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21/11/2024 | BELGIQUE | N°132/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 21 novembre 2024, 132/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 132/2024
du 21 novembre 2024
Numéro du rôle : 8085
En cause : le recours en annulation partielle de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 2 mars 2023 « modifiant l’ordonnance du 1er mars 2007 relative à la protection de l’environnement contre les éventuels effets nocifs et nuisances provoqués par les radiations non ionisantes, l’ordonnance du 5 juin 1997 relative aux permis d’environnement et l’ordonnance du 2 mai 2013 portant le Code bruxellois de l’Air, du Climat et de la Maîtrise de l’Énergie », introdu

it par l’ASBL « Groupe de Réflexion et d’Action Pour une Politique Ecologique et de la ...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 132/2024
du 21 novembre 2024
Numéro du rôle : 8085
En cause : le recours en annulation partielle de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 2 mars 2023 « modifiant l’ordonnance du 1er mars 2007 relative à la protection de l’environnement contre les éventuels effets nocifs et nuisances provoqués par les radiations non ionisantes, l’ordonnance du 5 juin 1997 relative aux permis d’environnement et l’ordonnance du 2 mai 2013 portant le Code bruxellois de l’Air, du Climat et de la Maîtrise de l’Énergie », introduit par l’ASBL « Groupe de Réflexion et d’Action Pour une Politique Ecologique et de la santé » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia et Kattrin Jadin, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 4 octobre 2023 et parvenue au greffe le 5 octobre 2023, un recours en annulation partielle de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 2 mars 2023 « modifiant l’ordonnance du 1er mars 2007
relative à la protection de l’environnement contre les éventuels effets nocifs et nuisances provoqués par les radiations non ionisantes, l’ordonnance du 5 juin 1997 relative aux permis d’environnement et l’ordonnance du 2 mai 2013 portant le Code bruxellois de l’Air, du Climat et de la Maîtrise de l’Énergie » (publiée au Moniteur belge du 4 avril 2023) a été introduit par l’ASBL « Groupe de Réflexion et d’Action Pour une Politique Ecologique et de la santé », l’ASBL « Association pour la Reconnaissance de l’ElectroHyperSensibilité », Colette Devillers, Marie Demortier et Martine Grynberg, assistées et représentées par Me Denis Brusselmans, avocat au barreau du Brabant wallon.
Des mémoires et mémoires en réplique ont été introduits par :
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- la SA de droit public « Proximus », assistée et représentée par Me Bart Martel et Me Margaux De Backer, avocats au barreau de Bruxelles (partie intervenante);
- le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, assisté et représenté par Me Ivan-Serge Brouhns et Me Guillaume Possoz, avocats au barreau de Bruxelles.
Les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 25 septembre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Kattrin Jadin et Danny Pieters, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité du recours en annulation
A.1.1. Afin de démontrer son intérêt à demander l’annulation de l’article 2, c) et d), et de l’article 3, b), c), d), e) et f), de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 2 mars 2023 « modifiant l’ordonnance du 1er mars 2007 relative à la protection de l’environnement contre les éventuels effets nocifs et nuisances provoqués par les radiations non ionisantes, l’ordonnance du 5 juin 1997 relative aux permis d’environnement et l’ordonnance du 2 mai 2013 portant le Code bruxellois de l’Air, du Climat et de la Maîtrise de l’Énergie » (ci-après :
l’ordonnance du 2 mars 2023), l’association sans but lucratif « Groupe de Réflexion et d’Action Pour une Politique Ecologique » expose qu’elle a déjà exprimé publiquement, de diverses manières, son opposition à l’utilisation de la technologie « 5G », que les dispositions législatives attaquées ont pour but de favoriser. L’association requérante ajoute que ces dispositions affectent la « véritable politique écologique » qu’elle a pour but statutaire de promouvoir, ainsi que la Cour l’a constaté dans l’arrêt n° 144/2020 du 12 novembre 2020
(ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.144).
A.1.2. Afin de démontrer son intérêt à demander l’annulation des dispositions législatives précitées, l’association sans but lucratif « Association pour la Reconnaissance de l’ElectroHyperSensibilité » relève qu’elle a été créée pour faire reconnaître par la loi les nuisances que peuvent causer les champs électromagnétiques émis entre autres par les antennes-relais et les « bornes wifi » et pour garantir aux personnes un environnement non pollué par ces champs.
La deuxième association requérante souligne aussi être membre d’un collectif d’associations qui a été créé dans le but de faire opposition à l’utilisation de la technologie « 5G ».
A.1.3. Colette Devillers, Marie Demortier et Martine Grynberg arguent, de leur côté, qu’elles résident en région bruxelloise, qu’un médecin a attesté qu’elles souffraient de l’exposition aux ondes électromagnétiques
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émises par divers appareils et que ce médecin leur a recommandé d’éviter cette exposition. Elles estiment justifier de l’intérêt à demander l’annulation des dispositions législatives attaquées, dès lors que l’utilisation de la technologie « 5G » sur le territoire de la région bruxelloise, que ces dispositions ont pour but de permettre, les exposera davantage aux champs électromagnétiques.
A.2. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que le recours en annulation est irrecevable en ce qu’il porte sur l’article 3, d), e) et f), de l’ordonnance du 2 mars 2023.
Il observe que les requérantes n’expliquent pas, dans leur requête, en quoi ces dispositions législatives seraient incompatibles avec les normes dont elles dénoncent la violation.
Quant à la recevabilité du mémoire déposé par la société anonyme de droit public « Proximus »
A.3. La société anonyme de droit public « Proximus » (ci-après : Proximus) expose que sa situation pourrait être directement affectée par l’arrêt que la Cour rendra à propos du recours en annulation.
Elle remarque que cet arrêt aura une incidence sur ses droits et obligations relatifs aux activités d’exploitation de son réseau de téléphonie mobile. Elle observe que l’un des objectifs des dispositions législatives attaquées est d’offrir aux opérateurs de télécommunication une plus grande marge de manœuvre quant à la conception de leurs réseaux de télécommunication.
Quant aux moyens
En ce qui concerne le premier moyen
A.4. Les requérantes allèguent que l’article 3, § 1er/1, de l’ordonnance du 1er mars 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 3, b), de l’ordonnance du 2 mars 2023, viole les articles 10, 11, et 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution ainsi que le principe de la sécurité juridique et le principe de précaution, en ce que, en autorisant des densités de puissance du rayonnement des radiations non ionisantes d’une valeur plus de vingt fois plus élevée que la valeur maximale qui était autorisée auparavant, la disposition législative attaquée réduirait significativement le degré de protection qu’offrait la législation précédemment applicable, sans que cela soit justifié par l’intérêt général.
A.5.1. Les requérantes observent d’abord que la norme chiffrée que contient la disposition attaquée va à l’encontre des recommandations que le Conseil supérieur de la santé a faites le 4 février 2009 et le 1er octobre 2014 à propos des éventuelles nuisances des rayonnements liés au développement de la téléphonie mobile. Elles notent aussi que le Conseil supérieur de la santé a reconnu, en mai 2019, que l’exposition aux champs électromagnétiques utilisés pour ce mode de communication pouvait être nocive. Les requérantes font aussi valoir que la disposition attaquée autorise l’exposition à une pollution électromagnétique d’un niveau bien supérieur à celui que les experts scientifiques indépendants recommandent de ne pas dépasser. Elles soulignent en outre que la résolution adoptée à ce sujet en 2011 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe préconise une norme beaucoup plus stricte que celle de l’International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection (ci-
après : ICNIRP), à laquelle renvoient l’Organisation mondiale de la santé et l’Union européenne.
Les requérantes remarquent que l’augmentation de la pollution électromagnétique que permet la disposition législative attaquée affectera non seulement la santé des personnes qui souffrent d’électrohypersensibilité, mais aussi celle de toute personne exposée aux ondes électromagnétiques. Les requérantes déduisent de plusieurs études scientifiques suédoises réalisées en 2023 que la mise en service d’une « antenne 5G » (bande de 3,5 GHz) à proximité du lieu de vie d’humains en bonne santé provoque chez ces derniers des symptômes graves, dont la plupart disparaissent, plus ou moins rapidement, lorsque ces personnes s’en vont vivre ailleurs.
Les requérantes insistent sur le fait que l’existence en dehors de la région bruxelloise de normes destinées à limiter la pollution électromagnétique qui sont moins sévères que celles que contient la disposition attaquée ne
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suffit pas pour considérer que cette dernière ne réduit pas le degré de protection de l’environnement qui résultait de la précédente règle bruxelloise.
A.5.2. Les requérantes exposent ensuite que la disposition législative attaquée est presque exclusivement inspirée de considérations d’ordre économique, technologique ou technocratique, qui, selon elles, ne peuvent être qualifiées de motifs d’intérêt général permettant de justifier la réduction du degré de protection de l’environnement et la prise de distance par rapport au principe de précaution. Les requérantes observent qu’en 2007, c’est le principe de précaution qui avait justifié l’adoption d’une limite de densité de puissance du rayonnement des radiations non ionisantes d’une valeur vingt fois moins élevée que la limite édictée par la disposition attaquée. Elles n’aperçoivent pas quelles seraient les données scientifiques qui permettraient de comprendre en quoi cette disposition ne heurte pas ce principe, sur lequel reposent aussi les recommandations qui ont été faites par le Conseil supérieur de la santé en 2009, en 2010 et en 2014.
Les requérantes ajoutent que le développement de la technologie « 5G » est néfaste pour la santé publique et qu’il aggrave le réchauffement climatique en raison de l’augmentation des gaz à effet de serre que provoque la forte hausse de la consommation d’électricité résultant de l’usage de cette technologie.
Les requérantes se demandent si, dans ce contexte, la disponibilité de services de mobilophonie de qualité et le souci d’accompagner les évolutions technologiques en la matière afin de répondre aux besoins des utilisateurs constituent réellement des nécessités susceptibles de constituer un motif d’intérêt général permettant de diminuer la protection de l’environnement et, partant, d’affecter la santé des humains.
A.6. Selon le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale (ci-après : le Gouvernement), le moyen n’est pas fondé.
A.7. Il soutient, à titre principal, que l’obligation de standstill qui découle de l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution n’est pas applicable en l’espèce, puisque la disposition législative attaquée a été conçue compte tenu du principe de précaution.
Le Gouvernement considère qu’il est impossible de déterminer si une norme qui est adoptée dans un contexte d’incertitude scientifique relative au caractère nuisible des ondes électromagnétiques réduit significativement le degré de protection de l’environnement.
A.8.1. À titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que la disposition législative attaquée ne réduit pas significativement le degré de précaution ou de protection de l’environnement qu’offrait la législation précédemment applicable. Il considère que tant l’ancienne norme que la nouvelle norme d’immission offrent un niveau élevé de protection de la santé contre les risques liés à l’exposition aux ondes électromagnétiques.
Il affirme aussi qu’il n’existe pas de consensus scientifique à propos des effets néfastes des radiations non ionisantes pour l’environnement et la santé, lorsque de telles radiations restent dans les limites déterminées par la disposition législative attaquée.
A.8.2. Le Gouvernement relève que les normes qui sont applicables dans chacune des deux autres régions de l’État, dans la plupart des autres États de l’Union européenne, ainsi que dans une petite dizaine d’autres États du monde sont moins protectrices de l’environnement, alors que les autorités de ces États et régions se sont aussi préoccupées de l’incidence de la technologie « 5G » sur l’environnement et la santé. Le Gouvernement ajoute que le degré de protection contre les champs électromagnétiques qu’offre la disposition attaquée demeure beaucoup plus élevé que celui qui était recommandé en juillet 1999 par le Conseil de l’Union européenne et qui est aujourd’hui recommandé par l’ICNIRP.
Le Gouvernement rappelle en outre que la Cour, par l’arrêt n° 12/2016 du 27 janvier 2016
(ECLI:BE:GHCC:2016:ARR.012), a jugé que le principe de précaution est respecté lorsque l’assouplissement d’une norme d’immission par le pouvoir législatif n’a pas pour effet de rendre cette norme moins contraignante que les recommandations internationales et européennes. Il souligne que ce principe n’oblige pas le pouvoir législatif à interdire une activité dont les risques pour la santé restent incertains.
A.8.3. Le Gouvernement observe aussi que, compte tenu des intérêts économiques et sociaux liés au développement de la téléphonie mobile, le degré de protection imposé par la norme d’immission attaquée est
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particulièrement strict au regard des valeurs recommandées par l’Organisation mondiale de la santé, tout en restant proche des recommandations du Conseil supérieur de la santé.
Le Gouvernement déduit de l’avis émis par ce Conseil en 2014, des travaux du comité d’experts des radiations non ionisantes institué par l’article 3, § 2, de l’ordonnance du 1er mars 2007 (ci-après : le comité d’experts), ainsi que du rapport sur les incidences environnementales relatif à l’avant-projet d’ordonnance qui est à l’origine de l’ordonnance du 2 mars 2023, que l’existence des effets nocifs pour l’homme et l’environnement des radiations non ionisantes provoquées par la communication sans fil, ainsi que l’ampleur de ces effets, restent incertains lorsque ces radiations n’excèdent pas les limites recommandées par l’Organisation mondiale de la santé et l’Union européenne.
Le Gouvernement remarque que, dans ce contexte, les recommandations du Conseil supérieur de la santé de 2014 sont donc uniquement inspirées du principe de précaution. Il précise que, lorsqu’il tient compte de ce principe, le pouvoir législatif dispose d’une large marge d’appréciation et reste libre de tenir compte d’intérêts non sanitaires. Il note que les mesures énoncées par la disposition législative attaquée visent à prévenir le risque de nocivité des ondes émises par les antennes-relais utilisées pour la technologie « 5G ».
A.8.4. Le Gouvernement ajoute qu’il y a lieu de tenir compte non seulement du fait que la disposition attaquée énonce, pour les zones accessibles au public qui se trouvent à l’intérieur d’un bâtiment, une norme plus protectrice que celle qui est applicable aux zones qui se trouvent à l’extérieur, mais aussi du fait que l’ordonnance du 2 mars 2023 contient d’autres mesures qui tendent à renforcer la protection des personnes contre les ondes électromagnétiques émises par les antennes de télécommunication.
A.8.5. Le Gouvernement expose, de manière plus générale, que la Cour est d’autant moins en mesure de déterminer la valeur des études scientifiques présentées par les parties que le monde scientifique n’est pas unanime.
Il déduit de l’arrêt de la Cour n° 76/2023 du 17 mai 2023 (ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.076) que c’est au requérant qu’il revient de démontrer qu’une étude scientifique qu’il utilise comme argument est plus fiable que l’étude scientifique sur laquelle l’autorité s’est appuyée pour adopter la norme attaquée dans le cadre d’un recours en annulation.
A.9.1. À titre plus subsidiaire encore, le Gouvernement soutient que, s’il est considéré que l’assouplissement, par la disposition législative attaquée, de la norme d’immission des ondes électromagnétiques des antennes de téléphonie mobile réduit significativement le degré de protection de l’environnement qu’offrait la législation précédemment applicable, cette réduction est justifiée par des motifs d’intérêt général pris en considération de manière proportionnée.
Le Gouvernement considère que la nouvelle norme d’immission est proportionnée, modérée et inspirée par le souci de protéger la population contre les effets incertains de la technologie réglementée sur la santé, tout en permettant l’utilisation de cette technologie jugée essentielle pour la Région.
Il souligne que la Cour ne peut faire primer sa propre conception de l’intérêt général sur celle du pouvoir législatif régional, qui résulte d’arbitrages équilibrés entre divers intérêts.
A.9.2. Le Gouvernement observe que le législateur ordonnanciel a largement tenu compte, lors des travaux préparatoires de la disposition législative attaquée, des intérêts sanitaires, environnementaux, économiques et sociaux du développement de la téléphonie mobile.
Il remarque que les auteurs du rapport sur les incidences environnementales relatif à l’avant-projet d’ordonnance ont attiré l’attention sur l’importante augmentation de la consommation électrique et des émissions de gaz à effet de serre qu’entraînera le développement de la technologie « 5G », et qu’ils ont observé que l’abandon de cet avant-projet ne permettrait pas l’adoption de mesures visant à diminuer l’importante consommation d’énergie liée au marché de la téléphonie mobile.
Le Gouvernement ajoute que l’article 2, c), l’article 3, j) et k), l’article 4, l’article 8, §§ 2 et 3, ainsi que l’article 11, § 2, de l’ordonnance du 2 mars 2023 contiennent des mesures visant à protéger l’environnement.
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Le Gouvernement insiste enfin sur le fait que l’adoption de la norme d’immission énoncée par la disposition attaquée était indispensable au développement de la technologie « 5G ».
A.10. À titre principal, Proximus soutient que le premier moyen est irrecevable parce que la requête ne précise pas en quoi la disposition législative attaquée serait incompatible avec le principe d’égalité, avec le principe de la sécurité juridique et avec le principe de précaution.
A.11.1. À titre subsidiaire, Proximus soutient que le moyen n’est pas fondé.
A.11.2. La société intervenante expose d’abord que la disposition législative attaquée respecte le principe de précaution.
Elle observe que, même si la nocivité des champs électromagnétiques n’est pas scientifiquement établie, l’exploitation des antennes d’un réseau de télécommunication mobile qui émettent des ondes électromagnétiques fait l’objet de règles strictes, en application du principe de précaution. Elle souligne que l’article 3, § 1er/1, de l’ordonnance du 1er mars 2007 ne fait courir aucun risque à la population, vu que les normes d’immission qu’il énonce sont beaucoup plus contraignantes que celles que recommande l’ICNIRP, lesquelles sont elles-mêmes, par précaution, déjà cinquante fois plus protectrices que le seuil de risque sanitaire admis à l’échelle internationale.
Proximus estime que les normes d’immission énoncées par la disposition attaquée respectent le principe de précaution, pour des motifs similaires à ceux qui ont amené la Cour à rejeter, par l’arrêt n° 12/2016, précité, le recours en annulation qui avait été introduit contre le précédent relèvement de la norme d’immission par l’ordonnance du 3 avril 2014. La société intervenante renvoie, entre autres, aux rapports remis par le comité d’experts en 2018 et en 2020.
A.11.3.1. La société intervenante expose ensuite que la disposition législative attaquée n’est pas incompatible avec l’obligation de standstill qui découle de l’article 23 de la Constitution.
A.11.3.2. Selon Proximus, la disposition attaquée ne réduit pas significativement le degré de protection de l’environnement contre les radiations non ionisantes.
La société intervenante souligne que les normes énoncées par cette disposition sont beaucoup plus strictes que celles qui sont recommandées par l’ICNIRP, alors que celles-ci constituent la principale référence internationale, qu’elles sont suivies par les trois quarts des États membres de l’Union européenne, qu’elles sont recommandées par l’Organisation mondiale de la santé et qu’elles ont été adoptées eu égard au principe de précaution. Proximus affirme que la modification des normes d’immission par la disposition attaquée a été soutenue par le comité d’experts.
Proximus considère qu’il y a aussi lieu de tenir compte d’autres dispositions de l’ordonnance du 2 mars 2023, telles celles qui ont pour effet que les opérateurs broadcast sont dorénavant tenus de respecter les normes d’immission énoncées dans l’ordonnance du 1er mars 2007 et celles qui tendent à obliger les prestataires de services de téléphonie à améliorer la gestion des déchets causés par le développement des réseaux de téléphonie mobile, ou à contribuer à la diminution de la consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre.
La société intervenante conteste enfin la pertinence des études scientifiques relatives à la nocivité des ondes électromagnétiques auxquelles les requérantes font référence. Elle soutient que ces dernières ne démontrent pas que ces études scientifiques sont plus fiables que les données fournies par le monde scientifique sur lesquelles s’appuie la disposition législative attaquée.
A.11.3.3. Proximus considère qu’à supposer que la disposition attaquée réduise significativement le degré de protection de l’environnement contre les radiations non ionisantes, cette réduction est en tout état de cause justifiée par des motifs d’intérêt général.
La société intervenante relève que, lors des travaux préparatoires, la disposition attaquée a été présentée comme étant nécessaire à l’installation de services de téléphonie de qualité et à la réponse aux besoins des utilisateurs de ces services. Elle observe que tant l’IBPT que le comité d’experts jugent que les normes d’immission antérieures ne permettaient ni de faire face à l’augmentation considérable de la transmission de données à distance, ni de garantir une utilisation de la technologie « 5G ». Proximus rappelle aussi les obligations faites aux États
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membres de l’Union européenne par la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 « établissant le code des communications électroniques européen (refonte) ».
En ce qui concerne le deuxième moyen
A.12.1. Les requérantes allèguent que l’article 2, § 2, de l’ordonnance du 1er mars 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 2, d), de l’ordonnance du 2 mars 2023, viole les articles 10, 11, et 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, ainsi que le principe de la sécurité juridique et le principe de précaution, en ce qu’en autorisant « lors de situations d’urgence » un dépassement illimité de la norme d’immission édictée à l’article 3, § 1er/1, de l’ordonnance du 1er mars 2007, la disposition législative attaquée réduirait significativement le degré de protection qu’offrait la législation précédemment applicable, sans que cela soit justifié par l’intérêt général.
A.12.2. Les requérantes reconnaissent qu’une situation d’urgence peut nécessiter un assouplissement d’une norme d’immission.
Elles remarquent cependant que la définition de la « situation d’urgence » énoncée à l’article 2, § 1er, 8°, de l’ordonnance du 1er mars 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 2, c), de l’ordonnance du 2 mars 2023, manque de précision. Elles relèvent que cette définition ne désigne pas l’autorité compétente pour constater l’existence d’une telle situation, qu’elle ne contient aucune référence à d’autres textes « à caractère réglementaire » en la matière et qu’elle contient des notions vagues comme « trouble grave de la sécurité publique » et « intérêts matériels importants ».
Les requérantes considèrent que la dérogation qu’autorise la disposition législative attaquée est donc excessive et susceptible de mettre en grave danger l’environnement et la santé de la population de la région bruxelloise, parce qu’elle permet aux opérateurs de téléphonie d’augmenter, sans faire l’objet de contrôles, le rayonnement des radiations non ionisantes sans aucune limite autre que celle de leurs capacités techniques.
Les requérantes observent aussi que, telle qu’elle était libellée à la suite de sa modification par l’ordonnance du 3 avril 2014 « modifiant l’ordonnance du 1er mars 2007 relative à la protection de l’environnement contre les éventuels effets nocifs et nuisances provoqués par les radiations non ionisantes et modifiant l’ordonnance du 5 juin 1997 relative aux permis d’environnement » (ci-après : l’ordonnance du 3 avril 2014), l’ordonnance du 1er mars 2007 ne disposait pas que les règles destinées à limiter les effets des ondes électromagnétiques étaient inapplicables dans des situations d’urgence.
Les requérantes estiment que l’absence totale de cadre normatif relatif à cette dérogation n’est pas justifiable.
Elles soulignent qu’il n’est pas démontré que la disposition législative attaquée soit la seule mesure susceptible d’empêcher la saturation du réseau de téléphonie mobile dans des circonstances constitutives d’une « situation d’urgence ».
A.13.1. Le Gouvernement soutient, à titre principal, que le deuxième moyen est irrecevable parce que la requête ne précise pas en quoi la disposition législative attaquée serait incompatible avec les règles dont la violation est alléguée.
Il observe que les développements de ce moyen ne font état d’aucune différence de traitement entre des catégories de personnes, et qu’ils n’expliquent pas en quoi la disposition attaquée réduirait la protection de l’environnement ou porterait atteinte à la sécurité juridique.
A.13.2.1. À titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que ce moyen n’est pas fondé.
A.13.2.2. Il expose d’abord que la disposition législative attaquée ne réduit pas le degré de protection de l’environnement qu’offrait la législation précédemment applicable.
Le Gouvernement observe que cette disposition reproduit la définition de la situation d’urgence énoncée à l’article 1er, 3°, de l’arrêté royal du 22 mai 2019 « relatif à la planification d’urgence et la gestion de situations d’urgence à l’échelon communal et provincial et au rôle des bourgmestres et des gouverneurs de province en cas d’événements et de situations de crise nécessitant une coordination ou une gestion à l’échelon national » en y
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ajoutant que l’« évènement » en question doit être « ponctuel ». Il relève aussi que, lors des travaux préparatoires de la disposition attaquée, il a été expliqué pourquoi il n’était pas possible de déterminer à l’avance la durée de la « situation d’urgence ». Le Gouvernement ajoute que ces travaux préparatoires indiquent que les auteurs de cette disposition ont tenu compte d’un protocole d’accord qui avait été conclu en 2016 entre l’Institut belge des postes et télécommunications et les opérateurs de téléphonie mobile. Il observe que ce document organise un contrôle de la situation et qu’il contient des critères d’appréciation de l’existence d’une situation d’urgence, ainsi que des règles de communication relatives à la modification des « paramètres d’émission », à l’information des autorités bruxelloises, et à la fin de la situation d’urgence.
Le Gouvernement souligne en outre que la dérogation critiquée ne sera applicable que durant une courte période et qu’elle ne peut avoir une incidence sur l’environnement et la santé qui soit similaire à une exposition à long terme aux radiations ionisantes.
Le Gouvernement remarque que les requérantes n’exposent pas en quoi la disposition attaquée réduit le degré de protection de la santé qu’offrait la législation précédemment applicable. Il observe qu’au contraire, cette disposition renforce cette protection, puisqu’elle a pour but de garantir la rapidité d’intervention et l’efficacité des services de secours en cas d’urgence sanitaire. Le Gouvernement observe aussi que le régime dérogatoire qui est contesté n’est applicable qu’à des situations ponctuelles, de sorte qu’il ne peut réduire la protection de la santé, vu que les requérantes n’envisagent une incidence négative des radiations non ionisantes sur la santé que dans le cadre d’une exposition à long terme à ces radiations.
Il note enfin que le contrôle de l’application de cette dérogation relève de la compétence des cours et tribunaux et il rappelle que la Cour ne peut se prononcer sur l’exécution d’une disposition législative. Il note aussi qu’au-delà d’une certaine puissance, les antennes qui émettent des ondes électromagnétiques sont des installations qui doivent faire l’objet d’un permis d’environnement et qu’à ce titre, elles sont contrôlées par l’administration régionale bruxelloise compétente en la matière.
A.13.2.3. Le Gouvernement affirme ensuite que, si la disposition législative attaquée devait être considérée comme réduisant la protection de l’environnement, il y aurait lieu de constater que cette réduction est justifiée par des motifs d’intérêt général, parmi lesquels le souci de permettre une intervention des services de sécurité et d’urgence lors de situations d’urgence.
Le Gouvernement considère qu’il serait déraisonnable d’obliger le pouvoir législatif à définir chacun des termes d’une définition, en particulier lorsque, comme en l’espèce, il se réfère à leur sens courant.
A.14.1. À titre principal, Proximus soutient que le troisième moyen est irrecevable parce que la requête ne précise pas en quoi la disposition législative attaquée serait incompatible avec les règles dont la violation est soulevée.
A.14.2.1. À titre subsidiaire, Proximus soutient que le moyen n’est pas fondé.
A.14.2.2. La société intervenante expose d’abord que la disposition législative attaquée ne réduit pas significativement le degré de protection de l’environnement qu’offrait la législation antérieure.
Elle relève que la dérogation prévue par cette disposition doit permettre de tirer les leçons des attentats terroristes du 22 mars 2016, tragiques événements que la région bruxelloise n’avait pas encore connus au moment de l’adoption de l’ordonnance du 1er mars 2007 et de sa modification en 2014. Elle relève qu’on ne voit pas en quoi cette dérogation limitée aux cas d’urgence du type de celui qui s’est présenté le 22 mars 2016 serait susceptible de mettre en danger la santé de la population bruxelloise.
Proximus observe aussi que, dans une situation d’urgence, la seule préoccupation des opérateurs de téléphonie mobile sera d’assurer le bon fonctionnement du réseau sans chercher à créer le champ électromagnétique le plus puissant possible.
Proximus détaille en outre les limites physiques, techniques et matérielles d’un dépassement de la norme d’immission. La puissance des antennes est déterminée par la valeur de cette norme. Un opérateur qui dispose d’émetteurs dans une zone ne peut techniquement décider d’utiliser la fréquence d’un autre opérateur présent dans
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la même zone, sans risquer de créer une interférence. En tout état de cause, compte tenu du nombre actuel d’opérateurs de téléphonie mobile, un éventuel dépassement de la norme d’immission dans une zone donnée resterait compatible avec les recommandations de l’ICNIRP.
Proximus ajoute que le protocole d’accord de 2016 précité (A.13.2.2) encadre avec précision le recours à la dérogation instaurée par la disposition législative attaquée.
A.14.2.3. Proximus soutient ensuite que, comme cela ressort du compte rendu des travaux préparatoires de la disposition législative attaquée, la dérogation en cause est en tout état de cause justifiée par des motifs d’intérêt général et qu’elle résulte d’une balance des intérêts en présence.
La société intervenante précise que l’objectif est d’éviter, dans des situations exceptionnelles, une longue saturation du réseau de téléphonie mobile susceptible d’augmenter la panique.
En ce qui concerne le troisième moyen
A.15.1. Les requérantes allèguent que les mots « à aucun moment », contenus dans l’article 3, § 1er/1, de l’ordonnance du 1er mars 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 3, b), de l’ordonnance du 2 mars 2023, sont incompatibles avec les articles 10, 11, et 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution et avec le principe de la sécurité juridique et le principe de précaution, en ce que l’ordonnance du 2 mars 2023 ne prévoit pas l’adoption de mesures garantissant que la norme d’immission énoncée par le nouvel article 3, § 1er /1, de l’ordonnance du 1er mars 2007
ne sera à aucun moment dépassée dans les zones accessibles au public.
A.15.2. Les requérantes soutiennent que la technologie « 5G » ne permet pas de garantir la norme précitée à tout moment et dans toutes les zones accessibles au public.
Elles produisent nombre de données techniques destinées à démontrer que, dans une région à haute densité de population dans laquelle cette technologie sera massivement utilisée, il est physiquement impossible d’empêcher que l’inévitable cumul de nombreuses sources de rayonnement entraîne un dépassement de ladite norme à des moments et en des lieux qu’il est impossible de déterminer à l’avance.
A.16.1. Le Gouvernement soutient, à titre principal, que ce moyen est irrecevable parce que la requête ne précise pas en quoi la disposition législative attaquée serait incompatible avec les règles dont la violation est soulevée.
Il considère aussi que ce moyen excède la compétence de la Cour, puisque le grief des requérantes porte sur l’exécution d’une disposition législative.
A.16.2. À titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que ce moyen n’est pas fondé.
Il expose d’abord que la disposition législative attaquée ne réduit pas le degré de protection de l’environnement qu’offrait la législation précédemment applicable. Le Gouvernement précise que cette législation disposait déjà que la norme d’immission devait être respectée de manière permanente. Il remarque aussi que le rapport sur les incidences environnementales relatif à l’avant-projet d’ordonnance qui est à l’origine de l’ordonnance du 2 mars 2023 indique que les antennes requises par la technologie « 5G » pouvaient déjà être utilisées en région bruxelloise avant l’entrée en vigueur de cette ordonnance. Le Gouvernement ajoute qu’en tout état de cause, les motifs d’intérêt général mentionnés dans sa réponse au premier moyen permettraient de justifier une éventuelle réduction significative de la protection de l’environnement qui résulterait de la disposition législative attaquée.
Le Gouvernement conteste ensuite la démonstration technique des requérantes. Il souligne, entre autres, que l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 30 octobre 2009 « relatif à certaines antennes émettrices d’ondes électromagnétiques » organise un contrôle précis du respect de la norme d’immission que contient la disposition législative attaquée. Il ajoute que l’article 3/1 de l’ordonnance du 1er mars 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 4 de l’ordonnance du 2 mars 2023, oblige tout exploitant d’une antenne à être en mesure de justifier à tout moment du respect de la norme d’immission et de prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires lorsqu’il est informé d’un dépassement de cette norme.
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A.17.1. À titre principal, Proximus soutient que le troisième moyen est irrecevable parce que la requête ne précise pas en quoi la disposition législative attaquée serait incompatible avec les règles dont la violation est soulevée.
A.17.2. À titre subsidiaire, Proximus soutient que le moyen est irrecevable parce qu’il invite la Cour à excéder sa compétence, en examinant la constitutionnalité d’un acte du pouvoir exécutif, de l’application d’une disposition législative ou des mesures de contrôle d’une telle disposition.
Proximus souligne que les critiques des requérantes ne portent pas sur le contenu de la disposition législative attaquée, mais sur la manière dont celle-ci sera appliquée. La société intervenante reconnaît que l’ordonnance du 2 mars 2023 ne contient pas les mesures d’exécution de la norme d’immission qu’elle édicte, mais elle relève qu’elle habilite le pouvoir exécutif à adopter des règles en la matière. Proximus ajoute que cette ordonnance sera exécutée entre autres lors de l’application des règles législatives relatives à la délivrance des permis d’environnement.
-B-
Quant à la portée du recours en annulation
B.1. Le recours en annulation porte sur l’article 2, c) et d), ainsi que l’article 3, b), c), d), e) et f), de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 2 mars 2023 « modifiant l’ordonnance du 1er mars 2007 relative à la protection de l’environnement contre les éventuels effets nocifs et nuisances provoqués par les radiations non ionisantes, l’ordonnance du 5 juin 1997 relative aux permis d’environnement et l’ordonnance du 2 mai 2013 portant le Code bruxellois de l’Air, du Climat et de la Maîtrise de l’Énergie » (ci-après : l’ordonnance du 2 mars 2023).
B.2. La Cour détermine l’étendue d’un recours en annulation en tenant compte des développements de la requête, et en particulier de l’exposé des moyens.
En l’espèce, le recours ne porte que sur l’article 2, d), et sur l’article 3, b), de l’ordonnance du 2 mars 2023.
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.3.1. L’article 3, § 1er, de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 1er mars 2007 « relative à la protection de l’environnement contre les éventuels effets nocifs et nuisances
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provoqués par les radiations non ionisantes » (ci-après : l’ordonnance du 1er mars 2007), tel qu’il avait été remplacé par l’article 3 de l’ordonnance du 3 avril 2014 « modifiant l’ordonnance du 1er mars 2007 relative à la protection de l’environnement contre les éventuels effets nocifs et nuisances provoqués par les radiations non ionisantes et modifiant l’ordonnance du 5 juin 1997 relative aux permis d’environnement » (ci-après : l’ordonnance du 3 avril 2014), disposait :
« Le Gouvernement fixe les normes générales de qualité auxquelles tout milieu doit répondre afin d’assurer la protection de l’environnement contre les éventuels effets nocifs et nuisances provoqués par les radiations non ionisantes.
Dans toutes les zones accessibles au public, la densité de puissance du rayonnement des radiations non ionisantes ne peut dépasser, à aucun moment, la norme de 0,096 W/m² (soit, à titre indicatif, 6 V/m) pour une fréquence de référence de 900 MHz.
La densité de puissance des radiations non ionisantes ne peut donc dépasser, à aucun moment, la valeur maximale de :
- 0,043 W/m² pour les fréquences comprises entre 0,1 MHz et 400 MHz;
- f/9375, exprimée en W/m² entre 400 MHz et 2 GHz (où f est la fréquence exprimée en MHz);
- 0,22 W/m² pour les fréquences comprises entre 2 GHz et 300 GHz.
Pour les champs composés, la densité de puissance doit être limitée de sorte que :
300 GHz
∑ Si/Sri ≤ 1
0,1 MHz
où Si est la densité de puissance du champ électrique à une fréquence i comprise entre 0,1 MHz et 300 GHz et où Sri est la valeur de la densité de puissance maximale exprimée en W/m² et telle que définie dans le troisième alinéa du présent article ».
B.3.2. L’article 3, a), de l’ordonnance du 2 mars 2023 abroge les alinéas 2 à 4 de l’article 3, § 1er, de l’ordonnance du 1er mars 2007.
B.3.3. L’article 3, b), de l’ordonnance du 2 mars 2023 insère, à l’article 3 de l’ordonnance du 1er mars 2007, un § 1er/1, libellé comme suit :
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« Sans préjudice des paragraphes 1er/3 et 4, dans toutes les zones accessibles au public à l’intérieur et à l’extérieur, les densités de puissance du rayonnement des radiations non ionisantes ne peuvent dépasser, à aucun moment, les valeurs suivantes dans les zones accessibles au public à l’intérieur ( Sint ) et dans les zones accessibles au public à l’extérieur (Sext ) :
Fréquences Sext Sint Frequenties Sext Sint (W/m2) (W/m2) (W/m2) (W/m2)
0.1 à 400 MHz 0,2497 0,0994 0.1 tot 400 MHz 0,2497 0,0994
400 à 2000 MHz f / 1597,28 f / 4012,19 400 tot 2000 MHz f / 1597,28 f / 4012,19
2 à 300 GHz 1,2539 0,4992 2 tot 300 GHz 1,2539 0,4992
où f est la fréquence exprimée en MHz.
À titre indicatif, à 900 MHz, la norme Sint = 0.2243 W/m² correspond à un champ électrique, Eint = 9,19 V/m; tandis que la norme Sext = 0.5635 W/m² correspond à un champ électrique, Eext = 14,57 V/m.
Par dérogation à l’alinéa 1er, les densités de puissance du rayonnement des radiations non ionisantes applicables dans les zones accessibles au public à l’extérieur sont également applicables dans les zones accessibles au public à l’intérieur lorsque, dans ces dernières, les fenêtres ou portes, donnant vers l’extérieur, sont ouvertes ».
B.4.1. L’article 2 de l’ordonnance du 1er mars 2007, tel qu’il avait été remplacé par l’article 2, § 2, de l’ordonnance du 3 avril 2014, disposait :
« § 1er. - Pour l’application de la présente ordonnance et de ses arrêtés d’exécution, on entend par :
1° ‘ radiations non ionisantes ’ : les rayonnements électromagnétiques dont la fréquence est comprise entre 0,1 MHz et 300 GHz;
2° ‘ zones accessibles au public ’ :
[...]
3° ‘ broadcast ’ : les radiations émises en vue de transmettre des programmes de radiodiffusion aux fréquences autorisées par l’Institut Belge des Postes et Télécommunications :
- pour la fréquence modulée, dans la bande FM;
- pour la modulation d’amplitude ou autre dans les bandes des ondes longues, moyennes et courtes;
- pour les fréquences autorisées du DAB (digital audio broadcasting);
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et
- pour les fréquences autorisées du DVB (digital video broadcasting/télévision numérique terrestre).
La notion de broadcast peut être complétée par le Gouvernement;
4° ‘ pouvoir public ’ : [...]
[...]
§ 2 – La présente ordonnance n’est pas applicable aux ra[dia]tions non ionisantes d’origine naturelle, ni à celles émises par les appareillages utilisés par des particuliers tels que, notamment, les GSM, les terminaux de télécommunication mobile, les réseaux WiFi locaux des particuliers, les systèmes de téléphonie de type DECT et les radiations émises par les radios amateurs.
Les radiations issues du broadcast sont soumises à la présente ordonnance, à l’exclusion de la norme visée à l’article 3, § 1er ».
B.4.2. L’article 2, d), de l’ordonnance du 2 mars 2023 remplace l’article 2, § 2, alinéa 2, de l’ordonnance du 1er mars 2007 par la phrase suivante :
« Les dispositions de la présente ordonnance ne sont pas applicables lors de situations d’urgence ».
Quant aux moyens
En ce qui concerne le premier moyen
B.5. Il ressort des développements du moyen que la Cour est invitée à vérifier si l’article 3, § 1er/1, de l’ordonnance du 1er mars 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 3, b), de l’ordonnance du 2 mars 2023, viole l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, lu en combinaison avec le principe de précaution, en ce qu’en autorisant des densités de puissance du rayonnement des radiations non ionisantes d’une valeur bien supérieure à la valeur maximale qui était autorisée auparavant, la disposition attaquée réduirait significativement le degré de protection qu’offrait la législation précédemment applicable, sans que cela soit justifié par un motif d’intérêt général.
B.6.1. L’article 23 de la Constitution dispose :
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« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
Ces droits comprennent notamment :
[...]
4° le droit à la protection d’un environnement sain;
[...] ».
L’article 23 de la Constitution contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement, sans qu’existe une justification raisonnable, le degré de protection offert par la législation applicable.
B.6.2. En matière de politique environnementale, la Cour doit, compte tenu de l’obligation faite aux législateurs régionaux, par l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, de garantir le droit à la protection d’un environnement sain, respecter l’appréciation de ces législateurs quant à l’intérêt général, sauf si cette appréciation est déraisonnable.
B.6.3. Selon l’article 191, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement est notamment fondée sur le principe de précaution.
Ce principe implique que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, des mesures de protection peuvent être prises sans qu’il faille attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées (CJCE, 9 septembre 2003, C-236/01, Monsanto Agricoltura Italia SpA e.a., ECLI:EU:C:2003:431, point 111; CJUE, grande chambre, 1er octobre 2019, C‑616/17, Blaise e.a., ECLI:EU:C:2019:800, point 43; grande chambre, 5 décembre 2023, C-128/22, Nordic Info BV, ECLI:EU:C:2023:951, point 79). Si la Cour de justice a déjà jugé que l’évaluation du risque ne peut être fondée sur des considérations purement hypothétiques, elle a ajouté que lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué, en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études
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menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour la santé publique persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives (CJCE, 23 septembre 2003, C-192/01, Commission c. Danemark, ECLI:EU:C:2003:492, points 49 et 52; CJUE, grande chambre, 1er octobre 2019, précité, point 43; 19 novembre 2020, C‑663/18, B.S. et C .A., ECLI:EU:C:2020:938, point 92; 9 mars 2023, C-119/21, PlasticsEurope AISBL, ECLI:EU:C:2023:180, point 127).
B.7.1. Le « comité d’experts des radiations non ionisantes » institué par l’article 3, § 2, de l’ordonnance du 1er mars 2007 se compose de personnes « doté[e]s d’une expérience médicale, scientifique, économique ou technique pertinente ». Ce comité est « chargé d’évaluer la mise en œuvre de » cette ordonnance et de ses arrêtés d’exécution, « notamment au regard des évolutions des technologies et des connaissances scientifiques, des impératifs économiques et de santé publique ». Il est tenu d’établir un rapport annuel à ce sujet, et le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale peut, à tout moment, lui demander un rapport et des recommandations (article 3, § 2, alinéa 3, de l’ordonnance du 1er mars 2007). Dans l’exercice de ses missions, le comité peut consulter notamment le Conseil supérieur de la Santé (article 3, § 2, alinéa 4, de l’ordonnance du 1er mars 2007).
Le 4 février 2022, ce comité d’experts a donné au Gouvernement un avis sur un avant-
projet d’ordonnance autorisant une densité de puissance de rayonnement des radiations non ionisantes similaire à celle que contient la disposition attaquée (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2022-2023, A-654/1, p. 43; Bruxelles Environnement, rapport du comité d’experts sur les radiations non ionisantes 2021).
B.7.2. L’avant-projet d’ordonnance qui est à l’origine de l’ordonnance du 2 mars 2023 a aussi fait l’objet d’une « évaluation environnementale » au sens de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 18 mars 2004 « relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement », et donc d’un rapport sur les incidences environnementales, dont il a été tenu compte lors des travaux préparatoires de la disposition attaquée (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2022-2023, A-654/1, pp. 9-
11 et 20).
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Examinant les « risques » pour la santé humaine de la disposition attaquée, la synthèse de ce rapport mentionne :
« L’avant-projet d’Ordonnance augmente l’exposition maximale à laquelle la population peut être soumise. Auparavant de 6 V/m (0,096 W/m²) quels que soient les espaces intérieurs ou extérieurs concernés, la nouvelle norme passe à 9,19 V/m (0,2243 W/m²) pour les espaces intérieurs et 14,57 V/m (0,5633 W/m²) pour les espaces extérieurs. Les valeurs limites sont donc respectivement 2,3 et 5,9 fois plus élevées que la norme actuelle pour la densité de puissance (exprimée en W/m²). Les nouvelles normes restent néanmoins 20,3 (en intérieur) et 8,1 (en extérieur) fois moins élevées en densité de puissance que l’exposition maximale préconisées par l’ICNIRP de 41,2 V/m (4,502 W/m²).
Ces normes respectent donc le principe de précaution dans le sens où elles restent largement en dessous des normes recommandées au niveau international et européen et constituent donc toujours une mesure de protection face à des risques non démontrés.
Dans le cas le plus défavorable pouvant être envisagé, actuellement dans les zones accessibles, les personnes peuvent être exposées à maximum 6 V/m. À l’avenir, cette exposition pourra être plus élevée et atteindre 9,19 V/m en intérieur et 14,57 V/m en extérieur. Comme détaillé au point 3.6.1 (Situation existante du point de vue de la santé) aucun effet biologique n’a pu être démontré en dessous de 292 V/m (seuil au-delà duquel des effets thermiques sur les tissus ont pu être observés). En passant de 6 V/m à 9,19 V/m ou même 14,57 V/m, on se rapproche de la valeur de 292 V/m mais en restant très loin de celle-ci. Le risque que des effets encore non démontrés s’affirment est donc d’une certaine manière augmenté, mais néanmoins maintenu à un niveau très faible.
En ce qui concerne l’hypersensibilité électromagnétique (EHS), comme détaillé au point 3.6, aucune corrélation n’a pu être trouvée jusqu’à présent entre celle-ci et la présence de proximité avec des sources d’émissions, y compris à des valeurs plus élevées que 14,57 V/m.
Il n’est donc pas attendu que l’augmentation de la norme ait un impact sur le développement de l’EHS » (STRATEC, Rapport sur les incidences environnementales relatif à l’avant-projet d’ordonnance modifiant l’ordonnance du 1er mars 2007 relative à la protection de l’environnement contre les éventuels effets nocifs et nuisances provoqués par les radiations non ionisantes, 28 avril 2022, pp. 67-68).
Synthétisant leurs constats, les auteurs de ce rapport écrivent aussi :
« L’avant-projet d’Ordonnance augmente l’exposition maximale à laquelle la population et la faune et la flore peuvent être soumises. Si l’état actuel des connaissances ne permet pas de démontrer d’effet néfaste sur la santé pour les fréquences utilisées et devant être exploitées avec la 5G, il convient de rappeler que le principe de précaution implique que lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence de risques pour la santé des personnes, des mesures de protection doivent être prises sans avoir à attendre que la réalité ou la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. En conservant une norme largement en dessous du seuil d’apparition d’effet biologique (établi à 292 V/m) et des normes maximales recommandées au niveau international et européen (41,2 V/m), l’avant-projet respecte ce principe de précaution, dès lors
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qu’il constitue donc toujours une mesure de protection face à des risques non démontrés.
Néanmoins, en se rapprochant de ces valeurs seuils, il augmente le risque que des effets encore non démontrés s’affirment. Il convient de noter qu’en intégrant les ondes broadcast dans le respect de la norme, l’avant-projet permet de cadrer davantage les risques éventuels sur la santé en comparaison à la situation existante » (ibid., p. 81).
B.7.3. Il a donc pu être soutenu, lors des travaux préparatoires, que celle-ci était conforme au principe de précaution parce que les densités de puissance maximales fixées par cette disposition sont, selon le type de zone accessible au public, environ huit à vingt fois moins élevées que la norme arrêtée par l’International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection, et restent parmi les plus basses de l’Union européenne (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2022-2023, A-654/1, pp. 22-23; ibid., A-654/2, p. 6).
B.7.4. Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas démontré que le relèvement par la disposition attaquée de la valeur maximale de la densité de puissance du rayonnement des radiations non ionisantes autorisée repose sur une conception erronée du principe de précaution.
B.8.1. Ce relèvement de la valeur maximale de la densité de puissance du rayonnement des radiations non ionisantes autorisée a été justifié par le souci de permettre l’utilisation de la technologie « 5G » pour la transmission de données sur le territoire de la Région de Bruxelles-
Capitale, sans qu’il faille renoncer aux technologies antérieures ou augmenter considérablement le nombre d’antennes produisant des radiations, tout en tenant compte, pour les zones situées à l’extérieur, des radiations provenant du broadcast (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2022-2023, A-654/1, pp. 12-13, 19-21 et 25). Le législateur a ainsi recherché un nouvel équilibre entre les développements technologiques récents et le maintien d’une protection efficace contre les éventuels effets nocifs des radiations non ionisantes (ibid., p. 13).
Selon les travaux préparatoires mentionnés plus haut, une augmentation du nombre d’antennes provoquerait pour les prestataires de services de téléphonie une augmentation des coûts qui serait répercutée sur le prix demandé aux utilisateurs. La fabrication de ces antennes supplémentaires aurait aussi une incidence environnementale. En outre, cette augmentation du
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nombre d’antennes se heurterait à l’opposition des personnes résidant à proximité de ces antennes, notamment pour des motifs d’ordre sanitaire ou urbanistique (ibid., pp. 12, 20-21).
De plus, l’utilisation de la technologie « 5G » est considérée comme étant indispensable pour répondre aux « besoins des utilisateurs » des « services de mobilophonie », qui souhaitent des services « de qualité » adaptés aux évolutions technologiques. Il est également jugé important de « disposer d’un réseau de téléphonie et d’internet mobile performant afin d’améliorer la qualité des services rendus à la population : services d’urgence, pompiers, police, transports, antennes d’urgences lors d’événements exceptionnels, etc. » (ibid., pp. 11, 13 et 24).
En disposant d’« une capacité de transmission de données beaucoup plus élevée que la 2G, la 3G et la 4G pour une même puissance émise », la technologie « 5G » permet d’augmenter la digitalisation et l’interconnexion dans de nombreux secteurs d’activités économiques et sociales très importants dans une grande ville, tels que les transports publics, les soins de santé, l’énergie, la sûreté publique, l’industrie, les médias et l’informatique. Cette technologie offre aussi des perspectives de croissance économique et de création d’emplois (ibid., p. 8).
Par ailleurs, la nécessité de permettre l’utilisation de la technologie « 5G » répond également à la volonté de l’Union européenne de développer les réseaux de téléphonie mobile et aux obligations énoncées en la matière qui visent à permettre l’usage généralisé de cette technologie (ibid., pp. 7 et 24-25), compte tenu du « Plan pour la reprise et la résilience » de la Belgique transmis à la Commission européenne. Le déploiement de la technologie 5G dans les États membres a été imposé par l’Union européenne, dont le cadre stratégique et normatif pertinent comprend le « plan d’action 5G pour l’Europe » adopté par la Commission européenne en 2016, la directive (UE) 2016/1148 du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 2016 « concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et des systèmes d'information dans l'Union », abrogée et remplacée par la directive (UE) 2022/2555 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022
« concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de cybersécurité dans l’ensemble de l’Union, modifiant le règlement (UE) no 910/2014 et la directive (UE) 2018/1972, et abrogeant la directive (UE) 2016/1148 (directive SRI 2) », la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018
« établissant le code des communications électroniques européen (refonte) », la boîte à outils
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de l’UE relative à la sécurité du déploiement de la 5G, adoptée le 18 septembre 2020, ainsi que le programme d’action de la Commission européenne pour la décennie numérique à l'horizon 2030.
Enfin, le relèvement de la valeur maximale de la densité de puissance du rayonnement des radiations non ionisantes est justifié par le « rôle international et européen de la Région de Bruxelles-Capitale » (ibid., pp. 13 et 25).
B.8.2 Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’existence d’une réduction significative du niveau de protection qu’offrait l’ancienne législation, la réforme des normes d’immission est raisonnablement justifiée par les motifs indiqués en B.8.1. Par ailleurs, la réforme attaquée ne produit pas des effets disproportionnés, eu égard à ce qui est mentionné en B.7.1 à B.7.4. Au demeurant, les parties requérantes n’apportent pas d’élément attestant de tels effets, d’autant que le législateur ordonnanciel a maintenu des valeurs bien plus sévères que celles préconisées au niveau international par l’ICNIRP.
B.9. Le premier moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le deuxième moyen
B.10. Il ressort des développements du moyen que la Cour est invitée à statuer sur la compatibilité de l’article 2, § 2, de l’ordonnance du 1er mars 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 2, d), de l’ordonnance du 2 mars 2023, avec l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, en ce qu’en autorisant « lors de situations d’urgence » un dépassement illimité des normes édictées à l’article 3, § 1er/1, de l’ordonnance du 1er mars 2007, la disposition attaquée réduirait significativement le degré de protection offert par la législation qui était applicable auparavant, sans que cela soit raisonnablement justifié.
B.11. Il ressort clairement de la disposition attaquée que les normes édictées à l’article 3, § 1er/1, de l’ordonnance du 1er mars 2007 ne sont pas applicables « lors de situations d’urgence ».
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B.12. Avant l’adoption de la disposition attaquée, il n’existait aucune dérogation de ce type à l’application des normes d’immission prévues par l’ordonnance du 1er mars 2007. En ce qu’elle permet aux opérateurs de téléphonie mobile, lors de situations d’urgence, d’émettre un rayonnement potentiellement supérieur aux valeurs préconisées au niveau international par l’ICNIRP, la disposition attaquée entraîne une réduction significative du degré de protection de l’environnement.
B.13. Le législateur ordonnanciel a justifié cette mesure par son caractère strictement limité.
D’une part, elle ne vise que la « situation d’urgence », à savoir « tout événement ponctuel qui entraîne ou qui est susceptible d’entraîner des conséquences dommageables pour la vie sociale, comme un trouble grave de la sécurité publique, une menace grave contre la vie ou la santé des personnes et/ou contre des intérêts matériels importants, et qui nécessite la coordination des acteurs compétents, en ce compris les disciplines, afin de faire disparaître la menace ou de limiter les conséquences néfastes de l’événement » (article 2, § 1er, 8°, de l’ordonnance du 1er mars 2007, inséré par l’article 2, c), de l’ordonnance du 2 mars 2023).
Cette définition de la « situation d’urgence » correspond à celle que contient l’article 1er, 3°, de l’arrêté royal du 22 mai 2019 « relatif à la planification d’urgence et la gestion de situations d’urgence à l’échelon communal et provincial et au rôle des bourgmestres et des gouverneurs de province en cas d’événements et de situations de crise nécessitant une coordination ou une gestion à l’échelon national », à ceci près que le mot « ponctuel » y a été ajouté pour indiquer que les situations « durables dans le temps » ne peuvent être qualifiées de « situations d’urgence », dans le but de « limiter les risques pour l’environnement et la santé »
en cas d’application de l’article 2, § 2, de l’ordonnance du 1er mars 2007 (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2022-2023, A-654/1, p. 17).
D’autre part, la disposition attaquée vise à dispenser les opérateurs de téléphonie mobile du respect des normes édictées à l’article 3, § 1er/1, de l’ordonnance du 1er mars 2007, dans des « circonstances exceptionnelles » qui présentent les caractéristiques d’un « cas de force majeure » requérant une augmentation de la puissance de « certaines stations de base mobiles »
(ibid., pp. 18-19).
21
Cette dispense permet de donner suite à certaines recommandations formulées par la commission instituée par la Chambre des représentants pour enquêter sur les attentats terroristes qui ont été commis le 22 mars 2016 à Zaventem et à Bruxelles. Ayant constaté que, peu après ces attentats, le réseau de téléphonie mobile avait été saturé à Bruxelles pendant plusieurs heures, cette commission recommandait entre autres de rendre possible, en cas de crise, une augmentation immédiate et maximale de la capacité d’émission de télécommunications (ibid., p. 18).
Ce faisant, le législateur ordonnanciel a établi un équilibre entre les droits fondamentaux concernés.
B.14. Par conséquent, cette réduction significative du degré de protection offert par la législation applicable est raisonnablement justifiée.
B.15. Le deuxième moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le troisième moyen
B.16. Il ressort des développements du moyen que la Cour est invitée à statuer sur la constitutionnalité de l’article 3, § 1er/1, alinéa 1er, de l’ordonnance du 1er mars 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 3, b), de l’ordonnance du 2 mars 2023, dans la mesure où la disposition attaquée énonce qu’une norme technique ne peut être dépassée « à aucun moment », alors qu’il serait techniquement impossible d’empêcher à tout moment ce dépassement.
B.17. Le moyen revient à demander à la Cour de vérifier si une disposition législative est effectivement applicable.
B.18. La Cour n’est pas compétente pour ce faire.
B.19. Le troisième moyen est irrecevable.
22
Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 novembre 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 132/2024
Date de la décision : 21/11/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 06/12/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-11-21;132.2024 ?

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