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15/02/2024 | BELGIQUE | N°23/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 15 février 2024, 23/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 23/2024
du 15 février 2024
Numéro du rôle : 7936
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 13, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers », posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et M. Plovie, assistée du greffier F

. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 23/2024
du 15 février 2024
Numéro du rôle : 7936
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 13, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers », posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et M. Plovie, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt n° 255.755 du 10 février 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 20 février 2023, le Conseil d’État a posé la question préjudicielle suivante :
« Est-il conforme aux principes d’égalité et de non-discrimination, aux articles 10 et 11 de la Constitution et à l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, pris conjointement au droit fondamental à la vie privée et familiale notamment consacré par l’article 22 de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, d’interpréter l’article 13, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers comme prévoyant l’obtention du séjour illimité par l’étranger autorisé au séjour depuis cinq ans depuis l’introduction de sa demande de séjour 9ter, seulement s’il y a eu plusieurs renouvellements, et non seulement sur la base des cinq années de séjour légal depuis l’introduction de la demande 9ter, qui a été déclarée recevable et fondée ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
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- Lassaad Bellil, assisté et représenté par Me J. Hardy, avocat au barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me E. Derriks, avocate au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 20 décembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs K. Jadin et D. Pieters, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le 31 octobre 2013, la partie requérante devant la juridiction a quo introduit une demande d’autorisation de séjour sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers » (ci-après : la loi du 15 décembre 1980). Cette disposition est applicable à l’étranger qui séjourne en Belgique, qui démontre son identité et qui souffre d’une maladie telle qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne. Le 1er juillet 2014, la partie requérante devant la juridiction a quo se voit accorder une autorisation de séjour valable pour une durée d’un an. Le 29 septembre 2015, elle en demande la prolongation. Le 18 novembre 2015, cette demande de prolongation fait l’objet d’une décision de refus, accompagnée d’un ordre de quitter le territoire. Par l’arrêt n° 222.810 du 18 juin 2019, le Conseil du contentieux des étrangers annule ces deux décisions. Le 10 septembre 2019, la demande de prolongation fait l’objet d’une nouvelle décision de refus, accompagnée d’un nouvel ordre de quitter le territoire. Par l’arrêt n° 237.015 du 16 juin 2020, le Conseil du contentieux des étrangers rejette la requête en suspension et en annulation dirigée contre ces deux décisions. La partie requérante devant la juridiction a quo demande la cassation de cet arrêt.
La partie requérante devant la juridiction a quo fait valoir en substance que l’annulation de la décision de refus du 18 novembre 2015 a rendu la demande de prolongation à nouveau pendante. Selon elle, dans l’attente de la nouvelle décision sur cette demande, elle a été autorisée au séjour sur la base de l’article 33 de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers » (ci-après :
l’arrêté royal du 8 octobre 1981). Elle soutient que, dès lors qu’elle a été autorisée au séjour durant une période de cinq ans depuis l’introduction de la demande initiale de 2013, l’autorisation de séjour donnée initialement pour une durée limitée est devenue valable pour une durée illimitée sur la base de l’article 13, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980.
La partie adverse devant la juridiction a quo soutient en substance qu’une autorisation de séjour accordée sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 ne devient valable pour une durée illimitée qu’à l’expiration d’une période de cinq ans durant laquelle elle a été valablement prorogée. Elle relève que la carte de séjour octroyée initialement à la partie requérante était valable jusqu’au 3 novembre 2015 et que la partie requérante n’a pas obtenu, postérieurement à cette date, le renouvellement périodique de son autorisation de séjour pendant une période ininterrompue de cinq ans.
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Selon la juridiction a quo, l’article 13, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 doit être interprété en ce sens que, pour que l’étranger soit autorisé au séjour à durée illimitée, son séjour doit avoir été autorisé pendant cinq ans par une ou plusieurs autorisations à durée limitée octroyées sur la base de l’article 9ter de la même loi.
Or, la juridiction a quo relève que, lorsque l’étranger introduit une demande de renouvellement de son autorisation de séjour et qu’aucune décision n’est prise avant l’expiration de l’autorisation en cours, le séjour de l’intéressé est certes provisoirement autorisé sur la base de l’article 33 de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 mais le droit au séjour dont l’étranger peut alors se prévaloir ne repose pas sur une autorisation octroyée sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980. À la demande de la partie requérante, la juridiction a quo pose dès lors la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1.1. La partie requérante devant la juridiction a quo se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle le maintien d’un étranger dans une situation de précarité porte atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale. Elle relève que de nombreuses dispositions prévoient une consolidation du statut de séjour lorsque l’étranger séjourne légalement sur le territoire depuis un certain temps. Outre une circulaire du 15 décembre 1998, elle se réfère aux dispositions de la loi du 15 décembre 1980 qui sont applicables aux réfugiés (article 49, § 1er), aux bénéficiaires de la protection subsidiaire (article 49/2), aux citoyens de l’Union et aux membres de leur famille (articles 42quater, 42quinquies et 44bis) et aux ressortissants de pays tiers (articles 21
et 22), ainsi qu’aux dispositions qui portent sur le regroupement familial avec un ressortissant d’un pays tiers (article 13) et sur le statut de résident de longue durée (article 15bis). Elle soutient que ces dispositions ont pour objet d’octroyer un séjour à durée illimitée en raison du temps passé légalement sur le territoire, afin que l’étranger ne soit plus soumis au risque de perdre son droit au séjour dans l’hypothèse où l’une ou l’autre des conditions initiales ne serait plus remplie. Elle ajoute que la Cour, par son arrêt n° 112/2019 du 18 juillet 2019
(ECLI:BE:GHCC:2019:ARR.112), a également mis en évidence le lien entre la durée de séjour, l’intégration et la nécessité de consolider le séjour.
A.1.2. Elle fait valoir que, dans l’interprétation de la juridiction a quo, la disposition en cause fait naître une différence de traitement entre deux catégories d’étrangers qui ont introduit, sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, une demande d’autorisation de séjour qui a été déclarée recevable et fondée et qui en ont demandé le renouvellement, lorsque plus de cinq années se sont écoulées depuis l’introduction de la demande initiale : d’une part, ceux pour lesquels quatre décisions de renouvellement ont été adoptées et, d’autre part, ceux pour lesquels tel n’a pas été le cas en raison d’aléas procéduraux.
Selon elle, ces deux catégories sont comparables, dès lors qu’il s’agit d’étrangers qui ont obtenu une autorisation de séjour pour des motifs médicaux, qui en ont valablement demandé le renouvellement et qui, cinq années après l’introduction de la demande initiale, n’ont pas fait l’objet d’une décision mettant fin à leur séjour.
Elle soutient que l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 et l’article 13, § 1er, alinéa 2, de la même loi poursuivent des objectifs distincts : alors que l’article 9ter vise à offrir une protection contre les risques qu’il vise, l’article 13, § 1er, alinéa 2, vise à consolider le séjour et ainsi à sortir l’étranger de la précarité administrative inhérente à un titre de séjour à durée limitée. Dans la situation visée par cette dernière disposition, le séjour n’est plus conditionné par l’existence de raisons médicales mais c’est la longueur du séjour qui justifie elle-même de ne plus mettre fin au droit au séjour. Selon la partie requérante devant la juridiction a quo, si l’objectif poursuivi par l’obtention du séjour à durée illimitée est légitime, tel n’est pas le cas de l’objectif qui est poursuivi par la différence de traitement en cause.
Elle fait ensuite valoir que l’existence ou non de quatre décisions de renouvellement n’est pas un critère de distinction objectif et pertinent, dès lors que (1) ce critère fait dépendre la consolidation du séjour de l’action ou de l’inaction de l’administration, (2) que ce n’est pas le nombre de décisions de renouvellement mais le nombre
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d’années de séjour légal qui est pertinent, (3) que le besoin de protection existe indépendamment des décisions de renouvellement et (4) qu’il est incompréhensible de ne pas prendre en compte la période qui s’écoule dans l’attente du renouvellement d’une autorisation de séjour dont la demande initiale a été déclarée recevable et fondée, alors que la période qui s’écoule entre l’introduction de la demande initiale et le jour où elle est déclarée recevable et fondée est prise en compte. Selon elle, c’est l’absence de décision de refus de renouvellement qui constituerait un critère pertinent.
Enfin, elle fait valoir que la différence de traitement en cause n’est pas raisonnablement justifiée et qu’elle produit des effets disproportionnés. Elle relève que l’objectif du législateur était d’appliquer un régime similaire à celui qui est prévu pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire. Or, ces derniers ne doivent pas solliciter le renouvellement de leur droit au séjour mais uniquement de leur carte de séjour, ce qui est une simple formalité administrative sans réexamen de leur situation. En ce qui les concerne, le besoin de protection est réputé établi tant qu’aucune décision définitive n’affirme le contraire. Tout en indiquant que la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que le séjour autorisé sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 n’est, en règle, pas une forme de protection subsidiaire, la partie requérante devant la juridiction a quo estime que les bénéficiaires de la protection subsidiaire constituent la catégorie d’étrangers qui est la plus comparable à celle des bénéficiaires d’une autorisation de séjour octroyée sur la base de l’article 9ter, de sorte que la même interprétation doit s’imposer dans les deux cas en ce qui concerne l’obtention du droit au séjour à durée illimitée. Par ailleurs, elle souligne que l’étranger dont le séjour est autorisé sur la base de l’article 9ter et qui demande le renouvellement de son autorisation de séjour est en séjour légal jusqu’à l’adoption d’une éventuelle décision de refus. Selon elle, rien ne justifie que ces années de séjour légal ne soient pas prises en compte. Enfin, en ce qui concerne les articles 9 et 9bis de la loi du 15 décembre 1980, auxquels le Conseil des ministres fait référence, la partie requérante devant la juridiction a quo souligne que ces dispositions ne prévoient pas l’obtention d’un séjour à durée illimitée. Elle observe également que, selon la pratique administrative et selon la jurisprudence, ni un long séjour légal, ni une bonne intégration ne suffisent en soi pour avoir recours à la procédure prévue à l’article 9bis de la loi du 15 décembre 1980.
A.1.3. Elle conclut que la disposition en cause, telle qu’elle est interprétée par la juridiction a quo, n’est pas compatible avec les normes de référence mentionnées dans la question préjudicielle. À titre subsidiaire, elle fait valoir qu’une interprétation conciliante est toutefois possible. Dans l’interprétation selon laquelle l’étranger acquiert le droit au séjour à durée illimitée lorsque sa demande introduite sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 a été déclarée recevable et fondée et que, dans les cinq années suivant l’introduction de cette demande, aucune décision n’est venue mettre fin au droit au séjour, la disposition en cause est constitutionnelle.
A.2.1. Le Conseil des ministres relève que la question préjudicielle porte sur la différence de traitement entre, d’une part, les étrangers qui ont été autorisés au séjour sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 pour une durée d’un an et dont l’autorisation de séjour a été valablement renouvelée durant cinq ans à dater de l’introduction de la demande initiale et, d’autre part, les étrangers qui ont été autorisés au séjour sur le même fondement mais dont l’autorisation de séjour n’a pas été valablement renouvelée et qui sont seulement couverts depuis cinq ans dans l’attente d’un renouvellement. Seuls les étrangers relevant de la première catégorie peuvent bénéficier d’une autorisation de séjour à durée illimitée en application de la disposition en cause. Selon le Conseil des ministres, les deux catégories comparées ne se trouvent pas dans des situations comparables. Alors que les étrangers relevant de la première catégorie ont bénéficié de décisions de renouvellement successives adoptées sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 à la suite du contrôle de l’évolution de leur situation médicale, ceux qui relèvent de la seconde catégorie n’ont pas bénéficié du renouvellement de leur autorisation de séjour mais disposent seulement d’une attestation (annexe 15) qui se limite à constater que l’administration n’a pas encore été en mesure de se prononcer sur leur demande de renouvellement.
A.2.2. Le Conseil des ministres fait ensuite valoir qu’à supposer que les catégories d’étrangers comparées se trouvent dans des situations comparables, la différence de traitement en cause est en toute hypothèse raisonnablement justifiée. Il souligne que l’intention du législateur était d’assurer une protection adéquate aux étrangers qui souffrent d’une maladie grave pouvant entraîner un risque de traitements inhumains et dégradants, ce qui constitue un objectif légitime. Selon lui, le critère sur lequel repose l’octroi du séjour à durée illimitée, à savoir l’obtention de renouvellements successifs de l’autorisation de séjour sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, est un critère objectif. Il relève aussi que ce critère rencontre la nécessité de vérifier, à
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l’occasion du renouvellement, si le risque et donc le besoin de protection perdurent. Il précise que l’autorisation de séjour à durée illimitée est octroyée lorsque le séjour de l’étranger a été couvert pendant cinq années par une autorisation de séjour fondée sur l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, et ce, quel que soit le nombre de renouvellements qui sont intervenus. Il se peut que ce nombre soit inférieur à quatre, puisqu’une décision de renouvellement a effet rétroactif et qu’elle couvre pour l’avenir la période qu’elle détermine. Selon lui, la computation du délai de cinq ans ne dépend nullement du bon vouloir de l’administration et du moment où elle statue. Il expose qu’en cas d’annulation d’une décision de refus de renouvellement, l’intéressé est replacé dans la situation antérieure, à savoir la situation où il est dans l’attente d’une décision. Si le renouvellement est accordé, le séjour est considéré comme ininterrompu depuis la demande initiale et, si plus de cinq années se sont écoulées, un séjour à durée illimitée est accordé. Si le renouvellement est refusé, l’intéressé ne peut alors pas se prévaloir d’un séjour légal durant cinq années sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980.
Le Conseil des ministres fait valoir que la disposition en cause est pertinente, dès lors qu’elle permet à l’étranger dont la situation médicale n’a pas évolué favorablement durant une période de cinq ans de bénéficier d’une protection définitive contre les risques visés à l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980.
Enfin, il soutient que la disposition en cause ne produit pas d’effets disproportionnés. Il rappelle que la volonté du législateur était de prémunir l’étranger concerné contre le risque de traitement contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et non de protéger sa vie privée et familiale. Selon lui, à supposer qu’une différence de traitement existe entre les deux catégories d’étrangers comparées au regard de la protection de la vie privée et familiale, cette différence de traitement résulte non pas de la disposition en cause, mais de son application et de la durée de traitement des demandes de renouvellement et des éventuels recours. Il ajoute que l’étranger qui entend faire valoir la durée de son séjour et le renforcement éventuel de son droit au respect de sa vie privée et familiale durant son séjour peut introduire une demande d’autorisation de séjour sur la base des articles 9 et 9bis de la loi du 15 décembre 1980.
A.2.3. Enfin, le Conseil des ministres estime que les situations mises en évidence par la partie requérante devant la juridiction a quo ne sont pas comparables à celle d’un étranger autorisé au séjour sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980. Par ailleurs, il relève que la situation de la partie requérante devant la juridiction a quo n’est pas différente de celle des bénéficiaires de la protection subsidiaire, en ce que l’article 55/5
de la loi du 15 décembre 1980 impose de vérifier si les circonstances qui ont justifié l’octroi du statut de protection subsidiaire perdurent.
-B-
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1. La question préjudicielle porte sur l’article 13, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers » (ci-après : la loi du 15 décembre 1980), qui concerne la durée de l’autorisation de séjour pour raisons médicales visée à l’article 9ter de la même loi.
B.2.1. L’article 9ter, § 1er, de la loi du 15 décembre 1980 dispose :
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« L’étranger qui séjourne en Belgique qui démontre son identité conformément au § 2 et qui souffre d’une maladie telle qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne, peut demander l’autorisation de séjourner dans le Royaume auprès du ministre ou son délégué.
La demande doit être introduite par pli recommandé auprès du ministre ou son délégué et contient l’adresse de la résidence effective de l’étranger en Belgique.
L’étranger transmet avec la demande tous les renseignements utiles et récents concernant sa maladie et les possibilités et l’accessibilité de traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne.
Il transmet un certificat médical type prévu par le Roi, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres. Ce certificat médical datant de moins de trois mois précédant le dépôt de la demande indique la maladie, son degré de gravité et le traitement estimé nécessaire.
L’appréciation du risque visé à l’alinéa 1er, des possibilités de traitement, leur accessibilité dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne et de la maladie, son degré de gravité et le traitement estimé nécessaire indiqués dans le certificat médical, est effectuée par un fonctionnaire médecin ou un médecin désigné par le ministre ou son délégué qui rend un avis à ce sujet. Ce médecin peut, s’il l’estime nécessaire, examiner l’étranger et demander l’avis complémentaire d’experts ».
B.2.2. L’article 13, § 1er, alinéas 1er et 2, de la loi du 15 décembre 1980 dispose :
« Sauf prévision expresse inverse, l’autorisation de séjour est donnée pour une durée limitée, soit fixée par la présente loi, soit en raison de circonstances particulières propres à l’intéressé, soit en rapport avec la nature ou la durée des prestations qu’il doit effectuer en Belgique.
L’autorisation de séjour donnée pour une durée limitée sur la base de l’article 9ter devient illimitée à l’expiration de la période de cinq ans suivant la demande d’autorisation ».
B.3.1. L’article 13, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 15 décembre 1980 fixe le principe de la durée limitée de l’autorisation de séjour.
Selon les travaux préparatoires de la loi du 15 septembre 2006 « modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers » (ci-après : la loi du 15 septembre 2006), ce principe résulte du constat que la
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prolongation du séjour est le plus souvent soumise à certaines conditions, notamment l’évolution de la maladie en ce qui concerne une personne malade :
« En ce qui concerne l’autorisation de séjour, l’article 13, § 1er, procède à un renversement de la règle actuelle. Il est en effet prévu dans l’article 13 actuel que l’autorisation de séjour est donnée pour une durée illimitée à moins qu’elle ne fixe expressément une limite en raison de circonstances particulières propres à l’intéressé ou en rapport avec la nature ou la durée des prestations qu’il doit effectuer en Belgique. En pratique, toutefois, force est de constater que l’autorisation de séjour est très rarement délivrée pour une durée illimitée, la prolongation du séjour de l’intéressé étant le plus souvent soumise à certaines conditions (renouvellement du permis de travail ou de la carte professionnelle en ce qui concerne un travailleur, poursuite de la cohabitation en ce qui concerne un concubin, évolution de la maladie en ce qui concerne une personne malade, trouver un emploi en ce qui concerne un grand nombre d’étrangers auxquels une autorisation de séjour provisoire est accordée…).
C’est la raison pour laquelle il a été décidé d’adapter la loi afin de la rendre plus conforme à la réalité. Il n’en reste pas moins qu’une autorisation de séjour pourra toujours être accordée pour une durée illimitée » (Doc. parl., Chambre, 2005-2006, DOC 51-2478/001, p. 70).
B.3.2. L’article 13, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980, tel qu’il est interprété par la juridiction a quo, prévoit que, lorsque le séjour de l’étranger a été autorisé pendant cinq ans par une ou plusieurs autorisations à durée limitée octroyées sur la base de l’article 9ter de la même loi, la durée du séjour devient illimitée.
Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 15 septembre 2006 que cette disposition a été introduite à la suite d’une observation de la section de législation du Conseil d’État, selon laquelle les étrangers autorisés au séjour sur la base de l’article 9ter, qui étaient considérés par le législateur comme des bénéficiaires de la protection subsidiaire, devaient être traités de la même manière que ces derniers :
« L’article 13, § 1er, alinéa 2, nouveau fait suite à une observation du Conseil d’État relative au fait que les étrangers autorisés au séjour sur la base de l’article 9ter sont également des bénéficiaires du statut de protection subsidiaire: il prévoit que ces personnes ont, comme les autres bénéficiaires de la protection subsidiaire, également droit à une autorisation de séjour pour une durée illimitée à l’expiration d’une période de 5 ans suivant leur demande » (ibid.).
Par la suite, l’assimilation des étrangers autorisés au séjour pour raisons médicales aux bénéficiaires du statut de protection subsidiaire a toutefois été infirmée par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 18 décembre 2014 en cause de M’Bodj (grande chambre, C-542/13, ECLI:EU:C:2014:2452), par lequel celle-ci a considéré que les personnes qui sont
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autorisées au séjour pour raisons médicales sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 ne relèvent pas du statut de la protection subsidiaire, à moins que soit en cause une privation de soins infligée intentionnellement à ces personnes dans leur pays d’origine ou dans le pays où elles séjournaient auparavant.
Lors des travaux préparatoires de la loi du 15 septembre 2006, outre la référence à la protection subsidiaire, le ministre compétent a également relevé que la période de cinq ans prévue à l’article 13, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 constitue « un délai raisonnable au cours duquel des changements peuvent intervenir dans une situation » (Doc.
parl., Chambre, 2005-2006, DOC 51-2478/008, p. 377).
Quant au fond
B.4. La Cour est interrogée sur la compatibilité de l’article 13, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 avec les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Il ressort du libellé de la question préjudicielle et des motifs de la décision de renvoi que la Cour est invitée à comparer deux catégories d’étrangers auxquels une autorisation de séjour à durée limitée a été octroyée sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 et qui en ont demandé le renouvellement. La première catégorie est constituée de ceux qui, à la suite de renouvellements successifs de leur autorisation, sont autorisés au séjour sur la base de l’article 9ter depuis cinq années à dater de la demande initiale. La seconde catégorie est constituée de ceux qui, dans l’attente d’une décision sur leur demande de renouvellement, sont, dans l’interprétation de la juridiction a quo, provisoirement autorisés au séjour en vertu de l’article 33 de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers » et qui comptabilisent cinq années de séjour légal depuis la demande initiale. Seuls les étrangers relevant de la première catégorie peuvent bénéficier du droit au séjour à durée illimitée sur la base de la disposition en cause.
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B.5.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination.
B.5.2. L’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit également le principe d’égalité et de non-discrimination en ce qui concerne la jouissance des droits et libertés mentionnés dans cette Convention et dans ses protocoles additionnels.
B.5.3. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.6.1. Le Constituant a recherché la plus grande concordance possible entre l’article 22 de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).
La portée de cet article 8 est analogue à celle de la disposition constitutionnelle précitée, de sorte que les garanties que fournissent ces deux dispositions forment un tout indissociable.
B.6.2. Les droits que garantissent l’article 22 de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne sont pas absolus. Bien que l’article 22 de la Constitution reconnaisse à chacun le droit au respect de sa vie privée et familiale, cette disposition ajoute en effet immédiatement : « sauf dans les cas et conditions fixés par la loi ».
Les dispositions précitées exigent que toute ingérence des autorités dans le droit au respect de la vie privée et familiale soit prescrite par une disposition législative, suffisamment précise, qu’elle corresponde à un besoin social impérieux et qu’elle soit proportionnée à l’objectif légitime poursuivi.
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B.7.1. Le Conseil des ministres fait valoir que les catégories d’étrangers mentionnées en B.4 ne sont pas comparables, dès lors que seuls les étrangers relevant de la première catégorie ont bénéficié, à la suite du contrôle de l’évolution de leur situation médicale, du renouvellement de leur autorisation de séjour sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980.
B.7.2. Les catégories d’étrangers mentionnées en B.4 sont suffisamment comparables au regard de la mesure en cause, dès lors qu’il s’agit d’étrangers dont la demande initiale d’autorisation de séjour sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 a été déclarée recevable et fondée, qui ont demandé le renouvellement de leur autorisation de séjour et qui, certes sur des fondements différents, ont séjourné légalement sur le territoire pendant une période de cinq ans depuis la demande initiale.
B.8. C’est au législateur qu’il appartient de mener une politique concernant l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers et de prévoir à cet égard, dans le respect du principe d’égalité et de non-discrimination, les mesures nécessaires qui peuvent notamment porter sur la fixation des conditions auxquelles le séjour d’un étranger en Belgique est légal ou non. Le fait qu’il en découle une différence de traitement entre étrangers est la conséquence logique de la mise en œuvre de ladite politique.
B.9. La différence de traitement en cause repose sur un critère de distinction objectif, à savoir le fait que l’étranger a ou non été autorisé au séjour pendant cinq années sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980.
B.10. Le législateur a raisonnablement pu estimer que l’autorisation de séjour sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 doit, dans un premier temps, être octroyée pour une durée limitée, afin de contrôler périodiquement si les raisons médicales qui fondent l’autorisation de séjour persistent. La procédure de demande sur la base de l’article 9ter se distingue en effet d’autres procédures de demande par la nature de l’examen qui doit être effectué et qui, dans les travaux préparatoires de la loi du 15 septembre 2006, est qualifié d’« objectif » car il se fonde sur des constatations médicales (Doc. parl., Chambre, 2005-2006,
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DOC 51-2478/001, p. 10). Il ressort de ce qui est dit en B.3.2 que le législateur a estimé que la durée de cinq ans constitue un délai raisonnable au cours duquel des changements peuvent intervenir dans la situation de l’étranger. Le législateur a dès lors raisonnablement pu prévoir que, si les raisons médicales qui fondent l’autorisation de séjour ont persisté pendant cinq années, un tel contrôle périodique ne s’impose plus au-delà de ce délai de cinq ans et la durée de l’autorisation de séjour devient illimitée. Le fait que l’étranger a été autorisé au séjour pendant cinq années sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 implique nécessairement que les raisons médicales qui fondent l’autorisation de séjour ont persisté durant cette période. Un tel constat ne découle en revanche pas de la situation où l’étranger a obtenu une autorisation de séjour à durée limitée sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, où il en a ensuite demandé le renouvellement et où il est provisoirement autorisé au séjour dans l’attente d’une décision sur sa demande de renouvellement, et ce, même si la durée de séjour légal atteint alors cinq années. Il ressort par ailleurs des travaux préparatoires de la loi du 15 septembre 2006 que l’article 9ter doit également être vu comme un meilleur encadrement de la procédure sur la base de circonstances exceptionnelles d’ordre médical, telle qu’elle était auparavant prévue à l’article 9, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980, et que le législateur avait pour objectif de décourager « l’abus de diverses procédures ou l’introduction de demandes de régularisation successives dans lesquelles des éléments identiques sont invoqués » (Doc.
parl., Chambre, 2005-2006, DOC 51-2478/001, p. 12). Il s’ensuit que le critère de distinction sur lequel repose la différence de traitement en cause est pertinent.
B.11. Enfin, la disposition en cause ne produit pas d’effets disproportionnés pour les étrangers qui ont obtenu une autorisation de séjour à durée limitée sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, qui en ont demandé le renouvellement, qui sont provisoirement autorisés au séjour dans l’attente d’une décision sur leur demande de renouvellement et qui comptabilisent cinq années de séjour légal depuis leur demande initiale.
Dans le cas où l’autorisation de séjour est renouvelée, ce renouvellement a effet rétroactif, de sorte que la période durant laquelle le séjour était provisoirement autorisé dans l’attente d’une décision sur la demande de renouvellement est rétroactivement réputée avoir été autorisée
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sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 et est dès lors prise en compte pour le calcul du délai de cinq ans prévu par la disposition en cause.
Dans le cas où le renouvellement de l’autorisation de séjour est refusé et où la même période n’est dès lors pas prise en compte pour le calcul du délai de cinq ans prévu par la disposition en cause, il y a lieu de constater, en ce qui concerne spécifiquement le droit au respect de la vie privée et familiale, qu’il existe d’autres bases légales d’admission au séjour qui permettent d’assurer la protection de ce droit.
B.12. L’article 13, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 est compatible avec les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 13, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers » ne viole pas les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 15 février 2024.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 23/2024
Date de la décision : 15/02/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 28/02/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-02-15;23.2024 ?

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