question préjudicielle posée dans le cas d’espèce, qui ne peut amener qu’une réponse négative.
A.2.1. Le Gouvernement wallon rappelle lui aussi que le budget d’assistance personnelle est réglé aux articles 797 et suivants du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé, et sert à couvrir les frais relatifs aux prestations d’assistance personnelle définies à l’article 800 du même Code. Contrairement à ce qu’affirme la juridiction a quo, le budget d’assistance personnelle n’est pas compris dans la notion de prestations de services, elle-même comprise dans celle d’aide individuelle à l’intégration. Le Gouvernement wallon demande donc à la Cour qu’elle reformule la question préjudicielle en tenant compte de cet élément.
A.2.2. Le Gouvernement wallon estime qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier si un système de sécurité sociale est ou non équitable. En tout état de cause, il soutient que la mesure en cause est suffisamment justifiée.
Premièrement, le critère de distinction est objectif, puisqu’il consiste à avoir introduit une première demande d’intervention auprès de l’AViQ avant l’âge de 65 ans. Quant à sa pertinence, elle doit être appréciée à la lumière de l’objectif de la mesure, à savoir de distinguer la perte d’autonomie causée par un handicap de la perte d’autonomie causée par le vieillissement, soumises à deux régimes différents. Le critère de la demande permet
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bien cette différenciation, et la section de législation du Conseil d’État n’avait d’ailleurs formulé aucune observation sur ce point. Enfin, le Gouvernement wallon affirme que, compte tenu du pouvoir d’appréciation du législateur décrétal en la matière, la mesure est bien proportionnée à l’objectif poursuivi pour éviter des cumuls de coûts d’intervention et des problèmes lors de l’appréciation de la nature du handicap, de même que pour éviter la création d’autres formes de discrimination.
En outre, le Gouvernement wallon soutient que le raisonnement qu’il développe est conforme à l’arrêt n° 29/2022, précité, qui fait état de l’importance de la coexistence de systèmes légaux, ainsi qu’aux arrêts nos 18/2001 du 14 février 2001 (ECLI:BE:GHCC:2001:ARR.018) et 51/2001 du 18 avril 2001
(ECLI:BE:GHCC:2001:ARR.051). Or, si les personnes qui n’ont pas introduit une demande d’intervention avant l’âge de 65 ans ne peuvent se voir octroyer un budget d’assistance personnelle, elles peuvent bénéficier de l’aide aux personnes âgées (ci-après : l’APA) conformément au décret du 1er octobre 2020 « relatif à l’allocation pour l’aide aux personnes âgées et portant modification du Code wallon de l’Action sociale et de la Santé ». Ce dernier décret, qui avait été écarté dans le premier arrêt susmentionné car les faits étaient antérieurs à son entrée en vigueur, peut à présent être pris en compte par la Cour. Ces allocations visent précisément, selon le Gouvernement wallon, à compenser le handicap survenu après l’âge de la pension. Par ailleurs, il indique que les plafonds de revenus de l’APA sont plus élevés que ceux prévus pour les personnes en situation de handicap de moins de 65 ans. Enfin, le Gouvernement wallon souligne que l’existence de l’APA implique que les personnes visées ne sont pas exclues de la protection accordée par les conventions internationales en matière de handicap.
-B-
B.1.1. L’article 275 de la partie décrétale du Code wallon de l’action sociale et de la santé, adopté le 29 septembre 2011 (ci-après : le Code wallon de l’action sociale et de la santé), tel qu’il a été modifié par le décret de la Région wallonne du 3 décembre 2015 « relatif à l’Agence wallonne de la santé, de la protection sociale, du handicap et des familles », dispose :
« § 1er. Sans préjudice des dispositions spécifiques énoncées dans le décret II du 22 juillet 1993 attribuant l’exercice de certaines compétences de la Communauté française à la Région wallonne et à la Commission communautaire française et prises en application de ces dispositions, peuvent bénéficier des prestations les personnes handicapées qui n’ont pas atteint l’âge de 65 ans au moment où elles introduisent leur première demande d’intervention.
Les bénéficiaires doivent en outre satisfaire aux conditions suivantes :
- être domiciliés sur le territoire de la région de langue française ou sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre d’un accord de coopération;
- être de nationalité belge ou être de statut apatride ou réfugiés reconnus ou être travailleurs ou enfants de travailleurs d’un Etat membre de l’Union européenne.
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Les personnes qui ne répondent pas aux conditions de nationalité peuvent néanmoins bénéficier des prestations pour autant qu’elles justifient d’une période de résidence régulière et ininterrompue de cinq ans en Belgique précédant leur demande d’intervention.
La période de résidence régulière et ininterrompue n’est pas exigée pour le conjoint ou les enfants à charge d’une personne qui justifie d’une durée de résidence requise.
§ 2. Le Gouvernement peut étendre l’application du présent livre, dans les conditions fixées par lui, à des personnes handicapées autres que celles visées au paragraphe 1er.
§ 3. Sous réserve de l’alinéa 2 du paragraphe 1er, des accords de coopération approuvés par le Parlement dérogent aux dispositions énoncées aux paragraphes 1er et 2 du présent article.
§ 4. Sous réserve de réciprocité et dans le cadre d’un accord de coopération, le Gouvernement prend en charge les frais liés au placement et à l’intégration socio-
professionnelle de personnes handicapées accueillies, en vertu de la réglementation arrêtée par la Commission communautaire française, dans des institutions situées dans la région de langue française.
§ 5. Des accords de coopération précisent les conditions et les modalités d’accueil, d’hébergement et d’intégration socio-professionnelle des personnes handicapées relevant des autres entités fédérées ».
La question préjudicielle porte spécifiquement sur le paragraphe 1er, alinéa 1er, de la disposition précitée. La Cour limite son examen à celui-ci.
B.1.2. La disposition en cause reprend le texte de l’article 16 du décret de la Région wallonne du 6 avril 1995 « relatif à l’intégration des personnes handicapées ». Les travaux préparatoires indiquent :
« Seul l’article 16 précise que l’ouverture du droit prend fin à 65 ans sans naturellement que la personne handicapée perde ses droits à cet âge et sans empêcher que des dispositions particulières soient arrêtées pour des services particuliers » (Doc. parl., Parlement wallon, 1993-1994, n° 266/22, p. 21).
Concernant un amendement, finalement rejeté, les travaux préparatoires mentionnent le critère spécifique de l’âge :
« Cet amendement vise à supprimer les termes ‘ qui n’ont pas atteint l’âge de 65 ans au moment où elles introduisent leur première demande d’intervention ’. L’auteur de l’amendement ne comprend pas cette restriction, alors qu’une personne qui devient handicapée
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à 65 ans doit pouvoir bénéficier d’un accompagnement qui s’avère d’autant plus nécessaire que son handicap est tardif.
Le Ministre s’est également interrogé sur cette limite d’âge; cette règle est pourtant présente dans bon nombre de législations. En l’occurrence, il ne s’agit pas des personnes qui étaient déjà handicapées avant l’âge de 65 ans, mais de celles qui le deviennent après 65 ans.
La difficulté réside en la liaison ou non du handicap au facteur vieillissement. Le paragraphe 2
du nouveau texte proposé : ‘ Le Gouvernement peut étendre l’application du présent décret dans les conditions fixées par lui, à des personnes handicapées autres que celles visées au paragraphe 1er ’ permet de prendre en compte ces cas spécifiques » (Doc. parl., Parlement wallon, 1993-1994, n° 266/22, p. 39).
B.2.1. La Cour est saisie d’une question préjudicielle portant sur la compatibilité de l’article 275 du Code wallon de l’action sociale et de la santé avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 15 de la Charte sociale européenne révisée et avec les articles 19 et 26 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, adoptée à New York le 13 décembre 2006, en ce que cette disposition décrétale exclut des « prestations de services » comprises dans la notion d’« aide individuelle à l’intégration » (au sens de l’article 784 du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé) les personnes en situation de handicap avant l’âge de 65 ans mais qui n’ont pas introduit de demande d’intervention auprès de l’Agence wallonne de la santé, de la protection sociale, du handicap et des familles (ci-après : l’AViQ) avant cet âge, alors que peuvent bénéficier de l’intervention de l’AViQ pour ces mêmes prestations de services les personnes en situation de handicap avant l’âge de 65 ans et qui ont introduit, avant cet âge, une demande d’intervention auprès de cette institution.
B.2.2. Le Gouvernement wallon et l’AViQ sollicitent la reformulation de la question préjudicielle en ce qu’elle reposerait sur une prémisse erronée.
B.2.3. Il ressort de la décision de renvoi que l’intervention litigieuse dont l’octroi a été refusé par l’AViQ est un « budget d’assistance personnelle ». Celui-ci est réglé par les articles 797 et suivants du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé. Par conséquent, et comme le confirme l’article 800, alinéa 2, du même Code, il n’est pas compris dans les « prestations de services » contenues dans la notion d’« aide individuelle à
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l’intégration » au sens de l’article 784 du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé, contrairement à ce qui est indiqué dans la question préjudicielle.
Il convient dès lors de considérer que la Cour est interrogée sur la compatibilité de l’article 275 du Code wallon de l’action sociale et de la santé avec les normes de référence énumérées, en ce qu’il ne permet pas aux personnes en situation de handicap avant l’âge de 65 ans mais qui n’ont pas introduit de demande d’intervention auprès de l’AViQ avant cet âge de se voir octroyer un budget d’assistance personnelle au sens des articles 797 et suivants du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé, à la différence des personnes en situation de handicap avant l’âge de 65 ans et qui ont introduit une telle demande dans le délai imparti.
La Cour répond à la question en ce sens. Il ressort des mémoires introduits auprès de la Cour par les parties qu’elles ont pu présenter une défense utile en ce qui concerne la question ainsi reformulée.
B.2.4. Il ressort des faits de la décision de renvoi que l’existence du handicap dans le chef de la partie demanderesse devant la juridiction a quo, ainsi que la date de sa survenance, ne sont pas contestées, et que la nécessité du budget d’assistance personnelle présente un lien direct avec ce handicap. La Cour limite son examen à cette situation.
B.3. Les articles 797 à 800 du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé relatifs au budget d’assistance personnelle disposent :
« Art. 797. Pour l’application de la présente section, on entend par :
1° bénéficiaire : personne handicapée à laquelle l’AWIPH octroie un budget d’assistance personnelle;
2° assistant personnel : prestataire qui réalise les prestations d’assistance personnelle;
3° prestation d’assistance personnelle : prestation telle que définie à l’article 800;
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4° projet d’intervention personnalisé : le projet tel que défini à l’article 279, alinéa 5 de la deuxième partie du Code décrétal;
5° la coordination d’un budget d’assistance personnelle : consiste notamment en l’évaluation avec le bénéficiaire de ses besoins en prestations d’assistance personnelle, la participation à l’élaboration du plan de service, la planification et la coordination des services et prestations d’assistance personnelle, la médiation entre l’AWIPH, les assistants personnels, leurs employeurs et le bénéficiaire ou ses représentants légaux, le suivi de l’exécution du projet d’intervention personnalisé et la formulation de propositions d’adaptation du projet d’intervention personnalisé;
6° RMMMG : revenu minimum mensuel moyen garanti fixé, pour les travailleurs âgés de vingt et un ans ou plus, par l’article 3 de la convention collective de travail n° 43 conclue au sein du Conseil national du travail le 2 mai 1988.
Art. 798. L’assistance personnelle vise à compenser les incapacités du bénéficiaire dues à ses déficiences en lui fournissant l’aide et l’assistance demandée, sous forme de financement des prestations réalisées par un ou des assistants personnels, en vue de se maintenir dans son milieu de vie ordinaire, d’organiser sa vie quotidienne et de faciliter son intégration familiale, sociale ou professionnelle.
Art. 799. Le budget d’assistance personnelle consiste en un droit de tirage calculé sur base annuelle attribué à une personne handicapée qui est destiné à couvrir la prise en charge financière de tout ou partie de ses frais d’assistance personnelle et la coordination de celle-ci.
La fraction du droit de tirage annuel qui n’est pas utilisée ne peut être reportée l’année suivante.
Art. 800. Pour autant qu’elles ne fassent pas partie des interventions pouvant être accordées par l’AWIPH en vertu d’une autre réglementation, les prestations d’assistance personnelle peuvent être les suivantes :
1° aide aux activités de la vie journalière;
2° aide aux activités de la vie domestique;
3° aide aux activités sociales et de loisirs;
4° aide aux activités professionnelles hors activités de production;
5° aide aux déplacements liés aux activités de la vie quotidienne;
6° la coordination du projet d’intervention personnalisé.
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Les prestations suivantes ne sont pas couvertes par le budget d’assistance personnelle ainsi que l’éventuelle participation financière afférente à ces prestations laissée à charge du bénéficiaire :
1° l’aide individuelle à l’intégration telle que prévue par les sections 2 et 3 du présent chapitre;
2° les traitements, examens ou thérapies médicaux et paramédicaux remboursés ou non, nomenclaturés ou non par l’INAMI, ou non reconnus;
3° l’assistance pédagogique et didactique lors des études;
4° les prestations d’assistance personnelle pour mineurs qui ne sont pas liées aux déficiences mais à l’âge ».
B.4.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.4.2. L’article 15 de la Charte sociale européenne révisée dispose :
« Droit des personnes handicapées à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté
En vue de garantir aux personnes handicapées, quel que soit leur âge, la nature et l’origine de leur handicap, l’exercice effectif du droit à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté, les Parties s’engagent notamment :
1. à prendre les mesures nécessaires pour fournir aux personnes handicapées une orientation, une éducation et une formation professionnelle dans le cadre du droit commun chaque fois que possible ou, si tel n’est pas le cas, par le biais d’institutions spécialisées publiques ou privées;
2. à favoriser leur accès à l’emploi par toute mesure susceptible d’encourager les employeurs à embaucher et à maintenir en activité des personnes handicapées dans le milieu ordinaire de travail et à adapter les conditions de travail aux besoins de ces personnes ou, en cas d’impossibilité en raison du handicap, par l’aménagement ou la création d’emplois protégés en fonction du degré d’incapacité. Ces mesures peuvent justifier, le cas échéant, le recours à des services spécialisés de placement et d’accompagnement;
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3. à favoriser leur pleine intégration et participation à la vie sociale, notamment par des mesures, y compris des aides techniques, visant à surmonter des obstacles à la communication et à la mobilité et à leur permettre d’accéder aux transports, au logement, aux activités culturelles et aux loisirs ».
B.4.3. La Convention relative aux droits des personnes handicapées, précitée, a été ratifiée le 2 juillet 2009 par la Belgique. Ses articles 19 et 26 disposent :
« Article 19. Autonomie de vie et inclusion dans la société
Les États Parties à la présente Convention reconnaissent à toutes les personnes handicapées le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes, et prennent des mesures efficaces et appropriées pour faciliter aux personnes handicapées la pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société, notamment en veillant à ce que :
a) Les personnes handicapées aient la possibilité de choisir, sur la base de l’égalité avec les autres, leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre et qu’elles ne soient pas obligées de vivre dans un milieu de vie particulier;
b) Les personnes handicapées aient accès à une gamme de services à domicile ou en établissement et autres services sociaux d’accompagnement, y compris l’aide personnelle nécessaire pour leur permettre de vivre dans la société et de s’y insérer et pour empêcher qu’elles ne soient isolées ou victimes de ségrégation;
c) Les services et équipements sociaux destinés à la population générale soient mis à la disposition des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, et soient adaptés à leurs besoins ».
« Article 26. Adaptation et réadaptation
1. Les États Parties prennent des mesures efficaces et appropriées, faisant notamment intervenir l’entraide entre pairs, pour permettre aux personnes handicapées d’atteindre et de conserver le maximum d’autonomie, de réaliser pleinement leur potentiel physique, mental, social et professionnel, et de parvenir à la pleine intégration et à la pleine participation à tous les aspects de la vie. À cette fin, les États Parties organisent, renforcent et développent des services et programmes diversifiés d’adaptation et de réadaptation, en particulier dans les domaines de la santé, de l’emploi, de l’éducation et des services sociaux, de telle sorte que ces services et programmes :
a) commencent au stade le plus précoce possible et soient fondés sur une évaluation pluridisciplinaire des besoins et des atouts de chacun;
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b) facilitent la participation et l’intégration à la communauté et à tous les aspects de la société, soient librement acceptés et soient mis à la disposition des personnes handicapées aussi près que possible de leur communauté, y compris dans les zones rurales.
2. Les États Parties favorisent le développement de la formation initiale et continue des professionnels et personnels qui travaillent dans les services d’adaptation et de réadaptation.
3. Les États Parties favorisent l’offre, la connaissance et l’utilisation d’appareils et de technologies d’aide, conçus pour les personnes handicapées, qui facilitent l’adaptation et la réadaptation ».
B.5.1. La différence de traitement au sujet de laquelle la Cour est interrogée repose sur un critère objectif, à savoir l’âge auquel la première demande d’intervention pour les personnes en situation de handicap est introduite. Si cette demande a lieu avant que le demandeur ait atteint l’âge de 65 ans, l’intéressé entre en ligne de compte après cet âge également pour bénéficier du budget d’assistance personnelle. Si, avant l’âge de 65 ans, aucune première demande d’intervention n’a été introduite, l’intéressé n’entre pas en ligne de compte pour bénéficier de ce budget d’assistance personnelle.
B.5.2. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.1.2 qu’en exigeant que la première demande d’intervention soit introduite avant l’âge de 65 ans, le législateur décrétal a voulu distinguer la perte d’autonomie causée par un handicap de la perte d’autonomie causée par le vieillissement, dès lors que ces deux cas sont soumis à des régimes légaux différents, à savoir, d’une part, le régime prévu pour les personnes en situation de handicap et, d’autre part, le régime prévu pour les personnes âgées.
B.5.3. En Région wallonne, le décret du 1er octobre 2020 « relatif à l’allocation pour l’aide aux personnes âgées et portant modification du Code wallon de l’Action sociale et de la Santé »
a inséré un livre IIIquater (« Allocation pour l’aide aux personnes âgées ») dans la partie 1 du Code précité. Cette réglementation prévoit une allocation pour l’aide aux personnes âgées qui est accordée à la personne en situation de handicap âgée d’au moins 65 ans dont le manque ou la réduction d’autonomie est établi (article 43/33 du Code), sous certaines conditions (article 43/35 du Code), et qui ne peut être cumulée avec d’autres allocations relatives aux personnes en situation de handicap (article 43/34 du Code). Enfin, le montant de l’allocation
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est fixé sur les seuls critères du degré de l’autonomie du bénéficiaire ainsi que de la catégorie à laquelle il appartient, d’une manière déterminée par l’évaluation prévue par le décret (article 43/37 du Code).
B.6.1. Compte tenu de la coexistence de régimes légaux différents, le critère de distinction présente un rapport pertinent avec l’objectif du législateur mentionné en B.5.2 en ce qui concerne l’octroi d’une allocation sensu stricto, à savoir l’octroi d’une somme d’argent sous la forme d’une rente, dont l’objet n’est pas spécifique. Ainsi, à partir de l’âge de 65 ans, la personne en situation de handicap peut bénéficier de l’allocation pour l’aide aux personnes âgées, précitée. Avant cet âge, elle peut bénéficier de l’allocation de remplacement de revenus ou de l’allocation d’intégration, en application du Code wallon de l’action sociale et de la santé, de la loi du 27 février 1987 « relative aux allocations aux personnes handicapées » et de l’arrêté royal du 6 juillet 1987 « relatif à l’allocation de remplacement de revenus et à l’allocation d’intégration », tels qu’en vigueur en Région wallonne.
B.6.2. Il en va toutefois tout autrement en ce qui concerne le budget d’assistance personnelle, au sens des articles 797 et suivants du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé, lequel constitue une aide spécifiquement octroyée pour faire face aux frais relatifs aux prestations d’assistance personnelle visées à l’article 800 du même Code. En effet, si la personne en situation de handicap âgée de plus de 65 ans n’a pas introduit une première demande d’intervention avant cet âge, elle est exclue de cette aide, sans qu’elle puisse solliciter une autre intervention pour le financement spécifique des prestations d’assistance personnelle qui lui sont nécessaires, même s’il n’est pas contesté que le handicap est survenu avant l’âge de 65 ans et que les frais relatifs à ces prestations d’assistance sont directement liés à son handicap.
B.6.3. Dans un tel cas, il n’est pas raisonnablement justifié que le budget d’assistance personnelle soit refusé à une personne qui ne sollicite pas cette aide de la part de l’autorité publique au moment où elle est atteinte d’un handicap, alors qu’en raison de ce handicap, le financement de prestations d’assistance personnelle par un budget d’assistance personnelle
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devient nécessaire pour garantir l’autonomie de cette personne après qu’elle a atteint l’âge de 65 ans.
B.7. L’article 275 du Code wallon de l’action sociale et de la santé n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 19 et 26 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, précitée, et avec l’article 15 de la Charte sociale européenne révisée, en ce qu’il exclut du budget d’assistance personnelle, au sens des articles 797 et suivants du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé, une personne qui n’avait pas encore atteint l’âge de 65 ans au moment où elle a été atteinte d’un handicap et qui n’avait pas introduit une première demande d’intervention avant cet âge, bien que l’existence du handicap ne soit pas contestée et que la nécessité de ce budget d’assistance personnelle découle directement de ce handicap.
14
Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 275 du Code wallon de l’action sociale et de la santé viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 19 et 26 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, adoptée à New York le 13 décembre 2006, et avec l’article 15 de la Charte sociale européenne révisée, en ce qu’il exclut du budget d’assistance personnelle, au sens des articles 797 et suivants du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé, une personne qui n’avait pas encore atteint l’âge de 65 ans au moment où elle a été atteinte d’un handicap et qui n’avait pas introduit une première demande d’intervention avant cet âge, bien que l’existence du handicap ne soit pas contestée et que la nécessité du budget d’assistance personnelle découle directement de ce handicap.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 novembre 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 135/2024
Date de la décision : 21/11/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Violation (article 275 du Code wallon de l'action sociale et de la santé, en ce qu'il exclut du budget d'assistance personnelle, au sens des articles 797 et suivants du Code réglementaire wallon de l'action sociale et de la santé, une personne qui n'avait pas encore atteint l'âge de 65 ans au moment où elle a été atteinte d'un handicap et qui n'avait pas introduit une première demande d'intervention avant cet âge, bien que l'existence du handicap ne soit pas contestée et que la nécessité du budget d'assistance personnelle découle directement de ce handicap)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle relative à l'article 275 du Code wallon de l'action sociale et de la santé, posée par le Tribunal du travail de Liège, division de Neufchâteau. Personnes handicapées - Région wallonne - Aide individuelle à l'intégration - Prestations de services - Exclusion - Personne qui n'avait pas encore atteint l'âge de 65 ans au moment où elle a été frappée d'un handicap et qui n'avait pas introduit une première demande d'intervention avant cet âge


Origine de la décision
Date de l'import : 06/12/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-11-21;135.2024 ?

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