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23/11/2023 | BELGIQUE | N°153/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 23 novembre 2023, 153/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 153/2023
du 23 novembre 2023
Numéro du rôle : 7846
En cause : le recours en annulation des articles 3 et 6 du décret de la Communauté française du 23 juin 2022 « modifiant le décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse » (insertion des articles 37/1 et 52/1 dans le décret du 18 janvier 2018), introduit par l’Ordre des barreaux francophones et germanophone.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T

. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia,...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 153/2023
du 23 novembre 2023
Numéro du rôle : 7846
En cause : le recours en annulation des articles 3 et 6 du décret de la Communauté française du 23 juin 2022 « modifiant le décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse » (insertion des articles 37/1 et 52/1 dans le décret du 18 janvier 2018), introduit par l’Ordre des barreaux francophones et germanophone.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et M. Plovie, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 5 août 2022 et parvenue au greffe le 8 août 2022, l’Ordre des barreaux francophones et germanophone, assisté et représenté par Me J. Fierens, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 3 et 6 du décret de la Communauté française du 23 juin 2022 « modifiant le décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse » (insertion des articles 37/1 et 52/1 dans le décret du 18 janvier 2018), publié au Moniteur belge du 19 juillet 2022.
Par la même requête, la partie requérante demandait également la suspension des mêmes dispositions décrétales. Par l’arrêt n° 141/2022 du 27 octobre 2022
(ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.141), publié au Moniteur belge du 17 mars 2023, la Cour a rejeté la demande de suspension.
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Des mémoires et mémoires en réplique ont été introduits par :
- l’ASBL « Association Syndicale des Magistrats », assistée et représentée par Me J. Fierens (partie intervenante);
- le Gouvernement de la Communauté française, assisté et représenté par Me M. Mareschal, avocat au barreau de Bruxelles.
La partie requérante a introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 26 avril 2023, la Cour, après avoir entendu les juges E. Bribosia et W. Verrijdt, rapporteur en remplacement du juge-rapporteur D. Pieters, légitimement empêché, a décidé :
- que l’affaire ne peut pas encore être déclarée en état;
- d’inviter le Gouvernement de la Communauté française à communiquer à la Cour et aux autres parties, au plus tard le 10 mai 2023, la circulaire administrative concernant la mise en œuvre des dispositions attaquées, si elle existe,
- que, dans cette hypothèse, les autres parties pourront adresser à la Cour leurs éventuelles observations à propos de cette circulaire, sous la forme d’un mémoire complémentaire à introduire au plus tard le 24 mai 2023 et à communiquer dans le même délai à l’autorité précitée.
Le Gouvernement de la Communauté française a introduit la circulaire administrative.
La partie requérante et la partie intervenante ont introduit un mémoire complémentaire.
Par ordonnance du 20 septembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs E. Bribosia et D. Pieters, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 4 octobre 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande recevable d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 4 octobre 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
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II. En droit
-A-
Quant à l’intérêt à agir
A.1.1. La partie requérante fait valoir que les ordres des barreaux peuvent agir devant la Cour pour défendre l’intérêt collectif des justiciables lorsque cette action est liée à la mission et au rôle de l’avocat en ce qui concerne la défense des intérêts du justiciable. En l’espèce, les dispositions attaquées permettent au ministère public de décider de l’éloignement d’un enfant de son milieu de vie, ce qui constitue une ingérence grave dans les droits fondamentaux de l’enfant et de sa famille. Elles organisent également un « pseudo-recours » susceptible d’impliquer l’intervention d’un avocat. La partie requérante dispose dès lors d’un intérêt suffisant à agir devant la Cour.
A.1.2. Dans son mémoire en réponse, la partie requérante indique que la Cour a admis son intérêt à agir dans l’arrêt n° 141/2022 du 27 octobre 2022 (ECLI:GHCC:2022:ARR.141), par lequel la Cour a rejeté la demande de suspension.
Quant à l’intérêt à intervenir de l’ASBL « Association Syndicale des Magistrats »
A.1.3. L’ASBL « Association Syndicale des Magistrats » soutient que son intérêt à intervenir découle de son objet social qui est défini à l’article 3 de ses statuts.
Quant au premier moyen
A.2. Après avoir exposé le contexte dans lequel les dispositions attaquées ont été adoptées, la partie requérante prend un premier moyen de la violation de l’article 13 de la Constitution, qui garantit le droit d’accès au juge. Les dispositions attaquées ont pour effet de distraire des justiciables, contre leur gré, du juge que la loi leur assigne. La mesure d’éloignement du milieu de vie, qui constitue une ingérence très grave dans le droit au respect de la vie privée, ne peut être décidée que par un juge, dans le cadre d’une procédure contradictoire. Le fait que le pouvoir judiciaire demeure le meilleur garant du respect des droits de la défense a toujours été vu comme une évidence par le législateur décrétal. Les dispositions attaquées heurtent frontalement ce principe, inscrit à l’article 1er, 9°, du décret de la Communauté française du 18 janvier 2018 « portant le code de la prévention, de l’Aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse » (ci-après : le Code de la jeunesse). Enfin, si le ministère public est un organe du pouvoir judiciaire, ses membres ne sont pas des juges et leurs décisions ne sont pas celles d’un tribunal au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
A.3. L’ASBL « Association Syndicale des Magistrats » se réfère à l’argumentation de la partie requérante.
A.4.1. Le Gouvernement de la Communauté française soutient que les dispositions attaquées sont, au regard du droit d’accès au juge, pertinentes et raisonnablement proportionnées au but qu’elles poursuivent.
A.4.2. Premièrement, l’objectif poursuivi est légitime. Les dispositions attaquées permettent d’appliquer le principe de déjudiciarisation durant les heures de fermeture des services d’aide à la jeunesse (SAJ) et de protection de la jeunesse (SPJ).
Le principe de déjudiciarisation fonde la politique de l’aide et de la protection de la jeunesse en Communauté française et vise à limiter, autant que faire se peut, l’intervention de la sphère judiciaire dans des situations où des familles rencontrent des difficultés d’ordre social. Concrètement, ce principe vise, d’une part, à éviter qu’un dossier soit judiciarisé et, d’autre part, à tenter de faire sortir de la sphère judiciaire un dossier qui s’y trouve déjà.
Afin que ce principe soit réalisé, le Code de la jeunesse a attribué au conseiller des prérogatives importantes.
L’analyse des différentes mesures que le conseiller peut prendre confirme que l’intervention judiciaire doit demeurer subsidiaire à l’intervention sociale. Quant au directeur de la protection de la jeunesse, il œuvre également en faveur de la déjudiciarisation au travers de plusieurs mécanismes.
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Il est toutefois apparu que les situations urgentes dans lesquelles un jeune est exposé à un péril grave nécessitant un éloignement de son milieu de vie et qui surviennent en dehors des heures d’ouverture des SAJ et SPJ sont nécessairement judiciarisées. À cet égard, le législateur décrétal a estimé qu’il était inéquitable qu’en raison de considérations étrangères aux difficultés des jeunes, le principe de déjudiciarisation ne s’applique que durant les heures d’ouverture des services d’aide et de protection de la jeunesse. Il a dès lors adopté les dispositions attaquées pour garantir l’application du principe de déjudiciarisation y compris durant les heures de fermeture des services.
A.4.3.1. Deuxièmement, les dispositions attaquées sont pertinentes et raisonnablement proportionnées.
Tout d’abord, dans l’exercice de sa compétence en matière d’aide et de protection de la jeunesse, la Communauté française dispose de la plénitude de compétence. Le législateur décrétal s’est ainsi inspiré de la Communauté germanophone pour attribuer une compétence au ministère public en matière d’aide à la jeunesse.
Ensuite, les dispositions attaquées permettent au ministère public de prendre une mesure de protection très provisoire, tout en assurant qu’un mandant communautaire assurera le suivi dès les premières heures du premier jour ouvrable qui suit la mesure d’éloignement du jeune. Qui plus est, les conditions imposées au ministère public sont strictes : il doit y avoir une nécessité urgente, l’intégrité physique ou psychique de l’enfant doit être exposée directement à un péril grave et la décision d’éloignement ne peut être prise qu’en dehors des heures d’ouverture des services ou lorsque le conseiller ou le directeur ne sont pas joignables durant celles-ci. Ces conditions sont pertinentes au regard de l’objectif poursuivi, puisque le ministère public n’est plus contraint de judiciariser systématiquement toutes les situations en raison de l’indisponibilité des mandants communautaires. À cela s’ajoute que la durée de la mesure d’éloignement est extrêmement brève. Le premier jour ouvrable, avant la fin de la mesure, le mandant communautaire devra rencontrer le jeune et sa famille pour vérifier si un accord sur la mesure imposée peut être dégagé. Si oui, le mandant continuera le suivi du dossier et la judiciarisation aura été évitée.
Sinon, il devra en informer immédiatement le ministère public afin que celui-ci saisisse le tribunal de la jeunesse au plus tard le premier jour ouvrable qui suit la mesure de placement de l’enfant.
A.4.3.2. Le Gouvernement de la Communauté française ajoute que la section de législation du Conseil d’État a admis la constitutionnalité de la mesure attaquée, tout en soulignant qu’un contrôle juridictionnel a posteriori devrait être institué, ce que le législateur décrétal a prévu. Par ailleurs, outre ce recours a posteriori, le tribunal de la jeunesse peut être saisi dans l’urgence, sur la base des articles 37, § 1er, et 52, alinéa 2, du Code de la jeunesse, à défaut d’accord du jeune et de ses parents sur la mesure de protection, et au plus tard à la fin du premier jour ouvrable qui suit la mesure.
A.4.4. Le Gouvernement de la Communauté française conclut que le moyen n’est pas fondé.
A.5.1. Dans son mémoire en réponse, la partie requérante formule plusieurs remarques liminaires.
Tout d’abord, les dispositions attaquées ont été adoptées parce que la Communauté française n’a pas alloué suffisamment de moyens financiers à la mise en place d’un réel service de garde des conseillers et des directeurs.
L’intention du législateur décrétal est donc de faire des économies budgétaires.
Ensuite, au sein des tribunaux de la jeunesse qui appliquent le Code de la jeunesse et du tribunal de la jeunesse francophone de Bruxelles, il existe déjà des permanences de magistrats du siège et du ministère public le week-
end et les jours fériés. Une procédure d’urgence qui trouve son fondement dans les articles 37 et 52 du Code de la jeunesse existe donc déjà, et il y est régulièrement recouru.
Enfin, il est inexact d’affirmer que la fin du placement de l’enfant au plus tard le premier jour ouvrable constituerait la garantie d’une reprise de la situation par le mandant communautaire. En effet, si les responsables de l’enfant s’opposent au placement, il est purement théorique que la cause revienne dans la sphère de compétence
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du conseiller de l’aide à la jeunesse. En effet, celui-ci ne peut proposer qu’une aide volontaire. Or, l’accord des responsables de l’enfant fait défaut, par hypothèse.
A.5.2. La partie requérante répond ensuite que ce n’est pas l’accès à « un » juge qui est en cause, mais l’accès au juge désigné par le décret, à savoir le tribunal de la jeunesse. En outre, confier au ministère public - qui est un organe du pouvoir judiciaire – le pouvoir exorbitant de séparer une famille n’est pas une forme de déjudiciarisation.
Quant au but, poursuivi, de légaliser les « mesures prétoriennes », il convient de constater que le législateur décrétal cherche à légaliser une pratique qui était illégale par le passé. Soustraire un enfant et ses proches au juge que la loi leur assigne est totalement disproportionné.
A.6.1. Le Gouvernement de la Communauté française réplique qu’il est simpliste d’affirmer que la Communauté française vise à réaliser des économies. Il est incontesté que le dispositif mis en place n’est qu’une étape vers un système de garde plus complet. Dans l’intervalle, le législateur décrétal a voulu améliorer le système d’aide et de protection de la jeunesse en dehors des heures d’ouverture des services, dans les limites budgétaires de la Communauté française. Il a ainsi instauré un système de garde téléphonique qui, avec la mesure de placement d’enfant contestée, permet d’assurer le respect du principe de déjudiciarisation durant les heures de fermeture des services. Ces mesures ont un coût budgétaire indéniable.
A.6.2. Le Gouvernement de la Communauté française réplique, à propos des permanences des magistrats de la jeunesse, que l’objectif du législateur décrétal est précisément d’éviter l’intervention automatique des magistrats de garde. L’objectif est d’assurer le principe de la déjudiciarisation. Concrètement, les dispositions attaquées offrent une alternative à l’automaticité judiciaire, en laissant une chance à l’aide sociale avant la saisine éventuelle du juge de la jeunesse.
Par ailleurs, il est inexact de soutenir que la garantie d’intervention du mandant communautaire le premier jour ouvrable qui suit le placement serait théorique. Au contraire, même si les personnes responsables de l’enfant ne sont pas d’accord avec le placement de l’enfant, le conseiller ou le directeur recevra la famille aux premières heures du premier jour ouvrable qui suit le placement. Ce travail social permettra d’éviter les inconvénients d’une intervention judiciaire.
A.6.3. Le Gouvernement de la Communauté française réplique encore que le ministère public n’est pas une juridiction. Ainsi, s’il prend une décision provisoire de placement, c’est pour éviter la saisine directe et automatique du tribunal de la jeunesse en raison de l’indisponibilité du mandant communautaire.
A.6.4. Le Gouvernement de la Communauté française réplique que le fait de légaliser une pratique sans assise légale n’est pas inconstitutionnel en soi.
Quant au deuxième moyen
A.7.1. La partie requérante prend un deuxième moyen de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
A.7.2. La partie requérante précise qu’elle compare la situation des personnes dont l’enfant est placé par le ministère public avec la situation des personnes dont l’enfant est placé par le tribunal de la jeunesse. Par ailleurs, la partie requérante compare, dans les deux cas, la situation de l’enfant concerné. Dans son avis, la section de législation du Conseil d’État a indiqué qu’« une dérogation à l’exigence de l’intervention préalable d’un juge indépendant ne peut qu’être exceptionnelle et doit être justifiée par des raisons propres aux faits qu’il y a lieu de prévenir ». Or, la différence de traitement engendrée par les dispositions attaquées repose sur le seul fait que la décision de placement doit être prise en dehors des heures d’ouverture de l’administration ou qu’il est impossible de joindre certains fonctionnaires. Il ne s’agit donc pas de raisons propres aux faits qui justifient le placement d’un enfant par le ministère public et non par le tribunal de la jeunesse. La différence de traitement n’est pas raisonnablement justifiée.
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A.8. L’ASBL « Association Syndicale des Magistrats » se réfère à l’argumentation de la partie requérante.
A.9.1. Selon le Gouvernement de la Communauté française, la partie requérante estime à tort que les dispositions attaquées feraient naître une différence de traitement discriminatoire. En réalité, il n’existe même pas de différence de traitement entre, d’une part, des jeunes dont l’intégrité physique ou psychique est actuellement et directement exposée à un péril grave placés par décision du ministère public et, d’autre part, les mêmes jeunes placés par décision du juge, selon que la décision de placement est prise en dehors ou durant les heures d’ouverture des services, ou à un moment où le conseiller ou le directeur est joignable ou non.
Même en dehors des heures d’ouverture des SAJ ou SPJ, ou même lorsque le conseiller ou le directeur est injoignable, le ministère public peut saisir le tribunal de la jeunesse, sur la base des articles 37 ou 52 du Code de la jeunesse, afin que celui-ci ordonne une mesure provisoire de placement. Ainsi, lorsque ces services sont indisponibles, le ministère public demeure libre de faire le choix entre : (i) ne pas prendre de décision et renvoyer le jeune et sa famille vers le service communautaire compétent durant ses heures d’ouverture; (ii) saisir le tribunal de la jeunesse sur la base des articles 37 ou 52 du Code de la jeunesse; ou (iii) prendre une mesure d’éloignement provisoire sur la base des dispositions attaquées.
A.9.2. Le Gouvernement de la Communauté française constate que les dispositions attaquées ont précisément pour objet de mettre un terme à une différence de traitement, en l’occurrence entre des jeunes en danger qui peuvent bénéficier de la déjudiciarisation et ceux qui ne peuvent pas en bénéficier au seul motif que les services administratifs compétents sont fermés ou injoignables.
A.9.3. Le Gouvernement de la Communauté française conclut que le moyen n’est pas fondé.
A.10. La partie requérante répond que le Gouvernement de la Communauté française, en reconnaissant qu’en dehors des heures d’ouverture des SAJ et SPJ, ou en cas d’impossibilité de joindre le conseiller ou le directeur, le ministère public peut saisir le tribunal de la jeunesse sur la base des articles 37 et 52 du Code de la jeunesse, reconnaît que le pouvoir du ministère public de décider d’un placement d’un enfant est inutile.
En outre, c’est la possibilité même de ce placement par le ministère public qui est à l’origine de la différence de traitement critiquée, même si, dans les faits, ce placement n’est pas décidé.
A.11. Le Gouvernement de la Communauté française réplique que la mesure attaquée n’est pas inutile car elle vise à éviter la saisine automatique du tribunal de la jeunesse pour des situations qui ne le justifient pas. À la suite de l’échange avec le mandant communautaire de garde, le ministère public aura le choix entre trois options.
Il pourra ne pas prendre de décision et renvoyer la famille au SAJ ou au SPJ aux heures d’ouverture, il pourra saisir directement le tribunal, ou encore il pourra prendre une mesure de placement provisoire de l’enfant. Le ministère public jouit d’une marge d’appréciation à cet égard. L’échange entre le mandant communautaire et le ministère public est prévu par l’arrêté d’exécution du Gouvernement de la Communauté française du 25 août 2022
et devra aider le ministère public dans sa prise de décision. Enfin, la nouvelle compétence attribuée au ministère public ne peut pas être considérée comme un pouvoir exorbitant car la mesure de placement est provisoire et de très courte durée, et le tribunal de la jeunesse pourra être saisi au plus tard le premier jour ouvrable qui suit la décision.
Quant au troisième moyen
A.12.1. La partie requérante prend un troisième moyen de la violation de l’article 22bis, alinéa 2, de la Constitution et des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les articles 9, paragraphe 2, et 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant, avec le principe général du droit du contradictoire et des droits de la défense, et avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
A.12.2. Dans une première branche, la partie requérante indique que l’article 22bis, alinéa 2, de la Constitution et l’article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant garantissent à chaque enfant le droit de s’exprimer sur toute question qui le concerne. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme,
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un « procès équitable » comprend le droit fondamental au caractère contradictoire de la procédure, qui revêt en Belgique le statut d’un principe général du droit. Un but d’accélération de la procédure ne peut pas justifier une violation du droit fondamental à une procédure contradictoire.
Par ailleurs, les dispositions attaquées ne garantissent pas que le principe du contradictoire sera assuré au moins par l’audition de l’enfant s’il a l’âge et la maturité requise. Les personnes majeures concernées par la mesure ne sont pas davantage entendues.
A.12.3. La partie requérante fait valoir que l’absence de débat contradictoire a également pour conséquence de renverser la charge de la preuve en cas de recours contre la décision de placement. En effet, dans ce cas, il appartient à ceux qui exercent le recours de démontrer que la mesure ne s’imposait pas. Or, c’est en principe au ministère public qu’il incombe de démontrer que les circonstances requièrent le placement de l’enfant. Les personnes concernées par la mesure se heurtent donc au fait accompli, indépendamment du fait que la cause revienne ultérieurement au conseiller de l’aide à la jeunesse ou au juge de la jeunesse.
A.12.4. Dans une seconde branche, la partie requérante soutient qu’aucune autre garantie liée à un procès équitable n’est respectée par les dispositions attaquées. Ainsi, aucun accès au dossier n’est prévu. L’intervention d’un avocat n’est pas organisée. Il n’existe aucune obligation de motivation de la décision, ni aucun droit des parties de conclure. Aucune modalité de notification de la décision n’est définie. L’existence d’un recours, son délai et ses modalités ne sont pas communiqués aux intéressés.
A.13. L’ASBL « Association Syndicale des Magistrats » se réfère à l’argumentation de la partie requérante.
A.14.1. Le Gouvernement de la Communauté française souligne que le législateur, voulant se conformer à l’avis de la section de législation du Conseil d’État, a instauré un recours contre les décisions du ministère public prises sur la base des dispositions attaquées. Par ailleurs, si la Communauté française jouit d’une plénitude de compétence en matière d’aide et de protection de la jeunesse, elle n’est pas autorisée à empiéter sur les compétences résiduelles de l’autorité fédérale. La matière de la justice est une telle compétence résiduelle et l’organisation du ministère public et les règles qui le régissent relèvent de cette matière. Ainsi, la Communauté française est fondée à attribuer une compétence au ministère public, mais elle ne peut pas régler la procédure devant cette autorité. Les règles de procédure devant les instances judiciaires de la jeunesse sont réglées par la loi du 8 avril 1965 « relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié infraction et à la réparation du dommage causé par ce fait » (ci-après : la loi du 8 avril 1965).
A.14.2. Le Gouvernement de la Communauté française conclut que le moyen, en ses deux branches, n’est pas fondé.
A.15. La partie requérante répond que le fait que la Communauté française ne soit pas compétente pour déterminer la procédure de recours devant les juridictions compétentes n’empêche pas une violation des normes de référence. Pour le surplus, le recours purement théorique et impraticable contre la décision exorbitante de placement d’un enfant, instauré en vue de donner suite à une remarque de la section de législation du Conseil d’État, ne corrige pas l’inconstitutionnalité du dispositif attaqué.
A.16. Dans son mémoire en réplique, le Gouvernement de la Communauté française demande, à titre subsidiaire, le maintien des effets des dispositions attaquées dans l’hypothèse où la Cour jugerait que la Communauté française est compétente pour fixer les éléments essentiels de la procédure de prise de décision par le ministère public sur la base des dispositions attaquées et que les dispositions attaquées ne suffisent pas pour garantir le respect des droits fondamentaux.
Quant au quatrième moyen
A.17. La partie requérante prend un quatrième moyen de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l’article 144 de la Constitution, aux termes duquel les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux. Les contestations visées aux articles 144 et 145 de la Constitution concernent des « litiges ». Or, si un enfant ou la personne qui en a la garde n’a pas donné son accord
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quant à la mesure de placement de l’enfant, il y a « litige » et « contestation quant aux droits civils ». Une telle contestation doit faire l’objet d’une décision d’un tribunal. Or, en cas d’application des dispositions attaquées, tel ne sera pas le cas. Par ailleurs, il est discriminatoire que les contestations de certains soient du ressort du ministère public et non d’un tribunal.
A.18. L’ASBL « Association Syndicale des Magistrats » se réfère à l’argumentation de la partie requérante.
A.19.1. Le Gouvernement de la Communauté française expose que les dispositions attaquées ne privent pas les familles concernées du droit de saisir les tribunaux. D’une part, à défaut d’accord du jeune et de ses parents sur la mesure de protection après la rencontre avec le mandant communautaire le premier jour ouvrable qui suit la décision d’éloignement, le mandant pourra renvoyer le dossier au ministère public en vue d’une saisine du tribunal de la jeunesse sur la base des articles 37 ou 52 du Code de la jeunesse. La situation sera alors examinée dans l’urgence par le tribunal, et le contrôle juridictionnel a posteriori pourra alors être exercé. D’autre part, les dispositions attaquées attribuent au tribunal de la jeunesse la compétence de connaître des recours contre les décisions prises par le ministère public sur la base des dispositions attaquées.
En conséquence, les dispositions attaquées ne privent pas les jeunes et leurs parents du droit de saisir le juge judiciaire de leurs contestations. La différence de traitement n’existe pas.
A.19.2. Le Gouvernement de la Communauté française conclut que le moyen n’est pas fondé.
A.20. La partie requérante répond que le Gouvernement de la Communauté française fournit une interprétation exagérément restrictive de l’article 144 de la Constitution. En effet, toutes les contestations actuelles de nature civile doivent être soumises à un tribunal. Au surplus, le recours théorique et formel contre la décision de placement d’un enfant prise par le ministère public ne satisfait pas aux exigences de l’article 144 de la Constitution.
A.21. Le Gouvernement de la Communauté française réplique que l’urgence de la situation et l’importance de tenter de trouver un accord avec la famille justifient que le ministère public puisse prendre une mesure de placement provisoire. La famille pourra soit introduire un recours dans l’immédiat, soit manifester son opposition, le premier jour ouvrable, auprès du mandant communautaire, lequel renverra le dossier au ministère public en vue d’une saisine du tribunal de la jeunesse sur la base des articles 37 ou 52 du Code de la jeunesse. La contestation sera donc tranchée in fine par le tribunal de la jeunesse.
Quant au cinquième moyen
A.22.1. Le cinquième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le placement d’un enfant par voie de décision contraignante constitue une ingérence grave dans le droit au respect de la vie privée. L’article 13 de la Convention précitée consacre le droit à un recours effectif devant une instance nationale.
A.22.2. Si le tribunal de la jeunesse connaît des contestations relatives à la mesure d’éloignement du milieu de vie prise par le ministère public, ce recours n’est pas effectif. Non seulement aucune modalité de notification de la décision n’est définie et ni l’existence de ce recours, ni son délai, ni ses modalités ne sont communiqués aux intéressés, mais encore, l’enfant n’est pas obligatoirement assisté d’un avocat au moment où le ministère public prend la décision.
Par ailleurs, si le Code de la jeunesse prévoit la possibilité d’introduire un recours pour l’enfant âgé d’au moins douze ans, assisté par un avocat, désigné d’office, le cas échéant « à la demande du conseiller », le placement de l’enfant en l’espèce est justement décidé parce que le conseiller n’est pas joignable. Le recours de l’enfant âgé d’au moins douze ans n’est donc pas effectif.
En outre, la désignation d’un tuteur ad hoc avant l’exercice du recours n’est pas envisageable, étant donné les effets limités dans le temps de la décision du ministère public.
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Quant aux personnes majeures concernées par la mesure, elles ne peuvent pas non plus mettre en œuvre le recours, surtout si le jour de la décision n’est pas un jour ouvrable.
À supposer qu’un recours soit malgré tout introduit, le tribunal de la jeunesse statuerait nécessairement, compte tenu des délais de la procédure civile, à un moment où le recours serait devenu sans objet. Enfin, comme indiqué ci-dessous, les personnes concernées par la mesure de placement se heurtent au fait accompli et l’absence de débat contradictoire a pour effet de renverser la charge de la preuve.
A.23. L’ASBL « Association Syndicale des Magistrats » se réfère à l’argumentation de la partie requérante.
A.24.1. Le Gouvernement de la Communauté française soutient que le moyen n’est pas recevable, puisque la partie requérante n’invoque, hormis les articles 10 et 11 de la Constitution, aucune disposition constitutionnelle ou conventionnelle en combinaison avec l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. Or, l’article 13 précité n’a pas d’existence indépendante et la violation de cet article ne peut être invoquée que lorsqu’il appert qu’un des droits garantis par la Convention est violé.
A.24.2. Le Gouvernement de la Communauté française fait valoir, à titre subsidiaire, que la Communauté française n’a pas la compétence d’organiser la procédure applicable au recours dirigé contre la décision du ministère public. Le siège de la matière se trouve dans la loi du 8 avril 1965. Par ailleurs, la partie requérante ne démontre pas l’inconstitutionnalité des dispositions attaquées, mais elle épingle plutôt une carence législative qui ne peut toutefois justifier la suspension et l’annulation des dispositions attaquées. Elle commanderait plutôt au législateur fédéral de régler cette matière.
A.24.3. Selon le Gouvernement de la Communauté française, le moyen n’est pas fondé.
A.25. La partie requérante répond que le moyen n’est pas irrecevable. Il est de jurisprudence constante que les droits et libertés visés aux articles 10 et 11 de la Constitution incluent, entre autres, ceux qui sont visés à l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En outre, le moyen est fondé, puisque le Gouvernement de la Communauté française ne peut pas se réfugier derrière les limites de la compétence des communautés pour ne pas organiser un recours effectif. Les dispositions attaquées instaurent un recours dont les modalités ne garantissent pas un recours effectif.
A.26. Dans son mémoire en réplique, le Gouvernement de la Communauté française demande, à titre subsidiaire, le maintien des effets des dispositions attaquées, dans l’hypothèse où la Cour jugerait que la Communauté française est compétente pour fixer les éléments essentiels de la procédure de recours et que les dispositions attaquées ne suffisent pas pour garantir le respect des droits fondamentaux.
Quant au sixième moyen
A.27.1. La partie requérante prend un sixième moyen de la violation de l’article 22 de la Constitution, ainsi que des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec les articles 7 et 9 de la Convention relative aux droits de l’enfant.
Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que, pour un parent et son enfant, le fait d’être ensemble constitue un élément fondamental de la vie familiale. Le droit au respect de la vie privée et familiale des enfants peut toutefois faire l’objet d’ingérences de l’autorité publique, si certaines conditions sont respectées. En outre, les juridictions doivent exposer de manière détaillée les raisons pour lesquelles il n’existait pas, pour protéger l’enfant, de solutions moins attentatoires aux droits de la famille. Les parents doivent être en mesure de faire valoir leurs arguments.
A.27.2. Dans une première branche, la partie requérante soutient que le placement d’un enfant par le ministère public et non par le juge de la jeunesse sans motivation et sans audition des personnes concernées, au seul motif que la décision est prise en dehors des horaires administratifs, constitue une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de la vie familiale.
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A.27.3. Dans une deuxième branche, la partie requérante souligne que le législateur décrétal, en adoptant les dispositions attaquées, a cherché à mettre fin à une discrimination existante qui consistait à traiter les bénéficiaires de l’aide à la jeunesse différemment selon les heures d’ouverture de l’administration. Leur situation n’est réglée par des instances judiciaires qu’en dehors des heures d’ouverture de l’administration, alors que les personnes qui bénéficient de l’aide à la jeunesse pendant ces heures d’ouverture peuvent profiter d’une déjudiciarisation. Or, le ministère public est une instance judiciaire, de sorte que les dispositions attaquées ne corrigent pas la prétendue discrimination. Elles sont dès lors disproportionnées.
A.27.4. Dans une troisième branche, la partie requérante soutient que les dispositions attaquées sont inutiles parce qu’un juge de la jeunesse qui est de garde peut être saisi en urgence, à n’importe quel moment. Ce juge peut prendre une décision de placement sur-le-champ. Il s’agit au surplus d’un magistrat spécialisé, ce qui n’est pas nécessairement le cas du membre du parquet qui est de garde. En cas d’absolue nécessité, le ministère public pourrait aussi saisir, de jour comme de nuit, le président du tribunal de la famille.
A.27.5. Dans une quatrième branche, la partie requérante reconnaît que les « mesures prétoriennes », c’est-
à-dire les mesures de placement d’un enfant prises par le ministère public, existent dans les faits, sans assise légale.
Ces mesures conduisent dans certains cas à placer des enfants en bonne santé dans un hôpital, parfois pendant des semaines. Cette pratique est toutefois illégale, souvent inefficace, voire contraire à l’intérêt de l’enfant. Au demeurant, elle est injustifiée parce que le ministère public peut utiliser les procédures de saisine d’urgence d’un tribunal. L’ingérence dans les droits visés au moyen est disproportionnée.
A.27.6.1. Dans une cinquième branche, la partie requérante soutient que la justification apportée par le législateur décrétal, à savoir « la déjudiciarisation », n’est pas pertinente. Au contraire, les dispositions attaquées contredisent le principe de déjudiciarisation et le principe de subsidiarité de l’aide contrainte par rapport à l’aide volontaire, puisqu’elles impliquent justement le recours à la contrainte et que le consentement des intéressés n’est pas sollicité. Or, dès qu’il y a contrainte, la décision ne peut relever que des tribunaux. La procédure prévue par les dispositions attaquées ne permet pas de recourir à des mesures sociales et d’éviter une procédure judiciaire, mais donne des pouvoirs exorbitants au ministère public qui, sans constituer un tribunal, est un organe du pouvoir judiciaire.
La comparaison effectuée par la section de législation du Conseil d’État entre, d’une part, les pouvoirs donnés au procureur du Roi en matière d’interdiction temporaire de résidence et, d’autre part, ceux qui lui sont donnés par les dispositions attaquées n’est que partiellement pertinente. En cas d’interdiction de résidence, le pouvoir du procureur du Roi touche exclusivement aux droits de personnes majeures et n’est pas uniquement conditionné par les heures de fermeture de l’administration. De plus, aucun tribunal n’était initialement compétent pour prononcer l’interdiction de résidence.
A.27.6.2. La partie requérante soutient que la déjudiciarisation ne peut pas signifier que la sauvegarde des libertés fondamentales ne relèverait plus que de l’administration. La déjudiciarisation ne justifie pas non plus une perte progressive de la garantie des droits fondamentaux en ce qui concerne l’aide et la protection de la jeunesse.
A.27.7. Dans une sixième branche, la partie requérante fait valoir que les dispositions attaquées permettent au ministère public d’éloigner un enfant de son milieu de vie sans avoir constaté au préalable que les personnes concernées refusent ou négligent de mettre en œuvre l’aide volontaire ou sans que les personnes visées à l’article 23 du Code de la jeunesse marquent leur accord sur la mesure. Or, il s’agit d’une condition au placement d’un enfant décidé par le tribunal.
A.28. L’ASBL « Association Syndicale des Magistrats » fait valoir, à propos de la troisième branche du sixième moyen, que les dispositions attaquées sont inutiles et disproportionnées car, en application de l’article 106, alinéa 2, du Code de la jeunesse, un juge d’instruction peut, s’il y a urgence, prendre des mesures provisoires conformément aux articles 101 à 105 du même Code.
A.29.1. Le Gouvernement de la Communauté française considère, après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour et de la Cour européenne des droits de l’homme, que les dispositions attaquées comportent une restriction
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justifiée et proportionnée du droit au respect de la vie privée et familiale, en ce qu’elles instaurent une procédure qui, dans son ensemble, établit un juste équilibre entre les différents intérêts en cause.
A.29.2. Plus précisément, le Gouvernement de la Communauté française estime que la première branche du moyen repose sur une mauvaise compréhension des dispositions attaquées. En effet, le choix du ministère public de prendre une décision de placement provisoire d’un jeune sur la base des dispositions attaquées ou de saisir le tribunal de la jeunesse sur la base des articles 37 ou 52 du Code de la jeunesse ne dépend pas de la question de savoir si la décision intervient en dehors des heures d’ouverture des services ou si les mandants communautaires sont injoignables. L’alternative qui se présente au ministère public est différente dans les deux cas de figure, mais ce dernier dispose toujours de la possibilité de saisir le tribunal de la jeunesse en urgence. En effet, même si les mandants communautaires ne peuvent être joints, le ministère public peut soit prendre lui-même une mesure de placement provisoire, soit saisir le tribunal de la jeunesse en urgence. Cette décision du ministère public est prise compte tenu de différents éléments, dont la gravité du péril auquel le jeune est exposé et la collaboration ou non des parents. Durant les heures d’ouverture des services ou lorsque les mandants communautaires sont joignables, le ministère public n’est pas autorisé à prendre une mesure de placement provisoire. Deux options se présentent alors à lui : soit il renvoie la famille vers le service communautaire compétent, soit il saisit le tribunal de la jeunesse dans le respect des articles 37 et 52 du Code de la jeunesse. En conséquence, la première branche n’est pas fondée.
A.29.3. Quant à la deuxième branche, le Gouvernement de la Communauté française expose qu’une déjudiciarisation ne signifie pas qu’il n’y ait aucune intervention de la sphère judiciaire, mais plutôt que l’intervention du pouvoir judiciaire est limitée à ce qui est strictement nécessaire pour permettre la plus large intervention possible des autorités sociales communautaires. L’intérêt de la mesure de placement mise en cause réside dans sa durée extrêmement brève et dans le nécessaire suivi assuré par les mandants communautaires dès le premier jour ouvrable qui suit la mesure de placement. Le dispositif mis en place est donc pertinent et proportionné au but légitime poursuivi, de sorte que la deuxième branche n’est pas fondée.
A.29.4. À propos de la troisième branche, le Gouvernement de la Communauté française répond que les dispositions attaquées ne sont pas inutiles. En effet, le but de la mesure est de permettre à l’aide sociale spécialisée de jouer son rôle même dans des situations d’urgence. Le juge ne doit être saisi qu’en cas d’échec de ladite aide sociale. Les dispositions attaquées tendent à éviter la saisine systématique du tribunal de la jeunesse en cas d’indisponibilité des mandants communautaires. La branche n’est donc pas fondée.
A.29.5. Le Gouvernement de la Communauté française rétorque, quant à la quatrième branche, que l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée qu’impliquent les dispositions attaquées n’est pas disproportionnée. Certes, le placement d’enfants à l’hôpital est problématique, mais il est étranger aux mesures prétoriennes en cause, puisque ces placements sont ordonnés par un juge et faute de places dans une autre institution. Ensuite, les dispositions attaquées ont pour objet de mettre un terme à une illégalité existante. À l’heure actuelle, les jeunes et leurs familles n’ont aucun droit. Il ne peut donc être fait grief aux dispositions attaquées d’organiser la matière. Partant, la quatrième branche n’est pas fondée.
A.29.6.1. Quant à la cinquième branche, le Gouvernement de la Communauté française répond que rien n’interdit au législateur décrétal d’attribuer un pouvoir décisionnel contraignant à un acteur autre que le juge, en l’occurrence le ministère public. Le pouvoir qui est accordé à ce dernier n’est pas exorbitant, étant donné (i) qu’il est limité par des conditions strictes, (ii) que le ministère public doit avoir eu un échange avec le mandant communautaire de garde, (iii) que la durée des mesures est extrêmement brève, (iv) que le mandant communautaire reprend le dossier dès le premier jour ouvrable, (v) que la saisine en urgence du juge de la jeunesse demeure possible avant la fin de la mesure lorsqu’aucun accord n’a pu être trouvé avec la famille du jeune, et (vi) qu’un recours a posteriori est ouvert auprès du tribunal de la jeunesse.
A.29.6.2. Le Gouvernement de la Communauté française précise, en outre, que c’est à tort que la partie requérante affirme que les dispositions attaquées ne permettraient pas de recourir à des mesures sociales et d’éviter une procédure judiciaire. Au contraire, le nouveau dispositif a pour but de permettre au mandant communautaire de s’entretenir avec le ministère public dans le cadre de la garde et de rencontrer la famille dès le premier jour ouvrable qui suit la décision du ministère public. La branche n’est donc pas fondée.
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A.30. Quant à la sixième branche du moyen, le Gouvernement de la Communauté française indique que, contrairement à ce que soutient la partie requérante, le principe de subsidiarité est renforcé. D’une part, l’intervention des conseillers et directeurs de garde est celle d’une autorité communautaire sociale avant même que le ministère public prenne une décision de placement ou envisage de saisir le tribunal. D’autre part, l’intervention du mandant communautaire dès le premier jour ouvrable permet d’éviter, dans certaines situations, une intervention du tribunal de la jeunesse. La branche n’est pas fondée.
A.31.1. La partie requérante répond que, dans la première branche, elle critique la possibilité que le ministère public puisse placer un enfant en urgence et que cette possibilité dépende uniquement de circonstances liées au fonctionnement de l’administration, c’est-à-dire de circonstances qui sont étrangères à la situation de l’enfant.
A.31.2. La partie requérante répond, quant à la deuxième branche, que les dispositions attaquées accroissent le pouvoir judiciaire, de sorte que l’on ne peut pas parler de déjudiciarisation.
A.31.3. Quant à la troisième branche, la partie requérante répond qu’en application de l’article 106, alinéa 2, du Code de la jeunesse, un juge d’instruction peut également prendre des mesures provisoires, s’il y a urgence. Le juge d’instruction a la compétence de prendre des mesures urgentes en ce qui concerne le mineur en danger. Les dispositions attaquées sont donc inutiles.
Par ailleurs, les principes de déjudiciarisation et de subsidiarité de l’aide judiciaire que le Gouvernement de la Communauté française veut sauvegarder ne sont pas plus affectés par une décision de placement d’enfant prise par un juge que par une décision de placement d’enfant prise par le ministère public. En effet, le directeur de la jeunesse se voit confier le pouvoir de décider des modalités d’exécution des mesures prises par le tribunal, le pouvoir de convenir d’une mesure autre que celle qui a été imposée par le tribunal si cette mesure recueille l’accord des personnes intéressées, et le pouvoir de mettre fin aux mesures imposées si la santé et la sécurité de l’enfant ne sont plus gravement compromises.
A.32.1. Le Gouvernement de la Communauté française réplique, quant à la première branche, que la partie requérante, en soutenant qu’elle critique la possibilité d’un placement d’enfant par le ministère public, formule la même argumentation que dans son deuxième moyen. Il y est renvoyé.
A.32.2. Le Gouvernement de la Communauté française réplique, quant à la troisième branche, que la saisine systématique du tribunal de la jeunesse en cas d’indisponibilité des mandants communautaires est ce que la mesure en cause tente d’éviter. Quant à l’intervention du juge d’instruction, elle est limitée aux situations relatives aux mineurs poursuivis du chef d’un fait qualifié d’infraction. L’intervention du président du tribunal de première instance n’est pas possible non plus, le placement des mineurs en danger relevant de la compétence spéciale et exclusive des tribunaux la jeunesse.
En tout état de cause, ces voies procédurales alternatives demeurent toutes dans la sphère judiciaire et ne permettent pas d’atteindre l’objectif de la déjudiciarisation en dehors des heures d’ouverture des SAJ et des SPJ
ou en cas d’indisponibilité des mandants communautaires. Dans les faits, très peu de situations judiciarisées « retournent » vers l’aide volontaire.
A.32.3. Dans son mémoire en réplique, l’ASBL « Association Syndicale des Magistrats » se rallie à l’argumentation développée par la partie requérante dans son mémoire en réplique.
A.33. Par une ordonnance du 26 avril 2023, la Cour a invité le Gouvernement de la Communauté française à lui communiquer ainsi qu’aux autres parties la circulaire administrative concernant la mise en œuvre des dispositions attaquées, si elle existe. Elle a également invité les autres parties, dans cette hypothèse, à adresser à la Cour leurs éventuelles observations à propos de cette circulaire, sous la forme d’un mémoire complémentaire.
A.34.1. Dans leur mémoire complémentaire conjoint, la partie requérante et l’ASBL « Association Syndicale des Magistrats » regrettent que le Gouvernement de la Communauté française n’ait pas produit devant
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la Cour la circulaire du 1er décembre 2022, à savoir la circulaire qui est remplacée par la circulaire du 8 mai 2023, qui, elle, a été produite par le Gouvernement de la Communauté française en exécution de l’ordonnance du 26 avril 2023. Elles regrettent également que le Gouvernement de la Communauté française ne communique pas à la Cour les évaluations que le comité de suivi a déjà réalisées.
A.34.2. La partie requérante et l’ASBL « Association Syndicale des Magistrats » observent que la circulaire du 8 mai 2023 indique que les conseillers et directeurs de garde sont joignables par téléphone, ce qui corrobore le fait que les dispositions attaquées ont été adoptées sans que la Communauté française alloue des moyens financiers suffisants à la mise en place d’un réel service de garde.
A.34.3. La partie requérante et l’ASBL « Association Syndicale des Magistrats » estiment que la circulaire du 8 mai 2023 confirme que la mesure de placement d’un enfant par le parquet peut être prise sans que l’enfant, ses parents ou ceux qui en ont la garde aient été auditionnés. En outre, cette décision ne doit être ni motivée, ni notifiée. Elle intervient en dehors de tout débat contradictoire.
A.34.4. La partie requérante et l’ASBL « Association Syndicale des Magistrats » constatent que le conseiller ou le directeur de garde peuvent totalement ignorer la situation soumise à l’appréciation du ministère public. La décision de placement d’un enfant par le ministère public peut donc être prise sur la base d’une conversation avec une personne qui ne connaît pas la situation. La circulaire rappelle encore que le ministère public peut saisir le juge de la jeunesse en urgence. Les procédures d’urgence déjà prévues par la loi ou le décret rendent inutiles les dispositions attaquées, qui constituent une ingérence disproportionnée dans les droits fondamentaux des enfants et de leurs parents.
A.34.5. La partie requérante et l’ASBL « Association Syndicale des Magistrats » observent que la circulaire du 8 mai 2023 mentionne des institutions au sein desquelles des places d’hébergement d’urgence sont mises à disposition du ministère public. Or, les places dans ces institutions ne sont en réalité disponibles que durant la période de garde des conseillers et des directeurs et à condition que le ministère public demande à obtenir une place par l’intermédiaire des conseillers et directeurs de garde. En dehors des heures de garde, aucun lieu d’accueil n’est prévu. Par ailleurs, ces places non sollicitées sont indisponibles pour des placements en urgence décidés par les juridictions de la jeunesse. En ne prévoyant pas de dispositions qui garantiraient qu’un enfant placé en urgence puisse bénéficier sur-le-champ d’un hébergement adéquat, le législateur décrétal viole les dispositions visées au sixième moyen.
-B-
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.1. La partie requérante, soutenue par la partie intervenante, demande l’annulation des articles 3 et 6 du décret de la Communauté française du 23 juin 2022 « modifiant le décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse » (ci-après : le décret du 23 juin 2022).
B.2. Le décret du 23 juin 2022 a un objet double :
- d’une part, il introduit un service de garde des conseillers de l’aide à la jeunesse et des directeurs de la protection de la jeunesse (articles 1er et 5 du décret du 23 juin 2022);
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- d’autre part, il procure un fondement légal aux décisions du ministère public visant à faire héberger un enfant en dehors de son milieu de vie, en cas de nécessité urgente, lorsque l’intégrité physique et psychique de l’enfant est exposée directement et actuellement à un péril grave, et en dehors des heures d’ouverture des services de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse, ou si le conseiller de l’aide à la jeunesse ou le directeur de la protection de la jeunesse ne sont pas joignables durant ces heures (articles 3 et 6, attaqués, du décret du 23 juin 2022).
B.3.1. L’article 3, attaqué, du décret du 23 juin 2022 insère, dans le décret de la Communauté française du 18 janvier 2018 « portant le code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse » (ci-après : le Code de la jeunesse), un article 37/1.
L’article 37/1 du Code de la jeunesse dispose :
« § 1er. En cas de nécessité urgente, lorsque l’intégrité physique ou psychique d’un enfant est exposée directement et actuellement à un péril grave et en dehors des heures d’ouverture des services de l’aide à la jeunesse ou si le conseiller n’est pas joignable durant celles-ci, le ministère public peut prendre la mesure visée à l’article 51, alinéa 1er, 2°. La mesure prend fin au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant le moment où la mesure a été prise.
§ 2. Le tribunal de la jeunesse connaît des contestations relatives à la mesure visée au paragraphe 1er prise par le Ministère public et portées devant lui par les personnes visées à l’article 36, alinéa 1er ».
B.3.2. L’article 6, attaqué, du décret du 23 juin 2022 insère, dans le Code de la jeunesse, un article 52/1.
L’article 52/1 du Code de la jeunesse dispose :
« § 1er. En cas de nécessité urgente, lorsque l’intégrité physique ou psychique de l’enfant est exposée directement et actuellement à un péril grave et en dehors des heures d’ouverture des services de protection de la jeunesse ou si le directeur n’est pas joignable durant celles-ci, le Ministère public peut prendre la mesure visée à l’article 51, alinéa 1er, 2°. La mesure prend fin au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant le moment où la mesure a été prise.
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§ 2. Le tribunal de la jeunesse connaît des contestations relatives à la mesure visée [au]
paragraphe 1er prise par le ministère public et portées devant lui par les personnes visées à l’article 54, alinéa 1er ».
B.3.3.1. La « mesure visée à l’article 51, alinéa 1er, 2° » du Code de la jeunesse, à laquelle renvoient les articles 37/1 et 52/1 du Code, insérés par les dispositions attaquées, vise la décision, « dans des situations exceptionnelles, que l’enfant sera hébergé temporairement hors de son milieu de vie en vue de son éducation ou de son traitement ».
B.3.3.2. Les articles 37/1 et 52/1 du Code de la jeunesse, tels qu’ils ont été insérés par les dispositions attaquées, permettent dès lors au ministère public de faire héberger un enfant en dehors de son milieu de vie, lorsque trois conditions sont remplies.
Il faut (i) une nécessité urgente, (ii) que l’intégrité physique et psychique de l’enfant soit exposée directement et actuellement à un péril grave, et (iii) que la situation se présente en dehors des heures d’ouverture des services de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse, ou à un moment où le conseiller de l’aide à la jeunesse ou le directeur de la protection de la jeunesse ne sont pas joignables.
B.3.4. Un recours contre cette mesure peut être introduit devant le tribunal de la jeunesse par les « personnes visées à l’article 36, alinéa 1er » et par les « personnes visées à l’article 54, alinéa 1er » du Code de la jeunesse. Il s’agit (1) des personnes exerçant l’autorité parentale à l’égard de l’enfant, (2) des personnes qui hébergent l’enfant en droit ou en fait, (3) des personnes bénéficiant du droit d’entretenir avec l’enfant des relations personnelles, (4) de l’enfant âgé d’au moins quatorze ans, (5) de l’enfant âgé d’au moins douze ans assisté par un avocat, désigné d’office, le cas échéant à la demande du conseiller, et (6) de l’enfant âgé de moins de douze ans ou son tuteur ad hoc si les personnes exerçant l’autorité parentale à l’égard de l’enfant, les personnes qui hébergent l’enfant en droit ou en fait ou les personnes bénéficiant du droit d’entretenir avec l’enfant des relations personnelles s’abstiennent de saisir le tribunal.
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B.3.5. Les travaux préparatoires mentionnent :
« Un nouvel article 37/1 est inséré en vue de légaliser la mesure prétorienne. Une pratique récurrente du ministère public en matière d’aide à la jeunesse est de prendre, dans certaines circonstances, une mesure d’hébergement hors du milieu de vie pour une période de très courte durée, lorsque l’enfant est supposé être exposé directement et actuellement à un péril grave, et ce dans l’attente de l’intervention du conseiller.
Cette pratique est très fréquente dans certains arrondissements judiciaires, en soirée, les jours fériés et les week-ends, le conseiller reprenant généralement la gestion de la situation dès le premier jour ouvrable suivant. Elle permet d’éviter le passage devant le tribunal de la jeunesse dans certaines situations et de rester gérées dans le cadre de l’aide volontaire.
La légalisation de la mesure prétorienne prend tout son sens dans le cadre du système de garde des conseillers et directeurs. En effet, la possibilité offerte officiellement au ministère public de prendre une mesure d’éloignement de l’enfant pendant une durée très limitée, couvrant la suite du week-end ainsi que le premier jour ouvrable suivant laisse l’opportunité au conseiller d’assurer le suivi de la situation dans les limites de l’aide volontaire » (Doc. Parl., Parlement de la Communauté française, 2021-2022, n° 397/1, p. 8).
B.4.1. Le service de garde des conseillers de l’aide à la jeunesse et des directeurs de la protection de la jeunesse est coordonné par zone et organisé selon les modalités fixées par le Gouvernement.
B.4.2. Le conseiller de l’aide à la jeunesse est une autorité administrative placée sous l’autorité hiérarchique du fonctionnaire dirigeant de l’administration compétente de la Communauté française. Il ou elle dirige le service de l’aide à la jeunesse et doit exercer ses compétences en matière d’aide individuelle en toute indépendance. Il y a un conseiller dans chaque division du tribunal de première instance ou dans chaque arrondissement judiciaire qui n’est pas composé de divisions (articles 2, 5°, 8°, 12° et 17°, 16 et 17 du Code de la jeunesse).
Le directeur de la protection de la jeunesse est une autorité administrative placée sous l’autorité hiérarchique du fonctionnaire dirigeant de l’administration compétente de la Communauté française. Il y a un directeur dans chaque division du tribunal de première instance ou dans chaque arrondissement judiciaire qui n’est pas composé de divisions, pour diriger le service de la protection de la jeunesse. Il ou elle exerce ses compétences en matière de
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protection individuelle en toute indépendance (articles 2, 5°, 10°, 12° et 17°, 18 et 19 du Code de la jeunesse).
B.4.3. Pendant la garde, la mission du conseiller de l’aide à la jeunesse et du directeur de la protection de la jeunesse consiste à informer le ministère public sur l’opportunité de procéder en urgence à l’éloignement du milieu de vie de l’enfant concerné,
- lorsque le ministère public envisage de faire application des articles 37 ou 37/1 du Code de la jeunesse, dans le cadre de l’aide à la jeunesse (article 35, § 5, du Code de la jeunesse, tel qu’il a été complété par l’article 1er du décret du 23 juin 2022); ou
- lorsque le ministère public envisage de faire application des articles 52 et 52/1 du même Code, dans le cadre de la protection de la jeunesse (article 53, § 6, du Code de la jeunesse, tel qu’il a été inséré par l’article 5 du décret du 23 juin 2022).
B.4.4.1. Tel qu’il a été modifié par l’article 2 du décret du 23 juin 2022, l’article 37 du Code de la jeunesse, auquel il est renvoyé, dispose :
« § 1er. En cas de nécessité urgente, lorsque l’intégrité physique ou psychique de l’enfant est exposée directement et actuellement à un péril grave et à défaut d’accord des personnes visées à l’article 23, le tribunal de la jeunesse peut prendre à titre provisoire, pour une durée qui ne peut excéder trente jours, la mesure visée à l’article 51, alinéa 1er, 2°.
Lorsque la saisine du tribunal n’est pas sollicitée par le conseiller, le ministère public s’assure préalablement auprès de celui-ci de l’absence d’accord des personnes visées à l’article 23 ou de l’impossibilité de recueillir cet accord.
La décision du tribunal est transmise immédiatement au directeur afin d’être exécutée conformément à l’article 53.
La décision du tribunal détermine les modalités d’exécution de la mesure provisoire qui s’appliquent jusqu’à ce que, le cas échéant, le directeur décide d’autres modalités d’exécution ou convienne d’une autre mesure avec les personnes visées à l’article 23, conformément à l’article 53, § 5.
§ 2. Le ministère public peut exceptionnellement saisir directement le tribunal lorsqu’il démontre que le conseiller n’a pas pu être atteint et que l’intérêt de l’enfant ne permet pas d’attendre l’organisation et la mise en œuvre de l’aide volontaire.
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Dans les cas visés à l’alinéa 1er où le conseiller n’a pas pu être atteint et les cas où le conseiller qui assure le service de garde prévu à l’article 35, § 5, alinéa 2, n’a pas connaissance de la situation, la décision du tribunal est transmise immédiatement au conseiller qui exerce dans ces cas les missions liées à l’exécution d’une mesure provisoire prévues par l’article 53, §§ 1er, 2, 3 et 5, et tente d’obtenir l’accord des personnes visées à l’article 23 sur la ou les mesures décidées par le tribunal ou sur leur modification.
§ 3. Conformément à l’article 53, § 5, alinéa 3, la mesure provisoire peut être prolongée une seule fois de quarante-cinq jours au plus ».
B.4.4.2. Tel qu’il a été modifié par l’article 4 du décret du 23 juin 2022, l’article 52 du Code de la jeunesse dispose :
« En cas de nécessité urgente, lorsque l’intégrité physique ou psychique de l’enfant est exposée directement et actuellement à un péril grave et à défaut d’accord des personnes visées à l’article 23, le tribunal de la jeunesse peut prendre à titre provisoire, pour une durée qui ne peut excéder trente jours, la mesure visée à l’article 51, alinéa 1er, 2°.
Lorsque la saisine du tribunal n’est pas sollicitée par le directeur, le ministère public s’assure préalablement auprès de celui-ci de l’absence d’accord des personnes visées à l’article 23 ou de l’impossibilité de recueillir cet accord.
Le ministère public peut exceptionnellement saisir directement le tribunal lorsqu’il démontre que le directeur n’a pas pu être atteint et que l’intérêt de l’enfant ne permet pas d’attendre l’intervention du directeur.
La décision du tribunal est transmise immédiatement au directeur afin d’être exécutée conformément à l’article 53.
La décision du tribunal détermine les modalités d’exécution de la mesure provisoire qui s’appliquent jusqu’à ce que, le cas échéant, le directeur décide d’autres modalités d’exécution ou convienne d’une autre mesure avec les personnes visées à l’article 23, conformément à l’article 53, § 5.
Conformément à l’article 53, § 5, alinéa 3, la mesure provisoire peut être prolongée une seule fois de quarante-cinq jours au plus ».
B.4.4.3. Les personnes visées à l’article 23 du Code de la jeunesse, auxquelles il est renvoyé, sont l’enfant âgé d’au moins quatorze ans, l’enfant âgé d’au moins douze ans, assisté par un avocat, désigné d’office, le cas échéant, à la demande du conseiller, et les personnes qui exercent l’autorité parentale à l’égard de l’enfant.
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B.4.5. À propos du service de garde, les travaux préparatoires mentionnent :
« Un projet pilote de garde des conseillers de l’aide à la jeunesse et des directeurs de la protection de la jeunesse a été expérimenté dans les arrondissements judiciaires de Liège et Luxembourg, du 4 octobre 2019 au 31 mai 2020. Le dispositif pratiqué alors est décrit dans la circulaire du 1er août 2019 portant sur l’expérimentation d’un système de garde des conseillers de l’aide à la jeunesse et des directeurs de la protection de la jeunesse mise à jour le 23 septembre 2019.
Ce projet pilote a confirmé l’opportunité d’étendre un système de garde à l’ensemble des arrondissements judiciaires, chacun pouvant en reconnaître la plus-value, aussi bien dans les rangs des mandants de l’aide et de la protection de la jeunesse, que dans ceux du ministère public. En effet, ce projet a permis de renforcer les relais entre les conseillers et directeurs et les membres du parquet, tout en favorisant la reconnaissance des compétences réciproques. De même, dans certains cas, le système mis en place a permis d’anticiper les situations d’urgence, les différents mandants avertissant le conseiller ou le directeur de garde des dossiers présentant un risque accru de dégradation au cours du week-end. Une telle anticipation permet au mandant de garde de disposer des éléments utiles lorsque la situation d’urgence se présente.
Le projet pilote a révélé la nécessité d’approfondir l’articulation de l’action des mandants communautaires avec le ministère public. En effet, celui-ci étant le premier intervenant face à une situation de crise et de danger, la mesure prétorienne est apparue comme un élément essentiel du dispositif de garde.
[...]
[...] pour les périodes plus longues de week-end ou les jours fériés durant lesquels le mandant communautaire est actuellement injoignable, il est apparu judicieux que le ministère public puisse s’appuyer sur l’expertise psycho-sociale et les compétences particulières reconnues aux conseillers de l’aide à la jeunesse et aux directeurs de la protection de la jeunesse.
Aussi, le système de garde tel qu’il est pensé prévoit une collaboration étroite entre le ministère public et les mandants de l’aide et de la protection de la jeunesse afin que la meilleure solution puisse être trouvée face à l’urgence.
[…]
Le système de garde tel que pensé est ainsi à la recherche d’un équilibre : tout en consolidant le principe de déjudiciarisation consacré par le décret du 18 janvier 2018 durant les périodes de fermeture des services de la Communauté française, il garantit au ministère public une aide substantielle à la prise de décision par le biais d’une transmission d’informations, d’éléments d’appréciation et de pistes d’orientations. Par ailleurs, le projet pilote de garde a montré que le système permet d’éviter des saisines du juge de la jeunesse ce qui permet une
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réduction du nombre de procédures à suivre par le ministère public à moyen ou plus long terme » (Doc. Parl., Parlement de la Communauté française, 2021-2022, n° 397/1, pp. 3-5).
En commission, la ministre a précisé :
« Le modèle de garde instaure des permanences téléphoniques des mandants communautaires les weekends et les jours fériés ainsi que les vendredis en soirée. Les mandants peuvent être contactés par les Procureurs. Plus que de simples moments d’échanges, il s’agit véritablement d’organiser la suite de la prise en charge de la situation concernée.
Ce modèle permet à l’aide négociée de jouer pleinement son rôle et offrir aux bénéficiaires les compétences des mandants, rompus au travail avec les jeunes en danger. La mise en place d’une reprise rapide par les mandants, garantit aussi que les jeunes et les familles bénéficient d’une prise en charge immédiate.
L’instauration de ce modèle de gardes est une étape essentielle dans la mise en œuvre d’un système de gardes plus complet qui devrait, idéalement, viser l’organisation d’un modèle présentiel de mandants accompagnés de membres des sections sociales et administratives.
Toutefois, un tel modèle nécessite des moyens budgétaires et humains conséquents » (Doc.
parl., Parlement de la Communauté française, 2021-2022, n° 397/2, pp. 4-5).
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
B.5. Le premier moyen est pris de la violation de l’article 13 de la Constitution, en ce que les dispositions attaquées donnent au ministère public le pouvoir de placer un enfant temporairement en dehors de son milieu de vie, lorsque les conditions d’application de ces dispositions sont remplies.
Selon la partie requérante et la partie intervenante, toute mesure de placement d’un enfant constitue une ingérence grave dans le respect de la vie privée et familiale de l’enfant et de sa famille qui ne peut être décidée que par un juge, dans le cadre d’une procédure garantissant à tout le moins l’audition des personnes concernées. Les dispositions attaquées auraient pour effet de distraire des justiciables, contre leur gré, du juge que la loi leur assigne.
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B.6.1. L’article 13 de la Constitution contient un droit d’accès au juge compétent, qui est un droit fondamental dans un État de droit.
Le droit d’accès au juge constitue un élément inhérent au droit à un procès équitable consacré par l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, 21 février 1975, Golder c. Royaume-Uni, ECLI:CE:ECHR:1975:0221JUD000445170, § 36; grande chambre, 15 mars 2022, Grzęda c. Pologne, ECLI:CE:ECHR:2022:0315JUD004357218, § 342).
La portée de cette disposition conventionnelle est analogue à celle de la disposition constitutionnelle précitée, de sorte que les garanties que fournissent ces deux dispositions forment un tout indissociable.
B.6.2. La réalisation du droit d’accès au juge implique une voie judiciaire effective (CEDH, grande chambre, 15 mars 2018, Naït-Liman c. Suisse, ECLI:CE:ECHR:2018:0315JUD005135707, §§ 112 et 113).
B.6.3. Toutefois, contrairement à ce que soutiennent la partie requérante et la partie intervenante, le droit d’accès au juge n’implique pas que toute mesure restrictive du droit au respect de la vie privée et familiale, même importante, doive être prise par un juge indépendant et impartial.
Si l’intervention préalable d’un juge indépendant et impartial pour adopter une telle mesure peut constituer une garantie du respect d’autres droits fondamentaux, comme le droit au respect de la vie privée et familiale ou le droit au respect du domicile, elle ne découle pas comme telle du droit d’accès au juge.
B.7. En ce que le premier moyen, pris en substance de la violation de l’article 13 de la Constitution, est uniquement fondé sur la critique selon laquelle les dispositions attaquées confient, en cas de nécessité urgente, au ministère public, et non pas au tribunal de la jeunesse, le pouvoir de placer temporairement en dehors de son milieu de vie un enfant en grave danger, il n’est pas fondé.
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En ce qui concerne les deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens
B.8. Les griefs soulevés par la partie requérante et la partie intervenante dans les deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens sont étroitement liés, de sorte que la Cour les examine conjointement.
B.9.1. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
La partie requérante et la partie intervenante soutiennent que la différence de traitement entre, d’une part, les enfants qui sont placés en dehors de leur milieu de vie par le ministère public sur la base des articles 37/1 ou 52/1 du Code de la jeunesse et les familles de ces enfants, et, d’autre part, les enfants qui sont placés par un juge, en l’occurrence le tribunal de la jeunesse, et les familles de ces enfants n’est pas raisonnablement justifiée parce qu’elle tient uniquement au fonctionnement de l’administration, au moment où est prise la décision de placer l’enfant.
B.9.2. Le troisième moyen est pris de la violation de l’article 22bis, alinéa 2, de la Constitution, des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les articles 9, paragraphe 2, et 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant, avec le principe général du contradictoire et des droits de la défense, et avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La partie requérante et la partie intervenante soutiennent que le principe général du contradictoire n’est pas garanti, en ce qu’il n’y a pas d’audition de l’enfant placé par le ministère public sur la base des articles 37/1 ou 52/1 du Code de la jeunesse qui a l’âge et la maturité requis (première branche), et en ce qu’aucune autre garantie du procès équitable n’est respectée (seconde branche).
B.9.3. Le quatrième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l’article 144 de la Constitution.
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La partie requérante et la partie intervenante font valoir qu’en cas de placement d’un enfant sur la base des articles 37/1 ou 52/1 du Code de la jeunesse sans l’accord de l’enfant ou de sa famille, il y a une contestation au sujet de droits civils qui doit nécessairement faire l’objet d’une décision rendue par un tribunal.
B.9.4. Le cinquième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que le recours qui peut être exercé contre la mesure de placement de l’enfant prise par le ministère public sur la base des articles 37/1 ou 52/1 du Code de la jeunesse n’est pas effectif.
B.9.5. Le sixième moyen est pris de la violation de l’article 22 de la Constitution et des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec les articles 7 et 9 de la Convention relative aux droits de l’enfant.
La partie requérante et la partie intervenante soutiennent que la décision du ministère public de placer un enfant sur la base des articles 37/1 ou 52/1 du Code de la jeunesse constitue une ingérence injustifiée et disproportionnée dans le droit au respect de la vie privée et familiale.
B.10.1. À titre liminaire, la requête ne contient pas, dans le deuxième moyen, un exposé qui ferait apparaître en quoi l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, pris isolément, serait violé.
En conséquence, en ce qu’il est pris de la violation de cette disposition conventionnelle, le moyen est irrecevable.
B.10.2.1. Ensuite, dans le troisième moyen, la partie requérante et la partie intervenante soutiennent que les garanties prescrites par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ne sont pas respectées. En particulier, les dispositions attaquées ne garantiraient pas le principe général du contradictoire, l’accès au dossier, l’intervention d’un avocat,
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l’obligation de motiver la décision, le droit des parties ou de l’enfant de conclure, et la notification de la décision de placement et des voies de recours.
B.10.2.2. Les garanties contenues dans l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ne s’appliquent toutefois pas au ministère public lorsque celui-ci décide de placer un enfant sur la base des dispositions attaquées, puisque, faute d’être investi d’une compétence juridictionnelle, il ne constitue pas un « tribunal » au sens de cette disposition (CEDH, 1er décembre 2020, Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande, grande chambre, ECLI:CE:ECHR:2020:1201JUD002637418, § 219).
B.10.2.3. Dès lors, le troisième moyen n’est pas fondé en ce qu’il est pris de la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.10.2.4. Le principe général des droits de la défense, dont le principe du contradictoire de la procédure et le droit de présenter sa défense sont des composantes, s’applique à toutes les juridictions ainsi qu’à l’autorité administrative lorsque celle-ci entend sanctionner ou punir.
Le ministère public n’est ni une juridiction, ni une autorité administrative qui entend sanctionner ou punir. Le principe général des droits de la défense ne s’applique donc pas à lui lorsqu’il prend une mesure de placement d’un enfant sur la base des articles 37/1 ou 52/1 du Code de la jeunesse.
Le troisième moyen n’est donc pas fondé en ce qu’il est pris de la violation du principe général du contradictoire et des droits de la défense.
B.10.2.5. En revanche, le troisième moyen doit être examiné en ce qu’il est pris de la violation des dispositions constitutionnelle et conventionnelles qui consacrent le droit de l’enfant d’être entendu eu égard à son âge et à son discernement.
B.10.3. Le cinquième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.
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L’on peut déduire de l’exposé du moyen contenu dans la requête que la partie requérante critique l’absence de recours effectif permettant de se prévaloir d’une violation du droit au respect de la vie privée et familiale, garanti notamment par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme étant invoquée dans le sixième moyen, et compte tenu de l’examen conjoint par la Cour des cinquième et sixième moyens, le cinquième moyen est recevable.
B.11. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.12.1. Selon l’article 22bis, alinéa 2, de la Constitution, tout enfant a le droit de s’exprimer « sur toute question qui le concerne » et « son opinion est prise en considération, eu égard à son âge et à son discernement ».
Selon l’article 12, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l’enfant, les États parties à cette Convention garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion « sur toute question l’intéressant ». Selon le paragraphe 2 de cette disposition, l’enfant doit avoir l’occasion d’être entendu « dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant ».
B.12.2. En ce que l’article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant confère aux enfants le droit d’exprimer leur propre opinion sur toute question les intéressant, cette
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disposition a une portée analogue à celle de l’article 22bis, alinéa 2, de la Constitution, de sorte que ces deux dispositions forment un tout indissociable.
B.12.3. L’article 9 de la même Convention dispose :
« 1. Les Etats parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l’enfant, ou lorsqu’ils vivent séparément et qu’une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l’enfant.
2. Dans tous les cas prévus au paragraphe 1 du présent article, toutes les parties intéressées doivent avoir la possibilité de participer aux délibérations et de faire connaître leurs vues.
3. Les Etats parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.
[…] ».
B.12.4. En ce que l’article 9, paragraphe 2, de la même Convention doit être compris comme donnant aux enfants, entre autres, la possibilité de participer aux délibérations et de faire connaître leurs vues lorsqu’ils sont séparés de leurs parents contre leur gré, s’ils ont l’âge et la maturité requis, cette disposition a également une portée analogue à celle de l’article 22bis, alinéa 2, de la Constitution, avec laquelle elle forme un tout indissociable.
B.13. L’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme. L’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme n’a donc pas d’existence indépendante (CEDH, 7 juillet 2009, Zavoloka c. Lettonie, ECLI:CE:ECHR:2009:0707JUD005844700, § 35).
Pour être efficace, un recours doit être capable de porter directement remède à la situation critiquée (Comm. Eur. D.H., décision, Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande,
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1989). La portée du contrôle doit donc être suffisamment large et les autorités compétentes doivent examiner le fond du grief tiré de la violation d’un droit fondamental garanti par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, 8 juillet 2003, Hatton et autres c. Royaume-Uni, ECLI:CE:ECHR:2003:0708JUD003602297, § 141). Pour être efficaces, les recours doivent être appropriés et accessibles à l’intéressé (CEDH, 11 juin 2009, Petkov et autres c. Bulgarie, ECLI:CE:ECHR:2009:0611JUD007756801, § 82; CEDH, décision, 27 mars 2003 et 22 mai 2003, Paulino Tomás c. Portugal, ECLI:CE:ECHR:2003:0327DEC005869800).
B.14.1. L’article 144 de la Constitution dispose :
« Les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux.
Toutefois, la loi peut, selon les modalités qu’elle détermine, habiliter le Conseil d’Etat ou les juridictions administratives fédérales à statuer sur les effets civils de leurs décisions ».
Cette disposition constitutionnelle confie exclusivement aux juridictions judiciaires le pouvoir de connaître des contestations portant sur un droit civil, sous réserve de ce que la loi peut attribuer au Conseil d’État ou aux juridictions administratives fédérales la compétence de statuer sur les effets civils de leurs décisions.
B.14.2. Priver une catégorie de personnes de cette garantie reviendrait à instaurer une différence de traitement qui n’est pas compatible avec l’article 144 de la Constitution et, partant, avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.15.1. L’article 22 de la Constitution dispose :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.
La loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent la protection de ce droit ».
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B.15.2. Le Constituant a recherché la plus grande concordance possible entre l’article 22
de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).
La portée de cet article 8 est analogue à celle de la disposition constitutionnelle précitée, de sorte que les garanties que fournissent ces deux dispositions forment un tout indissociable.
B.15.3. L’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose :
« 1. Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ».
B.15.4. Selon l’article 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant, l’enfant a, entre autres, « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux ».
B.15.5. Le fait d’être ensemble représente pour un parent et son enfant un élément fondamental de la vie familiale et les mesures qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale (CEDH, grande chambre, 10 septembre 2019, Strand Lobben et autres c. Norvège, ECLI:CE:ECHR:2019:0910JUD003728313, § 202).
Le droit au respect de la vie privée et familiale que garantissent les dispositions constitutionnelle et conventionnelles précitées n’exclut pas une ingérence d’une autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie familiale, mais exige que cette ingérence soit prévue par une disposition législative suffisamment précise, qu’elle réponde à un besoin social impérieux dans une société démocratique et qu’elle soit proportionnée à l’objectif légitime qu’elle poursuit.
Dans les affaires concernant le placement d’un enfant par une autorité publique, l’intérêt de l’enfant doit passer avant toute autre considération. L’intérêt supérieur de l’enfant peut primer sur celui des parents (CEDH, grande chambre, 10 septembre 2019, Strand Lobben et
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autres c. Norvège, ECLI:CE:ECHR:2019:0910JUD003728313, §§ 206 et 207). En même temps, la recherche de l’unité familiale et celle de la réunion de la famille en cas de séparation constituent des considérations inhérentes au droit au respect de la vie familiale.
Par conséquent,
(1) seules des circonstances tout à fait exceptionnelles peuvent en principe conduire à une rupture du lien familial (CEDH, grande chambre, 10 septembre 2019, Strand Lobben et autres c. Norvège, § 207);
(2) l’enfant ne doit pas être séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes décident, sous réserve de révision judiciaire, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt de l’enfant. Il appartient aux États membres d’instaurer des garanties procédurales pratiques et effectives permettant de veiller à la protection et à la mise en œuvre de l’intérêt supérieur de l’enfant (ibid., § 207);
(3) l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme implique à charge de toute autorité publique qui ordonnerait une prise en charge de l’enfant restreignant la vie familiale une obligation positive de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible (ibid., § 205). Cette obligation positive s’impose aux autorités compétentes dès le début de la période de prise en charge et avec de plus en plus de force, mais doit toujours être mise en balance avec le devoir de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant (ibid., § 208).
B.16. Selon le Gouvernement de la Communauté française, la différence de traitement dénoncée dans le deuxième moyen, à savoir la différence entre les enfants qui sont placés par le ministère public sur la base des articles 37/1 ou 52/1 du Code de la jeunesse, et les enfants qui sont placés par le tribunal de la jeunesse sur la base des articles 37 ou 52 du Code de la jeunesse n’existe pas, puisque le ministère public peut toujours décider, même en dehors des heures d’ouverture des services d’aide et de protection de la jeunesse, de saisir le tribunal de la jeunesse sur la base des articles 37 ou 52 du Code de la jeunesse, afin que celui-ci procède au placement de l’enfant.
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Or, le fait que le ministère public garde la faculté de saisir le tribunal de la jeunesse sur la base des articles 37 ou 52 du Code de la jeunesse afin que celui-ci décide du placement de l’enfant ne porte pas atteinte au pouvoir qui lui est conféré par les dispositions attaquées de placer un enfant sur la base des articles 37/1 ou 52/1 du Code de la jeunesse, de sorte que la différence de traitement dénoncée existe bel et bien.
B.17.1. La Cour doit vérifier si cette différence de traitement est objectivement et raisonnablement justifiée.
B.17.2. Toute mesure de placement d’un enfant en dehors de son milieu de vie constitue une ingérence grave dans le droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant et de sa famille.
Bien qu’elle soit censée être de courte durée, la mesure de placement d’un enfant décidée par le ministère public sur la base des articles 37/1 et 52/1 du Code de la jeunesse constitue, elle aussi, une ingérence grave dans le droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées par la mesure qui doit respecter les garanties énoncées en B.15.5.
B.18.1. Par le décret du 23 juin 2022, le législateur décrétal a, premièrement, cherché à assurer la déjudiciarisation de l’aide et de la protection de la jeunesse en dehors des heures d’ouverture des services administratifs compétents ou en cas d’inaccessibilité de ceux-ci (Doc.
parl., Parlement de la Communauté française, 2021-2022, n° 397/1, pp. 1, 3, 5 et 6).
Le principe de déjudiciarisation qui gouverne la politique en matière d’aide et de protection de la jeunesse en Communauté française se trouve inscrit à l’article 1er, 7°, du Code de la jeunesse, qui dispose que « l’aide et la protection s’inscrivent dans une optique de déjudiciarisation et de subsidiarité de l’aide contrainte par rapport à l’aide volontaire ».
Tel qu’il est prôné par la Communauté française, le principe de déjudiciarisation de l’aide et de la protection de la jeunesse, combiné à un principe de subsidiarité de l’aide contrainte par rapport à l’aide volontaire, doit se comprendre comme la volonté d’éviter, si et tant que c’est
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possible, la saisine du tribunal de la jeunesse pour traiter une situation dans laquelle un enfant se trouve en difficulté ou en danger. Le principe de déjudiciarisation ne se comprend toutefois pas, comme le soutient la partie requérante, comme la volonté d’éviter l’intervention du ministère public, qui est une instance judiciaire.
B.18.2. Deuxièmement, le législateur décrétal veut garantir le respect du principe d’égalité de traitement et de non-discrimination entre les enfants, selon que la situation de danger dans laquelle ils se trouvent se manifeste dans les ou en dehors des heures d’ouverture (ou de l’accessibilité) des services de l’aide et de la protection de la jeunesse (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2021-2022, n° 397/1, pp. 5-6; Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2021-2022, n° 397/2, pp. 5-6).
B.18.3. Les objectifs précités sont légitimes. Pour le surplus, il n’appartient pas à la Cour de juger de l’opportunité ou des possibilités de réalisation concrètes des choix effectués par le législateur décrétal dans l’élaboration de sa politique en matière d’aide à la jeunesse et de protection de la jeunesse.
B.19.1. Pour atteindre ces objectifs, le législateur décrétal a pris deux mesures, comme il est dit en B.2.
Premièrement, il a créé un service de garde des conseillers d’aide à la jeunesse et des directeurs de la protection de la jeunesse en dehors des heures d’ouverture des services administratifs.
Deuxièmement, par les dispositions attaquées, le législateur décrétal a procuré un fondement légal à la pratique existante de placer un enfant en dehors de son milieu de vie sur la base d’une « décision prétorienne » prise par le ministère public en cas de nécessité urgente et de danger grave pour l’enfant.
B.19.2. Le système ainsi conçu par le législateur décrétal vise à permettre le placement en dehors de son milieu de vie d’un enfant en danger, sans saisir à ce stade le tribunal de la jeunesse, dans l’attente de l’accessibilité des services de l’aide et de protection de la jeunesse,
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pour que ceux-ci puissent reprendre la gestion du dossier le plus tôt possible, afin de tenter d’éviter une saisine du tribunal à un stade ultérieur.
Eu égard à la déjudiciarisation visée, il est donc cohérent que le législateur décrétal souhaite éviter la saisine automatique du tribunal de la jeunesse lorsque les services de l’aide ou de protection de la jeunesse sont fermés ou injoignables, puisque le ministère public peut désormais, dans cette hypothèse, décider lui-même le placement de l’enfant qui se trouve en grave danger, en cas de nécessité urgente, et il ne doit plus saisir, pour ce faire, le juge de la jeunesse sur la base des articles 37 et 52 du Code de la jeunesse.
Ensuite, puisqu’il est prévu que la mesure de placement de l’enfant prise par le ministère public dure jusqu’à la fin du premier jour ouvrable suivant, le conseiller de l’aide à la jeunesse ou le directeur de la protection de la jeunesse dispose en principe de la possibilité de traiter la situation de l’enfant dès les premières heures du premier jour ouvrable, pour tenter de dégager un accord avec la famille. Si un tel accord avec la famille est trouvé, la saisine du tribunal de la jeunesse est évitée à ce stade également.
B.19.3. Le législateur décrétal veut ainsi garantir que tous les enfants en danger soient traités de la même manière, que la situation de danger se présente dans ou en dehors des heures d’ouverture des services, ou encore lorsque ceux-ci ne sont pas joignables, c’est-à-dire en privilégiant la déjudiciarisation de la situation de danger dans tous les cas.
B.20. Les dispositions attaquées confèrent au ministère public, c’est-à-dire à des magistrats sans pouvoir juridictionnel mais dont l’indépendance est garantie par l’article 151, § 1er, de la Constitution, un pouvoir pour réagir immédiatement face à une situation de nécessité urgente dans laquelle un enfant est en grave danger, pour sauvegarder l’intérêt supérieur de cet enfant.
Compte tenu du besoin de l’autorité publique de réagir sans délai face à une situation de nécessité urgente dans laquelle un enfant est en grave danger, l’attribution expresse du pouvoir au ministère public de placer, dans cette situation, un enfant en dehors de son milieu de vie temporairement, est une mesure qui, en tant que telle, peut être justifiée.
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B.21. La partie requérante et la partie intervenante soutiennent que le ministère public décide régulièrement de placer un enfant en dehors de son milieu de vie sans qu’il y ait une nécessité urgente.
La « nécessité urgente » est toutefois une condition à la mise en œuvre du pouvoir du ministère public, fixée par les dispositions attaquées. Dès lors, si un enfant est placé par le ministère public sans qu’il y ait une « nécessité urgente », il s’agit d’un excès de compétence résultant de l’exécution des dispositions attaquées, qui échappe au contrôle de la Cour.
B.22. Contrairement à ce que soutiennent la partie requérante et la partie intervenante, le législateur décrétal peut estimer que, malgré les gardes organisées par des tribunaux de la jeunesse, les dispositions attaquées ne sont pas inutiles.
En effet, les communautés ont, en vertu de l’article 5, § 1er, II, 6°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, la plénitude de compétence pour régler la protection de la jeunesse dans la plus large acception du terme, sauf les exceptions qui y sont explicitement mentionnées. Dans l’exercice de cette compétence, le législateur décrétal peut vouloir privilégier la déjudiciarisation d’une situation dans laquelle un enfant est en danger et éviter, si possible, la saisine du juge de la jeunesse, y compris donc du juge « de garde ». C’est ainsi que, dans l’exercice de cette même compétence, il relève d’un choix politique de conférer, en cas de nécessité urgente, au ministère public le pouvoir de placer en dehors de son milieu de vie un enfant en grave danger, dans l’attente de la réouverture des services de l’aide et de la protection de la jeunesse pour vérifier s’il est possible de proposer une aide volontaire à cet enfant et à sa famille. Toutefois, en posant ce choix politique, le législateur décrétal est tenu de respecter les règles répartitrices de compétences et les droits fondamentaux, ce qu’il appartient à la Cour de vérifier.
B.23.1. Comme il est dit en B.15.5, les dispositions constitutionnelle et conventionnelles liant la Belgique qui garantissent le droit au respect de la vie privée et familiale imposent aux autorités compétentes de mettre fin à une mesure de placement d’un enfant « dès que cela sera vraiment possible ».
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En outre, le placement d’un enfant en dehors de sa famille, même s’il est de courte durée, ne peut être qu’une mesure exceptionnelle qui doit être d’une durée la plus courte possible.
Tel est d’autant plus le cas lorsque le placement de l’enfant intervient, comme en l’espèce, en l’absence de décision d’un juge.
Les travaux préparatoires indiquent d’ailleurs que la mesure de placement de l’enfant prise sur la base des articles 37/1 ou 52/1 du Code de la jeunesse « pouvant être prise sans l’accord des personnes et sans les garanties offertes par un tribunal, doit être appréhendée comme une mesure d’ordre transitoire et est pensée pour être d’une durée la plus courte possible » (Doc.
parl., Parlement de la Communauté française, 2021-2022, n° 397/1, pp. 4-5).
B.23.2. L’article 35, § 5, du Code de la jeunesse, tel qu’il a été complété par l’article 1er du décret du 23 juin 2022, et l’article 53, § 6, du même Code, tel qu’il a été inséré par l’article 5
du décret du 23 juin 2022, prévoient qu’un service de garde des conseillers et un service de garde des directeurs, coordonnés par zone, sont « organisé[s] selon les modalités fixées par le Gouvernement ». Par ailleurs, ces dispositions définissent la mission du conseiller et du directeur de garde comme étant celle d’informer le ministère public sur l’opportunité de procéder en urgence à l’éloignement du milieu de vie de l’enfant concerné lorsque le ministère public envisage de faire application des articles 37 ou 37/1, ou des articles 52 et 52/1.
Toutefois, comme il ressort des travaux préparatoires (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2021-2022, n° 397/2, pp. 4-5), ce service de garde est limité à un service de garde téléphonique, qui est opérationnel les vendredis soirs, les jours fériés et les week-ends, faute pour la Communauté française de pouvoir y accorder des moyens budgétaires plus importants. L’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 25 août 2022
« portant exécution des articles 35, § 5, alinéa 2, et 53, § 6, du décret du 18 janvier 2018 portant Code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse » (ci-après :
l’arrêté du 25 août 2022) confirme le caractère limité du « service de garde » en le définissant comme « l’obligation pour le conseiller, le conseiller adjoint de l’aide à la jeunesse, et le
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directeur, directeur adjoint de la protection de la jeunesse, d’être joignables et disponibles par téléphone le vendredi de 17h00 à 22h00, et les samedi et dimanche de 9h00 à 17h00, ainsi que les jours fériés, de 9h00 à 17h00 ».
L’arrêté du 25 août 2022 exécute les articles 35, § 5, et 53, § 6, du Code de la jeunesse en instaurant un service de garde, qui ne couvre pas toute la période au cours de laquelle le ministère public peut placer un enfant sur la base des articles 37/1 et 52/1 du Code de la jeunesse.
B.23.3. Le contrôle de constitutionnalité de la Cour porte sur des normes législatives uniquement.
Dans ce cadre, la Cour constate que, indépendamment de leur exécution par le Gouvernement de la Communauté française, l’article 35, § 5, du Code de la jeunesse, tel qu’il a été complété par l’article 1er du décret du 23 juin 2022, et l’article 53, § 6, du même Code, tel qu’il a été inséré par l’article 5 du décret du 23 juin 2022, qui ne sont pas les dispositions attaquées, permettent audit Gouvernement de mettre en place un service de garde opérationnel couvrant toute la période pendant laquelle les services de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse sont fermés ou injoignables.
B.24.1. La circonstance que l’intervention des mandants communautaires est prévue par le législateur décrétal avant une saisine éventuelle du tribunal de la jeunesse afin de tendre vers une déjudiciarisation de l’aide et de la protection de la jeunesse, mais qu’en même temps les services d’aide et de protection de la jeunesse travaillent selon un horaire classique de l’administration et que le service de garde des mandants communautaires est, pour des raisons budgétaires, limité à une garde téléphonique qui est opérationnelle à certains moments seulement ne justifie pas que la mesure de placement d’un enfant prise par le ministère public sur la base des articles 37/1 ou 52/1 du Code de la jeunesse dure jusqu’à la fin du premier jour ouvrable suivant le moment où la mesure a été prise.
B.24.2. Compte tenu (i) de la gravité de l’atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale qu’elle implique, (ii) de ce qu’elle n’est pas prise par un tribunal indépendant et impartial au terme d’une procédure garantissant le respect des exigences de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui constitue une exception au principe
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exprimé à l’article 1er, 9°, du Code de la jeunesse selon lequel « toute mesure de protection, à l’égard d’un enfant en danger [...], est mise en œuvre par la Communauté française dans le cadre d’une décision judiciaire », (iii) de ce qu’elle peut intervenir sans garantie d’une saisine ultérieure d’un tribunal, (iv) et, surtout, de ce qu’elle est conçue pour être très provisoire et permettre une réaction immédiate des autorités face à une situation de nécessité urgente pour sauvegarder l’intérêt supérieur de l’enfant, une mesure de placement d’un enfant prise par le ministère public sur la base des articles 37/1 et 52/1 du Code de la jeunesse produit des effets disproportionnés sur la situation des enfants placés et de leurs familles si elle dure au-delà de la fin du premier jour suivant celui où la mesure a été prise.
B.24.3. Les deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens sont fondés dans cette mesure.
B.24.4. Dans les articles 37/1, § 1er, et 52/1, § 1er, du Code de la jeunesse, tels qu’ils sont insérés par les dispositions attaquées, il y a lieu d’annuler chaque fois le mot « ouvrable », de sorte que la mesure de placement de l’enfant décidée par le ministère public prend fin au plus tard à la fin du premier jour suivant celui où la mesure a été prise.
B.25.1. En conséquence, si le législateur décrétal décide de maintenir le système envisagé, il doit s’assurer que l’ordonnance d’éloignement d’un enfant de son milieu de vie ne peut sortir ses effets au-delà de la fin du premier jour suivant celui où la mesure a été prise. À l’issue de ce délai au plus tard, selon le cas, les services de l’aide à la jeunesse ou les services de la protection de la jeunesse doivent avoir été contactés et mis en mesure d’exercer leur mission, soit dans le cadre de l’aide consentie, soit dans le cadre de l’aide contrainte. Si ces services ne peuvent, pour quelque raison que ce soit, intervenir dans ce délai et aboutir à une solution consentie, il revient au ministère public, s’il estime que la mesure d’éloignement doit être prolongée, de saisir le tribunal de la jeunesse sur la base des articles 37 ou 52 du Code de la jeunesse.
B.25.2. Il en résulte que la mesure d’éloignement de l’enfant de son milieu de vie prise par le ministère public sera, à la fin du premier jour suivant celui où la mesure a été prise, soit levée,
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soit consentie par les personnes mentionnées en B.4.4.3, soit débattue et éventuellement confirmée par le tribunal de la jeunesse, par une décision qui est elle-même susceptible de faire l’objet d’un recours. De cette manière, les personnes concernées par la mesure d’éloignement du milieu de vie ont la garantie de pouvoir obtenir un jugement dans un délai raisonnable, rendu par une juridiction indépendante et impartiale, lorsqu’elles s’opposent à la mesure de placement de l’enfant.
B.26. Dans ces circonstances, les griefs d’ineffectivité et d’inefficacité formulés par les parties requérante et intervenante au sujet du recours auprès du tribunal de la jeunesse ouvert contre la mesure prise par le ministère public, même fondés, ne sauraient entraîner l’annulation des dispositions attaquées. En effet, compte tenu du fait que cette mesure est motivée par une nécessité urgente en cas de péril grave menaçant l’intégrité physique ou psychique de l’enfant, l’organisation d’une suite à donner à cette mesure dans un délai rapide, étant donné l’annulation du mot « ouvrable » comme indiqué en B.24.4, garantit que l’atteinte occasionnée aux droits fondamentaux de l’enfant et de ses parents n’est pas disproportionnée.
B.27. Enfin, s’il est exact qu’elles ne prévoient pas que l’enfant, eu égard à son âge et à son discernement, soit entendu par le ministère public pour qu’il puisse donner son avis sur la mesure de placement envisagée et que son opinion soit prise en considération, les dispositions attaquées ne sauraient être interprétées comme dérogeant à l’article 22bis, alinéa 2, de la Constitution et aux articles 9 et 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant, qui exigent que l’enfant, eu égard à son âge et à son discernement, ait le droit de s’exprimer sur toute question qui le concerne. La mesure de placement décidée par le ministère public est à l’évidence une question qui concerne l’enfant, de sorte que, eu égard à son âge et à son discernement, son opinion doit être recueillie par le ministère public, le cas échéant par l’intermédiaire des services de police intervenant sur les lieux, et qu’elle doit être dûment prise en considération. La circonstance que cette mesure est prise dans une situation de nécessité urgente ne permet pas de se dispenser du respect de cette garantie constitutionnelle et conventionnelle.
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B.28. Sous réserve de l’interprétation mentionnée en B.27. les moyens précités ne sont pas fondés sur ce point.
Quant au maintien des effets
B.29. Le Gouvernement de la Communauté française demande à la Cour de maintenir les effets des dispositions attaquées, si « la Cour devait juger que la Communauté française était compétente pour fixer les éléments essentiels de la procédure relative à la prise de décision par le ministère public sur base des articles 37/1 et 52/1 du Code, et que les dispositions en cause étaient insuffisantes à garantir les droits fondamentaux invoqués ».
B.30. Dès lors que l’annulation partielle mentionnée en B.24.4 ne porte pas sur ce point, il n’y a pas lieu d’accueillir cette demande.
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Par ces motifs,
la Cour
1. annule le mot « ouvrable » dans les articles 37/1, § 1er, et 52/1, § 1er, du décret de la Communauté française du 18 janvier 2018 « portant le Code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse », tels qu’ils ont été insérés par les articles 3 et 6 du décret de la Communauté française du 23 juin 2022 « modifiant le décret du 18 janvier 2018
portant le Code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse »;
2. sous réserve de l’interprétation mentionnée en B.27, rejette le recours pour le surplus.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 23 novembre 2023.
Le greffier, Le président,
N. Dupont P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 153/2023
Date de la décision : 23/11/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

1. Annulation (le mot « ouvrable » dans les articles 37/1, § 1er, et 52/1, § 1er, du décret de la Communauté française du 18 janvier 2018 « portant le Code de la prévention, de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse », tels qu'ils ont été insérés par les articles 3 et 6 du décret de la Communauté française du 23 juin 2022) 2. Rejet du recours pour le surplus (sous réserve de l'interprétation mentionnée en B.27)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - le recours en annulation des articles 3 et 6 du décret de la Communauté française du 23 juin 2022 « modifiant le décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse » (insertion des articles 37/1 et 52/1 dans le décret du 18 janvier 2018), introduit par l'Ordre des barreaux francophones et germanophone. Droit de la jeunesse - Communauté française - Mesures de protection relevant de la compétence du tribunal de la jeunesse - Nécessité urgente - Décision d'héberger l'enfant temporairement hors de son milieu de vie - Compétence du ministère public


Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-11-23;153.2023 ?

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