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22/02/2024 | BELGIQUE | N°25/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 22 février 2024, 25/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 25/2024
du 22 février 2024
Numéro du rôle : 7855
En cause : le recours en annulation de l’article 2, 1°, de la loi du 28 février 2022 « [relative]
à la vaccination et à l’administration, par des pharmaciens exerçant au sein d’officines pharmaceutiques ouvertes au public, des vaccins autorisés dans le cadre de la prophylaxie du COVID-19 », introduit par l’ASBL « Association Belge des Syndicats Médicaux ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moer

man, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 25/2024
du 22 février 2024
Numéro du rôle : 7855
En cause : le recours en annulation de l’article 2, 1°, de la loi du 28 février 2022 « [relative]
à la vaccination et à l’administration, par des pharmaciens exerçant au sein d’officines pharmaceutiques ouvertes au public, des vaccins autorisés dans le cadre de la prophylaxie du COVID-19 », introduit par l’ASBL « Association Belge des Syndicats Médicaux ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et M. Plovie, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 10 septembre 2022 et parvenue au greffe le 13 septembre 2022, l’ASBL « Association Belge des Syndicats Médicaux », assistée et représentée par Me E. Thiry et Me J.-M. Van Gyseghem, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation de l’article 2, 1°, de la loi du 28 février 2022 « [relative] à la vaccination et à l’administration, par des pharmaciens exerçant au sein d’officines pharmaceutiques ouvertes au public, des vaccins autorisés dans le cadre de la prophylaxie du COVID-19 » (publiée au Moniteur belge du 11 mars 2022).
Des mémoires et mémoires en réplique ont été introduits par :
- l’union professionnelle « Association Pharmaceutique Belge » et l’union professionnelle « Office des Pharmacies Coopératives de Belgique », assistées et représentées par Me A. Dierickx, avocate au barreau de Louvain (parties intervenantes);
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- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me P. Slegers et Me M. Kerkhofs, avocats au barreau de Bruxelles.
La partie requérante a introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 22 novembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs M. Plovie et W. Verrijdt, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
À la suite de la demande du Conseil des ministres à être entendu, la Cour, par ordonnance du 6 décembre 2023, a fixé l’audience au 17 janvier 2024.
À l’audience publique du 17 janvier 2024 :
- ont comparu :
. Me E. Thiry et Me J.-M. Van Gyseghem, pour la partie requérante;
. Me A. Dierickx, pour l’union professionnelle « Association Pharmaceutique Belge » et l’union professionnelle « Office des Pharmacies Coopératives de Belgique »;
. Me P. Slegers, également loco Me M. Kerkhofs, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs M. Plovie et W. Verrijdt ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
A.1.1. L’ASBL « Association Belge des Syndicats Médicaux » (ci-après : l’ABSyM) demande l’annulation de l’article 2, 1°, de la loi du 28 février 2022 « relative à la vaccination et à l’administration, par des pharmaciens exerçant au sein d’officines pharmaceutiques ouvertes au public, des vaccins autorisés dans le cadre de la prophylaxie du COVID-19 ». L’ABSyM est une association professionnelle dotée de la personnalité juridique. Au vu de son but statutaire, qui est de défendre les intérêts des médecins et de leurs patients, la partie requérante estime qu’elle dispose d’un intérêt au recours, puisque, selon elle, la loi porte atteinte à la profession médicale.
A.1.2. La partie requérante prend un premier moyen de la violation, par la disposition attaquée, de l’article 23
de la Constitution, lu en combinaison avec les articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Elle rappelle que le droit à la santé est protégé par l’article 2 de la Convention précitée, qui impose aux États
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membres de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes. Le droit à la santé peut être considéré comme un tout indissociable qui comprend, outre les articles cités au moyen, l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Selon la partie requérante, le droit à la santé est en danger si la vaccination, en l’espèce contre la COVID-19, n’est pas réalisée par les acteurs de la santé qui disposent des qualités et compétences professionnelles nécessaires. En permettant aux pharmaciens de prescrire et d’administrer des vaccins contre la COVID-19, la disposition attaquée viole le droit à la santé.
La partie requérante se réfère à l’avis du Conseil d’État ainsi qu’à la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 « instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain » (ci-après : la directive 2001/83/CE). Selon elle, les pharmaciens, contrairement aux médecins, ne disposent pas d’une formation suffisante pour administrer des vaccins contre la COVID-19. Certes, la disposition attaquée prévoit qu’une formation de 8 heures est dispensée, mais cela n’est pas suffisant, selon l’ABSyM, pour détecter les problèmes et maîtriser les risques. En comparaison, dans les centres de vaccination contre la COVID-19 tels qu’ils existaient auparavant, les vaccins étaient administrés par des médecins ou des infirmiers.
Selon la partie requérante, les pharmaciens ne disposent pas des compétences nécessaires, puisqu’ils n’ont pas accès au dossier médical du patient. Ce dossier contient des informations potentiellement primordiales pour la vaccination.
Par ailleurs, il existe d’autres risques quant à la délégation au pharmacien du droit de vacciner. Premièrement, la partie requérante pointe un risque de conflit d’intérêts, puisque le pharmacien est désormais prescripteur et vendeur, ce qui tend à créer des intérêts financiers à la prescription. Par conséquent, le mécanisme ordinaire de double contrôle entre le médecin, prescripteur, et le pharmacien, qui délivre le médicament, est supprimé.
Deuxièmement, la partie requérante estime que, par la loi attaquée, les personnes moins favorisées sont incitées à se rendre chez un pharmacien plutôt que chez un médecin pour se faire vacciner, et que cette hésitation à aller voir un médecin entraîne une moins bonne prise en charge médicale pour cette catégorie de la population. Le médecin, lui, est formé pour déceler les problèmes de santé et effectuer une anamnèse complète, ce qui n’est pas le cas du pharmacien. Or, les risques liés à la vaccination sont légion : fièvre, coagulation, péricardite et réaction allergique, qui seront mieux prises en charge chez un médecin, d’autant que les pharmaciens ne sont pas tenus par une obligation de continuité des soins. Troisièmement, la loi ne prévoit aucune procédure à suivre pour la délivrance de la prescription, ce qui ne permet pas l’évaluation pertinente de l’incidence de la délivrance du vaccin sur l’état de santé du patient. De même, la partie requérante dénonce l’absence, au sein de l’officine du pharmacien, d’une salle séparée pour la prise en charge du patient pendant et après la vaccination. Enfin, elle pointe la différence importante qui existe entre les règles déontologiques applicables aux deux professions.
A.1.3. La partie requérante prend un deuxième moyen de la violation, par la disposition attaquée, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’elle crée des différences de traitement non justifiées. Tout d’abord, elle pointe une différence de traitement entre les pharmaciens et les médecins, puisque les premiers peuvent désormais vacciner et fournir le vaccin, tandis que les médecins doivent nécessairement commander ailleurs ledit vaccin. Elle soulève en outre une différence de traitement en ce qui concerne les démarches formelles, quant aux étapes préparatoires à la vaccination ainsi qu’à l’obtention des vaccins. Enfin, la partie requérante réitère l’argument selon lequel les patients précarisés sont discriminés par rapport aux autres patients, en ce qu’ils hésiteront à se rendre chez leur médecin et privilégieront le pharmacien pour des raisons de coût.
A.1.4. Enfin, la partie requérante prend un troisième moyen de la violation, par la disposition attaquée, de l’article 22 de la Constitution, combiné avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatifs à la protection de la vie privée. La partie requérante rappelle que la vie privée en matière médicale comprend la protection de la confidentialité et la protection de l’intégrité physique. En ce qui concerne la confidentialité, elle relève que les officines pharmaceutiques ne sont pas soumises à une obligation de disposer d’une salle d’attente ou d’une pièce séparée pour administrer les vaccins. Cette absence d’infrastructure pour garantir le respect de la confidentialité se double d’une absence de garantie du respect, par le pharmacien, de son secret professionnel, tel qu’il découle de l’article 458 du Code pénal. En ce qui concerne l’intégrité physique, la partie requérante soutient que le pharmacien ne dispose pas des compétences techniques pour administrer un vaccin, nonobstant la formation obligatoire de 8 heures. Elle renvoie, sur ce point, à son argumentaire développé plus haut.
A.2.1. Le Conseil des ministres rappelle tout d’abord que la loi attaquée a été adoptée dans le cadre de la normalisation progressive du fonctionnement de la société, alors que la COVID-19 sévit toujours. La vaccination
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doit être maintenue, mais par une méthode autre que celle des grands centres de vaccination de la première phase.
L’objectif principal du législateur est donc de garantir l’accessibilité, tant géographique que temporelle et économique. Confier la vaccination aux pharmaciens n’est pas une idée nouvelle, puisqu’elle trouve son origine dans les recommandations conjointes de l’Académie Royale de Médecine de Belgique (ARMB) et la « Koninklijke Academie voor Geneeskunde van België » (KAGB) et qu’elle est inspirée de l’expérience positive de nombreux pays européens (France, Allemagne, Royaume-Uni, Norvège, Danemark, Irlande, Pologne, ou encore Suisse). Le Conseil des ministres souligne l’importance de la collaboration entre les médecins et les pharmaciens, dans le même but de lutte contre la COVID-19.
A.2.2. En ce qui concerne le premier moyen, le Conseil des ministres rappelle que l’article 23 de la Constitution contient une obligation de standstill et qu’il appartient à la partie requérante de démontrer que la mesure critiquée entraîne un recul significatif et non justifié de la protection du droit à la santé, ce qu’elle ne fait pas. Le Conseil des ministres estime que l’objectif de la mesure est de protéger la santé des individus contre la COVID-19 dans une optique de santé publique. Il s’agit de sortir de la situation de pandémie et d’enclencher une seconde phase, après celle de la vaccination massive dans les grands centres dédiés. Cet objectif est légitime et d’intérêt général. Le législateur fédéral a choisi l’extension de la compétence vaccinale des pharmaciens, de façon encadrée. Les pharmaciens sont en effet des professionnels des soins de santé, spécialistes des médicaments, formés pour informer au mieux leurs patients, qui disposent de locaux spécifiques et, aspect non négligeable, sont des acteurs de terrain. L’objectif étant d’assurer la proximité de l’accès aux vaccins, le choix du pharmacien est particulièrement pertinent, d’autant que cette profession est déjà formée à l’évaluation des risques relatifs aux interactions médicamenteuses, ce à quoi il faut ajouter la formation spécifique de 8 heures prévue par la loi attaquée. Partant, la disposition attaquée n’entraînerait aucune diminution du niveau de protection de la santé.
En ce qui concerne plus spécifiquement la formation des pharmaciens, que la partie requérante estime insuffisante, le Conseil des ministres souligne que la formation complémentaire étendue requise par la loi attaquée s’ajoute aux études avancées des pharmaciens ainsi qu’à leur obligation de formation permanente. Le législateur n’a fait que suivre les recommandations conjointes de l’ARMB et de la KAGB en ce qui concerne la durée de cette formation, qu’elle a même augmentée de deux heures, ainsi que son contenu, à savoir les aspects théoriques, pratiques et techniques de la vaccination, le tout renouvelé tous les trois ans. Partant, la critique n’est pas fondée.
En ce qui concerne la question de la réaction allergique, le Conseil des ministres affirme que la disposition attaquée en a tenu compte, puisque, au delà de la formation spécifique, qui aborde ce sujet, les pharmaciens sont habilités à administrer de l’adrénaline en cas de choc anaphylactique. En outre, le pharmacien est en principe entouré de collègues, qui peuvent contacter les secours si nécessaire. La critique est par conséquent non fondée.
En ce qui concerne l’absence supposée d’accès aux données médicales du patient, le Conseil des ministres rappelle que les académies royales de médecine avaient estimé, dans leur avis, qu’il n’était pas nécessaire de donner aux pharmaciens d’autres renseignements sur le patient dans le cadre d’une vaccination de masse. L’accès au dossier médical général, dont dispose le seul médecin traitant, n’est pas indispensable pour une telle vaccination.
Cet accès n’existait par ailleurs pas non plus pour la vaccination dans les centres dédiés. Nonobstant, le pharmacien est tenu de s’assurer en permanence que le médicament qu’il délivre ne présente pas de risque pour le patient. Pour ce faire, le pharmacien doit à la fois informer et s’informer sur le patient. Enfin, le Conseil des ministres ajoute que le pharmacien dispose en tout état de cause d’un dossier pharmaceutique pour chacun de ses patients. La critique est dès lors non fondée.
En ce qui concerne le grief tiré de la réunion dans les mêmes mains des facultés de prescrire et d’administrer le vaccin, le Conseil des ministres estime qu’elle est fondée sur un postulat erroné. La partie requérante semble oublier que le vaccin est gratuit pour les patients et que ce sont les patients qui décident de se faire vacciner ou non. Pas plus que les médecins, les pharmaciens n’auraient donc un intérêt financier à vacciner contre la COVID-19. Le seul acte qui peut être facturé est l’acte de vacciner en tant que tel, lequel est d’ailleurs moins cher qu’une visite chez le médecin, souligne le Conseil des ministres. En tout état de cause, ce n’est pas parce que le pharmacien peut à la fois prescrire et administrer le vaccin qu’il pourrait s’affranchir de sa déontologie et de ses règles de bonnes pratiques. Enfin, la prescription n’est ici pas un acte ouvrant la voie au remboursement, mais un simple acte de suivi administratif visant à garantir la traçabilité du vaccin. La critique n’est dès lors pas fondée.
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En ce qui concerne l’absence d’anamnèse par le pharmacien, le Conseil des ministres rétorque que le pharmacien est tenu de s’enquérir de l’état de santé de son patient et des autres traitements qu’il prendrait. Il rappelle en outre qu’une anamnèse complète n’était pas non plus effectuée lors de la phase de vaccination dans les centres dédiés. La critique n’est dès lors pas fondée.
En ce qui concerne la soi-disant absence de « procédures », le Conseil des ministres estime que l’argument manque en droit car la disposition attaquée met précisément en place la procédure.
Enfin, en ce qui concerne l’existence d’une pièce séparée, le Conseil des ministres rappelle que la loi attaquée modifie également la loi relative à l’exercice des professions des soins de santé, coordonnée le 10 mai 2015 (ci-
après : la loi coordonnée du 10 mai 2015) qui prévoit une dérogation spécifique pour les pharmaciens. La loi coordonnée du 10 mai 2015 est exécutée par l’arrêté royal du 21 janvier 2009 « portant instructions pour les pharmaciens » (ci-après : l’arrêté royal du 21 janvier 2009), auquel est annexé le « Guide des bonnes pratiques pharmaceutiques officinales ». Ce guide prévoit notamment l’obligation de prévoir un espace permettant de tenir une conversation confidentielle avec le pharmacien. La critique n’est dès lors pas fondée.
A.2.3. En ce qui concerne le deuxième moyen, le Conseil des ministres le réfute sur les deux différences de traitement pointées.
D’une part, les pharmaciens et les médecins ne relèvent pas de catégories comparables. Ceux-ci ont des compétences différentes et les actes qu’ils posent diffèrent également. La vaccination n’est une activité essentielle pour aucun des deux. Le seul fait qu’ils soient tous deux des professionnels des soins de santé ne suffit pas à les rendre comparables. À titre subsidiaire, la différence de traitement est suffisamment justifiée au regard de l’objectif légitime de renforcer l’accès à la vaccination contre la COVID-19 pour la population dans son ensemble. Les droits des patients et la qualité des soins de santé ne s’adressent pas aux seuls médecins mais à l’ensemble des prestataires de santé. Il en résulte que tout doit être fait au bénéfice du patient. L’article 6 de la loi du 22 août 2002 « relative aux droits du patient » (ci-après : la loi du 22 août 2002) dispose que le patient a le droit de choisir librement le praticien de soins de santé. La loi ne fait pas de distinction entre les « bons » et les « piètres » prestataires, comme tend à le faire croire la partie requérante. Le Conseil des ministres renvoie, au surplus, à l’argumentaire déjà développé au premier moyen.
D’autre part, la différence de traitement invoquée par la partie requérante entre les personnes précarisées et les autres personnes part du postulat erroné que les pharmaciens sont de piètres professionnels de la santé et qu’ils dispensent des soins de mauvaise qualité. Le Conseil des ministres ne peut accepter cette vision réductrice de la profession, d’autant que les pharmaciens reçoivent une formation en pharmacologie plus poussée que celles que reçoivent les médecins.
A.2.4. En ce qui concerne le troisième moyen, le Conseil des ministres estime qu’il n’est pas fondé. Les pharmaciens sont tenus de disposer, dans leur officine, d’un espace séparé et confidentiel, aux termes du « Guide des bonnes pratiques pharmaceutiques officinales » annexé à l’arrêté royal du 21 janvier 2009. Il n’existe donc pas de violation de la vie privée, pas plus qu’une atteinte à l’intégrité physique.
A.3.1. L’union professionnelle « Association Pharmaceutique Belge » (APB) et l’union professionnelle « Office des Pharmacies Coopératives de Belgique » (OPHACO) interviennent dans l’affaire, en soutien de la loi attaquée. Conformément à leurs statuts, qui, sur ces points, sont similaires, l’APB et l’OPHACO ont pour buts statutaires d’encourager, de développer et de promouvoir la valeur ajoutée du pharmacien d’officine, ainsi que de contribuer à la santé publique et à la santé du patient. Les parties intervenantes sont par ailleurs les porte-parole des pharmaciens d’officine auprès des autres acteurs des soins de santé, de même qu’auprès des autorités publiques. Leur intérêt a déjà été reconnu par la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt n° 97/2021 du 1er juillet 2021 (ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.097). Les parties intervenantes soutiennent qu’en l’espèce leur intérêt est similaire et qu’il peut donc être transposé. En effet, en cas d’annulation de la disposition attaquée, les parties intervenantes subiraient un préjudice personnel et grave, à savoir la dévalorisation du statut du pharmacien.
A.3.2.1. Les parties intervenantes réfutent le premier moyen soulevé par la partie requérante. Elles soutiennent qu’il n’existe aucun recul du niveau de protection du droit à la santé et, par conséquent, aucune violation du principe de standstill contenu dans l’article 23 de la Constitution. Une faculté pour les pharmaciens de prescrire des vaccins, à savoir ceux contre la grippe saisonnière, existait déjà en application de la loi du
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19 juillet 2021 « portant des dispositions diverses urgentes en matière de santé » (ci-après : la loi du 19 juillet 2021), qui est entrée en vigueur le 1er octobre 2021, puis de l’arrêté royal du 17 juillet 2022 « portant prolongation du droit de prescription des pharmaciens pour les vaccins contre la grippe », qui rend cette faculté permanente. Or, la loi précitée n’a jamais été contestée par la partie requérante, pas plus que l’arrêté royal susmentionné, et ce, alors que ceux-ci étaient déjà justifiés par la pandémie de COVID-19. Il est donc acquis que le pharmacien peut prescrire des vaccins anti-grippaux sans violer l’article 23 de la Constitution. Le grief portant sur l’administration des vaccins contre la COVID-19 est dès lors, selon les parties intervenantes, à la fois tardif et contradictoire. Celles-
ci voient derrière cette argumentation la peur des médecins de perdre des patients, et donc des revenus. À titre principal, les parties intervenantes soutiennent donc que le premier moyen est irrecevable.
Les parties intervenantes soutiennent que le moyen est en outre irrecevable en ce que l’ABSyM prétend représenter les patients. En effet, il est de jurisprudence constante de la Cour que l’actio popularis n’est pas permise.
A.3.2.2. À titre subsidiaire, les parties intervenantes soutiennent que le premier moyen n’est pas fondé.
Les parties intervenantes mettent tout d’abord en lumière que la loi attaquée est nécessaire et qu’elle vise l’intérêt public. Les recherches et l’expérience de nombreux autres pays montrent que le taux de vaccination global dans une population croît s’il est effectué par un pharmacien. Or, l’augmentation du taux de vaccination contre la COVID-19 est l’objectif premier du législateur, qui entendait atteindre le public le plus large possible pour la campagne de vaccination. L’officine pharmaceutique est incontestablement plus accessible qu’un cabinet médical.
Des recherches montrent par exemple que, parmi les patients qui souffrent de maladies chroniques, 26 %
consultent leur médecin une fois tous les deux mois, et 58,5 % leur pharmacien à la même fréquence. Comme les travaux préparatoires de la loi attaquée l’indiquent, le pharmacien est donc le prestataire de soins de santé le plus indiqué, surtout pour la population qui ne se rend pas régulièrement chez le médecin. Par ailleurs, les parties intervenantes estiment qu’il est erroné de soutenir que l’on « retire » des patients aux médecins. Cette faculté offerte aux pharmaciens est d’autant plus indispensable que la couverture vaccinale contre la COVID-19 n’est, selon Sciensano, toujours pas optimale à l’heure actuelle. Les parties intervenantes ajoutent que le monde médical n’est pas aussi opposé à cette mesure que la partie requérante tend à le faire croire, puisque la mesure est directement inspirée de la recommandation faite par les deux académies royales de médecine en Belgique. Tous convergent dans l’idée que tous les acteurs de la santé doivent être mobilisés, y compris les médecins. Il n’en reste pas moins que le pharmacien est l’acteur le plus accessible sur le terrain. Les parties intervenantes soulignent que le motif d’intérêt public est lié à la santé publique et non à la santé individuelle. Pour mesurer l’effet de la disposition attaquée, il ne faut donc pas prendre en compte le patient individuel, mais bien le nombre global de patients vaccinés. La vaccination massive entraîne en effet une réduction des décès liés à la COVID-19 et a des répercussions positives sur l’ensemble du système de santé du pays.
En ce qui concerne la formation du pharmacien, que la partie requérante n’estime pas adéquate, les parties intervenantes signalent d’abord que la Cour, dans son arrêt n° 56/2021 du 1er avril 2021
(ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.026), a jugé que le pharmacien disposait d’une formation appropriée, et cet enseignement jurisprudentiel est transposable en l’espèce. Au surplus, la formation est amplement suffisante, puisqu’elle est dispensée par un médecin ou par un infirmier, que sa réussite par le pharmacien doit être prouvée à tout moment, qu’elle dure 8 heures au lieu des 6 heures recommandées par les académies royales de médecine, et qu’elle est renouvelée tous les trois ans. Cette formation à la vaccination est par ailleurs similaire à celle que suivent les médecins et les infirmiers eux-mêmes. Les parties intervenantes rappellent également les résultats positifs de la vaccination par les pharmaciens à l’étranger. Or, la formation à l’étranger est analogue à celle qui est donnée en Belgique.
En ce qui concerne l’argument tiré de l’absence de procédures relatives à la prescription, les parties intervenantes ne peuvent que le réfuter. En effet, la disposition attaquée prévoit expressément que « l’enregistrement de la délivrance dans le registre du pharmacien est assimilé à la prescription ».
En ce qui concerne le grief d’un éventuel conflit d’intérêts, les parties intervenantes pointent tout d’abord le fait que le droit européen, en particulier la directive 2001/83/CE, qui n’est d’ailleurs pas soulevée au moyen comme norme de référence, ne s’y oppose pas. Le droit belge fournit également des garanties. Les parties intervenantes ne peuvent que s’insurger contre l’attitude de la partie requérante, particulièrement hostile et méprisante envers le pharmacien, qui n’est vu que comme un commerçant. Au contraire, le pharmacien est un prestataire de soins de santé d’abord, et ce, à tout moment, comme le reconnaît la Cour dans son arrêt n° 97/2021, précité. Il est tenu de respecter les lois et les règles qui régissent la pratique médicale. Le pharmacien n’est donc pas plus « intéressé par l’argent » qu’un médecin qui recommande une consultation de suivi à un patient. Partant, l’argument est
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irrecevable ou à tout le moins non fondé. Aux termes de l’article 6 de la loi du 22 août 2002, le patient a « le libre choix du praticien professionnel et il a le droit de modifier son choix ». Par ailleurs, il est fait interdiction au pharmacien de vacciner s’il n’est pas assez compétent. Il existe donc assez de garanties pour que le pharmacien ne soit guidé à tout moment que par l’intérêt de la santé du patient, dans le respect de son choix. En tout état de cause, le grief est partiellement irrecevable en ce qui concerne la délivrance du vaccin, puisque la délivrance de médicaments est un acte qui relève de la compétence exclusive du pharmacien (article 5/1 de la loi coordonnée du 10 mai 2015).
En ce qui concerne l’espace privé obligatoire, il ne fait aucun doute que celui-ci est prévu, puisque le point F.2
du « Guide des bonnes pratiques pharmaceutiques officinales » annexé à l’arrêté royal du 21 janvier 2009 précise que doit exister un « espace [qui] permet de tenir une conversation confidentielle avec un patient ou son délégué ».
Par ailleurs, l’article 14 de la loi du 22 avril 2019 « relative à la qualité de la pratique des soins de santé » (ci-
après : loi du 22 avril 2019) empêche un pharmacien de vacciner dans un local inadéquat, sous peine de sanctions.
En ce qui concerne l’accès au dossier médical, les parties intervenantes estiment que celui-ci, contrairement à ce que soutient la partie requérante, n’est pas nécessaire pour la vaccination par les pharmaciens, ce qui rejoint d’ailleurs l’avis conjoint des académies royales de médecine. En réalité, le pharmacien dispose déjà du dossier pharmaceutique, qui est partagé et qui suffit à déterminer les risques. On peut y ajouter l’obligation de s’assurer verbalement de l’absence de contre-indications, comme cela se faisait dans les grands centres de vaccination. En cas de risque important, le pharmacien a l’obligation de contacter un médecin.
A.3.3.1. Les parties intervenantes réfutent le deuxième moyen allégué par la partie requérante. Elles soutiennent à titre liminaire que le moyen est irrecevable en ce qu’il vise la préparation des médicaments, puisqu’il s’agit d’un acte qui relève bien de la pratique pharmaceutique en vertu de l’article 5/1 de la loi coordonnée du 10 mai 2015.
A.3.3.2. En ce qui concerne la différence de traitement entre les pharmaciens et les médecins, les parties intervenantes soutiennent à titre principal que cette différence n’existe pas. Le pharmacien et le médecin sont en effet tous deux des prestataires de soins de santé, ils sont tous deux impliqués par les différents gouvernements dans la campagne de vaccination contre la maladie depuis le début de la pandémie de COVID-19 et ils sont tous deux formés à la vaccination.
À titre subsidiaire, les parties intervenantes estiment que l’éventuelle différence ou égalité de traitement est suffisamment justifiée pour des raisons d’intérêt public, à savoir la protection de la santé publique. La loi attaquée fixe en effet de nombreuses conditions pour accomplir ces actes médicaux. Il n’existe en outre aucun droit subjectif et exclusif pour le médecin d’administrer les vaccins contre la COVID-19. Les parties intervenantes soulignent enfin que les médecins, contrairement aux pharmaciens, ne disposent pas du cadre nécessaire pour vacciner, notamment au regard de la conservation et de la traçabilité des vaccins.
A.3.3.3. En ce qui concerne la différence de traitement entre les patients, les parties intervenantes soutiennent à titre principal que le grief est irrecevable. L’ABSyM ne représente en effet pas les intérêts des patients, mais uniquement ceux de ses membres médecins. Or, il est de jurisprudence constante de la Cour que l’actio popularis n’est pas permise.
À titre subsidiaire, les parties intervenantes estiment que la différence de traitement pointée n’existe pas. En réalité, les patients ne sont pas désavantagés, c’est le contraire. L’intention du législateur était d’augmenter la couverture vaccinale, dans l’intérêt de la santé publique et individuelle. Les parties intervenantes renvoient, pour le surplus, à l’argumentaire déjà développé.
A.3.4. Les parties intervenantes réfutent le troisième moyen soulevé par la partie requérante, tant en ce qui concerne la confidentialité qu’en ce qui concerne l’intégrité physique. D’une part, l’espace privé obligatoire que comprend l’officine pharmaceutique est suffisant pour assurer le respect du secret professionnel. Si c’est la taille de cet espace que la partie requérante vise, il faut alors constater que l’argument ne vise pas la bonne disposition et écarter celui-ci. D’autre part, la formation du pharmacien suffit à garantir l’intégrité physique des patients. Les parties intervenantes renvoient à l’argumentaire déjà développé sur ce point.
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A.4.1. Dans son mémoire en réponse, la partie requérante tient à souligner que la première délégation aux pharmaciens de la faculté de vacciner, relative à la grippe saisonnière, a été octroyée dans un contexte d’urgence sanitaire et avec une vocation temporaire. L’arrêt de la Cour n° 56/2021 insiste d’ailleurs sur la circonstance de la crise et sur la validité réduite des mesures.
A.4.2. En ce qui concerne le premier moyen, la partie requérante répond aux parties adverses que les mesures exceptionnelles prises durant le pic de la crise de la COVID-19 et adoptées dans l’urgence occasionnaient déjà un recul du niveau de protection du droit à la santé. Toutefois, c’est le maintien de ces mesures alors que la crise est passée qui provoque le recul significatif qui viole l’obligation de standstill attachée à l’article 23 de la Constitution.
La partie requérante estime que, désormais, cette mesure n’est plus justifiée par la situation exceptionnelle ni par le besoin criant de vaccinateurs. Enfin, il n’est plus justifié que la santé publique prévale sur la santé individuelle.
A.4.3. En ce qui concerne le deuxième moyen, la partie requérante réfute l’argument des parties intervenantes sur la préparation médicamenteuse. Il n’est évidemment pas question de remettre en cause celle-ci, qui, pour le vaccin, est en tout état de cause effectuée par les firmes pharmaceutiques. En réalité, ce que critique la partie requérante tient à la succession des étapes, toutes aux mains du pharmacien : prescription, délivrance, administration. Leur réunion dans les seules mains du pharmacien et leur simultanéité réduit à néant le temps de réflexion que tout patient devrait avoir pour prendre une telle décision. En outre, cela entraîne, au détriment du patient, une suppression du contrôle croisé entre les médecins et les pharmaciens, chacun disposant en temps normal de compétences propres. Par ailleurs, la partie requérante s’étonne du peu de connaissance que l’APB et l’OPHACO semblent avoir de la profession médicale. Contrairement à ce qu’ils avancent, il ne fait pas de doute que les médecins disposent du matériel nécessaire pour la conservation des médicaments et vaccins. Enfin, pour ce qui est de l’actio popularis, la partie requérante maintient que ses moyens sont intrinsèquement liés à la santé publique.
A.4.4. En ce qui concerne le troisième moyen, la partie requérante ne repère nulle part dans l’arrêté royal du 21 janvier 2009 une quelconque obligation pour les officines pharmaceutiques de disposer d’un local spécifique pour procéder à des actes médicaux. Certes, le « Guide des bonnes pratiques pharmaceutiques officinales »
mentionne un « espace [qui] permet de tenir une conversation confidentielle », mais ce n’est justement qu’un espace, pas un local distinct. En pratique, la grande majorité des pharmacies se composent d’une seule et même pièce. Enfin, en ce qui concerne l’atteinte à l’intégrité physique, la partie requérante insiste sur le fait qu’une formation de 8 heures n’est pas comparable avec les quatre années d’études de plus que les médecins doivent suivre.
A.5. Dans leur mémoire en réplique, les parties intervenantes réfutent l’affirmation selon laquelle le prescripteur doit toujours être un médecin. D’autres personnes peuvent prescrire des médicaments par ou en vertu de la loi coordonnée du 10 mai 2015. Les parties intervenantes répondent ensuite à la partie requérante sur le caractère exceptionnel de la mesure. Si la première habilitation à vacciner contre la grippe saisonnière était en effet temporaire, elle ne l’a été que dans un premier temps. Elle est à présent devenue permanente, dans l’intérêt de la santé publique. Par ailleurs, le caractère exceptionnel de la période de crise de COVID-19 ne change rien à la légitimité de la disposition attaquée ni au fait que, cette fois, le législateur entend précisément conférer à la mesure un caractère pérenne. La justification, en effet, ne gît plus dans l’urgence, mais dans la nécessité d’une vaccination la plus large possible dans le cadre d’une politique de santé publique. Dès lors, contrairement à ce que soutient la partie requérante, la période de crise aigüe n’est que l’élément déclencheur, et non la justification.
En ce qui concerne la formation des pharmaciens, les parties intervenantes estiment qu’il est curieux que la partie requérante mette en cause la position des deux académies royales de médecine en maintenant que le programme de 8 heures serait insuffisant.
De plus, les parties intervenantes contestent l’existence d’un « contrôle » du pharmacien par le médecin que semble mettre en avant la partie requérante. Rien dans la loi ni dans la directive 2001/83/CE n’établit une telle relation. Il convient de rappeler que le vaccin contre la COVID-19 n’est pas soumis à prescription médicale et qu’en tout état de cause, le terme « médical » doit être entendu, au sens de la directive précitée, comme visant tout praticien autorisé en vertu du droit interne, en l’espèce le droit belge. Par ailleurs, le cumul entre l’étape de la prescription et celui de l’administration ne peut faire grief, puisqu’il existe aussi pour le médecin.
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En ce qui concerne l’information « correcte », les parties intervenantes ne peuvent que rappeler que le pharmacien, à l’instar du médecin, doit respecter les législations relatives aux droits des patients, lesquelles prévoient explicitement le droit d’être informé. Ceci est une garantie suffisante. Un éventuel délai de réflexion entre la prescription et l’administration n’existe pas en matière de vaccination contre la COVID-19.
Enfin, les parties intervenantes estiment que l’argumentaire de la partie requérante est vide en ce qu’il porte sur le local séparé. Cette dernière joue avec les mots, tentant de distinguer la « pièce » de l’« espace ». Les termes du « Guide des bonnes pratiques pharmaceutiques officinales » annexé à l’arrêté royal du 21 janvier 2009 suffisent pour garantir la confidentialité. Au surplus, si la partie requérante entend viser une obligation éventuelle de disposer d’une pièce fermée à clef, il faut constater que le grief est irrecevable car tardif.
A.6.1. Dans son mémoire en réplique, le Conseil des ministres soulève l’irrecevabilité des moyens nouveaux formulés par la partie requérante dans son mémoire en réponse. Le premier porte sur l’absence d’un délai de réflexion. Dans la requête, l’immédiateté de l’administration du vaccin était critiquée en ce qu’elle consistait en un avantage concurrentiel en faveur du pharmacien. Le grief doit être déclaré irrecevable en ce qu’il se sépare de cet argumentaire. Le second moyen nouveau vise la portée temporelle de la mesure, que la partie requérante semble vouloir temporaire. Il doit être rejeté.
A.6.2. Si la Cour devait ne pas considérer ces moyens comme nouveaux, le Conseil des ministres estime qu’ils ne sont pas fondés. L’argument relatif au temps de réflexion est artificiel et déconnecté de la réalité. Pour la COVID-19, la prescription du vaccin n’est qu’une formalité administrative, elle permet la prise en charge par la sécurité sociale. Le choix de se faire vacciner appartient tout entier au patient. Auparavant, dans le cadre de la vaccination de masse dans les centres dédiés, le temps de réflexion était également réduit. En ce qui concerne la limitation temporelle, le Conseil des ministres rappelle à la partie requérante que l’épidémie de COVID-19 n’a pas encore pris fin. L’habilitation conférée aux pharmaciens est certes strictement limitée, mais elle n’a jamais été censée n’être qu’une mesure d’urgence; elle est une mesure de gestion de la santé publique. Il s’agit là d’un choix politique et il n’appartient pas à la Cour d’en connaître. La disposition attaquée ne peut en outre pas être comparée utilement avec la loi du 19 juillet 2021, qui visait, elle, à relâcher la pression en période de crise.
A.6.3. En ce qui concerne le deuxième moyen, le Conseil des ministres note qu’en décembre 2022, deux arrêtés royaux ont été adoptés pour renforcer encore la vaccination, à savoir l’arrêté royal du 6 décembre 2022
« visant l’instauration d’honoraires pour la préparation, la délivrance et l’administration de vaccins COVID », qui prévoit une intervention forfaitaire, ainsi que l’arrêté royal du 26 décembre 2022 « relatif à la délivrance des vaccins COVID-19 par les médecins » qui habilite à leur tour les médecins à délivrer des vaccins contre la COVID-19. Ce dernier rend par conséquent inexistante la première différence de traitement soulevée par la partie requérante au deuxième moyen.
-B-
Quant à la disposition attaquée et à son contexte
B.1.1. L’Association Belge des Syndicats Médicaux (ci-après : l’ABSyM) demande l’annulation de l’article 2, 1°, de la loi du 28 février 2022 « [relative] à la vaccination et à l’administration, par des pharmaciens exerçant au sein d’officines pharmaceutiques ouvertes au public, des vaccins autorisés dans le cadre de la prophylaxie du COVID-19 » (ci-après : la loi du 28 février 2022). Cette dernière vise à habiliter spécifiquement les pharmaciens d’officine à prescrire et à administrer le vaccin pour la prophylaxie du coronavirus SARS-CoV-2.
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B.1.2. L’article 3, § 1er, de la loi relative à l’exercice des professions des soins de santé, coordonnée le 10 mai 2015 (ci-après : la loi coordonnée du 10 mai 2015), pose le principe que nul ne peut exercer l’art médical s’il n’est porteur du diplôme légal de docteur en médecine.
Cette disposition est libellée ainsi :
« Nul ne peut exercer l’art médical s’il n’est porteur du diplôme légal de docteur en médecine, chirurgie et accouchements, obtenu conformément à la législation sur la collation des grades académiques et le programme des examens universitaires ou s’il n’en est légalement dispensé, et s’il ne réunit pas, en outre, les conditions imposées par l’article 25.
Constitue l’exercice illégal de l’art médical, l’accomplissement habituel par une personne ne réunissant pas l’ensemble des conditions requises par l’alinéa 1er de tout acte ayant pour objet ou présenté comme ayant pour objet, à l’égard d’un être humain, soit l’examen de l’état de santé, soit le dépistage de maladies et déficiences, soit l’établissement du diagnostic, l’instauration ou l’exécution du traitement d’un état pathologique, physique ou psychique, réel ou supposé, soit la vaccination.
Le Roi peut, conformément aux dispositions de l’article 140, préciser les actes visés à l’alinéa 2.
[...] ».
L’article 2, 1°, attaqué, de la loi du 28 février 2022 modifie l’article 3 de la loi coordonnée du 10 mai 2015 :
« À l’article 3 de la loi relative à l’exercice des professions des soins de santé, coordonnée le 10 mai 2015, modifié par la loi du 19 juillet 2021, les modifications suivantes sont apportées :
1° l’article est complété par le paragraphe 4, rédigé comme suit :
‘ § 4. Par dérogation au paragraphe 1er, les personnes qui peuvent exercer l’art pharmaceutique conformément à l’article 6, § 1er et qui exercent au sein d’officines pharmaceutiques ouvertes au public, sont habilitées à prescrire, avant leur délivrance et leur administration, les vaccins autorisés uniquement pour la prophylaxie du coronavirus SARS-
CoV-2.
Par dérogation au paragraphe 1er, les personnes visées à l’alinéa 1er, sont également habilitées à administrer les vaccins autorisés uniquement pour la prophylaxie du coronavirus SARS-CoV-2, moyennant la réussite d’une formation spécifique, dispensée par un médecin ou un infirmier à ce sujet. Ces personnes doivent être en mesure de prouver à tout moment qu’elles ont suivi et réussi cette formation spécifique.
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La prescription visée à l’alinéa 1er n’est autorisée que pour autant que le vaccin soit administré immédiatement dans la pharmacie où la prescription et la délivrance ont été effectuées.
Dans les cas visés à l’alinéa 2, le pharmacien peut prescrire et administrer par voie sous-
cutanée ou par voie intramusculaire de l’adrénaline lorsque le patient, après la vaccination visée à l’alinéa 2, subit un choc anaphylactique.
La formation spécifique visée à l’alinéa 2, comprend une formation de minimum 8 heures comportant les aspects théoriques de la vaccination, y compris la composition des vaccins, les recommandations du Conseil Supérieur de la Santé, les allergies à certains composants et les réactions allergiques aux vaccins, et des aspects pratiques relatifs aux techniques de vaccination, comme l’administration stérile, la reconnaissance de réactions allergiques graves, à savoir le choc anaphylactique, et les techniques de base de la réanimation. La formation doit être renouvelée tous les trois ans. ’ ».
L’article 2, 3°, de la loi du 28 février 2022 complète en outre l’article 3 de la loi coordonnée du 10 mai 2015 par un paragraphe 6, qui dispose :
« Par dérogation à l’article 42 de la présente loi et ses arrêtés d’exécution et par dérogation aux articles 27 à 30 de la loi du 22 avril 2019 relative à la qualité de la pratique des soins de santé, lorsqu’une personne habilitée à exercer l’art pharmaceutique procède à la prescription d’un vaccin tel que visé aux paragraphes 3 ou 4, l’enregistrement de la délivrance dans le registre du pharmacien est assimilé à la prescription ».
L’article 22 de la loi coordonnée du 10 mai 2015 dispose que « l’exercice simultané de l’art médical et de l’art pharmaceutique est interdit même aux porteurs de diplômes conférant le droit d’exercer chacune de ces professions ». L’article 3 de la loi du 28 février 2022 complète cette disposition par la phrase suivante :
« Cette interdiction d’exercice simultané ne s’applique pas aux cas visés dans les §§ 3, 4 et 5 de l’article 3 ».
B.1.3. Dans les travaux préparatoires de la loi du 28 février 2022, la mesure attaquée est justifiée comme suit :
« Ce projet de loi a pour but d’impliquer davantage les pharmaciens dans la lutte contre le coronavirus COVID-19 et plus particulièrement en ce qui concerne le processus de vaccination contre ce coronavirus COVID-19, comme cela a été recommandé par la ‘ Taskforce Vaccination ’ mise en place dans le cadre de la lutte contre cette épidémie de coronavirus COVID-19.
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Ce projet prévoit ainsi de permettre aux pharmaciens travaillant en officine, de pouvoir prescrire mais aussi, moyennant une formation spécifique, d’administrer le vaccin contre le coronavirus COVID-19.
Il est en effet primordial de continuer à prendre des mesures afin de pouvoir gérer au mieux la sortie de la crise engendrée par le coronavirus COVID-19 sur le long terme.
Un des outils qui est à notre disposition pour ce faire [...] est la vaccination. Il est donc essentiel d’assurer le bon déroulement du programme de vaccination contre ce coronavirus COVID-19, et ce afin que le taux de vaccination de la population soit suffisamment élevé pour limiter au maximum la circulation de ce virus et limiter le nombre de malades de ce coronavirus dont l’état de santé nécessiterait une hospitalisation. Il y a lieu de prendre des mesures pour éviter d’être à nouveau confronté à une saturation de nos établissements de soins en raison d’un trop grand nombre de malades graves du coronavirus COVID-19, ce qui engendre l’épuisement de notre personnel de soins de santé déjà largement éprouvé, et empêche le traitement correct de ces malades du COVID-19 mais également des malades devant être soignés pour d’autres pathologies.
Par conséquent, il s’agit ici d’une question de santé publique qui concerne tout le monde.
Dès lors, afin d’offrir une plus grande accessibilité à la vaccination et pouvoir atteindre les personnes qui ne sont pas encore vaccinées (par manque d’accès aux soins, par manque d’information scientifique correcte, par peur du vaccin, ...), il y a lieu d’étendre la possibilité de prescrire et d’administrer directement le vaccin contre le coronavirus COVID-19, aux pharmaciens et plus particulièrement aux pharmaciens d’officine qui sont en contact direct avec le public au sein de leurs officines présentes sur tout le territoire et qui disposent de compétences spécifiques en matière de soins (les pharmaciens hospitaliers ne sont donc pas visés dans ce projet).
À ce sujet, dans un avis conjoint rendu récemment ‘ sur le rôle du pharmacien dans la stratégie de dépistage de la COVID-19 et, par extension, dans la prévention et le contrôle des maladies infectieuses et épidémies futures ’, la Koninklijke Academie voor Geneeskunde van België et l’Académie royale de Médecine de Belgique ont mentionné que ‘ L’initiative visant à impliquer autant que possible les pharmaciens en tant que prestataires de soins de première ligne dans la lutte contre la pandémie de COVID-19 est très appréciée. En raison de leur répartition géographique, de leur facilité d’accès, de leur expérience de travail dans un système d’assurance qualité et de leur relation de confiance unique avec les patients, les pharmaciens ont la possibilité d’accroître l’accessibilité aux groupes de population les plus difficiles à
atteindre ’ (pp. 3-4). Elles ont également mentionné dans cet avis que ‘ Le pharmacien pourrait également apporter une contribution importante à la campagne de vaccination elle-même. ’ (p. 5).
Dans d’autres pays européens les pharmaciens ont été revêtus formellement de la compétence d’administrer les vaccins contre le COVID 19, à savoir en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Norvège, au Danemark, en Irlande, en Pologne, en Suisse. Ces expériences ont démontré leur impact positif en permettant d’augmenter la couverture vaccinale de la population. Pour ces raisons, une mesure politique similaire est actuellement préparée par d’autres pays.
Ces expériences positives et les besoins actuels en santé publique, sont d’ailleurs à l’origine de l’habilitation introduite récemment dans notre législation, afin de permettre aux pharmaciens
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de prescrire les vaccins pour lutter contre la grippe. La Koninklijke Academie voor Geneeskunde van België et l’Académie royale de Médecine de Belgique, ont d’ailleurs rendu un avis favorable à ce sujet dans un ‘ avis commun relatif à l’élargissement de l’autorisation de vacciner et à la vaccination contre la grippe par les pharmaciens ’, en se basant notamment sur ces expériences étrangères (Royaume-Uni, Canada, États-Unis, Portugal, Australie, Suisse, ...).
Enfin, dans leurs avis conjoints mentionnés ci-avant, les Académies formulent plusieurs recommandations dont celle ‘ de favoriser une collaboration renforcée entre pharmaciens (de référence), médecins généralistes et autres acteurs de la première ligne; ’ (p. 6 de l’avis conjoint sur le rôle du pharmacien dans la stratégie de dépistage de la COVID-19 et, par extension, dans la prévention et le contrôle des maladies infectieuses et épidémies futures). Elles formulent également que ‘ Sur le plan de la santé publique, il paraît sensé qu’un maximum de professions de soins capables d’effectuer une vaccination de qualité soient légalement autorisées à y procéder ’ (p. 2 de l’avis commun relatif à l’élargissement de l’autorisation de vacciner et à la vaccination contre la grippe par les pharmaciens).
Ainsi, l’autorisation de prescription et de vaccination accordée dans ce projet aux pharmaciens d’officine, va dans ce sens. Et elle a pour but de contribuer à mieux organiser la collaboration entre les médecins et les pharmaciens qui travaillent en 1ère ligne, afin de pouvoir augmenter la couverture vaccinale de la population et de lutter plus efficacement contre la propagation du coronavirus COVID-19.
Force est de constater que des patients dans des groupes de population déterminés ne consultent pas ou pas facilement un médecin et le fait de leur offrir ainsi la possibilité de se faire vacciner contre le coronavirus COVID-19 sans autre démarche supplémentaire lorsqu’ils se rendent auprès de leur pharmacien, permet de lever certains obstacles à la vaccination (tels que des démarches de consultation). Pour plusieurs catégories de personnes, il y a en effet beaucoup moins de freins à se rendre à la pharmacie qu’il y a de freins à se rendre chez le médecin.
Au vu de cette réalité de terrain, il faut admettre que pour les patients mentionnés ci-avant, le pharmacien qui, via son officine, entretient des contacts directs avec eux, est le professionnel de soins de santé le mieux placé pour évaluer la situation du risque encouru par ces patients et pour pouvoir les sensibiliser à propos de la vaccination. En effet, de par son suivi sur base du dossier pharmaceutique de ceux-ci, il dispose de données suffisantes (catégorie d’âge, prise de médicaments en lien avec des pathologies chroniques) pour pouvoir procéder à une évaluation de leur état et pour pouvoir identifier les risques qu’ils encourent.
Ce projet a dès lors pour but de protéger la santé des individus contre une contamination par le coronavirus COVID-19. Mais il faut également mentionner qu’il a également pour objectif à terme, dans l’intérêt général de la santé publique, de pouvoir permettre de sortir de cette situation de pandémie causée par ce coronavirus.
Le présent projet de loi a donc pour but de répondre et de mettre en œuvre les développements et les recommandations ainsi énoncées » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2460/001, pp. 5-7).
B.1.4. La vaccination contre la COVID-19 se distingue de la vaccination contre les autres maladies. Pendant une première phase, elle s’inscrivait dans le cadre d’une situation d’urgence
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sanitaire, pour laquelle il a été choisi de vacciner la population dans des centres de vaccination.
Actuellement, la lutte contre la propagation du coronavirus SARS-CoV-2 conserve sa spécificité en ce qu’elle demeure avant tout, selon le législateur, un enjeu de santé publique, qui nécessite la mise en place d’une législation stable aux fins de garantir aux patients une vaccination de qualité. La loi du 28 février 2022 poursuit donc essentiellement un but de santé publique dans le cadre d’une large campagne de vaccination visant à lutter de manière pérenne contre la propagation du coronavirus SARS-CoV-2. Elle vise plus spécifiquement les groupes de personnes les plus difficiles à atteindre, dont les personnes non encore vaccinées, notamment en raison des obstacles qui empêchent ces personnes de se rendre chez le médecin.
B.1.5. Préalablement à la loi attaquée, le ministre de la Santé publique a sollicité un avis commun de la « Koninklijke Academie voor Geneeskunde van België » (KAGB) et de l’Académie royale de Médecine de Belgique (ARMB). Cet avis « sur une capacité de vaccination qualitative, sûre, performante et accessible, avec une attention particulière au contexte actuel du COVID-19 et à d’autres situations épidémiques graves » a été rendu en avril 2021. Il mentionne notamment :
« Dans le cadre de la pandémie de COVID-19 actuelle, la vaccination représente manifestement le moyen le plus sûr d’arriver à contenir la maladie, à protéger les sujets à risque des forme[s] graves et de permettre de revenir à un contexte sanitaire moins contraignant.
L’extension des recommandations faites pour la grippe vaut donc pour la vaccination contre le COVID-19 et potentiellement pour toutes situations futures éventuelles où une vaccination de masse se justifierait dans un contexte équivalent de santé publique compromise.
[...]
L’autorisation de vacciner doit être conditionnée à une formation obligatoire et certifiante et à un cadre logistique adéquat.
La formation aura une durée de 6 à 8 heures, comme c’est le cas dans d’autres pays où elle est organisée. Elle est déjà proposée par les universités et les structures postgraduées d’enseignement des pharmaciens pour la grippe par exemple, mais plus largement pour toute forme de vaccination. L’autorisation devra être clairement définie et préciser que le pharmacien est habilité à vacciner contre le COVID-19 sur la base des recommandations du Conseil Supérieur de la Santé. Le certificat de formation spécifique, valable pour trois années et renouvelable, doit comporter obligatoirement les modules théoriques correspondant à la bonne connaissance du vaccin, de ses indications, des recommandations pratiques d’administration, à la reconnaissance des réactions allergiques ou autres secondaires éventuelles, à l’administration stérile et aux techniques de base des premiers gestes de réanimation, ainsi que les aspects pratiques associés.
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Cette formation pourrait être intégrée au cursus de base des études actuelles en sciences pharmaceutiques. Dans l’urgence, elle pourrait être donnée en partenariat entre les universités et les associations professionnelles.
Le pharmacien devra avoir accès aux systèmes d’enregistrement des vaccins dans les deux régions du pays (Vaccinnet en Flandre et e-Vax en Fédération Wallonie-Bruxelles)
[...]
Il n’y a pas de raison objective dans le cadre d’une vaccination de masse de donner au pharmacien d’autres renseignements médicaux spécifiques concernant le patient.
[...]
Les Académies estiment que pour des raisons de sécurité, de cohérence dans la politique et les attentes des patients, des exigences ou des lignes directrices analogues telles qu’elles existent actuellement pour les centres de vaccination en ce qui concerne les infrastructures doivent être recherchées autant que possible [...].
[...]
Le choix en tant que pharmacien de participer à des initiatives de vaccination (dans des situations épidémiologiques) est très apprécié et les Académies en font l’expérience comme une contribution précieuse et pertinente aux besoins de soins dans un contexte épidémique ».
B.1.6. Dans son avis rendu en urgence, la section de législation du Conseil d’État a observé :
« 2. Au cas où le droit européen peut être interprété comme autorisant, en son principe, l’adoption du texte en projet, il reste à examiner les questions suivantes, touchant notamment au droit à la protection de la santé garanti par l’article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution.
[...]
6. Confier la délivrance de la prescription à un médecin introduit une distinction entre la personne qui établit la prescription et celle qui délivre le vaccin. L’intérêt de cette distinction mérite d’autant plus d’être relev[é] en l’espèce que le pharmacien prescripteur est également le vendeur du produit, ce qui pourrait le placer en situation de conflit d’intérêts. En outre, le médecin est tenu à une déontologie différente de celle du pharmacien. Par ailleurs, le pharmacien n’a pas accès au dossier médical du patient et la disposition en projet ne précise pas de quels moyens le pharmacien dispose pour apprécier l’indication de prescrire ou non le vaccin. L’article 5/1 de la loi coordonnée du 10 mai 2015, qui énumère les activités accomplies dans l’exercice de l’art pharmaceutique, n’y inclut aucune évaluation de l’état du patient et, partant, de l’indication de lui administrer le vaccin.
[...]
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8. Il appartient dès lors à l’auteur de l’avant‐projet de démontrer la nécessité de la délivrance d’une prescription par un pharmacien qui vendra lui‐même le vaccin et, le cas échéant, d’organiser cette procédure de délivrance en donnant notamment au pharmacien les moyens d’un contrôle pertinent quant à l’incidence du vaccin envisagé sur la santé de la personne concernée. Ce faisant, l’auteur de l’avant‐projet doit être en mesure d’établir que la disposition n’introduit pas un recul significatif dans le droit à la protection de la santé consacré par l’article 23, alinéa 3, de la Constitution, étant entendu que cette appréciation tiendra nécessairement compte également des incidences de l’avant‐projet quant à l’efficacité des campagnes de vaccination contre la COVID-19 » (Avis du Conseil d’État n° 70.682/2 du 20 décembre 2021, pp. 9-11).
B.1.7. Ce n’est pas la première habilitation à prescrire un vaccin qui est mise en place au bénéfice des pharmaciens. L’article 5 de la loi du 19 juillet 2021 « portant des dispositions diverses urgentes en matière de santé » a inséré, à l’article 3 de la loi coordonnée du 10 mai 2015, un paragraphe 3, rédigé comme suit :
« Par dérogation au paragraphe 1er, les personnes qui peuvent exercer l’art pharmaceutique conformément à l’article 6, § 1er, sont habilitées à prescrire les vaccins autorisés uniquement pour la prophylaxie de la grippe, avant sa délivrance. Le Roi peut déterminer les modalités et la procédure à suivre. Le Roi peut limiter cette prescription à certains types de vaccins autorisés pour la prophylaxie de la grippe. Le Roi peut subordonner cette prescription à un protocole de prescription à suivre ».
Cette habilitation, qui, dans un premier temps, revêtait un caractère temporaire, a été prolongée à durée indéterminée par l’arrêté royal du 17 juillet 2022 « portant prolongation du droit de prescription des pharmaciens pour les vaccins contre la grippe ».
L’article 2 de la loi du 9 octobre 2023 « modifiant la loi du 10 mai 2015 relative à l’exercice des professions des soins de santé » (ci-après : la loi du 9 octobre 2023) a ensuite parachevé l’habilitation du pharmacien relative au vaccin contre la grippe, en autorisant également son administration, aux mêmes conditions que pour la COVID-19. La loi prévoit une application temporaire du 1er octobre 2023 au 1er janvier 2024, sauf prolongation par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres, et ce, durant un an au maximum (article 3). L’arrêté royal du 18 décembre 2023 « portant prolongation des effets de la loi du 9 octobre 2023
modifiant la loi du 10 mai 2015 relative à l’exercice des professions des soins de santé »
prolonge d’un an les effets de la loi du 9 octobre 2023 (Moniteur belge, 27 décembre 2023).
Ces lois ne font pas l’objet du présent recours en annulation.
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Quant à la recevabilité
B.2.1. La partie intervenante soutient que les premier et deuxième moyens sont partiellement irrecevables dans la mesure où la partie requérante prétend représenter les droits des patients, alors qu’elle n’est constituée que pour représenter l’intérêt des médecins.
B.2.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée; il s’ensuit que l’action populaire n’est pas admissible.
B.2.3. Aux termes de ses statuts, l’ASBL « Association Belge des Syndicats Médicaux »
poursuit les buts suivants :
« 1. De réunir les médecins en un organisme de défense professionnelle prônant la liberté de la médecine et travaillant avec ses membres par contact personnel, promouvoir la création de tout organisme d’action syndicale utile et les aider et les soutenir dans leurs activités et dans leur action;
2. De rechercher et provoquer, par tous les moyens, l’adoption par tout organisme des mesures qu’elle juge utiles aux intérêts des médecins;
3. D’assurer la représentation, la protection et la défense des intérêts de ses membres, de coordonner toute action consacrée à la défense professionnelle des médecins;
4. D’étudier, d’encourager et de réaliser tout ce qui, en matière sociale, financière, économique, technique, scientifique, juridique et fiscale, dans les domaines matériel et moral, peut être utile à ses membres;
5. De centraliser tous les renseignements concernant la profession médicale et d’en documenter les médecins et le public;
6. D’étudier l’application et les répercussions des lois sociales, fiscales et autres sur la profession médicale;
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7. D’assurer, au besoin, la défense de ses membres devant toute instance judiciaire ou autre;
8. De stimuler chez les affiliés l’esprit de confraternité, de solidarité et de discipline professionnelle;
9. De défendre la moralité de la profession médicale, de lutter, activement et effectivement, contre toute action, écrit, parole, dessin, allusion, tableau, etc. qui risqueraient d’entacher l’honneur de la profession. De s’efforcer d’obliger les auteurs de ces manquements à les rétracter ou à les rectifier, qu’ils soient médecins, organismes ou associations, de quelque sorte que ce soit, ou personnes privées ».
B.2.4. Il peut être admis qu’en ce qu’elle autorise une catégorie de professionnels de la santé autre que celle des porteurs du diplôme légal de docteur en médecine, chirurgie et accouchements à administrer des vaccins, la disposition attaquée pourrait porter atteinte aux intérêts de ceux-ci. Pour le surplus, lorsque la partie requérante a un intérêt à l’annulation de la disposition attaquée, elle ne doit pas, en outre, justifier d’un intérêt à chacun des moyens.
B.2.5. Les exceptions sont rejetées.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
B.3.1. Le premier moyen est pris de la violation, par la disposition attaquée, de l’article 23
de la Constitution, lu en combinaison avec les articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’elle entraînerait un recul du degré de protection de la santé des patients.
B.3.2. L’article 23 de la Constitution dispose que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. Ces droits comprennent notamment le droit à la protection de la santé et à l’aide médicale. À cette fin, les différents législateurs garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et ils déterminent les conditions de leur exercice.
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B.3.3. L’article 23 de la Constitution contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement, sans justification raisonnable, le degré de protection offert par la législation applicable.
B.4.1. Il appartient à la Cour de vérifier si, en confiant aux pharmaciens d’officine la possibilité de prescrire et d’administrer des vaccins contre la COVID-19, la disposition attaquée entraîne un recul significatif du degré de protection qui était offert par la législation précédemment applicable en matière de vaccination contre la COVID-19.
B.4.2. Avant l’entrée en vigueur de la disposition attaquée, il appartenait en principe exclusivement aux médecins d’accomplir habituellement les actes ayant pour objet la vaccination (article 3, § 1er, de la loi coordonnée du 10 mai 2015).
La préparation et l’administration des vaccins constituent en outre des prestations techniques infirmières de type B2. Une telle prestation peut être confiée par un médecin à un praticien de l’art infirmier qui dispose de certaines qualifications, au moyen d’une prescription médicale écrite ou orale (voy. notamment l’article 7quater et l’annexe I à l’arrêté royal du 18 juin 1990 « portant fixation de la liste des prestations techniques de l’art infirmier et de la liste des actes pouvant être confiés par un médecin ou un dentiste à des praticiens de l’art infirmier, ainsi que des modalités d’exécution relatives à ces prestations et à ces actes et des conditions de qualification auxquelles les praticiens de l’art infirmier doivent répondre »).
B.4.3. En ce qui concerne spécifiquement la vaccination contre la COVID-19, l’article 27, alinéa 2, de la loi du 13 juin 2021 « portant des mesures de gestion de la pandémie COVID-19
et d’autres mesures urgentes dans le domaine des soins de santé » dispose :
« En ce qui concerne les vaccins COVID-19, le vaccin peut être délivré au citoyen qui a été convoqué pour la vaccination par l’Etat ou les entités fédérés, même sans prescription médicale, telle que visée à l’article 1, 22) de la Loi sur les médicaments. Cela n’impacte pas la responsabilité du médecin qui administre le vaccin ou sous la responsabilité duquel il est administré ».
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L’article 2, § 1er, de l’accord de coopération du 12 mars 2021 entre l’État fédéral, la Communauté flamande, la Communauté française, la Communauté germanophone, la Commission communautaire commune, la Région wallonne et la Commission communautaire française « concernant le traitement de données relatives aux vaccinations contre la COVID-19 », auquel la loi du 2 avril 2021 a donné assentiment, dispose :
« Un code de vaccination sans signification est attribué à toute personne séjournant sur le territoire belge. Lorsqu’une personne est sélectionnée pour une invitation à se faire vacciner conformément à la stratégie de vaccination définie par les autorités compétentes, et que la personne concernée souhaite fixer un rendez-vous pour la vaccination ou qu’un rendez-vous lui est proposé, le code de vaccination qui lui a été attribué est communiqué.
La sélection d’une personne conformément à la stratégie de vaccination visée à l’alinéa 1er intervient :
- sur la base de critères d’âge, sur la base des informations provenant du Registre national ou des registres Banque Carrefour;
- sur la base de l’état de santé de la personne concernée, qui peut être communiquée par les organismes assureurs et/ou le médecin traitant de la personne concernée. L’état de santé qui est pris en compte pour la vaccination prioritaire est déterminé conformément aux recommandations du Conseil supérieur de la Santé;
- sur la base d’informations disponibles auprès de l’Etat fédéral et/ou des entités fédérées et/ou de l’employeur si elle intervient sur la base de la profession ou du lieu d’occupation de la personne concernée.
Le médecin traitant peut, dans le cadre du présent accord de coopération, communiquer les données mentionnées ».
B.5. La partie requérante formule plusieurs griefs. Premièrement, elle estime que la vaccination effectuée par les pharmaciens d’officine n’est pas réalisée par des acteurs de la santé qui disposent des qualités et compétences professionnelles nécessaires pour ce faire. Est soulignée à cet égard l’insuffisance de la formation obligatoire à la vaccination même et à la prise en compte des risques pour le patient. Deuxièmement, elle dénonce un risque de conflit d’intérêts dans le chef du pharmacien, lequel est autorisé à la fois à prescrire, à délivrer et à administrer le vaccin. Troisièmement, la partie requérante fait grief à la loi de ne prévoir aucune procédure à suivre pour la prescription du vaccin, ce qui ne permet pas une évaluation pertinente de l’incidence de la délivrance du vaccin sur l’état de santé du patient. Dans le prolongement de ce grief, la partie requérante souligne l’absence d’obligation d’anamnèse par le pharmacien
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et estime que l’absence d’accès au dossier médical est de nature à nuire au patient. Enfin, quatrièmement, la partie requérante dénonce l’absence de local idoine pour la prise en charge du patient pendant et après la vaccination au sein de l’officine du pharmacien. La Cour examine ces griefs successivement.
Les qualités et compétences professionnelles du pharmacien
B.6.1. La réglementation des professions des soins de santé tend à garantir la qualité des soins et la sécurité des patients, en veillant à ce que les soins soient accomplis par des praticiens titulaires du diplôme requis, dans un cadre légal, sous le contrôle des autorités compétentes en matière de santé publique et dans le respect de conditions strictes, sous peine de sanctions pénales.
B.6.2. Les missions dévolues aux pharmaciens sont énumérées dans la loi coordonnée du 10 mai 2015 :
« Art. 5/1. On entend par exercice de l’art pharmaceutique, l’accomplissement des activités suivantes :
1°) la préparation, l’offre en vente, la vente en détail et la délivrance, même à titre gratuit, de médicaments,
2°) la préparation de la forme pharmaceutique des médicaments,
3°) la fabrication et le contrôle des médicaments,
4°) le contrôle des médicaments dans un laboratoire de contrôle des médicaments,
5°) le stockage, la conservation et la distribution des médicaments au stade du commerce de gros,
6°) l’approvisionnement, la préparation, le contrôle, le stockage, la distribution et la dispensation de médicaments sûrs et efficaces de la qualité requise dans les pharmacies ouvertes au public,
7°) la préparation, le contrôle, le stockage et la dispensation de médicaments sûrs et efficaces de la qualité requise dans les hôpitaux,
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8°) la diffusion d’information et de conseils sur les médicaments, y compris sur leur bonne utilisation,
9°) le rapport aux autorités compétentes du nombre d’effets indésirables des produits pharmaceutiques,
10°) l’assistance personnalisée des patients en situation d’automédication,
11°) la contribution à des campagnes locales ou nationales de santé publique.
Le Roi peut, conformément aux dispositions de l’article 140, préciser les actes visés à l’alinéa précédent.
Art. 6. § 1er. Nul ne peut exercer l’art pharmaceutique s’il n’est porteur du diplôme légal de pharmacien obtenu conformément à la législation sur la collation des grades académiques et le programme des examens universitaires ou s’il n’en est légalement dispensé et s’il ne réunit pas en outre les conditions imposées par l’article 25.
Constitue l’exercice illégal de l’art pharmaceutique, l’accomplissement habituel par une personne ne réunissant pas l’ensemble des conditions requises par l’alinéa 1er d’une des activités visées à l’article 5/1.
§ 2. Ne tombent pas sous l’application des dispositions du paragraphe 1er :
1° la délivrance par un médecin ou par un praticien de l’art dentaire, dans les conditions éventuellement prescrites par la loi ou par les règlements, de médicaments dans les cas d’urgence ou, à titre gratuit, d’échantillons de médicaments de même que des médicaments à usage compassionnel conformément aux conditions et modalités fixées par le Roi; ces délivrances ne peuvent donner lieu en faveur du médecin à des honoraires ou bénéfices;
2° la délivrance par un médecin de médicaments destinés à combattre les maladies vénériennes à condition qu’il les ait fait préparer chez un pharmacien de l’arrondissement, avec l’étiquette duquel il sera obligé de les fournir au client;
3° la fabrication et la préparation industrielles, le commerce et la distribution en gros ainsi que l’importation de médicaments dans les conditions prescrites par la loi ou les règlements;
4° la fourniture par un médecin vétérinaire, dans les conditions prévues par la réglementation en vigueur de médicaments achetés chez un pharmacien; ces conditions peuvent être modifiées par le Roi;
5° l’offre en vente, la vente au détail et la délivrance, même à titre gratuit, par des personnes autorisées par le Roi, dans un but de prophylaxie contre des maladies contagieuses ou dans un but de traitement des maladies chroniques déterminées par le Roi, d’objets, appareils, substances ou compositions à l’exception des médicaments tels que définis à l’article 1er de la loi du 25 mars 1964 sur les médicaments ainsi que des substances toxiques, soporifiques, stupéfiantes et psychotropes telles que prévues à l’article 1er de la loi du 24 février 1921
concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes,
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désinfectantes ou antiseptiques et des substances pouvant servir à la fabrication illicite de substances stupéfiantes et psychotropes.
Le Roi fixe, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, la liste de ces objets, appareils, substances ou compositions et détermine les conditions de leur offre en vente, vente au détail et délivrance.
Le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, la manière selon laquelle les personnes visées à l’alinéa 1er, qui doivent être rattachées à un centre spécialisé défini par Lui, procèdent à l’offre en vente, au détail et la délivrance.
6° la mise à disposition par un médecin ou une autre personne exerçant une profession agréée aux fins de travaux d’investigation sur la base de connaissances scientifiques et de l’expérience dans le domaine des soins aux patients, de médicaments pour la recherche aux conditions à fixer éventuellement par le Roi; cette mise à disposition ne peut pas donner lieu à des honoraires ou des profits;
7° la délivrance de médicaments de thérapie cellulaire somatique, comme définie par le Roi, qui ne peut se faire que par le gestionnaire du matériel corporel humain dans un établissement visé par la loi du 19 décembre 2008 relative à l’obtention et à l’utilisation de matériel corporel humain destiné à des applications médicales ou à des fins de recherche scientifique, ou son délégué;
8° la délivrance de médicaments préparés ou achetés par l’État en vue d’une campagne de prophylaxie contre les maladies contagieuses ou de médicaments qui, en raison de leurs caractéristiques, ne se prêtent pas à suivre exclusivement le circuit de distribution pharmaceutique normal. Le Roi peut fixer, sur la base de critères d’un usage sûr, la liste de ces médicaments. Il détermine également les personnes qui peuvent délivrer ces médicaments et peut fixer les conditions et les modalités suivant lesquelles ils peuvent être délivrés.
9° la dispensation de médicaments en vue de remplir une obligation légale particulière ».
B.6.3. Par ailleurs, l’article 14 de la loi du 22 avril 2019 « relative à la qualité de la pratique des soins de santé » (ci-après : la loi du 22 avril 2019), qui est applicable au pharmacien, dispose :
« Le professionnel des soins de santé s’assure que l’encadrement nécessaire est présent lui permettant d’exécuter les soins de santé avec un niveau de qualité élevé ».
B.7. La loi attaquée autorise les pharmaciens à prescrire et à administrer le vaccin contre la COVID-19. Pour ce faire, ceux-ci doivent remplir plusieurs conditions de manière cumulative.
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D’abord, ils ne peuvent prescrire, délivrer et administrer que le vaccin contre la COVID-19, à l’exclusion des autres vaccins, hormis celui contre la grippe saisonnière, en vertu de la loi coordonnée du 10 mai 2015, de l’arrêté royal du 17 juillet 2022 et de la loi du 9 octobre 2023.
Ensuite, l’habilitation n’est valable que pour autant que les pharmaciens concernés aient suivi une formation spécifique à ce sujet, dispensée par un médecin ou un infirmier. Ces personnes doivent être en mesure de prouver à tout moment qu’elles ont suivi et réussi cette formation spécifique.
B.8.1. La partie requérante estime que les pharmaciens ne sont pas suffisamment formés pour administrer le vaccin contre la COVID-19 et qu’ils ne sont pas suffisamment équipés pour faire face aux effets indésirables du vaccin.
B.8.2. Premièrement, la disposition attaquée ne prévoit pas une obligation pour les patients de se faire administrer le vaccin contre la COVID-19 par un pharmacien, ni une obligation pour les pharmaciens d’administrer ces vaccins ou de suivre la formation requise à cet effet. Chaque patient qui le souhaite est libre de se faire administrer le vaccin contre la COVID-19 par un médecin.
B.8.3. Il découle de l’article 5/1 de la loi coordonnée du 10 mai 2015, cité en B.6.2, que les activités des pharmaciens sont principalement liées aux médicaments. Seuls les professionnels de l’art pharmaceutique, titulaires du diplôme de pharmacien, peuvent exercer ces activités (article 6 de la loi coordonnée du 10 mai 2015).
B.8.4. En vertu de la disposition attaquée, les pharmaciens sont soumis à une « formation de minimum 8 heures comportant les aspects théoriques de la vaccination, y compris la composition des vaccins, les recommandations du Conseil Supérieur de la Santé, les allergies à certains composants et les réactions allergiques aux vaccins, et des aspects pratiques relatifs aux techniques de vaccination, comme l’administration stérile, la reconnaissance de réactions allergiques graves, à savoir le choc anaphylactique, et les techniques de base de la réanimation.
La formation doit être renouvelée tous les trois ans ».
B.8.5. Dans leur avis commun, mentionné en B.1.5, les deux académies royales de médecine de Belgique ont estimé qu’une formation spécifique pour les pharmaciens de 6 à
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8 heures, valable pour trois années et renouvelable, et portant sur la connaissance théorique et pratique du vaccin, y compris la reconnaissance des réactions allergiques ou autres effets secondaires éventuels, était nécessaire et suffisante dans le cadre de l’habilitation en projet.
B.8.6. Compte tenu de cette recommandation et des missions existantes des pharmaciens, ainsi que de l’expertise en matière de médicaments requise à cette fin, le législateur a raisonnablement pu estimer qu’une telle formation spécifique, fixée au maximum de la durée préconisée par les instances médicales précitées, suffisait à maintenir la qualité générale de la vaccination contre la COVID-19 sur le territoire national.
B.8.7. La disposition attaquée prévoit également une habilitation à « prescrire et administrer par voie sous-cutanée ou par voie intramusculaire de l’adrénaline lorsque le patient, après la vaccination visée à l’alinéa 2, subit un choc anaphylactique ». Selon les travaux préparatoires, la situation d’un choc anaphylactique est certes « très rare », mais il est « important de pouvoir réagir immédiatement afin d’administrer les soins nécessaires au patient. Le pharmacien doit donc être en mesure d’administrer lui-même l’adrénaline » (Doc.
parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2460/001, p. 9). En vertu de l’article 12, § 1er, 1°, de l’arrêté royal du 21 janvier 2009 « portant instructions pour les pharmaciens » (ci-après :
l’arrêté royal du 21 janvier 2009) et de l’annexe II à cet arrêté, il doit y avoir à tout moment de l’adrénaline dans la pharmacie ou sur la parcelle cadastrale limitrophe. Ainsi, il n’apparaît pas que les pharmaciens ne peuvent pas faire face de manière adéquate aux effets aigus du vaccin, qui pourraient se manifester immédiatement après qu’il a été administré. À supposer que le patient ressente encore d’autres effets par la suite, rien ne l’empêche de consulter quand même un médecin.
B.9. Il découle de ce qui précède que la disposition attaquée, en ce qui concerne la formation et l’équipement des personnes qui sont compétentes pour administrer le vaccin contre la COVID-19, n’entraîne pas un recul significatif du degré de protection du droit à la protection de la santé et à l’assistance médicale.
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La réunion des facultés de prescrire, de délivrer et d’administrer le vaccin
B.10. La partie requérante estime que la faculté, pour les pharmaciens, de prescrire, de délivrer et d’administrer le vaccin contre la COVID-19 crée un risque de conflit d’intérêts qui constitue un recul du degré de protection du droit à la santé.
B.11. La simple circonstance que la disposition attaquée peut procurer un bénéfice économique aux pharmaciens, en ce qu’ils reçoivent des missions rémunérées supplémentaires qui, auparavant, relevaient exclusivement de la compétence d’autres professionnels des soins de santé, ne saurait entraîner en soi un recul du droit des patients à la protection de la santé.
B.12.1. En ce qui concerne l’existence d’un potentiel conflit d’intérêts, les travaux préparatoires de la disposition attaquée mentionnent :
« il ne peut y avoir de conflit d’intérêts de la part du pharmacien : en effet, la délivrance et l’administration des vaccins SARS-CoV-2 s’inscrivent dans le cadre des campagnes de vaccination organisées par les autorités compétentes où aussi les pharmacies doivent mettre gratuitement les vaccins à disposition – il ne s’agit donc pas d’une vente par le pharmacien »
(Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2460/001, p. 12).
Dans ce cadre, il y a lieu d’observer que l’arrêté royal du 6 décembre 2022 « visant l’instauration d’honoraires pour la préparation et l’administration de vaccins COVID et visant l’instauration d’honoraires pour l’administration des vaccins contre la grippe » fixe les interventions pour la préparation et pour l’administration d’un vaccin contre la COVID-19. Ces interventions, tant pour les pharmaciens que pour les médecins et les praticiens de l’art infirmier, sont fixées respectivement à 3,22 euros et à 15,5 euros (articles 2, 2/1, 2/2, 3, 4 et 5/2
de l’arrêté royal précité). Aucune intervention n’est prévue pour la délivrance du vaccin contre la COVID-19.
La thèse de la partie requérante selon laquelle la disposition attaquée donne lieu à un conflit d’intérêts dans le chef des pharmaciens, en ce qu’ils ont intérêt à prescrire un maximum de vaccins contre la COVID-19 pour pouvoir ensuite aussi les vendre eux-mêmes aux patients, se
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fonde dès lors sur une prémisse erronée. Les pharmaciens ne reçoivent aucune intervention pour la délivrance des vaccins contre la COVID-19 et, concernant la préparation et l’administration de ces vaccins, ils sont par ailleurs en grande partie indemnisés de la même manière que les médecins et les praticiens de l’art infirmier.
B.12.2. La partie requérante soutient en outre que la disposition attaquée porte atteinte au contrôle mutuel entre le médecin et le pharmacien, un contrôle qui impliquerait notamment que le pharmacien doit contacter le médecin prescripteur s’il doute que les médicaments prescrits conviennent au patient.
La disposition attaquée habilite seulement les pharmaciens à accomplir un acte médical déterminé à portée limitée, pour lequel ils ont reçu une formation spécifique. Pour le surplus, cette disposition ne porte pas atteinte à la répartition des tâches entre médecins et pharmaciens, telle celle qui découle notamment de la loi coordonnée du 10 mai 2015, et en particulier l’interdiction d’exercice simultané de l’art médical et de l’art pharmaceutique (voy. aussi l’article 22 de la loi coordonnée du 10 mai 2015, tel qu’il a été modifié par l’article 3 de la loi du 28 février 2022). La disposition attaquée a en outre pour but d’atteindre les patients qui, sans cela, ne se feraient pas vacciner par un médecin. Or, ce but est en principe favorable à leur santé et, par extension, à l’ensemble de la population.
B.13. La circonstance que, par l’effet de la disposition attaquée, les facultés de prescrire, de délivrer et d’administrer le vaccin contre la COVID-19 sont réunies dans les mêmes mains n’entraîne donc pas un recul significatif du droit à la protection de la santé.
La procédure, l’anamnèse et l’accès au dossier médical
B.14. La partie requérante soutient en premier lieu qu’aucune procédure n’a été mise en place en ce qui concerne la prescription par le pharmacien du vaccin contre la COVID-19.
La disposition attaquée ainsi que l’arrêté royal du 6 décembre 2022 « visant l’instauration d’honoraires pour la préparation, la délivrance et l’administration de vaccins COVID »
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encadrent la façon dont le processus de vaccination doit être conçu. L’argument tiré de l’absence de procédures n’est pas fondé.
B.15. La partie requérante fait ensuite valoir que le pharmacien n’est pas tenu de procéder à une anamnèse complète du patient avant de prescrire et d’administrer le vaccin.
Chaque professionnel des soins de santé est tenu, avant de dispenser des soins de santé, d’effectuer « une caractérisation du patient et de la prestation en question si cela est pertinent »
(article 12 de la loi du 22 avril 2019). Cela implique que le professionnel des soins de santé doit contrôler les risques liés au patient et à la prestation, et qu’il analyse l’état de santé du patient (Doc. parl., Chambre, 2018-2019, DOC 54-3441/001, p. 22). Cette obligation vaut également pour le pharmacien qui est sollicité pour prescrire et pour administrer un vaccin contre la COVID-19.
La formation spécifique que le pharmacien doit suivre afin qu’il puisse prescrire et administrer le vaccin contre la COVID-19 comprend notamment « la composition des vaccins, les recommandations du Conseil Supérieur de la Santé, les allergies à certains composants et les réactions allergiques aux vaccins » (article 3, § 4, alinéa 5, de la loi coordonnée du 10 mai 2015). Compte tenu de cette formation et de l’expertise des pharmaciens en matière de médicaments, il n’apparaît pas que l’estimation, par un pharmacien, des risques sanitaires éventuels liés à la vaccination contre la COVID-19 aurait généralement une valeur moindre par rapport à la situation dans laquelle le vaccin est administré au patient par un médecin ou par un praticien de l’art infirmier, en application des dispositions mentionnées en B.4.2 et en B.4.3.
Par ailleurs, chaque professionnel des soins de santé est tenu de référer son patient vers un autre professionnel des soins de santé compétent en la matière « lorsque le problème de santé ou les soins de santé requis excèdent son propre domaine de compétence » (article 9, alinéa 1er, de la loi du 22 avril 2019).
B.16.1. La partie requérante estime enfin que le fait que le pharmacien n’ait pas accès au dossier médical du patient est de nature à nuire à ce dernier.
B.16.2. Dans leur avis conjoint, mentionné en B.1.5, les deux académies royales de médecine de Belgique ont indiqué qu’il « n’y a pas de raison objective dans le cadre d’une
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vaccination de masse de donner au pharmacien d’autres renseignements médicaux spécifiques concernant le patient ».
B.16.3. Chaque prestataire de soins de santé doit tenir un dossier relatif à son patient, en vertu de la loi du 22 avril 2019. Par ailleurs, il existe un dossier médical général au sens de l’arrêté royal du 3 mai 1999 « relatif au dossier médical général », qui n’est pas dressé automatiquement, mais créé par le médecin traitant à la demande du patient lui-même et partagé avec le consentement de ce dernier. D’autres dossiers partagés existent aux niveaux fédérés et sont également établis et partagés sur une base volontaire.
B.16.4. Le pharmacien dispose en outre d’un instrument de suivi sous la forme du dossier pharmaceutique, qui comprend de nombreuses données permettant de procéder à une évaluation de l’état du patient et d’identifier les risques que celui-ci encourt. Enfin, le patient peut en tout état de cause octroyer de son propre chef à son pharmacien une autorisation d’accès à son dossier médical, en application de l’article 36 de la loi du 22 avril 2019, y compris préalablement à la vaccination.
B.16.5. Par ailleurs, l’absence d’un accès au dossier médical n’entrave pas le bon suivi de la vaccination. En effet, le vaccin est d’abord intégré dans le dossier pharmaceutique du patient.
Ensuite, tout vaccin contre la COVID-19 administré sur le territoire belge est enregistré dans la base de données Vaccinnet par le prestataire de soins qui a administré le vaccin, et le médecin peut ensuite y accéder par le biais du dossier médical partagé avec le consentement du patient.
Or le bon suivi de la vaccination constitue un aspect important de la qualité des soins apportés aux patients.
B.17. En tout état de cause, et contrairement à ce que soutient la partie requérante, de nombreuses garanties légales, dont la loi du 22 avril 2019, encadrent la profession de pharmacien et les actes posés par lui. Ainsi, en vertu du « Guide des bonnes pratiques pharmaceutiques officinales », annexé à l’arrêté royal du 21 janvier 2009, le pharmacien doit veiller à la santé et à la qualité de vie du patient qui s’adresse à lui, lui fournir l’information adéquate, ainsi que s’assurer du suivi des effets de ses actes, le tout dans le respect des
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dispositions légales. De même, aux termes du point 7.1 du Guide précité, « le pharmacien reste dans les limites de ses compétences : chaque fois que nécessaire, il renvoie le patient auprès d’un autre prestataire de soins ». Enfin, la responsabilité du pharmacien au sens de l’arrêté royal du 21 janvier 2009 s’applique.
B.18. La disposition attaquée n’entraîne donc pas, en ce qui concerne la procédure, l’anamnèse et l’accès au dossier médical, un recul significatif du degré de protection du droit à la protection de la santé et à l’assistance médicale relativement à la vaccination contre la COVID-19.
Le local adapté
B.19. La partie requérante soutient que l’absence d’une obligation, pour le pharmacien habilité à administrer le vaccin, de disposer d’un local spécifique constitue un recul, dès lors que la confidentialité avec le patient n’est pas garantie.
B.20.1. Contrairement à ce que soutient la partie requérante, l’aménagement de l’officine pharmaceutique est réglementé. En effet, et conformément à l’article 14 de la loi du 22 avril 2019, mentionné en B.6.3, le « Guide des bonnes pratiques pharmaceutiques officinales », annexé à l’arrêté royal du 21 janvier 2009, prévoit, en son point F.2 :
« Les locaux
Principe
Les locaux sont adaptés à l’ensemble de l’activité de la pharmacie et permettent un service optimal. Ils prémunissent contre toute atteinte à la qualité des produits et satisfont à la réglementation du travail.
Règles générales
La pharmacie a une apparence extérieure respectant l’éthique professionnelle et permettant d’être facilement identifiée et accessible à tous sans difficulté.
L’espace de travail et l’espace réservé au public sont suffisamment vastes.
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Les zones de réception, de stockage, de préparation et de dispensation sont agencées de manière à minimiser le risque de confusion, d’erreur et de contamination.
La zone de réception permet de s’assurer de l’exactitude de la livraison, de vérifier les conditions particulières de conservation et de stockage, d’enregistrer les produits reçus.
Les produits périmés, refusés ou retirés sont entreposés dans un endroit bien séparé des autres et clairement identifié.
L’espace de stockage est suffisant pour permettre un rangement ordonné, répondant à la réglementation et séparant les différentes catégories de produits (médicaments, matières premières, dispositifs médicaux, articles de santé et de soins). La conservation correcte des différents produits stockés est garantie.
La zone de préparation comporte une surface de travail suffisante, des armoires et tiroirs permettant un rangement ordonné du matériel et des matières premières utilisées, les protégeant de toute contamination et, au besoin, de la lumière.
Cette zone est dévolue aux diverses opérations de préparation et de contrôle de qualité et n’est pas utilisée à d’autres activités. Elle n’est accessible qu’à des personnes autorisées.
La zone de dispensation est agencée pour éviter l’accès du public aux médicaments.
Un espace permet de tenir une conversation confidentielle avec un patient ou son délégué.
Toutes les zones, et en particulier les zones de préparation et de dispensation, peuvent être surveillées par le pharmacien.
Des règles et des procédures en matière de propreté, d’hygiène, de désinfection et de ventilation sont établies, et des précautions sont prises pour éviter toute altération des produits et toute contamination.
Les conditions de température, d’humidité et de lumière respectent les exigences de conservation des médicaments, des matières premières, des dispositifs médicaux et des autres produits de santé et de soins. Ces conditions sont à vérifier périodiquement.
L’accès des animaux domestiques à la pharmacie est interdit et il est également interdit d’y fumer.
Les locaux ne peuvent pas être utilisés à d’autres fins que celles prévues ci-dessus ».
B.20.2. Compte tenu de la circonstance que l’espace permettant de tenir une conversation confidentielle, visé au point F.2 du « Guide des bonnes pratiques pharmaceutiques officinales »
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annexé à l’arrêté royal du 21 janvier 2009, garantit également la confidentialité de la vaccination, le grief n’est pas fondé.
B.21. Compte tenu de ce qui est dit en B.20.2, le premier moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le deuxième moyen
B.22. Le deuxième moyen est pris de la violation, par la disposition attaquée, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’elle ferait naître des différences de traitement non justifiées.
B.23.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.23.2. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 14
de la Convention européenne des droits de l’homme n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour la « jouissance des droits et libertés » reconnus dans la Convention (CEDH, grande chambre, 19 février 2013, X e.a. c. Autriche, ECLI:CE:ECHR:2013:0219JUD001901007, § 94).
Le moyen ne mentionne pas d’autres dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme lues en combinaison avec son article 14. En conséquence, la Cour n’examine pas le moyen en ce qu’il porte sur la violation de l’article 14 de la Convention, lu en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
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B.24.1. En premier lieu, la partie requérante estime que la disposition attaquée fait naître une différence de traitement entre les pharmaciens et les médecins, en ce que les pharmaciens sont autorisés à la fois à prescrire, à délivrer et à administrer le vaccin contre la COVID-19, au contraire des médecins qui ne peuvent pas délivrer ledit vaccin, supprimant par là le « délai de réflexion » qui doit exister entre la prescription et la délivrance, ainsi que le rôle du contrôle mutuel qui existe entre les deux professions.
B.24.2. L’arrêté royal du 26 décembre 2022 « relatif à la délivrance des vaccins COVID-19 par les médecins » dispose :
« Article 1er. En vue d’une campagne de prophylaxie organisée par les entités fédérées contre le virus COVID-19, les médecins sont désignés comme personnes visées à l’article 6, § 2, 8° de la loi relative à l’exercice des professions des soins de santé, coordonnée le 10 mai 2015. À ce titre, ils sont habilités à délivrer des vaccins contre le virus susmentionné.
Le médecin visé au premier alinéa peut autoriser un infirmier à délivrer le vaccin à un patient déterminé en son nom et sous sa responsabilité, conformément aux dispositions du présent arrêté. Aux fins du présent paragraphe, la délivrance est effectuée au nom et pour le compte du médecin.
Art. 2. La délivrance des vaccins visés par le présent arrêté est suivie par l’administration immédiate par le médecin ou un infirmier mandaté par lui.
Art. 3. Le médecin qui délivre les vaccins est responsable de leur conservation qualitative pendant la période entre la livraison par le grossiste et la délivrance.
Le médecin visé à l’alinéa 1er reçoit et conserve à l’adresse de son cabinet les vaccins fournis par un grossiste, conformément aux instructions de conservation figurant dans le résumé des caractéristiques du produit visé à l’article 6, § 1quinquies, alinéa 1er de la loi du 25 mars 1964 sur les médicaments à usage humain ».
B.24.3. Par conséquent, la différence de traitement entre pharmaciens et médecins mentionnée en B.24.1 est inexistante.
B.25.1. En second lieu, la partie requérante estime qu’il existe entre les patients une différence de traitement fondée sur un critère socio-économique, en ce que les patients les moins favorisés seraient désavantagés lorsqu’ils se font vacciner, puisque la loi les encouragerait à se diriger vers un pharmacien plutôt que vers un médecin.
34
B.25.2. Contrairement à ce que suppose la partie requérante, la disposition attaquée ne fait, en soi, aucune distinction selon le statut socio-économique des patients concernés.
Comme il est dit en B.1.4, la vaccination contre la COVID-19 tient par ailleurs sa spécificité de son caractère de santé publique et de la nécessité de son administration de masse comme condition de succès dans la volonté de limiter au maximum la circulation du coronavirus SARS-COV-2. Compte tenu des rapports rédigés en ce sens, ainsi que de l’avis conjoint des académies royales de médecine de Belgique, le législateur a délibérément choisi de prévoir une possibilité supplémentaire de vaccination.
B.26. Le deuxième moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le troisième moyen
B.27. Le troisième moyen est pris de la violation, par la disposition attaquée, de l’article 22
de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que le droit des patients au respect de la vie privée ne serait pas garanti. La partie requérante soutient, d’une part, que le respect par le pharmacien de son obligation de confidentialité n’est pas garanti en l’absence d’une obligation de disposer d’une pièce spécifique et, d’autre part, que le pharmacien ne dispose pas des compétences techniques pour injecter un vaccin et que cela entraîne des risques d’atteinte à l’intégrité physique des patients.
B.28.1. Pour les motifs développés en B.19 et B.20, l’espace permettant de tenir une conversation confidentielle, visé au point F.2 du « Guide des bonnes pratiques pharmaceutiques officinales » annexé à l’arrêté royal du 21 janvier 2009, garantit également la confidentialité de la vaccination afin de maintenir le degré de protection du droit à la santé des patients relativement à la vaccination contre la COVID-19.
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B.28.2. Il découle de ce qui est dit en B.8.6 qu’il ne peut pas être considéré que les pharmaciens ne disposent pas en règle générale des aptitudes techniques pour administrer le vaccin contre la COVID-19. Comme il est dit en B.15, chaque pharmacien est en outre tenu de référer son patient vers un autre professionnel des soins de santé compétent en la matière « lorsque le problème de santé ou les soins de santé requis excèdent son propre domaine de compétence » (article 9, alinéa 1er, de la loi du 22 avril 2019). Il en résulte que la disposition attaquée ne peut pas être considérée comme compromettant l’intégrité physique des patients.
B.28.3. Compte tenu de ce qui est dit en B.20.2, le troisième moyen n’est pas fondé.
36
Par ces motifs,
la Cour,
compte tenu de ce qui est dit en B.20.2, rejette le recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 22 février 2024.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25/2024
Date de la décision : 22/02/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Rejet du recours (compte tenu de ce qui est dit en B.20.2)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - le recours en annulation de l'article 2, 1°, de la loi du 28 février 2022 « [relative] à la vaccination et à l'administration, par des pharmaciens exerçant au sein d'officines pharmaceutiques ouvertes au public, des vaccins autorisés dans le cadre de la prophylaxie du COVID-19 », introduit par l'ASBL « Association Belge des Syndicats Médicaux ». Soins de santé - Pandémie de COVID-19 - Pharmaciens d'officine - Facultés de prescrire, de délivrer et d'administrer le vaccin contre la COVID-19 - Conflit d'intérêts - Qualités et compétences professionnelles - Local adapté - Statut socio-économique des patients


Origine de la décision
Date de l'import : 06/03/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-02-22;25.2024 ?

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