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25/04/2024 | BELGIQUE | N°50/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 25 avril 2024, 50/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 50/2024
du 25 avril 2024
Numéro du rôle : 8084
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 3 de la loi du 11 décembre 1998
« portant création d’un organe de recours en matière d’habilitations, d’attestations et d’avis de sécurité », posée par l’organe de recours.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Yasmine Kherbache, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia et Magali Plovie, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidÃ

©e par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 50/2024
du 25 avril 2024
Numéro du rôle : 8084
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 3 de la loi du 11 décembre 1998
« portant création d’un organe de recours en matière d’habilitations, d’attestations et d’avis de sécurité », posée par l’organe de recours.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Yasmine Kherbache, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia et Magali Plovie, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par décision du 28 septembre 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 4 octobre 2023, l’organe de recours en matière d’habilitations, d’attestations et d’avis de sécurité a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 3 de la loi du 11 décembre 1998 portant création d’un organe de recours en matière d’habilitations de sécurité viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus seuls ou conjointement avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par la loi du 13 mai 1955, en ce que la disposition litigieuse implique qu’un membre du personnel ou un mandataire appartenant à une institution composant le collège ‘ organe de recours ’, même s’il est fait application du mécanisme de la récusation, voit sa cause ayant pour enjeu notamment son maintien dans sa fonction décidée par un collège partiellement composé par des personnes avec qui il entretient des rapports professionnels réguliers et étroits et dont un membre de l’organe de recours pourrait éventuellement être (indirectement) impliqué dans un incident qui est à la base de la décision de refus et dans lequel l’impression pourrait exister qu’il existe un intérêt de cette personne dans la décision de cette organe, alors que le droit de voir sa cause décidée par un collège composé de membres dont l’impartialité est garantie, par exemple lorsqu’il n’existe pas de lien professionnel avec la partie requérante est pourtant reconnu ? ».
ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.050
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Des mémoires ont été introduits par :
- T.V., assisté et représenté par Me Jean-François De Bock, avocat au barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Nicolas Bonbled et Me Lotfi Bouhyaoui, avocats au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 28 février 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Thierry Giet et Sabine de Bethune, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
T.V. est conseiller au sein du Comité permanent de contrôle des services de renseignement et de sécurité (ci-
après : le Comité R). Il introduit un recours devant l’organe de recours en matière d’habilitations, d’attestations et d’avis de sécurité (ci-après : l’organe de recours) afin d’obtenir la réformation de la décision de l’Autorité nationale de sécurité du 5 juillet 2023 refusant de lui octroyer une habilitation de sécurité de niveau « très secret ».
L’Autorité nationale de sécurité justifie le refus en raison de l’extrême rigueur en termes d’intégrité et de discrétion qui doit être exigée au regard de la fonction exercée par T.V. auprès du Comité R. En effet, il ressort de l’enquête de sécurité effectuée par la Sûreté de l’État dans le cadre de la demande d’habilitation que T.V. fait l’objet d’une plainte introduite pour calomnie, diffamation et harcèlement auprès du parquet, pour des faits qui auraient été commis dans le cadre de ses fonctions de magistrat et de conseiller au sein du Comité R. En outre, l’intéressé se serait présenté à une zone de police afin d’obtenir des informations sur l’existence de cette plainte, en faisant valoir ses qualités de magistrat et de conseiller du Comité R.
L’organe de recours constate être présidé par le président du Comité R, qui est responsable de la gestion journalière de ce Comité. Par décision du 28 septembre 2023, l’organe de recours décide, avant dire droit, de poser la question reproduite plus haut, dès lors que T.V. est conseiller au sein du Comité R et que son habilitation de sécurité a été refusée à la suite d’un incident sur son lieu de travail.
III. En droit
-A–
A.1.1. À titre principal, la partie requérante devant la juridiction a quo soutient que la question préjudicielle est sans objet, n’appelle pas de réponse et/ou n’est pas utile à la solution du litige, au sens de l’article 26 de la loi
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spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle. La question préjudicielle serait relative à un problème d’impartialité en ce que le recours de la partie requérante elle-même serait traité par des personnes avec lesquelles elle entretiendrait des rapports professionnels réguliers et étroits, voire des personnes qui seraient impliquées dans un incident à la base de la décision de refus d’habilitation en cause. Or, la partie requérante devant la juridiction a quo soutient qu’il n’existe, en l’espèce, aucun risque d’atteinte à l’impartialité subjective ou objective de l’organe de recours. Elle n’a d’ailleurs pas soulevé de problème d’impartialité dans le cadre de la procédure devant la juridiction a quo. Par ailleurs, en l’espèce, aucun membre de l’organe de recours n’a estimé nécessaire de se récuser ou de s’abstenir en raison d’une quelconque proximité professionnelle ou d’un autre risque. En outre, la question porte essentiellement sur le ressenti de la partie requérante devant la juridiction a quo.
A.1.2. À titre subsidiaire, la partie requérante devant la juridiction a quo affirme que la question préjudicielle ne peut pas avoir pour effet d’empêcher l’organe de recours de statuer ni de faire obstacle aux droits de la défense et au droit à un recours effectif. Elle relève que, selon la section du contentieux administratif du Conseil d’État, la mise en œuvre du principe d’impartialité et l’éventuelle récusation qui en découle ne peuvent pas avoir pour effet de bloquer le fonctionnement d’un organe légalement composé. Or, en l’espèce, la partie requérante devant la juridiction a quo ne s’est pas opposée à ce que le recours soit traité par les membres effectifs de l’organe de recours.
Par ailleurs, elle n’a formulé aucune demande de récusation. La partie requérante devant la juridiction a quo précise qu’il est primordial que son recours soit tranché rapidement, sans quoi elle ne pourrait plus exercer ses fonctions ni être renouvelée dans celles-ci. À son estime, la question préjudicielle constitue une « péripétie procédurale »
risquant de ruiner l’effet utile de son recours. Elle précise ne pas avoir été interpellée par l’organe au sujet de l’opportunité de la question préjudicielle et que, si tel avait été le cas, elle s’y serait fermement opposée. Partant, il y a lieu de ne pas donner suite à la demande de question préjudicielle.
A.1.3. À titre infiniment subsidiaire, la partie requérante devant la juridiction a quo s’en remet à la sagesse de la Cour en ce qui concerne la réponse à donner à la question préjudicielle.
A.2.1. Le Conseil des ministres soutient que la question préjudicielle appelle une réponse négative. Il relève que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’indépendance et l’impartialité d’une juridiction s’apprécient compte tenu notamment du mode de désignation des membres, de la durée du mandat, de l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et de l’apparence d’une indépendance.
En ce qui concerne le droit au recours effectif, le Conseil des ministres précise que celui-ci garantit l’existence d’un recours en droit interne permettant de se prévaloir des droits et libertés consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme. Dans l’hypothèse où l’instance saisie n’est pas une institution juridictionnelle, il convient d’examiner ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente afin d’apprécier l’effectivité du recours. Le Conseil des ministres ajoute que, lorsque l’affaire présente des considérations de sécurité nationale, comme en l’espèce, les possibilités de recours peuvent être limitées de manière proportionnée, étant entendu que les États disposent d’une importante marge d’appréciation en la matière.
A.2.2. Le Conseil des ministres constate qu’initialement, la disposition en cause prévoyait la compétence du Comité R pour connaître des décisions de refus d’octroi d’une habilitation de sécurité. Ce choix du législateur avait été justifié par le souci de ne pas créer d’organe juridictionnel spécifique et de recourir à un organe familier du traitement de données classifiées. À propos de ce système, la Cour avait jugé que le Comité R, en sa qualité d’organe de recours, pouvait être considéré comme un juge indépendant et impartial, étant entendu que, dans l’hypothèse où l’un de ses membres n’aurait pas présenté les exigences d’impartialité requises, il aurait dû se déporter pour être remplacé. Par la suite, le législateur a souhaité mettre en place un collège ad hoc, composé du président du Comité permanent de contrôle des services de police (ci-après : le Comité P), du président de la Commission de la protection de la vie privée – entre-temps remplacée par l’Autorité de protection des données –
et du président du Comité R. L’objectif était notamment de garantir l’effectivité du recours ainsi que l’indépendance de ce nouvel organe. À cette occasion, le législateur n’a pas souhaité confier le contentieux des habilitations de sécurité à une juridiction judiciaire ou administrative existante, ni élargir la composition de l’organe de recours aux présidents de la Cour de cassation et du Conseil d’État, malgré un amendement déposé en
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ce sens. La Cour a ensuite jugé que l’organe de recours constituait une juridiction administrative et impartiale. Ce raisonnement est transposable en l’espèce. Le Conseil des ministres se réfère en outre à un avis de la section de législation du Conseil d’État, qui a confirmé l’indépendance et l’impartialité de l’organe de recours au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le Conseil des ministres observe qu’il ressort des travaux préparatoires de la disposition en cause que l’objectif du législateur était de confier les compétences en matière de recours relatifs aux habilitations de sécurité à un organe qui, tout en étant spécialisé et familier avec le traitement des données classifiées, dispose de l’indépendance et de l’impartialité nécessaires à l’exercice d’une fonction juridictionnelle. La présence, au sein de cet organe, du président du Comité P est justifiée par la circonstance que des données de services de police peuvent être traitées dans le cadre des enquêtes et des vérifications de sécurité. En ce qui concerne le président de la Commission de la protection de la vie privée, ensuite remplacé par le président de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données, l’objectif était de prévoir une garantie supplémentaire pour la protection des droits individuels et d’équilibrer le régime dérogatoire aux traitements de données à caractère personnel. Selon le Conseil des ministres, l’organe de recours présente dès lors d’autant plus de garanties d’indépendance et d’impartialité que celles qui avaient déjà été reconnues par la Cour au Comité R lorsqu’il agissait en qualité d’organe de recours, comme la section du contentieux administratif du Conseil d’État a eu l’occasion de le constater.
A.2.3. Selon le Conseil des ministres, le législateur était pleinement conscient de la possibilité de survenance de la situation visée par la question préjudicielle. Toutefois, les garanties mises en place lors de la création de l’organe de recours en 1998 et, ensuite, lors de la modification de sa composition en 2005 permettent de garantir son indépendance et son impartialité. Les exigences précitées de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sont en effet réunies en l’espèce. En effet, les membres de l’organe de recours sont nommés par une assemblée législative démocratiquement élue et ne peuvent être révoqués qu’en cas de faute grave ou s’ils ne réunissent plus les conditions de nomination. En outre, le président du Comité P et le président du Comité R ont la qualité de magistrat, tandis que le président de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données ne peut pas recevoir de demandes dans les limites de ses attributions ni d’instructions de façon directe ou indirecte.
Enfin, l’ensemble des membres de l’organe de recours sont nommés pour un terme renouvelable de six ans, ce qui constitue une durée considérée par la Cour européenne des droits de l’homme comme une garantie supplémentaire quant à l’indépendance d’une juridiction.
Le Conseil des ministres observe enfin que, si la situation visée par la question préjudicielle survenait, il suffirait que le membre de l’organe de recours qui, en apparence, ne présente pas des garanties suffisantes d’impartialité se déporte afin d’être remplacé. Dans ce cadre, rien n’empêche la personne ayant introduit le recours de solliciter elle-même le remplacement. En l’espèce, le Conseil des ministres constate que la partie requérante devant la juridiction a quo n’a nullement contesté la composition de l’organe, bien qu’elle ait été explicitement interpellée sur ce point dans le cadre de son recours. Enfin, le Conseil des ministres relève que les réglementations organiques du Comité P, du Comité R et de l’Autorité de protection des données prévoient que les règles relatives à la nomination, aux incompatibilités et à la révocation des présidents de ces organes sont applicables à leurs suppléants éventuels.
A.2.4. Pour le surplus, le Conseil des ministres n’aperçoit pas en quoi, en l’espèce, les mécanismes de suppléance et de récusation ne suffiraient pas à supprimer les éventuelles apparences de manque d’impartialité de l’organe de recours dues à la circonstance qu’un seul des membres de cet organe serait impliqué dans un incident à l’origine de la décision de refus. Le Conseil des ministres constate que ni la question préjudicielle, ni la décision de renvoi ne fournissent d’indications à cet égard.
-B-
B.1. La question préjudicielle porte sur l’article 3 de la loi du 11 décembre 1998 « portant création d’un organe de recours en matière d’habilitations, d’attestations et d’avis de sécurité »
(ci-après : la loi du 11 décembre 1998), qui, tel qu’il a été modifié par la loi du 13 septembre 2018 « portant modification de la loi du 11 décembre 1998 portant création d’un organe de
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recours en matière d’habilitations, d’attestations et d’avis de sécurité » (ci-après : la loi du 13 septembre 2018), dispose :
« Le collège composé du président du Comité permanent de Contrôle des services de renseignement, du président du Comité permanent de Contrôle des services de police et du président de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données ou de leur suppléant, membre de la même institution, ci-après dénommé ‘ l’organe de recours ’, connaît des recours introduits en application de la présente loi.
L’organe de recours est présidé par le président du Comité permanent R ou son suppléant.
Lorsque l’organe de recours est saisi, les Comités permanents de Contrôle des services de police et des services de renseignement et la Commission de la protection de la vie privée s’abstiennent, pendant la durée de la procédure, d’examiner respectivement les plaintes et dénonciations au sens de la loi du 18 juillet 1991 précitée et les plaintes au sens de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel, qui concernent toute enquête ou toute vérification de sécurité effectuée à l’occasion des procédures d’habilitation, d’avis ou d’attestation de sécurité faisant l’objet du recours ».
B.2.1. L’article 142, alinéa 3, de la Constitution dispose que « la Cour peut être saisie […], à titre préjudiciel, par toute juridiction ».
La Cour n’est donc compétente pour répondre à la question préjudicielle que pour autant que l’organe de recours soit une juridiction.
B.2.2. Avant sa modification par la loi du 3 mai 2005 « modifiant la loi du 11 décembre 1998 portant création d’un organe de recours en matière d’habilitations de sécurité » (ci-après : la loi du 3 mai 2005), l’article 3 de la loi du 11 décembre 1998 prévoyait la compétence du Comité permanent de contrôle des services de renseignement et de sécurité (ci-après : le Comité R) en tant qu’organe de recours.
Par son arrêt n° 14/2006 du 25 janvier 2006 (ECLI:BE:GHCC:2006:ARR.014), la Cour a jugé que, lorsque le Comité R agit en tant qu’organe de recours en matière d’habilitations de sécurité en vertu de la loi du 11 décembre 1998, il agit en tant qu’organe juridictionnel.
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B.2.3. La loi du 3 mai 2005 a remplacé le Comité R par un nouvel organe de recours pour ce qui concerne la tâche juridictionnelle qui lui était confiée en vertu de la loi du 11 décembre 1998. Comme la Cour l’a relevé par son arrêt n° 151/2006 du 18 octobre 2006
(ECLI:BE:GHCC:2006:ARR.151), cet organe agit en qualité de juridiction administrative.
Initialement, il était composé de trois magistrats spécialisés en matière d’habilitations de sécurité, à savoir le président du Comité permanent de contrôle des services de police (ci-après :
le Comité P), le président du Comité R et le président de la Commission de la protection de la vie privée.
B.2.4. La loi du 13 septembre 2018 a modifié cette composition en remplaçant le président de la Commission de la protection de la vie privée par le président de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données, lequel ne doit pas nécessairement être magistrat (Doc.
parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-3107/005, pp. 8-9). Il ressort des travaux préparatoires de cette loi que l’objectif du législateur était d’adapter la composition de l’organe de recours au remplacement de la Commission de la protection de la vie privée par l’Autorité de protection des données, à la suite de l’adoption de la loi du 3 décembre 2017 « portant création de l’Autorité de protection des données » (ci-après : la loi du 3 décembre 2017) (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-3107/003, pp. 9-10).
L’intention du législateur n’était pas de modifier la nature juridictionnelle de l’organe de recours, au sein duquel la présence de deux magistrats – à savoir le président du Comité P et le président du Comité R – est d’ailleurs maintenue, étant entendu que rien n’empêche non plus que le président de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données soit aussi magistrat (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-3107/005, p. 9).
B.2.5. La Cour est dès lors compétente pour répondre à la question préjudicielle.
B.3. La question porte sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10
et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que le recours introduit devant l’organe visé par l’article 3 de la loi du 11 décembre 1998 en vue, notamment, du maintien en fonction du requérant est en partie traité par des personnes avec lesquelles le requérant entretient des
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rapports professionnels réguliers et étroits, même lorsqu’il est fait application du mécanisme de la récusation, lesquelles sont susceptibles d’être impliquées, le cas échéant indirectement, dans un incident à l’origine du recours, ce qui méconnaîtrait le principe d’impartialité.
B.4.1. La partie requérante devant la juridiction a quo soutient que la question préjudicielle est sans objet ou, à tout le moins, n’est pas utile à la solution du litige, dès lors qu’il n’existerait pas, en l’espèce, de problème d’impartialité dans le cadre de la procédure à l’origine de la décision de renvoi.
B.4.2. C’est en règle à la juridiction a quo qu’il appartient d’apprécier si la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution du litige. Ce n’est que lorsque tel n’est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la question n’appelle pas de réponse.
B.4.3. Il est d’une importance fondamentale, dans un État de droit démocratique, que les cours et tribunaux bénéficient de la confiance du public et des parties au procès (CEDH, 26 février 1993, Padovani c. Italie, ECLI:CE:ECHR:1993:0226JUD001339687, § 27). À cette fin, l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme exige que les juridictions auxquelles cette disposition s’applique soient impartiales (CEDH, grande chambre, 29 mars 2001, D.N. c. Suisse, ECLI:CE:ECHR:2001:0329JUD002715495, § 42).
Dès lors que la réponse à la question préjudicielle est déterminante pour savoir si, au regard de sa composition, la juridiction a quo peut être considérée comme impartiale dans les circonstances de l’espèce, ce qui constitue une question d’importance fondamentale, cette réponse n’est pas manifestement inutile à la solution du litige.
B.4.4. L’exception d’irrecevabilité est rejetée.
B.5.1. Par la loi du 3 mai 2005, le législateur a créé un organe spécifique tant en matière d’habilitations que d’attestations et d’avis de sécurité, initialement composé du président du Comité R, du président du Comité P et du président de la Commission de la protection de la vie privée, qui étaient tous les trois magistrats.
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Cette composition a, selon les travaux préparatoires de la loi du 3 juin 2005, plusieurs avantages :
« - l’organe de recours sera dorénavant composé exclusivement de magistrats (art. 4, al. 5, et 28, al. 5, de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements; art. 24, § 1er, de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel);
- la présence du président du Comité permanent P se justifie également, car les données des services de police peuvent constituer un élément déterminant d’appréciation dans le cadre des enquêtes et des vérifications de sécurité;
- la présence du président de la Commission de la protection de la vie privée est une garantie supplémentaire de protection des droits individuels qui équilibre le régime dérogatoire accordé aux traitements de données à caractère personnel (art. 3, § 4, de la loi précitée du 8 décembre 1992) » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1598/001 et 1599/001, p. 15).
B.5.2. Comme il est dit en B.2.4, la loi du 13 septembre 2018 a ultérieurement modifié cette composition en remplaçant le président de la Commission de la protection de la vie privée par le président de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données, qui ne doit pas nécessairement être magistrat, en vue de s’adapter à la création de l’Autorité de protection des données.
B.6.1. Une bonne administration de la justice garantit au justiciable que sa cause soit entendue par un juge indépendant et impartial. Ceci implique non seulement que le juge doit être indépendant et impartial, mais aussi que des garanties suffisantes doivent exister pour exclure tout doute légitime quant à l’indépendance et l’impartialité du juge.
Pour apprécier l’indépendance et l’impartialité d’une juridiction, il convient de considérer notamment la composition et l’organisation de la juridiction et le cumul de la fonction juridictionnelle avec d’autres fonctions ou activités.
B.6.2. Tant le président du Comité P (article 4 de la loi du 18 juillet 1991 « organique du contrôle des services de police et de renseignement et de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace » (ci-après : la loi du 18 juillet 1991)) que le président du Comité R
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(article 28 de la loi du 18 juillet 1991) sont nommés par la Chambre des représentants, qui peut les révoquer pour incompatibilités ou pour motifs graves. Ils sont tous les deux magistrats.
Le président de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données est nommé par la Chambre des représentants, étant entendu qu’il n’est pas exigé que celui-ci soit magistrat (article 39 de la loi du 3 décembre 2017). Le législateur a toutefois prévu que le président est nommé sur la base, notamment, de son indépendance (article 36, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017) et qu’il est soumis à un régime d’incompatibilités (articles 38 et 44, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017). En outre, le président de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données ne peut recevoir ni demandes dans les limites de ses attributions, ni instructions de façon directe ou indirecte (article 43, alinéa 1er, de la loi du 3 décembre 2017).
Par ailleurs, il peut être relevé de ses fonctions par la Chambre des représentants en cas de faute grave ou s’il ne remplit plus les conditions nécessaires à l’exercice de ses fonctions (article 45, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 3 décembre 2017). Ces modalités sont de nature à garantir l’indépendance et l’impartialité du président de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données.
B.6.3. En toute hypothèse, il va de soi que si, à l’occasion d’une affaire, il apparaissait que l’un des membres de l’organe de recours ne présente pas les exigences d’impartialité requises, il devrait se déporter pour être remplacé.
B.7.1. Lorsqu’il statue sur un recours en matière d’habilitation de sécurité introduit par un membre du Comité R, l’organe de recours est susceptible d’être composé de personnes qui peuvent entretenir des rapports professionnels, le cas échéant réguliers et étroits, avec le requérant. Cette circonstance n’est pas, en soi, de nature à remettre en cause l’indépendance et l’impartialité de la juridiction.
B.7.2. Dans l’hypothèse où la situation visée par la question préjudicielle viendrait à survenir - à savoir la circonstance qu’un des membres de l’organe de recours pourrait éventuellement être, le cas échéant indirectement, impliqué dans un incident qui est à la base de la décision de refus -, il appartient au membre concerné d’examiner s’il est nécessaire de se déporter; par ailleurs, la partie requérante peut demander la récusation de celui-ci.
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B.7.3. Lorsqu’un membre de l’organe de recours se déporte ou est récusé, il est pourvu à son remplacement par son suppléant, qui est soumis aux mêmes règles en matière de nomination, d’incompatibilités et de révocation que les membres effectifs de l’organe.
En ce qui concerne le président du Comité P et le président du Comité R, les articles 4, alinéa 1er, et 28, alinéa 1er, de la loi du 18 juillet 1991 prévoient respectivement que deux suppléants sont nommés par la Chambre des représentants et que ceux-ci peuvent être révoqués s’ils contreviennent aux règles relatives aux incompatibilités ou pour motifs graves.
En ce qui concerne le président de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données, le règlement d’ordre intérieur de cette autorité énonce qu’« en cas d’absence ou d’empêchement, le président de la chambre contentieuse est remplacé, lorsqu’il doit siéger, par un autre membre qu’il a désigné à cet effet » (article 44), étant entendu que l’ensemble des membres de la chambre contentieuse sont soumis aux mêmes règles en matière de nomination, d’incompatibilités et de révocation (articles 36 à 45 de la loi du 3 décembre 2017).
B.8. La Cour n’aperçoit pas, et la motivation de la décision de renvoi ne précise pas davantage, en quoi les mécanismes prévus par le législateur en matière de remplacement ne permettent pas d’éviter la survenance de la situation visée en B.7.2. Il va de soi que, dans cette hypothèse, il y a lieu de veiller à ce que le membre de l’organe soit remplacé par une personne qui présente les garanties d’indépendance et d’impartialité au regard des faits à l’origine du recours.
B.9. L’article 3 de la loi du 11 décembre 1998 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 3 de la loi du 11 décembre 1998 « portant création d’un organe de recours en matière d’habilitations, d’attestations et d’avis de sécurité » ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 25 avril 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50/2024
Date de la décision : 25/04/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-04-25;50.2024 ?

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