Cour constitutionnelle
Arrêt n° 169/2023
du 30 novembre 2023
Numéro du rôle : 7946
En cause : la question préjudicielle relative aux articles 162bis et 194 du Code d’instruction criminelle, posée par la Cour d’appel de Mons.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et M. Plovie, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt du 17 janvier 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 13 mars 2023, la Cour d’appel de Mons a posé la question préjudicielle suivante :
« Les articles 162bis et 194 du Code d’instruction criminelle, qui renvoient à l’article 1022
du Code judiciaire en ce qui concerne la débition d’une indemnité de procédure, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, lu indépendamment ou en combinaison avec les articles 6
et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et/ou l’article 9 de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, lorsqu’ils sont interprétés de manière telle que le Fonctionnaire délégué, agissant sur pied de l’article D.VII.13 du CoDT, ne pourrait pas obtenir une indemnité de procédure à charge du prévenu qui succombe sur la demande du Fonctionnaire délégué ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- le fonctionnaire délégué de la Direction générale opérationnelle de l’Aménagement du territoire, du Logement, du Patrimoine et de l’Énergie du Service public de Wallonie, assistée et représentée par Me P. Moërynck, avocat au barreau de Bruxelles;
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- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me P. Schaffner, avocat au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 20 septembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs K. Jadin et D. Pieters, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 4 octobre 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 4 octobre 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Un homme construit un garage et transforme un bâtiment sans avoir demandé le permis d’urbanisme requis.
Par jugement du 1er février 2022, le tribunal correctionnel du Hainaut, division de Charleroi, le condamne à une amende pour avoir, de ce fait, enfreint diverses dispositions du Code du Développement territorial de la Région wallonne (ci-après : le CoDT). À la demande du fonctionnaire compétent du Service public de Wallonie délégué par le Gouvernement wallon pour le ressort du Hainaut (ci-après : le fonctionnaire délégué), le tribunal condamne aussi le prévenu à une remise en état des lieux et à quelques travaux d’aménagement, en application de l’article D.VII.13 du CoDT. Saisie des appels interjetés contre ce jugement, la Cour d’appel de Mons confirme ces condamnations.
Devant la Cour d’appel, le fonctionnaire délégué, qui est reconnu comme étant une partie à la cause, demande que le prévenu soit, en application de l’article 162bis du Code d’instruction criminelle, condamné à lui payer une indemnité de procédure au sens de l’article 1022 du Code judiciaire. La Cour d’appel observe cependant que, selon la Cour de cassation, ce fonctionnaire n’est pas, dans une affaire comme celle-ci, une partie civile au sens de cette dernière disposition législative, de sorte que le prévenu ne peut être condamné au paiement de l’indemnité réclamée. Tirant argument de trois arrêts de la Cour constitutionnelle (les arrêts n° 68/2015
(ECLI:BE:GHCC:2015:ARR.068) et n° 69/2015 (ECLI:BE:GHCC:2015:ARR.069) du 21 mai 2015, ainsi que l’arrêt n° 34/2016 du 3 mars 2016 (ECLI:BE:GHCC:2016:ARR.034)), le fonctionnaire délégué considère toutefois que l’interprétation que la Cour de cassation donne de l’article 162bis du Code d’instruction criminelle est incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’elle fait naître une différence de traitement discriminatoire. La Cour d’appel décide donc de poser à la Cour la question préjudicielle reproduite ci-dessus.
III. En droit
-A-
A.1. Le fonctionnaire du Service public de Wallonie délégué par le Gouvernement wallon pour le ressort du Hainaut (ci-après : le fonctionnaire délégué) soutient que la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
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A.2.1. Le fonctionnaire délégué souligne d’abord que, bien qu’elle soit exercée dans le cadre d’un procès pénal en vue de défendre l’intérêt général, et plus particulièrement le bon aménagement du territoire, l’action qu’il exerce en application de l’article D.VII.13 du CoDT ne peut être confondue avec l’action publique. Il précise que son action ne met pas l’action publique en mouvement et que son exercice est indépendant de la question de savoir si c’est le ministère public ou la partie civile qui a mis l’action publique en mouvement.
Le fonctionnaire délégué affirme aussi que l’exercice de son action fait de lui une véritable partie au procès pénal.
Il remarque également que son action vise la réparation et non la punition. Il soutient que la question préjudicielle invite à comparer la situation d’une autorité publique qui introduit une action en réparation dans l’intérêt général, avec celle d’une partie civile qui introduit une telle action dans son propre intérêt.
A.2.2. Selon le fonctionnaire délégué, la circonstance qu’il exerce une action qui tend à la sauvegarde de l’intérêt général ne peut justifier que la loi le prive du droit à une indemnité de procédure au sens de l’article 1022
du Code judiciaire.
Le fonctionnaire déduit de trois arrêts que la Cour a rendus le 21 mai 2015 (arrêts nos 68/2015 et 69/2015, précités, et 70/2015 (ECLI:BE:GHCC:2015:ARR.070)) ainsi que de l’arrêt n° 34/2016 du 3 mars 2016 qu’il n’est plus conforme à la Constitution de ne réserver l’octroi éventuel d’une indemnité de procédure qu’aux parties à un procès civil qui ne défendent que leur intérêt personnel. Il considère que cette jurisprudence est également pertinente pour le fonctionnaire délégué agissant dans le cadre du procès pénal dont il est question à l’article D.VII.13 du CoDT, eu égard à la nature de l’action qu’il exerce, à son statut de partie au procès et au fait qu’il pourrait, le cas échéant, formuler la même demande devant un tribunal civil en application de l’article D.VII.22 du CoDT.
A.3. Le Conseil des ministres soutient que la question préjudicielle appelle une réponse négative.
A.4.1. Le Conseil des ministres souligne d’abord que le fonctionnaire délégué agissant dans le cadre défini par l’article D.VII.13 du CoDT n’est pas une partie civile au sens de l’article 162bis, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle puisqu’il agit pour la défense de l’intérêt général, et non pour réparer un dommage qu’il aurait personnellement subi. Il précise que la demande en réparation introduite par ce fonctionnaire est faite au nom de la société, et non pour satisfaire des intérêts particuliers.
A.4.2. Le Conseil des ministres observe que, par l’arrêt n° 135/2009 du 1er septembre 2009
(ECLI:BE:GHCC:2009:ARR.135), la Cour s’est déjà prononcée sur la différence de traitement en cause, entre la partie civile et le fonctionnaire délégué. Il rappelle que cette différence de traitement, qui découle de l’article 162bis, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, a été justifiée par la circonstance que, contrairement à la partie civile, qui agit pour obtenir la réparation de son propre dommage, le fonctionnaire délégué agit pour la sauvegarde de l’intérêt général.
Le Conseil des ministres considère que les arrêts nos 68/2015, 69/2015, 70/2015 et 34/2016 ne remettent pas en cause cette justification, dès lors que leurs motifs ne sont pas pertinents pour répondre à la question préjudicielle.
Le Conseil des ministres observe que ces arrêts ne concernaient pas des règles applicables à la procédure pénale.
Il remarque aussi que, par les arrêts nos 68/2015 et 69/2015, la Cour s’est prononcée sur le droit à une indemnité de procédure dans le contexte d’un recours porté devant une juridiction civile qui a un objet similaire à celui du recours en annulation qui peut être introduit au Conseil d’État, à savoir la contestation de la légalité d’une décision de l’autorité publique.
Le Conseil des ministres note également que la demande du fonctionnaire délégué visée à l’article D.VII.13, alinéa 1er, du CoDT, est une demande en réparation, formulée au nom de la société, qui n’a pas pour objet d’inviter un juge à se prononcer sur l’existence ou la violation d’un droit subjectif. Il en déduit qu’il ne serait pas plus justifié d’attribuer au fonctionnaire délégué qui a obtenu gain de cause sur ce point un droit à une indemnité de procédure à charge du prévenu que d’attribuer un tel droit au ministère public qui obtient gain de cause.
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A.4.3. Le Conseil des ministres soutient enfin que la circonstance que la demande du fonctionnaire délégué visée par l’article D.VII.13 du CoDT peut aussi être formulée devant un tribunal civil en application de l’article D.VII.22 du même Code n’est pas non plus de nature à priver la différence de traitement en cause d’une justification raisonnable. Il estime que la question préjudicielle ne vise pas à comparer la situation du fonctionnaire délégué devant le tribunal correctionnel avec sa situation devant le tribunal civil. Il ajoute que, par l’arrêt n° 36/2013 du 7 mars 2013 (ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.036), la Cour a jugé que les effets de l’action de ce fonctionnaire relatifs au droit à une indemnité de procédure devaient être réglés de la même manière que les effets de l’action publique.
-B-
B.1. L’indemnité de procédure est une « intervention forfaitaire dans les frais et honoraires d’avocat de la partie ayant obtenu gain de cause » (article 1022, alinéa 1er, du Code judiciaire, tel qu’il a été remplacé par l’article 7 de la loi du 21 avril 2007 « relative à la répétibilité des honoraires et des frais d’avocat »).
B.2.1. L’article 162bis du Code d’instruction criminelle est l’une des dispositions législatives qui règlent le déroulement de la procédure devant les tribunaux de police.
Inséré dans ce Code par l’article 9 de la loi précitée du 21 avril 2007 et modifié la dernière fois par l’article 6 de la loi du 18 mars 2018 « modifiant diverses dispositions du droit pénal, de la procédure pénale et du droit judiciaire », cet article 162bis dispose :
« Tout jugement de condamnation rendu contre le prévenu et les personnes civilement responsables de l’infraction les condamnera envers la partie civile à l’indemnité de procédure visée à l’article 1022 du Code judiciaire.
La partie civile qui aura lancé une citation directe ou qui a greffé une action distincte sur une citation directe lancée par une autre partie civile, ou qui, en l’absence de tout recours du ministère public, du prévenu ou du civilement responsable, aura interjeté appel et qui succombera, pourra être condamnée envers le prévenu ainsi qu’envers le civilement responsable à l’indemnité visée à l’article 1022 du Code judiciaire. L’indemnité sera liquidée par le jugement ».
B.2.2. L’article 194 du Code d’instruction criminelle est l’une des dispositions législatives qui règlent le déroulement de la procédure devant les tribunaux correctionnels.
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Depuis sa modification par l’article 10 de la loi du 21 avril 2007, cet article 194 dispose qu’il sera statué « sur l’indemnité visée à l’article 1022 du Code judiciaire conformément à l’article 162bis ».
B.2.3. L’article 211 du Code d’instruction criminelle, qui fait partie des dispositions réglant l’appel des jugements correctionnels, prévoit, depuis sa modification par l’article 11 de la loi du 21 avril 2007, que les « dispositions des articles précédents sur […] la condamnation […] à l’indemnité visée à l’article 1022 du Code judiciaire […] seront communes aux jugements rendus sur l’appel ».
B.3.1. Pour la région de langue française, l’article D.VII.13 du Code du Développement territorial de la Région wallonne (ci-après : le CoDT), qui fait partie du chapitre V (« Poursuite devant le tribunal correctionnel ») du livre VII (« Infractions et sanctions ») de ce Code, dispose :
« Outre la pénalité, le tribunal ordonne, à la demande motivée du fonctionnaire délégué ou du collège communal :
1° soit la remise en état des lieux ou la cessation de l’utilisation abusive;
2° soit l’exécution d’ouvrages ou de travaux d’aménagement pour autant que les actes et travaux ou l’urbanisation à maintenir et les ouvrages ou travaux d’aménagement à exécuter respectent le plan de secteur et les normes du guide régional d’urbanisme, ou respectent les conditions de dérogation au plan de secteur ou aux normes du guide régional d’urbanisme;
3° soit le paiement d’une somme représentative de la plus-value acquise par le bien à la suite de l’infraction pour autant qu’il ne soit ni inscrit sur la liste de sauvegarde, ni classé en vertu du Code wallon du Patrimoine, et que les actes et travaux ou l’urbanisation réalisés en infraction respectent le plan de secteur et les normes du guide régional d’urbanisme, ou respectent les conditions de dérogation au plan de secteur ou aux normes du guide régional d’urbanisme.
La motivation du fonctionnaire délégué ou du collège communal porte notamment sur l’impact du mode de réparation choisi sur l’environnement au regard de l’article D.66 du Livre Ier du Code de l’Environnement et sur le respect des conditions visées à l’alinéa 1er, 2°
ou 3°.
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Le tribunal fixe à cette fin un délai qui, dans les cas visés aux 1° et 2°, ne peut dépasser un an. En cas de condamnation au paiement d’une somme, le tribunal fixe celle-ci à tout ou partie de la plus-value acquise par le bien et ordonne que le condamné puisse s’exécuter valablement en remettant les lieux en état dans le délai d’un an. Le paiement de la somme se fait à un compte spécial du budget de la Région ».
B.3.2. Le « fonctionnaire délégué » dont il est question dans la disposition législative précitée est un fonctionnaire de la « Direction générale opérationnelle Aménagement du Territoire, Logement, Patrimoine et Énergie » du Service public de Wallonie que le Gouvernement wallon a désigné afin d’accomplir certaines missions décrites par le CoDT
(article D.I.3 de ce Code, tel qu’il est applicable en région de langue française).
B.3.3. L’ordre que le tribunal correctionnel donne au prévenu à la demande du fonctionnaire précité, en application de l’article D.VII.13, alinéa 1er, du CoDT, est une « mesure de nature civile ». Cet ordre ressortit cependant à l’action publique, à savoir l’« action pour l’application des peines » aux termes de l’article 1er de la loi du 17 avril 1878 « contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale ». La mesure ainsi ordonnée par le tribunal, qui constitue un complément obligé de la condamnation pénale, ne tend pas à indemniser un dommage causé par l’infraction à des intérêts privés, mais tend à rendre non avenues, dans l’intérêt général, les conséquences d’une infraction (Cass., 29 avril 2015, P.15.0002.F, ECLI:BE:CASS:2015:ARR.20150429.3; 24 mars 2021, P.20.1344.F, ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20210324.2F.5).
B.4. L’indemnité de procédure dont il est question à l’article 162bis du Code d’instruction criminelle, reproduit en B.2.1, ne concerne que l’action civile, soit l’action pour la réparation du dommage causé par une infraction, qui est visée à l’article 3 du titre préliminaire du Code de procédure pénale.
Lorsqu’il est partie à une cause pendante devant le tribunal correctionnel qui connaît d’une demande faite en application de l’article D.VII.13 du CoDT, le fonctionnaire délégué visé en B.3 n’est donc pas une partie civile au sens de l’article 162bis, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle (Cass., 12 mars 2019, P.18.0747.N, ECLI:BE:CASS:2019:ARR.20190312.2).
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B.5. Il ressort de la question préjudicielle, éclairée par les motifs de la décision de renvoi, que la Cour est invitée à examiner si l’article 162bis, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, lu en combinaison avec l’article 194 du même Code, est compatible, entre autres, avec le principe d’égalité et de non-discrimination, tel qu’il découle des articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que ces dispositions législatives feraient naître une différence de traitement discriminatoire entre deux catégories de parties demanderesses à un procès pénal qui obtiennent gain de cause devant le tribunal correctionnel, lorsque cette juridiction est amenée à statuer sur des infractions au CoDT : d’une part, la partie civile, qui a droit à l’indemnité de procédure à charge du prévenu, et, d’autre part, le fonctionnaire délégué qui a formé la demande visée à l’article D.VII.13 du même Code, et qui ne peut obtenir la condamnation du prévenu à une telle indemnité.
B.6. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.7.1. Lorsque, au cours des travaux préparatoires de la loi du 21 avril 2007, la question de l’application de la répétibilité des frais et honoraires d’avocat devant les juridictions répressives a été soulevée, le législateur a jugé qu’il était « plus conforme aux principes d’égalité et de non-discrimination de traiter de manière identique les justiciables qui sollicitent la réparation d’un dommage devant une juridiction civile ou une juridiction répressive ». Le législateur a dès lors choisi « d’étendre le système de la répétibilité dans les relations entre le prévenu (ou l’accusé) et la partie civile » (Doc. parl., Sénat, 2006-2007, n° 3-1686/4, p. 8). En revanche, le législateur a décidé que la répétibilité ne jouerait pas dans les relations entre le prévenu et l’État, représenté par le ministère public. À cet égard, il fut relevé que « le ministère
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public, en exerçant les poursuites, représente l’intérêt général et ne peut dès lors être mis sur le même pied qu’une partie civile qui mettrait seule en mouvement l’action publique pour la défense d’un intérêt particulier » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2891/002, p. 7).
B.7.2. Par la loi du 21 avril 2007, le législateur a dès lors exclu par principe toute répétibilité des frais et honoraires d’avocat dans les relations entre le prévenu et le ministère public.
B.7.3. Par son arrêt n° 182/2008 du 18 décembre 2008 (ECLI:BE:GHCC:2008:ARR.182)
concernant les recours en annulation de la loi du 21 avril 2007, la Cour a jugé que les différences fondamentales entre le ministère public, lequel est chargé, dans l’intérêt de la société, de la recherche et de la poursuite des infractions et exerce l’action publique, et la partie civile, qui défend son intérêt personnel, pouvaient justifier la non-application, à charge de l’État, du système d’indemnisation forfaitaire prévu par la loi du 21 avril 2007.
Le législateur a pu raisonnablement considérer qu’il ne convenait pas, en raison de la mission qui lui est dévolue, d’étendre au ministère public un système selon lequel une indemnité de procédure serait automatiquement due chaque fois que son action reste sans effet.
B.7.4. Par son arrêt n° 83/2011 du 18 mai 2011 (ECLI:BE:GHCC:2011:ARR.083), la Cour a dit pour droit que l’article 1022 du Code judiciaire, avant l’entrée en vigueur de la loi du 21 février 2010 « modifiant les articles 1022 du Code judiciaire et 162bis du Code d’instruction criminelle », violait les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’une indemnité de procédure pouvait être mise à charge de l’État belge lorsque l’auditorat du travail succombait dans son action intentée sur la base de l’article 138bis, § 2, du Code judiciaire.
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Le principe d’égalité et de non-discrimination exigeait, selon la Cour, que ces actions, qui sont intentées par un organe public au nom de l’intérêt général et en toute indépendance, soient traitées de la même manière que les actions pénales.
B.7.5. Un tel régime spécifique se justifie compte tenu, d’une part, de la nature particulière du contentieux pénal, qui a pour objet de poursuivre et de réprimer les infractions et qui ne vise ni à faire constater l’existence ou la violation d’un droit subjectif, ni à statuer, en principe, sur la légalité d’un acte d’une autorité publique, et eu égard, d’autre part, à la mission spécifique dévolue au ministère public ou à l’auditorat du travail en matière pénale - qui sont chargés d’exercer l’action publique au nom de la société.
Enfin, le ministère public et l’auditorat du travail qui, en matière de droit pénal social, assume les fonctions du ministère public (articles 145 et 152 du Code judiciaire) ou qui exerce devant le tribunal du travail l’action prévue par l’article 138bis, § 2, du Code judiciaire, laquelle s’apparente à l’action publique exercée par le ministère public devant les juridictions pénales puisqu’elle a pour objet de constater la commission d’une infraction, voient leurs fonctions consacrées et leur indépendance garantie à l’article 151, § 1er, de la Constitution.
B.7.6. Par ses arrêts nos 68/2015 (ECLI:BE:GHCC:2015:ARR.068), 69/2015
(ECLI:BE:GHCC:2015:ARR.069) et 70/2015 (ECLI:BE:GHCC:2015:ARR.070) du 21 mai 2015, la Cour a reconsidéré, dans son ensemble, sa jurisprudence relative à la répétibilité des frais et honoraires d’avocat dans les litiges portés devant le juge civil et opposant une autorité publique agissant dans l’intérêt général à un particulier. En ce qui concerne les relations entre le prévenu et le ministère public, la Cour a en revanche réaffirmé son arrêt n° 182/2008, dans lequel elle a rejeté les recours en annulation de l’article 162bis du Code d’instruction criminelle, inséré par la loi du 21 avril 2007, pour les motifs indiqués en B.7.5.
La Cour a limité l’exclusion de l’obligation pour la partie succombante de payer une indemnité de procédure aux relations entre le prévenu et le ministère public, d’une part, et à
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l’action de l’auditorat du travail intentée devant le tribunal du travail sur la base de l’article 138bis, § 2, du Code judiciaire, d’autre part, étant donné que cette action s’apparente à l’action publique, puisqu’elle a pour objet de constater la commission d’une infraction et non d’obtenir simplement une réparation de nature civile, et qu’elle éteint de surcroît l’action publique.
B.8. En raison de l’action qui peut être exercée par le fonctionnaire délégué dans le cadre d’une procédure pénale et qui se greffe sur celle du ministère public, le législateur a pu raisonnablement considérer qu’il ne convenait pas d’étendre en sa faveur le système de la répétibilité qu’il a expressément voulu limiter, en matière pénale, aux relations entre le prévenu et la partie civile.
B.9. Il ressort de ce qui précède que l’article 162bis, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, lu en combinaison avec l’article 194 du même Code, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 162bis, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, lu en combinaison avec l’article 194 du même Code, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 30 novembre 2023.
Le greffier, Le président,
N. Dupont P. Nihoul