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09/11/2023 | BELGIQUE | N°145/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 09 novembre 2023, 145/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 145/2023
du 9 novembre 2023
Numéro du rôle : 7854
En cause : le recours en annulation des articles 18, § 2, 1°, 19, § 1er et § 2, 4°, 21, § 2, et 23
de la loi du 28 février 2022 « portant des dispositions diverses en matière d’énergie », introduit par l’ASBL « OKRA, trefpunt 55+ » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et K. Jadin, assistée du greffier N. Dupont, pr

ésidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Obj...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 145/2023
du 9 novembre 2023
Numéro du rôle : 7854
En cause : le recours en annulation des articles 18, § 2, 1°, 19, § 1er et § 2, 4°, 21, § 2, et 23
de la loi du 28 février 2022 « portant des dispositions diverses en matière d’énergie », introduit par l’ASBL « OKRA, trefpunt 55+ » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et K. Jadin, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 8 septembre 2022 et parvenue au greffe le 12 septembre 2022, un recours en annulation des articles 18, § 2, 1°, 19, § 1er et § 2, 4°, 21, § 2, et 23 de la loi du 28 février 2022 « portant des dispositions diverses en matière d’énergie » (publiée au Moniteur belge du 8 mars 2022) a été introduit par l’ASBL « OKRA, trefpunt 55+ », Delphine Van Dijck et Jerome Beck, assistés et représentés par Me M. Van Den Broeck et Me P. Delgrange, avocats au barreau de Bruxelles.
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me V. De Schepper et Me J.-F. De Bock, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire, les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse et le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 28 juin 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Y. Kherbache et M. Pâques, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 12 juillet 2023 et l’affaire mise en délibéré.
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Aucune demande recevable d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 12 juillet 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à l’intérêt
A.1. La première partie requérante, à savoir l’ASBL « OKRA, trefpunt 55+ », fait valoir que, conformément à ses statuts, elle défend les intérêts des personnes âgées de plus de 55 ans. Elle justifierait ainsi d’un intérêt à attaquer l’exclusion des résidents des centres de soins résidentiels du bénéfice de la prime de chauffage.
Les deuxième et troisième parties requérantes, à savoir Delphine Van Dijck et Jerome Eduard Beck, vivent toutes deux dans un centre de soins résidentiel et n’ont, par conséquent, pas droit à la prime de chauffage. Elles seraient ainsi personnellement et directement affectées par les dispositions attaquées.
A.2. Le Conseil des ministres soutient que les parties requérantes ne justifient pas d’un intérêt à l’annulation des articles 21, § 2, et 23 de la loi du 28 février 2022 « portant des dispositions diverses en matière d’énergie » (ci-
après : la loi du 28 février 2022), dès lors que ces dispositions sont sans rapport avec l’exclusion des résidents des centres de soins résidentiels du bénéfice de la prime de chauffage.
A.3. Les parties requérantes affirment que ce sont les articles 18, § 2, 1°, 19, § 1er et § 2, 4°, de la loi du 28 février 2022 qui excluent du bénéfice de la prime de chauffage les personnes résidant dans une forme d’habitat collectif. Toutefois, si ces dispositions sont annulées, les personnes résidant dans une forme d’habitat collectif n’auront toujours pas droit à cette prime. En effet, en vertu des articles 21, § 2, et 23 de la loi du 28 février 2022, tels qu’ils étaient applicables avant leur modification par les articles 63 et 64, 1°, de la loi du 30 octobre 2022
« portant des mesures de soutien temporaires suite à la crise de l’énergie », les parties requérantes auraient dû
introduire une demande avant le 15 octobre 2022. Ces dernières dispositions de la loi du 28 février 2022 sont donc indissociablement liées à la discrimination alléguée et, pour cette raison, elles doivent également être annulées.
Quant au moyen
A.4. Les parties requérantes invoquent une violation, par les articles 18, § 2, 1°, 19, § 1er et § 2, 4°, 21, § 2, et 23 de la loi du 28 février 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 2 et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et avec les articles 4, 5, 12, 19 et 28
de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
A.5.1. En sa première branche, le moyen unique est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
Les articles 18 et 19, attaqués, de la loi du 28 février 2022 font naître une différence de traitement entre les personnes qui sont titulaires d’un contrat d’électricité résidentiel et celles qui ne disposent pas d’un tel contrat, en ce que les personnes relevant de la première catégorie bénéficient d’une prime de chauffage de 100 euros, contrairement aux personnes relevant de la seconde catégorie, qui n’en bénéficient pas. Ces dispositions font également naître une différence de traitement entre les personnes qui résident dans une forme d’habitat collectif ‒ souvent une maison de repos et de soins ou un centre de soins résidentiel ‒ et les autres personnes.
La distinction entre les deux catégories est certes objective : les personnes relevant de la première catégorie ont conclu un contrat avec un fournisseur d’énergie, contrairement aux personnes relevant de la seconde catégorie,
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qui ne sont pas titulaires d’un tel contrat. Ce critère est toutefois étranger à l’objectif poursuivi par les dispositions attaquées, à savoir accorder un soutien financier au plus grand nombre possible de citoyens face à l’augmentation du coût du chauffage. Les deux catégories se trouvent dans des situations comparables au regard de cet objectif :
elles souffrent toutes deux de l’augmentation des prix, ce que le législateur lui-même concède également. Il peut être objectivement constaté que le tarif journalier, à savoir le tarif que paie le résident d’un centre de soins résidentiel, a augmenté au cours des derniers mois sous l’effet de la hausse des prix de l’énergie. Le tarif journalier comprend en effet le coût du logement, dont les frais énergétiques font partie. La hausse du coût de l’énergie est donc répercutée sur les résidents. Par ailleurs, lier les prix à l’indice des prix à la consommation, c’est également les lier au prix de l’énergie. En Flandre, il a été décidé, par la voie d’une circulaire, qu’à partir du 1er mars 2022, le tarif journalier pourrait, compte tenu de l’augmentation du coût de la vie et en particulier des factures d’énergie, être revu à la hausse deux fois par an, contre seulement une fois auparavant. Entre le 1er mars 2022 et le 28 avril 2022, l’indexation moyenne pour les 367 établissements qui ont introduit un dossier d’indexation s’est élevée à 6,77 %, ce qui représente une augmentation tarifaire moyenne de 124 euros par mois pour ces établissements.
Depuis lors, les augmentations se succèdent. Au cours de l’année 2022, le tarif mensuel moyen d’une chambre individuelle standard a augmenté de 197,50 euros, soit une hausse moyenne de 10,4 %. Les résidents du groupe Orpea Belgique, l’un des plus grands exploitants privés de centres de soins résidentiels en Wallonie et à Bruxelles, ont eux aussi vu les tarifs grimper de 8,04 %, soit une hausse de 150 euros par mois. Par conséquent, l’affirmation selon laquelle les résidents de formes d’habitat collectif sont moins confrontés à la hausse des prix est inexacte.
Le fait que les coûts de l’énergie ne soient pas répercutés de manière directe, mais par le biais du tarif journalier, n’est pas pertinent. Puisque l’augmentation des coûts de l’énergie peut être et sera répercutée dans le tarif journalier, il s’agit tout au plus d’une répercussion ralentie, mais non moins importante. Le risque de pauvreté encouru par les résidents des centres de soins était déjà très élevé avant l’envolée des prix. Il est dès lors d’autant plus problématique que ce groupe de personnes soit exclu du bénéfice d’une mesure qui vise à atténuer les effets de l’augmentation des factures d’énergie.
Le fait qu’il serait plus fastidieux d’accorder la prime aux personnes ne disposant pas d’un contrat d’électricité résidentiel ne saurait être considéré comme justifiant raisonnablement cette différence de traitement.
La loi prévoit un mécanisme pour les personnes qui ne reçoivent pas la prime par l’intermédiaire de leur fournisseur d’électricité. 15 % des ménages ayant droit à la prime ont dû avoir recours à ce mécanisme. Il est donc parfaitement possible de prévoir un mécanisme distinct pour les personnes qui ne disposent pas d’un contrat d’électricité résidentiel. L’exclusion d’une catégorie de personnes aux fins de faciliter le travail de l’administration n’est pas raisonnable.
Ensuite, il ne saurait être allégué que l’octroi de la prime de chauffage est une compétence communautaire dès lors que cette prime doit être versée aux résidents des maisons de repos. Comme l’a également souligné la section de législation du Conseil d’État, l’octroi d’une telle prime à tous, y compris aux résidents de formes d’habitat collectif, constitue effectivement une compétence fédérale.
Enfin, il ne saurait être allégué que les centres de soins résidentiels exposeraient moins de frais énergétiques par tête que les ménages ordinaires. En effet, le législateur a expressément choisi de verser la prime à tout le monde, indépendamment de la question de savoir si le bénéficiaire est effectivement affecté par la hausse des prix de l’énergie. Par ailleurs, on pourrait remettre en cause la véracité de l’affirmation selon laquelle les centres de soins résidentiels auraient des frais énergétiques inférieurs. Vu la vulnérabilité et la sensibilité des résidents, la température des chambres doit en effet être d’au moins 22°C et celles-ci doivent être correctement ventilées. Il peut en outre difficilement être argué que les différences tarifaires relatives à l’électricité entre les particuliers et les centres de soins résidentiels, qui sont inexistantes dans certains cas, voire inversées (tarif plus avantageux pour le consommateur résidentiel que pour le consommateur professionnel), justifient raisonnablement l’exclusion des résidents des centres de soins résidentiels du bénéfice de la prime.
Puisque la différence de traitement repose ainsi sur des arguments sans lien avec l’objectif de la prime de chauffage, cette différence n’est pas raisonnablement justifiée. Les parties requérantes observent de surcroît que les habitants des centres de soins résidentiels et des maisons de repos et de soins sont également exclus du tarif social, du forfait de base fédéral pour l’énergie, ainsi que de la baisse de la TVA sur l’électricité. Il n’y a dès lors aucune proportionnalité entre la mesure attaquée et l’objectif poursuivi par le législateur.
A.5.2. En sa deuxième branche, le moyen unique est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 2 et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. En excluant les résidents des centres de soins résidentiels du bénéfice de la prime de chauffage, l’on exclut un groupe de population qui est essentiellement composé de personnes d’un âge avancé. Le critère, apparemment neutre, qui est de disposer d’un contrat d’électricité résidentiel entraîne donc une discrimination
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indirecte fondée sur l’âge. Ainsi que cela a déjà été démontré dans le cadre de la première branche du moyen unique, cette différence de traitement n’est pas raisonnablement justifiée. Par conséquent, dès lors que la prime de chauffage vise à protéger le niveau de vie, il est porté atteinte aux articles 2 et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels, en vertu duquel le droit à un niveau de vie suffisant doit être garanti sans discrimination.
A.5.3. En sa troisième branche, le moyen unique est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 4, 5, 12, 19 et 28 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
Dès lors que les personnes qui vivent dans un centre de soins résidentiel ont une autonomie à ce point réduite qu’elles ne sont plus capables de vivre seules, elles relèvent en principe de la définition de la « personne handicapée » énoncée à l’article 1er, deuxième alinéa, de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Les personnes qui vivent dans des formes d’habitat collectif et qui sont exclues du bénéfice de la prime de chauffage sont principalement des personnes résidant dans des maisons de repos et des centres de soins résidentiels qui, en raison de leur autonomie réduite, ne sont pas ou plus capables de vivre seules. Aussi s’agit-il d’une discrimination indirecte fondée sur le handicap, qui n’est pas raisonnablement justifiée. Il est par conséquent porté atteinte à l’article 5 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, en vertu duquel les États parties à la Convention reconnaissent que toutes les personnes sont égales devant la loi. Le législateur viole ainsi également les obligations générales qui incombent à la Belgique en vertu de l’article 4 de cette Convention. De même, les dispositions attaquées sont contraires à l’article 12, paragraphe 5, de ladite Convention, qui dispose que les personnes handicapées ont le droit, sur la base de l’égalité avec les autres, de posséder des biens, ainsi qu’à l’article 19 de la même Convention, qui dispose que les services et équipements sociaux destinés à la population générale doivent être mis à la disposition des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres. Dès lors que la discrimination alléguée fondée sur le handicap affecte la qualité de vie des personnes âgées nécessitant plus de soins, il est également porté atteinte à l’article 28 de la Convention précitée.
A.6.1.1. Le Conseil des ministres allègue que le moyen unique, en sa première branche, est partiellement irrecevable. En effet, les parties requérantes ne justifieraient pas de l’intérêt requis, en ce que le moyen fait plus que critiquer une différence de traitement entre, d’une part, les clients résidentiels disposant d’un contrat de fourniture d’électricité pour leur domicile et, d’autre part, les personnes résidant dans une maison de repos et de soins ou un centre de soins résidentiel. Les parties requérantes ne démontrent pas qu’elles sont directement et négativement affectées, dès lors que cette différence de traitement touche également d’autres personnes que les résidents des maisons de repos et de soins ou des centres de soins résidentiels.
A.6.1.2. Quant au fond, le Conseil des ministres soutient, à titre préliminaire, que les dispositions attaquées n’évoquent pas la notion de « formes d’habitat collectif » à laquelle les parties requérantes renvoient. Se fondant sur l’exposé des parties requérantes dans leur moyen unique, le Conseil des ministres considère que celles-ci attaquent la différence de traitement entre, d’une part, les clients résidentiels disposant d’un contrat d’électricité résidentiel pour leur domicile et, d’autre part, les résidents de centres de soins collectifs.
Selon le Conseil des ministres, ces catégories ne sont pas suffisamment comparables, de sorte que la différence de traitement ne saurait aboutir à la violation du principe constitutionnel d’égalité et de non-
discrimination. Les résidents des centres de soins collectifs peuvent eux aussi être confrontés à des prix de l’énergie plus élevés, mais pas de la même façon que les clients résidentiels qui disposent d’un contrat d’électricité résidentiel pour leur domicile. En effet, les résidents des centres de soins ne sont, en règle, confrontés à la hausse des prix de l’énergie qu’après avoir bénéficié de l’influence combinée et atténuante des tarifs plus avantageux des contrats énergétiques non résidentiels dont bénéficient les centres de soins, de la norme énergétique qui permet aux centres de soins de bénéficier d’une réduction sur leur facture d’énergie, et de la donnée selon laquelle les centres de soins ne peuvent répercuter les frais d’électricité et de chauffage sur leurs résidents que par le tarif journalier et dans la mesure où la réglementation prévue par les communautés les y autorise.
A.6.1.3. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres affirme que la mesure attaquée poursuit un objectif légitime, à savoir l’octroi d’une prime, non pas à tous les citoyens de manière générale mais aux citoyens qui sont confrontés à l’augmentation des prix du chauffage pour leur domicile. C’est à la lumière de cet objectif qu’a été élaborée une réglementation, qui, en ce qui concerne l’octroi de la prime de chauffage, se fonde en principe sur le critère qui consiste à disposer d’un contrat de fourniture d’électricité pour son propre domicile.
Il s’agit d’un critère objectif et pertinent. Ce critère permet d’atteindre le groupe cible le plus largement possible dans le cadre de la compétence fédérale en matière de prix de l’énergie. En effet, en règle générale, les
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ménages achètent de l’électricité pour leur propre domicile, quelle que soit la façon dont ils chauffent celui-ci. Les contrats résidentiels pour la fourniture d’électricité sont par ailleurs conclus par le biais d’un point d’accès au réseau de distribution d’électricité, identifiable au moyen d’un code EAN, par unité d’habitation, même lorsqu’un même bâtiment compte plusieurs unités. En raison de l’interdiction des réseaux privés de distribution, il est en principe exclu que plusieurs unités d’habitation se fournissent en électricité par le biais d’un point de raccordement collectif. Le critère choisi contribue également à permettre le versement de la prime de chauffage dans les meilleurs délais et moyennant des efforts raisonnables. Pour l’octroi de cette prime, il est en effet possible de s’appuyer dans une large mesure sur les flux de données et l’automatisation mis en place dans le cadre de l’octroi du tarif social pour l’électricité.
Enfin, il n’est pas disproportionné d’exclure les résidents des centres de soins résidentiels du bénéfice de la prime de chauffage par l’application du critère qui consiste à disposer d’un contrat de fourniture d’électricité pour son propre domicile. En effet, les personnes qui ne disposent pas d’un tel contrat pour leur domicile, et en particulier les résidents des centres de soins résidentiels, seront en général confrontées à tout le moins dans une moindre mesure ou moins directement à la hausse des prix du chauffage. Le Conseil des ministres souligne à cet égard que l’octroi de la prime de chauffage aux résidents individuels des centres de soins résidentiels flamands signifierait que cette prime fédérale est octroyée en tout état de cause, alors que seule la Communauté flamande peut décider si, et dans quelle mesure, ces résidents sont réellement confrontés à la hausse du coût du chauffage par le biais du tarif journalier. Ensuite, il y a lieu de tenir compte du fait que le législateur entendait octroyer la prime de chauffage le plus rapidement possible, en tenant compte des efforts que cela implique pour l’administration. Les efforts administratifs qui sont acceptables à cet égard peuvent difficilement être dissociés du montant de la prime de chauffage, qui s’élève à 100 euros. Les idées relatives à un éventuel affinement des critères d’octroi semblent aller à l’encontre de l’objectif qui consiste à octroyer la prime de chauffage de manière simple et rapide. Enfin, le Conseil des ministres souligne que la réglementation relative à la prime de chauffage peut évoluer et peut s’analyser dans le cadre d’un ensemble plus large de mesures déjà prises et à prendre par le législateur. Si la situation l’exige et que les possibilités se présentent, le législateur ne manquera pas d’apporter un soutien supplémentaire.
Le Conseil des ministres conclut que les dispositions attaquées ne violent pas le principe constitutionnel d’égalité et de non-discrimination.
A.6.2. En ce qui concerne le moyen unique, en sa deuxième branche, le Conseil des ministres soutient qu’il n’est nullement question d’une discrimination indirecte fondée sur l’âge. La mesure attaquée n’a en effet pas pour conséquence de préjudicier en particulier les personnes âgées par rapport à d’autres personnes, puisque toutes les personnes âgées qui sont des clients résidentiels par le biais d’un contrat d’électricité pour leur domicile peuvent en principe bénéficier de la prime de chauffage.
Il s’avère en tout cas que la différence de traitement se justifie par des facteurs objectifs qui sont sans rapport avec une quelconque discrimination fondée sur l’âge. Le Conseil des ministres se réfère à cet égard à son exposé relatif à la première branche du moyen unique.
A.6.3. En ce qui concerne le moyen unique, en sa troisième branche, le Conseil des ministres fait valoir que les parties requérantes ne justifient pas d’un intérêt. Par ailleurs, les parties requérantes n’exposent pas en quoi l’article 19 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées est violé, de sorte que cette branche est en tout état de cause irrecevable dans cette mesure.
Quant au fond, le Conseil des ministres soutient qu’il n’est pas question d’une discrimination indirecte des personnes handicapées. La mesure attaquée n’a en effet pas pour conséquence de préjudicier en particulier les personnes handicapées par rapport à d’autres personnes, puisque toutes les personnes handicapées qui sont des clients résidentiels par le biais d’un contrat d’électricité pour leur domicile peuvent en principe bénéficier de la prime de chauffage. Dès lors que les dispositions attaquées n’entraînent aucune discrimination directe ou indirecte, la Belgique ne saurait être tenue de supprimer les dispositions législatives attaquées sur la base de l’article 4 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Par ailleurs, le fait d’exclure les résidents des centres de soins résidentiels du bénéfice de la prime de chauffage ne constitue pas une violation du droit à un niveau de vie suffisant, étant donné que la prime attaquée ne vise pas à protéger le niveau de vie de la population belge.
A.6.4. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres demande à la Cour, à supposer que celle-ci décide d’annuler les dispositions législatives attaquées, de maintenir les effets de ces dernières. Les parties requérantes n’attaquent en effet pas l’octroi, en tant que tel, de la prime de chauffage, mais seulement le fait que les résidents
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des centres de soins résidentiels n’ont pas droit à cette prime forfaitaire unique. L’annulation des dispositions attaquées n’aura pas directement pour effet de garantir que ces personnes recevront cette prime.
Entre-temps, la prime de chauffage a été largement versée aux ayants droit. Une annulation du fondement juridique du paiement de la prime serait source d’insécurité juridique et n’aurait aucune valeur ajoutée pour les parties requérantes.
-B-
Quant aux dispositions attaquées
B.1.1. Les parties requérantes demandent l’annulation des articles 18, § 2, 1°, 19, § 1er et § 2, 4°, 21, § 2, et 23 de la loi du 28 février 2022 « portant des dispositions diverses en matière d’énergie » (ci-après : la loi du 28 février 2022).
B.1.2. La loi du 28 février 2022 a été adoptée « en réaction aux prix de l’énergie historiquement élevés » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2465/001, p. 4). Les dispositions attaquées font partie du chapitre 5 de la loi du 28 février 2022, qui est intitulé « Prime de chauffage ».
L’article 19, § 1er, attaqué, de la loi du 28 février 2022 dispose :
« En compensation des dépenses générales d’énergie, une prime de chauffage de 100 euros est accordée, de manière unique et forfaitaire, à tout client résidentiel titulaire d’un contrat de fourniture d’électricité pour son domicile au 31 mars 2022.
Aux intéressés habitant à la même adresse et faisant partie du même ménage, une seule prime de chauffage est accordée ».
L’ « ayant droit » est défini, à l’article 18, § 2, 1°, attaqué, de la loi du 28 février 2022, comme étant « le client résidentiel qui dispose d’un contrat de fourniture d’électricité pour son domicile au 31 mars 2022 et a droit à une prime [de] chauffage conformément à l’article 19 ».
En vertu de l’article 19, § 2, 4°, attaqué, de la loi du 28 février 2022, la prime de chauffage ne s’applique pas aux « personnes vivant dans un logement où les personnes paient des frais de séjour ou qui bénéficient de subventions de fonctionnement ».
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En vertu de l’article 20, § 1er, de la loi du 28 février 2022, qui n’est pas attaqué, « le montant de la prime de chauffage est accordé à l’ayant droit par le fournisseur qui fournit l’électricité le 31 mars 2022 sous la forme d’une allocation en paiement de la fourniture d’électricité ».
L’article 21, § 1er, non attaqué, de la loi du 28 février 2022 dispose que le montant de la prime de chauffage est automatiquement attribué aux ayants droit figurant sur la liste communiquée par le SPF Économie aux fournisseurs responsables du paiement, au moment de l’envoi d’une facture d’acompte ou de décompte.
En vertu de l’article 21, § 2, attaqué, de la loi du 28 février 2022, tel qu’il était applicable avant sa modification par l’article 63 de la loi du 30 octobre 2022 « portant des mesures de soutien temporaires suite à la crise de l’énergie », l’ayant droit qui n’aurait pas obtenu la prime de chauffage au 31 juillet 2022 peut introduire une demande écrite ou électronique à cet effet auprès du SPF Économie, pour autant que cette demande soit envoyée avant le 15 octobre 2022.
L’article 23, alinéa 1er, attaqué, de la loi du 28 février 2022, tel qu’il était applicable avant sa modification par l’article 64, 1°, de la loi du 30 octobre 2022 précitée, dispose que « les ayants droit qui n’ont pas reçu la prime de chauffage et qui n’en informent pas le SPF Économie avant le 15 octobre 2022 [...] n’auront plus droit à la prime de chauffage après le 15 octobre 2022 ». Par les articles 63 et 64, 1°, précités, de la loi du 30 octobre 2022, cette date du 15 octobre 2022 a été remplacée par les mots « l’expiration du quatorzième jour après la publication de la loi du 30 octobre 2022 portant des mesures de soutien temporaires suite à la crise de l’énergie », publication qui a eu lieu le 3 novembre 2022. La demande pouvait donc finalement être introduite auprès du SPF Économie jusqu’au 17 novembre 2022.
B.1.3. Le commentaire relatif à l’amendement qui a donné lieu aux dispositions attaquées indique :
« Compte tenu de la hausse des prix de l’énergie, il convient d’accorder une prime de chauffage de 100 euros nets pour compenser l’augmentation des dépenses énergétiques. Cette prime est accordée aux titulaires d’un contrat d’électricité résidentiel et est imputée sur la facture d’électricité.
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La prime de chauffage est accordée une fois par famille ayant un contrat d’électricité résidentiel et uniquement pour le domicile. L’objectif de cette mesure est d’accorder un soutien financier au plus grand nombre possible de citoyens afin de les aider à faire face à l’augmentation du coût du chauffage de leur logement, quelle que soit la source de chauffage utilisée (mazout, gaz naturel, pompe à chaleur sur électricité, etc.)
Le choix d’accorder une prime [de] chauffage via les contrats d’électricité résidentiels touche le groupe le plus large possible dans le cadre des compétences fédérales (prix de l’énergie). Le contrat d’électricité est le plus grand dénominateur commun à tous les consommateurs domestiques.
Sont exclues les familles qui n’ont pas de contrat d’électricité (reprises derrière un raccordement collectif ou résidant dans une maison de repos) ou les familles qui ont un contrat d’électricité non résidentiel. L’identification de leur résidence principale n’est pas possible à court terme car le système utilisé pour le traitement automatique des tarifs sociaux ne comprend que les clients finaux résidentiels.
Vu que l’attribution se [fait] via la facture d’électricité, les ménages sans contrat d’électricité ne bénéficient pas de la prime de chauffage. D’autre part, ces ménages sont également confrontés à des prix de l’énergie plus élevés. Par exemple, un résident d’une maison de repos voit son prix quotidien augmenter. L’octroi d’une prime aux personnes en maison de repos, en revanche, est lié à la compétence communautaire en matière de soins et d’assistance aux personnes » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2465/006, p. 16).
Quant à la recevabilité
B.2.1. Le Conseil des ministres conteste l’intérêt des parties requérantes à l’annulation des articles 21, § 2, et 23, attaqués, de la loi du 28 février 2022, puisque ces dispositions ne portent pas sur l’exclusion, attaquée par les parties requérantes, des résidents des centres de soins résidentiels du bénéfice de la prime de chauffage.
B.2.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
Lorsqu’une association sans but lucratif qui n’invoque pas son intérêt personnel agit devant la Cour, il est requis que son but statutaire soit d’une nature particulière et, dès lors, distinct de l’intérêt général; qu’elle défende un intérêt collectif; que la norme attaquée soit susceptible
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d’affecter son but; qu’il n’apparaisse pas, enfin, que ce but n’est pas ou n’est plus réellement poursuivi.
B.2.3. Le Conseil des ministres ne conteste pas que les parties requérantes, à savoir l’ASBL « OKRA, trefpunt 55+ », qui, selon ses statuts, défend les intérêts des personnes âgées de plus de 55 ans, et deux personnes qui vivent dans un centre de soins résidentiel, ont intérêt à l’annulation des dispositions attaquées, en ce que ces dernières excluent du bénéfice de la prime de chauffage les résidents des centres de soins résidentiels.
Comme l’indiquent les parties requérantes, cette exclusion découle des articles 18, § 2, 1°, et 19, § 1er et § 2, 4°, de la loi du 28 février 2022. La Cour limite dès lors son examen à ces dispositions, et elle n’examine pas les articles 21, § 2, et 23, attaqués, de la loi du 28 février 2022.
À supposer que la Cour juge le moyen fondé, ces dernières dispositions pourraient toutefois être annulées s’il s’avérait qu’elles sont indissociablement liées aux autres dispositions jugées inconstitutionnelles.
B.3.1. Le Conseil des ministres soutient en outre que les parties requérantes ne justifient pas d’un intérêt à la troisième branche du moyen unique et que cette branche est en tout état de cause irrecevable en ce qu’elle est prise de la violation de l’article 19 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, à défaut d’exposer en quoi cette disposition est violée.
B.3.2. Lorsque les parties requérantes ont un intérêt à l’annulation des dispositions attaquées, elles ne doivent pas, en outre, justifier d’un intérêt à chacun des moyens.
Il ressort de la troisième branche du moyen unique que les parties requérantes soutiennent que les dispositions attaquées violent l’article 19 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, en ce qu’il garantit le droit de faire partie intégrante de la société.
B.3.3. L’exception du Conseil des ministres est rejetée.
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Quant au fond
B.4. Les parties requérantes soutiennent que les articles 18, § 2, 1°, et 19, § 1er et § 2, 4°, attaqués, de la loi du 28 février 2022 font naître une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui sont titulaires d’un contrat d’électricité résidentiel et celles qui vivent dans une forme d’habitat collectif, en ce que seule la première catégorie de personnes a droit à la prime de chauffage.
Cette différence de traitement violerait les articles 10 et 11 de la Constitution (première branche du moyen unique). En ce qu’elle constituerait une discrimination indirecte fondée sur l’âge et sur le handicap, elle violerait les articles 2 et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (deuxième branche du moyen unique) et les articles 4, 5, 12, 19 et 28 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (troisième branche du moyen unique), lus en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
La Cour examine les trois branches du moyen unique conjointement.
Il ressort de l’exposé du moyen que les parties requérantes critiquent en particulier l’exclusion des résidents des centres de soins résidentiels. La Cour limite dès lors son examen de la constitutionnalité des dispositions attaquées à cette catégorie de personnes.
B.5.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination.
Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de
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non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.5.2. Les articles 2 et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels disposent :
« Article 2
1. Chacun des Etats parties au présent Pacte s’engage à agir, tant par son effort propre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législatives.
2. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
3. Les pays en voie de développement, compte dûment tenu des droits de l’homme et de leur économie nationale, peuvent déterminer dans quelle mesure ils garantiront les droits économiques reconnus dans le présent Pacte à des non-ressortissants ».
« Article 11
1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence. Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l’importance essentielle d’une coopération internationale librement consentie.
2. Les Etats parties au présent Pacte, reconnaissant le droit fondamental qu’a toute personne d’être à l’abri de la faim, adopteront, individuellement et au moyen de la coopération internationale, les mesures nécessaires, y compris des programmes concrets :
a) Pour améliorer les méthodes de production, de conservation et de distribution des denrées alimentaires par la pleine utilisation des connaissances techniques et scientifiques, par la diffusion de principes d’éducation nutritionnelle et par le développement ou la réforme des régimes agraires, de manière à assurer au mieux la mise en valeur et l’utilisation des ressources naturelles;
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b) Pour assurer une répartition équitable des ressources alimentaires mondiales par rapport aux besoins, compte tenu des problèmes qui se posent tant aux pays importateurs qu’aux pays exportateurs de denrées alimentaires ».
B.5.3. Les articles 1er, 4, 5, 12, 19 et 28 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées disposent :
« Article 1er
Objet
La présente Convention a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque.
Par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres ».
« Article 4
Obligations générales
1. Les États Parties s’engagent à garantir et à promouvoir le plein exercice de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales de toutes les personnes handicapées sans discrimination d’aucune sorte fondée sur le handicap. À cette fin, ils s’engagent à :
a) Adopter toutes mesures appropriées d’ordre législatif, administratif ou autre pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la présente Convention;
b) Prendre toutes mesures appropriées, y compris des mesures législatives, pour modifier, abroger ou abolir les lois, règlements, coutumes et pratiques qui sont source de discrimination envers les personnes handicapées;
c) Prendre en compte la protection et la promotion des droits de l’homme des personnes handicapées dans toutes les politiques et dans tous les programmes;
d) S’abstenir de tout acte et de toute pratique incompatible avec la présente Convention et veiller à ce que les pouvoirs publics et les institutions agissent conformément à la présente Convention;
e) Prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination fondée sur le handicap pratiquée par toute personne, organisation ou entreprise privée;
f) Entreprendre ou encourager la recherche et le développement de biens, services, équipements et installations de conception universelle, selon la définition qui en est donnée à
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l’article 2 de la présente Convention, qui devraient nécessiter le minimum possible d’adaptation et de frais pour répondre aux besoins spécifiques des personnes handicapées, encourager l’offre et l’utilisation de ces biens, services, équipements et installations et encourager l’incorporation de la conception universelle dans le développement des normes et directives;
g) Entreprendre ou encourager la recherche et le développement et encourager l’offre et l’utilisation de nouvelles technologies - y compris les technologies de l’information et de la communication, les aides à la mobilité, les appareils et accessoires et les technologies d’assistance - qui soient adaptées aux personnes handicapées, en privilégiant les technologies d’un coût abordable;
h) Fournir aux personnes handicapées des informations accessibles concernant les aides à la mobilité, les appareils et accessoires et les technologies d’assistance, y compris les nouvelles technologies, ainsi que les autres formes d’assistance, services d’accompagnement et équipements;
i) Encourager la formation aux droits reconnus dans la présente Convention des professionnels et personnels qui travaillent avec des personnes handicapées, de façon à améliorer la prestation des aides et services garantis par ces droits.
2. Dans le cas des droits économiques, sociaux et culturels, chaque État Partie s’engage à agir, au maximum des ressources dont il dispose et, s’il y a lieu, dans le cadre de la coopération internationale, en vue d’assurer progressivement le plein exercice de ces droits, sans préjudice des obligations énoncées dans la présente Convention qui sont d’application immédiate en vertu du droit international.
3. Dans l’élaboration et la mise en œuvre des lois et des politiques adoptées aux fins de l’application de la présente Convention, ainsi que dans l’adoption de toute décision sur des questions relatives aux personnes handicapées, les États Parties consultent étroitement et font activement participer ces personnes, y compris les enfants handicapés, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent.
4. Aucune des dispositions de la présente Convention ne porte atteinte aux dispositions plus favorables à l’exercice des droits des personnes handicapées qui peuvent figurer dans la législation d’un État Partie ou dans le droit international en vigueur pour cet État. Il ne peut être admis aucune restriction ou dérogation aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales reconnus ou en vigueur dans un État Partie à la présente Convention en vertu de lois, de conventions, de règlements ou de coutumes, sous prétexte que la présente Convention ne reconnaît pas ces droits et libertés ou les reconnaît à un moindre degré.
5. Les dispositions de la présente Convention s’appliquent, sans limitation ni exception aucune, à toutes les unités constitutives des États fédératifs ».
« Article 5
Égalité et non-discrimination
1. Les États Parties reconnaissent que toutes les personnes sont égales devant la loi et en vertu de celle-ci et ont droit sans discrimination à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi.
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2. Les États Parties interdisent toutes les discriminations fondées sur le handicap et garantissent aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu’en soit le fondement.
3. Afin de promouvoir l’égalité et d’éliminer la discrimination, les États Parties prennent toutes les mesures appropriées pour faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés.
4. Les mesures spécifiques qui sont nécessaires pour accélérer ou assurer l’égalité de facto des personnes handicapées ne constituent pas une discrimination au sens de la présente Convention ».
« Article 12
Reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité
1. Les États Parties réaffirment que les personnes handicapées ont droit à la reconnaissance en tous lieux de leur personnalité juridique.
2. Les États Parties reconnaissent que les personnes handicapées jouissent de la capacité juridique dans tous les domaines, sur la base de l’égalité avec les autres.
3. Les États Parties prennent des mesures appropriées pour donner aux personnes handicapées accès à l’accompagnement dont elles peuvent avoir besoin pour exercer leur capacité juridique.
4. Les États Parties font en sorte que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique soient assorties de garanties appropriées et effectives pour prévenir les abus, conformément au droit international des droits de l’homme. Ces garanties doivent garantir que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique respectent les droits, la volonté et les préférences de la personne concernée, soient exemptes de tout conflit d’intérêt et ne donnent lieu à aucun abus d’influence, soient proportionnées et adaptées à la situation de la personne concernée, s’appliquent pendant la période la plus brève possible et soient soumises à un contrôle périodique effectué par un organe indépendant et impartial ou une instance judiciaire.
Ces garanties doivent également être proportionnées au degré auquel les mesures devant faciliter l’exercice de la capacité juridique affectent les droits et intérêts de la personne concernée.
5. Sous réserve des dispositions du présent article, les États Parties prennent toutes mesures appropriées et effectives pour garantir le droit qu’ont les personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, de posséder des biens ou d’en hériter, de contrôler leurs finances et d’avoir accès aux mêmes conditions que les autres personnes aux prêts bancaires, hypothèques et autres formes de crédit financier; ils veillent à ce que les personnes handicapées ne soient pas arbitrairement privées de leurs biens ».
« Article 19
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Autonomie de vie et inclusion dans la société
Les États Parties à la présente Convention reconnaissent à toutes les personnes handicapées le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes, et prennent des mesures efficaces et appropriées pour faciliter aux personnes handicapées la pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société, notamment en veillant à ce que :
a) Les personnes handicapées aient la possibilité de choisir, sur la base de l’égalité avec les autres, leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre et qu’elles ne soient pas obligées de vivre dans un milieu de vie particulier;
b) Les personnes handicapées aient accès à une gamme de services à domicile ou en établissement et autres services sociaux d’accompagnement, y compris l’aide personnelle nécessaire pour leur permettre de vivre dans la société et de s’y insérer et pour empêcher qu’elles ne soient isolées ou victimes de ségrégation;
c) Les services et équipements sociaux destinés à la population générale soient mis à la disposition des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, et soient adaptés à leurs besoins ».
« Article 28
Niveau de vie adéquat et protection sociale
1. Les États Parties reconnaissent le droit des personnes handicapées à un niveau de vie adéquat pour elles-mêmes et pour leur famille, notamment une alimentation, un habillement et un logement adéquats, et à une amélioration constante de leurs conditions de vie et prennent des mesures appropriées pour protéger et promouvoir l’exercice de ce droit sans discrimination fondée sur le handicap.
2. Les États Parties reconnaissent le droit des personnes handicapées à la protection sociale et à la jouissance de ce droit sans discrimination fondée sur le handicap et prennent des mesures appropriées pour protéger et promouvoir l’exercice de ce droit, y compris des mesures destinées à:
a) Assurer aux personnes handicapées l’égalité d’accès aux services d’eau salubre et leur assurer l’accès à des services, appareils et accessoires et autres aides répondant aux besoins créés par leur handicap qui soient appropriés et abordables;
b) Assurer aux personnes handicapées, en particulier aux femmes et aux filles et aux personnes âgées, l’accès aux programmes de protection sociale et aux programmes de réduction de la pauvreté;
c) Assurer aux personnes handicapées et à leurs familles, lorsque celles-ci vivent dans la pauvreté, l’accès à l’aide publique pour couvrir les frais liés au handicap, notamment les frais permettant d’assurer adéquatement une formation, un soutien psychologique, une aide financière ou une prise en charge de répit;
d) Assurer aux personnes handicapées l’accès aux programmes de logements sociaux;
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e) Assurer aux personnes handicapées l’égalité d’accès aux programmes et prestations de retraite ».
B.6. En matière socio-économique, le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Il n’appartient à la Cour de sanctionner les choix politiques posés par le législateur et les motifs qui les fondent que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou sont dépourvus de justification raisonnable.
B.7. La différence de traitement attaquée concerne les personnes qui sont titulaires d’un contrat d’électricité résidentiel et les résidents des centres de soins résidentiels. Ces résidents sont, dans la grande majorité des cas, des personnes âgées ou des personnes qui, en raison de leur autonomie réduite, ne sont pas ou plus en mesure de vivre seules. Il peut être admis que nombre d’entre elles puissent être considérées comme répondant à la définition de la « personne handicapée » telle qu’établie à l’article 1er, deuxième alinéa, de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Il s’ensuit que les dispositions attaquées engendrent une différence de traitement indirecte fondée sur l’âge et sur la situation de handicap.
B.8.1. Selon le Conseil des ministres, les personnes qui sont titulaires d’un contrat d’électricité résidentiel et les résidents des centres de soins résidentiels ne sont pas suffisamment comparables. Ces derniers ne seraient, en règle, confrontés à la hausse des prix de l’énergie qu’après avoir bénéficié de l’influence atténuante des tarifs plus avantageux dans le cadre des contrats énergétiques non résidentiels proposés aux centres de soins, de la norme énergétique, qui permet aux centres de soins résidentiels de recevoir une réduction sur leur facture d’énergie, et du fait que les centres de soins résidentiels ne peuvent répercuter les coûts d’électricité et de chauffage sur leurs résidents que par le tarif journalier et dans la mesure où
la réglementation concernée prévue par les communautés les y autorise.
B.8.2. Il ne faut pas confondre différence et non-comparabilité. Les différences soulevées par le Conseil des ministres peuvent certes constituer un élément dans l’appréciation d’une différence de traitement, mais elles ne sauraient suffire pour conclure à la non-comparabilité, sous peine de vider de sa substance le contrôle au regard du principe d’égalité et de non-discrimination.
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B.9.1. En vertu des articles 18, § 2, 1°, et 19, § 1er, alinéa 1er, attaqués, de la loi du 28 février 2022, la prime de chauffage est accordée « au client résidentiel qui dispose d’un contrat de fourniture d’électricité pour son domicile au 31 mars 2022 ».
L’article 19, § 1er, alinéa 2, de la loi du 28 février 2022 dispose qu’« aux intéressés habitant à la même adresse et faisant partie du même ménage, une seule prime chauffage est accordée ». Il s’ensuit qu’une seule prime de chauffage est accordée par ménage.
L’article 19, § 2, 4°, attaqué, de la loi du 28 février 2022 exclut expressément de l’application de la prime de chauffage les « personnes vivant dans un logement où les personnes paient des frais de séjour ou qui bénéficient de subventions de fonctionnement ».
B.9.2. La différence de traitement attaquée repose sur un critère objectif, à savoir le fait pour la personne concernée d’être titulaire ou non d’un contrat de fourniture d’électricité résidentiel.
B.10. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.1.3 que l’objectif de la prime est « d’accorder un soutien financier au plus grand nombre possible de citoyens afin de les aider à faire face à l’augmentation du coût du chauffage de leur logement, quelle que soit la source de chauffage utilisée » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2465/006, p. 16).
Les titulaires d’un contrat de fourniture d’électricité résidentiel et les résidents des centres de soins résidentiels se trouvent objectivement dans des situations différentes. En effet, même si le tarif journalier dû par les résidents des centres de soins résidentiels couvre les dépenses liées à la consommation d’énergie et que ce tarif journalier augmente en partie du fait de l’augmentation des prix de l’énergie, ces résidents, en ce qu’ils bénéficient d’un service global, ne payent pas eux-mêmes directement l’énergie qu’ils consomment, de sorte qu’ils sont moins directement confrontés à l’augmentation des prix de l’énergie. Ainsi, le législateur a pu raisonnablement considérer que ces résidents ne sont pas affectés par l’augmentation des prix de l’énergie dans la même mesure que les titulaires d’un contrat de fourniture d’électricité résidentiel.
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B.11.1. Il n’est pas établi que la différence de traitement attaquée produit des effets disproportionnés à l’égard des résidents de centres de soins résidentiels.
Ainsi qu’il ressort en effet des travaux préparatoires de la loi du 19 décembre 2022 qui a introduit dans l’ordre juridique la seconde prime fédérale de gaz et d’électricité, postérieurs aux dispositions attaquées, ces résidents ne sont confrontés à l’augmentation des prix de l’énergie « qu’après l’influence combinée et atténuante : 1.) des tarifs plus avantageux dans le cadre des contrats énergétiques non résidentiels proposés aux établissements de santé, 2.) [de] la norme énergétique introduite par la loi du 28 février 2022 portant des dispositions diverses en matière d’énergie et 3.) [des] réglementations prévues par les communautés, qui contiennent des restrictions sur la mesure dans laquelle les établissements de soins peuvent répercuter les coûts énergétiques sur leurs résidents et avec lesquelles [le législateur fédéral] ne souhaite pas interférer » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3016/001, p. 7). Il convient par ailleurs de tenir compte des aides octroyées par l’autorité fédérale et par les entités fédérées aux entreprises et, le cas échéant, aux centres de soins résidentiels, pour les aider à faire face à l’augmentation du coût de l’énergie.
B.11.2. La Cour doit également tenir compte, dans son examen de la proportionnalité de la mesure, du fait que, comme il est dit en B.7, les dispositions attaquées ont pour effet de traiter de manière défavorable certaines personnes âgées ou en situation de handicap. Les personnes concernées subissent dès lors un préjudice spécifique qui est indirectement basé sur leur âge ou sur leur situation de handicap. Dès lors que la différence de traitement indirecte est fondée sur la situation de handicap, elle doit reposer sur des raisons particulièrement impérieuses (CEDH, 30 avril 2009, Glor c. Suisse, ECLI:CE:ECHR:2009:0430JUD001344404, § 84; 10 mars 2011, Kiyutin c. Russie, ECLI:CE:ECHR:2011:0310JUD000270010, § 63).
Compte tenu de la circonstance que la mesure attaquée fait partie d’un ensemble de dispositions par lesquelles le législateur a voulu donner rapidement une première réponse à l’impact de l’augmentation exceptionnelle des prix de l’énergie, il peut être admis que la différence de traitement repose sur des raisons d’ordre socio-économique particulièrement impérieuses.
B.12. Eu égard à ce qui précède, les articles 18, § 2, 1°, et 19, § 1er et § 2, 4°, attaqués, de la loi du 28 février 2022 sont compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en
19
combinaison avec les normes mentionnées en B.5.2 et en B.5.3, en ce qu’ils excluent les résidents des centres de soins résidentiels du bénéfice de la prime de chauffage.
Le moyen unique n’est pas fondé.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 9 novembre 2023.
Le greffier, Le président,
N. Dupont L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 145/2023
Date de la décision : 09/11/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-11-09;145.2023 ?

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