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18/01/2024 | BELGIQUE | N°8/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 18 janvier 2024, 8/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 8/2024
du 18 janvier 2024
Numéro du rôle : 7937
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 6.21 du Code flamand du logement de 2021, posée par le Juge de paix du canton de Furnes.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et M. Plovie, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt s

uivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 14 février 20...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 8/2024
du 18 janvier 2024
Numéro du rôle : 7937
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 6.21 du Code flamand du logement de 2021, posée par le Juge de paix du canton de Furnes.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et M. Plovie, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 14 février 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 20 février 2023, le Juge de paix du canton de Furnes a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 6.21 du Code flamand du logement de 2021 viole-t-il les articles 10, 11, 22 et/ou 23 de la Constitution, interprété en ce sens qu’en ce qui concerne les conditions de propriété qui sont imposées à un locataire dans le cadre de la location d’un logement social, une distinction est établie entre un locataire qui, à la suite d’un héritage et/ou d’un prêt et/ou d’une épargne, acquiert un bien immobilier avec ces fonds et un locataire qui n’utilise pas les fonds dont il hérite et/ou qu’il emprunte et/ou qu’il épargne dans les mêmes circonstances pour acquérir un bien immobilier ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- la SC « Woonmaatschappij IJzer en Zee », assistée et représentée par Me I. Feys, avocat au barreau de Flandre occidentale;
- A.S. et N.M., assistés et représentés par Me D. Waeyaert, avocat au barreau de Flandre occidentale;
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- le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me J. Roets, Me E. Cloots et Me S. Sottiaux, avocats au barreau d’Anvers.
Des mémoires en réponse ont été introduits par :
- la SC « Woonmaatschappij IJzer en Zee »;
- le Gouvernement flamand.
Par ordonnance du 20 septembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs S. de Bethune et T. Giet, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 4 octobre 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 4 octobre 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Avec effet au 1er janvier 2006, la SC « Woonmaatschappij IJzer en Zee » a donné en location, au titre de logement social, un bien immobilier, sis à 8660 Adinkerke, à A.S et à son épouse N.M., pour une durée indéterminée.
Une enquête effectuée par un partenaire externe, la SRL « Focus Handhaving », à la demande de la société de logement social, a révélé que, le 4 novembre 2014, A.S. et N.M. ont acheté une habitation à Angad (Maroc).
Les époux sont chacun propriétaire à 50 % de cette habitation.
Pour ce motif, la SC « Woonmaatschappij IJzer & Zee » a, par lettre recommandée du 21 février 2022, résilié le contrat de bail et mis les locataires en demeure de rembourser la correction sociale obtenue à tort sur le loyer.
Par courrier du 9 mars 2022, les locataires ont signalé qu’ils quitteraient le logement fin mai 2022, sous réserve de tous leurs droits, ce qu’ils ont fait.
Le 1er avril 2022, la SC « Woonmaatschappij IJjzer & Zee » a entamé une procédure contre A.S. et N.M.
devant la Justice de paix du canton de Furnes. La partie demanderesse demande la résiliation du contrat de bail, en application de l’article 6.33, alinéa 1er, 1°, du Code flamand du logement de 2021, lu en combinaison avec l’article 6.21 du même Code. Elle demande également le remboursement de la correction sociale obtenue à tort sur le loyer. Les parties défenderesses n’intentent pas d’action reconventionnelle, mais demandent néanmoins de poser une question préjudicielle à la Cour. Elles font valoir devant la juridiction a quo qu’elles ont payé le bien immeuble avec l’héritage de N.M. à la suite du décès de son père et avec un emprunt que A.S. et N.M. avaient contracté le 6 décembre 2012 auprès d’une banque.
La juridiction a quo constate que les conditions d’inscription et d’admission relatives à un logement locatif social déterminent la mesure dans laquelle le locataire peut posséder des biens immeubles ainsi que les limites du revenu de référence qui ne peuvent pas être dépassées. La juridiction a quo constate par la même occasion qu’il n’est pas tenu compte du patrimoine mobilier « épargné ». Les parties défenderesses dans le litige au fond font valoir qu’en ce qui concerne les conditions de propriété pour obtenir un logement social, il existe une inégalité de traitement entre, d’une part, les personnes qui utilisent des moyens financiers résultant d’un héritage et/ou d’une épargne et/ou d’un emprunt pour acheter un bien immeuble et, d’autre part, les personnes qui se contentent de garder ces mêmes moyens financiers résultant d’un héritage et/ou d’une épargne et/ou d’un emprunt. Elles demandent à la juridiction a quo de poser à la Cour une question préjudicielle à ce sujet. La juridiction a quo
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estime qu’il y a lieu d’accéder à la demande de poser une question préjudicielle au sujet de la différence de traitement précitée.
Ceci a amené la juridiction a quo à poser à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1.1. Le Gouvernement flamand soutient, en ordre principal, que la question préjudicielle est à tout le moins partiellement irrecevable. Il fait valoir que l’interprétation que donne la juridiction a quo à l’article 6.21 du Code flamand du logement de 2021 ne découle manifestement pas (entièrement) du libellé de cette disposition en tant que telle, mais repose sur une appréciation, par la juridiction a quo, de l’exécution de cette disposition par le Gouvernement flamand. Il n’appartient pas à la Cour – sous le prétexte d’une « interprétation » d’une norme décrétale – de se prononcer sur la constitutionnalité ou sur la légalité de la manière dont le Gouvernement flamand a exécuté la norme visée.
Il soutient que la question préjudicielle doit à tout le moins être reformulée en ce sens qu’elle ne porte que sur la question de savoir si la différence de traitement – en ce que l’article 6.21 du Code flamand du logement de 2021, lu en combinaison avec les articles 6.11 et 6.8, § 1er, alinéa 1er, 2°, du même Code, n’autoriserait le Gouvernement flamand qu’à tenir compte du patrimoine immobilier et du revenu des locataires sociaux et non de leur patrimoine mobilier pour fixer les modalités relatives aux conditions d’inscription et d’admission pour obtenir un logement social – est justifiée au regard des articles 10, 11, 22 et/ou 23 de la Constitution.
A.1.2. Le Gouvernement flamand estime ensuite que la question préjudicielle n’appelle pas de réponse, dès lors que celle-ci serait manifestement inutile à la solution du litige au fond. L’application d’une condition en matière de propriété immeuble est en soi objectivement justifiée pour évaluer les besoins en logement des candidats-locataires sociaux. Il est donc tout au plus éventuellement question d’un régime trop restrictif, qui ne peut hypothétiquement donner lieu qu’au constat d’une lacune inconstitutionnelle. Le constat éventuel d’une lacune inconstitutionnelle suppose dans ce cas une intervention du législateur décrétal à l’égard des (candidats-
)locataires sociaux disposant d’un patrimoine mobilier significatif, mais n’a pas pour conséquence qu’il y aurait lieu d’écarter dans le litige au fond l’application de la condition, légitime, en matière de propriété immeuble. La partie demanderesse devant la juridiction a quo se rallie à ce point de vue du Gouvernement flamand.
A.2. Les parties défenderesses devant la juridiction a quo estiment que l’article 6.21 du Code flamand du logement de 2021, qui prévoit la condition selon laquelle les locataires sociaux ne peuvent posséder ni acquérir un bien immeuble en tant que propriétaire, est discriminatoire par rapport à une personne qui, dans les mêmes circonstances, n’utilise pas les moyens financiers à sa disposition pour acheter un bien immeuble, mais les épargne et les investit. Elles estiment que les personnes des deux catégories se trouvent dans des situations financières identiques. Celles-ci disposent du même patrimoine, qu’elles investissent tout simplement de manières différentes.
La distinction entre patrimoine immobilier et mobilier n’est plus pertinente pour répondre aux objectifs. La différence de traitement ainsi invoquée ne saurait être admise. Elles concluent que l’article 6.21 viole les articles 10, 11, 22 et/ou 23 de la Constitution.
A.3.1. En ordre subsidiaire, le Gouvernement flamand estime que la question préjudicielle appelle une réponse négative. Il n’y a pas violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 22 et 23 de la Constitution.
A.3.2. La différence de traitement critiquée repose sur un critère objectif. La condition de possession ou non de biens immeubles constitue un critère permettant de distinguer objectivement, d’une part, la catégorie des personnes qui remplissent la condition en matière de propriété immeuble et, d’autre part, la catégorie des personnes qui ne disposent pas de biens immeubles.
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A.3.3. La distinction est aussi raisonnablement justifiée. En introduisant la condition en matière de propriété immeuble, le législateur décrétal a voulu faire en sorte que, compte tenu de la rareté, inhérente, de moyens publics, le régime locatif social cible en particulier les personnes qui ont le plus besoin d’un logement. Il s’agit d’un objectif légitime d’intérêt général.
Cette condition est par ailleurs pertinente. Une condition d’inscription et d’admission fondée sur la propriété immeuble d’un (candidat-)locataire social constitue un moyen adéquat et pertinent pour évaluer les besoins en logement. Il n’est pas nécessaire de tenir compte directement du patrimoine mobilier. L’on peut en effet considérer qu’une combinaison des critères en matière de propriété immeuble et de revenus, qui prendrait indirectement en considération le patrimoine mobilier, est également adéquate pour évaluer les besoins en logement. La manière dont le patrimoine mobilier est obtenu est en principe peu pertinente. En effet, un capital emprunté ne fait pas partie du patrimoine du locataire social, puisqu’il doit être remboursé, et la capacité d’épargne du locataire dépend effectivement du revenu, dont il est tenu compte. Un solde bancaire positif ou un portefeuille d’investissement génèrent en effet respectivement des intérêts et des dividendes, qui, à partir d’un certain montant ou d’une certaine ampleur, sont qualifiés de « revenus » et, le cas échéant, sont pris en compte en ce qui concerne la condition en matière de revenus.
En outre, la mesure est proportionnée. D’une part, la délégation faite au Gouvernement flamand par le législateur décrétal en ce qui concerne les modalités relatives aux conditions d’inscription et d’admission en matière de propriété immeuble offre suffisamment de marge de manœuvre pour affiner ces conditions afin de délimiter de manière proportionnée le degré de besoin. Du reste, pour examiner si la condition en matière de propriété immeuble est respectée, il est tenu compte notamment du type d’habitation, des effets d’un mariage ou d’un partenariat entre les intéressés et de la possibilité d’aliéner dans un certain délai un bien immeuble obtenu gratuitement. D’autre part, la circonstance que le patrimoine mobilier n’est pris en compte que de manière indirecte n’est pas manifestement disproportionnée à l’objectif légitime poursuivi par le législateur décrétal. Le Gouvernement flamand relève encore qu’une situation exceptionnelle dans laquelle un locataire social, indépendamment de ses revenus, obtiendrait un patrimoine mobilier significatif (par exemple, un héritage) aurait une incidence marginale sur l’égalité d’accès au logement social. Il observe que, sur la base de certains chiffres, on peut considérer par analogie que des personnes qui se trouvent dans une telle situation ont davantage tendance à quitter le système de location sociale, libérant ainsi leur logement social pour d’autres personnes qui en ont besoin. En ordre purement subsidiaire, si, par impossible, la Cour n’était pas convaincue de la pertinence ou du caractère proportionné de la distinction, le Gouvernement flamand soutient que, tout au plus, le régime décrétal en cause peut être trop restrictif en ce qu’il n’inclut pas les locataires sociaux disposant d’un patrimoine mobilier significatif. Il serait question, dans ce cas, d’une lacune inconstitutionnelle, à laquelle le législateur décrétal devrait remédier.
Le Gouvernement flamand indique enfin que le fait que le décret du 21 avril 2023 « modifiant divers décrets relatifs au logement » ait introduit une condition en matière de patrimoine mobilier ne permet pas de déduire que l’ancien régime présentait des lacunes sur le plan constitutionnel.
A.3.4. Le Gouvernement flamand soutient enfin que le droit à un logement décent et le droit au respect de la vie privée et familiale ne sont pas violés non plus. En ce qui concerne le droit à un logement décent, il n’est nullement question d’une réduction significative du degré de protection existant ni, partant, d’une violation de l’obligation de standstill contenue dans l’article 23 de la Constitution. Selon le Gouvernement flamand, le régime en cause vise justement à garantir le droit à un logement décent aux personnes qui en ont le plus besoin. En outre, le régime est pertinent et proportionné à l’objectif légitime d’intérêt général qui est poursuivi. Il n’est pas non plus question d’une ingérence dans le droit au respect de la vie privée. Même à supposer qu’il y ait une ingérence, le régime en cause serait en tout cas pertinent et proportionné à l’objectif poursuivi.
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-B-
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1. La question préjudicielle porte sur l’article 6.21 du Code flamand du logement de 2021.
B.2.1. L’article 6.21 du Code flamand du logement de 2021 dispose :
« Le locataire d’un logement locatif social doit respecter pendant toute la durée du contrat de location les conditions en matière de propriété immeuble énoncées dans la partie 4 du présent livre. Toutefois, le Gouvernement flamand peut accorder des exceptions générales pour des situations particulières et temporaires.
Le Gouvernement flamand fixe les autres conditions auxquelles le locataire d’un logement locatif social doit répondre à tout moment ».
Cette disposition prévoit par conséquent qu’un locataire doit respecter les conditions en matière de propriété immeuble pendant toute la durée du contrat de location. Elle habilite en outre le Gouvernement flamand à fixer les autres conditions auxquelles le locataire social doit satisfaire « à tout moment ».
B.2.2. La partie 4, à laquelle fait référence l’article 6.21 précité, contient les règles relatives aux conditions d’admission et à l’attribution d’habitations sociales de location. Les conditions d’admission sont fixées à l’article 6.11, alinéa 1er, du Code flamand du logement de 2021. Cette disposition renvoie, en ce qui concerne les conditions d’admission, aux règles relatives aux conditions d’inscription pour la location d’un logement social, telles qu’elles sont fixées à l’article 6.8 du Code flamand du logement de 2021.
B.2.3. L’article 6.11, alinéa 1er, du Code flamand du logement de 2021, tel qu’il est applicable dans le litige au fond, dispose :
« Le candidat locataire ne peut être admis à un logement locatif social que s’il remplit les conditions visées à l’article 6.8, § 1, alinéa 1, 1°, 2° et 3° ».
L’article 6.8, § 1er, du Code flamand du logement de 2021, tel qu’il est applicable dans le litige au fond, dispose :
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« Pour pouvoir s’inscrire en vue d’obtenir un logement locatif social, les personnes mentionnées au paragraphe 3 doivent remplir les conditions suivantes :
1° ils sont âgés d’au moins 18 ans;
2° ils satisfont aux conditions en matière de propriété immobilière et de revenus fixées par le Gouvernement flamand;
3° ils sont inscrits dans les registres de la population, visés à l’article 1, § 1, alinéa 1, 1°
de la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population, aux cartes d’identité, aux cartes d’étranger et aux documents de séjour, ou ils sont inscrits à une adresse de référence, visée à l’article 1, § 2 de la loi précitée.
[…]
Le Gouvernement flamand peut arrêter des exceptions à la condition visée à l’alinéa 1, 1° ».
Il résulte de cette disposition que, pour pouvoir prétendre à une habitation sociale de location, un candidat-locataire doit respecter certaines conditions en matière de propriété immobilière et de revenus.
B.2.4. En exécution de l’article 6.8, § 1er, alinéa 1er, 2°, du Code flamand du logement de 2021, le Gouvernement flamand a précisé les conditions d’inscription en matière de propriété immobilière et de revenu d’un candidat-locataire (articles 6.12 à 6.14 de l’arrêté du Gouvernement flamand du 11 septembre 2020 « portant exécution du Code flamand du Logement de 2021 » ; ci-après : l’arrêté du 11 septembre 2020).
L’article 6.12 de l’arrêté du 11 septembre 2020 dispose, en exécution de l’article 6.8, § 1er, alinéa 1er, 2°, du Code flamand du Logement de 2021, que les conditions d’inscription suivantes relatives aux biens immobiliers s’appliquent :
« 1° le candidat locataire potentiel n’a pas de logement ou de parcelle, destinée à la construction de logements, à 100 % ou partiellement en pleine propriété;
2° […] ne dispose pas d’un droit entier ou partiel d’emphytéose, de superficie ou d’usufruit sur un logement ou sur une parcelle, destinée à la construction de logements;
3° […] n’a pas de logement ou de parcelle, destinée à la construction de logements, qui ont été entièrement ou partiellement donnés en emphytéose ou en superficie;
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4° […]n’a pas de logement ou de parcelle, destinée à la construction de logements, qu’il a lui-même donnés entièrement ou partiellement en usufruit;
5° […] n’est ni gérant, ni administrateur ou actionnaire d’une société à laquelle il a apporté des droits réels, tels que visés aux points 1° à 4°;
[…] ».
L’article 6.13 de l’arrêté du 11 septembre 2020 fixe, en exécution de l’article 6.8, § 1er, alinéa 1er, 2°, du Code flamand du Logement de 2021, les plafonds suivants pour le revenu de référence :
« 1° à 20.244 euros pour une personne isolée sans personnes à charge;
2° à 21.940 euros pour une personne isolée handicapée, telle que visée à l’article 6.1, alinéa 1er, 4°, c), et qui n’a pas d’autres personnes à charge;
3° 30.365 euros pour d’autres personnes, majorés de 1697 euros par personne à charge ».
Le revenu de référence ne porte que sur la somme des revenus suivants qui sont perçus dans l’année à laquelle l’avertissement-extrait de rôle le plus récent disponible se rapporte :
a) les revenus imposables globalement et les revenus imposables distinctement, b) le revenu d’intégration sociale, c) l’allocation de remplacement de revenus aux personnes handicapées et d) les revenus professionnels provenant de l’étranger qui sont exonérés d’impôts ou les revenus professionnels obtenus auprès d’une institution européenne ou internationale qui sont exonérés d’impôts (article 6.1, alinéa 1er, 5°, de l’arrêté du 11 septembre 2020).
L’article 6.14 de l’arrêté du 11 septembre 2020 dispose que, par dérogation à l’article 6.12, alinéa 1er, 1° à 4°, un candidat locataire peut toutefois s’inscrire lorsque :
« 1° ensemble avec son conjoint, la personne avec laquelle elle cohabite légalement, son partenaire de fait, son ex-conjoint, la personne avec laquelle elle a cohabité légalement ou son ancien partenaire de fait, elle a un logement ou une parcelle, destinée à la construction de logements, à 100 % en pleine propriété si les personnes mentionnées ne co-occuperont pas le logement locatif social;
2° ensemble avec son conjoint, la personne avec laquelle elle cohabite légalement, son partenaire de fait, son ex-conjoint, la personne avec laquelle elle a cohabité légalement ou son ancien partenaire de fait, elle a un droit entier d’emphytéose, de superficie ou d’usufruit sur un logement ou sur une parcelle, destinée à la construction de logements, si les personnes mentionnées ne co-occuperont pas le logement locatif social;
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3° ensemble avec son conjoint, la personne avec laquelle elle cohabite légalement, son partenaire de fait, son ex-conjoint, la personne avec laquelle elle a cohabité légalement ou son ancien partenaire de fait, elle a donné un logement ou une parcelle, destinée à la construction de logements, entièrement en emphytéose, en superficie ou en usufruit, si les personnes précitées ne co-occuperont pas le logement locatif social;
4° elle a acquis un logement ou une parcelle, destinée à la construction de logements partiellement en pleine propriété à titre gratuit;
5° a acquis partiellement, à titre gratuit, un droit d’emphytéose, de superficie ou de l’usufruit sur un logement ou une parcelle, destiné à la construction de logements;
6° s’il a acquis partiellement, à titre gratuit, un logement ou une parcelle, destinée à la construction de logements sur lesquels un droit d’emphytéose ou un droit de superficie a été donné.
Les logements suivants ne sont pas pris en compte pour l’évaluation de la condition relative à la possession de biens immobiliers, visée à l’article 6.12, alinéa 1er, du présent arrêté :
1° le logement qui a été déclaré inhabitable ou inapproprié au maximum deux mois avant l’inscription;
2° le logement qui n’est pas adapté aux possibilités physiques de personnes handicapées et qui est occupé par une personne atteinte d’un handicap physique qui veut se porter candidat;
3° le logement qui est occupé par une personne handicapée, qui a été inscrite pour un logement AVJ;
4° le logement dans une zone d’affectation spatiale, où le logement n’est pas autorisé;
5° le logement qui doit être évacué en application de l’article 3.30, § 2, alinéa 2, les articles 4.3, 5.25, 5.35, 5.41, 5.46 et l’article 5.88, alinéa 2, du Code flamand du Logement de 2021;
6° le logement qui est occupé par la personne qui veut s’inscrire et qui a perdu la gestion de son logement à la suite d’une déclaration de faillite en application de l’article XX.32 du Code de droit économique ou à la suite d’un règlement collectif de dettes, tel que visé à la partie V, titre IV du Code judiciaire.
[…] ».
Les conditions d’admission en matière de propriété immobilière et de revenus sont les mêmes que les conditions d’inscription en matière de location sociale, de sorte que les articles 6.12 à 6.14 de l’arrêté du 11 septembre 2020 sont aussi applicables au cours de cette phase (article 6.15 de l’arrêté du 11 septembre 2020).
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Quant à la question préjudicielle
B.3. La Cour est interrogée sur la compatibilité de l’article 6.21 du Code flamand du logement de 2021 avec les articles 10 et 11, lus en combinaison ou non avec les articles 22 et 23, de la Constitution, dans l’interprétation selon laquelle, en ce qui concerne les conditions de propriété qui sont imposées à un locataire d’un logement social, une distinction est établie entre un locataire qui, à la suite d’un héritage et/ou d’un prêt et/ou d’une épargne, acquiert un bien immobilier avec ces fonds et un locataire qui n’utilise pas ces mêmes fonds issus d’un héritage et/ou d’un prêt et/ou d’une épargne pour acquérir un bien immobilier.
En ce qui concerne la recevabilité
B.4. Le Gouvernement flamand soutient que la question préjudicielle est irrecevable parce que, d’une part, la Cour est en substance interrogée sur la manière dont le Gouvernement flamand a donné exécution aux conditions de propriété par son arrêté du 11 septembre 2020 et, d’autre part, la réponse à la question préjudicielle n’est manifestement pas utile à la solution du litige au fond.
B.5.1. La juridiction a quo interroge la Cour au sujet de la constitutionnalité de l’article 6.21 du Code flamand du logement de 2021, en particulier sur la différence de traitement relative aux conditions de propriété auxquelles un locataire social doit satisfaire pendant toute la durée de son bail social.
La juridiction a quo compare en l’espèce le statut de propriété d’un locataire social qui, grâce à des moyens qui proviennent d’un héritage et/ou d’un prêt et/ou d’une épargne, acquiert un immeuble, et possède donc un patrimoine immobilier avec le statut de propriété d’un locataire social qui constitue un patrimoine mobilier grâce à ces mêmes moyens. Dans le premier cas, ce statut de propriété entraîne l’application de l’article 6.21, alinéa 1er, du Code flamand du logement de 2021. Dans le second cas, cette disposition ne serait pas applicable.
Ainsi qu’il ressort du considérant B.2.4, les conditions de propriété qui conduisent à la
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qualification de propriété immobilière au sens des obligations qui sont imposées aux locataires sociaux sont fixées aux articles 6.12 et 6.14 de l’arrêté du 11 septembre 2020.
B.5.2. La Cour ne peut se prononcer sur le caractère justifié ou non d’une différence de traitement au regard des dispositions de la Constitution qu’elle est habilitée à faire respecter que si cette différence est imputable à une norme législative.
B.5.3. La disposition décrétale en cause contient effectivement le principe d’une distinction entre les conditions en matière de propriété auxquelles le locataire d’un logement social locatif doit satisfaire. Il s’ensuit que la question préjudicielle relève de la compétence de la Cour.
Les exceptions sont rejetées.
B.6. En l’espèce, la Cour doit se prononcer sur la constitutionnalité des habilitations établies par le législateur décrétal, sans étendre son contrôle à l’usage que le Gouvernement en a fait.
Il résulte de la disposition en cause, en particulier de son alinéa 1er, et des articles 6.11 et 6.8, auxquels l’alinéa 1er de la disposition en cause se réfère en visant « la partie 4 du présent livre », que le locataire d’un logement social locatif doit satisfaire aux « conditions en matière de propriété immeuble » et que le Gouvernement flamand est habilité à fixer ces conditions.
À l’alinéa 2 de la même disposition en cause, le législateur décrétal habilite le Gouvernement flamand à fixer aussi « les autres conditions auxquelles le locataire d’un logement locatif social doit répondre à tout moment », sans toutefois préciser l’objet de ces autres conditions.
B.7.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
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L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.7.2. L’article 22 de la Constitution dispose :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.
La loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent la protection de ce droit ».
B.7.3. Il ressort des travaux préparatoires de l’article 22 de la Constitution que le Constituant a recherché la plus grande concordance possible avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).
B.7.4. L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
B.7.5. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne confère pas un droit au logement (CEDH, grande chambre, 18 janvier 2001, Chapman c. Royaume-Uni, ECLI:CE:ECHR:2001:0118JUD002723895, § 99). Toutefois, dès lors que les États accordent des avantages de ce type ou en privent les justiciables, ils doivent le faire en conformité avec le principe d’égalité (CEDH, 27 septembre 2011, Bah c. Royaume-Uni, ECLI:CE:ECHR:2011:0927JUD005632807, § 40) et respecter le droit à la protection du logement (CEDH, 22 octobre 2009, Paulić c. Croatie,
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ECLI:CE:ECHR:2009:1022JUD000357206). En outre, les conditions qui peuvent être posées en matière de logement touchent aux droits garantis par cette disposition conventionnelle (CEDH, décision, 24 mai 2022, L.F. c. Royaume-Uni, ECLI:CE:ECHR:2022:0524DEC001983921, § 42).
B.7.6. L’article 23 de la Constitution dispose :
« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
Ces droits comprennent notamment :
[…]
3° le droit à un logement décent;
[…] ».
B.8. La différence de traitement soulevée, qui découle de l’article 6.21, alinéa 1er, du Code flamand du logement de 2021, repose sur un critère objectif, à savoir la nature du patrimoine.
B.9. La mesure en cause fait partie du Code flamand du logement de 2021, qui trouve son origine dans le décret de la Région flamande du 15 juillet 1997 « contenant le Code flamand du Logement ». Ce Code règle la politique du logement, notamment la location sociale.
B.10. Le principe général du Code flamand du logement de 2021 consiste à garantir le droit à un logement conforme à la dignité humaine pour chaque citoyen (article 1.5). Toutefois, étant donné que les fonds consacrés à la politique du logement sont limités, l’autorité doit les utiliser de manière sélective pour réaliser ce droit (Doc. parl., Parlement flamand, 1996-1997, n° 654/1, p. 4). En matière de politique du logement, ce principe se matérialise par la sélectivité catégorielle (ibid., pp. 4-5) et par le passage du marché locatif social au marché du logement privé par ceux qui en ont les moyens. (Doc. parl., Parlement flamand, 2015-2016, n° 814/1, p. 5).
13
B.11. La politique du logement consiste notamment à mettre à disposition des habitations sociales de location, à des conditions sociales, par le biais du système de la location sociale (voy. article 1.6, § 1er, alinéa 1er, 1°, du Code flamand du logement de 2021). La mise à disposition d’un logement social entraîne pour le locataire un avantage pécuniaire, financé par des moyens publics, qui consiste en la jouissance d’une habitation pour un loyer qui est inférieur au prix du marché.
B.12. Par l’obligation prévue à l’article 6.21, alinéa 1er, du Code flamand du logement de 2021, le législateur décrétal défend un principe fondamental de la politique du logement social, à savoir l’accès sélectif au ou la sortie du marché locatif social selon que les personnes concernées ont les moyens d’acheter ou de louer un logement sur le marché privé. Le législateur décrétal entendait plus précisément porter une attention particulière aux personnes qui ont le plus besoin d’un logement, aux personnes défavorisées et les plus vulnérables en matière de logement, et ce, en raison de la disponibilité limitée et insuffisante d’habitations sociales de location et de la pénurie inhérente de fonds publics (Doc. parl., Parlement flamand, 1996-1997, n° 654/1, pp. 4 et 40).
Le législateur décrétal poursuit donc des objectifs légitimes.
B.13. Eu égard à ce qui est dit en B.12, le législateur décrétal pouvait fixer des conditions réglant l’accès au et la sortie du marché locatif social.
B.14. En décidant lui-même que des conditions de propriété immobilière à respecter par le locataire doivent être établies par le Gouvernement, le législateur décrétal aborde de manière pertinente la problématique qui lui semble la plus évidente dans le contexte du logement social locatif.
En effet, la propriété d’un bien immobilier permet en principe de réaliser plus simplement le droit au logement sur ses fonds propres, soit en occupant soi-même le bien immeuble concerné, soit en affectant les moyens qui découlent de la location, de l’exploitation ou de la vente du bien immeuble ou du droit réel à une habitation sur le marché privé.
14
Il n’est pas non plus déraisonnable que le législateur décrétal habilite expressément le Gouvernement à fixer des conditions de propriété immobilière et qu’il se borne à l’habiliter à fixer d’autres conditions dont il ne précise pas l’objet.
Pour le surplus, il revient à la juridiction compétente de se prononcer sur la manière dont le Gouvernement a mis en œuvre ces habilitations, et notamment de vérifier que les conditions relatives à la propriété immobilière sont raisonnablement liées, directement ou indirectement, à la possibilité de satisfaire le besoin d’un logement décent.
B.15. L’article 6.21, alinéa 1er, du Code flamand du logement de 2021 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution. L’examen de la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 22 et 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, ne conduit pas à une autre conclusion.
15
Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 6.21, alinéa 1er, du Code flamand du logement de 2021 ne viole pas les articles 10
et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 22 et 23, alinéa 3, 3°, de celle-ci.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 18 janvier 2024.
Le greffier, Le président,
N. Dupont L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 8/2024
Date de la décision : 18/01/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Non-violation (article 6.21, alinéa 1er, du Code flamand du logement de 2021)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle relative à l'article 6.21 du Code flamand du logement de 2021, posée par le Juge de paix du canton de Furnes. Logement social - Région flamande - Obligations du locataire - Conditions de propriété - Habilitation au Gouvernement


Origine de la décision
Date de l'import : 31/01/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-01-18;8.2024 ?

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