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08/02/2024 | BELGIQUE | N°18/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 08 février 2024, 18/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 18/2024
du 8 février 2024
Numéros du rôle : 7934, 7967, 7968, 7969, 7970 et 7971
En cause : les questions préjudicielles concernant l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière », tel qu’il a été remplacé par l’article 29, 2°, de la loi du 28 novembre 2021, posées par le tribunal correctionnel du Hainaut, division de Mons.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et D. P

ieters, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après e...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 18/2024
du 8 février 2024
Numéros du rôle : 7934, 7967, 7968, 7969, 7970 et 7971
En cause : les questions préjudicielles concernant l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière », tel qu’il a été remplacé par l’article 29, 2°, de la loi du 28 novembre 2021, posées par le tribunal correctionnel du Hainaut, division de Mons.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et D. Pieters, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
a. Par jugement du 31 janvier 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 16 février 2023, le tribunal correctionnel du Hainaut, division de Mons, a posé les questions préjudicielles suivantes :
« L’article 65/1 § 2 de la Loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière tel que remplacé par la loi du 28 novembre 2021, dans l’interprétation selon laquelle il s’applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et aux recours introduits avant son entrée en vigueur, viole-t-il les dispositions consacrant les droits et libertés fondamentaux garantis par le titre II de la Constitution (notamment les articles 10, 11, 13 et 14 de la Constitution) et les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que les requérants, sous l’empire de la loi ancienne, sur leur propre recours pouvaient, dans la configuration la plus défavorable pour eux, voir l’ordre de paiement devenir exécutoire ce qui n’aggravait pas leur situation, tandis que sous l’empire de la loi nouvelle, leur propre recours, introduit avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, aggrave leur situation en mettant en mouvement l’action publique, de sorte qu’ils se voient appliquer la loi pénale avec inscription potentielle au casier judiciaire.
L’article 65/1 § 2 de la Loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière tel que remplacé par la loi du 28 novembre 2021, viole[-t-il] ou pas les dispositions consacrant
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les droits et libertés fondamentaux garantis par le titre II de la Constitution (notamment les articles 10, 11, 13 et 14 de la Constitution) et les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que les requérants, sur leur propre recours, aggravent quasi-
certainement leur situation en mettant eux-mêmes en mouvement l’action publique à leur encontre et se voient appliquer la loi pénale avec une inscription très probable au casier judiciaire ? ».
b. Par cinq jugements du 21 mars 2023, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour le 6 avril 2023, le tribunal correctionnel du Hainaut, division de Mons, a posé les questions préjudicielles suivantes :
« L’article 65/1 § 2 de la Loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière tel que remplacé par la loi du 28 novembre 2021, dans l’interprétation selon laquelle il s’applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et aux recours introduits même après son entrée en vigueur, viole-t-il les dispositions consacrant les droits et libertés fondamentaux garantis par le titre II de la Constitution (notamment les articles 10, 11, 13 et 14 de la Constitution) et les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que les requérants, sous l’empire de la loi ancienne, sur leur propre recours pouvaient, dans la configuration la plus défavorable pour eux, voir l’ordre de paiement devenir exécutoire ce qui n’aggravait pas leur situation, tandis que sous l’empire de la loi nouvelle, leur propre recours, même introduit après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi pour des faits commis antérieurement, aggrave leur situation en mettant en mouvement l’action publique, de sorte qu’ils se voient appliquer la loi pénale avec inscription potentielle au casier judiciaire ?
L’article 65/1 § 2 de la Loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière tel que remplacé par la loi du 28 novembre 2021, viole-t-il les dispositions consacrant les droits et libertés fondamentaux garantis par le titre II de la Constitution (notamment les articles 10, 11, 13 et 14 de la Constitution) et les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que les requérants, sur leur propre recours, aggravent quasi-certainement leur situation en mettant eux-mêmes en mouvement l’action publique à leur encontre et se voient appliquer la loi pénale avec une inscription très probable au casier judiciaire ? ».
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7934, 7967, 7968, 7969, 7970 et 7971 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me P. Schaffner, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit des mémoires.
Par ordonnance du 6 décembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs M. Pâques et Y. Kherbache, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins que le Conseil des ministres n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendu, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et les affaires seraient mises en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, les affaires ont été mises en délibéré.
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Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Les litiges au fond dans les affaires nos 7934, 7967, 7968, 7969, 7970 et 7971 concernent des personnes qui, pour avoir commis une infraction routière, ont reçu une proposition de perception immédiate d’une certaine somme, un rappel relatif à cette proposition, ainsi qu’une proposition de transaction ou, en ce qui concerne l’affaire n° 7969, directement une proposition de transaction. Aucune suite n’ayant été donnée à ces propositions, le ministère public a ensuite adressé à ces personnes un ordre de paiement d’une certaine somme, en application de l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière » (ci-après : la loi du 16 mars 1968). Conformément à l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, les intéressés ont introduit un recours contre ces ordres de paiement devant le Tribunal de police du Hainaut, division de Mons. Le ministère public a interjeté appel des jugements du Tribunal de police devant le Tribunal de première instance du Hainaut, division de Mons, lequel a jugé qu’avant qu’il soit statué sur le fond des affaires, il s’indiquait de poser à la Cour les questions préjudicielles reproduites plus haut.
III. En droit
-A-
A.1. Le Conseil des ministres observe que les questions préjudicielles visent, outre les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, « les dispositions consacrant les droits et libertés fondamentaux garantis par le titre II de la Constitution (notamment les articles 10, 11, 13 et 14 de la Constitution) » et affirme que, dès lors que l’indication précise des normes de contrôle est une condition de recevabilité des questions préjudicielles devant la Cour, l’analyse de la Cour doit se limiter au respect des articles de la Constitution expressément cités par la juridiction a quo, soit, en ce qui concerne la Constitution, ses seuls articles 10, 11, 13 et 14.
A.2.1. En ce qui concerne plus particulièrement la première question préjudicielle, le Conseil des ministres fait valoir, à titre principal, que cette question n’appelle pas de réponse car elle est fondée sur une prémisse erronée, selon laquelle la compétence attribuée par la disposition en cause au tribunal de police, ainsi qu’au tribunal correctionnel en cas d’appel, aurait été étendue par la loi du 28 novembre 2021 « visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme » (ci-après : la loi du 28 novembre 2021).
Le Conseil des ministres soutient qu’une telle interprétation de la disposition en cause est manifestement erronée car cette disposition a toujours permis au tribunal saisi de la contestation relative à l’ordre de paiement de connaître de l’affaire au fond, ce qui apparaît clairement à la lecture des travaux préparatoires de cette disposition et au regard de sa ratio legis. Le Conseil des ministres se réfère également aux arguments formulés – avant l’adoption et l’entrée en vigueur de la loi du 28 novembre 2021 – par le ministère public devant la juridiction a quo dans l’affaire n° 7934, au sujet d’une série d’éléments textuels et contextuels traduisant l’intention du législateur de prévoir que le tribunal de police saisi d’un recours contre un ordre de paiement soit compétent pour connaître du fond de l’affaire.
A.2.2. Le Conseil des ministres fait encore valoir qu’indépendamment de ce qui précède, la première question préjudicielle repose sur une lecture manifestement erronée du texte de loi, en ce que la juridiction a quo indique que, alors que sur la base de la loi précédente, l’ordre de paiement devenait exécutoire si le recours était déclaré recevable mais non fondé, la disposition en cause prévoyait, au contraire, expressément que « si le recours est déclaré recevable, l’ordre de paiement est réputé non avenu ».
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A.3.1. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres soutient que, même dans l’interprétation que lui donne la juridiction a quo, la disposition en cause n’est pas incompatible avec les normes de contrôle invoquées. La disposition en cause est une loi de procédure, de sorte qu’il convient, au regard de la jurisprudence de la Cour, de vérifier si son application immédiate aux litiges en cause est valablement justifiée et si cette application immédiate est susceptible de produire des effets disproportionnés.
A.3.2. Le Conseil des ministres indique que l’objectif poursuivi par le législateur, à savoir éviter que les amendes restent impayées et soulager les tribunaux et parquets de police, est légitime et ne pourrait être atteint si le justiciable qui introduit un recours contre un ordre de paiement n’avait rien à perdre en introduisant ce recours, ce qui justifie que la règle selon laquelle le tribunal saisi du recours connaît du fond de l’affaire soit appliquée immédiatement à toutes les affaires en cours.
Le Conseil des ministres affirme également que l’application immédiate de la loi nouvelle ne porte pas atteinte au principe de la confiance légitime, dès lors que, nonobstant le fait que certaines juridictions ont interprété différemment cette disposition, la volonté du législateur a toujours été claire, de sorte que le requérant qui conteste l’ordre de paiement reçu sait qu’en introduisant un tel recours, il s’expose à la mise en œuvre de l’action publique.
Le Conseil des ministres indique encore que l’application de la disposition en cause ne produit pas des effets disproportionnés, dès lors que le requérant peut se désister du recours qu’il a introduit contre l’ordre de paiement.
A.3.3. Le Conseil des ministres déduit de ces arguments que la disposition en cause ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.4. Le Conseil des ministres soutient ensuite que la norme en cause ne viole pas les articles 13 et 14 de la Constitution car, outre le fait qu’il s’agit d’une disposition légale, elle n’a ni pour objet, ni pour effet de distraire le requérant de la juridiction que la loi lui assigne. Les peines qui sont, le cas échéant, infligées par la juridiction concernée à l’issue de la procédure enclenchée par le recours le sont par ailleurs en vertu de la loi pénale.
A.5. Enfin, en ce qui concerne la question de la compatibilité de la norme en cause avec les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, le Conseil des ministres soutient, en ordre principal, que, si la disposition en cause est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, il n’y a pas lieu d’effectuer un contrôle isolé au regard des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme. En ordre subsidiaire, le Conseil des ministres soutient qu’au vu des objectifs légitimes poursuivis par le législateur et de l’absence d’effets disproportionnés, la disposition en cause est compatible avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme car elle ne restreint pas l’accès des justiciables à un tribunal à un point tel que ce droit serait atteint dans sa substance même. Il ajoute que cette disposition n’est pas non plus incompatible avec l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme car celui-ci ne s’applique pas aux lois de procédure.
A.6.1. En ce qui concerne la seconde question préjudicielle, le Conseil des ministres fait valoir qu’elle est fondée sur une prémisse erronée, selon laquelle, dans le régime de la disposition en cause, le justiciable qui introduit un recours contre un ordre de paiement aggrave « quasi-certainement » sa situation. Le Conseil des ministres soutient que, dans de nombreux cas, le justiciable voit sa situation s’améliorer, par exemple s’il conteste avec succès les faits qui lui sont reprochés, de sorte qu’il est acquitté et que l’ordre de paiement est déclaré non avenu.
A.6.2. Le Conseil des ministres estime encore que la juridiction a quo perd de vue que c’est le propre d’une procédure juridictionnelle de présenter une part d’aléas, et il soutient que l’objectif du législateur de soulager les juridictions pénales ne serait pas atteint si le justiciable n’avait rien à perdre, mais tout à gagner, en introduisant un recours contre un ordre de paiement.
A.6.3. Le Conseil des ministres soutient également que la disposition en cause n’est pas incompatible avec les normes de référence invoquées car l’objectif précité du législateur est légitime. Enfin, il considère que la mesure n’ébranle pas la confiance des justiciables et ne produit aucun effet disproportionné, dès lors que le justiciable peut toujours se désister de son recours.
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-B–
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1. L’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière » (ci-après : la loi du 16 mars 1968) porte sur l’ordre de paiement que le procureur du Roi peut, sous certaines conditions, donner à des personnes qui ont commis une infraction de roulage.
Cet article, tel qu’il a été modifié en dernier lieu par l’article 29 de la loi du 28 novembre 2021 « visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme » (ci-après : la loi du 28 novembre 2021), dispose :
« § 1er. Lorsque la somme d’argent visée à l’article 216bis, § 1er, du Code d’Instruction criminelle n’a pas été payée dans le délai fixé, le procureur du Roi peut donner ordre au contrevenant de payer la somme prévue pour cette infraction, majorée de 35 % et le cas échéant de la contribution au Fonds spécial d’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels. En outre, une redevance administrative de 25,32 euros, telle que visée au titre 4 de la loi-programme du 21 juin 2021, est également perçue. Le montant de cette redevance administrative est automatiquement adapté le 1er janvier de chaque année en fonction de l’évolution de l’indice des prix à la consommation du mois de novembre de l’année précédente. Les paiements effectués par le contrevenant sont d’abord affectés à la contribution au Fonds spécial d’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels, et ensuite à cette redevance administrative. Le procureur du Roi fixe les modalités de paiement.
Le paiement doit être effectué dans un délai de trente jours suivant le jour de la réception de l’ordre.
[...]
Le paiement effectué dans le délai indiqué éteint l’action publique.
§ 2. Celui qui a reçu l’ordre de paiement ou son avocat peut, dans les trente jours suivant le jour de la réception de celui-ci, introduire un recours contre l’ordre de paiement auprès du tribunal de police compétent selon le lieu de l’infraction. Le recours est introduit par requête déposée au greffe du tribunal de police compétent ou par envoi recommandé ou par courrier électronique, adressés au greffe. Dans ces derniers cas, la date d’envoi de l’envoi recommandé ou du courrier électronique a valeur de date d’introduction de la requête. L’envoi recommandé est réputé avoir été envoyé le troisième jour ouvrable précédant sa réception au greffe.
[...]
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Le requérant est convoqué par le greffier, par pli judiciaire, par envoi recommandé ou conformément à l’article 32ter du Code judiciaire, dans les trente jours de l’inscription de la requête au registre, à comparaître à l’audience fixée par le juge. Le greffier adresse au ministère public la copie de la requête et lui indique la date d’audience.
Par le recours, la chambre pénale du Tribunal de police est saisie de l’intégralité de la cause et examine préalablement la recevabilité du recours.
Si le recours est déclaré recevable, l’ordre de paiement est réputé non avenu. Le tribunal examine au fond les infractions qui fondent l’ordre de paiement et, si celles-ci s’avèrent établies, fait application de la loi pénale.
La personne condamnée par défaut peut former opposition au jugement conformément à la procédure visée à l’article 187 du Code d’instruction criminelle.
Le jugement rendu par le tribunal de la police est susceptible d’appel selon des dispositions prévues par le Code d’instruction criminelle.
[...] ».
B.2.1. À l’origine, l’ordre de paiement a été instauré par la loi du 22 avril 2012 « visant à instaurer l’ordre de paiement pour les infractions à la législation sur la circulation routière » (ci-
après : la loi du 22 avril 2012) et visait à « éviter que des amendes restent impayées et à soulager les parquets de police » (Doc. parl, Chambre, 2011-2012, DOC 53-2074/002, p. 3) :
« L’ordre de paiement est intercalé après la perception immédiate et éventuellement la transaction et avant la citation devant le tribunal de police, sans que le contrevenant ne perde le moindre droit ni que les compétences du tribunal soient réduites » (ibid.).
Les travaux préparatoires de la loi-programme du 25 décembre 2016, qui a remplacé l’article 65/1 inséré dans la loi du 16 mars 1968 par la loi du 22 avril 2012, exposent :
« [C’]est la dernière étape dans la procédure de l’extinction éventuelle de l’action publique moyennant le paiement d’une somme » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2208/001, p. 28).
B.2.2. L’économie de procédure constituait donc l’une des raisons de l’introduction de l’ordre de paiement dans la loi du 16 mars 1968. Le contrevenant qui ne paie pas et qui n’accepte pas une proposition de transaction reçoit un ordre de paiement, que le procureur du
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Roi peut, après un délai de 30 jours, déclarer exécutoire de plein droit, ce qui signifie que le procureur du Roi ne doit pas s’adresser au juge pénal pour contraindre le contrevenant au paiement effectif.
L’ordre de paiement constitue en principe le cinquième rappel pour payer. Ainsi, « [le]
contrevenant reçoit une perception immédiate, un rappel, une proposition de transaction et de nouveau un rappel avant que l’ordre de paiement soit promulgué » (Doc. parl., Chambre, 2016-
2017, DOC 54-2208/001, p. 29). Le contrevenant a donc déjà eu, en principe à plusieurs reprises, la possibilité de mettre un terme à l’action publique en payant l’amende routière.
B.3.1. L’ordre de paiement peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal de police. En cas de recours, tant le contrevenant que le procureur du Roi sont informés de la date d’audience (article 65/1, § 2, alinéa 6, de la loi du 16 mars 1968).
B.3.2. En ce qui concerne le pouvoir d’appréciation du tribunal de police en cas de recours contre un ordre de paiement, l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, tel qu’il était applicable avant sa modification par la loi du 28 novembre 2021, disposait uniquement que « [si] le recours est déclaré recevable, l’ordre de paiement est réputé non avenu ».
B.3.3. Ce texte de loi a donné lieu à des interprétations divergentes dans la jurisprudence des tribunaux de police et des tribunaux correctionnels en ce qui concerne le pouvoir d’appréciation de la juridiction qui connaît du recours introduit contre un ordre de paiement. La Cour de cassation, elle, a jugé, par un arrêt du 1er juin 2021 :
« 3. Bien que le système de l’ordre de paiement entende contribuer à l’application de la législation sur la circulation routière, il ne tend pas à infliger une peine au sens de l’article 1er du Code pénal, mais uniquement à créer un titre exécutoire. La décision d’imposer un ordre de paiement et de suivre la procédure y relative ne met pas l’action publique en mouvement et la procédure de réclamation contenue dans l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 ne saurait dès lors avoir pour conséquence que le tribunal de police ou, en degré d’appel, le tribunal correctionnel prenne connaissance de l’action publique pour les faits pour lesquels l’ordre de paiement a été imposé. La circonstance qu’un ordre de paiement exécutoire peut constituer une peine au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ou que, si le SPF Finances ne peut pas procéder dans les trois ans au recouvrement de l’ordre de paiement déclaré exécutoire, le ministère public peut, conformément à l’article 65/1, § 10, de la loi du 16 mars 1968, suspendre le droit de conduire du contrevenant n’y change rien.
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4. Il découle des objectifs du système élaboré par l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968
et des travaux préparatoires de cette disposition, qui font apparaître que le tribunal de police examine le recours quant au fond, qu’indépendamment de ce que prévoient les alinéas 6 et 7 de l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, le tribunal de police et, en degré d’appel, le tribunal correctionnel doivent, dans le cadre d’un recours introduit sur la base de l’article 65, § 2, de la loi du 16 mars 1968, examiner :
- si le recours introduit par voie de requête satisfait aux conditions de délai et de forme contenues dans l’article 65, § 1er, alinéas 1er et 2, de la loi du 16 mars 1968;
- si les conditions contenues dans l’article 65/1, § 1er, de la loi du 16 mars 1968 concernant l’imposition de l’ordre de paiement et sa notification sont réunies;
- s’il est établi que la personne à laquelle l’ordre de paiement a été imposé a commis les faits sur la base desquels l’ordre a été imposé, ce qui suppose qu’il convient d’examiner si les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis, si ces faits peuvent être imputés à la personne considérée comme le contrevenant et si la somme pour laquelle le ministère public a imposé l’ordre de paiement est légale.
5. Il appartient au juge de décider, à la lumière de cet examen, si le recours de la personne à laquelle l’ordre de paiement a été imposé :
- est irrecevable, ce qui a pour effet que, dès que la décision du juge est définitive, l’ordre de paiement devient exécutoire;
- est recevable mais non fondé, ce qui a également pour effet que, dès que la décision du juge est définitive, l’ordre de paiement devient exécutoire;
- est recevable et fondé, ce qui a pour effet que l’ordre de paiement doit être réputé non avenu. Il appartient dans ce cas au ministère public d’examiner si, pour les faits pour lesquels l’ordre de paiement a été imposé, à la lumière de la décision du juge, l’action publique peut encore être enclenchée et il appartient ensuite au juge pénal saisi le cas échéant de cette action publique de statuer à cet égard.
6. Le fait d’admettre, sur la base d’une lecture littérale de l’article 65/1, § 2, alinéas 6 et 7, de la loi du 16 mars 1968, que le juge doit limiter son examen du recours visé par l’article 65/1, § 2, alinéas 1er et 2, de la loi du 16 mars 1968 à l’examen de la recevabilité de ce recours et que toute déclaration de recevabilité d’un tel recours a automatiquement pour effet que l’ordre de paiement est non avenu est non seulement contraire à la genèse de ce système, mais le priverait en outre de sens. Un recours recevable qui, selon la volonté du législateur, doit être motivé suffirait, indépendamment des motifs sur lesquels il repose, pour priver l’ordre de paiement de tout effet. Telle ne saurait avoir été l’intention du législateur » (traduction libre) (Cass., 1er juin 2021, P.21.0325.N. ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20210601.2N.5; voy. aussi, dans un sens similaire, Cass., 22 juin 2021, P.21.0478.N, ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20210622.2N.17).
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B.3.4. Par la loi du 28 novembre 2021, le législateur a eu pour objectifs de « rationaliser la procédure de recours contre l’ordre de paiement » et, vu l’insécurité juridique créée par « des controverses dans la jurisprudence », de « clarifier un certain nombre de points ». Constatant notamment que l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 était interprété « par de nombreux juges comme leur imposant de ne juger que sur la recevabilité et non sur le fond de l’affaire », le législateur a souhaité « prévoir explicitement que le juge est également compétent pour statuer directement sur le fond de l’affaire » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-
2175/001, pp. 31 et 32).
B.3.5. Depuis sa modification par la loi du 28 novembre 2021, l’article 65/1, § 2, alinéa 7, de la loi du 16 mars 1968 dispose expressément que, par le recours contre l’ordre de paiement, « la chambre pénale du Tribunal de police est saisie de l’intégralité de la cause et examine préalablement la recevabilité du recours ». L’article 147bis du Code d’instruction criminelle, inséré par la loi du 28 novembre 2021, dispose également que « [le] tribunal de police est saisi par le recours contre l’ordre de paiement ».
Selon l’article 65/1, § 2, alinéa 8, de la loi du 16 mars 1968, l’ordre de paiement est réputé non avenu si le recours est déclaré recevable et le tribunal « examine au fond les infractions qui fondent l’ordre de paiement et, si celles-ci s’avèrent établies, fait application de la loi pénale ».
Quant au fond
B.4.1. Par ses questions préjudicielles, la juridiction a quo demande à la Cour si l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, tel qu’il a été remplacé par la loi du 28 novembre 2021, est compatible avec « les dispositions consacrant les droits et libertés fondamentaux garantis par le titre II de la Constitution (notamment les articles 10, 11, 13 et 14 de la Constitution) et les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme ».
B.4.2. La motivation des jugements de renvoi ne permet pas de déduire quelles « dispositions consacrant les droits et libertés fondamentaux garantis par le titre II de la Constitution » autres que les dispositions qui sont énumérées par la juridiction a quo sont susceptibles d’être violées par la disposition en cause. On peut toutefois considérer que
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l’article 12, alinéa 2, de la Constitution est aussi implicitement visé. La Cour limite donc son examen à la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10, 11, 12, alinéa 2, 13 et 14 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En ce qui concerne la seconde question préjudicielle
B.5. Par sa seconde question préjudicielle dans les affaires nos 7934, 7967, 7968, 7969, 7970 et 7971, la juridiction a quo interroge la Cour sur la constitutionnalité de l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, tel qu’il a été remplacé par la loi du 28 novembre 2021, en ce que les requérants qui introduisent un recours contre un ordre de paiement sur la base de cette disposition voient « quasi-certainement » leur situation s’aggraver puisqu’ils mettent en mouvement l’action publique et se voient appliquer la loi pénale, avec « une inscription très probable au casier judiciaire ».
B.6.1. La Cour, par ses arrêts nos 50/2023 (ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.050) et 95/2023
(ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.095), a répondu à une question préjudicielle analogue :
« B.4. Par leur première question préjudicielle, les juridictions a quo demandent à la Cour si l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 est compatible avec les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que le justiciable, en introduisant un recours contre un ordre de paiement, ‘ engage nécessairement l’action publique contre lui-même ’.
B.5.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.5.2. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine : les règles constitutionnelles de l’égalité et de la
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non-discrimination sont applicables à l’égard de tous les droits et de toutes les libertés, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique.
B.6.1. L’article 13 de la Constitution dispose :
‘ Nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne ’.
Le droit d’accès au juge serait vidé de tout contenu s’il n’était pas satisfait aux exigences du procès équitable, garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, par l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par un principe général de droit. Par conséquent, lors d’un contrôle au regard de l’article 13 de la Constitution, il convient de tenir compte de ces garanties.
B.6.2. Le droit d’accès au juge, tel qu’il est garanti, entre autres, par l’article 13 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, n’est pas absolu et peut être soumis à des limitations, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours, pour autant que de telles restrictions ne portent pas atteinte à l’essence de ce droit et pour autant qu’elles soient proportionnées à un but légitime.
Le droit d’accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de sécurité juridique et de bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente (CEDH, 27 juillet 2006, Efstathiou e.a. c. Grèce, CE:ECHR:2006:0727JUD003699802, § 24;
24 février 2009, L’Erablière ASBL c. Belgique, CE:ECHR:2009:0224JUD004923007, § 35).
B.6.3. Selon l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, toute personne accusée d’une infraction pénale a droit ‘ [à] ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable ’.
B.6.4. Même s’ils ne sont pas expressément mentionnés dans l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, le droit de garder le silence et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont ‘ des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable consacrée par l’article 6, § 1 ’ (CEDH, 5 avril 2012, Chambaz c. Suisse, ECLI:CE:ECHR:2012:0405JUD001166304, § 52).
Le droit de ne pas témoigner contre soi-même concerne au premier chef le respect de la volonté d’un accusé de garder le silence et présuppose que l’autorité publique cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou l’oppression, au mépris de la volonté de l’accusé (CEDH, grande chambre, 13 septembre 2016, Ibrahim e.a. c. Royaume-Uni, ECLI:CE:ECHR:2016:0913JUD005054108, § 266). Ce droit constitue une protection contre l’obtention d’éléments de preuve par la contrainte ou l’oppression, mais n’est pas absolu :
‘ Toutefois, le droit de ne pas témoigner contre soi-même n’est pas absolu [...]. Le degré de contrainte appliqué sera incompatible avec l’article 6 s’il atteint ce droit dans sa substance même [...]. Mais toutes les formes de contrainte directe ne vident pas automatiquement ce droit de sa substance même pour conduire ainsi à une violation de l’article 6 [...]. Ce qui est crucial
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dans ce contexte, c’est l’usage qui est fait au cours du procès pénal des éléments recueillis sous la contrainte [...] ’ (ibid., § 269).
B.7.1. Dès lors que, par le recours contre un ordre de paiement, la chambre pénale du tribunal de police est saisie de ‘ l’intégralité ’ de la cause et dès lors que ce tribunal doit examiner ‘ au fond ’ les infractions qui fondent l’ordre de paiement et, si celles-ci s’avèrent établies, doit faire application de la loi pénale, l’introduction d’un tel recours a pour effet de mettre en mouvement l’action publique. Toutefois, contrairement à ce que les juridictions a quo semblent soutenir, la circonstance que l’introduction du recours enclenche l’action publique ne permet pas de déduire que le justiciable engage l’action publique contre lui-même. Comme il est dit en B.3.1, en cas de recours contre un ordre de paiement, tant le requérant que le procureur du Roi sont informés de la date d’audience, et c’est au procureur du Roi qu’il appartient d’exercer l’action publique.
B.7.2. Comme il est dit en B.2.2, l’économie de procédure constituait l’une des raisons de l’introduction de l’ordre de paiement dans la loi du 16 mars 1968. Il s’avère que la procédure de recours contre un tel ordre, telle qu’elle a été précisée par la loi du 28 novembre 2021, a elle aussi été dictée par des motifs d’économie de procédure. Il ressort en effet des travaux préparatoires cités en B.3.4 que le législateur a voulu éviter que la juridiction qui connaît du recours contre un ordre de paiement doive renvoyer l’affaire au ministère public lorsqu’elle juge ce recours recevable, après quoi le ministère public devrait à nouveau saisir le tribunal de police pour faire examiner l’affaire quant au fond.
B.7.3. La disposition en cause est pertinente au regard de l’objectif poursuivi. Le législateur a pu considérer que, lorsque le ministère public estime qu’un ordre de paiement doit être adressé à un justiciable, il estime de même qu’en cas de contestation de cet ordre, il existe des motifs pour citer ce justiciable devant le juge pénal. L’ordre de paiement crée en effet un titre exécutoire, qui permet à l’autorité publique de réclamer au justiciable la somme due sans l’intervention d’un juge, sauf en cas de recours contre cet ordre. Le législateur a donc également pu considérer que l’action publique doit être mise en mouvement lorsque le justiciable conteste l’ordre de paiement.
B.7.4. Comme il est dit en B.2.2, le justiciable concerné a déjà eu à plusieurs reprises la possibilité de mettre un terme à l’action publique avant de recevoir l’ordre de paiement, et ce, à l’occasion des propositions de perception immédiate et de transaction qui lui ont été faites.
Dans ces circonstances, le justiciable ne peut raisonnablement s’attendre à pouvoir contester devant un juge l’ordre de paiement qui suit ces propositions sans que ce même juge puisse examiner l’affaire quant au fond.
B.7.5. Ni la disposition en cause, ni aucune autre disposition législative ne permettent de déduire que, dans la procédure devant la juridiction qui doit statuer sur le recours contre l’ordre de paiement, le justiciable ne pourrait pas se prévaloir du droit à ne pas être forcé de témoigner contre lui-même ou de s’avouer coupable, garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Par ailleurs, aucune disposition législative n’autorise le ministère
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public à obtenir des éléments de preuve en violation des dispositions conventionnelles précitées.
Le cas échéant, il appartient à la juridiction qui connaît du recours contre l’ordre de paiement d’apprécier si les éléments de preuve soumis par le ministère public satisfont aux exigences découlant de ces dispositions conventionnelles et, à défaut, d’y réserver les suites qui s’imposent.
B.7.6. Enfin, il y a lieu de rappeler que la Cour, par son arrêt n° 14/2022 du 3 février 2022
(ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.014), a jugé que l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, dans l’interprétation selon laquelle le requérant ne peut pas se désister du recours qu’il a introduit contre l’ordre de paiement, n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, mais que cette disposition peut également être interprétée en ce sens que le requérant peut se désister du recours qu’il a introduit contre l’ordre de paiement, auquel cas cette disposition est compatible avec les articles constitutionnels précités. Il en résulte que le justiciable qui introduit un recours contre l’ordre de paiement peut en principe se désister de son recours. Tout désistement du recours introduit a pour effet de rendre exécutoire l’ordre de paiement du procureur du Roi et, lorsque cet ordre est exécuté, de mettre un terme à l’exercice de l’action publique.
B.7.7. Compte tenu de ce qui est dit en B.7.4 à B.7.6, la disposition en cause ne produit pas d’effets disproportionnés.
B.8. L’examen de la première question préjudicielle dans les affaires nos 7784, 7785, 7786, 7815 et 7816 n’aboutit pas à un constat d’incompatibilité de l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 avec les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ».
B.6.2. Pour les mêmes motifs, la disposition en cause est compatible avec les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.7. Par la même question préjudicielle, la juridiction a quo demande aussi à la Cour si la disposition en cause est compatible avec les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.8.1. L’article 12, alinéa 2, de la Constitution dispose que « nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit ». Les principes de légalité et de prévisibilité de la procédure pénale énoncés par cette disposition garantissent à tout citoyen qu’il ne peut faire l’objet de poursuites que selon une procédure établie par la loi et dont il peut prendre connaissance avant sa mise en œuvre.
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B.8.2. L’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, tel qu’il a été remplacé par la loi du 28 novembre 2021, constitue une loi de procédure en matière pénale et, à ce titre, est soumis aux exigences de légalité et de prévisibilité contenues dans l’article 12, alinéa 2, de la Constitution.
La disposition, de nature législative, est rédigée en termes clairs et précis et ne porte pas atteinte à la sécurité juridique des justiciables, qui peuvent savoir, à partir de son libellé, à quels risques ils s’exposent en introduisant un recours contre un ordre de paiement en application de cette disposition, et savoir en particulier que leur situation risque d’être aggravée du fait de l’application de la loi pénale.
B.9.1. L’article 14 de la Constitution dispose que « nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi ». L’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que « nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international » et qu’« il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ».
B.9.2. L’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, tel qu’il a été remplacé par la loi du 28 novembre 2021, constitue une loi de procédure et ne règle ni incrimination, ni peine. Il ne saurait dès lors porter atteinte à l’article 14 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.10. L’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, tel qu’il a été remplacé par la loi du 28 novembre 2021, en ce qu’il prévoit que la juridiction saisie d’un recours contre un ordre de paiement « examine au fond les infractions qui fondent l’ordre de paiement et, si celles-ci s’avèrent établies, fait application de la loi pénale », est compatible avec les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.
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En ce qui concerne la première question préjudicielle
B.11.1. Par sa première question préjudicielle dans l’affaire n° 7934, la juridiction a quo interroge la Cour sur la constitutionnalité de l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, tel qu’il a été remplacé par la loi du 28 novembre 2021, dans l’interprétation selon laquelle il s’applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et aux recours introduits avant son entrée en vigueur, en ce que les justiciables qui introduisaient un recours contre un ordre de paiement sous l’empire de la loi ancienne risquaient seulement, « dans la configuration la plus défavorable pour eux », de voir l’ordre de paiement devenir exécutoire à la suite de leur recours, ce qui n’aggravait pas leur situation, tandis que, sous l’empire de la loi nouvelle, leur recours, introduit avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, met en mouvement l’action publique, de sorte qu’ils se voient appliquer la loi pénale avec un risque d’inscription au casier judiciaire, ce qui peut aggraver leur situation. La Cour est interrogée, plus précisément, sur la compatibilité de cette disposition avec les articles 10, 11, 12, alinéa 2, 13 et 14 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.11.2. Par sa première question préjudicielle dans les affaires nos 7967, 7968, 7969, 7970
et 7971, la juridiction a quo pose à la Cour une question presque identique, à cette différence près que sont visés les justiciables ayant introduit leur recours après l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi.
B.11.3. La Cour est ainsi interrogée sur la différence de traitement que l’application immédiate du nouvel article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 a fait naître entre, d’une part, les justiciables dont le recours a été traité sous l’empire de la loi ancienne et, d’autre part, les justiciables dont le recours doit être traité sous l’empire de la loi nouvelle, alors que les faits qui leur sont reprochés se sont produits avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, voire que leur recours a été introduit avant cette entrée en vigueur.
B.12.1. Le Conseil des ministres soutient, à titre principal, que cette question préjudicielle n’appelle pas de réponse car elle est fondée sur une prémisse erronée. Le Conseil des ministres estime, en effet, que la disposition en cause permettait déjà avant sa modification par la loi du 28 novembre 2021 à la juridiction saisie du recours contre un ordre de paiement de connaître
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du fond de l’affaire, et que l’interprétation en sens inverse que lui donne la juridiction a quo est manifestement erronée. Le Conseil des ministres fait également valoir que c’est à tort que la juridiction a quo indique que, sur la base de la loi précédente, l’ordre de paiement devenait exécutoire si le recours était déclaré recevable mais non fondé, alors que la disposition en cause prévoyait, au contraire, expressément que « si le recours est déclaré recevable, l’ordre de paiement est réputé non avenu ».
B.12.2. La disposition dont le Conseil des ministres allègue qu’elle est interprétée de manière manifestement erronée par la juridiction a quo n’est pas la disposition en cause, mais la disposition qui s’appliquait antérieurement, à savoir l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, avant sa modification par la loi du 28 novembre 2021.
Même si l’interprétation retenue par la juridiction a quo était considérée comme manifestement erronée, cela ne changerait rien à la circonstance que cette interprétation a été retenue par diverses cours et divers tribunaux et a permis aux justiciables d’avoir, en pratique, une chance de ne risquer, comme l’indique la juridiction a quo, que de « voir l’ordre de paiement devenir exécutoire, ce qui n’aggravait pas leur situation ». Il ressort de la formulation de la question préjudicielle que la Cour est invitée à examiner la constitutionnalité de l’application de la disposition en cause aux procédures en cours, alors même que les faits en cause ont été commis avant l’entrée en vigueur de cette disposition, voire que le recours a été introduit avant cette entrée en vigueur.
L’exception est rejetée.
B.13. La disposition en cause constitue une loi de procédure, de sorte qu’elle est applicable aux procès en cours sans dessaisissement cependant de la juridiction qui, à son degré, en avait été valablement saisie et sauf les exceptions prévues par la loi (article 3 du Code judiciaire). La juridiction a quo demande à la Cour d’en vérifier la constitutionnalité dans l’interprétation selon laquelle cette disposition s’applique aux procédures en cours même lorsque les faits en cause, voire le recours ayant mis la procédure en mouvement, sont antérieurs à son entrée en vigueur.
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B.14. Le propre d’une nouvelle règle est d’établir une distinction entre les personnes qui sont concernées par des situations juridiques qui entraient dans le champ d’application de la règle antérieure et les personnes qui sont concernées par des situations juridiques qui entrent dans le champ d’application de la nouvelle règle. À peine de rendre impossible toute modification de la loi, semblable distinction ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
La juridiction a quo demande à la Cour de comparer la situation des justiciables dont le recours contre un ordre de paiement a été traité sous l’empire de la loi ancienne avec la situation des justiciables dont le recours est traité sous le régime de la disposition en cause, alors même que les faits à l’origine de l’affaire, voire le recours, sont antérieurs à l’entrée en vigueur de cette disposition. Une telle comparaison ne peut conduire au constat d’une violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
B.15. En ce qui concerne la violation éventuelle de l’article 13 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, la juridiction a quo n’expose pas, et il ne se déduit pas des motifs des décisions de renvoi, en quoi l’application immédiate de cette disposition en cause violerait, quant à elle, les garanties précitées.
La question préjudicielle est irrecevable en ce qu’elle vise ces dispositions.
B.16. En ce qui concerne la violation potentielle de l’article 14 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, la disposition en cause ne règle ni incrimination, ni peine. Son application immédiate aux procédures en cours ne viole dès lors pas les dispositions précitées.
B.17.1. L’exigence de prévisibilité de la procédure pénale contenue dans l’article 12, alinéa 2, de la Constitution ne s’oppose en principe pas à l’application immédiate des lois de compétence et de procédure en matière pénale. Il appartient en principe au législateur de régler l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle et de décider de prévoir ou non une dérogation au principe
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général, consacré à l’article 3 du Code judiciaire, de l’application immédiate des lois de procédure.
B.17.2. La disposition en cause ne règle, comme il est dit en B.16, ni incrimination, ni peine. Elle n’est pas non plus liée aux règles relatives à la démonstration de la faute d’une personne qui, en principe, ne peuvent pas être modifiées rétroactivement au détriment de cette personne (voir les arrêts de la Cour nos 153/2018, ECLI:BE:GHCC:2018:ARR.153, B.24.2, et 112/2020, ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.112, B.11).
B.18. L’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, tel qu’il a été remplacé par la loi du 28 novembre 2021, en ce qu’il prévoit que la juridiction saisie d’un recours contre un ordre de paiement « examine au fond les infractions qui fondent l’ordre de paiement et, si celles-ci s’avèrent établies, fait application de la loi pénale », est compatible avec les articles 10, 11, 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
1. L’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière », en ce qu’il prévoit que la juridiction saisie d’un recours contre un ordre de paiement « examine au fond les infractions qui fondent l’ordre de paiement et, si celles-ci s’avèrent établies, fait application de la loi pénale », ne viole pas les articles 10, 11, 12, alinéa 2, 13 et 14
de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.
2. La même disposition, en ce qu’elle s’applique immédiatement aux procédures en cours, ne viole pas les articles 10, 11, 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 8 février 2024.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18/2024
Date de la décision : 08/02/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

1. Non-violation (article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, en ce qu'il prévoit que la juridiction saisie d'un recours contre un ordre de paiement « examine au fond les infractions qui fondent l'ordre de paiement et, si celles-ci s'avèrent établies, fait application de la loi pénale ») 2. Non-violation (la même disposition, en ce qu'elle s'applique immédiatement aux procédures en cours)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - les questions préjudicielles concernant l'article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière », tel qu'il a été remplacé par l'article 29, 2°, de la loi du 28 novembre 2021, posées par le tribunal correctionnel du Hainaut, division de Mons. Procédure pénale - Police de la circulation routière - Ordre de paiement - Recours devant le tribunal de police - Examen de l'affaire au fond - Applicabilité aux procédures en cours


Origine de la décision
Date de l'import : 21/02/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-02-08;18.2024 ?

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