Cour constitutionnelle
Arrêt n° 125/2024
du 14 novembre 2024
Numéro du rôle : 8121
En cause : la question préjudicielle relative aux articles 6 et 7 de la loi du 22 mars 2001
« instituant la garantie de revenus aux personnes âgées », posée par la Cour du travail d’Anvers, division d’Anvers.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt du 7 décembre 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 15 décembre 2023, la Cour du travail d’Anvers, division d’Anvers, a posé la question préjudicielle suivante :
« Les articles 6 et 7 de la loi du 22 mars 2001 instituant la garantie de revenus aux personnes âgées violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’ils traitent différemment des personnes qui se trouvent dans des situations apparemment identiques ou comparables, à savoir, d’une part, les bénéficiaires d’une garantie de revenus aux personnes âgées qui partagent leur habitation commune avec une personne avec laquelle le demandeur n’est pas marié ni ne cohabite légalement, à qui la ‘ cohabitation ’ ne saurait procurer un avantage économique et à qui un montant majoré peut être octroyé et, d’autre part, les bénéficiaires d’une garantie de revenus aux personnes âgées qui partagent leur habitation commune avec leur conjoint ou leur cohabitant légal, à qui la ‘ cohabitation ’ ne saurait procurer un avantage économique et qui, pourtant, ne reçoivent que le montant de base ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
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- M.M., assisté et représenté par Me Dirk Geens, avocat au barreau d’Anvers;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Liesbet Vandenplas, avocate au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 17 juillet 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Willem Verrijdt et Magali Plovie, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
La partie appelante devant la juridiction a quo bénéficie d’une garantie de revenus aux personnes âgées depuis le 1er avril 2012. Initialement, elle recevait du Service fédéral des Pensions, partie intimée devant la juridiction a quo, le montant de base majoré parce qu’elle ne partageait pas sa résidence principale avec une ou plusieurs personnes.
Par décision du 7 août 2013, le Service fédéral des Pensions ramène une première fois la garantie de revenus au montant de base à compter du 1er janvier 2013, dès lors qu’il a constaté que la partie appelante cohabite avec S.A. depuis le 5 décembre 2012. À partir du 1er novembre 2013, la partie appelante bénéficie toutefois à nouveau du montant de base majoré, dès lors qu’elle a démontré que S.A. a reçu l’ordre de quitter le territoire et réside dans un centre de l’Office des étrangers.
Par décision du 21 septembre 2021, le Service fédéral des Pensions ramène une seconde fois la garantie de revenus au montant de base, à partir du 1er février 2021. C’est alors le mariage entre la partie appelante et S.A., qui n’a pas de droit de séjour mais est inscrite au registre d’attente à la même adresse que la partie appelante, qui donne lieu à la décision.
La partie appelante interjette appel de cette décision du 21 septembre 2021 devant le Tribunal du travail d’Anvers, division d’Anvers. Par un jugement du 5 juillet 2022, ce dernier déclare l’action de la partie appelante non fondée, après avoir rendu un jugement interlocutoire le 31 mars 2022. Le 8 août 2022, la partie appelante interjette appel des deux jugements devant la Cour du travail d’Anvers, division d’Anvers.
Par arrêt du 7 décembre 2023, la Cour du travail d’Anvers, division d’Anvers, juge qu’un examen et une révision d’office de la garantie de revenus sont possibles à la suite d’un mariage, et que la partie appelante ne retire aucun avantage de la cohabitation avec son épouse, étant donné que celle-ci ne dispose pas de revenus ni de ressources. Avant de se prononcer, la Cour du travail d’Anvers, division d’Anvers, estime qu’il y a lieu de poser à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.
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III. En droit
-A-
Le Conseil des ministres soutient que l’affaire doit être renvoyée à la juridiction a quo, puisque la réponse à la question préjudicielle n’est pas utile à la solution du litige au fond. Le litige au fond est en effet devenu sans objet, dès lors que, par décision du 9 février 2024, le Service fédéral des Pensions a à nouveau octroyé le montant de base majoré à la partie appelante, à compter du 1er février 2021, à savoir la date à partir de laquelle la décision attaquée du 21 septembre 2021 produisait ses effets.
-B-
B.1. La question préjudicielle porte sur les articles 6 et 7 de la loi du 22 mars 2001
« instituant la garantie de revenus aux personnes âgées » (ci-après : la loi du 22 mars 2001).
L’article 6 de la loi du 22 mars 2001, dans sa version applicable devant la juridiction a quo, dispose :
« § 1er. Le montant annuel de la garantie de revenus s’élève au maximum à 6.765,89 euros.
Sans préjudice de l’application de la section 2 du présent chapitre, ce montant est octroyé à l’intéressé qui satisfait aux conditions d’âge prévues aux articles 3 et 17 et qui partage la même résidence principale avec une ou plusieurs autres personnes.
Sont censés partager la même résidence principale, le demandeur et toute autre personne qui réside habituellement avec lui au même endroit.
La résidence habituelle ressort de l’inscription dans les registres de la population de la commune du lieu de résidence.
§ 2. Le coefficient 1,50 s’applique au montant visé au paragraphe 1er pour le bénéficiaire qui ne partage pas sa résidence principale avec une ou plusieurs autres personnes et qui satisfait aux conditions d’âge prévues aux articles 3 et 17.
Nonobstant l’inscription dans les registres de la population à la même adresse que le demandeur, les personnes suivantes ne sont pas censées partager la même résidence principale que le demandeur :
1° les enfants mineurs;
2° les enfants majeurs pour lesquels des allocations familiales sont perçues;
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3° les personnes accueillies dans la même maison de repos ou la même maison de repos et de soins, ou la même maison de soins psychiatriques que le demandeur;
4° les parents ou alliés en ligne directe descendante ou ascendante et leurs cohabitants légaux.
§ 3. Le coefficient 1,50 s’applique au montant visé au paragraphe 1er pour le bénéficiaire qui :
1° a le même lieu de résidence principale que le conjoint ou le cohabitant légal alors que ce dernier a été admis dans une maison de repos ou une maison de repos et de soins ou dans une maison de soins psychiatriques et qui n’a pas cette maison comme lieu de résidence principale et pour autant que le bénéficiaire ne partage pas cette résidence principale avec une ou plusieurs personnes autres qu’un parent ou allié en ligne directe descendante ou ascendante et leurs cohabitants légaux, ou un ou plusieurs enfants mineurs ou majeurs pour lesquels des allocations familiales sont perçues;
2° a le même lieu de résidence principale que le conjoint ou le cohabitant légal alors que ce bénéficiaire a été admis dans une maison de repos ou une maison de repos et de soins ou dans une maison de soins psychiatriques et qui n’a pas cette maison comme lieu de résidence principale;
3° a le même lieu de résidence principale que le conjoint ou le cohabitant légal alors que tant le bénéficiaire que le conjoint ou le cohabitant légal ont été admis dans une maison de repos ou une maison de repos et de soins ou dans une maison de soins psychiatriques et qui n’ont pas cette maison comme lieu de résidence principale.
§ 4. Le Roi peut fixer, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, à quelles conditions les dispositions des paragraphes 2 et 3 peuvent être étendues à d’autres catégories de personnes qu’Il détermine.
§ 5. Le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, augmenter le montant visé au paragraphe 1er.
§ 6. Le montant visé au paragraphe 1er est lié à l’indice 103,14 (base 1996 = 100) et varie conformément aux dispositions de la loi du 2 août 1971 organisant un régime de liaison à l’indice des prix à la consommation des traitements, salaires, pensions, allocations et subventions à charge du trésor public, de certaines prestations sociales, des limites de rémunération à prendre en considération pour le calcul de certaines cotisations de sécurité sociale des travailleurs, ainsi que des obligations imposées en matière sociale aux travailleurs indépendants.
§ 7. Le montant visé au paragraphe 1er est adapté tous les deux ans. À cet effet, le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, le coefficient de revalorisation sur la base de la décision qui est prise en matière de marge maximale pour l’évolution du coût salarial en exécution, soit de l’article 6, soit de l’article 7 de la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité ».
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L’article 7 de la loi du 22 mars 2001, dans sa version applicable devant la juridiction a quo, dispose :
« 1er. La garantie de revenus ne peut être octroyée qu’après examen des ressources et des pensions. Toutes les ressources et pensions, de quelque nature qu’elles soient, dont disposent l’intéressé ou le conjoint ou cohabitant légal avec lequel il partage la même résidence principale, sont prises en considération pour le calcul de la garantie de revenus, sauf les exceptions prévues par le Roi.
Pour la personne qui vit en communauté ou qui partage la résidence principale avec d’autres personnes, autres que le conjoint ou le cohabitant légal, il est uniquement tenu compte des ressources et des pensions dont le demandeur dispose personnellement. Lorsque l’intéressé satisfait aux conditions prévues à l’article 6, § 2, il est tenu compte, pour le calcul de la garantie de revenus, uniquement des ressources et des pensions dont il dispose personnellement.
Le Roi détermine les ressources dont il n’est pas tenu compte lors de l’établissement de la garantie de revenus.
§ 2. Le total des ressources visées au paragraphe 1er et des pensions est, après déduction des immunisations visées aux articles 8 à 10 et 12, divisé par le nombre de personnes dont les ressources et pensions sont, conformément au paragraphe 1er, prises en considération, en ce compris l’intéressé. Ce total est communiqué à l’intéressé.
Par dérogation à l’alinéa précédent, le nombre d’enfants mineurs d’âge et d’enfants majeurs pour lesquels des allocations familiales sont perçues, limité, dans les deux cas, au premier degré par rapport à l’intéressé ou au conjoint ou au cohabitant légal, et pour autant qu’ils soient inscrits dans le registre de la population à l’adresse de l’intéressé, est repris au dénominateur.
Sont également repris dans le dénominateur, les enfants placés par décision judiciaire auprès de l’intéressé, ou de son conjoint ou du cohabitant légal, pour lesquels des allocations familiales sont perçues et qui sont inscrits dans le registre de la population à l’adresse de l’intéressé.
Le résultat de ce calcul est, après déduction de l’immunisation visée à l’article 11, déduit du montant annuel visé à l’article 6, §§ 1er, 2 ou 3, suivant le cas.
§ 3. Le Roi fixe dans quelles circonstances et à quelles conditions le montant mentionné à l’article 6, § 1er, est converti sans un nouvel examen sur les ressources au montant visé à l’article 6, §§ 2 ou 3.
§ 4. Pour l’application du § 1er, alinéa 2, le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, ce qu’il faut entendre par ‘ personne qui vit en communauté ’ ».
B.2. La juridiction a quo demande à la Cour si ces dispositions sont compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que les ayants droit d’une garantie de revenus aux
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personnes âgées qui partagent leur résidence principale avec une personne avec laquelle ils vivent en cohabitation de fait reçoivent le montant de base majoré si la cohabitation ne procure pas un avantage économique, alors que les ayants droit d’une garantie de revenus aux personnes âgées qui partagent leur résidence principale avec une personne avec laquelle ils sont mariés ou cohabitent légalement reçoivent toujours le montant de base, même si la cohabitation ne procure pas un avantage économique.
B.3. Le Conseil des ministres soutient que le litige au fond est devenu sans objet, dès lors que, par décision du 9 février 2024, le Service fédéral des Pensions a à nouveau octroyé le montant de base majoré à la partie appelante devant la juridiction a quo, à compter du 1er février 2021, date à partir de laquelle la décision attaquée du 21 septembre 2021 produisait ses effets.
Selon lui, la question préjudicielle n’appelle dès lors pas de réponse et l’affaire doit être renvoyée à la juridiction a quo.
B.4.1. C’est en règle à la juridiction a quo qu’il appartient d’apprécier si la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution du litige. Ce n’est que lorsque tel n’est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la question n’appelle pas de réponse.
B.4.2. Le litige devant la juridiction a quo concerne la contestation d’une décision du Service fédéral des Pensions du 21 septembre 2021 d’accorder la garantie de revenus aux personnes âgées au montant de base à la partie appelante à partir du 1er février 2021, en raison de son mariage avec une personne qui ne dispose pas de revenus. Dès lors que, par une décision du 9 février 2024, le Service fédéral des Pensions est revenu sur cette décision en octroyant la garantie de revenus aux personnes âgées au montant de base majoré à la partie appelante à compter du 1er février 2021, une réponse à la question préjudicielle n’est manifestement pas utile à la solution du litige.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
La question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 novembre 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Luc Lavrysen