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23/11/2023 | BELGIQUE | N°161/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 23 novembre 2023, 161/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 161/2023
du 23 novembre 2023
Numéros du rôle : 7950 et 7951
En cause : les questions préjudicielles concernant l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968
« relative à la police de la circulation routière », posées par le Tribunal de police de Flandre orientale, division d’Alost.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et M. Plovie, assistée du greffier N. Dupont,

présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant ...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 161/2023
du 23 novembre 2023
Numéros du rôle : 7950 et 7951
En cause : les questions préjudicielles concernant l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968
« relative à la police de la circulation routière », posées par le Tribunal de police de Flandre orientale, division d’Alost.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et M. Plovie, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par deux jugements du 27 février 2023, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour le 14 mars 2023, le Tribunal de police de Flandre orientale, division d’Alost, a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière, inséré par l’article 29 de la loi du 28 novembre 2021 visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme, lu en combinaison avec l’article 65 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière et avec l’article 216bis du Code d’instruction criminelle, viole-t-il les dispositions relatives aux droits et libertés fondamentaux garantis par le titre II de la Constitution (notamment ses articles 10, 11 et 13) ainsi que l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 4, paragraphe 1, du Protocole n° 7 à cette Convention, l’article 14, paragraphe 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le principe général de droit non bis in idem, dans l’interprétation selon laquelle cette disposition permet au ministère public, après que celui-ci a délivré un ordre de paiement, d’introduire tout de même par voie de citation une action devant le tribunal de police compétent ? ».
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7950 et 7951 du rôle de la Cour, ont été jointes.
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Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me S. Ronse et Me T. Quintens, avocats au barreau de Flandre occidentale, a introduit un mémoire.
Par ordonnance du 20 septembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs W. Verrijdt et M. Plovie, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins que le Conseil des ministres n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendu, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 4 octobre 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 4 octobre 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et les procédures antérieures
Les prévenus dans les litiges soumis à la juridiction a quo sont soupçonnés d’avoir commis une ou plusieurs infractions de roulage, respectivement le 25 mai 2021 et le 24 mars 2021. Le ministère public leur délivre un ordre de paiement pour ces faits, conformément à l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière » (ci-après : la loi du 16 mars 1968), respectivement le 10 mars 2022 et le 18 février 2022.
Ensuite, le 21 novembre 2022, le ministère public cite les prévenus pour les mêmes faits devant la juridiction a quo.
La juridiction a quo estime que s’il est interprété en ce sens que le ministère public, après avoir donné un ordre de paiement, peut tout de même procéder à une citation, l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 pourrait avoir pour effet qu’une personne soit poursuivie deux fois pour les mêmes faits. Elle pose dès lors la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1. Le Conseil des ministres estime que l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 est compatible avec les dispositions et principes mentionnés dans la question préjudicielle. L’ordre de paiement crée un titre exécutoire, qui permet à l’autorité publique de réclamer au justiciable la somme due sans l’intervention d’un juge, sauf lorsque le justiciable introduit un recours contre cet ordre, conformément à l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968.
L’ordre de paiement constitue le remède ultime pour éviter que des amendes de roulage restent impayées. Il s’agit du cinquième rappel pour payer.
A.2. Le Conseil des ministres ajoute que l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 ne prévoit aucune possibilité pour le ministère public d’introduire un recours contre un ordre de paiement. Un tel constat n’empêche pas le ministère public de citer le justiciable lorsque celui-ci n’a pas respecté l’ordre de paiement. En effet, seul le paiement dans un délai de trente jours éteint l’action publique. À la lumière du principe non bis in idem, une telle citation doit toutefois avoir pour effet que l’ordre de paiement soit réputé non avenu, par analogie avec le régime relatif au recours introduit par le justiciable.
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-B-
Quant à la disposition en cause
B.1. L’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière » (ci-après : la loi du 16 mars 1968) porte sur l’ordre de paiement que le procureur du Roi peut, sous certaines conditions, donner à des personnes pour avoir commis une infraction de roulage.
Cet article, tel qu’il a été modifié en dernier lieu par l’article 29 de la loi du 28 novembre 2021 « visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme » (ci-après : la loi du 28 novembre 2021), dispose :
« § 1er. Lorsque la somme d’argent visée à l’article 216bis, § 1er, du Code d’Instruction criminelle n’a pas été payée dans le délai fixé, le procureur du Roi peut donner ordre au contrevenant de payer la somme prévue pour cette infraction, majorée de 35 % et le cas échéant de la contribution au Fonds spécial d’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels. En outre, une redevance administrative de 25,32 euros, telle que visée au titre 4 de la loi-programme du 21 juin 2021, est également perçue. Le montant de cette redevance administrative est automatiquement adapté le 1er janvier de chaque année en fonction de l’évolution de l’indice des prix à la consommation du mois de novembre de l’année précédente. Les paiements effectués par le contrevenant sont d’abord affectés à la contribution au Fonds spécial d’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels, et ensuite à cette redevance administrative. Le procureur du Roi fixe les modalités de paiement.
Le paiement doit être effectué dans un délai de trente jours suivant le jour de la réception de l’ordre.
Cet ordre est transmis au contrevenant par envoi recommandé, par pli judiciaire ou conformément à l’article 32ter du Code judiciaire et comporte au moins :
1° la date;
2° les faits incriminés et les dispositions légales violées;
3° la date, l’heure et le lieu de l’infraction;
4° l’identité du contrevenant;
5° le numéro du procès-verbal;
6° le montant de la somme à payer;
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7° le jour où la somme doit être payée au plus tard;
8° la manière selon laquelle et le délai dans lequel le recours peut être introduit, ainsi que le tribunal de la police compétent.
L’ordre de paiement est réputé reçu le dixième jour ouvrable après la date de l’ordre de paiement visée à l’alinéa 3, 1°.
Le paiement effectué dans le délai indiqué éteint l’action publique.
§ 2. Celui qui a reçu l’ordre de paiement ou son avocat peut, dans les trente jours suivant le jour de la réception de celui-ci, introduire un recours contre l’ordre de paiement auprès du tribunal de police compétent selon le lieu de l’infraction. Le recours est introduit par requête déposée au greffe du tribunal de police compétent ou par envoi recommandé ou par courrier électronique, adressés au greffe. Dans ces derniers cas, la date d’envoi de l’envoi recommandé ou du courrier électronique a valeur de date d’introduction de la requête. L’envoi recommandé est réputé avoir été envoyé le troisième jour ouvrable précédant sa réception au greffe.
La requête mentionne, à peine de nullité :
1° le nom, le prénom et le domicile de la partie qui introduit le recours;
2° le numéro du procès-verbal ou le numéro de système, mentionné sur l’ordre de paiement;
3° qu’il s’agit d’un recours contre un ordre de paiement;
4° les motifs du recours.
Cette requête contient élection de domicile en Belgique, si le requérant n’y a pas son domicile.
La requête est inscrite dans le registre prévu à cet effet.
La prescription de l’action publique est suspendue à partir de la date de l’introduction de la requête jusqu’au jour du jugement définitif.
Le requérant est convoqué par le greffier, par pli judiciaire, par envoi recommandé ou conformément à l’article 32ter du Code judiciaire, dans les trente jours de l’inscription de la requête au registre, à comparaître à l’audience fixée par le juge. Le greffier adresse au ministère public la copie de la requête et lui indique la date d’audience.
Par le recours, la chambre pénale du Tribunal de police est saisie de l’intégralité de la cause et examine préalablement la recevabilité du recours.
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Si le recours est déclaré recevable, l’ordre de paiement est réputé non avenu. Le tribunal examine au fond les infractions qui fondent l’ordre de paiement et, si celles-ci s’avèrent établies, fait application de la loi pénale.
La personne condamnée par défaut peut former opposition au jugement conformément à la procédure visée à l’article 187 du Code d’instruction criminelle.
Le jugement rendu par le tribunal de la police est susceptible d’appel selon des dispositions prévues par le Code d’instruction criminelle.
§ 3. Les ordres de paiement impayés, contre lesquels aucun recours n’a été interjeté, et qui sont donc exigibles, sont déclarés exécutoires par le procureur du Roi ou le juriste de parquet mandaté par lui.
§ 4. […]
§ 5. Sans préjudice de l’application de l’article 27 de la loi du 5 août 2006 relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale entre les Etats membres de l’Union européenne, le procureur du Roi donne l’ordre à l’administration qui, au sein du Service public fédéral Finances, est compétente pour le recouvrement des créances non fiscales, de recouvrer les sommes incluses dans les titres exécutoires visées au paragraphe 3, selon les règles applicables à l’exécution forcée des sanctions pénales, y compris la saisie-arrêt simplifiée visée à l’article 101 du Règlement général sur les frais de justice en matière répressive.
§ 6. Le recouvrement est basé sur un extrait des titres exécutoires visée au paragraphe 3, rédigé par les fonctionnaires du Service public fédéral Finances chargés du recouvrement.
[…]
§ 7. […]
§ 8. Lorsque le contrevenant prouve qu’il n’a pas pu prendre connaissance de l’ordre de paiement dans le délai visé au paragraphe 2, il peut encore introduire le recours visé au paragraphe 2 dans un délai de quinze jours suivant le jour où il a eu connaissance de cet ordre ou suivant le premier acte de recouvrement de la somme effectué par l’administration compétente du Service public fédéral Finances ou à la poursuite de celle-ci. Les dispositions visées au paragraphe 2 sont applicables.
Dans ce cas, la prescription de l’action publique est suspendue à partir de la date à laquelle l’ordre de paiement est devenu exécutoire de plein droit jusqu’au jour où le contrevenant introduit le recours.
§ 9. Les articles 49 et 96 du Code pénal et la loi du 1er août 1985 portant des mesures fiscales et autres, modifiée par la loi-programme du 27 décembre 2004, s’appliquent à cette procédure.
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§ 10. Lorsque l’administration compétente au sein du Service public fédéral Finances pour le recouvrement des créances non fiscales ne peut recouvrer la somme visée au paragraphe 1er dans un délai de trois ans suivant la réception du titre exécutoire, elle en informe le procureur du Roi. Le procureur du Roi ordonne sans délai la suspension du droit de conduire dans le chef du contrevenant d’un véhicule motorisé et en informe le contrevenant.
[…] ».
B.2.1. À l’origine, l’ordre de paiement a été instauré par la loi du 22 avril 2012 « visant à instaurer l’ordre de paiement pour les infractions à la législation sur la circulation routière » (ci-
après : la loi du 22 avril 2012) et visait à « éviter que des amendes restent impayées et à soulager les parquets de police » (Doc. parl., Chambre, 2011-2012, DOC 53-2074/002, p. 3) :
« L’ordre de paiement est intercalé après la perception immédiate et éventuellement la transaction et avant la citation devant le tribunal de police, sans que le contrevenant ne perde le moindre droit ni que les compétences du tribunal soient réduites » (ibid.).
Les travaux préparatoires de la loi-programme du 25 décembre 2016, qui a remplacé l’article 65/1 inséré par la loi du 22 avril 2012 dans la loi du 16 mars 1968, exposent :
« [C’]est la dernière étape dans la procédure de l’extinction éventuelle de l’action publique moyennant le paiement d’une somme » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2208/001, p. 28).
B.2.2. L’économie de procédure constituait donc l’une des raisons de l’introduction de l’ordre de paiement dans la loi du 16 mars 1968. Le contrevenant qui ne paie pas et qui n’accepte pas une proposition de transaction reçoit un ordre de paiement exécutoire de plein droit, ce qui signifie que le procureur du Roi ne doit pas s’adresser au juge pénal pour contraindre le contrevenant au paiement effectif.
L’ordre de paiement constitue en principe le cinquième rappel pour payer : « Ainsi, le contrevenant reçoit une perception immédiate, un rappel, une proposition de transaction et de nouveau un rappel avant que l’ordre de paiement soit promulgué » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2208/001, p. 29). Le contrevenant a donc déjà eu, à plusieurs reprises, la possibilité de mettre un terme à l’action publique en payant l’amende routière.
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Quant au fond
B.3.1. Dans l’interprétation donnée par la juridiction a quo, l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 permet au ministère public, après que celui-ci a donné un ordre de paiement qui n’a pas été payé dans un délai de trente jours suivant le jour de la réception, de citer le contrevenant devant le juge pénal et, partant, de mettre en mouvement l’action publique.
B.3.2. Il appartient en règle à la juridiction a quo d’interpréter les dispositions qu’elle estime applicables, sous réserve d’une lecture manifestement erronée de la disposition en cause, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
L’article 65/1, § 1er, alinéa 5, de la loi du 16 mars 1968, inséré par l’article 29 de la loi du 28 novembre 2021 « visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme », prévoit en effet uniquement que le paiement effectué dans un délai de trente jours suivant le jour de la réception de l’ordre « éteint l’action publique ». L’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 ne permet pas, en revanche, de déduire que le fait de donner un ordre de paiement aboutirait en soi à l’extinction de l’action publique. Cette disposition n’empêche pas le ministère public, conformément à l’article 28quater du Code d’instruction criminelle, de juger de l’opportunité des poursuites et de mettre en mouvement l’action publique aussi longtemps que celle-ci n’est pas éteinte.
B.4. La juridiction a quo constate que l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 ne prévoit pas que, dans l’hypothèse d’une citation par le ministère public, l’ordre de paiement est réputé non avenu, contrairement à ce qui est le cas lorsque le contrevenant introduit devant le tribunal de police un recours contre l’ordre de paiement (article 65/1, § 2, alinéa 8, de la loi du 16 mars 1968). Elle demande dès lors à la Cour d’examiner si cette disposition, dans l’interprétation mentionnée en B.3.1, est compatible avec les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 14, paragraphe 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme et avec le principe général de droit non bis in idem.
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B.5. La question préjudicielle n’indique pas en quoi l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968
pourrait porter atteinte à l’article 13 de la Constitution ou à l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, lu en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Lorsqu’en outre, comme c’est le cas en l’espèce, cela ne peut pas davantage se déduire de la décision de renvoi, la Cour ne dispose pas des éléments nécessaires pour statuer.
En ce qu’il est demandé à la Cour de contrôler l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 au regard de l’article 13 de la Constitution et de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, lus en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, la question préjudicielle est irrecevable.
B.6.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine : les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-
discrimination sont applicables à l’égard de tous les droits et de toutes les libertés, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique.
B.6.2. L’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat.
2 Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’Etat concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.
3. Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention ».
B.6.3. L’article 14, paragraphe 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose :
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« Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ».
B.6.4. En vertu du principe général de droit non bis in idem, nul ne peut être poursuivi ou puni une seconde fois en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif « conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ». Ce principe est également garanti par l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 14, paragraphe 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Le principe non bis in idem interdit « de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde ‘ infraction ’ pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes » (CEDH, grande chambre, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, ECLI:CE:ECHR:2009:0210JUD001493903, § 82).
B.7.1. Afin de déterminer si le principe non bis in idem est d’application, il doit être établi que la mesure en cause est de nature pénale (voy. CEDH, grande chambre, 8 juillet 2019, Mihalache c. Roumanie, ECLI:CE:ECHR:2019:0708JUD005401210, § 50; grande chambre, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, ECLI:CE:ECHR:2016:1115JUD002413011, §§ 101-134;
31 mai 2011, Kurdov et Ivanov c. Bulgarie, ECLI:CE:ECHR:2011:0531JUD001613704, §§ 35-46, grande chambre, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, précité, §§ 52-57 et 70-84).
B.7.2. Une mesure constitue une sanction pénale au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, si elle a un caractère pénal selon sa qualification en droit interne ou s’il ressort de la nature de l’infraction, à savoir la portée générale et le caractère préventif et répressif de la sanction, qu’il s’agit d’une sanction pénale ou encore s’il ressort de la nature et de la sévérité de la sanction subie par l’intéressé qu’elle a un caractère punitif et donc dissuasif (CEDH, grande chambre, 8 juillet 2019, Mihalache c. Roumanie, précité, §§ 53-55; grande chambre, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, précité, §§ 105-107;
grande chambre, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, précité, § 53; grande chambre, 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande, ECLI:CE:ECHR:2006:1123JUD007305301, §§ 30-31).
Les mêmes critères valent dans le cadre de l’application de l’article 4 du Protocole n° 7 à
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la même Convention, qui a une portée analogue à celle de l’article 14, paragraphe 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (CEDH, grande chambre, 8 juillet 2019, Mihalache c. Roumanie, précité, § 55; grande chambre, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, précité, § 107).
B.7.3. La réglementation relative à l’ordre de paiement ne vise pas à infliger une peine au sens de l’article 1er du Code pénal, mais uniquement à créer un titre exécutoire (Cass., 1er juin 2021, P.21.0325.N, ECLI:BE:CASS:2021:CONC.20210601.2N.5, point 3; 22 juin 2021, P.21.0478.N, ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20210622.2N.17, point 3).
Toutefois, la réglementation relative à l’ordre de paiement entend contribuer à faire respecter la législation en matière de roulage. L’ordre de paiement est donné pour avoir commis une infraction de roulage et permet au procureur du Roi de ne pas s’adresser au juge pénal pour contraindre le contrevenant au paiement effectif. Cette réglementation a donc une portée générale et poursuit tant un but préventif que répressif. La somme à payer est en outre fixée sur la base de la somme prévue pour l’infraction, majorée de 35 % et, le cas échéant, de la contribution au Fonds spécial d’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels, ainsi que d’une redevance administrative (article 65/1, § 1er, de la loi du 16 mars 1968). Lorsque l’administration compétente ne peut recouvrer la somme due dans un délai de trois ans suivant la réception du titre exécutoire, le procureur du Roi ordonne « sans délai la suspension du droit de conduire dans le chef du contrevenant d’un véhicule motorisé et en informe le contrevenant » (article 65/1, § 10, alinéa 1er, de la loi du 16 mars 1968). Eu égard à sa nature et à sa sévérité, l’ordre de paiement revêt dès lors aussi un caractère punitif et donc dissuasif.
Il découle de ce qui précède que la réglementation relative à l’ordre de paiement est de nature pénale et que le principe non bis in idem, garanti par l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 14, paragraphe 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, s’y applique.
B.8.1. Pour déterminer si le principe non bis in idem est violé en ce que le ministère public peut citer une personne à laquelle il a déjà donné un ordre de paiement pour les mêmes faits, la Cour doit ensuite vérifier dans quelle mesure un tel ordre peut être considéré comme « un
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acquittement ou une condamnation par un jugement définitif » (CEDH, grande chambre, 8 juillet 2019, Mihalache c. Roumanie, précité, §§ 87-92). Le principe non bis in idem s’oppose en effet à la répétition de procédures pénales définitivement clôturées (ibid., § 81; CEDH, grande chambre, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, précité, § 107).
Les notions d’« acquittement » et de « condamnation » supposent que la responsabilité pénale de l’intéressé a été établie en fait et en droit par une instance compétente à cet effet, laquelle peut, le cas échéant, y imposer une sanction (CEDH, grande chambre, 8 juillet 2019, Mihalache c. Roumanie, précité, § 97). Il n’est pas nécessaire que l’acquittement ou la condamnation soit prononcé par une juridiction (ibid., § 95).
Pour apprécier le caractère définitif ou non de l’acquittement ou de la condamnation, il convient de tenir compte des « voies de recours ordinaires » dont les parties concernées disposent conformément au droit interne, ainsi que des délais pour introduire ces voies de recours. Une décision est définitive lorsqu’elle est irrévocable, ce qui suppose qu’elle n’est plus susceptible d’une voie de recours ordinaire, que les parties ont épuisé ces voies de recours ou ont laissé passer les délais sans les exercer (ibid., § 109; grande chambre, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, précité, § 107). Le droit interne doit en outre satisfaire au respect du principe de la sécurité juridique. Cela implique que, d’une part, la possibilité d’introduire la voie de recours doit être délimitée dans le temps et, d’autre part, que les modalités de son exercice soient claires pour les parties (CEDH, grande chambre, 8 juillet 2019, Mihalache c. Roumanie, précité, § 115).
B.8.2. La décision du ministère public de classer sans suite une affaire pénale n’équivaut pas à un acquittement ni à une condamnation définitifs au sens de l’article 4 du Protocole n° 7
à la Convention européenne des droits de l’homme (ibid., § 96; grande chambre, 27 mai 2014, Margus c. Croatie, ECLI:CE:ECHR:2014:0527JUD000445510, § 120). Il s’agit, en revanche, d’une condamnation définitive lorsque, sur la base des éléments de preuve disponibles, le ministère public a établi la responsabilité pénale d’un suspect et a clôturé les poursuites pénales par la voie d’une procédure extrajudiciaire en infligeant une sanction à caractère répressif et
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punitif, qui est devenue exécutoire à l’expiration d’un délai de recours (CEDH, grande chambre, 8 juillet 2019, Mihalache c. Roumanie, précité, §§ 96-101).
B.9.1. Comme il est dit en B.3.2, le paiement dans le délai de trente jours suivant le jour de la réception de l’ordre de paiement éteint l’action publique (article 65/1, § 1er, alinéa 5, de la loi du 16 mars 1968). Pendant le même délai, celui qui a reçu l’ordre de paiement peut introduire un recours contre cet ordre devant le tribunal de police. Si le recours est déclaré recevable, l’ordre de paiement est réputé non avenu (article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968).
B.9.2. Avec l’ordre de paiement, le législateur a entendu permettre au ministère public de créer un titre exécutoire, de manière qu’il ne faille pas saisir le juge pénal pour contraindre au paiement un contrevenant auquel une transaction a préalablement été proposée.
B.9.3. L’article 65/1, § 3, de la loi du 16 mars 1968 dispose que « les ordres de paiement impayés, contre lesquels aucun recours n’a été interjeté, et qui sont donc exigibles, sont déclarés exécutoires par le procureur du Roi ou le juriste de parquet mandaté par lui ». En vertu de l’article 65/1, § 5, de la loi du 16 mars 1968, « le procureur du Roi donne l’ordre à l’administration qui, au sein du Service public fédéral Finances, est compétente pour le recouvrement des créances non fiscales, de recouvrer les sommes incluses dans les titres exécutoires visées au paragraphe 3, selon les règles applicables à l’exécution forcée des sanctions pénales ».
Il découle de l’article 65/1, § 3, de la loi du 16 mars 1968 que, pour permettre l’exécution forcée de l’ordre de paiement, il faut, de la part du ministère public, une décision explicite déclarant l’ordre de paiement exécutoire. Le mot « sont » contenu dans cette disposition ne saurait raisonnablement être interprété en ce sens que le ministère public, après que le contrevenant n’a pas payé l’ordre de paiement dans le délai de trente jours et en l’absence d’un recours introduit contre celui-ci, serait obligé de déclarer l’ordre exécutoire et ne disposerait donc plus d’aucun pouvoir d’appréciation pour intenter tout de même l’action publique. Une telle interprétation serait incompatible avec l’article 65/1, § 1er, alinéa 5, de la loi du 16 mars
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1968, dont il découle que seul le paiement dans un délai de trente jours éteint l’action publique.
La décision de déclarer l’ordre de paiement exécutoire ou de citer le contrevenant appartient dès lors au ministère public qui, dans le cadre de sa politique en matière de recherche et de poursuite, juge de manière discrétionnaire de l’opportunité des poursuites (voy. l’article 151, § 1er, de la Constitution et l’article 28quater, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle).
B.9.4. Le contrevenant qui, sans introduire un recours, omet de donner suite à l’ordre de paiement dans le délai de trente jours à partir de la réception de celui-ci, ignore son cinquième rappel successif de paiement. En prévoyant que le paiement dans un délai de trente jours éteint l’action publique, l’article 65/1, § 1er, alinéa 5, de la loi du 16 mars 1968 indique clairement le moment auquel l’action publique est éteinte. Le contrevenant sait ou doit dès lors savoir qu’une omission de paiement peut avoir pour effet que le ministère public, aussi longtemps que l’action publique n’est pas prescrite, procède à une citation. Lorsqu’au lieu de déclarer l’ordre de paiement exécutoire, le ministère public saisit le juge pénal de l’affaire, il choisit de mettre en mouvement l’action publique afin que le juge examine au fond les infractions qui fondent l’ordre de paiement et, si celles-ci s’avèrent établies, fasse application de la loi pénale. Ce choix du ministère public implique nécessairement aussi la décision tacite de ne plus traiter l’affaire par la voie d’une procédure extrajudiciaire et de ne pas déclarer l’ordre de paiement exécutoire.
B.9.5. Une fois que l’ordre de paiement est déclaré exécutoire conformément à l’article 65/1, § 3, de la loi du 16 mars 1968, cette disposition ne prévoit toutefois pas la possibilité pour le ministère public de revenir sur cette déclaration. Dès que l’ordre de paiement a été rendu exécutoire, il s’agit dès lors d’une condamnation définitive au sens du principe non bis in idem. Ce principe s’oppose à ce que l’action publique, dans une telle situation, soit tout de même mise en mouvement par voie de citation, pour les mêmes faits en réalité.
B.10.1. Il découle de ce qui précède que l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14, paragraphe 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme et avec le principe général de droit non bis in idem, mais uniquement en ce que cette disposition ne prévoit pas que
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la déclaration du ministère public rendant l’ordre de paiement exécutoire éteint l’action publique.
B.10.2. L’inconstitutionnalité ainsi constatée par la Cour est exprimée en des termes suffisamment précis et complets qui permettent l’application de l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 dans le respect des normes de référence sur la base desquelles la Cour exerce son contrôle. Par conséquent, il appartient à la juridiction a quo, dans l’attente de l’intervention du législateur, de mettre fin à la violation de ces normes, en examinant si le ministère public, avant que celui-ci ait cité le contrevenant, avait déjà déclaré l’ordre de paiement exécutoire. Dans ce cas, la juridiction a quo doit déclarer l’action du ministère public irrecevable.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière »
viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14, paragraphe 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme et avec le principe général de droit non bis in idem, en ce que cette disposition ne prévoit pas que la déclaration du ministère public rendant l’ordre de paiement exécutoire éteint l’action publique.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 23 novembre 2023.
Le greffier, Le président,
N. Dupont L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 161/2023
Date de la décision : 23/11/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Violation (article 65/1 de la loi du 16 mars 1968, en ce que cette disposition ne prévoit pas que la déclaration du ministère public rendant l'ordre de paiement exécutoire éteint l'action publique)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - les questions préjudicielles concernant l'article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière », posées par le Tribunal de police de Flandre orientale, division d'Alost. Procédure pénale - Police de la circulation routière - Ordre de paiement - Non-paiement dans un délai de trente jours - Citation par le ministère public devant le tribunal de police


Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-11-23;161.2023 ?

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