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24/10/2024 | BELGIQUE | N°111/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 24 octobre 2024, 111/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 111/2024
du 24 octobre 2024
Numéro du rôle : 8083
En cause : la question préjudicielle relative à l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du Code wallon du développement territorial, posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Joséphine Moerman, Michel Pâques, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Kattrin Jadin, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt s

uivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par l’arrêt n° 257.285 du 13 septemb...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 111/2024
du 24 octobre 2024
Numéro du rôle : 8083
En cause : la question préjudicielle relative à l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du Code wallon du développement territorial, posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Joséphine Moerman, Michel Pâques, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Kattrin Jadin, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par l’arrêt n° 257.285 du 13 septembre 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 2 octobre 2023, le Conseil d’État a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du Code du développement territorial (CoDT) viole-t-il l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution et le principe de standstill inhérent au droit à la protection d’un environnement sain qui y est reconnu en ce qu’il prévoit qu’une ou plusieurs éoliennes peuvent être implantées en zone agricole au plan de secteur à proximité des infrastructures de communication ou d’une zone d’activité économique et à la condition qu’elles ne mettent pas en cause de manière irréversible la destination de la zone alors que, sous le Code wallon de 1’Aménagement du territoire, de l’Urbanisme et du Patrimoine (CWATUP), de telles éoliennes ne pouvaient l’être que dans le respect des conditions du mécanisme d’écart prévu à l’article 127, § 3, du même Code ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- la ville de Bastogne, représentée par son collège communal, assistée et représentée par Me Sylviane Leprince, avocate au barreau de Namur;
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- la SA « Luminus », assistée et représentée par Me Annabelle Vanhuffel et Me Alexandra de Hults, avocates au barreau du Brabant wallon;
- le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me Bénédicte Hendrickx, avocate au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 17 juillet 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures Emmanuelle Bribosia et Joséphine Moerman, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le 24 octobre 2018, la SA « Luminus » introduit auprès de la ville de Bastogne une demande de permis unique ayant pour objet l’implantation et l’exploitation de quatre éoliennes, la construction d’une cabine de tête, l’aménagement de chemins d’accès et d’aires de manutention et la pose de câbles électriques sur un terrain situé à Hemroulle, en zone agricole d’après le plan de secteur de Bastogne adopté le 5 septembre 1980.
Le 10 octobre 2019, le permis unique sollicité est délivré par les fonctionnaires délégué et technique. Le 4 novembre 2019, le collège communal de la ville de Bastogne introduit auprès du Gouvernement wallon un recours administratif contre cette décision. Le 13 mars 2020, ce recours est rejeté par les ministres de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement.
Le 28 juin 2020, la ville de Bastogne demande à la section du contentieux administratif du Conseil d’État, qui est la juridiction a quo, l’annulation de cette décision. Elle fait grief à l’acte attaqué, entre autres, d’être fondé sur les articles D.II.36, § 2, alinéa 2, et R.II.36-2 du Code wallon du développement territorial, qui violeraient l’obligation de standstill résultant de l’article 23 de la Constitution, en ce qu’ils permettent l’implantation d’éoliennes en zone agricole au plan de secteur, alors qu’avant leur entrée en vigueur, le Code wallon de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et du patrimoine ne permettait l’implantation d’éoliennes dans cette zone qu’à titre dérogatoire, moyennant le respect de conditions plus strictes. Elle y voit une réduction significative du droit à la protection d’un environnement sain et propose que la Cour constitutionnelle soit interrogée à ce sujet.
Par l’arrêt n° 257.285 du 13 septembre 2023 (ECLI:BE:RVSCE:2023:ARR.257.285), le Conseil d’État fait droit à cette demande, tout en modifiant la formulation de la question, et pose à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.
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III. En droit
-A-
A.1.1. La ville de Bastogne, partie requérante devant la juridiction a quo, fait valoir que l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du Code wallon du développement territorial (ci-après : le CoDT) prévoit que des éoliennes peuvent être implantées dans une zone agricole au plan de secteur, moyennant le respect de deux conditions : il faut, d’abord, qu’elles soient implantées à proximité des principales infrastructures de communication ou d’une zone d’activité économique et, ensuite, qu’elles ne mettent pas en cause de manière irréversible la destination de la zone agricole. En cela, cette disposition constitue un recul significatif du degré de protection de l’environnement, dans la mesure où, sous l’empire du Code wallon de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et du patrimoine (ci-
après : le CWATUP), l’installation d’éoliennes en zone agricole constituait une dérogation au plan de secteur qui n’était possible que s’il s’agissait d’actes ou travaux d’utilité publique et que ces derniers respectaient ou recomposaient les lignes de force du paysage. En ce qui concerne la dérogation au plan de secteur, elle ne pouvait être accordée qu’à titre exceptionnel, sachant que les conditions d’octroi étaient d’interprétation stricte.
En prévoyant la possibilité d’implanter des éoliennes en zone agricole sans déroger au plan de secteur, la disposition en cause entraîne un recul significatif du degré de protection de l’environnement, qui peut mettre en péril la destination première des zones agricoles. Cela est d’autant plus vrai qu’il demeure possible d’obtenir une dérogation au plan de secteur pour implanter des éoliennes en zone agricole en dehors des conditions fixées à l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du CoDT.
La ville de Bastogne fait également valoir que la disposition en cause n’impose ni ne suggère aucune planification en matière d’implantation d’éoliennes, avec pour conséquence qu’en l’absence d’une coordination des différents promoteurs, les zones agricoles concernées pourraient, sans être irréversiblement affectées dans leur destination, subir une pression telle que les autres fonctions essentielles des zones agricoles, au premier rang desquelles l’accueil d’activités agricoles, en ressortiraient notoirement affaiblies. Un maillage important des îlots éoliens induit en effet un morcellement des terres agricoles qui réduit considérablement leur usage possible entre ces îlots, d’autant que les zones agricoles subissent déjà une pression accrue en lien avec les mesures de compensation environnementale prévues par le CoDT. La multiplication non planifiée de projets éoliens porte également atteinte à l’intégrité du paysage et à la qualité de vie des riverains, ce qui accentue le caractère sensible du recul du degré de protection de l’environnement, surtout si l’on applique le principe du regroupement, lequel aurait pour conséquence de faciliter l’obtention de dérogations au plan de secteur en raison de la proximité d’un projet éolien déjà autorisé.
A.1.2. Le Gouvernement wallon fait valoir qu’il n’est pas établi que la disposition en cause implique un recul du degré de protection qu’offrait la législation antérieure. En effet, d’après les travaux préparatoires de l’article D.II.36 du CoDT, cette disposition a pour effet de restreindre la possibilité d’implanter des éoliennes :
d’une part, l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du CoDT ne prévoit la possibilité d’installer des éoliennes que dans les zones agricoles, là où l’article 127, § 3, du CWATUP permettait de déroger au plan de secteur pour implanter des éoliennes dans tous les types de zones. D’autre part, l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du CoDT impose deux conditions de fond à l’implantation d’éoliennes en zone agricole, là où l’article 127, § 3, du CWATUP n’en imposait qu’une, du reste moins restrictive, que celles qui sont prévues par la disposition en cause. En l’absence d’un recul, et à plus forte raison d’un recul significatif du degré de protection du droit à un environnement sain, l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution et l’obligation de standstill qu’il contient ne sont pas violés.
Le Gouvernement wallon considère également que les zones agricoles au plan de secteur sont particulièrement propices aux projets éoliens, puisque le potentiel venteux de plaines dégagées est, par nature, supérieur à celui de tout autre espace. Il s’agit donc de rendre compte, dans la législation relative à l’aménagement du territoire, de ces contraintes de nature technique. Au demeurant, l’obligation de standstill n’interdit pas au législateur décrétal d’apporter des modifications au système des plans d’aménagement du territoire, pour autant que cela n’entraîne pas un recul significatif du degré de protection de l’environnement qui ne serait pas justifié par un motif d’intérêt général.
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A.1.3. La SA « Luminus », partie intervenante devant la juridiction a quo, fait valoir que la protection de l’environnement est en soi l’objectif que poursuit le CoDT lorsque celui-ci identifie les zones qui, seules, peuvent accueillir des éoliennes, puisque cela contribue à limiter les nuisances environnementales dans les autres zones et à promouvoir le développement de sources d’énergie renouvelable, ce qui s’inscrit par ailleurs dans le cadre du respect de l’article 7bis de la Constitution. En cela, la réforme du CoDT vise à maintenir (voire à renforcer) le degré global de protection de l’environnement qui existait sous l’empire du CWATUP. En identifiant des zones privilégiées d’accueil de projets éoliens, le législateur décrétal a consacré le principe du regroupement qui figurait déjà dans les « Cadres de référence pour l’implantation d’éoliennes en Région wallonne » de 2002 et 2013. En concentrant les nuisances potentielles sur certaines zones, le législateur décrétal préserve la destination des zones qui ne sont pas concernées par la possibilité d’implanter des éoliennes. La partie intervenante devant la juridiction a quo en déduit que la réforme n’entraîne pas un recul significatif du degré de protection du droit à un environnement sain.
La SA « Luminus » fait également valoir, à cet égard, que les conditions d’implantation d’éoliennes en zone agricole sont, sous l’empire du CoDT, interprétées de manière plus stricte que les conditions de dérogation au plan de secteur prévues par le CWATUP. Le recul du degré de protection du droit à un environnement sain, à supposer qu’il existe, ne saurait être qualifié de significatif.
Enfin, la SA « Luminus » relève qu’en dénonçant l’absence de planification ainsi que l’application du principe du regroupement, lequel impliquerait que les dérogations au plan de secteur soient plus aisées à obtenir, la ville de Bastogne conteste en réalité la politique du Gouvernement wallon en matière de développement éolien, et non la disposition en cause. Au demeurant, la SA « Luminus » fait valoir que les dérogations seront au contraire plus compliquées à obtenir, puisque les zones agricoles constituent une zone d’accueil « naturel » de projets éoliens; il sera donc d’autant plus complexe de justifier le non-respect des conditions fixées à l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du CoDT.
A.2.1. La ville de Bastogne considère que le recul significatif qu’elle allègue n’est justifié par aucun motif d’intérêt général. Les objectifs d’intérêt général poursuivis par le CoDT pris dans son ensemble, à savoir la lutte contre l’étalement urbain et le redéploiement économique de la Wallonie, ne suffisent pas à justifier pareil recul.
En effet, la disposition en cause ne contribue à l’évidence pas à la lutte contre l’étalement urbain et elle ne répond pas aux objectifs sous-tendant le redéploiement économique, que sont le logement et la création d’emplois. Au demeurant, aucun objectif spécifique à l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du CoDT n’est avancé dans les travaux préparatoires de cette disposition pour justifier le recul significatif du degré de protection du droit à un environnement sain qu’offrait la législation précédemment applicable. Il s’en déduit que l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du CoDT viole l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution et l’obligation de standstill prévue par cette disposition. Les seules justifications avancées par le législateur concernent le CoDT pris dans son ensemble et constituent une pétition de principe selon laquelle le CoDT respecte l’obligation de standstill, sans jamais le démontrer.
A.2.2. Le Gouvernement wallon considère qu’il y a lieu de concilier l’obligation de standstill prévue à l’article 23 de la Constitution et les exigences de l’article 7bis de la Constitution, lequel impose à l’État fédéral, aux communautés et aux régions de poursuivre un objectif de développement durable, notamment dans sa dimension environnementale. Partant, l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution et l’obligation de standstill qu’il contient ne peuvent être interprétés comme faisant obstacle à des mesures législatives destinées à limiter le changement climatique et à promouvoir l’utilisation de sources d’énergie renouvelable, a fortiori lorsque de telles mesures permettent de se conformer aux obligations internationales de la Belgique. La Cour l’a confirmé par son arrêt n° 142/2021 du 14 octobre 2021 (ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.142), puisqu’elle a considéré que les objectifs européens en matière de production d’énergie renouvelable pouvaient constituer des objectifs d’intérêt général permettant de justifier un recul, même significatif, du degré de protection offert par la législation applicable.
A.2.3. La SA« Luminus » estime que, si la Cour venait à considérer qu’un recul significatif du degré de protection du droit à un environnement sain est établi, ce dernier serait justifié par un motif d’intérêt général. Elle rappelle en effet que le CoDT poursuit un objectif d’intérêt général, à savoir la promotion des sources d’énergie
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renouvelable et le développement durable du territoire, ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires du décret du 20 juillet 2016 « abrogeant le décret du 24 avril 2014 abrogeant les articles 1er à 128 et 129quater à 184 du Code wallon de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme, du Patrimoine et de l’Énergie, abrogeant les articles 1er à 128 et 129quater à 184 du Code wallon de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et du patrimoine et formant le Code du Développement territorial ». Ces objectifs s’inscrivent, au demeurant, dans le cadre d’obligations européennes de promotion du développement de sources d’énergie renouvelable. Par ailleurs, la réforme poursuit également des objectifs de simplification administrative et de développement économique, qui constituent, en tant que tels, des motifs d’intérêt général.
A.2.4. La ville de Bastogne souligne que le législateur wallon ne pourrait invoquer ni la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 « relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (refonte) » ni le règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 « sur la gouvernance de l’union de l’énergie et de l’action pour le climat, modifiant les règlements (CE) n° 663/2009 et (CE) n° 715/2009 du Parlement européen et du Conseil, les directives 94/22/CE, 98/70/CE, 2009/31/CE, 2009/73/CE, 2010/31/UE, 2012/27/UE et 2013/30/UE
du Parlement européen et du Conseil, les directives 2009/119/CE et (UE) 2015/652 du Conseil et abrogeant le règlement (UE) n° 525/2013 du Parlement européen et du Conseil » pour justifier par un motif d’intérêt général le recul significatif qu’elle dénonce, dans la mesure où ces textes sont postérieurs à l’adoption de la disposition en cause.
De même, le règlement (UE) 2022/2577 du Conseil du 22 décembre 2022 « établissant un cadre en vue d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables » n’est pas applicable à l’affaire pendante devant la juridiction a quo, puisqu’il ne s’applique qu’aux demandes de permis introduites entre le 30 décembre 2022 et le 30 juin 2024. Partant, ce règlement ne peut servir à démontrer que la disposition en cause poursuit manifestement un objectif d’intérêt général, à savoir la production d’énergie renouvelable, alors que cet objectif n’est jamais invoqué dans les travaux préparatoires du CoDT. Si ce règlement devait toutefois être pris en considération dans l’examen effectué par la Cour, la partie requérante devant la juridiction a quo demande qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice de l’Union européenne.
Par ailleurs, la ville de Bastogne ne nie pas que la poursuite d’une politique de développement des énergies renouvelables puisse en soi constituer un objectif d’intérêt général, mais elle considère qu’il ne suffit pas d’invoquer le fait que l’objet sur lequel le législateur a légiféré en adoptant la disposition en cause est d’intérêt général. Il faut également démontrer que la disposition en cause ne produit pas des effets disproportionnés, c’est-
à-dire qu’elle respecte l’équilibre prévu à l’article D.I.1, § 1er, alinéa 4, du CoDT, ou, à tout le moins, que la rupture de cet équilibre est justifiée. C’est donc bien le fait que la disposition en cause elle-même, et non l’objectif plus général de développement des sources d’énergie renouvelable, n’est pas justifiée de manière proportionnée par un motif d’intérêt général qui est critiqué.
A.2.5. Quant à la pertinence des instruments de droit européen, la SA « Luminus » relève qu’ils s’inscrivent dans le cadre du plan « REPowerEU », qui a été lancé en mai 2002, soit bien avant l’adoption du CoDT. Par ailleurs, même si l’on admet que les directives citées ne peuvent être directement invoquées, la Région wallonne s’était déjà engagée à plusieurs reprises à réduire ses émissions de gaz à effet de serre et à favoriser l’investissement dans les énergies renouvelables à partir de 2014. Il ne peut donc être nié que le législateur décrétal a pu se fonder, sinon sur les directives elles-mêmes, à tout le moins sur leurs objectifs généraux. Enfin, la SA « Luminus » indique qu’elle ne soutient pas que le règlement (UE) 2022/2577 précité fonde la disposition en cause, mais qu’elle se contente de constater que les choix posés par le législateur décrétal sont confortés par cette norme de droit européen, ce qui tend à renforcer le caractère équilibré et raisonnable de la disposition en cause. Il n’y a donc pas lieu de poser à la Cour de justice la question préjudicielle suggérée par la partie requérante devant la juridiction a quo.
A.3.1. À titre subsidiaire, si la Cour venait à considérer que la réforme traduit un recul significatif, non justifié par un motif d’intérêt général, du degré de protection du droit à un environnement sain, la SA « Luminus »
sollicite que les effets de la disposition dont l’inconstitutionnalité serait constatée soient maintenus. Sans cela, tous les permis accordés sur la base de la disposition en cause se verraient privés de leur fondement légal, ce qui provoquerait une forte insécurité juridique. Par ailleurs, cette insécurité pourrait avoir pour effet de freiner les
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investissements futurs dans le secteur des énergies renouvelables et compromettre les objectifs climatiques de la Région wallonne.
A.3.2. La ville de Bastogne relève que la demande de la SA« Luminus » ne précise aucun délai utile quant à un maintien des effets, de sorte qu’elle doit s’interpréter comme portant sur un maintien des effets non défini dans le temps, y compris pour l’avenir. Même si le maintien des effets pour l’avenir devait être limité dans le temps, cela serait contraire à l’objectif de protection de l’environnement qui sous-tendrait le constat d’inconstitutionnalité posé par la Cour, puisque cela impliquerait une multiplication précipitée des demandes de permis d’implantation éolienne en zone agricole. Il n’y a donc pas lieu de maintenir les effets de la disposition en cause.
-B-
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1. La question préjudicielle porte sur la possibilité d’implanter des éoliennes en zone agricole et sur les conditions à remplir dans le cadre d’une telle implantation.
B.2.1. L’article D.II.36 du Code wallon du développement territorial (ci-après : le CoDT), tel qu’il a été inséré par le décret de la Région wallonne du 20 juillet 2016 « abrogeant le décret du 24 avril 2014 abrogeant les articles 1er à 128 et 129quater à 184 du Code wallon de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme, du Patrimoine et de l’Energie, abrogeant les articles 1er à 128 et 129quater à 184 du Code wallon de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme et du Patrimoine et formant le Code du Développement territorial » (ci-après : le décret du 20 juillet 2016), détermine la destination et les prescriptions générales relatives aux zones considérées comme des zones agricoles au plan de secteur.
L’article D.II.36 du CoDT dispose :
« § 1er. La zone agricole est destinée à accueillir les activités agricoles c’est-à-dire les activités de production, d’élevage ou de culture de produits agricoles et horticoles, en ce compris la détention d’animaux à des fins agricoles ou le maintien d’une surface agricole dans un état qui la rend adaptée au pâturage ou à la culture sans action préparatoire allant au-delà de pratiques agricoles courantes ou du recours à des machines agricoles courantes. Elle contribue au maintien ou à la formation du paysage ainsi qu’à la conservation de l’équilibre écologique.
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Elle ne peut comporter que les constructions et installations indispensables à l’exploitation et le logement des exploitants dont l’agriculture constitue la profession.
Elle peut également comporter des activités de diversification complémentaires à l’activité agricole des exploitants.
§ 2. Dans la zone agricole, les modules de production d’électricité ou de chaleur, qui alimentent directement toute construction, installation ou tout bâtiment situé sur le même bien immobilier, sont admis pour autant qu’ils ne mettent pas en cause de manière irréversible la destination de la zone.
Elle peut également comporter une ou plusieurs éoliennes pour autant que :
1° elles soient situées à proximité des principales infrastructures de communication ou d’une zone d’activité économique aux conditions fixées par le Gouvernement;
2° elles ne mettent pas en cause de manière irréversible la destination de la zone.
Elle peut être exceptionnellement destinée aux activités récréatives de plein air pour autant qu’elles ne mettent pas en cause de manière irréversible la destination de la zone. Pour ces activités récréatives, les actes et travaux ne peuvent y être autorisés que pour une durée limitée sauf à constituer la transformation, l’agrandissement ou la reconstruction d’un bâtiment existant.
Les refuges de pêche ou de chasse et les petits abris pour animaux y sont admis pour autant qu’ils ne puissent être aménagés en vue de leur utilisation, même à titre temporaire, pour la résidence ou l’activité de commerce. Peuvent également y être autorisés des boisements ainsi que la culture intensive d’essences forestières, les mares et la pisciculture.
§ 3. Le Gouvernement détermine les activités de diversification visées au paragraphe 1er, alinéa 3.
Le Gouvernement détermine les conditions de délivrance dans cette zone du permis relatif au boisement, à la culture intensive d’essences forestières, aux mares, à la pisciculture, aux refuges de pêche ou de chasse, aux petits abris pour animaux, aux activités récréatives de plein air, aux modules de production d’électricité ou de chaleur ainsi qu’aux actes et travaux qui s’y rapportent ».
B.2.2. En vertu du paragraphe 2, alinéa 2, de cet article D.II.36 du CoDT, des éoliennes peuvent être implantées en zone agricole au plan de secteur, à la double condition que ces dernières se situent à proximité des principales infrastructures de communication ou d’une zone d’activité économique et qu’elles ne mettent pas en cause de manière irréversible la destination de la zone.
B.2.3. D’après l’article R.II.36-2 de la partie réglementaire du CoDT, qui exécute l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, 1°, du CoDT, la proximité avec les principales infrastructures de
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communication ou avec une zone d’activité économique s’entend comme une distance maximale de 1 500 mètres entre le mât des éoliennes, d’une part, et l’axe des principales infrastructures de communication ou la limite d’une zone d’activité économique, d’autre part.
Le réseau des principales infrastructures de communication est défini à l’article R.II.21-1
de la partie réglementaire du CoDT, qui dispose :
« A l’exception des raccordements aux entreprises, aux zones d’enjeu régional, d’activités économiques, de loisirs, de dépendances d’extraction et d’extraction, le réseau des principales infrastructures de communication est celui qui figure dans la structure territoriale du schéma de développement du territoire et qui comporte :
1° les autoroutes et les routes de liaisons régionales à deux fois deux bandes de circulation, en ce compris les contournements lorsqu’ils constituent des tronçons de ces voiries, qui structurent le territoire wallon en assurant le maillage des pôles régionaux;
2° les lignes de chemin de fer, à l’exception de celles qui ont une vocation exclusivement touristique;
3° les voies navigables, en ce compris les plans d’eau qu’elles forment ».
Aux termes de l’article D.II.28, alinéa 1er, du CoDT, les zones d’activité économique comprennent la zone d’activité économique mixte, la zone d’activité économique industrielle, la zone d’activité économique spécifique, la zone d’aménagement communal concerté à caractère économique et la zone de dépendances d’extraction.
B.3.1. Avant l’entrée en vigueur du CoDT, la destination de la zone agricole, y compris la possibilité d’y implanter des éoliennes, était déterminée par le Code wallon de 1’aménagement du territoire, de l’urbanisme et du patrimoine (ci-après : le CWATUP). L’implantation d’éoliennes en zone agricole au plan de secteur était, en principe, interdite (article 35 du CWATUP).
B.3.2. L’implantation d’éoliennes en zone agricole était toutefois possible, moyennant une dérogation au plan de secteur, aux conditions prévues à l’article 127, § 3, du CWATUP, qui disposait :
« Pour autant que la demande soit préalablement soumise aux mesures particulières de publicité déterminées par le Gouvernement ainsi qu’à la consultation obligatoire visée à l’article 4, alinéa 1er, 3°, lorsqu’il s’agit d’actes et travaux visés au § 1er, alinéa 1er, 1°, 2°, 4°,
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5°, 7° et 8°, et qui soit respectent, soit structurent, soit recomposent les lignes de force du paysage, le permis peut être accordé en s’écartant du plan de secteur, d’un plan communal d’aménagement, d’un règlement communal d’urbanisme ou d’un plan d’alignement ».
Il découlait de cette disposition qu’il était possible de déroger au plan de secteur, et donc notamment d’implanter des éoliennes en zone agricole, à la double condition qu’il s’agisse de travaux d’utilité publique et que ces derniers respectent, structurent ou recomposent les lignes de force du paysage.
B.3.3. Le CWATUP a été abrogé par l’article 1er du décret de la Région wallonne du 24 avril 2014 « abrogeant les articles 1er à 128 et 129quater à 184 du Code wallon de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme, du Patrimoine et de l’Energie et formant le Code du développement territorial » (ci-après : le décret du 24 avril 2014). Ce décret ainsi que la version du CoDT qu’il contenait ne sont cependant jamais entrés en vigueur.
Le décret du 20 juillet 2016 abroge le CWATUP, y compris ses articles 35 et 127 précités, ainsi que le décret du 24 avril 2014. Il introduit également le nouveau CoDT, qui est entré en vigueur le 1er juin 2017.
B.3.4. L’exposé des motifs de l’article D.II.36 du CoDT précise que cette disposition est le pendant de l’article D.II.32 au sens du décret du 24 avril 2014, moyennant quelques adaptations (Doc. parl., Parlement wallon, 2015-2016, n° 307/1, p. 30).
Le législateur décrétal a toutefois relevé, lors des travaux préparatoires du décret du 24 avril 2014, que de nombreux parcs éoliens ont été implantés en zone agricole en vertu de la dérogation fondée sur l’article 127, § 3, du CWATUP, ce qui justifiait que le CoDT permette une telle implantation sans déroger au plan de secteur :
« L’article D.II.31 [du projet, qui correspond à l’article D.II.32 du décret du 24 avril 2014]
vise en réalité [à] mettre fin au régime actuel qui fait que tous les parcs éoliens sont nécessairement non conformes aux prescriptions du plan de secteur, ce qui conduit à utiliser systématiquement le mécanisme de l’article 127, § 3, de l’actuel CWATUPE qui, en principe, ne doit être utilisé, selon le Conseil d’État, qu’à titre exceptionnel. Quand son usage devient systématique, il n’a plus rien d’exceptionnel » (Doc. parl., Parlement wallon, 2013-2014, n° 942/1, p. 25).
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B.4.1. L’exposé des motifs de l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du CoDT précise également qu’il demeure possible, sous la législation actuelle, d’obtenir une dérogation au plan de secteur en vue d’implanter des éoliennes en zone agricole en dehors des conditions prévues à l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du CoDT :
« Le paragraphe 2 [de l’article D.II.36 du CoDT] regroupe les activités qui ne sont ni agricoles, ni complémentaires ou de diversification de l’activité agricole.
L’alinéa 2 du paragraphe 2 prévoit spécifiquement la possibilité d’implanter une ou plusieurs éoliennes le long des infrastructures principales de communication. L’article fixe les principes d’admission des éoliennes en zone agricole. Une habilitation est donnée au Gouvernement pour préciser la notion de proximité aux principales infrastructures de communication. Si cette disposition vise à privilégier l’implantation des éoliennes le long de ces infrastructures, il ne faut en aucun cas en déduire qu’elles ne peuvent être développées en dehors de ces zones. En effet, l’article D.IV.22, alinéas 1er, 7° et 2 reprend explicitement les actes et travaux liés à l’énergie renouvelable dans la catégorie des constructions et équipements de service public ou communautaire en raison de leur finalité d’intérêt général. A ce titre, elles peuvent à la fois s’implanter en conformité avec les prescriptions du plan de secteur dans les zones prévues à cet effet et bénéficier des dérogations prévues à l’article D.IV12 [lire :
D.IV.11], et ce, dans le respect des critères du cadre de référence adopté par le Gouvernement »
(Doc. parl., Parlement wallon, 2015-2016, n° 307/1, p. 30).
B.4.2. Si l’exposé des motifs précité renvoie aux « dérogations [au plan de secteur]
prévues à l’article D.IV.12 » du CoDT, il semble toutefois que c’est en réalité l’article D.IV.11
du CoDT qui doit être visé. En effet, cette disposition prévoit :
« Outre les dérogations prévues aux articles D.IV.6 à D.IV.10, le permis visé à l’article D.IV.22, alinéa 1er, 1°, 2°, 4°, 5°, 7°, 10° et 11°, et à l’article D.IV.25 et le permis relatif aux constructions et équipements destinés aux activités à finalité d’intérêt général ou le certificat d’urbanisme n° 2 peut être accordé en dérogeant au plan de secteur ».
L’article D.IV.22, alinéa 1er, du CoDT, auquel l’article D.IV.11 du même Code se réfère, vise les permis qui concernent, en tout ou en partie, des actes et travaux :
« […]
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2° d’utilité publique inscrits sur la liste arrêtée par le Gouvernement;
[…]
7° relatifs aux constructions ou équipements destinés aux activités à finalité d’intérêt général qui suivent :
[…]
k) liées à l’énergie renouvelable en raison de leur finalité d’intérêt général;
[…] ».
Au sujet des actes et travaux portant sur des constructions à finalité d’intérêt général liées à l’énergie renouvelable, l’alinéa 2 de la même disposition précise :
« Les actes et travaux visés à l’alinéa 1er, 7°, k), sont ceux relatifs à la production d’énergie destinée exclusivement à la collectivité c’est-à-dire d’énergie rejetée dans le réseau électrique ou dans le réseau de gaz naturel sans consommation privée ou desservant un réseau de chauffage urbain et qui concernent l’installation, le raccordement, la modification, la construction ou l’agrandissement :
1° d’un champ de panneaux solaires photovoltaïques;
2° d’une éolienne ou d’un parc éolien;
3° d’une centrale hydroélectrique;
4° d’une unité de valorisation énergétique de la biomasse;
5° d’une unité de valorisation énergétique de la géothermie ».
Un permis dérogatoire au plan de secteur peut donc être obtenu, en application de l’article D.IV.11 du CoDT, en vue de l’implantation d’un projet éolien.
B.4.3. L’exposé des motifs de l’article D.IV.11 du CoDT précise encore :
« Il s’agit du mécanisme calqué sur l’actuel article 127, § 3, du CWATUP applicable à certains permis visés à l’article 127, § 1er. Il est prévu néanmoins de réutiliser le vocable
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‘ dérogation ’ en lieu et place du concept d’écart qui est réservé, dans le cadre de la présente réforme aux documents à valeur indicative » (ibid., p. 44).
Les travaux préparatoires de cette disposition soulignent également :
« ériger des éoliennes en zone agricole, en dérogation, sera plus difficile, dans la mesure où le Gouvernement a favorisé les zonings et les abords du réseau structurant » (Doc. parl., Parlement wallon, 2015-2016, n° 307/338, p. 34).
Quant au fond
B.5. Par la question préjudicielle, la Cour est interrogée sur la compatibilité de l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du CoDT avec l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution et avec l’obligation de standstill inhérente au droit à la protection d’un environnement sain, en ce que cette disposition permet, moyennant le respect de deux conditions, l’installation d’éoliennes en zone reconnue comme zone agricole au plan de secteur sans dérogation à celui-ci, alors que, sous l’empire du CWATUP, l’implantation d’éoliennes dans une zone agricole était en principe interdite et nécessitait de s’écarter du plan de secteur, moyennant le respect des conditions qui étaient prévues à l’article 127, § 3, du CWATUP.
B.6.1. L’article 23 de la Constitution dispose :
« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
À cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
Ces droits comprennent notamment :
[…]
4° le droit à la protection d’un environnement sain;
[…] ».
B.6.2. Toute mesure en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire n’a pas ipso facto une incidence sur le droit à la protection d’un environnement sain au sens de l’article 23,
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alinéa 3, 4°, de la Constitution. En l’espèce, il peut toutefois être admis que la disposition en cause, qui règle la destination de la zone agricole au plan de secteur et qui est, de la sorte, susceptible d’avoir des conséquences importantes pour l’espace public, a une portée qui relève au moins partiellement du champ d’application de l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution.
B.6.3. L’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement, sans qu’existe une justification raisonnable, le degré de protection offert par la législation applicable.
B.6.4. L’obligation de standstill ne peut toutefois s’entendre comme interdisant au législateur décrétal d’apporter, dans le cadre de ses compétences, des modifications au système des plans d’aménagement du territoire et des permis d’urbanisme. Elle lui interdit de prendre des mesures qui marqueraient, sans qu’existe une justification raisonnable, un recul significatif du droit garanti par l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, mais elle ne le prive pas du pouvoir d’apprécier la manière dont ce droit est le plus adéquatement garanti.
B.7.1. Il résulte de l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du CoDT qu’une ou plusieurs éoliennes peuvent être installées en zone agricole au plan de secteur, alors que, sous l’empire du CWATUP, une telle implantation n’était possible que par une dérogation au plan de secteur.
Cette considération ne suffit pas à elle seule pour établir un recul significatif du niveau de protection de l’environnement. La Cour doit examiner si les conditions actuelles que doit remplir l’implantation d’éoliennes en zone agricole sont significativement plus souples que celles que devait remplir la dérogation au plan de secteur permise par l’article 127, § 3, du CWATUP.
B.7.2. L’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du CoDT, exécuté par l’article R.II.36-2 du même Code, impose que les éoliennes soient implantées à une distance maximale de 1 500 mètres de l’axe des principales infrastructures de communication ou de la limite d’une zone d’activité économique, pour peu que la destination de la zone ne soit pas mise en péril de manière irréversible. Il en découle que seules certaines parties d’une zone agricole, en l’occurrence celles qui jouxtent le réseau de communication structurant ou une zone d’activité économique,
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sont en principe susceptibles d’accueillir des éoliennes, alors que la dérogation qui était obtenue en vertu de l’article 127, § 3, du CWATUP permettait d’implanter des éoliennes à n’importe quel emplacement dans une zone agricole.
B.7.3. La possibilité d’implanter des éoliennes en zone agricole au plan de secteur sans dérogation à ce dernier était déjà prévue à l’article D.II.32 du décret du 24 avril 2014, qui n’est jamais entré en vigueur. Cette disposition ne comprenait toutefois aucune limitation relative aux parties des zones agricoles pouvant accueillir des éoliennes. Dans son exposé introductif, le ministre de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire, de la Mobilité et des Transports et du Bien-être animal indique, en ce qui concerne l’article D.II.36 du CoDT :
« le décret du 24 avril permettait l’implantation d’éoliennes en zone agricole, avec un risque de dénaturer la zone. Le choix a été modifié. Le Code en projet prévoit de n’implanter des éoliennes en zone agricole qu’à proximité du réseau structurant. Par contre, il rend les éoliennes non dérogatoires au plan de secteur en zones d’activité économique, dans les zonings.
La logique est inverse : placer le plus possible d’éoliennes là où elles impactent le moins l’environnement » (Doc. parl., Parlement wallon, 2015-2016, n° 307/338, p. 5).
B.7.4. Le choix du législateur décrétal de favoriser les implantations d’éoliennes aux abords du réseau structurant est donc guidé par le souci de limiter leur impact environnemental.
B.8.1. Comme il est dit en B.4.1 et B.4.2, il demeure cependant possible, en vertu de l’article D.IV.11 du CoDT, d’obtenir un permis d’implantation d’éoliennes en dérogation au plan de secteur, et donc d’installer des éoliennes en zone agricole en dehors des zones prévues à cet effet en vertu de l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du CoDT.
B.8.2. En tant qu’il règle les conditions de la dérogation, l’article D.IV.11 du CoDT est d’interprétation restrictive et son application doit être dûment motivée, et ce, quand bien même le législateur décrétal n’a pas expressément prévu que c’est seulement à titre exceptionnel que la dérogation peut être consentie (en ce sens, voy. C.const., n° 127/2023, ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.127, B.8 ; n° 94/2016, ECLI:BE:GHCC:2016:ARR.094, B.8.5, alinéa 2 ; n° 87/2007 du 20 juin 2007, ECLI:BE:GHCC:2007:ARR.087, B.9.3, alinéa 2, in fine).
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La motivation de l’application de la dérogation prévue à l’article D.IV.11 du CoDT doit en tout cas porter sur le fait que « la dérogation [n’est] pas accordée par facilité mais après avoir examiné la possibilité d’appliquer la règle dans son principe et après avoir conclu qu’en raison d’impératifs techniques ou juridiques, elle [est] nécessaire pour la réalisation optimale du projet » (CE, 23 février 2021, arrêt n° 249.884, ECLI:BE:RVSCE:2021:ARR.249.884).
B.8.3. Il est vrai que cette considération vaut également pour l’article 127, § 3, du CWATUP. Sous l’empire du CWATUP, l’administration qui délivrait un permis en dérogation au plan de secteur devait motiver sa décision de permettre l’implantation d’éoliennes en zone agricole, et justifier qu’il s’agissait de travaux d’utilité publique au sens de l’article 127, §1er, alinéa 1er, 1°, 2°, 4°, 5°, 7° et 8°, du CWATUP et que le projet respectait, structurait ou recomposait les lignes de force du paysage.
Cependant, dès lors que le législateur décrétal a explicitement prévu dans le CoDT les zones au plan de secteur dans lesquelles les projets éoliens peuvent en principe s’implanter, il n’est pas déraisonnable de considérer que l’obtention d’une dérogation au plan de secteur pour installer des éoliennes dans une autre zone ou en zone agricole au-delà de la limite des 1 500 mètres prévue à l’article D.II.36-2 est plus exceptionnelle. En effet, des considérations générales relatives au bon potentiel venteux de la zone agricole ne sauraient suffire à justifier la dérogation; encore faut-il justifier l’éloignement de plus de 1 500 mètres par rapport au réseau structurant ou à une zone d’activité économique. Le cadre de référence pour l’implantation d’éoliennes en Région wallonne, approuvé par le Gouvernement wallon le 21 février 2013, ainsi que la circulaire du Gouvernement wallon du 25 janvier 2024 « relative au cadre de référence éolien » prévoient en outre tous deux que les projets éoliens doivent s’insérer dans les lignes de force du paysage.
B.8.4. Il résulte de ce qui précède et des travaux préparatoires cités en B.3.3 et en B.4.3
que la dérogation au plan de secteur permise par l’article D.IV.11 du CoDT doit s’interpréter comme devant répondre à des conditions et à une exigence de motivation plus strictes que la dérogation qui était permise par l’article 127, § 3, du CWATUP, laquelle ne revêtait plus formellement le caractère exceptionnel inhérent à la notion de « dérogation ».
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B.9. Au demeurant, la délivrance des permis pour l’implantation d’éoliennes reste encadrée par d’autres dispositions légales et réglementaires, dont le livre ler du Code wallon de l’environnement, le décret de la Région wallonne du 11 mars 1999 « relatif au permis d’environnement » ou la loi du 12 juillet 1973 « sur la conservation de la nature » et les conditions sectorielles. L’ensemble de ces dispositions n’ont pas été modifiées lors de la réforme critiquée et elles restent applicables.
B.10. Le recul du degré de protection du droit à un environnement sain opéré par l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du CoDT, à le supposer établi, n’est pas significatif.
B.11. En outre, il ressort des discussions en commission de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et des Transports que l’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du CoDT
s’inscrit dans une volonté d’atteindre un objectif de production d’énergie renouvelable (Doc.
parl., Parlement wallon, 2015-2016, n° 307/338, p. 28), lequel s’inscrit dans le cadre de l’objectif de politique générale de développement durable que l’État fédéral, les communautés et les régions, aux termes de l’article 7bis de la Constitution, doivent poursuivre dans l’exercice de leurs compétences respectives.
L’implantation d’éoliennes sur le territoire de la Région wallonne participe donc à la réalisation d’un objectif de développement durable qui concourt à la protection de l’environnement.
B.12. La disposition en cause est compatible avec l’obligation de standstill contenue dans l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article D.II.36, § 2, alinéa 2, du Code wallon du développement territorial ne viole pas l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 24 octobre 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 111/2024
Date de la décision : 24/10/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 07/11/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-10-24;111.2024 ?

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