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08/02/2024 | BELGIQUE | N°20/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 08 février 2024, 20/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 20/2024
du 8 février 2024
Numéro du rôle : 7961
En cause : les questions préjudicielles concernant l’article 53, alinéa 2, des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970, posées par le Tribunal du travail d’Anvers, division d’Anvers.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut

, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 20/2024
du 8 février 2024
Numéro du rôle : 7961
En cause : les questions préjudicielles concernant l’article 53, alinéa 2, des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970, posées par le Tribunal du travail d’Anvers, division d’Anvers.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par jugement du 23 mars 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 28 mars 2023, le Tribunal du travail d’Anvers, division d’Anvers, a posé les questions préjudicielles suivantes :
« - L’article 53, alinéa 2, des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée du 17 février 1994, en ce qu’il comporte une différence de traitement qui consiste en ce que les actions en paiement d’indemnités intentées par les victimes d’une maladie professionnelle - occupées dans le secteur public - se prescrivent par trois ans à dater de la notification de l’acte juridique administratif contesté (article 20, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public), alors que les victimes d’une maladie professionnelle - occupées dans le secteur privé - doivent soumettre au tribunal du travail compétent les actes juridiques administratifs contestés, à peine de déchéance, dans l’année de leur notification ?
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- L’article 53, alinéa 2, des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée du 17 février 1994, en ce qu’il comporte une différence de traitement qui consiste en ce que les actions en paiement d’indemnités intentées par les victimes d’un accident du travail - occupées dans le secteur privé - se prescrivent par trois ans à dater de la notification de la décision de déclaration de guérison (article 69, alinéa 1er et dernier alinéa, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail), alors que les victimes d’une maladie professionnelle - occupées dans le secteur privé - doivent soumettre au tribunal du travail compétent les actes juridiques administratifs contestés, à peine de déchéance, dans l’année de leur notification ?
- L’article 53, alinéa 2, des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée du 17 février 1994, en ce qu’il comporte une différence de traitement qui consiste en ce que les victimes d’une maladie professionnelle - occupées dans le secteur public - disposent d’un délai de prescription pour agir en justice (article 20, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public), alors que les victimes d’une maladie professionnelle - occupées dans le secteur privé - disposent d’un délai de déchéance pour agir en justice ?
- L’article 53, alinéa 2, des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée du 17 février 1994, en ce qu’il comporte une différence de traitement qui consiste en ce que les victimes d’un accident du travail - occupées dans le secteur privé - disposent d’un délai de prescription pour agir en justice (article 69, alinéa 1er et dernier alinéa, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail), alors que les victimes d’une maladie professionnelle - occupées dans le secteur privé - disposent d’un délai de déchéance pour agir en justice ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- Samir Boumaaza, assisté et représenté par Me H. Schyvens, avocat au barreau d’Anvers;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me L. Vandenplas, avocate au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 6 décembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs D. Pieters et K. Jadin, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
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Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le 10 mars 2020, Samir Boumaaza introduit auprès de Fedris (Agence fédérale des risques professionnels)
une demande de reconnaissance d’une affection comme maladie professionnelle et d’octroi d’une indemnité. Cette demande est rejetée par une décision expédiée par lettre recommandée le 14 juillet 2020, qui mentionne la possibilité de recours ainsi que les modalités de celle-ci. Le 25 janvier 2022, Samir Boumaaza introduit devant le Tribunal du travail d’Anvers, division d’Anvers, un recours contre la décision de rejet. En réponse à l’exception de tardiveté soulevée par Fedris, Samir Boumaaza demande que soient posées à la Cour les deux premières questions préjudicielles. La juridiction a quo fait droit à cette demande, mais modifie le texte des deux premières questions et pose, en outre, d’office les troisième et quatrième questions préjudicielles.
III. En droit
-A-
A.1. Selon Samir Boumaaza, l’on n’aperçoit pas en quoi les différences de traitement mentionnées dans les questions préjudicielles seraient raisonnablement justifiées. Cela vaut tant en ce qui concerne les délais différents que les natures différentes de ceux-ci, à savoir les délais de déchéance et de prescription. Il renvoie à cet égard à la jurisprudence de la Cour de cassation. D’autres distinctions éventuelles entre les procédures ne justifient pas les différences en cause.
A.2. Le Conseil des ministres examine en détail la genèse des différents régimes qui sont comparés dans les questions préjudicielles. Les différences mentionnées dans ces questions sont fondées sur un critère objectif, à savoir les différentes procédures délimitées. La jurisprudence de la Cour de cassation à laquelle Samir Boumaaza fait référence n’est pas pertinente dans ce contexte. Il en va de même du renvoi à l’arrêt de la Cour constitutionnelle n° 102/2009 du 18 juin 2009 (ECLI:BE:GHCC:2009:ARR.102). La violation qui y est constatée est en effet basée sur une incohérence au sein du système spécifique d’indemnisation des accidents du travail survenant dans le secteur privé, et non sur une comparaison avec d’autres systèmes, qui suivent leur propre logique. Le délai de déchéance d’un an est plus long que le délai standard en matière de sécurité sociale, qui est de trois mois. En outre, la force majeure peut être invoquée aussi à l’égard d’un délai de déchéance. Le délai de déchéance, qui est mentionné explicitement dans la décision de Fedris, est clair et prévisible et il n’est pas trop court. La disposition en cause ne produit donc pas des effets disproportionnés pour les intéressés. Enfin, le Conseil des ministres souligne qu’il est réducteur de comparer uniquement les délais différents, sans tenir compte du fait que les délais concernés ont des points de départ différents.
-B-
B.1.1. Les questions préjudicielles portent sur le régime des maladies professionnelles dans le secteur privé, qui est prévu dans les lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970 (ci-après : les lois coordonnées). Celles-ci énoncent, en leur article 1er, qu’elles ont pour
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but de régler la réparation des dommages qui résultent de telles maladies et de promouvoir la prévention de celles-ci.
Fedris (Agence fédérale des risques professionnels) est compétente pour statuer sur toute demande de réparation ainsi que sur toute demande de révision d’indemnités acquises.
B.1.2. Le délai pour introduire des contestations relatives aux décisions de Fedris est réglé à l’article 53, alinéa 2, des lois coordonnées. L’article 53, alinéa 2, des lois coordonnées, tel qu’il est applicable dans l’affaire devant la juridiction a quo, dispose :
« Sans préjudice des dispositions de l’article 44, § 3, en matière de répétition de l’indû, les actes juridiques administratifs contestés doivent, à peine de déchéance, être soumis par la victime ou ses ayants droit au tribunal du travail compétent, dans l’année de leur notification.
Les dépens sont entièrement mis à charge de Fedris, sauf si la demande est téméraire et vexatoire ».
B.1.3. Le délai dont dispose le demandeur pour introduire un recours auprès du tribunal du travail contre une décision de refus de Fedris n’a pas fait l’objet de commentaires particuliers dans les travaux préparatoires des lois qui l’ont fixé.
Le délai de déchéance d’un an fixé à l’article 53 des lois coordonnées pour introduire un recours contre les décisions prises par Fedris dans le cadre de ces lois trouve son origine dans l’article 50 de la loi du 24 décembre 1963 « relative à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles et de la prévention de celles-ci », alors explicité comme suit :
« Les recours sont ouverts à la victime et à ses ayants droit. Ils doivent être introduits dans l’année suivant la date de la notification de la décision administrative » (Doc. parl., Sénat, 1962-1963, n° 237, p. 37).
B.2. Dans les première et troisième questions préjudicielles, il est demandé à la Cour de comparer le délai de déchéance d’un an, précité, avec la réglementation prévue à l’article 20, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1967 « sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public » (ci-après : la loi du 3 juillet 1967), qui dispose que
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l’action en paiement d’indemnités intentée par les victimes d’une maladie professionnelle qui sont occupées dans le secteur public se prescrit par trois ans à dater de la notification de l’acte juridique administratif contesté.
L’article 20, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1967 dispose :
« Les actions en paiement des indemnités se prescrivent par trois ans à dater de la notification de l’acte juridique administratif contesté. Les actions en paiement des allocations d’aggravation de l’incapacité permanente de travail et des allocations de décès se prescrivent trois ans après le premier jour qui suit la période de paiement à laquelle elles se rapportent, pour autant que le délai de prescription d’une éventuelle action principale en paiement des indemnités afférentes à cette période ne soit pas écoulé ».
B.3. Dans les deuxième et quatrième questions préjudicielles, il est demandé à la Cour de comparer le délai de déchéance mentionné à l’article 53, alinéa 2, des lois coordonnées avec les règles prévues à l’article 69, alinéas 1er et 6, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail (ci-après : la loi du 10 avril 1971), en ce que cet article dispose que l’action en paiement d’indemnités intentée par les victimes d’un accident du travail qui sont occupées dans le secteur privé se prescrit par trois ans à dater de la notification de la décision de déclaration de guérison, ainsi qu’en ce qu’il prévoit que les victimes d’un accident du travail qui sont occupées dans le secteur privé disposent d’un délai de prescription pour agir en justice.
L’article 69, alinéas 1er et 6, de la loi du 10 avril 1971 dispose :
« L’action en paiement des indemnités se prescrit par trois ans. L’action en répétition d’indemnités indues se prescrit par trois ans.
[…]
Dans les cas visés à l’article 24, alinéa 1er, l’action en paiement des indemnités se prescrit par trois ans à dater de la notification de la décision de déclaration de guérison ».
B.4. En substance, la Cour est interrogée sur la compatibilité de l’article 53, alinéa 2, des lois coordonnées avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que cette disposition prévoit un délai de déchéance d’un an pour introduire un recours contre la décision de refus de Fedris, alors que tant l’article 20, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1967 que l’article 69, alinéas 1er et 6, de la loi du 10 avril 1971 prévoient un délai de prescription (troisième et quatrième questions
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préjudicielles) de trois ans (première et deuxième questions préjudicielles). La Cour examine les questions conjointement.
B.5. La différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui découle de l’application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes n’est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l’application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.
B.6.1. Les différences objectives entre les différentes catégories de travailleurs concernées ainsi que les différences objectives qui existent entre les maladies professionnelles et les accidents du travail justifient qu’ils soient soumis à des systèmes différents, de sorte qu’il est admissible que la comparaison trait pour trait des deux systèmes fasse apparaître des différences de traitement, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, sous la réserve que chaque règle doit être conforme à la logique du système auquel elle appartient.
B.6.2. La logique propre de chaque système justifie que des différences existent, notamment en ce qui concerne les règles de procédure, le niveau et les modalités d’indemnisation. C’est au législateur qu’il appartient de décider si une plus grande équivalence est souhaitable et de déterminer à quel moment et de quelle manière une plus grande uniformité entre les différentes réglementations doit se traduire par des mesures concrètes.
B.6.3. Compte tenu de la logique propre des trois régimes comparés et de la nature des demandes en cause, il n’est pas porté une atteinte injustifiée aux droits du demandeur qui souhaite introduire devant le tribunal du travail un recours dirigé contre une décision de refus le concernant.
Comme le souligne le Conseil des ministres dans son mémoire, le délai de trois mois constitue le délai usuel de recours contre des décisions prises par les institutions de sécurité sociale.
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L’article 23 de la loi du 11 avril 1995 « visant à instituer ‘ la charte ’ de l’assuré social »
dispose en effet :
« Sans préjudice des délais plus favorables résultant des législations spécifiques, les recours contre les décisions prises par les institutions de sécurité sociale compétentes en matière d’octroi, de paiement ou de récupération de prestations, doivent, à peine de déchéance, être introduits dans les trois mois de leur notification ou de la prise de connaissance de la décision par l’assuré social en cas d’absence de notification.
Sans préjudice des délais plus favorables résultant des législations spécifiques, tout recours en reconnaissance d’un droit à l’encontre d’une institution de sécurité sociale doit également, à peine de déchéance, être introduit dans un délai de trois mois à dater de la constatation de la carence de l’institution ».
Le législateur a toutefois estimé qu’un délai plus long s’imposait pour l’introduction d’un recours contre les décisions de Fedris prises dans le cadre des lois coordonnées. Cette procédure implique en effet la reconnaissance d’une maladie dont il s’agit de prouver qu’elle est liée à l’exercice d’une profession et qu’elle a engendré une perte de revenus dont le montant doit lui-
même être évalué, et dont les symptômes peuvent encore évoluer.
À la lumière de ces éléments, un délai d’un an n’est pas déraisonnable, compte tenu notamment du principe général de droit selon lequel la rigueur de la loi peut être tempérée en cas de force majeure ou d’erreur invincible, principe auquel la disposition en cause n’a pas dérogé.
B.7. L’article 53, alinéa 2, des lois coordonnées est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 53, alinéa 2, des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 8 février 2024.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 20/2024
Date de la décision : 08/02/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 21/02/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-02-08;20.2024 ?

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