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14/11/2024 | BELGIQUE | N°123/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 14 novembre 2024, 123/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 123/2024
du 14 novembre 2024
Numéro du rôle : 8104
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 584, alinéa 4, du Code judiciaire, posée par le président du Tribunal de première instance de Liège, division de Liège.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas D

upont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arr...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 123/2024
du 14 novembre 2024
Numéro du rôle : 8104
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 584, alinéa 4, du Code judiciaire, posée par le président du Tribunal de première instance de Liège, division de Liège.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par ordonnance du 9 novembre 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 15 novembre 2023, le président du Tribunal de première instance de Liège, division de Liège, a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 584, alinéa 4, du Code judiciaire en tant qu’il est interprété comme n’ouvrant pas le droit à une procédure unilatérale, à défaut d’absolue nécessité, au propriétaire de points de vente de grande distribution, dont l’accès à la clientèle est empêché par des grévistes identifiés par l’entreprise qui les emploie et qui exerceraient de la sorte légitimement leur droit de grève, viole-t-il l’article 16 de la Constitution qui reconnaît à ce propriétaire le droit de propriété, lu en combinaison avec l’article 1er du protocole du 25 mars 1952 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 17 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ʽ Charte de Nice ʼ) et, en corollaire, le droit à la liberté de commerce et d’industrie, reconnu à l’article 7 du décret des 2 et 17 mai 1791, dit ʽ Décret d’Allarde ʼ, désormais remplacé par l’article 11.3 [lire : II.3] du Code de droit économique et, en droit international, à l’article 16
de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ? ».
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Des mémoires ont été introduits par :
- Thierry Kreutz, assisté et représenté par Me Julie Henkinbrant, avocate au barreau de Liège-Huy;
- la Confédération des syndicats chrétiens de Belgique, la Fédération générale du travail de Belgique, la Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique, l’ASBL « Ligue des droits humains », Ann Vermorgen, Thierry Émile Bodson et Gert Truyens, assistés et représentés par Me Hind Riad et Me Jean-François Neven, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Philippe Schaffner et Me Sébastien Kaisergruber, avocats au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 25 septembre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Thierry Giet et Sabine de Bethune, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le 7 mars 2023, la SA « Delhaize » communique à son conseil d’entreprise un plan de cession à des opérateurs indépendants de l’exploitation, sous franchise, des 128 magasins qu’elle exploite.
À la suite de cette annonce, des mouvements de grève éclatent dans plusieurs magasins et des centres de distribution sont bloqués.
La SA « Delhaize » et la SA « Delhome », qui assure les livraisons à domicile des produits commandés en ligne par les clients de Delhaize, déposent à plusieurs reprises entre les mains du président du Tribunal de première instance de Liège des requêtes unilatérales visant à faire interdire, sous peine d’astreinte, les blocages des magasins de la SA « Delhaize » et du siège social de la SA « Delhome ».
Entre le 21 mars 2023 et le 11 août 2023, le président du Tribunal de première instance de Liège rend cinq ordonnances faisant droit aux demandes des sociétés anonymes « Delhaize » et « Delhome ».
Le 14 août 2023, l’ordonnance du 11 août 2023 est signifiée à Thierry Kreutz.
Le 6 septembre 2023, il forme tierce opposition contre cette ordonnance.
Thierry Kreutz fait valoir que la requête unilatérale aurait dû être déclarée irrecevable à défaut d’absolue nécessité, c’est-à-dire à défaut de circonstances exceptionnelles exigeant que le droit au contradictoire ne soit pas mis en œuvre immédiatement dans la phase initiale de la procédure. Il y a absolue nécessité lorsqu’il est nécessaire
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de provoquer un effet de surprise, lorsqu’il n’est pas possible d’identifier de manière certaine et précise les personnes à la charge desquelles les mesures doivent être exécutées ou en cas d’extrême urgence.
Le président du Tribunal de première instance de Liège estime que les deux premières hypothèses ne trouvent pas à s’appliquer.
En ce qui concerne l’extrême urgence, le président du Tribunal de première instance de Liège observe que plusieurs juridictions ont considéré qu’il était satisfait à cette condition lorsque la requête avait pour objet de faire interdire un mouvement de grève imminent. Il considère qu’il serait possible de considérer que la condition d’extrême urgence n’est plus remplie, dès lors que le conflit social a débuté depuis plus de cinq mois. Il fait toutefois valoir qu’il n’est lui-même pas en mesure de vérifier si les membres du personnel qui tenaient les piquets de grève en août 2023 étaient les mêmes que ceux qui avaient été identifiés auparavant. Le président du Tribunal de première instance de Liège examine ensuite si l’accomplissement, par les grévistes, de voies de fait portant atteinte au droit de propriété, à la liberté de commerce et d’industrie et au droit au travail ou le risque de telles voies de fait sont constitutifs d’une extrême urgence. Le président du Tribunal de Première instance de Liège estime qu’il lui appartient d’évaluer si le fait d’interdire à la clientèle l’accès à un magasin à un moment déterminé constitue l’exercice normal du droit de grève ou s’il constitue une voie de fait.
Le président du Tribunal de première instance de Liège pose la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
Quant à l’intérêt de la partie intervenante
A.1. La Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique, la Confédération des syndicats chrétiens de Belgique, la Fédération générale du travail de Belgique, l’ASBL « Ligue des droits humains », Ann Vermogen, Thierry Bodson et Gert Truyens estiment qu’une réponse affirmative à la question préjudicielle porterait gravement atteinte aux intérêts collectifs et aux droits fondamentaux des travailleurs salariés. Ils font valoir qu’ils ont vocation à défendre ces droits en leurs qualités respectives d’organisation syndicale, d’organisation de défense des droits humains et de personnes physiques assumant des responsabilités syndicales.
A.2. Le Conseil des ministres ne conteste pas leur intérêt à intervenir.
Quant à la recevabilité de la question préjudicielle
A.3.1. Thierry Kreutz, tiers opposant devant la juridiction a quo, soutient tout d’abord que la question préjudicielle est irrecevable en ce qu’elle vise les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique et l’article 16
de la Charte des droits fondamentaux, dès lors qu’il ne s’agit pas de normes dont la Cour est chargée d’assurer le contrôle et qu’ils ne sont pas lus en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.3.2. Thierry Kreutz estime ensuite qu’il est possible de comprendre la question préjudicielle en ce sens que la juridiction a quo a déjà estimé que les requérants ne pouvaient pas se prévaloir de l’absolue nécessité justifiant le recours à une procédure unilatérale et qu’elle demande à la Cour si le fait que les propriétaires des points de vente concernés ne puissent dès lors pas agir sur le fondement de l’article 584, alinéa 4, du Code judiciaire est compatible avec l’article 16 de la Constitution. Selon lui, l’on peut toutefois également considérer que la juridiction a quo doute que les requérants puissent se prévaloir de l’extrême urgence, qui constitue l’une des hypothèses de l’absolue nécessité, et qu’elle interroge la Cour sur le conflit entre les droits fondamentaux de grève et de propriété dont la résolution permettrait, selon elle, de lever ce doute. Thierry Kreutz fait en outre valoir
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qu’il est en tout cas impossible de comprendre, à la lecture de la question préjudicielle et de l’ordonnance de renvoi, en quoi l’article 584, alinéa 4, du Code judiciaire violerait les normes de référence visées dans la question préjudicielle.
A.3.3. Thierry Kreutz considère par ailleurs que la Cour n’est pas compétente pour répondre à la question préjudicielle, dès lors que celle-ci ne porte pas sur la compatibilité de la disposition en cause avec les normes dont la Cour est chargée de contrôler le respect, mais sur l’application de la disposition en cause à la procédure pendante devant la juridiction a quo.
Si l’on privilégie la première lecture possible de la question préjudicielle, il faut constater, selon Thierry Kreutz, que la juridiction a quo a laissé entendre qu’il n’y avait pas violation de l’article 16 de la Constitution. Dans cette lecture, la question préjudicielle repose en effet sur la prémisse selon laquelle les requérants ne pouvaient pas se prévaloir de l’absolue nécessité leur permettant de faire usage de l’article 584, alinéa 4, du Code judiciaire. La juridiction a quo interroge la Cour sur la constitutionnalité du caractère restrictif de cette disposition. Or, selon Thierry Kreutz, eu égard aux faits de la cause, la juridiction a quo n’aurait pu constater que les requérants ne pouvaient pas se prévaloir de l’absolue nécessité que parce qu’elle a estimé, en amont, que le mouvement de grève n’avait pas causé de dégâts aux biens et que la restriction temporaire de l’accès des clients aux magasins ne portait pas atteinte au droit de propriété. Thierry Kreutz en infère que la question préjudicielle est irrecevable, en ce que la Cour devrait, pour y répondre, se prononcer sur l’application de la disposition en cause au cas d’espèce, et donc remettre en cause l’appréciation de la juridiction a quo.
Si l’on privilégie la seconde lecture possible de la question préjudicielle, il faut considérer que la juridiction a quo demande à la Cour si le fait d’estimer que les blocages en cause relèvent de l’exercice normal du droit de grève et qu’ils n’emportent pas l’absolue nécessité qui conditionne le recours à la procédure unilatérale entraîne une violation du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre. Thierry Kreutz estime que cela revient à interroger la Cour sur des questions de fait qui relèvent de l’appréciation de la juridiction a quo.
A.3.4. Thierry Kreutz fait enfin valoir que l’ordonnance de renvoi ne motive pas l’utilité de la réponse à la question préjudicielle. Il observe que l’existence d’une absolue nécessité est une question de fait qui relève du pouvoir souverain d’appréciation du juge judiciaire. Il s’ensuit que cette notion n’est pas, en tant que telle, susceptible de porter atteinte au droit de propriété et qu’elle ne dépend pas de l’interprétation que pourrait en donner la Cour. Il affirme de surcroît que la question préjudicielle, à supposer qu’elle concerne une situation dans laquelle l’absolue nécessité ne serait pas établie selon la juridiction a quo, porte sur une hypothèse étrangère à celle de l’article 584, alinéa 4, du Code judiciaire. La juridiction a quo dispose déjà de tous les éléments nécessaires à la solution du litige.
A.4. Les parties intervenantes développent une argumentation identique.
A.5.1. Le Conseil des ministres fait valoir que le contrôle de la Cour devrait se limiter au respect de l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, et au respect de l’article II.3 du Code de droit économique. Il estime qu’il n’y a lieu de contrôler ni le respect de l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de l’article 17 de Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui ont une portée analogue à celle de l’article 16 de la Constitution, ni celui de l’article 16 de la Charte précitée, qui a une portée analogue à celle de l’article II.3 du Code de droit économique.
A.5.2. Le Conseil des ministres estime que, si la question préjudicielle devait être interprétée en ce sens que la juridiction a quo invite la Cour à déterminer si le fait que des grévistes empêchent la clientèle d’accéder à des points de vente de grande distribution constitue l’exercice normal du droit de grève, la réponse à cette question ne relève pas de la compétence de la Cour. Le Conseil des ministres estime également que la question préjudicielle ne doit pas être interprétée en ce sens que la juridiction a quo inviterait la Cour à examiner si le fait que les grévistes exercent légitimement leur droit de grève a nécessairement pour effet de priver le propriétaire des points de vente de grande distribution du droit de recourir à la procédure unilatérale. Dans cette interprétation, en effet, la disposition en cause serait manifestement inconstitutionnelle.
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Le Conseil des ministres propose de reformuler la question préjudicielle comme suit :
« L’article 584, alinéa 4, du Code judiciaire, interprété en ce sens que le fait, pour des grévistes, d’empêcher la clientèle d’accéder à des points de vente de grande distribution, exerçant de la sorte légitimement leur droit de grève, ne constitue pas une cause d’absolue nécessité justifiant, dans le chef du propriétaire de ces points de vente, le recours à la procédure unilatérale afin de faire interdire de tels actes, viole-t-il l’article 16 de la Constitution combiné avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et le droit à la liberté de commerce et d’industrie garanti par l’article II.3
du Code de droit économique ? ».
Selon lui, cette reformulation ne modifie pas substantiellement la question posée, mais vise seulement à en préciser la portée.
Quant au fond
A.6.1. Thierry Kreutz fait valoir que l’exercice du droit de grève est tout au plus susceptible d’entraîner une perturbation temporaire dans l’utilisation de certains biens affectés à l’activité économique de l’entreprise. Il rappelle que le droit de grève est « prévu par la loi », notamment par l’article 8, paragraphe 1, d), du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et par l’article 6, 4°, de la Charte sociale européenne révisée. La Cour européenne des droits de l’homme l’a par ailleurs déduit de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’atteinte au droit de propriété résultant de l’exercice du droit de grève est raisonnablement justifiée, dès lors qu’elle vise à rendre effectif le droit de négociation collective. En outre, plusieurs dispositifs juridiques sont mis en place afin que les employeurs et les représentants syndicaux puissent négocier en cas de conflit social.
A.6.2. Thierry Kreutz estime que la disposition en cause ne doit pas s’analyser comme une restriction du droit de propriété, mais, au contraire, comme une restriction du droit de grève. Selon lui, étendre davantage les possibilités de requête unilatérale en cas de piquet de grève renforcerait le caractère injustifié de la restriction existante du droit de grève.
Il rappelle qu’il résulte de l’article G de la Charte sociale européenne révisée que les restrictions du droit à l’action collective ne sont admissibles que pour autant qu’elles soient prévues par la loi, qu’elles poursuivent un des objectifs énoncés à l’article G et qu’elles soient nécessaires. Il fait valoir que les requêtes unilatérales rendent la procédure contentieuse inéquitable en ce qu’elles créent un désavantage au détriment des travailleurs et des organisations syndicales. Les voies de recours telles que la tierce opposition ne permettent pas de compenser ce déséquilibre procédural. Il affirme que la signification de l’ordonnance fait généralement cesser le mouvement de grève et le piquet de grève qui, sous la menace des astreintes, ne se reconstituent pas. S’il est vrai que les grévistes peuvent introduire une tierce opposition, cette voie de recours n’aboutit généralement qu’après que le mouvement de grève a pris fin.
À l’appui de son raisonnement, il se réfère à une décision dans laquelle le Comité européen des droits sociaux a considéré que l’exigence selon laquelle la restriction du droit à l’action collective devait être « prévue par la loi »
comprenait une exigence d’équité procédurale. Le Comité a estimé que « l’exclusion totale des syndicats des procédures dites sur ‘ requêtes unilatérales ’, présente le risque que leurs intérêts légitimes ne soient pas dûment pris en compte. Les syndicats ne peuvent intervenir dans la procédure [qu’après qu’une première décision contraignante a été prise et que l’action collective a été] interrompue. [...] En conséquence, les syndicats peuvent se voir contraints d’engager une nouvelle action collective, ou bien de passer par une longue procédure d’appel.
Par conséquent, l’exclusion des syndicats de la procédure d’urgence peut conduire à une situation où l’intervention des tribunaux risque de produire des résultats injustes ou arbitraires. Pour cette raison, de telles restrictions au droit de grève ne peuvent être considérées comme étant prescrites par la loi » (CEDS, décision du 13 septembre 2011, CES/CGSLB/CSC/FGTB c. Belgique, réclamation n° 59/2009, point 44). Le Comité a également jugé que l’application pratique de la procédure allait au-delà de ce qui était nécessaire pour protéger les droits des autres travailleurs et des entreprises, en raison d’un possible manquement à l’exigence d’une équité procédurale (décision précitée, point 45).
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Thierry Kreutz estime que les ordonnances sur requête unilatérale privent les travailleurs et les organisations syndicales de la possibilité d’exercer une pression raisonnable en vue d’inciter les employeurs à accepter d’ouvrir des négociations permettant de résoudre le différend à l’amiable. Il en infère que ce dispositif n’est pas raisonnablement justifié et qu’il viole le droit à l’action collective. Si les possibilités de requête unilatérale étaient étendues, l’atteinte au droit à l’action collective serait d’autant plus inadmissible.
A.6.3. À titre subsidiaire, Thierry Kreutz rappelle que le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant au choix de moyens procéduraux destinés à garantir la protection du droit de propriété. Il fait valoir qu’en réservant la procédure sur requête unilatérale à des cas exceptionnels, le législateur n’a pas excédé la marge d’appréciation dont il disposait.
A.7. Les parties intervenantes développent une argumentation identique.
A.8.1. Le Conseil des ministres fait valoir qu’il ressort de la jurisprudence et de la doctrine que le recours à la procédure unilatérale doit demeurer exceptionnel. Le débat contradictoire reste la règle, conformément au droit à un procès équitable des personnes à l’égard desquelles la mesure demandée est vouée à s’appliquer. En outre, la condition de l’absolue nécessité doit être interprétée strictement et elle implique qu’il existe des circonstances exceptionnelles rendant impossible l’organisation d’un débat contradictoire. Dans ces conditions, la procédure respecte le droit à un procès équitable.
Il rappelle que les circonstances dans lesquelles l’absolue nécessité peut être constatée sont de trois ordres :
la nécessité de provoquer un effet de surprise, l’impossibilité d’identifier la partie adverse et l’extrême urgence.
Il n’en demeure pas moins que le propriétaire des points de vente de grande distribution concernés par le mouvement de grève peut valablement agir par voie de requête unilatérale pour autant qu’il puisse se prévaloir d’une des trois causes précitées de l’absolue nécessité. Il appartient à la juridiction saisie sur requête unilatérale et, le cas échéant, ultérieurement, à la juridiction saisie sur tierce opposition d’apprécier, in concreto, si une telle cause d’absolue nécessité existe.
A.8.2. Le Conseil des ministres considère que le fait que l’exercice légitime du droit de grève ne constitue pas une cause d’absolue nécessité ne viole pas le droit de propriété ni la liberté d’entreprendre.
Il observe que divers instruments du droit de l’Union européenne déterminant les règles du marché intérieur prévoient que les droits et libertés qu’ils garantissent ne limitent pas le droit de grève.
Le Conseil des ministres considère que la restriction du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre que provoque la disposition en cause est justifiée, dès lors qu’elle vise à protéger d’autres droits fondamentaux, à savoir le droit de grève et le droit à un procès équitable.
Enfin, le Conseil des ministres estime que la disposition en cause ne produit pas des effets disproportionnés, dès lors que le propriétaire des points de vente visés par le mouvement de grève peut, en tout état de cause, faire valoir ses droits dans le cadre d’une action contradictoire.
-B-
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1. La question préjudicielle porte sur l’article 584, alinéa 4, du Code judiciaire.
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L’article 584, alinéa 1er, du Code judiciaire dispose :
« Le président du tribunal de première instance statue au provisoire dans les cas dont il reconnaît l’urgence, en toutes matières, sauf celles que la loi soustrait au pouvoir judiciaire ».
L’article 584, alinéa 4, en cause, du même Code dispose :
« Le président est saisi par voie de référé ou, en cas d’absolue nécessité, par requête ».
B.2.1. Cette dernière disposition a remplacé l’article 54 du décret impérial du 30 mars 1808 « contenant règlement pour la police et la discipline des cours et tribunaux ».
B.2.2. Les travaux préparatoires de l’article 584 du Code judiciaire exposent :
« Si en principe le président appelé à prendre en cas d’urgence, une mesure provisoire est normalement saisi par voie de référé, il peut néanmoins en cas d’absolue nécessité prendre les mêmes mesures sur simple requête (art. 30, al. 2).
L’article 54 du décret impérial du 30 mars 1808 contenant règlement pour la police et la discipline des cours et tribunaux prévoit que toutes les requêtes à fin de mesures d’urgence seront présentées au président du tribunal qui les répondra par son ordonnance, après communication, s’il y a lieu, au ministère public.
[…]
On s’accorde, en tout cas, dans le cadre de l’application de l’article 54 du décret impérial à exiger la vérification d’un état, soit d’extrême urgence, soit d’absolue nécessité. L’urgence doit être telle que tout retard porterait gravement atteinte aux droits de la partie au point même que l’abréviation des délais et le référé d’hôtel seraient insuffisants pour parer à un danger imminent. L’absolue nécessité s’entend donc en ce sens qu’une application immédiate et soudaine de la mesure sollicitée est seule de nature à garantir sa pleine efficacité. Pratiquement les présidents de nos tribunaux n’ont fait usage qu’avec une grande circonspection des pouvoirs que leur confère l’article 54 de la loi précitée. Mais il n’est pas niable que la nature même de l’autorisation sur requête, les besoins auxquels elle est appelée à pourvoir exigent que son domaine ne soit pas invariable. Des droits et des intérêts ne peuvent être laissés sans défense.
S’il est de toute urgence d’y venir en aide, le président doit user de son pouvoir d’intervenir [...]
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Le projet déposé le 25 mai 1937 autorisait le recours à la procédure sur requête ‘ lorsque l’urgence ou la nature de la mesure sollicitée sont telles qu’il y a péril à devoir recourir à la procédure ordinaire du référé ’. [...] Les termes ‘ absolue nécessité ’ utilisés par le Code en projet ont, dans notre pensée, la même portée. Ils ont trait à l’extrême urgence déduite du péril qui résulterait de l’emploi d’une autre voie, et aussi, le cas échéant, de la nature même de la mesure sollicitée lorsque celle-ci nécessite l’utilisation d’une procédure unilatérale. La procédure sur requête a donc un caractère exceptionnel. Elle ne sera pas admise si la voie du référé, qui présente la garantie essentielle du débat contradictoire, pouvait être employée efficacement [...]. Cette voie sera précisément utilisable dans la plupart des cas où la contradiction est normalement permise sans compromettre les fins mêmes de la requête. Car le délai des citations en référé peut être au besoin abrégé au point de les entendre autoriser d’heure à heure » (Doc. parl., Sénat, 1963-1964, n° 60, pp. 140-141).
B.3.1. Au sujet de l’article 584, alinéa 4, du Code judiciaire, la Cour de cassation a jugé ce qui suit :
« 4. Il y a absolue nécessité au sens de l’article 584, alinéa 4, s’il existe des circonstances exceptionnelles exigeant que le droit au contradictoire ne soit pas mis en œuvre dans la toute première phase de la procédure. Tel est le cas lorsqu’il est à craindre que les mesures demandées, qui sont raisonnables et proportionnées, deviendraient sinon sans objet ou perdraient leur efficacité ou si elles sont dirigées contre une partie inconnue ou non identifiée.
Le juge tient compte à cet égard des intérêts légitimes des différentes parties.
5. Le juge apprécie l’absolue nécessité au moment du dépôt de la requête et indique les motifs qui justifient sa décision.
6. Le juge apprécie en fait s’il y a absolue nécessité au sens de l’article 584, alinéa 4, du Code judiciaire, dans la mesure où il ne méconnaît pas la notion légale d’ ‘ absolue nécessité ’ »
(Cass., 4 septembre 2020, C.20.0045.N, ECLI:BE:CASS:2020:ARR.20200904.1N.3).
B.3.2. Il ressort de la jurisprudence que la notion d’absolue nécessité recouvre :
- les situations dans lesquelles la nature même de la mesure postulée impose, afin d’être efficace, une procédure unilatérale, notamment pour ménager un effet de surprise;
- les situations dans lesquelles il est impossible d’identifier les personnes à charge desquelles la mesure doit être exécutée;
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- les situations d’extrême urgence, lorsque même l’abrègement du délai de citation et le référé d’hôtel seraient insuffisants pour parer à un danger imminent.
En particulier, il y a extrême urgence lorsque la crainte d’un péril grave et imminent nécessite une mesure immédiate qui ne saurait souffrir du délai causé par le recours à une procédure contradictoire. La requête unilatérale est par contre prohibée dès lors qu’une demande en référé peut être introduite de manière utile et efficace, le cas échéant par le mécanisme de l’abrègement du délai de citation visé à l’article 1036 du Code judiciaire ou en l’hôtel du président. La vérification de l’extrême urgence nécessite une appréciation concrète et individualisée de chaque cas d’espèce.
Quant à la recevabilité de la question préjudicielle
B.4.1. En vertu de l’article 142, alinéa 2, de la Constitution et de l’article 26, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur les questions relatives à la violation par une loi, un décret ou une règle visée à l’article 134 de la Constitution, des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l’autorité fédérale, des communautés et des régions, des articles du titre II (« Des Belges et de leurs droits ») et des articles 143, § 1er, 170, 172 et 191 de la Constitution.
B.4.2. À défaut d’inscription des règles de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 dans un texte normatif de valeur contraignante, la Cour ne peut contrôler le respect des dispositions de cette Déclaration dont la violation est invoquée.
B.4.3. En outre, la Cour n’est pas compétente pour contrôler des dispositions législatives au regard de dispositions législatives, tels les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, qui ne sont pas des règles répartitrices de compétences entre l’autorité fédérale, les communautés et les régions. La Cour ne pourrait vérifier si une disposition législative porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre garantie par ces dispositions que si
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cette liberté était lue en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution ou avec l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
B.4.4. La Cour est compétente pour contrôler la compatibilité de la disposition en cause avec l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après : le Premier Protocole additionnel).
Sans qu’il soit nécessaire d’examiner si la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est applicable en l’espèce en vertu de son article 51, la Cour peut prendre en considération les garanties consacrées par l’article 17 de cette Charte et la jurisprudence de la Cour de justice qui y est relative, étant donné que le droit de propriété en droit de l’Union européenne a une portée analogue à celle du droit belge de la propriété, garantie par l’article 16
de la Constitution.
B.5. Contrairement à ce qu’allègue la partie formant opposition devant la juridiction a quo, la question préjudicielle ne porte pas sur l’application de la disposition en cause aux faits de l’espèce sur laquelle doit se prononcer la juridiction a quo. Elle porte sur la compatibilité de cette disposition, dans une interprétation particulière, avec les normes de référence précitées.
Du reste, il n’apparaît pas que la réponse à la question préjudicielle ne soit manifestement pas utile à la solution du litige au fond.
Quant au fond
B.6. La question préjudicielle porte sur la compatibilité de l’article 584, alinéa 4, du Code judiciaire avec l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel et avec l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, « en tant qu’il est interprété comme n’ouvrant pas le droit à une procédure unilatérale, à défaut d’absolue nécessité, au propriétaire de points de vente de grande
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distribution, dont l’accès à la clientèle est empêché par des grévistes identifiés par l’entreprise qui les emploie et qui exerceraient de la sorte légitimement leur droit de grève ».
B.7.1. L’article 16 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
B.7.2. L’article 1er, premier alinéa, du Premier Protocole additionnel dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ».
L’article 1er du Premier Protocole additionnel offre une protection non seulement contre une expropriation ou une privation de propriété (premier alinéa, seconde phrase) mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase).
L’article 1er, second alinéa, du Premier Protocole additionnel dispose que la protection du droit de propriété « ne [porte] pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».
Selon la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 1er, second alinéa, du Premier Protocole additionnel doit être interprété à la lumière de la première phrase du premier alinéa.
L’ingérence dans le droit au respect des biens n’est compatible avec ce droit que si elle est raisonnablement proportionnée au but poursuivi, c’est-à-dire si elle ne rompt pas le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et celles de la protection de ce droit (CEDH, 16 avril 2002, S.A. Dangeville c. France, ECLI:CE:ECHR:2002:0416JUD003667797).
La notion d’« intérêt général » est une notion large qui requiert un examen approfondi des facteurs politiques, économiques et sociaux lorsque l’autorité publique l’invoque pour justifier
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une ingérence dans le droit de propriété. Étant donné que le législateur dispose d’une grande marge d’appréciation pour mener une politique économique et sociale, la Cour doit respecter la manière dont il conçoit les impératifs de l’utilité publique ou de l’intérêt général, sauf si son appréciation se révèle manifestement dépourvue de base raisonnable (voir notamment CEDH, 21 février 1986, James et autres c. Royaume-Uni, ECLI:CE:ECHR:1986:0221JUD000879379, §§ 45 à 46 ; 29 janvier 2013, Zolotas c. Grèce, ECLI:CE:ECHR:2013:0129JUD006661009, § 44).
B.7.3. La Cour européenne des droits de l’homme a également jugé que, dans certaines circonstances, l’article 1er du Premier Protocole additionnel peut imposer « certaines mesures nécessaires pour protéger le droit de propriété [...], même dans les cas où il s’agit d’un litige entre des personnes physiques ou morales » (CEDH, grande chambre, 3 avril 2012, Kotov c. Russie, ECLI:CE:ECHR:2012:0403JUD005452200, § 112). La victime d’une atteinte au droit au respect des biens commise par un particulier doit, notamment, disposer des recours adéquats pour faire valoir ses droits. L’État peut être tenu de prendre en pareilles circonstances soit des mesures préventives, soit des mesures de réparation (CEDH, Kotov c. Russie, précité, § 113). Il a l’obligation de « prévoir une procédure judiciaire offrant les garanties procédurales nécessaires et permettant ainsi aux tribunaux nationaux de trancher efficacement et équitablement tout litige éventuel entre particuliers » (CEDH, Kotov c. Russie, précité, § 114).
B.8. Dans l’hypothèse que la juridiction a quo soumet à la Cour, le blocage de l’accès de la clientèle à des points de vente par des grévistes exerçant légitimement leur droit de grève peut être considéré comme une ingérence dans le droit au respect des biens de ces sociétés.
La Cour examine si la disposition en cause met en place un recours adéquat permettant à ces sociétés de faire valoir leurs droits.
B.9.1. L’article 584, alinéa 1er, du Code judiciaire permet à la personne qui subit une atteinte à son droit au respect des biens ou qui risque de subir une telle atteinte d’intenter une action en référé afin de faire cesser cette atteinte ou de la prévenir.
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B.9.2. Dans certaines circonstances, la protection des droits des justiciables requiert une action immédiate. La procédure par requête unilatérale est autorisée à titre exceptionnel en cas d’absolue nécessité. Comme il est dit en B.3.2, la notion d’absolue nécessité recouvre les situations où une procédure unilatérale est nécessaire pour ménager un effet de surprise, celles où il est impossible d’identifier les personnes à charge desquelles la mesure doit être exécutée et les situations d’extrême urgence.
Dès lors que la procédure unilatérale déroge au principe du contradictoire, elle ne saurait être admise que dans des hypothèses limitativement énumérées. Ces hypothèses doivent, de surcroît, être interprétées restrictivement. La dérogation doit rester temporaire.
Il s’ensuit que la restriction de la faculté d’agir par requête unilatérale est justifiée par le respect du droit à un procès équitable. En outre, dans une hypothèse telle que celle sur laquelle la juridiction a quo interroge la Cour, cette restriction, et en particulier le fait que l’exercice légitime du droit de grève ne constitue pas en soi une cause d’absolue nécessité contribue également à la protection du droit de grève.
B.9.3. Le législateur a raisonnablement pu estimer que cette restriction permettait de ménager un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général, en particulier la protection des droits fondamentaux précités, et celles de la protection du droit de propriété.
B.10. L’article 584, alinéa 4, du Code judiciaire est compatible avec l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel et avec l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 584, alinéa 4, du Code judiciaire ne viole pas l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 novembre 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 123/2024
Date de la décision : 14/11/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-11-14;123.2024 ?

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