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30/11/2023 | BELGIQUE | N°165/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 30 novembre 2023, 165/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 165/2023
du 30 novembre 2023
Numéros du rôle : 7868 et 7869
En cause : les recours en annulation des articles 28 à 42 (chapitre 3 - « Taxe sur l’embarquement dans un aéronef ») et des articles 30, 31 et 32 de la loi du 28 mars 2022
« portant réduction de charges sur le travail », introduits par la société de droit irlandais « Ryanair D.A.C. » et par l’ASBL « Fédération belge d’aviation - Belgische federatie voor Luchtvaart » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrys

en, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Br...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 165/2023
du 30 novembre 2023
Numéros du rôle : 7868 et 7869
En cause : les recours en annulation des articles 28 à 42 (chapitre 3 - « Taxe sur l’embarquement dans un aéronef ») et des articles 30, 31 et 32 de la loi du 28 mars 2022
« portant réduction de charges sur le travail », introduits par la société de droit irlandais « Ryanair D.A.C. » et par l’ASBL « Fédération belge d’aviation - Belgische federatie voor Luchtvaart » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et M. Plovie, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des recours et procédure
a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 29 septembre 2022
et parvenue au greffe le 30 septembre 2022, la société de droit irlandais « Ryanair D.A.C. », assistée et représentée par Me A. Cassart, avocat au barreau de Charleroi, et par Me E. Vahida, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 28 à 42
(chapitre 3 - « Taxe sur l’embarquement dans un aéronef ») de la loi du 28 mars 2022 « portant réduction de charges sur le travail » (publiée au Moniteur belge du 31 mars 2022).
b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 29 septembre 2022
et parvenue au greffe le 30 septembre 2022, un recours en annulation des articles 30, 31 et 32
de la même loi a été introduit par l’ASBL « Fédération belge d’aviation - Belgische federatie voor Luchtvaart », Michel Sinove et Paul Windey, assistés et représentés par Me S. Papen et Me T. Pels, avocats au barreau d’Anvers.
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7868 et 7869 du rôle de la Cour, ont été jointes.
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Le Conseil des ministres, assisté et représenté par F. Roland et S. Dedeli, conseillers au SPF Finances, a introduit des mémoires, les parties requérantes ont introduit des mémoires en réponse et le Conseil des ministres a également introduit des mémoires en réplique.
Par ordonnance du 12 juillet 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures E. Bribosia et J. Moerman, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 20 septembre 2023 et les affaires mises en délibéré.
À la suite de la demande de la partie requérante dans l’affaire n° 7868 à être entendue, la Cour, par ordonnance du 20 septembre 2023, a fixé l’audience au 18 octobre 2023.
À l’audience publique du 18 octobre 2023 :
- ont comparu :
. Me A. Cassart et Me A.-V. Rensonnet, avocat au barreau de Liège-Huy, pour la partie requérante dans l’affaire n° 7868;
. Me S. Papen et Me T. Pels, pour les parties requérantes dans l’affaire n° 7869;
. les conseillers F. Roland et S. Dedeli, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteures E. Bribosia et J. Moerman ont fait rapport;
- les parties précitées ont été entendues;
- les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité
En ce qui concerne l’affaire n° 7868
A.1. La partie requérante, la société de droit irlandais « Ryanair D.A.C. », fait valoir qu’elle est une des principales compagnies aériennes affectées par l’introduction de la taxe sur l’embarquement dans un aéronef.
A.2. Le Conseil des ministres ne conteste pas l’intérêt à agir de la partie requérante.
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En ce qui concerne l’affaire n° 7869
A.3. L’ASBL « Fédération belge d’avitation - Belgische federatie voor Luchtvaart », première partie requérante, fait valoir que son but statutaire est d’une nature particulière et, dès lors, distinct de l’intérêt général, qu’elle défend un intérêt collectif, que la norme attaquée est susceptible d’affecter son but statutaire et que ce but est réellement poursuivi.
Michel Sinove, deuxième partie requérante, est président de l’ASBL « Vereniging Vlaamse MotorVliegclubs », pilote et détenteur d’une Private Pilot License (licence de pilote privé). Il fait valoir que les dispositions attaquées lui préjudicient directement. En effet, pour l’application des dispositions attaquées, le « transporteur aérien » est notamment défini comme quiconque « au nom de qui un aéronef est inscrit dans le registre visé à l’article 2 de l’arrêté royal du 15 mars 1954 réglementant la navigation aérienne, ou dans un registre étranger d’aéronefs » (article 159, 4°, du Code des droits et taxes divers), ce qui inclut les personnes physiques qui pilotent dans un cadre récréatif, lesquelles seront donc soumises à la taxe lorsqu’elles transportent des passagers, tels que leurs amis ou des membres de leur famille.
Paul Windey, troisième partie requérante, est propriétaire d’un aéronef et d’une autorisation de survol de la Belgique, de sorte qu’il pourrait être soumis à la taxe attaquée.
A.4. Le Conseil des ministres ne conteste pas l’intérêt à agir des parties requérantes.
Quant au fond
En ce qui concerne l’affaire n° 7868
Premier moyen
A.5.1. Le premier moyen est pris de la violation des règles répartitrices de compétences.
A.5.2. En sa première branche, le moyen est pris de la violation de l’article 141 de la Constitution et de l’article 6, § 1er, II, alinéa 1er, 1°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980), en ce que les articles 28 à 42 de la loi du 28 mars 2022 « portant réduction de charges sur le travail » (ci-après : la loi du 28 mars 2022), qui mettent en place le régime de la taxe sur l’embarquement dans un aéronef, ont été pris par l’autorité fédérale alors que les régions sont compétentes en matière de protection de l’environnement.
A.5.3. La partie requérante fait valoir que, bien que la loi ait pour objectif la réalisation d’une réduction des charges sur les revenus du travail, les dispositions attaquées sont justifiées par le souci de mettre en œuvre le principe du pollueur-payeur et le principe de l’internalisation des externalités négatives environnementales et sanitaires inhérentes au transport (notamment la pollution, le bruit, l’encombrement). Elle estime que le législateur avait pour objectif de modifier les comportements des passagers et, en conséquence, de mener une politique en matière de protection de l’environnement, alors que cette matière relève de la compétence des régions.
Elle considère qu’étant donné que le législateur fédéral n’a pas associé les régions à l’élaboration de la taxe, l’on ne saurait raisonner par analogie avec l’arrêt n° 9/95 du 2 février 1995 (ECLI:BE:GHCC:1995:ARR.009), par lequel la Cour a jugé que le régime des écotaxes mis en place par l’autorité fédérale était conforme aux règles répartitrices de compétences.
A.5.4. La partie requérante en déduit que les dispositions attaquées affectent la compétence des régions de manière disproportionnée.
A.6.1. Le Conseil des ministres observe que la taxe sur l’embarquement poursuit un objectif budgétaire qui consiste à compenser les coûts de la réduction des prélèvements obligatoires sur le travail. Elle a également pour objectif de sensibiliser les voyageurs aux coûts environnementaux externes du transport aérien et de les inciter à utiliser des moyens de transport alternatifs. Il ressort de l’analyse d’impact intégrée effectuée sur la base de
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l’avant-projet de loi que la taxe est susceptible d’avoir une incidence positive sur la santé, sur le changement climatique, sur la qualité de l’air, ainsi que sur les nuisances sonores à proximité des aéroports.
A.6.2. Le Conseil des ministres rappelle qu’étant donné que la taxe vise des objectifs que les régions peuvent poursuivre en vertu de leurs compétences matérielles, le législateur fédéral doit veiller à ne pas rendre impossible ou exagérément difficile l’exercice des compétences régionales.
Il fait valoir qu’il n’existe aucune obligation de concertation en la matière. Il estime que, même s’il fallait considérer que l’instauration de cette taxe porte atteinte aux compétences des régions, cette atteinte serait très réduite, étant donné que les tarifs de la taxe sont très bas et que la taxe ne compense pas tous les coûts environnementaux externes. Il en infère que l’instauration de la taxe sur l’embarquement n’empêche pas les régions de poursuivre par d’autres moyens une politique propre en matière d’environnement, d’autant que le choix du législateur fédéral n’entre pas en contradiction avec les objectifs des régions en matière de protection de l’environnement.
A.6.3. Le Conseil des ministres observe également que tous les aéroports du pays sont traités de la même manière, de sorte qu’il n’y a pas atteinte à l’union économique et monétaire. Il relève, en outre, que les trois Régions se sont abstenues d’introduire un recours contre les dispositions attaquées.
A.7.1. La partie requérante répond qu’elle ne conteste pas le fait que le législateur est compétent pour lever une taxe environnementale. Toutefois, dès lors qu’elle concerne la matière de la protection de l’environnement, cette taxe doit être complémentaire à la politique régionale en cette matière. Elle fait valoir que l’autorité fédérale n’a pas tenu compte des compétences régionales.
A.7.2. La partie requérante affirme que le mode de calcul de la distance de moins de 500 kilomètres, qui sert de référence pour la taxation des vols courts, prend comme point de départ l’aéroport de Bruxelles-National, et ce, pour l’ensemble des départs de Belgique. Par conséquent, contrairement à ce qu’affirme le Conseil des ministres, il existe potentiellement des différences entre cet aéroport et les aéroports régionaux, étant donné que la distance calculée selon cette méthodologie ne correspond pas à la distance à vol d’oiseau entre l’aéroport de départ effectif et la destination finale. Tous les aéroports ne sont pas traités de la même manière.
A.7.3. La partie requérante estime que la circonstance que les Régions n’ont pas attaqué la taxe ne permet pas de conclure que celle-ci serait conforme aux règles répartitrices de compétences.
A.8. Le Conseil des ministres réplique que l’argument de la partie requérante relatif au mode de calcul de la distance inférieure à 500 kilomètres est sans lien avec la répartition des compétences. Il fait valoir qu’en tout état de cause, le mode de calcul retenu par le législateur est pertinent, compte tenu de l’étroitesse du territoire. Il s’agit d’une règle claire, simple à mettre en œuvre, facile à contrôler et garante de la sécurité juridique, tant à l’égard des voyageurs qu’à l’égard des transporteurs aériens redevables de la taxe.
A.9.1. En sa seconde branche, le premier moyen est pris de la violation de l’article 6, § 3, 6°, de la loi spéciale du 8 août 1980, qui impose une concertation entre les gouvernements régionaux et l’autorité fédérale en ce qui concerne le trafic aérien sur les aéroports régionaux et les aérodromes publics, ainsi que les droits y afférents.
A.9.2. La partie requérante soutient que les travaux préparatoires des dispositions attaquées ne donnent aucune information quant à l’existence d’une telle concertation, alors que la taxe sur l’embarquement a un impact sur les aéroports régionaux.
A.10. Le Conseil des ministres estime que l’obligation de concertation prévue par l’article 6, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 n’est pas applicable en l’espèce, dès lors que les dispositions attaquées n’ont pas pour effet de réguler le transport aérien. L’impact sur l’exploitation des aéroports se réduit à une légère charge administrative, laquelle consiste à fournir les informations nécessaires pour vérifier si les transporteurs aériens s’acquittent correctement du paiement de la taxe.
A.11. La partie requérante répond que l’exploitant d’un aéroport est tenu, sous peine d’amende, de transmettre chaque mois au Service public fédéral Finances les informations relatives aux transporteurs aériens, ainsi que le nombre de vols ayant transporté des passagers et le nombre total de voyageurs transportés. Elle estime
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qu’il ne s’agit aucunement d’une charge administrative légère. Elle rappelle que les compétences relatives au secteur aérien sont des compétences partagées. Elle estime que la taxe sur l’embarquement peut affecter économiquement les aéroports régionaux, sans que ces derniers bénéficient des recettes de cette taxe, dont le produit est versé à l’autorité fédérale.
A.12.1. Le Conseil des ministres réplique que les dispositions attaquées n’ont aucun impact sur le trafic aérien ni sur les droits y afférents, de sorte que l’obligation de concertation prévue à l’article 6, § 3, 6°, de la loi spéciale du 8 août 1980 ne s’applique pas. Il n’y a donc pas violation de la disposition invoquée au moyen.
A.12.2. Il estime que, s’il fallait considérer qu’il y a atteinte effective aux compétences des régions en matière d’exploitation des aéroports, cette atteinte serait très réduite eu égard aux tarifs particulièrement bas de la taxe et au fait que celle-ci n’est pas de nature à compenser tous les coûts environnementaux externes. Il s’ensuit que les dispositions attaquées ne rendent pas impossible ou exagérément difficile l’exercice par les régions de leur compétence en matière d’exploitation des aéroports.
Deuxième moyen
A.13. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 15 de la Convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale, signée le 7 décembre 1944 (ci-après : la Convention de Chicago). Il porte sur des situations dans lesquelles un vol vers une destination située à plus de 500 kilomètres comporte une étape intermédiaire, afin de faire une escale ou afin de permettre au passager de prendre une correspondance.
A.14.1. Dans une première branche, la partie requérante fait valoir que, sans qu’existe une justification raisonnable à cet égard, les dispositions attaquées, et en particulier l’article 30 de la loi du 28 mars 2022, traitent de la même manière des situations différentes. Elle fait valoir qu’un vol au départ de Bruxelles vers une destination telle que Madrid donne lieu à une taxe d’un même montant, que le vol soit direct ou qu’il se décompose en deux trajets, avec une escale dans une troisième ville située à moins de 500 kilomètres, telle que Francfort. Elle estime qu’il est contradictoire de taxer davantage les vols directs sur une courte distance, de moins de 500 kilomètres, afin, d’une part, d’inciter les voyageurs à prendre le train et, d’autre part, de ne pas prélever une taxe spécifique sur le trajet d’un aéronef partant d’un aéroport belge vers une escale lorsque ce trajet, considéré isolément, est également inférieur à 500 kilomètres et qu’une alternative ferroviaire existe.
A.14.2. Elle considère que l’identité de traitement dénoncée ne trouve aucune justification dans les travaux préparatoires. Au contraire, l’objectif consistant à protéger l’environnement aurait dû conduire le législateur à ne pas traiter de la même manière les vols directs et les vols avec escale.
A.15. Le Conseil des ministres fait valoir que le montant de la taxe est calculé compte tenu de la destination finale du passager, et ce, que le vol soit direct ou qu’il comporte une escale dans un aéroport étranger. Il estime qu’en tenant compte de la destination finale dans tous les cas, le législateur s’est fondé sur un critère objectif et pertinent. Il soutient que l’identité de traitement est raisonnablement proportionnée à l’objectif qui consiste à protéger l’environnement. Selon lui, si on laisse le choix au passager, celui-ci prendra soin d’éviter les escales pour atteindre sa destination.
Le Conseil des ministres rappelle également que la Cour constitutionnelle a jugé que le législateur, lorsqu’il détermine les redevables de l’impôt, doit pouvoir faire usage de catégories qui, nécessairement, n’appréhendent la diversité de situations qu’avec un certain degré d’approximation.
A.16. La partie requérante répond que, si les passagers sont d’ores et déjà attentifs à éviter les vols avec escale, l’instauration de la taxe n’a plus d’intérêt. Elle estime toutefois que le Conseil des ministres ne peut se fonder sur aucun élément objectif pour déterminer les souhaits des voyageurs. Elle affirme que la taxe encourage, au contraire, le recours à un vol avec escale, étant donné que les compagnies qui proposent des vols avec escale ne seront pas tenues de répercuter sur les prix des billets une taxe plus élevée que celle que devront répercuter les compagnies qui proposent des vols directs.
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A.17. Le Conseil des ministres réplique que, du point de vue du voyageur, ce qui importe, c’est atteindre la destination finale. Il n’est donc pas nécessaire de l’inciter à privilégier un vol direct par rapport à un vol avec escale. Il s’ensuit que le critère de la distance séparant l’aéroport de départ de la destination finale du voyageur aérien est pertinent et proportionné à l’objectif poursuivi par le législateur.
A.18.1. Dans une seconde branche, la partie requérante soutient tout d’abord que l’article 30 de la loi du 28 mars 2022 crée une discrimination entre, d’une part, les vols dont le départ initial de passagers a lieu à partir d’un aéroport situé en Belgique et, d’autre part, les vols au départ d’un aéroport situé en Belgique dans le cadre d’une correspondance ou d’une escale, de sorte cet aéroport n’est pas le point de départ du trajet aérien du passager.
Contrairement à la situation décrite dans la première branche, c’est l’aéroport situé en Belgique qui est une étape intermédiaire du trajet du passager.
A.18.2. La partie requérante estime que la mesure n’est pas proportionnée. Elle rappelle que la taxe concernant les vols de courte distance poursuit un objectif environnemental qui consiste à favoriser le transport en train, lequel est supposé émettre moins de CO2.
Elle considère qu’en exemptant de la taxe les vols courts qui font partie d’un trajet plus long avec une escale ou une correspondance en Belgique, la disposition attaquée porte atteinte à la réalisation de l’objectif de protection de l’environnement, alors que, sous l’angle de la consommation de carburant et des émissions de CO2, ces vols ne se distinguent pas des vols dont la destination finale est située à moins de 500 kilomètres.
A.18.3. La partie requérante fait valoir que, dans son avis relatif à l’avant-projet devenu la loi du 28 mars 2022, la section de législation du Conseil d’État a considéré que les exceptions étaient formulées d’une manière à ce point large que leur application concrète manquerait de clarté. Le Conseil d’État a indiqué que l’exposé des motifs devait comprendre une mention de la justification raisonnable de ces exceptions. La partie requérante estime toutefois que l’exposé des motifs ne satisfait pas aux demandes de précisions du Conseil d’État.
A.18.4. La partie requérante observe que la mesure est justifiée par le souci d’éviter la double imposition.
Elle considère toutefois que, pour réaliser cet objectif, le législateur aurait pu prévoir de ne pas demander le paiement de la taxe à un passager dans l’hypothèse où ce dernier aurait déjà été imposé dans le pays de départ.
La seconde explication mise en exergue dans les travaux préparatoires est la volonté de maintenir la position concurrentielle des aéroports belges en tant que hubs internationaux. La partie requérante estime que cette mesure est taillée pour l’aéroport de Bruxelles-National et pour une compagnie aérienne historiquement nationale, qui y effectue des vols en provenance ou à destination de l’Afrique subsaharienne. La partie requérante en induit que le législateur a souhaité favoriser une compagnie aérienne au détriment des autres.
A.19.1. Ensuite, la partie requérante s’interroge sur la compatibilité de la taxe avec l’article 15 de la Convention de Chicago.
A.19.2. À titre principal, elle considère que cette disposition interdit aux États contractants d’imposer des droits, des taxes ou des redevances sur le transit, l’entrée ou la sortie de son territoire de tout aéronef d’un État contractant ou de personnes se trouvant à son bord. Elle estime que l’article 15 de la Convention de Chicago met en place une mesure anti-discrimination et garantit la liberté d’entreprendre, de sorte qu’il a une portée analogue à celle des articles 10, 11 et 172 de la Constitution et forme avec ces dispositions un ensemble indissociable.
A.19.3. La partie requérante observe que le législateur, ayant égard au fait que des taxes similaires ont été instaurées par plusieurs pays voisins et au fait que les actions introduites contre la taxe ont été rejetées par les juridictions de ces pays, a estimé que cette taxe était compatible avec l’article 15 de la Convention de Chicago.
L’exposé des motifs mentionne également que l’Organisation de l’aviation civile internationale estime que seul l’article 24 de la Convention est une disposition applicable en matière fiscale.
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A.19.4. La partie requérante estime que l’interprétation des juridictions étrangères n’est pas partagée par les juridictions belges, notamment par le Conseil d’État (arrêt du 3 mai 2005, n° 144.081), par le Tribunal de première instance de Bruxelles (jugement du 24 septembre 1997, R.G. 97706C, ECLI:BE:PIBRL:1997:JUG.19970924.3)
et par la Cour d’appel de Bruxelles (arrêt du 30 juin 1998, ECLI:BE:CABRL:1998:ARR.19980630.4). C’est en raison du fait que la section de législation du Conseil d’État a eu égard à l’arrêt rendu par sa section du contentieux administratif qu’elle a émis une réserve sur la compatibilité de la disposition attaquée avec la Convention de Chicago.
A.19.5. À titre subsidiaire, la partie requérante fait valoir que l’article 15 de la Convention de Chicago comporte à tout le moins une interdiction des discriminations. Elle estime que la différence de traitement entre les aéronefs dont le départ de passagers a lieu à partir d’un aéroport belge et les aéronefs qui prennent à leur bord des passagers en transit viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 15, alinéa 3, de la Convention de Chicago.
A.20. En ce qui concerne la discrimination alléguée par la partie requérante, le Conseil des ministres rappelle que le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation en matière fiscale. Eu égard à l’objectif de sensibilisation des voyageurs aux coûts environnementaux des trajets en avion, il est raisonnablement justifié qu’il soit tenu compte de la destination finale du trajet.
Il fait valoir qu’en ne taxant pas séparément les vols courts qui font partie d’un vol plus long comportant une escale ou une correspondance en Belgique, le législateur a également souhaité s’aligner sur les régimes mis en place aux Pays-Bas, en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Autriche. En outre, la mesure permet de préserver la position concurrentielle des aéroports belges et d’éviter la double imposition.
Il soutient qu’il est inexact d’affirmer que ce régime a été prévu au bénéfice d’une seule compagnie aérienne, étant donné que de nombreuses compagnies prévoient, dans le cadre de leurs vols long-courriers, des escales ou des correspondances dans des aéroports internationaux situés à proximité de la Belgique, afin de pouvoir remplir leurs appareils.
A.21. Concernant la Convention de Chicago, le Conseil des ministres observe que la taxe sur l’embarquement a été mise en place dans plusieurs autres pays. Les juridictions de ces pays ont eu l’occasion de se prononcer sur la compatibilité de ces taxes avec la Convention de Chicago. Elles ont jugé que les taxes concernées étaient compatibles avec ladite Convention. Il rappelle également que l’Organisation de l’aviation civile internationale, qui a été créée par la Convention de Chicago, estime que seul l’article 24 de la Convention concerne la matière fiscale.
A.22. La partie requérante répond que tant l’objectif budgétaire que l’objectif environnemental poursuivis par la taxe seraient mieux servis si les exemptions accordées aux passagers en transit ou en correspondance étaient supprimées, d’autant que des offres alternatives de transport en train existent généralement.
En ce qui concerne l’objectif d’éviter la double imposition, la partie requérante observe que, même si les trajets au départ d’aéroports étrangers qui comportent une escale ou une correspondance en Belgique sont déjà soumis au paiement d’une taxe, dans la plupart des cas, le prix de ces trajets est inférieur au prix du vol direct au départ de Bruxelles.
Elle estime que rien dans les travaux préparatoires ou dans le mémoire du Conseil des ministres ne permet de justifier la mesure.
Elle affirme que la majeure partie des vols qui bénéficient de cette exemption sont proposés par une seule compagnie aérienne.
A.23. Le Conseil des ministres réplique que la comparaison qu’effectue la partie requérante dans le cadre de son argument relatif à l’objectif d’éviter la double imposition est incompréhensible, en ce qu’elle n’indique ni le point de départ du trajet comportant une escale ou une correspondance, ni la taxe à laquelle il est soumis, ni sa destination finale.
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En tout état de cause, il est difficile de comparer le prix d’un trajet venant d’un aéroport étranger et comportant une étape à Bruxelles avec celui d’un vol direct au départ de Bruxelles, dès lors que les points de départ ne sont pas identiques.
Troisième moyen
A.24. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 16 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La partie requérante fait valoir que les dispositions attaquées portent une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre des transporteurs aériens. Elle reprend à son compte l’argumentation de l’association des transporteurs aériens « IATA » (International Air Transport Association) selon laquelle l’imposition de taxes environnementales est contraire à la résolution du Conseil de l’Organisation de l’aviation civile internationale du 9 décembre 1996 « sur les redevances et taxes environnementales », qui prévoit que les taxes environnementales ne doivent pas poursuivre un objectif budgétaire, doivent être liées aux coûts d’atténuation des incidences environnementales des aéronefs et ne doivent pas être discriminatoires par rapport aux autres modes de transport.
La partie requérante réitère son argumentation relative au caractère discriminatoire de l’exemption de certains vols courts faisant partie d’un trajet plus long.
Elle soutient que l’alternative de transport envisagée, à savoir le train, présente également des coûts externes élevés et qu’elle n’est pas nécessairement disponible pour l’ensemble des destinations situées à moins de 500 kilomètres.
A.25.1. Le Conseil des ministres fait valoir que la taxe est justifiée par le triple objectif qui consiste à financer la baisse des impôts sur les revenus du travail, à sensibiliser les voyageurs aux coûts environnementaux du transport aérien et à envisager des moyens de transport plus écologiques pour les courtes distances.
Le Conseil des ministres renvoie à son argumentation relative au premier et au deuxième moyens.
A.25.2. En ce qui concerne le traitement discriminatoire qui serait réservé aux compagnies aériennes par rapport aux entreprises proposant d’autres moyens de transport, le Conseil des ministres rappelle que les entreprises du secteur du transport aérien bénéficient d’une exonération des accises sur le carburant et qu’elles ne paient pas la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : la TVA), ce qui fausse la concurrence avec les autres modes de transport.
Le Conseil des ministres observe que la taxe sur l’embarquement ne compense pas entièrement les coûts environnementaux externes et l’absence d’accises et de TVA sur le kérosène.
Il conclut que la taxe sur l’embarquement ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprise.
En ce qui concerne l’affaire n° 7869
A.26. Le moyen unique est pris de la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 15 de la Convention de Chicago.
A.27.1. Dans une première branche, les parties requérantes soutiennent que la taxe sur l’embarquement traite de la même manière des catégories de personnes essentiellement différentes.
A.27.2. Les parties requérantes font valoir que la formulation large des dispositions attaquées génère beaucoup d’insécurité juridique, en particulier pour le secteur de l’aviation récréative.
L’article 159, 3°, du Code des droits et taxes divers définit l’aéronef comme étant « tout appareil motorisé qui peut être maintenu dans l’atmosphère en conséquence des forces de réaction que l’air exerce sur lui », de sorte qu’aucune distinction n’est faite entre les avions des compagnies aériennes classiques et les avions privés destinés à un usage récréatif.
Elles estiment que le législateur n’a pas tenu compte de ce secteur et que la taxe sur l’embarquement a été conçue eu égard essentiellement aux compagnies aériennes commerciales classiques, qui bénéficient, quant à elles,
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d’exemptions de la TVA et des accises sur le kérosène. De surcroît, l’exposé des motifs justifie la taxation accrue des vols courts parce qu’une alternative de transport moins polluante existe, ce qui n’est pas le cas pour un vol récréatif. Les travaux préparatoires évoquent uniquement le « transport aérien » et la « politique de transport durable », et non les vols récréatifs.
A.27.3. Les parties requérantes affirment en outre que les compagnies aériennes sont de grandes entreprises commerciales, tandis que les avions privés sont utilisés tant par des personnes privées que par des aéro-clubs, généralement structurés sous la forme d’associations sans but lucratif, et par des écoles de pilotage. L’ensemble de ces acteurs sont des « transporteurs aériens » au sens des dispositions attaquées, de sorte que la taxe leur est applicable.
Outre le fait que les compagnies aériennes disposent de moyens financiers sensiblement plus importants, leur consommation de carburant est sans commune mesure avec celle des acteurs du secteur récréatif. Les aéronefs exploités par une compagnie aérienne consomment entre 500 et 2000 litres de carburant par heure, tandis que les aéronefs, plus légers, utilisés dans un cadre récréatif consomment entre 20 et 35 litres de carburant par heure, ce qui revient à une consommation de 10 à 17,5 litres pour 100 kilomètres parcourus. Selon les parties requérantes, la consommation d’un aéronef récréatif est donc proche de celle d’une grande voiture de modèle « sport utility vehicle ».
A.27.4. Elles rappellent que l’aviation récréative est reconnue par les régions comme une activité sportive.
Il s’agit dès lors d’une activité de loisir. Les entreprises actives dans ce secteur ne peuvent pas transporter des voyageurs, même s’il est possible que les pilotes prennent des amis ou leur famille à bord.
Les parties requérantes en concluent que les catégories de personnes comparées sont fondamentalement différentes.
A.28.1. Selon les parties requérantes, l’impact environnemental des acteurs du secteur de l’aviation récréative est incomparable à celui des compagnies aériennes, de sorte que la taxe attaquée fait subir aux premiers une charge disproportionnée, d’autant que la majorité des vols effectués dans un cadre récréatif sont des vols de moins de 500 kilomètres, si bien qu’ils seront soumis au tarif de taxation le plus élevé.
De surcroît, la perception de la taxe impose aux acteurs du secteur de l’aviation récréative des formalités administratives qui, au vu de la taille réduite de ceux-ci, sont beaucoup plus difficiles à remplir pour eux que pour les compagnies aériennes.
À cela s’ajoute que les amendes qui assortissent le constat de violation des dispositions attaquées sont fixées à un niveau qui a été prévu pour être dissuasif pour une compagnie aérienne. Eu égard à la taille réduite des acteurs du secteur de l’aviation récréative, de telles amendes produisent des effets disproportionnés à leur égard.
A.28.2. Les parties requérantes estiment que les travaux préparatoires ne permettent pas de comprendre la justification de l’identité de traitement dénoncée. Elles font valoir que, s’il est vrai que les compagnies aériennes répercuteront la taxe sur leurs clients, de sorte que les voyageurs seront incités à moins prendre l’avion, tel n’est pas le cas des acteurs du secteur de l’aviation récréative, dès lors qu’ils ne transportent pas des voyageurs à titre commercial.
A.29.1. Le Conseil des ministres rappelle que la taxe n’est prélevée que dans l’hypothèse où l’aéronef transporterait un « passager », à savoir une personne physique âgée de plus de deux ans, que le personnel de bord n’est pas soumis à la taxe et que les vols récréatifs ne sont pas concernés lorsqu’ils ne sont pas utilisés pour atteindre un aéroport distinct de l’aéroport de départ. Il en déduit que les dispositions attaquées ont un effet très limité sur l’activité des parties requérantes.
A.29.2. Selon lui, l’identité de traitement entre les compagnies aériennes et les acteurs du secteur de l’aviation récréative est pertinent au regard de l’objectif consistant à inciter les utilisateurs d’aéronefs qui se déplacent d’un aéroport à un autre à privilégier des modes de transports alternatifs pour ce type de déplacements.
Le Conseil des ministres estime qu’il ne serait pas admissible de prélever la taxe pour un passager qui se déplace de Bruxelles vers Paris en empruntant un vol commercial, et de ne pas la prélever s’il recourt à un avion privé.
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A.29.3. Le Conseil des ministres soutient que les montants de la taxe ne sont pas disproportionnés pour les acteurs du secteur de l’aviation récréative, pour deux raisons. Premièrement, le montant de la taxe est calculé en fonction de la longueur du trajet. Deuxièmement, la taxe a peu d’incidence sur le secteur du vol récréatif, étant donné que celui-ci ne transporte habituellement pas de passagers.
Le montant des amendes est également proportionné, étant donné qu’il varie selon la nature et la gravité de l’infraction, et selon une échelle fixée par le Roi. La loi prévoit que le montant peut varier de 250 à 250 000 euros.
Il ressort de l’arrêté royal du 10 avril 2022 « modifiant l’arrêté royal du 3 mars 1927 portant exécution du Code des droits et taxes divers, en ce qui concerne la déclaration et diverses règles relatives à la taxe sur l’embarquement dans un aéronef, portant d’autres modifications du même arrêté et déterminant la date d’entrée en vigueur de l’article 166, § 2, du même Code » que les amendes fixées au montant maximum de 250 000 euros ne peuvent être infligées qu’aux compagnies aériennes qui ont transporté plus de 100.000 passagers durant l’année précédente.
A.30.1. Les parties requérantes répondent qu’outre le personnel de bord, les avions privés peuvent transporter des amis du pilote ou des membres de sa famille. Il s’ensuit que la taxe et, potentiellement, les amendes leur seront applicables.
Elles estiment que le législateur a perdu de vue que les vols récréatifs ne sont pas nécessairement des vols qui partent d’un aéroport et y retournent sans escale. Des escales sont possibles, notamment dans le cadre d’une excursion. Elles citent l’exemple d’un avion partant de l’aéroport de Grimbergen à destination d’Ostende pour y passer la journée avant de retourner à Grimbergen. Selon les parties requérantes, l’exemption prévue par les dispositions attaquées concerne essentiellement les baptêmes de l’air.
Elles observent que la taxe est applicable pour chaque vol au départ d’un aéroport situé en Belgique, indépendamment de la destination.
A.30.2. Les parties requérantes considèrent que la justification exposée par le Conseil des ministres est une justification a posteriori qui ne trouve aucun fondement dans les travaux préparatoires.
Les parties requérantes font valoir que le but d’un vol récréatif est le vol en soi et non le déplacement d’un point A vers un point B, de sorte qu’il n’y a pas de mode de transport alternatif pertinent. Il s’ensuit que l’objectif de la taxe ne saurait être rempli pour ce type de vols.
Elles estiment que, contrairement à ce qu’affirme le Conseil des ministres, il n’est pas nécessaire de transporter de nombreux passagers pour être soumis à la taxe.
A.31.1. Dans une seconde branche, les parties requérantes soutiennent que les dispositions attaquées opèrent une discrimination, en ce qu’elles traitent différemment, sans qu’existe une justification raisonnable à cet égard, d’une part, les vols en transit et les cinq catégories de vols énumérées au nouvel article 160, § 2, du Code des droits et taxes divers, qui ne sont pas soumis à la taxe, et, d’autre part, les vols effectués par des aéronefs privés dans un cadre récréatif, qui y sont soumis.
A.31.2. Elles estiment que cette différence de traitement ne repose pas sur un critère objectif. Elles considèrent que l’absence de moyens de transport alternatifs (par exemple, en cas de baptêmes de l’air, de vols pour parachutistes, etc.) ne constitue pas une justification raisonnable au regard de l’objectif de la mesure qui consiste à décourager les vols courts afin de réduire la pollution de l’air, et renvoient à cet égard à l’avis de la section de législation du Conseil d’État (CE, avis n° 70.983/1/3 du 14 février 2022).
Les parties requérantes observent que le législateur n’a pas précisé les contours des catégories d’exemptions comme l’y invitait pourtant le Conseil d’État. Il s’ensuit, selon elles, que la frontière entre les situations qui permettent une exemption et celles qui ne la permettent pas est floue et que la différence de traitement ne repose pas sur un critère objectif et pertinent.
A.31.3. En outre, eu égard à l’objectif environnemental poursuivi, les travaux préparatoires ne permettent pas de comprendre pour quelle raison un vol au départ et à destination d’un même aéroport, sans escale, n’est pas
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soumis à la taxe, tandis qu’un vol qui relie un aéroport à un autre y est soumis, même si la distance parcourue est la même.
A.32. Les parties requérantes affirment que les discriminations dénoncées sont également contraires à l’article 15 de la Convention de Chicago. Elles rappellent que, dans son avis précité, la section de législation du Conseil d’État a émis une réserve concernant la compatibilité de la taxe attaquée avec cette Convention.
A.33.1. Le Conseil des ministres soutient que la différence de traitement entre les vols récréatifs et les vols en transit est justifiée par les objectifs consistant à éviter la double imposition et à préserver la position concurrentielle des aéroports belges. Le législateur a également pris en considération les tarifs applicables dans les pays limitrophes et les effets économiques de la taxe.
Le Conseil des ministres observe qu’en principe, un passager n’a pas le choix quant à l’escale. Il réserve un vol en fonction de la destination finale qu’il souhaite atteindre. Ainsi, le passager d’un vol au départ de Francfort et à destination de Kinshasa qui transite par Bruxelles payera la taxe d’embarquement à Francfort.
A.33.2. Le Conseil des ministres estime qu’il a été répondu aux demandes de clarification faites par le Conseil d’État. Ainsi, les travaux préparatoires mentionnent que les vols qui sont empruntés en vue de l’exercice d’une activité professionnelle dans l’espace aérien pour laquelle l’usage d’un aéronef est nécessaire ou le plus efficient sont, notamment, les vols d’écolage de futurs pilotes, les vols destinés à la surveillance aérienne de réseaux de distribution, à la photographie aérienne professionnelle ou au filmage de compétitions sportives, le transport de techniciens pour travailler sur des éoliennes en mer et le transport de pilotes par hélicoptère.
Les vols récréatifs sont exclus du champ d’application de la taxe lorsqu’ils s’intègrent dans une activité culturelle, sportive ou de loisir au départ et à destination du même aéroport. Ces vols ne sont pas destinés à transporter une personne d’un point A vers un point B.
Les différences de traitement précitées sont raisonnablement justifiées.
A.33.3. Concernant la violation alléguée de l’article 15 de la Convention de Chicago, le Conseil des ministres développe une argumentation similaire à celle qu’il a développée dans le cadre de l’affaire n° 7868.
A.34.1. Les parties requérantes répondent qu’au regard de l’incidence sur l’environnement, des émissions de CO2 et de la consommation de carburant, les vols exemptés de la taxe ne peuvent être distingués des vols qui y sont soumis. En exemptant les vols en transit, il apparaît que le législateur poursuivait un objectif économique qui contrecarre l’objectif environnemental visé.
A.34.2. Concernant l’article 15 de la Convention de Chicago, les parties requérantes soutiennent que les arrêts des juridictions étrangères ne font pas autorité quant à l’interprétation de cette disposition. Elles estiment qu’il serait possible de conclure qu’a contrario de nombreux autres pays n’ont pas mis en place une taxe d’embarquement, étant donné que celle-ci n’était pas compatible avec l’article 15 de la Convention de Chicago.
Les parties requérantes font également valoir que les documents de l’Organisation de l’aviation civile internationale n’ont pas de force contraignante et ne lient pas la Belgique.
Elles rappellent, en outre, que les juridictions belges se sont prononcées sur l’application de l’article 15 de la Convention de Chicago. Elles développent, à cet égard, une argumentation similaire à celle de la partie requérante dans l’affaire n° 7668.
A.35. Le Conseil des ministres réplique qu’il ressort du libellé et de l’esprit de l’article 15 de la Convention de Chicago que cette disposition contient une interdiction des discriminations et qu’elle interdit les prélèvements obligatoires qui sont la contrepartie uniquement du droit de survoler, d’entrer ou de sortir du territoire belge. La taxe d’embarquement instaurée par les dispositions attaquées est donc compatible avec cette disposition.
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-B-
Quant aux dispositions attaquées
B.1.1. Les dispositions attaquées mettent en place le régime de la taxe sur l’embarquement dans un aéronef.
Elles font partie de la loi du 28 mars 2022 « portant réduction de charges sur le travail »
(ci-après : la loi du 28 mars 2022).
B.1.2. Cette loi a pour but la réalisation d’une réduction de certaines charges sur le travail.
Aux fins du financement de cette mesure, des prélèvements sont créés et d’autres sont haussés (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2522/001, p. 4).
Dans cette perspective, les articles 28 à 42 de la loi du 28 mars 2022 introduisent, dans le Code des droits et taxes divers, le « Titre III – Taxe sur l’embarquement dans un aéronef », qui contient les articles 159 à 166/3.
B.1.3. Outre son objectif budgétaire, cette taxe vise à internaliser les externalités négatives du trafic aérien, en répercutant ces coûts sur le prix payé par l’utilisateur afin de l’inciter à modifier ses comportements (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2522/001, p. 30). Les externalités négatives sont les effets négatifs de l’action d’un agent économique sur les tiers ou sur l’environnement, tels qu’en l’espèce la pollution de l’air ou les nuisances sonores. En principe, ces effets ne sont pas compensés spontanément par l’agent économique.
L’internalisation consiste à intégrer ces coûts externes dans les charges de l’agent économique qui les provoque, afin qu’il en tienne compte dans ses décisions.
Le montant de la taxe est maximal lorsque la distance du vol est inférieure à 500 kilomètres, et ce, afin d’inciter les voyageurs à privilégier une alternative de transport moins polluante, telle que le train (Ibid., p. 34).
Ce faisant, la taxe sur l’embarquement dans un aéronef contribue à la mise en œuvre du droit à la protection d’un environnement sain, prévu à l’article 23, alinéa 3, 4°, de la
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Constitution, ainsi qu’à la réalisation des objectifs d’un développement durable, dans ses dimensions sociale, économique et environnementale, conformément à l’article 7bis de celle-
ci.
B.2.1. La taxe sur l’embarquement est perçue sur le départ d’un passager à partir d’un aéroport situé en Belgique (article 160, § 1er, du Code des droits et taxes divers).
B.2.2. L’article 162 du Code des droits et taxes divers dispose :
« La taxe est de :
1° 10 euros pour un passager dont la destination n’est pas située à plus de 500 km à vol d’oiseau à partir de l’ARP de l’aéroport ayant le plus grand nombre annuel de passagers dans le pays;
2° 2 euros pour un passager dont la destination est plus éloignée que sous 1°, mais est située dans l’Espace économique européen, le Royaume-Uni ou la Suisse;
3° 4 euros pour un passager dont la destination est plus éloignée que sous 1° et est située en dehors de l’Espace économique européen, du Royaume-Uni ou de la Suisse ».
L’ « ARP » est le point de référence de l’aéroport, désigné en vertu de la section 2.2 de l’annexe 14, volume I, de la Convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale, signée le 7 décembre 1944 (ci-après : la Convention de Chicago).
B.2.3. Le passager est défini comme étant « une personne physique de 2 ans ou plus et qui est transportée par aéronef autrement qu’en tant que personnel de bord » (article 159, 5°).
B.2.4. Tous les appareils motorisés susceptibles d’être maintenus dans l’atmosphère en conséquence des forces de réaction que l’air exerce sur eux sont qualifiés d’aéronef pour l’application du titre III du Code des droits et taxes divers (article 159, 3°).
B.3.1. L’article 160, § 1er, alinéa 3, du Code des droits et taxes divers dispose :
« N’est pas considéré comme départ d’un passager le départ depuis un aéroport lorsque :
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1° ce départ a lieu, dans le cadre d’un seul contrat de transport, après l’arrivée du passager par aéronef dans cet aéroport;
2° la correspondance est la raison principale de l’utilisation de l’aéroport; et
3° le passager n’a pas quitté, pendant plus de 24 heures entre le moment de son arrivée et celui de son départ, la zone de l’aéroport dans laquelle un passager en partance ne peut entrer qu’avec un billet de transport valide ».
À cet égard, les travaux préparatoires mentionnent :
« L’alinéa 3 du paragraphe 1er exclut du champ d’application de la taxe les passagers en transfert. La taxe est applicable aux passagers qui partent d’un aéroport situé en Belgique. Ici, seul le premier départ dans le cadre d’un contrat de transport est pris en compte. Lorsqu’un départ suit l’arrivée du passager par aéronef dans cet aéroport et que ce départ fait partie d’un seul contrat de transport, il n’est pas considéré comme un départ d’un passager depuis un aéroport situé en Belgique pour l’application de cette taxe. Comme pour la détermination de la destination, le contrat de transport est donc déterminant pour la détermination du point de départ.
On peut également noter que les taxes d’embarquement aux Pays-Bas, en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Autriche prévoient une telle exclusion. La raison est double :
le maintien de la position de concurrence de leurs aéroports en tant que hubs internationaux et l’évitement d’une double imposition » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2522/001, p. 38).
Il se déduit des objectifs poursuivis par le législateur que l’exemption prévue par cette disposition porte sur la situation dans laquelle un passager arrivé en avion dans un aéroport situé en Belgique prend, dans le cadre d’un même contrat de transport, une correspondance au sens strict du terme, à savoir un autre avion afin de rejoindre sa destination finale, et, à plus forte raison, sur la situation dans laquelle un passager emprunte à nouveau le même avion lorsque ce dernier a fait escale dans un aéroport situé en Belgique, notamment, afin que des passagers supplémentaires montent à son bord.
B.3.2. En outre, la taxe n’est pas applicable aux aéronefs militaires belges ou étrangers ni aux aéronefs affectés à un service d’État tel que la police ou la douane (article 160, § 2, 1° et 2°).
B.3.3. Sont également exemptés, en vertu de l’article 160, § 2, 3°, du Code des droits et taxes divers, les « vols locaux » en paramoteur visés à l’article 1er de l’arrêté royal du 10 juin
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2014 « fixant les conditions particulières imposées pour l’admission à la circulation aérienne des paramoteurs » (ci-après : l’arrêté royal du 10 juin 2014), à savoir les vols effectués « autour d’un aérodrome ou d’un terrain pour paramoteurs à une distance telle que la perception des signaux optiques émis de ce terrain demeure toujours possible » (article 1er de l’arrêté royal du 10 juin 2014).
B.3.4. Ne sont par ailleurs pas soumis à la taxe les vols au départ et à destination d’un même aéroport, sans escale (article 160, § 2, 4°, du Code des droits et taxes divers). Il s’agit, par exemple, de vols avec parachutistes ou de baptêmes de l’air. Ces vols ne sont pas destinés au transport de passagers (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2522/001, p. 39).
B.3.5. La taxe ne s’applique pas davantage en cas de départ par aéronef « en vue de l’exercice d’une activité professionnelle dans l’espace aérien pour laquelle l’usage d’un aéronef est nécessaire ou le plus efficient » (article 160, § 2, 5°), comme dans le cadre des vols d’écolage des futurs pilotes et des vols destinés à la surveillance aérienne de réseaux de distribution, à la photographie aérienne professionnelle ou au filmage de compétitions sportives (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2522/001, p. 38).
B.3.6. Enfin, l’article 164 du Code des droits et taxes divers prévoit également des exemptions en faveur, d’une part, des passagers reprenant un vol interrompu à la suite d’incidents techniques, de conditions atmosphériques défavorables ou de tout autre cas de force majeure et, d’autre part, des passagers d’un aéronef utilisé exclusivement à des fins médicales ou humanitaires.
B.4.1. Le transporteur aérien est redevable de la taxe (article 161).
La notion de « transporteur aérien » vise tant les compagnies aériennes classiques que les particuliers qui détiennent des aéronefs privés (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2522/001, pp. 36-37). L’article 159, 4°, du Code des droits et taxes divers définit le transporteur aérien comme étant « une entreprise qui a pour activité en tout ou en partie le transport de personnes par aéronef, ainsi que quiconque d’autre au nom de qui un aéronef est
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inscrit dans le registre visé à l’article 2 de l’arrêté royal du 15 mars 1954 réglementant la navigation aérienne, ou dans un registre étranger d’aéronefs ».
B.4.2. La taxe est due au moment du départ du passager par aéronef (article 163 du Code des droits et taxes divers).
B.4.3. L’exploitant de l’aéroport doit transmettre au service compétent les données nécessaires, déterminées par le Roi, pour assurer la juste perception de la taxe (article 165, alinéa 1er).
B.5. Le Roi est chargé de déterminer le montant des amendes administratives qui assortissent les infractions commises par les transporteurs aériens (article 161, alinéa 7) ou par les exploitants d’aéroport (article 165, alinéa 2). Le montant des amendes est déterminé en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction, dans une échelle allant de 250 euros à 250 000 euros.
Quant au fond
En ce qui concerne l’affaire n° 7868
Premier moyen
B.6. Le premier moyen dans l’affaire n° 7868 est pris de la violation des règles répartitrices de compétences.
En sa première branche, le moyen est pris de la violation de l’article 141 de la Constitution et de l’article 6, § 1er, II, alinéa 1er, 1°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980), en ce que les articles 28 à 42 de la loi du 28 mars 2022 ont été adoptés par l’autorité fédérale dans un but de protection de l’environnement, alors que les régions sont compétentes pour cette matière.
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En sa seconde branche, le moyen est pris de la violation de l’article 6, § 3, 6°, de la loi spéciale du 8 août 1980, en ce que l’autorité fédérale ne s’est pas concertée avec les gouvernements régionaux avant de prendre les dispositions attaquées.
B.7.1. La taxe sur l’embarquement dans un aéronef est perçue dans le cadre du départ d’un passager à partir d’un aéroport situé en Belgique.
Elle n’est pas la rétribution d’un service fourni par l’autorité au profit du redevable, considéré individuellement; elle n’est donc pas une redevance, mais un impôt.
B.7.2. Cet impôt est prélevé par l’autorité fédérale sur la base de la compétence fiscale propre qui lui est attribuée par l’article 170, § 1er, de la Constitution.
B.8. Comme il est dit en B.1.3, outre l’objectif de financement de la réduction des prélèvements obligatoires sur le travail, la taxe sur l’embarquement dans un aéronef poursuit un objectif environnemental qui consiste à internaliser les externalités négatives causées par le trafic aérien, en répercutant celles-ci sur le prix payé par l’utilisateur, afin de l’inciter à modifier ses comportements et, notamment, à privilégier des modes de transports plus respectueux de l’environnement (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2522/001, pp. 30 et 34).
La « protection de l’environnement, notamment celle du sol, du sous-sol, de l’eau et de l’air contre la pollution et les agressions ainsi que la lutte contre le bruit » est une compétence régionale, en vertu de l’article 6, § 1er, II, alinéa 1er, 1°, de la loi spéciale du 8 août 1980.
Partant, les dispositions attaquées touchent à des compétences attribuées aux régions par l’article 6, § 1er, II, alinéa 1er, 1°, de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.9. Lors de l’adoption d’une mesure fiscale, le législateur peut également viser à encourager ou, au contraire, à décourager certains comportements. La circonstance que, ce faisant, il contribuerait à la réalisation d’un objectif relevant de la compétence d’un autre législateur ne peut avoir pour conséquence que la mesure fiscale concernée soit contraire aux règles répartitrices de compétences entre l’autorité fédérale, les communautés et les régions. Il
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en irait autrement si le législateur fédéral, par l’adoption de la disposition fiscale concernée, rendait impossible ou exagérément difficile l’exercice, par les autres législateurs, des compétences qui leur reviennent.
B.10. Le choix du législateur fédéral de favoriser, par le truchement de mesures fiscales, certains modes de transport n’empêche pas les régions de poursuivre par d’autres moyens leur politique en matière d’environnement. Il n’apparaît par ailleurs pas que l’option politique du législateur fédéral contrarie celle des régions. Les efforts que celles-ci déploient pour atteindre les objectifs fixés par l’accord de Paris du 12 décembre 2015 sur le climat semblent non pas contradictoires mais plutôt complémentaires par rapport à l’option politique fédérale.
B.11. Il n’apparaît dès lors pas que les mesures attaquées rendent impossible ou exagérément difficile l’exercice par les régions de leurs compétences.
B.12. Le premier moyen, en sa première branche n’est pas fondé.
B.13.1. L’article 6, § 3, 6°, de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose :
« Une concertation associant les Gouvernements concernés et l’autorité fédérale compétente aura lieu :
[…]
6° pour le trafic aérien sur les aéroports régionaux et les aérodromes publics ainsi que pour les droits y afférents ».
B.13.2. Il ressort des travaux préparatoires de cette disposition que cette obligation de concertation concerne l’exercice, par l’autorité fédérale, de ses compétences résiduelles en matière de navigation aérienne, et en particulier de la compétence d’octroyer et de retirer à une compagnie aérienne un monopole en matière de droits de trafic aérien à l’intérieur de la Communauté européenne. Le législateur spécial a considéré que les décisions relatives au monopole de la Société anonyme belge d’exploitation de la navigation aérienne (Sabena)
devaient être prises en concertation avec les régions (Doc. parl, Chambre, 1988, n° 516/1, p. 16;
Doc. parl, Chambre, 1988, n° 516/6, p. 150).
19
B.13.3. L’article 6, § 3, 6°, de la loi spéciale du 8 août 1980 ne porte dès lors pas sur l’exercice par l’autorité fédérale de ses compétences en matière fiscale. La simple circonstance que la législation fiscale prise peut avoir une incidence sur l’exploitation des aéroports régionaux en leur imposant des contraintes administratives liées à la perception de la taxe n’implique pas, en l’espèce, que la disposition précitée de la loi spéciale du 8 août 1980
devienne applicable.
B.14. Le premier moyen, en sa seconde branche, n’est pas fondé.
Deuxième moyen
B.15. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 15 de la Convention de Chicago.
Le moyen porte sur les situations dans lesquelles le voyage comporte une étape intermédiaire. Dans la première branche, la partie requérante invite la Cour à examiner la situation dans laquelle un vol au départ d’un aéroport situé en Belgique fait escale dans un aéroport étranger, tandis que, dans la seconde branche, elle invite la Cour à examiner la situation dans laquelle le voyage comporte une escale ou une correspondance dans un aéroport situé en Belgique.
B.16. Dans la première branche, la partie requérante fait valoir que les normes de référence mentionnées au moyen sont violées, en ce que les dispositions attaquées réservent un même traitement aux vols au départ d’un aéroport situé en Belgique vers une destination située à plus de 500 kilomètres, que ces vols soient directs ou qu’ils comportent une escale située à moins de 500 kilomètres. Elle estime qu’il est discriminatoire de taxer à hauteur d’un montant de 10 euros par passager les vols d’une distance totale inférieure à 500 kilomètres dans le but d’inciter les voyageurs à prendre le train, alors que les trajets d’un aéroport situé en Belgique vers une escale située à moins de 500 kilomètres pour lesquels une alternative ferroviaire existe également ne sont pas taxés, au motif qu’ils font partie de trajets plus longs.
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B.17. Bien que le deuxième moyen, en sa première branche, porte formellement sur l’ensemble des dispositions attaquées, il ressort de la requête qu’il est dirigé exclusivement contre les articles 159, 7°, 160 et 162 du Code des droits et taxes divers.
La Cour limite son examen à ces dispositions.
B.18.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s’oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.18.2. L’article 172, alinéa 1er, de la Constitution constitue une application particulière, en matière fiscale, du principe d’égalité et de non-discrimination inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution.
B.19. Il appartient au législateur de désigner les redevables de l’impôt qu’il instaure, de même que l’importance de cet impôt. Il dispose en la matière d’une marge d’appréciation étendue.
Lorsque le législateur désigne les redevables de l’impôt, il doit pouvoir faire usage de catégories qui, nécessairement, n’appréhendent la diversité des situations qu’avec un certain degré d’approximation, dès lors qu’il ne peut pas prendre en compte les particularités des divers cas d’espèce et qu’il peut appréhender leur diversité de manière approximative et simplificatrice. Le recours à ce procédé n’est pas déraisonnable en soi. Il revient néanmoins à la Cour d’examiner s’il en va de même quant à la manière dont ce procédé a été mis en œuvre.
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B.20.1. En ce qui concerne l’article 162 du Code des droits et taxes divers, les travaux préparatoires mentionnent :
« L’article 162 du [Code des droits et taxes divers] rétabli détermine le tarif de la taxe. Il fait une distinction entre les vols de maximum 500 km, les vols plus longs dans l’EEE, vers le Royaume-Uni et la Suisse et des vols plus longs vers d’autres territoires que ceux susmentionnés.
Pour la détermination du montant applicable, il est tenu compte de la destination du passager, la destination figurant sur le contrat de transport étant [la référence]. Ceci signifie que les passagers qui font une escale dans un aéroport étranger ou poursuivant leur voyage depuis un tel aéroport avec un autre aéronef, mais avec le même ticket, sont imposés en tenant compte de la destination finale selon leur contrat de transport.
Pour la détermination du montant applicable pour un passager dont la destination n’est pas située à plus de 500 km, la distance à vol d’oiseau est calculée à partir de l’ARP (Aerodrome Reference Point tel que visé au point 2.[2] de l’Annexe 14[, volume I,] de la Convention relative à l’aviation civile internationale) de l’aéroport ayant le plus grand nombre annuel de passagers dans le pays. Cela permet de garantir que la taxe est la même quel que soit l’aéroport de départ en Belgique » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2522/001, p. 40).
B.20.2. Pour déterminer si un vol est soumis au tarif applicable pour les passagers dont la destination n’est pas située à plus de 500 kilomètres, il faut donc calculer la distance à vol d’oiseau entre l’ « ARP » de l’aéroport de Bruxelles-National et l’ « ARP » de l’aéroport de la destination finale, tel qu’il est mentionné sur le contrat de transport. Le trajet à partir d’un aéroport situé en Belgique vers un aéroport situé à moins de 500 kilomètres dans le but d’y faire une escale ou pour que le passager prenne une correspondance n’est dès lors pas taxé séparément.
B.21.1. Comme le relève le Conseil des ministres, l’objectif des voyageurs consiste à se déplacer d’un point A vers un point B. Pour le voyageur, la correspondance ou l’escale ne sont pas des fins en soi, mais un moyen d’atteindre la destination finale.
Par les dispositions attaquées, le législateur a notamment voulu inciter les voyageurs à privilégier des modes de transport alternatifs moins polluants que l’avion. Il a veillé à ce que
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les prix des déplacements en avion qui permettent d’atteindre la destination choisie par le voyageur soient désormais renchéris, quelle qu’en soit la longueur et qu’il s’agisse de vols directs ou de voyages comportant une correspondance ou une escale, afin que tous ces vols soient moins compétitifs face aux modes de transport alternatifs tels que le train. Il s’ensuit que le mécanisme de taxation mis en place est pertinent par rapport à l’objectif poursuivi, étant donné qu’il renforce la position concurrentielle des modes de transports alternatifs en comparaison tant avec les vols directs qu’avec les voyages comportant une correspondance ou une escale. Eu égard à l’objectif poursuivi et au large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur en matière fiscale, il n’est pas déraisonnable que ce dernier n’ait pas prévu que le calcul du montant de la taxe doive tenir compte du fait que le voyage comporte une correspondance ou une escale située à moins de 500 kilomètres.
B.21.2. Dans ce contexte et eu égard à la faculté d’appréhender la diversité des situations avec un certain degré d’approximation, le législateur a raisonnablement pu décider de traiter de la même manière les voyages comportant une correspondance ou une escale et les vols directs pour le calcul du montant de la taxe sur l’embarquement dans un aéronef.
En tenant compte de la faible distance qui sépare les aéroports situés en Belgique, le législateur a également pu raisonnablement décider que, pour la détermination du montant de la taxe, l’aéroport de Bruxelles-National doit toujours être considéré comme point de départ du vol. Tous les transporteurs aériens qui organisent des vols vers une destination précise seraient ainsi soumis à une taxe du même montant, indépendamment de l’aéroport situé en Belgique d’où part le vol.
B.22. La position concurrentielle des compagnies aériennes qui, à l’instar de la partie requérante, opèrent des vols directs à partir d’aéroports situés en Belgique n’est pas affectée de manière disproportionnée par la circonstance que leurs concurrentes qui opèrent des vols ayant pour destination finale les mêmes villes mais comportant une correspondance ou une escale ne sont pas soumises au tarif le plus élevé de la taxe.
B.23. Le deuxième moyen, en sa première branche, n’est pas fondé.
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B.24. Dans la seconde branche du deuxième moyen, la partie requérante soutient que l’article 160 du Code des droits et taxes divers fait naître une différence de traitement injustifiée entre, d’une part, les vols au départ d’un aéroport situé en Belgique et, d’autre part, les vols au départ d’un aéroport étranger qui transitent par un aéroport situé en Belgique. Elle estime également que la disposition attaquée, en taxant le départ de passagers à partir d’un aéroport situé en Belgique, viole l’article 15, dernière phrase, de la Convention de Chicago, qui, selon elle, interdit aux États contractants de taxer le transit, l’entrée sur leur territoire ou la sortie de celui-ci d’un aéronef d’un autre État contractant ou de personnes se trouvant à bord. À titre subsidiaire, elle estime que l’article 15 de la Convention de Chicago interdit les discriminations entre les aéronefs qui transitent par un aéroport situé en Belgique et ceux dont le point de départ est un aéroport situé en Belgique.
B.25. Comme il est dit en B.3.1, le départ de passagers qui sont arrivés dans un aéroport situé en Belgique dans le cadre d’une escale de leur aéronef ou pour prendre une correspondance n’est pas considéré comme un « départ de passager depuis un aéroport situé en Belgique » pour l’application de l’article 160, § 1er, alinéa 1er, du Code des droits et taxes divers, de sorte que ce départ n’est pas soumis à la taxe sur l’embarquement dans un aéronef.
B.26.1. Cette exclusion du champ d’application de la taxe est justifiée par un double objectif, à savoir maintenir la position concurrentielle des aéroports situés en Belgique en tant que plaques tournantes du trafic aérien international et éviter que ces vols fassent l’objet d’une double imposition (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2522/001, p. 38).
B.26.2. La loi du 28 mars 2022, considérée dans son ensemble, opère un déplacement de fiscalité (« tax shift ») grâce à une réduction des prélèvements sur le travail et grâce, notamment, à une augmentation de certains prélèvements sur des activités qui portent atteinte à la santé ou à l’environnement.
La loi du 28 mars 2022 poursuit plusieurs objectifs distincts, de nature économique, sociale et environnementale, entre lesquels le législateur a entendu ménager un équilibre.
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Ce faisant, cette loi contribue à mettre en œuvre l’article 7bis de la Constitution, qui dispose que « dans l’exercice de leurs compétences respectives, l’État fédéral, les communautés et les régions poursuivent les objectifs d’un développement durable, dans ses dimensions sociale, économique et environnementale, en tenant compte de la solidarité entre les générations ».
B.26.3. S’il est vrai que, comme il est dit en B.1.3, les articles 28 à 42 de la loi du 28 mars 2022 poursuivent essentiellement un objectif budgétaire et un objectif environnemental, le législateur a légitimement pu estimer, en l’espèce, qu’il convenait également de préserver la position concurrentielle des aéroports situés en Belgique en tant que plaques tournantes du trafic aérien international, afin d’assurer une forme d’équilibre entre, d’une part, les objectifs budgétaire et environnemental et, d’autre part, les objectifs de développement économique et de hausse du taux d’emploi qui justifient l’adoption de la loi.
B.27.1. En excluant du champ d’application de la taxe sur l’embarquement les passagers qui prennent une correspondance ou dont l’aéronef fait escale dans un aéroport situé en Belgique, l’article 160, § 1er, alinéa 3, du Code des droits et taxes divers permet de préserver la position concurrentielle des aéroports situés en Belgique. La mesure est dès lors pertinente au regard de cet objectif.
B.27.2. Dans sa requête, la partie requérante affirme qu’elle opère principalement des vols directs au départ d’aéroports situés en Belgique. Il s’ensuit qu’elle occupe un segment du marché distinct de celui qu’occupent les compagnies aériennes qui opèrent au départ d’un aéroport étranger des vols transitant par un aéroport situé en Belgique. Si, à l’avenir, la partie requérante décidait d’utiliser un aéroport situé en Belgique pour les correspondances des vols internationaux qu’elle opère, elle bénéficierait de l’exemption prévue à l’article 160, § 1er, alinéa 3, du Code des droits et taxes divers dans les mêmes conditions que les compagnies qui occupent actuellement ce segment du marché. Contrairement à ce qu’affirme la partie requérante, la mesure est donc susceptible de bénéficier à toutes les compagnies aériennes qui décident d’occuper ce segment du marché, quels que soient leur nationalité ou leurs liens historiques avec la Belgique.
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B.27.3. En ne taxant pas les compagnies qui utilisent les aéroports situés en Belgique pour assurer les correspondances des vols internationaux qu’elles opèrent, la disposition attaquée ne porte pas une atteinte disproportionnée à la position concurrentielle des compagnies aériennes qui, à l’instar de la partie requérante, opèrent principalement des vols directs à partir d’aéroports situés en Belgique.
B.28. Sans qu’il soit nécessaire d’examiner si l’objectif qui consiste à éviter la double imposition permet également de justifier la mesure, il suffit de constater que celle-ci est raisonnablement justifiée par l’objectif qui consiste à préserver la position concurrentielle des aéroports situés en Belgique en tant que plaques tournantes du trafic aérien international.
B.29.1. La Cour doit encore examiner si les dispositions attaquées portent une atteinte discriminatoire à l’article 15 de la Convention de Chicago, qui dispose :
« Tout aéroport situé dans un État contractant et ouvert aux aéronefs de cet État aux fins d’usage public est aussi, sous réserve des dispositions de l’article 68, ouvert dans des conditions uniformes aux aéronefs de tous les autres États contractants. De même, des conditions uniformes s’appliquent à l’utilisation, par les aéronefs de chaque État contractant, de toutes installations et tous services de navigation aérienne, y compris les services radioélectriques et météorologiques, mis en place aux fins d’usage public pour la sécurité et la rapidité de la navigation aérienne.
Les redevances qu’un État contractant peut imposer ou permettre d’imposer pour l’utilisation desdits aéroports et installations et services de navigation aérienne par les aéronefs de tout autre État contractant ne doivent pas :
a) pour les aéronefs qui n’assurent pas de services aériens internationaux réguliers, être supérieures aux redevances qui seraient payées par ses aéronefs nationaux de même classe assurant des services similaires;
b) pour les aéronefs qui assurent des services aériens internationaux réguliers, être supérieures aux redevances qui seraient payées par ses aéronefs nationaux assurant des services internationaux similaires.
Toutes ces redevances sont publiées et communiquées à l’Organisation de l’aviation civile internationale, étant entendu que, sur représentation d’un État contractant intéressé, les redevances imposées pour l’utilisation des aéroports et autres installations et services sont soumises à l’examen du Conseil, qui fait rapport et formule des recommandations à ce sujet à l’attention de l’État ou des États intéressés. Aucun État contractant ne doit imposer de droits, taxes ou autres redevances uniquement pour le droit de transit, d’entrée ou de sortie de son territoire de tout aéronef d’un État contractant, ou de personnes ou biens se trouvant à bord ».
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B.29.2. Il ressort des travaux préparatoires que le législateur a examiné la compatibilité des dispositions attaquées avec cette Convention :
« Lors ou après l’introduction d’une taxe d’embarquement dans nos pays voisins, la question a souvent été soulevée de savoir si elle était conforme au droit international et en particulier à la Convention de Chicago du 7 décembre 1944 relative à l’aviation civile internationale (ci-après: ‘ la Convention ’). L’analyse qui suit permet de confirmer la compatibilité de la présente taxe avec la Convention.
Lors de l’instauration d’une taxe d’embarquement au Royaume-Uni (Air Passenger Duty), aux Pays-Bas (vliegbelasting) et en Allemagne (Luftverkehrsteuer), des actions ont été introduites pour contester la validité d’une telle taxe sur base de la Convention.
Ses opposants ont fait valoir que la dernière phrase de l’alinéa 3 de l’article 15 de la Convention contient une interdiction de son instauration. La phrase prévoit que: ‘ Aucun État contractant ne doit imposer de droits, taxes ou autres redevances uniquement pour le droit de transit, d’entrée ou de sortie de son territoire de tout aéronef d’un État contractant, ou de personnes ou biens se trouvant à bord. ’.
Ces procédures judiciaires à l’étranger ont été précédées d’un litige devant la section d’administration du Conseil d’État belge concernant la validité de l’introduction par la commune de Zaventem d’un impôt sur le départ et/ou l’entrée réguliers d’avions civils dans la commune de Zaventem. Le Conseil d’État a, par son arrêt n° 144 081 du 3 mai 2005, annulé le règlement-taxe du 18 décembre 1995 du conseil communal de Zaventem en considérant que ‘ ce dernier alinéa [de l’article 15 de la Convention] peut donc être lu et compris en substance, non pas en premier lieu comme une mesure destinée à assurer que les services internationaux de transport aérien puissent être établis sur base de l’égalité des chances, mais comme une mesure destinée à assurer que ces services de transport aérien – selon les termes du préambule de la convention du 7 décembre 1944 – ‘‘ puissent être exploités de manière saine et économique ’’ ’ et que ‘ ce faisant, l’article 15, dernier alinéa, limite la compétence fiscale matérielle de l’État et de ses subdivisions administratives, parmi lesquelles les communes ’ (traduction libre du texte de l’arrêt précité, cité ci-contre en néerlandais).
Contrairement au Conseil d’État belge, les juridictions étrangères ont jugé que l’article 15
de la Convention est conçu comme une mesure anti-discrimination et ne contient pas d’interdiction pour les pays parties à la Convention d’instaurer une taxe d’embarquement (cf.
concernant l’Air Passenger Duty au Royaume-Uni: High Court of Justice , [2007] EWHC 2062
(Admin), Case No: CO/1505/2007, 4 septembre 2007, paragraphes 56 et 57; concernant le Luftverkehrsteuer en Allemagne: Hessisches Finanzgericht, Geschäftsnummer 7 K 631/2, Sitzung vom 3 juin 2015; concernant la vliegtaks aux Pays-Bas: Hoge Raad, CLI:NL:HR:2009:BI3450, 13 juillet 2009).
Si le Conseil d’État néerlandais avait émis des réserves sur la première version de la taxe sur l’aviation néerlandaise (qui s’est appliquée du 1er juillet 2008 au 1er juillet 2009) en ce qui concerne la compatibilité de la taxe avec l’article 15, alinéa 3, 2me phrase, de la Convention (Tweede Kamer, vergaderjaar 2007–2008, 31 205, n° 4, pp. 4-5), il n’a plus émis de telles
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réserves lors de la réintroduction de la taxe en 2020. Entre-temps, il y a eu, bien évidemment, l’arrêt du Hoge Raad (cfr. la référence dans l’alinéa précédent).
La Convention a également créé l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI;
en anglais: International Civil Aviation Organization (ICAO)). L’OACI est financée et gérée par 193 gouvernements nationaux, en appui de leur diplomatie et leur coopération dans le domaine du transport aérien, en tant qu’États signataires de la Convention.
Dans l’introduction de son document ‘ DOC 8632 Politique de l’Oaci en matière d’imposition dans le domaine du transport aérien international ’, troisième édition, 2000, l’OACI admet elle-même cette compatibilité avec la Convention: ‘ La Convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale de 1944 ne tenta pas de régler en détail les questions fiscales. Elle dispose simplement [article 24, alinéa a)] que le carburant et les huiles lubrifiantes se trouvant dans un aéronef d’un État contractant à son arrivée sur le territoire d’un autre État contractant et s’y trouvant encore lors de son départ de ce territoire sont exempts des droits de douane, frais de visite ou autres droits et redevances similaires imposés par l’État ou les autorités locales. Ce même article fait également état de l’admission temporaire en franchise de douane de tout aéronef effectuant un vol à destination ou en provenance du territoire d’un autre État contractant, ou transitant par ce territoire, et de l’exonération des droits de douane, etc., pour les pièces de rechange, le matériel habituel et les provisions de bord. ’ (n° 2 du document précité de l’OACI).
Non seulement, il n’y a pas de renvoi à l’article 15 de la Convention, mais la deuxième phrase amène à conclure que seul l’article 24 de la Convention traite de la matière fiscale.
On ne peut ignorer le fait que de nombreux États parties à la Convention ont introduit l’une ou l’autre forme de ‘ taxe sur les billets ’ ou ‘taxe sur l’embarquement’ (cfr. Commission européenne, ‘ Taxes in the field of aviation and their impact ’, Final report, CE Delft, June 2019, bijlage A, Overview of taxes, pp. 124-129). Il est impensable que tous ces États aient ignoré tout simplement l’existence de la Convention. Il est également impensable qu’aucun des autres États parties à la Convention qui ne souhaitent pas introduire un impôt sur les billets ou taxe sur l’embarquement, ni l’OACI elle-même, n’aient soulevé la question de la compatibilité de l’impôt sur les billets si un tel État ou l’OACI avait estimé qu’il y avait une violation de l’article 15 de la Convention.
Tout cela suffit à démontrer que, contrairement à ce qu’a jugé la section d’administration du Conseil d’État belge en 2005, il est désormais internationalement admis que l’instauration d’une taxe d’embarquement est bien compatible avec la Convention » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2522/001, pp. 32-34).
B.29.3. La section de législation du Conseil d’État a observé :
« Le Conseil d’État, section de législation, prend tout d’abord acte des arguments présentés dans l’exposé des motifs en ce qui concerne la compatibilité de la taxe en projet avec la Convention de Chicago. Sans devoir remettre en cause le point de vue adopté dans l’arrêt n° 144 081 du Conseil d’État, section du contentieux administratif, du 3 mai 2005, qui y est mentionné, lequel se fonde principalement sur une analyse textuelle de l’article 15, alinéa 3, de la Convention de Chicago, il peut se déduire de la référence à la jurisprudence de certaines juridictions étrangères figurant dans l’exposé des motifs que d’autres points de vue sont
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également possibles pour l’interprétation des dispositions conventionnelles précitées. Dans le délai qui lui est imparti pour examiner l’avant-projet, la section de législation n’a toutefois pas pu examiner en profondeur cette jurisprudence et les règlements qui la sous-tendent. On ne peut certes exclure une interprétation évolutive de la disposition conventionnelle précitée. Ainsi, l’Organisation de l’aviation civile internationale ne paraît pas exclure complètement les taxes à la vente ou à la consommation dans le cadre du transport aérien international dans la résolution ‘ sur l’imposition du transport aérien international ’ citée par le délégué, dès lors que les parties contractantes doivent seulement les limiter ‘ dans toute la mesure du possible’ et les supprimer ‘aussitôt que sa situation économique le permettra ’.
[…]
Par conséquent, le Conseil d’État, section de législation, se doit de formuler une réserve en ce qui concerne la compatibilité du dispositif en projet avec la Convention de Chicago. D’un point de vue national, c’est en définitive à la Cour constitutionnelle qu’il reviendra de trancher, le cas échéant, cette question » (ibid., pp. 114-115).
B.29.4. Pour l’interprétation de la Convention de Chicago, la Cour tient compte des règles d’interprétation prévues aux articles 31 à 33 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, qui codifient des règles coutumières antérieures.
La Convention de Vienne prévoit notamment qu’un traité « doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but » (article 31, § 1er).
En outre, lorsque, comme c’est le cas en ce qui concerne la Convention de Chicago, un traité a été authentifié en plusieurs langues, « son texte fait foi dans chacune de ces langues, à moins que le traité ne dispose ou que les parties ne conviennent qu’en cas de divergence un texte déterminé l’emportera » (article 33, § 1er). Les termes d’un traité sont présumés avoir le même sens dans les divers textes authentiques (article 33, § 3). La Convention de Chicago a été authentifiée en anglais, en français, en espagnol et en russe. Les parties n’ont pas estimé que l’une de ces versions l’emportait.
B.29.5.1. Outre les juridictions belges et étrangères citées dans les travaux préparatoires de la loi du 28 mars 2022, la Cour de Justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur la portée de l’article 15 de la Convention de Chicago dans le cadre d’une question préjudicielle portant sur le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre.
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B.29.5.2. Par son arrêt en cause de Air Transport Association of America e.a. (grande chambre, 21 décembre 2011, C-366/10, ECLI:EU:C:2011:864), la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que l’article 15 de la Convention de Chicago prévoit en substance que « les redevances aéroportuaires imposées ou pouvant être imposées aux aéronefs qui assurent des services aériens internationaux réguliers ne doivent pas être supérieures à celles qui seraient payées par les aéronefs nationaux assurant des services internationaux similaires » (point 98;
voy. également les points 99, 148 et 154 à 156).
B.29.5.3. Cet arrêt a été rendu sur conclusions conformes de l’avocate générale Kokott du 6 octobre 2011 (C-366/10, Air Transport Association of America e.a.). L’avocate générale a estimé que l’article 15 de la Convention de Chicago exige que les « mesures de protection de l’environnement ne doivent pas être appliquées de façon discriminatoire vis-à-vis des compagnies aériennes et ne doivent pas porter atteinte aux possibilités pour les compagnies aériennes de se faire concurrence » (point 106). Elle observe que cette disposition ne fait que traduire le principe de non-discrimination (point 205).
Elle conclut ce qui suit :
« 211. Il convient de noter que la dernière phrase de l’article 15 de la convention de Chicago ne peut pas être examinée coupée du contexte général dans lequel elle s’inscrit. Ainsi qu’il résulte du premier alinéa de l’article 15, cette disposition vise en général à donner à tous les aéronefs, quelle que soit leur nationalité, un accès aux aéroports publics des États contractants à ‘ conditions uniformes ’. En se fondant sur cette approche, le deuxième alinéa de l’article 15 dispose que les redevances pour l’utilisation des aéroports et des installations de navigation aérienne des autres États contractants ne doivent pas être plus élevées que les redevances qui seraient payées par les aéronefs nationaux. En fin de compte, l’article 15
contient donc, en ce qui concerne l’accès aux aéroports des États contractants, une interdiction des discriminations sur le fondement de la nationalité des aéronefs. Le troisième alinéa de l’article 15 poursuit cette idée avec la formule ‘ Toutes ces redevances ’.
212. Si l’on comprend l’article 15, pris dans son ensemble, comme une simple expression du principe de non-discrimination sur le fondement de la nationalité, alors la compatibilité du système UE d’échange de quotas d’émission avec cette disposition ne peut être mise en doute, car ce système s’applique de la même façon à tous les aéronefs, quel que soit leur État d’appartenance.
[…]
217. Par ailleurs, le prix des quotas d’émission n’est pas dû ‘ uniquement pour le droit de transit, d’entrée ou de sortie ’ ainsi que l’exigerait l’article 15, dernière phrase, de la convention de Chicago. Il est vrai que tout décollage et atterrissage d’un aéronef sur les aéroports de
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l’Union européenne oblige l’exploitant de l’aéronef à restituer, dans un délai déterminé, les quotas d’émission nécessaires (article 12, paragraphe 2bis, de la directive 2003/87). Or, ce ne sont pas le décollage ou l’atterrissage concernés qui sont ‘payés’ en tant que tels, mais il est tenu compte des émissions de gaz à effet de serre causés par les vols correspondants, et ce indépendamment du point de savoir s’il s’agit de vols internes à l’Union ou de vols franchissant les frontières de l’Union ».
Cette interprétation de l’article 15 de la Convention de Chicago est transposable en l’espèce.
B.29.6. En effet, il ressort d’une lecture systémique et contextuelle de l’article 15 de la Convention de Chicago que cette disposition a pour but d’imposer aux États contractants de soumettre les aéronefs nationaux et les aéronefs étrangers à des règles uniformes. Il prohibe les redevances, taxes et autres prélèvements obligatoires qui discriminent les aéronefs nationaux et les aéronefs des autres États contractants en ce qui concerne le taux de la taxe.
B.29.7. C’est dans l’optique de prohiber les discriminations et de ne pas porter atteinte aux possibilités pour les compagnies aériennes de se faire concurrence que l’article 15, dernière phrase, de la Convention de Chicago interdit de soumettre les aéronefs étrangers à des taxes ou à des redevances prélevées uniquement en raison de leur transit, de leur entrée, ou de leur sortie du territoire. Contrairement à l’article 24 de la Convention de Chicago, l’article 15 de la même Convention ne met pas en place une règle en matière fiscale qui serait distincte de l’interdiction des discriminations. En outre, l’utilisation du terme « uniquement » dans la version française, du terme « solely » dans la version anglaise, des termes « por el mero derecho de transito, entrada o salida » dans la version espagnole et du terme « tol’ko » (только) dans la version russe implique que ce sont les montants prélevés exclusivement à titre de droits d’entrée, de sortie ou de transit qui sont visés à l’article 15, dernière phrase de la Convention, de sorte que les prélèvements qui poursuivent un objectif de protection de l’environnement et qui sont liés à la distance parcourue par l’aéronef ne sont pas prohibés, pour autant qu’ils ne soient pas discriminatoires.
B.29.8. Dès lors que la taxe sur l’embarquement dans un aéronef poursuit un objectif de protection de l’environnement, que son montant varie en fonction de la distance parcourue et que les aéronefs étrangers y sont soumis dans les mêmes conditions que les aéronefs nationaux, elle n’est pas prohibée par l’article 15, dernière phrase, de la Convention de Chicago.
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Par conséquent, les dispositions attaquées ne portent pas une atteinte discriminatoire à l’article 15 de la Convention de Chicago.
B.30. Le deuxième moyen, en sa seconde branche, n’est pas fondé.
Le troisième moyen
B.31. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d’entreprendre consacrée aux articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, à l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 et aux articles 16 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en ce que les dispositions attaquées porteraient une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre des transporteurs aériens. La partie requérante estime également que la taxe sur l’embarquement dans un aéronef viole la résolution du Conseil de l’Organisation de l’aviation civile internationale du 9 décembre 1996 « sur les redevances et taxes environnementales ».
B.32. La résolution du Conseil de l’Organisation de l’aviation civile internationale du 9 décembre 1996 « relative aux redevances et taxes environnementales » n’est pas dotée d’une force obligatoire.
En ce qu’il est pris de la violation de cette résolution, le moyen n’est pas fondé.
B.33. Les dispositions attaquées sont susceptibles de restreindre la liberté d’entreprendre des transporteurs aériens, dès lors qu’elles peuvent affecter la rentabilité économique de certaines lignes aériennes et inciter les compagnies aériennes à ne plus les exploiter.
B.34.1. La loi du 28 février 2013, qui a introduit l’article II.3 du Code de droit économique, a abrogé le décret dit d’Allarde des 2-17 mars 1791. Ce décret, qui garantissait la liberté de commerce et d’industrie, a régulièrement servi de norme de référence à la Cour dans son contrôle du respect des articles 10 et 11 de la Constitution.
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B.34.2. La liberté d’entreprendre, visée par l’article II.3 du Code de droit économique, doit s’exercer « dans le respect des traités internationaux en vigueur en Belgique, du cadre normatif général de l’union économique et de l’unité monétaire tel qu’établi par ou en vertu des traités internationaux et de la loi » (article II.4 du même Code).
La liberté d’entreprendre doit par conséquent être lue en combinaison avec les dispositions de droit de l’Union européenne applicables, ainsi qu’avec l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, au regard duquel la Cour peut effectuer directement un contrôle, dès lors qu’il s’agit d’une règle répartitrice de compétences.
Enfin, la liberté d’entreprendre est également garantie par l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
B.34.3. Par conséquent, la Cour doit contrôler les dispositions attaquées au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec la liberté d’entreprendre.
B.34.4. Sans qu’il soit nécessaire d’examiner si la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est applicable en l’espèce en vertu de son article 51, la Cour peut prendre en considération la jurisprudence de la Cour de justice relative à l’article 16 de cette Charte, étant donné que la liberté d’entreprise en droit de l’Union européenne a une portée analogue à celle de la liberté d’entreprendre en droit belge, garantie par l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.34.5. La liberté d’entreprendre ne peut être conçue comme une liberté absolue. Elle ne fait pas obstacle à ce que le législateur compétent règle l’activité économique des personnes et des entreprises. Le législateur n’interviendrait de manière déraisonnable que s’il limitait la liberté d’entreprendre sans aucune nécessité ou si cette limitation était disproportionnée au but poursuivi.
La liberté d’entreprise « doit être prise en considération par rapport à sa fonction dans la société ». Elle peut dès lors « être soumise à un large éventail d’interventions de la puissance
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publique susceptibles d’établir, dans l’intérêt général, des limitations à l’exercice de l’activité économique » (CJUE, grande chambre, 22 janvier 2013, C-283/11, Sky Österreich GmbH, ECLI:EU:C:2013:28, points 45 et 46; CJUE, grande chambre, 21 décembre 2016, C-201/15, AGET Iraklis, ECLI:EU:C:2016:972, points 85 et 86).
B.35.1. Lorsque la mesure qui porte atteinte à la liberté d’entreprendre contribue à la protection d’un autre droit fondamental, il convient d’examiner si les dispositions attaquées permettent d’assurer un juste équilibre entre les droits concernés (voy. par analogie : CJUE, grande chambre, 22 janvier 2013, C-283/11, Sky Österreich GmbH, ECLI:EU:C:2013:28, points 59 et 60).
Le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer la manière dont il convient de concilier les droits fondamentaux concernés.
B.35.2. Ainsi qu’il est dit en B.1.3, par la taxe attaquée, le législateur a notamment voulu inciter les voyageurs à utiliser des moyens de transport moins polluants que les aéronefs. Par cette taxe, il a ainsi voulu contribuer à la mise en œuvre du droit à la protection d’un environnement sain, prévu à l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, ainsi qu’à la réalisation des objectifs d’un développement durable, dans ses dimensions sociale, économique et environnementale, conformément à l’article 7bis de celle-ci.
B.36. Comme il est dit en B.2.2, le montant de la taxe varie de 2 à 10 euros par passager, en fonction de la distance à laquelle se situe la destination.
Eu égard à ces montants et aux exemptions décrites en B.3, les dispositions attaquées reposent sur un juste équilibre entre la liberté d’entreprendre et le droit à la protection d’un environnement sain.
B.37. Le troisième moyen n’est pas fondé.
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En ce qui concerne l’affaire n° 7869
B.38. Le moyen unique est pris de la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 15 de la Convention de Chicago.
B.39. Dans une première branche, les parties requérantes soutiennent que, sans qu’existe une justification raisonnable, la taxe sur l’embarquement traite de la même manière les compagnies aériennes et les transporteurs aériens du secteur de l’aviation récréative.
B.40.1. Selon les dispositions attaquées, la taxe sur l’embarquement dans un aéronef n’est prélevée que lorsque ce dernier transporte un passager, à savoir une personne physique âgée de plus de deux ans, et que le personnel de bord, y compris le pilote, n’est pas soumis à la taxe.
Par conséquent, les vols récréatifs sans passagers ne sont pas soumis à la taxe, quelle que soit la distance parcourue. En outre, il ressort de l’article 160, § 2, 4°, du Code des droits et taxes divers que les vols récréatifs ne sont pas concernés lorsqu’ils ne sont pas utilisés pour atteindre un aéroport distinct de l’aéroport de départ. Le vol récréatif dans le cadre duquel des passagers sont embarqués et qui fait le tour d’une zone géographique pour ensuite revenir à son aéroport de départ ne donne donc pas davantage lieu à la taxation.
B.40.2. Il est vrai que les transporteurs aériens du secteur de l’aviation récréative ne disposent pas des mêmes moyens financiers que les compagnies aériennes et que leurs aéronefs privés consomment en règle moins de carburant que ceux dont disposent ces compagnies.
Néanmoins, eu égard à l’objectif qui consiste à inciter les utilisateurs d’aéronefs qui se déplacent d’un aéroport à un autre à privilégier des modes de transport alternatifs pour leurs déplacements, il est pertinent de soumettre les vols récréatifs à la taxe lorsqu’un passager est transporté d’un point A vers un point B. Dans cette hypothèse, le législateur a raisonnablement pu assimiler les vols récréatifs à des vols de transport de passager.
B.40.3. En ce que les parties requérantes allèguent que, contrairement aux vols commerciaux, il n’existe pas d’alternative aux vols récréatifs, étant donné que le but de tels vols est de passer du temps dans les airs, elles font abstraction du fait que la taxe est uniquement perçue lorsque des passagers sont transportés d’un point A à un point B.
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Le législateur a raisonnablement pu estimer qu’en ce qui concerne les vols transportant des passagers d’un point A à un point B, il n’est pas nécessaire de faire une distinction entre les vols dont l’objectif principal est de passer du temps dans les airs et ceux dont l’objectif principal est le transport des passagers.
B.41. En outre, les dispositions attaquées ne produisent pas des effets disproportionnés à l’égard du secteur de l’aviation récréative, dès lors que les vols récréatifs ne transportent habituellement pas de passager et qu’au vu de la taille des avions privés, seul un nombre très réduit de passagers pourrait être transporté par ceux-ci.
B.42. Le moyen unique, en sa première branche, n’est pas fondé.
B.43. Dans la seconde branche du moyen unique, les parties requérantes soutiennent que les dispositions attaquées font naître une différence de traitement injustifiée entre, d’une part, les vols en transit et les cinq catégories de vols énumérées à l’article 160, § 2, du Code des droits et taxes divers, qui ne sont pas soumis à la taxe, et, d’autre part, les vols effectués par des aéronefs dans un cadre récréatif, qui sont soumis à la taxe.
Elles allèguent également que les dispositions attaquées ne sont pas compatibles avec la Convention de Chicago.
B.44.1. La différence de traitement entre les vols au départ d’un aéroport situé en Belgique et les voyages qui comportent une correspondance en Belgique repose sur un critère objectif, à savoir la fonction de l’aéroport en tant qu’escale ou en tant que point de départ.
B.44.2. Comme il est dit en B.27.1, l’exemption des voyages qui comportent une correspondance ou une escale en Belgique est pertinente au regard de l’objectif qui consiste à préserver la position concurrentielle des aéroports situés en Belgique.
B.44.3. Il ressort de ce qui est dit en B.41 que les dispositions attaquées, en ce qu’elles ne soumettent pas les vols récréatifs à une exemption, ne produisent pas des effets disproportionnés pour le secteur de l’aviation récréative.
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B.45.1. La différence de traitement entre, d’une part, les vols utilisant des aéronefs militaires belges ou étrangers, les vols utilisant des aéronefs affectés à un service d’État tel que la police ou la douane, les vols locaux en paramoteurs visés à l’article 1er de l’arrêté royal du 10 juin 2014, les vols au départ et à destination d’un même aéroport sans escale et les vols en vue de l’exercice d’une activité professionnelle dans l’espace aérien pour laquelle l’usage d’un aéronef est nécessaire ou le plus efficient et, d’autre part, les autres vols, en ce compris les vols récréatifs effectués par un avion privé qui transporte des passagers d’un point A vers un point B, repose également sur un critère objectif, à savoir l’objet et les caractéristiques du vol.
B.45.2. Les vols militaires et les vols affectés à une mission de service public sont exemptés de la taxe, afin que les activités d’intérêt général qu’ils contribuent à mettre en œuvre ne soient pas entravées.
B.45.3. Les vols effectués en vue de l’exercice d’une activité professionnelle dans l’espace aérien pour laquelle l’usage d’un aéronef est nécessaire ou le plus efficient sont, par exemple, les vols d’écolage des futurs pilotes et les vols destinés à la surveillance aérienne de réseaux de distribution, à la photographie aérienne professionnelle ou au filmage de compétitions sportives (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2522/001, p. 38).
En exemptant ces activités de la taxe, le législateur a entendu ne pas imposer les activités pour lesquelles le recours à un mode de transport alternatif aurait peu de sens.
B.45.4. Comme il est dit en B.3.3, les « vols locaux » au sens de l’arrêté royal du 10 juin 2014 sont les vols effectués « autour d’un aérodrome ou d’un terrain pour paramoteurs à une distance telle que la perception des signaux optiques émis de ce terrain demeure toujours possible » (article 1er de l’arrêté royal du 10 juin 2014).
À l’instar des vols au départ et à destination d’un même aéroport sans escale, ces vols ne sont pas destinés au transport de passagers d’un aéroport vers un autre, de sorte qu’il n’existe pas de moyens de transport alternatifs pour réaliser la même fonction.
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B.46. Pour les motifs mentionnés en B.40.1 à B.40.3, le législateur a raisonnablement pu estimer qu’il ne s’imposait pas de prévoir une exemption supplémentaire en faveur des vols récréatifs qui transportent des passagers d’un aéroport vers un autre.
B.47. Enfin, il ressort de ce qui est dit en B.29 que les exemptions précitées sont également compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 15
de la Convention de Chicago.
B.48. Le moyen unique, en sa seconde branche, n’est pas fondé.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette les recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 30 novembre 2023.
Le greffier, Le président,
N. Dupont P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 165/2023
Date de la décision : 30/11/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 13/12/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-11-30;165.2023 ?

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