Cour constitutionnelle
Arrêt n° 152/2023
du 9 novembre 2023
Numéro du rôle : 8066
En cause : la demande de suspension partielle de l’article 3 du décret de la Région flamande du 9 juin 2023 « modifiant le décret du 25 avril 2014 relatif au permis d’environnement, en ce qui concerne l’introduction de mesures transitoires pour les permis dans le cadre de l’Approche programmatique de l’Azote », introduite par Jan Stevens.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la demande et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 15 juillet 2023 et parvenue au greffe le 18 juillet 2023, Jan Stevens, assisté et représenté par Me P. Vande Casteele, avocat au barreau d’Anvers, a introduit une demande de suspension partielle de l’article 3 du décret de la Région flamande du 9 juin 2023 « modifiant le décret du 25 avril 2014 relatif au permis d’environnement, en ce qui concerne l’introduction de mesures transitoires pour les permis dans le cadre de l’Approche programmatique de l'Azote » (publié au Moniteur belge du 6 juillet 2023).
Par la même requête, la partie requérante demande également l’annulation de la même disposition décrétale.
Par ordonnance du 19 juillet 2023, la Cour a fixé l’audience pour les débats sur la demande de suspension au 20 septembre 2023, après avoir invité les autorités visées à l’article 76, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle à introduire, le 18 septembre 2023 au plus tard, leurs observations écrites éventuelles sous la forme d’un mémoire, dont une
2
copie serait envoyée dans le même délai à la partie requérante, ainsi qu’au greffe de la Cour par courriel envoyé à l’adresse « griffie@const-court.be ».
Le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me G. Verhelst, avocat au barreau d’Anvers, a introduit des observations écrites.
À l’audience publique du 20 septembre 2023 :
- ont comparu :
. Me P. Vande Casteele, pour la partie requérante;
. Me G. Verhelst, pour le Gouvernement flamand;
- les juges-rapporteurs D. Pieters et K. Jadin ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale précitée du 6 janvier 1989 relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité
A.1. Le Gouvernement flamand conteste la recevabilité du recours en annulation et de la demande de suspension. Il fait valoir que la partie requérante ne démontre pas qu’elle ne pourrait pas obtenir d’autorisation en raison de la problématique liée aux émissions d’azote.
Quant au risque d’un préjudice grave difficilement réparable
A.2.1. La partie requérante soutient qu’elle est actuellement poursuivie du chef de l’exploitation, sans autorisation, d’un élevage. Elle allègue qu’à la suite de la déclaration du 23 février 2022 du Gouvernement flamand annonçant l’introduction d’un régime transitoire concernant les autorisations ou permis expirant en 2022, y compris d’une prolongation de dix-huit mois, elle disposait en réalité d’une autorisation et que le décret attaqué la prive rétroactivement de cette autorisation. En outre, les dispositions attaquées empêchent également toute future exploitation éventuelle. Enfin, elle fait référence aux lourdes conséquences mentales de la situation.
A.2.2. Le Gouvernement flamand répond que la partie requérante utilise en réalité la demande de suspension pour maintenir une situation illégale qu’elle a elle-même créée. Par ailleurs, une éventuelle suspension ne ferait pas disparaître le risque invoqué. Enfin, une éventuelle suspension n’offre aucune plus-value par rapport à une annulation.
3
Quant au caractère sérieux du moyen unique
A.3.1. La partie requérante prend un moyen unique de la violation, par les dispositions attaquées, des articles 10, 11, 12 et 14 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les principes de la sécurité juridique, des droits acquis et des attentes légitimes, avec l’article 190 de la Constitution et avec le principe de publicité, avec le principe de légalité en matière pénale, avec l’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec l’interdiction de la rétroactivité, avec le principe « nullum crimem sine culpa » et avec les adages « lex mitior » et « lex certa ».
A.3.2. Dans la première branche, la partie requérante reproche aux dispositions attaquées d’instaurer une différence de traitement injustifiée entre les titulaires d’autorisation ou de permis ayant expiré en 2021 ou en 2022
et ceux dont l’autorisation ou le permis expire en 2023. Seuls les premiers doivent démontrer qu’ils ont introduit à temps une demande de renouvellement afin qu’ils puissent solliciter une prolongation, malgré le fait que leur autorisation ou permis a déjà été prolongé automatiquement sur la base de l’accord du Gouvernement flamand sur les émissions d’azote. Du fait que les titulaires d’autorisation ou de permis qui n’ont pas demandé un renouvellement ne peuvent pas obtenir de prolongation, ils sont en outre exclus de manière discriminatoire de la possibilité d’introduire une demande de renouvellement jusqu’au 30 novembre 2023 au plus tard, de sorte qu’ils ne peuvent pas bénéficier de la possibilité de poursuivre leurs activités d’exploitation après le 31 décembre 2023
jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur cette demande de renouvellement.
Dans la deuxième branche, la partie requérante dénonce le fait que les dispositions attaquées contiennent une incrimination rétroactive. Cela viole les principes du droit pénal et du droit de la procédure pénale. En outre, les titulaires d’autorisation ou de permis concernés ignoraient que leur comportement serait érigé ultérieurement en infraction.
Dans la troisième branche, la partie requérante soutient que les dispositions attaquées l’empêchent de pouvoir bénéficier du régime plus favorable qui existait sur la base de l’accord sur les émissions d’azote.
La quatrième branche est prise de la violation du principe de la sécurité juridique, mais elle se situe complètement dans le droit fil des trois premières branches.
A.3.3. Le Gouvernement flamand fait valoir que le moyen est en majeure partie irrecevable à défaut d’exposé. Pour le surplus, il souligne qu’il n’aperçoit pas en quoi la déclaration invoquée par la partie requérante pourrait être interprétée comme une prolongation automatique de son autorisation. La condition attaquée garantit que seuls les titulaires d’une autorisation ou d’un permis qui n’ont jamais exploité sans permis, ou seulement très brièvement, peuvent bénéficier du régime favorable.
-B-
Quant aux dispositions attaquées
B.1.1. Le recours en annulation et la demande de suspension sont dirigés contre l’article 394/2, § 1er, alinéa 1er, 2°, et § 2, alinéa 1er, du décret de la Région flamande du 25 avril 2014 « relatif au permis d’environnement » (ci-après : le décret du 25 avril 2014), inséré par l’article 3 du décret de la Région flamande du 9 juin 2023 « modifiant le décret du 25 avril 2014 relatif au permis d'environnement, en ce qui concerne l’introduction de mesures transitoires pour les permis dans le cadre de l’Approche programmatique de l’Azote » (ci-
après : le décret du 9 juin 2023).
4
B.1.2. Le décret du 9 juin 2023 introduit une réglementation qui permet, pour les élevages ou pour les installations de traitement d’engrais, de prolonger jusqu’au 31 décembre 2023 les autorisations et les permis qui expirent en 2021, en 2022 et en 2023 et qui leur permet également d’introduire une (nouvelle) demande de renouvellement, à supposer qu’un cadre décrétal autour de l’azote soit disponible à ce moment-là :
« Le 10 mars 2023, le Gouvernement flamand a approuvé définitivement l’Approche programmatique de l’Azote (APA). Plusieurs mesures sont incluses dans cet accord.
La présente proposition de décret prévoit de prolonger la durée de validité des autorisations écologiques et des permis d’environnement délivrés pour les élevages existants, qui expirent ou ont expiré au cours des années 2021, 2022 ou 2023 et pour lesquels, compte tenu de la problématique liée aux émissions d’azote dans les zones de protection spéciale, aucune nouvelle demande de permis ne peut encore être introduite conformément aux nouvelles règles du régime définitif de l’APA.
L’APA approuvée (VR 2023 1003 DOC.0250/4, pp. 79-80) mentionne ce qui suit : ‘ La durée de validité des autorisations ou permis délivrés pour les élevages et les installations de traitement des engrais qui expirent encore en 2023 est prolongée par décret jusqu’à la fin de l’année 2023. Une prolongation équivalente est également appliquée aux autorisations et permis qui ont expiré en 2022 et pour lesquels un renouvellement a été demandé dans les délais. ’ » (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1728/1, p. 2).
L’article 3 de la proposition de décret qui est à l’origine du décret du 9 juin 2023 constitue une actualisation de l’article 7 de la proposition de décret du 18 mai 2022 « modifiant le décret sur les engrais, en ce qui concerne l’instauration de la possibilité de créer des commissions d’avis et la suppression des droits d’émission de nutriments TDE et modifiant le décret du 25 avril 2014 relatif aux permis d’environnement, en ce qui concerne l’instauration de mesures transitoires pour les permis dans le cadre de l’Approche programmatique de l’Azote ». Il ressort de la discussion relative à cette proposition de décret que la prolongation s’entend au sens d’un régime transitoire en faveur « des entreprises qui […] sont engagées dans une procédure d’octroi d’une autorisation ou d’un permis ou qui s’y engageraient dans les mois à venir et qui se trouvent actuellement dans une période très incertaine, à savoir le fait que l’Approche programmatique de l’azote (APA) définitive n’est pas encore prête » (Ann., Parlement flamand, rapport séance plénière, 13 juillet 2022, après-midi).
B.1.3. L’article 3 du décret du 9 juin 2023 insère à cet effet un article 394/2 dans le décret du 25 avril 2014. Cet article 394/2 dispose :
5
« § 1er. Le délai d’autorisation d’une autorisation écologique ou d’un permis d’environnement accordé pour l’exploitation d’une installation ou d’une activité classée est prolongé si les conditions suivantes sont remplies :
1° l’autorisation/le permis concerne un élevage ou une installation de traitement d’engrais;
2° soit le délai d’autorisation a expiré en 2021 ou 2022 et une demande de renouvellement a été introduite avant l’entrée en vigueur du présent article et au moins 12 mois avant la date de fin de l’autorisation/du permis, soit le délai d’autorisation a expiré ou expire au cours de l’année 2023;
3° aucune décision définitive n’a encore été prise sur la dernière demande de renouvellement;
4° une demande de prolongation du délai d’autorisation est introduite à l’autorité compétente, qui en prend expressément acte conformément au présent article;
5° la demande de prolongation du délai d’autorisation est introduite au plus tard le jour précédant le délai d’autorisation en cours. Pour les autorisations dont le délai a expiré avant l’entrée en vigueur du présent article ou dont le délai d’autorisation expire au plus tard 30 jours après le jour de l’entrée en vigueur du présent article, la demande peut encore être introduite jusqu’au 1er septembre 2023 au plus tard.
Conformément au présent article, le délai d’autorisation est prolongé jusqu’au 31 décembre 2023.
§ 2. L’autorité compétente visée à l’article 15 prend expressément acte de la demande s’il est satisfait aux conditions du paragraphe 1er.
Si la demande est introduite dans le délai visé au paragraphe 1er, 5°, l’acte urbanistique peut être maintenu ou l’établissement ou l’activité classé peut continuer à être exploité après la date de fin dans l’attente de la prise d’acte visée à l’alinéa 1er.
La mention expresse vaut pour confirmation du fait que l’autorisation écologique ou le permis d’environnement est prolongé conformément au paragraphe 1er.
§ 3. Le présent article s’applique sans préjudice de l’application des dispositions mentionnées à l’article 99, § 2 et § 3.
§ 4. Par dérogation à l’article 70, § 1er, alinéa 2, les établissements ou activités classés dont le délai d’autorisation est prolongé en application du présent article peuvent continuer à fonctionner après la nouvelle date d’expiration de l’autorisation dans l’attente d’une décision définitive sur une demande de renouvellement, à condition que celle-ci soit introduite au plus tard un mois avant la nouvelle date d’expiration susmentionnée ».
B.1.4. La partie requérante formule des griefs à l’égard de la condition, s’appliquant aux autorisations ou aux permis dont le délai de validité a expiré en 2021 ou en 2022, selon laquelle
6
une demande de renouvellement a été introduite avant l’entrée en vigueur de l’article 394/2 et au moins douze mois avant la date de fin de l’autorisation ou du permis (article 394/2, § 1er, 2°, du décret du 25 avril 2014). En outre, elle dénonce le fait que l’existence de cette condition, par les mots « s’il est satisfait aux conditions du paragraphe 1er » figurant à l’article 394/2, § 2, alinéa 1er, du décret du 25 avril 2014, empêche les titulaires d’autorisation ou de permis qui ne remplissent pas cette condition de poursuivre leurs activités d’exploitation après le 31 décembre 2023.
Quant aux conditions pour la suspension
B.2. Aux termes de l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, deux conditions de fond doivent être remplies pour que la suspension puisse être décidée :
- des moyens sérieux doivent être invoqués;
- l’exécution immédiate de la règle attaquée doit risquer de causer un préjudice grave difficilement réparable.
Les deux conditions étant cumulatives, la constatation que l’une de ces deux conditions n’est pas remplie entraîne le rejet de la demande de suspension.
Quant au caractère sérieux du moyen unique
B.3.1. Le moyen unique, dans toutes ses branches, est pris de la violation, par les dispositions attaquées, des articles 10, 11, 12 et 14 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les principes de la sécurité juridique, des droits acquis et des attentes légitimes, avec l’article 190 de la Constitution et avec le principe de publicité, avec le principe de légalité en matière pénale, avec l’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec l’interdiction de la rétroactivité, avec le principe « nullum crimem sine culpa »
et avec les adages « lex mitior » et « lex certa ».
7
B.3.2. Il ressort de l’exposé du moyen que toutes les branches reposent sur la supposition que tous les permis ou autorisations ayant expiré en 2022 ont été prolongés automatiquement pour une durée indéterminée par le communiqué de presse que le Gouvernement flamand a diffusé le 23 février 2022. La partie requérante en déduit que les dispositions attaquées limiteraient rétroactivement cette prolongation aux autorisations ou aux permis pour lesquels un renouvellement a été demandé dans les délais.
Comme l’observe le Gouvernement flamand, cette prémisse n’est pas correcte.
B.3.3. Le communiqué de presse « Stikstofakkoord Vlaamse Regering » (« Accord du Gouvernement flamand sur les émissions d’azote ») du Gouvernement flamand du 23 février 2022, auquel la partie requérante fait référence, mentionne notamment, sous le titre « Welk vervolgtraject nu ? » (« Et maintenant quelle est la suite ? ») :
« Il y aura un régime transitoire pour les autorisations ou permis qui viendront à expiration en 2022, par lequel ils sont prolongés de dix-huit mois par décret ».
Un communiqué de presse du Gouvernement flamand, annonçant une mesure ne peut, de par sa nature, étant donné notamment son caractère purement informatif et l’absence de toute force obligatoire, suffire à modifier ou à abroger l’obligation décrétale d’obtenir une autorisation ou un permis, ni à prolonger la durée de validité d’une autorisation ou d’un permis spécifique.
B.3.4. Le moyen unique repose sur une prémisse erronée et n’est dès lors pas sérieux.
Dès lors qu’une des conditions de fond pour que la suspension puisse être décidée n’est pas remplie, il y a lieu de rejeter la demande de suspension.
8
Par ces motifs,
la Cour
rejette la demande de suspension.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 9 novembre 2023.
Le greffier, Le président,
N. Dupont L. Lavrysen