Cour constitutionnelle
Arrêt n° 166/2023
du 30 novembre 2023
Numéros du rôle : 7889, 7894, 7912 et 7916
En cause : les recours :
- en annulation partielle de la loi du 30 octobre 2022 « portant des mesures de soutien temporaires suite à la crise de l’énergie », introduits par Hélène Englebert, par Guy van Hoye et par Danielle Domb;
- en annulation de la loi du 26 juin 2022 « visant à octroyer une allocation pour l’acquisition de gasoil ou de propane en vrac destinés au chauffage d’une habitation privée », introduit par Guy van Hoye;
- en annulation des articles 10 à 16 de la loi du 19 décembre 2022 « portant l’octroi d’une deuxième prime fédérale d’électricité et de gaz », introduit par Philippe Galloy.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et K. Jadin, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des recours et procédure
a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 8 novembre 2022 et parvenue au greffe le 16 novembre 2022, Hélène Englebert a introduit un recours en annulation des articles 42 à 48 de la loi du 30 octobre 2022 « portant des mesures de soutien temporaires suite à la crise de l’énergie » (publiée au Moniteur belge du 3 novembre 2022).
b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 17 novembre 2022
et parvenue au greffe le 18 novembre 2022, Guy van Hoye a introduit un recours en annulation de la loi du 26 juin 2022 « visant à octroyer une allocation pour l'acquisition de gasoil ou de propane en vrac destinés au chauffage d'une habitation privée » (publiée au Moniteur belge du 29 juin 2022) et en annulation partielle de la loi du 30 octobre 2022 précitée.
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c. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 9 janvier 2023 et parvenue au greffe le 10 janvier 2023, Danielle Domb a introduit un recours en annulation des articles 42 à 48 de la loi du 30 octobre 2022 précitée.
d. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 16 janvier 2023 et parvenue au greffe le 17 janvier 2023, Philippe Galloy a introduit un recours en annulation des articles 10 à 16 de la loi du 19 décembre 2022 « portant l’octroi d’une deuxième prime fédérale d’électricité et de gaz » (publiée au Moniteur belge du 23 décembre 2022).
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7889, 7894, 7912 et 7916 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me V. De Schepper et Me J.-F. De Bock, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit des mémoires, les parties requérantes dans les affaires nos 7889, 7894 et 7916 ont introduit des mémoires en réponse et le Conseil des ministres a également introduit des mémoires en réplique.
Par ordonnance du 20 septembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs M. Pâques et Y. Kherbache, a décidé :
- que les affaires étaient en état,
- d’inviter les parties dans l’affaire n° 7912 à préciser, dans un mémoire complémentaire à déposer dans un délai de 10 jours à compter de la réception de la notification de cette ordonnance, si la partie requérante a introduit une demande auprès du SPF Économie pour obtenir la prime fédérale de gaz prévue par la loi du 30 octobre 2022 « portant des mesures de soutien temporaires suite à la crise de l’énergie » et, le cas échéant, si le SPF Économie lui a octroyé la prime,
- qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et
- qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 4 octobre 2023 et les affaires mises en délibéré.
Le Conseil des ministres a introduit un mémoire complémentaire.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, les affaires ont été mises en délibéré le 4 octobre 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
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II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité
En ce qui concerne les affaires nos 7889, 7894 et 7916
A.1. Les parties requérantes dans les affaires nos 7889, 7894 et 7916 sont des clients résidentiels qui se chauffent exclusivement à l’électricité.
Les parties requérantes critiquent le fait qu’en vertu des lois attaquées, à savoir, dans les affaires nos 7889 et 7894, la loi du 30 octobre 2022 « portant des mesures de soutien temporaires suite à la crise de l’énergie » (ci-
après : la loi du 30 octobre 2022) et, dans l’affaire n° 7916, la loi du 19 décembre 2022 « portant l’octroi d’une deuxième prime fédérale d’électricité et de gaz » (ci-après : la loi du 19 décembre 2022), elles n’ont droit qu’à une prime fédérale d’électricité d’un montant de 122 ou 183 euros, selon le cas, et qu’elles sont exclues de la prime fédérale de gaz, d’un montant de 270 ou 405 euros, selon le cas, sans avoir droit à une prime équivalente pour leurs besoins énergétiques relatifs au chauffage. La partie requérante dans l’affaire n° 7894 demande aussi l’annulation des articles 1er à 12 de la loi du 26 juin 2022 « visant à octroyer une allocation pour l’acquisition de gasoil ou de propane en vrac destinés au chauffage d’une habitation privée » (ci-après : la loi du 26 juin 2022).
A.2. Le Conseil des ministres précise que tous les ménages qui ont un contrat de fourniture de gaz n’ont pas nécessairement un contrat de fourniture d’électricité.
Le Conseil des ministres considère que les recours dans les affaires nos 7889, 7894 et 7916 ne sont pas recevables, dès lors que les dispositions attaquées ne sont pas susceptibles d’affecter directement et défavorablement les intérêts des parties requérantes et que celles-ci ne pourraient pas obtenir une nouvelle chance de voir leur situation réglée plus favorablement à la suite d’une annulation. L’intérêt invoqué n’est pas actuel et est purement hypothétique.
Le Conseil des ministres soutient par ailleurs que le recours dans l’affaire n° 7894 doit se limiter aux dispositions réellement attaquées. Enfin, la partie requérante dans cette affaire ne justifie pas d’un intérêt à attaquer les dispositions relatives à la prime fédérale d’électricité.
A.3. Les parties requérantes dans les affaires nos 7889 et 7894 soutiennent qu’une annulation des dispositions attaquées est susceptible de leur donner une nouvelle chance de voir leur situation réglée plus favorablement. Elles précisent que la quasi-totalité des ménages belges ont un contrat de fourniture d’électricité et bénéficient donc de la prime correspondante.
Les parties requérantes dans les affaires nos 7889 et 7916 précisent qu’une annulation des dispositions attaquées remédierait à l’appauvrissement relatif causé par ces dispositions aux clients résidentiels qui se chauffent à l’électricité.
A.4. La partie requérante dans l’affaire n° 7894 précise que les dispositions relatives à la cotisation spéciale énergie sont attaquées dans la seule mesure où elles n’auraient plus de raison d’être en cas d’annulation des primes fédérales de gaz et d’électricité.
A.5. Le Conseil des ministres soutient qu’en cas d’annulation des dispositions attaquées, la situation des parties requérantes resterait inchangée.
En ce qui concerne l’affaire n° 7912
A.6. La partie requérante dans l’affaire n° 7912 critique le fait qu’elle n’ait pas droit à une prime pour sa consommation de gaz de chauffage, dès lors que le contrat de fourniture de gaz est établi au nom du propriétaire de l’appartement qu’elle loue, propriétaire qui est une société.
A.7.1. Le Conseil des ministres soutient que le recours dans l’affaire n° 7912 n’est pas recevable. À défaut d’un exposé des faits et des moyens, il lui est impossible de répliquer aux arguments de la partie requérante et la
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Cour ne peut pas déterminer la portée exacte du recours en annulation. Par ailleurs, la partie requérante n’établit ni sa situation ni en quoi les dispositions attaquées sont susceptibles d’affecter directement et défavorablement ses intérêts. Enfin, la partie requérante n’a pas joint à sa requête une copie de la loi attaquée.
A.7.2. À la demande de la Cour, le Conseil des ministres précise que la partie requérante dans l’affaire n° 7912 a introduit une demande pour obtenir la prime fédérale de gaz prévue par la loi du 30 octobre 2022 et que le SPF Économie a fait droit à cette demande.
Quant au fond
En ce qui concerne les affaires nos 7889, 7894 et 7916
A.8. Par son moyen unique, la partie requérante dans l’affaire n° 7889 soutient que la loi du 30 octobre 2022
viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’elle accorde une prime fédérale de gaz de 270 euros au client résidentiel qui a un contrat de fourniture de gaz pour sa résidence, alors que cette prime n’est pas accordée au client résidentiel qui n’a qu’un contrat de fourniture d’électricité pour sa résidence mais qui consomme, sous forme d’électricité, autant d’énergie pour se chauffer. Il en résulterait une différence de traitement non raisonnablement justifiée entre les ménages, selon qu’ils se chauffent à l’électricité ou au gaz. Un ménage se chauffant à l’électricité n’a droit qu’à une prime fédérale d’électricité de 122 euros, tandis qu’un ménage se chauffant au gaz a droit non seulement à une prime fédérale d’électricité de 122 euros, mais aussi à une prime fédérale de gaz de 270 euros.
La partie requérante dans l’affaire n° 7889 allègue que, lors de l’élaboration de la loi attaquée, le législateur, en se fondant sur le tableau de bord de la CREG, n’a tenu compte que d’un seul profil de client, à savoir le client qui se chauffe au gaz et qui consomme 17 000 kWh de gaz et 3 500 kWh d’électricité par an. Le législateur n’a pas tenu compte du client-type qui se chauffe à l’électricité et qui consomme au total 20 000 kWh d’électricité par an.
La partie requérante dans l’affaire n° 7889 précise que, par la mesure critiquée, le législateur n’a pas réalisé les objectifs, qu’il s’était fixés, d’atténuer l’impact sur la facture énergétique de la crise énergétique pour les ménages et d’atteindre le groupe le plus large possible dans le cadre de sa compétence en matière de politique des prix de l’énergie. En outre, le prix du kWh d’électricité est largement supérieur au prix du kWh de gaz, ce qui accentue la différence de traitement. En octobre 2022, le prix moyen du kWh d’électricité était de 69,27 centimes d’euros, alors que le prix moyen du kWh de gaz était de 20,97 centimes d’euros.
La partie requérante dans l’affaire n° 7889 remarque que les ménages se chauffant à l’électricité sont les seuls à n’avoir pas reçu une prime spécifique, dès lors que les ménages se chauffant au mazout et aux pellets ont reçu une allocation spécifique. Selon une étude de la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (ci-après : la CREG) du 14 novembre 2019, en Belgique, 61,3 % des ménages se chauffent au gaz naturel, 24,9 % des ménages se chauffent au mazout, 4,5 % des ménages se chauffent au bois ou aux pellets et 6 % des ménages se chauffent à l’électricité. Ces derniers sont en grande partie des ménages dont le logement se situe dans une zone non approvisionnée en gaz naturel et qui disposent en général d’un chauffage électrique avec accumulation. Par ailleurs, il est facile d’identifier ces ménages, en raison de leur raccordement à un compteur électrique dit « exclusif nuit ».
A.9. La partie requérante dans l’affaire n° 7894 prend un moyen unique de la violation des articles 10 et 11
de la Constitution par les articles 8 à 17 et 34 à 62 de la loi du 30 octobre 2022 et par les articles 1er à 12 de la loi du 26 juin 2022, en ce qu’ils traitent différemment les ménages qui se chauffent au gasoil, au propane ou au gaz et les ménages qui se chauffent à l’électricité (en particulier ceux qui se chauffent au moyen d’accumulateurs électriques, d’un chauffage au sol électrique ou de tout autre appareil électrique).
Cette partie requérante développe une argumentation analogue à l’argumentation développée dans l’affaire n° 7889. Ce n’est pas la source d’énergie mais l’augmentation du coût de l’énergie qui est pertinente pour déterminer qui a droit à un soutien de l’autorité et dans quelle mesure.
A.10. La partie requérante dans l’affaire n° 7916 soulève un moyen analogue au moyen soulevé dans l’affaire n° 7889 contre la loi du 19 décembre 2022.
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La partie requérante dans l’affaire n° 7916 précise que le fait que les primes ne tiennent pas compte de l’usage concret que les ménages font de l’énergie (éclairage, cuisine, chauffage, etc.) ne permet pas de justifier la différence de traitement, qui porte sur des profils de consommation moyens indépendants de la consommation effective des ménages.
Selon cette partie requérante, les données relatives à la consommation moyenne des clients résidentiels se chauffant à l’électricité sont raisonnablement disponibles. Par ailleurs, la prise en compte, par le législateur, du profil moyen des ménages qui se chauffent à l’électricité n’entraînerait pas une charge administrative disproportionnée. L’allocation qui est accordée aux ménages se chauffant aux pellets suppose l’introduction d’une demande sur une plateforme électronique. Une vérification par l’administration est possible en cas de doute.
A.11.1. Le Conseil des ministres soutient que les impacts éventuellement différents des mesures adoptées sur les ménages ne découlent pas de ces mesures mais des situations factuelles différentes des ménages, en fonction notamment du type d’énergie utilisée pour les différents besoins énergétiques et des efforts entrepris pour réduire la consommation d’énergie.
Le Conseil des ministres précise que le forfait de base énergie a été conçu comme une prime unique et forfaitaire pour l’électricité et le gaz, chacune consistant en un montant absolu résultant d’un coût annuel moyen pour le profil de consommation le plus courant dans le pays. À cet effet, le législateur a utilisé des données raisonnablement disponibles sur la consommation moyenne des clients résidentiels, en tenant compte de l’objectif d’attribuer les primes le plus rapidement possible. La prime n’est pas liée à la consommation ni adaptée en fonction des besoins énergétiques concrets par source d’énergie (chauffage, éclairage, cuisson, fonctionnement des appareils ménagers, mobilité, etc.). Une prime est prévue pour chaque type de source d’énergie (électricité, gaz, mazout et propane), afin qu’il soit tenu compte de l’évolution spécifique des prix de chacune de ces sources d’énergie.
Le Conseil des ministres souligne qu’outre ces primes, le législateur fédéral a prévu des mesures telles que la norme énergétique, le tarif social pour la fourniture d’électricité, de chaleur et de gaz, la réduction de la TVA
sur l’électricité et le gaz pour les contrats résidentiels, ou encore la réduction de la TVA pour les pompes à chaleur.
Les situations que les primes visent sont essentiellement différentes, de sorte que les catégories de personnes qui sont mentionnées dans les différents moyens ne sont pas comparables.
A.11.2. Le Conseil des ministres soutient ensuite que le législateur poursuit des objectifs légitimes, qui consistent à atténuer la hausse des factures d’énergie et à alléger la facture énergétique des ménages le plus rapidement possible. Le choix d’accorder une prime pour l’électricité et le gaz via les contrats résidentiels d’électricité et de gaz permet d’atteindre le groupe le plus large possible dans la limite des compétences fédérales en matière de prix de l’énergie. Il ne s’agit pas de compenser intégralement la hausse des factures d’énergie, mais de l’atténuer.
Le Conseil des ministres précise que l’octroi des primes n’est pas lié à la consommation, mais uniquement à la source d’énergie concernée. Cela se justifie par la volonté du législateur que le forfait n’affecte pas la TVA due proportionnellement à la facture ou à la dette impayée. Ensuite, la prise en compte de la consommation réelle retarderait et compliquerait l’attribution des primes, tant au niveau de leur calcul et de leur mise en œuvre que de leur contrôle. Enfin, le législateur fédéral doit agir dans les limites de ses compétences en matière de politique des prix et de politique de tarification de l’énergie, sans empiéter sur les compétences régionales en matière d’utilisation rationnelle de l’énergie et de nouvelles sources d’énergie.
Le Conseil des ministres souligne que le législateur dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu en matière d’énergie et que la technicité de la matière justifie que le législateur appréhende la diversité des situations de manière simplifiée et approximative.
A.11.3. Le Conseil des ministres allègue que les chiffres utilisés par les parties requérantes sont erronés.
Tout d’abord, les consommations totales d’énergie des deux catégories de clients résidentiels ne sont pas égales.
Il faut tenir compte de l’efficacité respective des différentes sources d’énergie utilisées. La quantité de chaleur produite au moyen d’un kWh d’électricité, de gaz ou de mazout varie considérablement selon l’installation. Il est donc trompeur de comparer directement les prix au kWh des différentes sources d’énergie. Par ailleurs, les profils
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de consommation utilisés ont été établis dans un but de traitement statistique des données relatives aux prix; ces catégories ne peuvent être utilisées pour déterminer le montant de primes qui seraient octroyées aux personnes concernées en fonction de la consommation.
Le Conseil des ministres précise que les ménages sont confrontés à des hausses de prix, en pourcentage, des sources d’énergie. Or, avant la crise énergétique, le prix de l’électricité par kWh était déjà plus élevé que le prix du gaz par kWh. Par ailleurs, le prix de l’électricité a été moins affecté que le prix du gaz et du gasoil.
Selon le Conseil des ministres, la référence aux profils statistiques de la CREG quant à la consommation des clients résidentiels a une incidence sur le montant final des primes, mais elle n’est qu’un élément à intégrer lors de la conversion en un montant concret des forfaits de base en termes de quantités d’électricité et de gaz et des remises choisis. Enfin, une consommation annuelle de 20 000 kWh pour un ménage se chauffant à l’électricité n’est pas la norme.
A.11.4. Le Conseil des ministres soutient que les lois attaquées ne produisent pas des effets disproportionnés pour les ménages concernés, compte tenu des différentes mesures de soutien qui ont été prises et, notamment, de la diminution à 6 % de la TVA sur l’électricité. Toutes les mesures feront l’objet d’un suivi et seront ajustées si nécessaire. À cela s’ajoutent les mesures prises par les régions (notamment les subventions pour l’installation de pompes à chaleur).
A.12. En ce qui concerne l’affaire n° 7894, le Conseil des ministres précise que, dès lors que la prime fédérale d’électricité n’est pas liée à la consommation ou aux besoins concrets des ménages, il n’est pas pertinent de savoir si elle porte sur les coûts de chauffage ou non.
Le Conseil des ministres précise que l’allocation pour l’acquisition de gasoil ou de propane en vrac, qui concerne 21 % des ménages belges, vise à soutenir financièrement ces ménages, en complément des autres mesures qui ont été prises en ce qui concerne le gaz et l’électricité.
A.13.1. Les parties requérantes dans les affaires nos 7889 et 7916 soutiennent que la différence de traitement critiquée découle bien des dispositions attaquées et que la plupart des ménages se chauffant à l’électricité n’ont pas choisi de se retrouver dans cette situation.
Ces parties requérantes précisent que le fait que les primes soient octroyées sans qu’il soit tenu compte de la manière dont les ménages utilisent concrètement l’énergie, de même que l’existence d’autres mesures de soutien ne permettent pas de conclure à l’inexistence d’une différence de traitement. Par ailleurs, la différence de traitement ne porte pas sur la consommation réelle des ménages; elle porte sur des profils de consommation moyens.
Les parties requérantes dans les affaires nos 7889 et 7916 soulignent que le législateur aurait pu toucher un groupe plus large en octroyant uniquement une prime d’électricité, comme il l’a fait en octroyant une prime de chauffage de 100 euros par la loi du 28 février 2022.
Elles relèvent que le législateur n’a pas lié le montant des primes aux variations de prix des différentes sources d’énergie, et qu’il n’a pas non plus fait référence, pour justifier le montant des primes, à une quelconque différence d’efficacité entre les sources d’énergie.
A.13.2. Les parties requérantes dans les mêmes affaires ne voient pas en quoi la référence aux profils statistiques établis par la CREG ne serait pas pertinente, dès lors que le législateur lui-même s’est fondé, pour fixer les primes, sur un profil statistique établi par la CREG. Il est aussi pertinent de comparer les prix au kWh des différentes sources d’énergie comme le fait la CREG. Par ailleurs, si le législateur a considéré, sur la base des chiffres de la CREG, que le client moyen se chauffant au gaz consomme annuellement 17 000 kWh de gaz et 3 500 kWh d’électricité, il n’est pas raisonnable de considérer que les chiffres de la CREG relatifs à la consommation moyenne d’un ménage se chauffant à l’électricité ne sont pas la norme.
A.13.3. Les parties requérantes dans les affaires nos 7889 et 7916 précisent que l’économie réalisée par les ménages se chauffant à l’électricité ou au gaz grâce à la diminution de la TVA est la même, proportionnellement au montant de la facture. Par ailleurs, la plupart des ménages se chauffant à l’électricité sont équipés d’un chauffage électrique avec accumulation, et non d’une pompe à chaleur pour laquelle ils auraient reçu une subvention. Enfin,
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les mesures attaquées ont paradoxalement pour effet d’inciter les ménages à se chauffer au gaz plutôt qu’à l’électricité, alors que la logique aurait dû être de privilégier les énergies produites localement.
A.14. La partie requérante dans l’affaire n° 7916 soutient que l’ensemble de mesures relatives à des énergies exclusivement destinées au chauffage (gaz, gasoil, propane en vrac, pellets en vrac) montre l’intention du législateur d’attribuer à chaque ménage une aide financière liée au chauffage, à l’exception des ménages se chauffant à l’électricité.
Selon la partie requérante dans l’affaire n° 7916, à supposer même que les primes aient été déterminées en fonction des variations de prix des différentes sources d’énergie et que ces variations de prix justifient une intervention accrue de l’autorité fédérale en ce qui concerne le gaz, cela ne justifie pas que le législateur n’ait octroyé aucune prime spécifique - fût-elle d’un montant moins élevé - aux ménages se chauffant à l’électricité. Par ailleurs, l’octroi aux ménages se chauffant à l’électricité d’une prime équivalente à celle dont bénéficient les ménages se chauffant au gaz ne poserait pas de problème en ce qui concerne la TVA, dès lors qu’elle ne serait pas liée à la consommation. Enfin, entre janvier et décembre 2022, le prix de l’électricité a augmenté de 17,65 % tandis que le prix du gaz n’a augmenté que de 15,25 %.
Cette partie requérante soutient qu’il est contradictoire de soutenir que le législateur a choisi de ne pas tenir compte du coût de l’énergie et qu’il a différencié les aides en vue de tenir compte des variations distinctes du prix des différentes sources d’énergie.
A.15. La partie requérante dans l’affaire n° 7894 précise que le fait que la prime fédérale d’électricité ne tienne pas compte de la consommation réelle de chaque ménage ne veut pas dire que le législateur, pour déterminer le montant de la prime, n’a pas tenu compte d’une consommation déterminée « normalisée » par source d’énergie d’un ménage-type vivant dans une habitation-type. Autrement, il faudrait se demander si le montant des différentes primes n’a pas été fixé arbitrairement, ce qui ne serait pas admissible dans un État de droit.
Selon cette partie requérante, on peut considérer qu’un client-type se chauffant au gaz consomme 17 000 kWh de gaz naturel, dont 15 000 kWh pour le chauffage de locaux ou de l’eau sanitaire, tandis que les ménages avec un raccordement à l’électricité exclusif tarif de nuit consomment 12 500 kWh pour le chauffage de locaux ou de l’eau sanitaire. Ces chiffres tiennent compte de l’efficacité respective de chacune des sources d’énergie.
Selon cette partie requérante, dès lors que le législateur n’a pas voulu tenir compte des différentes situations factuelles des ménages en ce qui concerne les efforts entrepris pour diminuer leur consommation d’énergie, il ne peut pas non plus en être tenu compte pour conclure que les ménages ne se trouvent pas dans des situations suffisamment comparables.
La partie requérante dans l’affaire n° 7894 précise que ses critiques sont fondées sur les chiffres fournis par le ministre de l’Économie, l’autorité flamande, la CREG et la VREG. Ensuite, les différences qui existent quant au prix de l’énergie dans les différentes régions ne sont pas de nature à invalider sa thèse, selon laquelle le gaz coûterait près du double du mazout et du propane, et l’électricité coûterait plus du double du gaz. Enfin, si le législateur avait voulu tenir compte des subventions régionales pour les pompes à chaleur, il aurait dû exclure les ménages qui ont bénéficié de la prime pour le chauffage électrique.
A.16.1. Le Conseil des ministres précise que tous les ménages se chauffant à l’électricité n’ont pas forcément recours à un chauffage à accumulation. Le chauffage à l’électricité peut aussi reposer sur une pompe à chaleur ou sur des panneaux solaires. En outre, le mode de chauffage des ménages découle en grande partie de leurs choix, et donc d’une situation factuelle.
Le Conseil de ministres soutient qu’il est pertinent d’utiliser le profil de consommation moyen. La prime ne pourrait pas être basée sur le volume de consommation que les parties requérantes considèrent comme étant la norme pour le chauffage à l’électricité, sous peine de créer une différence de traitement basée sur le volume de consommation des ménages.
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A.16.2. Le Conseil des ministres souligne que la prime de chauffage de 100 euros prévue par la loi du 28 février 2022 repose sur une logique différente de celles sur lesquelles reposent les primes d’électricité et de gaz : il s’agissait d’une prime d’un faible montant qui n’avait pas pour vocation d’être potentiellement renouvelée dans le temps. En outre, les données concernant les ménages se chauffant à l’électricité sont incertaines et le déploiement du compteur intelligent n’est pas encore suffisamment avancé pour connaître la consommation individuelle de chaque client résidentiel. La suggestion des parties requérantes d’utiliser le critère du raccordement exclusif nuit conduirait à discriminer les ménages qui se chauffent à l’électricité mais qui ne disposent pas d’un tel dispositif. Par ailleurs, l’utilisation d’un système de demande similaire au système instauré pour le mazout et les pellets n’est envisageable que pour des sources plus spécifiques.
Le Conseil des ministres soutient que les profils moyens de consommation utilisés par la CREG ne sont pas pertinents en l’espèce, dès lors qu’il n’est pas possible de savoir, à partir de la consommation totale d’électricité d’un ménage, dans quelle proportion celle-ci est liée à l’utilisation du chauffage électrique et dans quelle proportion elle est liée à d’autres besoins.
A.16.3. Selon le Conseil des ministres, le législateur fédéral a fixé les primes de manière discrétionnaire, sur la base de considérations politiques et compte tenu de l’impact budgétaire des mesures, et non en fonction d’une consommation concrète, de certains profils de consommation ou des prix applicables. Ensuite, si le législateur fédéral avait fixé des primes basées sur la consommation, ainsi que sur le coût plus élevé de la facture en raison d’un type de chauffage plus onéreux, il aurait compromis la politique menée par le Gouvernement flamand qui consiste à décourager l’accumulation électrique. L’application d’une prime variable sur la base d’une différenciation des profils de consommation en fonction des sources d’énergie utilisées par le ménage devrait en outre tenir compte des primes déjà existantes pour les autres sources d’énergie spécifiques. Enfin, l’approche basée sur d’autres profils de consommation complexifierait considérablement la mise en œuvre et le contrôle de la mesure, ce qui serait contreproductif eu égard à l’objectif d’atténuer le plus rapidement possible l’impact de la crise énergétique sur les factures énergétiques des ménages.
A.17. Le Conseil des ministres conteste les chiffres relatifs à la consommation avancés par la partie requérante dans l’affaire n° 7894, ainsi que l’idée selon laquelle il existerait un besoin énergétique totalement comparable entre les différents ménages. Il conteste aussi les données relatives aux prix utilisées par la partie requérante, laquelle ne cite pas ses sources et ne tient pas compte des fluctuations concrètes des prix pendant l’année concernée.
Le Conseil des ministres précise que le gasoil et le propane en vrac sont soumis à des évolutions de prix propres et que le droit européen ne permet pas de diminution de la TVA pour ces énergies. Par ailleurs, tous les ménages n’ont pas nécessairement droit à une prime fédérale d’électricité. Les ménages n’ont droit à cette prime que s’ils satisfont aux conditions légales, en particulier à celles qui concernent la période de référence pertinente et la fixation du prix.
En ce qui concerne l’affaire n° 7912
A.18. La partie requérante dans l’affaire n° 7912 soutient que la loi du 30 octobre 2022 est discriminatoire, en ce qu’elle exclut de la prime fédérale de gaz les locataires qui n’ont pas de contrat de fourniture de gaz conclu à leur nom.
En ce qui concerne le maintien des effets
A.19. Les parties requérantes dans les affaires nos 7889, 7894 et 7916 considèrent qu’il y a lieu d’annuler les dispositions attaquées tout en maintenant leurs effets pendant une période limitée, pendant laquelle le législateur devrait rétablir l’égalité en accordant aux clients résidentiels qui se chauffent à l’électricité une prime adaptée (affaire n° 7894) ou équivalente à celle qui est accordée aux clients résidentiels qui se chauffent au gaz (affaires nos 7889 et 7916).
A.20. Le Conseil des ministres demande qu’en cas d’annulation des dispositions attaquées, les effets de celles-ci soient maintenus définitivement. En tout état de cause, la Cour n’est pas compétente pour donner au
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législateur une injonction positive d’octroyer une prime aux ménages se chauffant à l’électricité, comme les parties requérantes le lui demandent.
A.21. Les parties requérantes dans les affaires nos 7889 et 7916 précisent que, si la Cour faisait droit à cette demande, l’annulation devrait être prononcée sous réserve d’une interprétation desdites dispositions autorisant les clients résidentiels se chauffant à l’électricité à réclamer la prime fédérale de gaz.
A.22. La partie requérante dans l’affaire n° 7894 estime qu’il y a lieu de rejeter la demande du Conseil des ministres, dans la mesure où celle-ci impliquerait qu’il puisse négliger de prendre les mesures nécessaires pour remédier à l’inégalité qui a justifié l’annulation.
A.23. Le Conseil des ministres soutient que l’interprétation suggérée par les parties requérantes dans les affaires nos 7889 et 7916 va à l’encontre de l’esprit de la loi.
-B-
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.1. La reprise économique post-COVID-19 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont causé une augmentation considérable des prix de l’énergie. Dans ce contexte, le législateur a pris plusieurs mesures de soutien temporaires en vue d’aider les ménages.
Parmi ces mesures figurent : une prime de chauffage de 100 euros; une allocation de 300 euros pour l’acquisition de gasoil ou de propane en vrac destinés au chauffage d’une habitation privée; une allocation de 250 euros pour les ménages se chauffant aux pellets; un forfait de base énergie à prix réduit pour les ménages, lequel consiste à accorder une prime pour l’électricité et le gaz; une réduction temporaire des accises sur le diesel et sur l’essence; une réduction temporaire de la TVA sur l’électricité et le gaz; et une extension du tarif social.
Les parties requérantes demandent l’annulation de plusieurs dispositions législatives relatives aux primes fédérales de gaz et d’électricité et à l’allocation pour l’acquisition de gasoil ou de propane en vrac destinés au chauffage d’une habitation privée.
B.2.1. L’article 3, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 26 juin 2022 « visant à octroyer une allocation pour l’acquisition de gasoil ou de propane en vrac destinés au chauffage d’une habitation privée » (ci-après : la loi du 26 juin 2022) prévoit qu’une allocation est accordée, de
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manière unique et forfaitaire, à tout ayant droit qui a été livré par une entreprise entre le 15 novembre 2021 et le 31 décembre 2022 inclus, comme intervention dans le paiement de la fourniture de gasoil ou de propane en vrac destinés au chauffage de sa résidence principale.
Le montant de cette allocation s’élevait initialement à 225 euros nets. Par l’article 8, 1°, de la loi du 30 octobre 2022 « portant des mesures de soutien temporaires suite à la crise de l’énergie » (ci-après : la loi du 30 octobre 2022), ce montant est passé à 300 euros nets.
L’allocation est accordée sur la base d’une demande faite par l’ayant droit (article 3, § 1er, alinéa 3, de la loi du 26 juin 2022).
Selon l’exposé des motifs, l’objectif de cette mesure, qui vient en complément des autres mesures prises pour le gaz et l’électricité, est « d’accorder un soutien financier au plus grand nombre possible de citoyens afin de les aider à faire face à l’augmentation du prix du chauffage de leur logement » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2752/001, p. 4).
B.2.2.1. Par la loi du 30 octobre 2022, précitée, le législateur octroie une prime forfaitaire unique de 122 euros à chaque client résidentiel qui, au 30 septembre 2022, a un contrat de fourniture d’électricité pour sa résidence, soit à prix fixe et qui a été conclu ou renouvelé après le 30 septembre 2021, soit à prix variable (article 36, § 1er, de la loi). En outre, une prime forfaitaire unique de 270 euros est octroyée à chaque client résidentiel qui, au 30 septembre 2022, a un contrat de fourniture de gaz pour sa résidence, soit à prix fixe et qui a été conclu ou renouvelé après le 30 septembre 2021, soit à prix variable (article 43, § 1er, de la loi).
Ces primes sont valables pour les mois de novembre et de décembre 2022.
En ce qui concerne la prime fédérale de gaz, les clients finals reliés à un point de raccordement collectif avec une installation commune de chauffage au gaz qui bénéficient d’un droit de fourniture dans le cadre d’un contrat éligible à la prime, qui a été conclu en leur nom et pour leur compte par un autre client résidentiel de la même installation commune de chauffage au gaz ou par une association de copropriétaires, ont également droit à la prime
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(article 43, § 1er, alinéa 2, de la loi précitée). Il est précisé que « les clients finaux pour le gaz qui utilisent une installation de chauffage commune bénéficient également de cette mesure de soutien » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2915/001, p. 19).
En principe, les primes sont octroyées automatiquement par le fournisseur aux ayants droit (articles 37 et 44 de la loi du 30 octobre 2022).
Un ayant droit qui achète du gaz avec plusieurs familles ou ménages via le même point de raccordement EAN sur le réseau de distribution de gaz naturel doit introduire une demande en ce sens auprès du SPF Économie (article 45 de la même loi).
B.2.2.2. La prime fédérale d’électricité et de gaz vise « à atténuer l’impact sur la facture énergétique de la crise énergétique [...] pour les ménages. En choisissant d’accorder une prime pour l’électricité et le gaz via les contrats d’électricité et de gaz résidentiels, [le législateur entend toucher] le groupe le plus large possible dans le cadre des compétences fédérales (prix de l’énergie) » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2915/001, p. 19).
En ce qui concerne le montant de la prime, les travaux préparatoires mentionnent :
« La prime envisagée s’élève à 270 euros pour le gaz et à 122 euros pour l’électricité.
En ce qui concerne la prime pour le gaz, le niveau de la prime correspond à la réduction moyenne annualisée dont bénéficierait un ménage s’il était approvisionné pour 5 MWh à un tarif réglementé (0,13 euros/kWh tout compris) et pour 12 MWh à un tarif commercial (0,26 euros/ kWh tout compris) par rapport à une consommation totale (17 MWh) au même tarif commercial. La réduction calculée sur une base annuelle est accordée en tant que prime unique et n’est pas ajustée en fonction de la consommation du ménage.
En ce qui concerne la prime pour l’électricité, le niveau de la prime correspond à la remise moyenne annualisée dont bénéficierait un ménage s’il était approvisionné pour 1,5 MWh au tarif réglementé (0,24 euros/kWh tout compris) et pour 2 MWh au tarif commercial (0,44 euros/kWh tout compris) par rapport à une consommation totale (3,5 MWh) au même tarif commercial. La réduction calculée sur une base annuelle est accordée en tant que prime unique et n’est pas ajustée en fonction de la consommation du ménage.
En aucun cas, la prime n’affecte la TVA due en proportion de la facture ou de la dette impayée. Du point de vue de la TVA, il convient de noter que la prime fédérale pour l’électricité et le gaz ne peut être qualifiée ni de subvention de prix au sens de l’article 26, § 1er, premier alinéa, du Code de la TVA, ni de réduction de prix au sens de l’article 28, 2°, du Code précité.
En effet, il n’y a pas de lien nécessaire entre la prime accordée et la facture de gaz et d’électricité
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sur laquelle elle est imputée. Dans la plupart des cas, la prime est liée à la facture d’électricité et de gaz du ménage auquel la prime est accordée via la facture de gaz et d’électricité. La facture d’électricité est donc utilisée uniquement comme instrument technique pour l’octroi de la prime. Le montant épargné peut être utilisé librement par le ménage en question, pour être dépensé ou non en biens ou services de consommation. Les termes ‘ facture ’, ‘ note de crédit ’, ‘ rabais ’, etc. doivent donc être interprétés dans le contexte de la législation spécifique et sont distincts de leur interprétation traditionnelle dans le contexte de la législation sur la TVA. La base imposable à la TVA sur la fourniture de gaz et d’électricité ne peut donc en aucun cas être réduite du fait de ce titre » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2915/001, p. 21).
B.2.2.3. Par la loi du 19 décembre 2022 « portant l’octroi d’une deuxième prime fédérale d’électricité et de gaz » (ci-après : la loi du 19 décembre 2022), le législateur étend le forfait de base énergie aux mois de janvier, février et mars 2023, en introduisant une deuxième prime fédérale pour l’électricité et le gaz, dans le prolongement de la première prime.
Les conditions pour bénéficier des primes sont en grande partie identiques aux conditions prévues par la loi du 30 octobre 2022, à ceci près que la situation de l’ayant droit s’apprécie au 31 décembre 2022 et que le montant de la prime s’élève à 183 euros pour l’électricité et à 405 euros pour le gaz (articles 4, § 1er, et 11, § 1er, de la loi du 19 décembre 2022).
À la suite d’une remarque de la section de législation du Conseil d’État, le montant des primes est justifié de manière complémentaire comme suit :
« Le régime conçu vise à fournir aux ménages un forfait de base énergie à prix réduit unique, composé de deux primes distinctes destinées à la consommation d’électricité et de gaz des clients résidentiels, quel que soit le niveau de consommation d’énergie et indépendamment de l’achat exclusif ou combiné d’électricité et de gaz respectivement pour les différents types d’utilisation du ménage (éclairage, cuisine, chauffage, etc.). En effet, le forfait de base précité a été conçu comme une prime unique et forfaitaire pour l’électricité et le gaz, chacune consistant en un montant absolu résultant d’un coût annuel moyen pour un profil de consommation le plus courant dans le pays. Pour ce faire, on a utilisé des données raisonnablement disponibles sur la consommation moyenne des clients résidentiels, en tenant compte de l’objectif d’attribuer les primes le plus rapidement possible.
La ratio legis de ce projet de loi consiste à atténuer l’impact de la crise énergétique sur les factures d’énergie des ménages en proposant un forfait de base énergie à prix réduit et justifie le critère déterminant pour être l’ayant droit de la prime, à savoir être un client résidentiel et titulaire d’un droit de livraison en vertu d’un contrat de fourniture d’électricité ou de gaz conclu
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au cours d’une période où les prix de l’énergie ont atteint des sommets extraordinaires, à savoir un contrat de fourniture encore actif au 31 décembre 2022 à prix variable ou à prix fixe à condition qu’il ait été conclu ou renouvelé après le 30 septembre 2021, et ce indépendamment du fait qu’une fourniture ait été effectivement reçue ou non au cours de la période pour laquelle la prime est accordé[e]. L’application d’une prime variable en fonction de la consommation concrète ou d’une différenciation des profils de consommation en fonction des sources d’énergie utilisées par le ménage créerait une charge administrative complexe et importante, disproportionnée par rapport à l’objectif visé, et devrait en outre tenir compte des primes ou allocations déjà existantes pour les autres sources d’énergie spécifiques. Le déploiement du compteur intelligent n’est pas non plus encore suffisamment avancé pour connaître la consommation individuelle de chaque client résidentiel » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3016/001, pp. 9-10).
En commission de la Chambre, la ministre de l’Énergie explique :
« Discrimination et principe d’égalité
Le Conseil d’État a demandé une clarification de la distinction entre le forfait de base gaz et le forfait de base électricité. L’exposé des motifs a clarifié la question sur la base de quatre points :
- Il s’agit d’un forfait de base pour deux vecteurs, à savoir le gaz et l’électricité, fonctionnant avec une tranche de consommation à laquelle est appliqué un tarif régulé et réduit, indépendamment de la consommation globale de la personne.
- Les primes forfaitaires ont été calculées à partir d’un coût annuel moyen pour le profil de consommation le plus courant, sur la base des tableaux de bord de la CREG.
- Le compteur numérique n’a pas encore été entièrement déployé, de sorte que la consommation des clients n’est pas connue.
- L’application d’une prime variable en fonction de la consommation n’est pas facile à mettre en œuvre sur le plan administratif et compromet une décision rapide de versement de la prime aux citoyens.
Pompes à chaleur et accumulation
Le forfait de base prévoit une prime pour la consommation domestique d’électricité et de gaz. Les pompes à chaleur et le chauffage par accumulation ont déjà été abordés lors de la discussion des premières primes et de la note de politique générale. Le Conseil d’État indique qu’il ne peut et ne doit pas y avoir de différenciation dans la remise pour l’électricité : ‘ Une prime majorée pour un client résidentiel qui n’a qu’un contrat de fourniture d’électricité et qui chauffe son logement à l’électricité pourrait être en contradiction avec cette intention, sans compter les difficultés pratiques pour distinguer ce client des autres clients résidentiels qui n’ont qu’un contrat de fourniture pour l’électricité mais utilisent d’autres sources d’énergie pour chauffer leur domicile. ’ Sur la base de cet avis, le problème des personnes qui se chauffent avec des pompes à chaleur ou par accumulation est plus difficile à résoudre que ce qui pourrait paraître à première vue.
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Plusieurs installations de combustion pour un point d’accès unique
La ministre n’a pas connaissance de la situation spécifique évoquée par [le membre]. Elle suppose qu’il s’agit d’un réseau privé ou d’un réseau de distribution fermé, et donc pas d’un approvisionnement par les réseaux publics. C’est ce qui explique qu’une telle situation, à première vue, ne relève pas du champ d’application du projet de loi à l’examen. La ministre est prête à étudier des situations spécifiques, mais elle a du mal à imaginer que les situations concernées soient très nombreuses. Elle souligne également que les réglementations concernant ces réseaux privés ou ces réseaux de distribution fermés diffèrent en fonction de la région où
ils sont situés » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3016/004, pp. 9-10).
B.2.3. Par l’article 4, § 1er, de la loi-programme (I) du 26 décembre 2022, le législateur octroie une allocation unique et forfaitaire de 250 euros nets à tout ayant droit qui a été livré de pellets en vrac entre le 1er juin 2022 et le 31 mars 2023 inclus, comme intervention dans le paiement de la fourniture de pellets en vrac destinés au chauffage de sa résidence principale.
L’allocation est réservée aux ménages qui n’ont pas droit à l’allocation octroyée pour l’acquisition de gasoil ou de propane en vrac destinés au chauffage d’une habitation privée ni à la prime fédérale de gaz et qui ne bénéficient pas du tarif social gaz (article 3, 2°, de la loi-
programme).
L’allocation de chauffage pour pellets en vrac est accordée sur la base d’une demande de l’ayant droit (article 4, § 1er, alinéa 3, de la loi-programme).
Quant à la recevabilité
En ce qui concerne les affaires no 7889, 7894 et 7916
B.3.1. Le Conseil des ministres soutient que les parties requérantes dans les affaires nos 7889, 7894 et 7916 ne justifient pas d’un intérêt à demander l’annulation des dispositions attaquées. Le Conseil des ministres soutient par ailleurs que le recours dans l’affaire n° 7894
doit se limiter aux dispositions réellement attaquées et que la partie requérante dans cette affaire ne justifie pas d’un intérêt à attaquer les dispositions relatives à la prime fédérale d’électricité.
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B.3.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
Pour que la partie requérante justifie de l’intérêt requis, il n’est pas nécessaire qu’une éventuelle annulation lui procure un avantage direct. La circonstance qu’elle pourrait obtenir une nouvelle chance de voir sa situation réglée plus favorablement à la suite de l’introduction de son recours suffit à justifier son intérêt.
B.3.3. Tel est le cas en l’espèce, dès lors qu’en cas d’annulation des dispositions attaquées, le législateur pourrait être amené à prendre de nouvelles dispositions octroyant une prime aux ménages qui, comme ces parties requérantes, se chauffent à l’électricité.
Par conséquent, les parties requérantes dans les affaires nos 7889, 7894 et 7916 justifient d’un intérêt à demander l’annulation des dispositions des lois attaquées relatives à la prime fédérale de gaz et, en ce qui concerne l’affaire n° 7894, à l’allocation pour l’acquisition de gasoil ou de propane en vrac destinés au chauffage d’une habitation privée.
La partie requérante dans l’affaire n° 7894 ne justifie pas d’un intérêt à demander l’annulation des dispositions relatives à la prime fédérale d’électricité. Elle ne développe en outre aucun grief particulier contre les articles 49 à 62 de la loi du 30 octobre 2022.
B.3.4. Les recours sont donc recevables en tant qu’ils visent les articles 8 à 17 et 42 à 48
de la loi du 30 octobre 2022, ainsi que les articles 1er à 12 de la loi du 26 juin 2022 et les articles 10 à 16 de la loi du 19 décembre 2022.
Le recours dans l’affaire n° 7894 est irrecevable pour le surplus.
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En ce qui concerne l’affaire n° 7912
B.4.1. Le Conseil des ministres soutient que le recours dans l’affaire n° 7912 n’est pas recevable. À défaut d’un exposé des faits et des moyens, il estime qu’il ne peut répondre aux arguments de la partie requérante et que la Cour ne peut pas déterminer la portée exacte du recours en annulation. Ensuite, la partie requérante ne démontre pas en quoi les dispositions attaquées seraient susceptibles d’affecter directement et défavorablement sa situation et ses intérêts. Enfin, la partie requérante n’a pas joint à sa requête une copie de la loi attaquée.
B.4.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.4.3. La partie requérante dans l’affaire n° 7912 critique le fait qu’elle n’ait pas droit à une prime pour sa consommation de gaz de chauffage, dès lors que le contrat de fourniture de gaz est établi au nom du propriétaire de l’appartement qu’elle loue, qui est une société.
B.4.4. À la demande de la Cour, le Conseil des ministres précise que la partie requérante dans l’affaire n° 7912 a introduit une demande pour obtenir la prime fédérale de gaz prévue par la loi du 30 octobre 2022 et que le SPF Économie a fait droit à cette demande.
Sans qu’il soit nécessaire d’examiner le respect des exigences des articles 6 et 7 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, il suffit de constater que cette partie requérante ne justifie pas de l’intérêt requis pour demander l’annulation de la loi du 30 octobre 2022.
Le recours dans l’affaire n° 7912 est dès lors irrecevable.
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Quant au fond
En ce qui concerne les affaires nos 7889, 7894 et 7916
B.5. Les parties requérantes soutiennent que les dispositions attaquées violent les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’elles traitent différemment les ménages se chauffant à l’électricité et les ménages se chauffant au gaz (moyen unique dans les affaires nos 7889 et 7916), au gaz, au gasoil ou au propane en vrac (moyen unique dans l’affaire n° 7894). Les ménages qui se chauffent à l’électricité recevraient uniquement une prime fédérale d’électricité, tandis que les ménages qui se chauffent au gaz, au gasoil ou au propane en vrac recevraient, outre cette prime fédérale d’électricité, une prime ou allocation supplémentaire de gaz, de gasoil ou de propane en vrac. Les ménages relevant des deux catégories consommeraient pourtant, pour se chauffer, des quantités comparables d’énergie, sous des formes différentes.
Les parties requérantes estiment que les ménages qui se chauffent à l’électricité devraient avoir droit à une prime équivalente à celle qui est accordée aux ménages qui se chauffent au gaz (affaires nos 7889 et 7916) ou, à tout le moins, à une prime adaptée (affaire n° 7894).
B.6.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination.
B.6.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
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B.7. En matière socio-économique, le législateur dispose d’une large marge d’appréciation. La Cour ne pourrait censurer les mesures prises par lui dans cette matière que si elles reposaient sur une erreur manifeste ou si elles étaient déraisonnables.
Par ailleurs, le législateur ne peut pas prendre en compte les particularités des divers cas d’espèce. Il doit pouvoir faire usage de catégories qui, nécessairement, n’appréhendent la diversité de situations qu’avec un certain degré d’approximation.
B.8.1. Le Conseil des ministres soutient que les impacts éventuellement différents des mesures adoptées sur les ménages ne découlent pas de ces mesures mais des situations factuelles des ménages, qui diffèrent en fonction notamment du type d’énergie utilisé pour les différents besoins énergétiques et des efforts entrepris pour réduire la consommation d’énergie. Selon le Conseil des ministres, les catégories de personnes mentionnées en B.5 ne sont pas comparables.
B.8.2. En ce qu’elles octroient aux ménages qui ont conclu un contrat de fourniture de gaz, ou qui se chauffent au gasoil ou au propane en vrac, une prime ou allocation, moyennant le respect de certaines conditions, outre la prime fédérale d’électricité dont ils pourraient bénéficier par ailleurs, les dispositions attaquées traitent ces ménages différemment des ménages qui se chauffent à l’électricité et qui n’ont droit qu’à la prime fédérale d’électricité.
La circonstance que ces primes et allocations puissent avoir une incidence différente sur les ménages, compte tenu de leur situation factuelle, n’y change rien.
B.8.3. Par ailleurs, les catégories de personnes mentionnées en B.5 sont comparables, en ce qu’il s’agit dans les deux cas de ménages qui sont susceptibles d’être affectés par l’augmentation des prix de l’énergie et qui, à ce titre, peuvent prétendre à diverses primes et allocations des pouvoirs publics.
B.9.1. La différence de traitement repose sur un critère objectif, à savoir le fait pour le ménage d’avoir conclu un contrat de fourniture de gaz ou d’avoir été livré par une entreprise en gasoil ou en propane en vrac en vue de chauffer sa résidence principale, ou non.
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B.9.2. Comme il est dit en B.1 et en B.2, les primes et allocations mises en place par le législateur visent à atténuer le plus rapidement possible l’impact de l’augmentation des prix de l’énergie sur les factures des ménages.
Au regard de cet objectif, il n’est pas déraisonnable que le législateur ait accordé ces primes et allocations en fonction de la source d’énergie concernée, sans tenir compte de la consommation réelle des ménages ni de l’usage concret que ceux-ci sont susceptibles de faire de l’énergie consommée (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3016/001, pp. 8-10; Doc.
parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2915/001, p. 21). Cette approche simplificatrice d’une diversité de situations est d’autant plus justifiée que les mesures attaquées font partie d’un ensemble de mesures de crise ponctuelles par lesquelles le législateur a voulu répondre rapidement à l’incidence de l’augmentation exceptionnelle des prix de l’énergie. Partant, il ne saurait être reproché au législateur qu’il n’ait pas prévu de prime supplémentaire pour les ménages qui se chauffent à l’électricité, en raison des difficultés énoncées dans les travaux préparatoires cités en B.2.2.3.
B.10. Il résulte de ce qui précède que la différence de traitement, attaquée, entre les ménages qui se chauffent au gaz, au gasoil ou au propane en vrac et les ménages qui utilisent l’électricité pour chauffer leur habitation est raisonnablement justifiée.
B.11. Les moyens uniques dans les affaires nos 7889, 7894 et 7916 ne sont pas fondés.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette les recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 30 novembre 2023.
Le greffier, Le président,
N. Dupont P. Nihoul