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09/11/2023 | BELGIQUE | N°143/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 09 novembre 2023, 143/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 143/2023
du 9 novembre 2023
Numéros du rôle : 7830 et 7875
En cause : les recours en annulation de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 7 avril 2022 « modifiant l’ordonnance du 19 juillet 2007 relative à la politique de prévention en santé », introduits par Ivar Hermans et autres et par l’ASBL « Notre Bon Droit »
et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, M. Pâques, Y. Kherbache, S. de Bethune et K. Jadin, assistée du greffier N.

Dupont, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt sui...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 143/2023
du 9 novembre 2023
Numéros du rôle : 7830 et 7875
En cause : les recours en annulation de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 7 avril 2022 « modifiant l’ordonnance du 19 juillet 2007 relative à la politique de prévention en santé », introduits par Ivar Hermans et autres et par l’ASBL « Notre Bon Droit »
et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, M. Pâques, Y. Kherbache, S. de Bethune et K. Jadin, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des recours et procédure
a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 6 juillet 2022 et parvenue au greffe le 7 juillet 2022, un recours en annulation de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 7 avril 2022 « modifiant l’ordonnance du 19 juillet 2007 relative à la politique de prévention en santé » (publiée au Moniteur belge du 15 avril 2022) a été introduit par Ivar Hermans, Tim Reynders et Ruth Reynders.
Par la même requête, les parties requérantes demandaient également la suspension de la même ordonnance. Par l’arrêt n° 140/2022 du 27 octobre 2022
(ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.140), publié au Moniteur belge du 13 mars 2023, la Cour a rejeté la demande de suspension.
b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 14 octobre 2022 et parvenue au greffe le 17 octobre 2022, un recours en annulation de la même ordonnance a été introduit par l’ASBL « Notre Bon Droit », l’ASBL « Groupe de Réflexion et d’Action Pour une Politique Ecologique », Sylvie André-Dumont, Yolande Arnould, Frédéric Arseniew, Mircea Caragea, Anita Cassimon, Agnès Charlot, Agnès Claes, Laurent Cools, Marie-Françoise Cordemans, Jérémie De Clerck, Michaël De Clercq, Vincent Delestrée, Colin Doyle, Pascale Dumont, Jeannine Ferreira Marques, Cécile Gass, Birgit Goris,
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Françoise Guiot, Ludwig Hemeleers, Nathalie Herin, Jean-Louis Herman, Anja Hess, Violaine Hovine, Victor Kleinberg, Nathalie Lacroix, Bénédicte Lahaye, Sabine Laureys, Joëlle Ley, Pierre Lievens, Bertrand Lombart, Sandra Martelli, Françoise Martin, Alexandra Meert, Emilie Meurs, Sabine Moens de Fernig, Brigitte Mortehan, Françoise Père, Martin Philippart de Foy, Françoise Rassart, Xavier Rosy, Jean-Marie Saïsset, Céline Schaar, Stéphane Soetaert, Carine Sottiaux, Patricia Stas, Anne Thonon, Mathieu Thonon, Catherine Van De Put, Thomas Vanbellinghen, Laurence Vandeputte, Suzanne Veldeman, Daniel Verbeck, Jean Vervisch, Claude Voituron, Hubert Bliard, Laurent Kasriel, Philippe Massenaux, Agnès Orlandini, Céline Remy, Benoit Skrzypek et Isabelle Vanden Eynde, assistés et représentés par Me F. Schmitz et Me M. Pilcer, avocats au barreau de Bruxelles.
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7830 et 7875 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Le Collège réuni de la Commission communautaire commune, assisté et représenté par Me P. Slegers, Me C. Joret et Me M. Kerkhofs, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit des mémoires, les parties requérantes ont introduit des mémoires en réponse et le Collège réuni de la Commission communautaire commune a également introduit des mémoires en réplique.
Par ordonnance du 14 juin 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Y. Kherbache et M. Pâques, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 28 juin 2023 et les affaires mises en délibéré.
À la suite des demandes des parties requérantes à être entendues, la Cour, par ordonnance du 28 juin 2023, a fixé l’audience au 20 septembre 2023.
À l’audience publique du 20 septembre 2023 :
- ont comparu :
. Ivar Hermans, Tim Reynders et Ruth Reynders, en personne (les parties requérantes dans l’affaire n° 7830);
. Me F. Schmitz et Me M. Pilcer, pour les parties requérantes dans l’affaire n° 7875;
. Me P. Slegers, également loco Me C. Joret et Me M. Kerkhofs, pour le Collège réuni de la Commission communautaire commune;
- les juges-rapporteurs Y. Kherbache et M. Pâques ont fait rapport;
- les parties précitées ont été entendues;
- les affaires ont été mises en délibéré.
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Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Affaire n° 7830
A.1.1. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7830 demandent l’annulation de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 7 avril 2022 « modifiant l’ordonnance du 19 juillet 2007 relative à la politique de prévention en santé » (ci-après : l’ordonnance du 7 avril 2022).
A.1.2. Le premier moyen dans l’affaire n° 7830 est pris de la violation de l’article 23 de la Constitution.
L’article 2 de l’ordonnance du 7 avril 2022 aurait pour effet de réduire significativement le degré de protection des droits économiques, sociaux et culturels offert par la législation applicable, sans qu’existent pour ce faire des motifs d’intérêt général. La possibilité d’imposer les mesures mentionnées dans la norme attaquée entraînerait en effet une réduction de la capacité de travail et de la productivité au travail ainsi qu’une diminution de la qualité de la vie sociale et une restriction de l’accès à la vie culturelle.
La thèse selon laquelle la norme attaquée a été adoptée dans un souci de protéger la santé des personnes ne serait pas crédible. En témoignerait l’inexistence de mesures analogues pour de nombreux risques sanitaires autres que la COVID-19. La définition de la notion de « situation d’urgence épidémique » qui figure dans la loi du 14 août 2021 « relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique » (ci-après : la loi du 14 août 2021) serait par ailleurs beaucoup trop vague. Dès lors que l’ordonnance du 7 avril 2022 fait référence à cette définition, la norme attaquée est également imprévisible quant à ses effets, ce qui serait contraire au principe de bonne législation.
En outre, les mesures prévues dans l’ordonnance du 7 avril 2022 constitueraient des actes de torture, étant donné qu’elles visent (délibérément ou non) à briser psychiquement les personnes. Il s’ensuit que l’ordonnance du 7 avril 2022 est contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, et, partant, à l’article 23
de la Constitution.
A.1.3. Le second moyen dans l’affaire n° 7830 est pris de la violation de l’article 187 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec le titre II de la Constitution. L’ordonnance du 7 avril 2022 prévoit la possibilité d’imposer diverses mesures qui traduiraient indéniablement une suspension des droits civils et libertés individuels inscrits au titre II de la Constitution, dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. De plus, la norme attaquée confère à l’Organisation mondiale de la santé (ci-après : l’OMS) le pouvoir de déclarer la fin de la pandémie de COVID-19.
L’OMS reçoit ainsi un droit de regard contraignant quant au délai dans lequel le Collège réuni peut imposer des mesures et, partant, suspendre les droits fondamentaux des Belges. Cela serait incompatible avec l’article 187 de la Constitution.
A.1.4. Les parties requérantes demandent en outre à la Cour, pour ce qui est de la législation future, de dire pour droit que l’obligation de vaccination contre la COVID-19, les mesures collectives contraignantes prises dans l’intérêt de la santé et l’obligation de porter le masque sont inconstitutionnelles. L’actuelle situation exceptionnelle dans laquelle des mesures prises par l’autorité publique de manière rapide et successive provoquent des perturbations d’ordre sociétal justifierait une décision proactive de la Cour pour clarifier la Constitution et les droits fondamentaux sur un certain nombre de questions concrètes.
A.2. Selon le Collège réuni de la Commission communautaire commune, les moyens invoqués ne sont pas fondés.
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En ce qui concerne le premier moyen dans l’affaire n° 7830, le Collège réuni de la Commission communautaire commune estime que les parties requérantes n’indiquent pas en quoi la norme attaquée réduirait le degré de protection des droits économiques, sociaux et culturels. La norme attaquée ne ferait en effet que préciser et affiner une compétence générale et plus étendue qui avait été conférée aux pouvoirs publics par la loi sanitaire du 1er septembre 1945 et la compétence générale des pouvoirs publics dans le cadre de la protection de la population. La norme attaquée encadre et limite la compétence du Collège réuni. Ce dernier ne peut ainsi envisager les mesures en question que dans la mesure où et aussi longtemps que l’OMS déclare l’état de pandémie de COVID-19. Les conditions d’intervention du Collège réuni sont par ailleurs développées. La norme attaquée n’emporterait donc pas une restriction des droits fondamentaux, mais renforcerait plutôt leur protection. En tout état de cause, une éventuelle restriction des droits fondamentaux non précisés serait très limitée, dès lors que l’ordonnance du 7 avril 2022 nécessite une intervention du Collège réuni et que les mesures possibles sont strictement encadrées. La restriction éventuelle serait de toute manière justifiée par l’intérêt général, à savoir la protection de la santé publique. Quoi qu’il en soit, il n’y aurait pas lieu de considérer que le Collège réuni n’exercerait pas sa compétence conformément à l’article 23 de la Constitution.
Le Collège réuni souligne que l’OMS n’a rien à dire au sujet du cadre réglementaire en région bilingue de Bruxelles-Capitale. C’est le législateur ordonnanciel lui-même qui décide que l’intervention de l’OMS a une incidence sur les compétences du Collège réuni. Dans la mesure où les parties requérantes font valoir dans leur moyen que la notion d’« urgence épidémique » n’est pas claire, le moyen n’est pas dirigé contre la norme attaquée, mais contre la loi du 14 août 2021. En tout état de cause, le but poursuivi par la norme attaquée consistant à prévenir et à limiter la propagation de la COVID-19 serait clair et légitime.
En ce qui concerne le second moyen dans l’affaire n° 7830, le Collège réuni de la Commission communautaire commune estime que la Cour n’est pas compétente pour procéder à un contrôle au regard de l’article 187 de la Constitution. Le second moyen serait donc irrecevable et à tout le moins non fondé. Le Collège réuni souligne une fois de plus qu’il n’y aurait pas lieu de juger que le Collège réuni exerce la compétence attribuée d’une manière qui viole les normes juridiques supérieures.
En ce qui concerne les demandes de statuer en droit, le Collège réuni de la Commission communautaire commune estime que la Cour n’est pas compétente pour statuer en droit et pour ainsi restreindre préventivement le législateur dans ses initiatives.
Affaire n° 7875
A.3. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7875 demandent l’annulation de l’article 2 de l’ordonnance du 7 avril 2022.
A.4. Afin de justifier son intérêt, l’ASBL « Notre Bon Droit » expose qu’elle défend les droits fondamentaux des citoyens belges dans le cadre de la gestion de la pandémie de COVID-19, ce qui constitue un objectif d’intérêt collectif distinct de l’intérêt général. Elle affirme que ce but statutaire est activement poursuivi, notamment par l’organisation d’activités, par la diffusion d’informations sur le site internet de cette ASBL ainsi que par l’introduction de plusieurs actions en justice. Les dispositions attaquées pourraient affecter défavorablement ce but statutaire.
L’ASBL « Groupe de Réflexion et d’Action Pour une Politique Écologique » (ci-après :
l’ASBL « GRAPPE ») se réfère à son but statutaire, qui consiste à promouvoir une politique écologique, et à l’imbrication de la thématique environnementale et de la thématique de la santé.
Les deux associations précitées font valoir qu’elles ont non seulement un intérêt collectif mais également un intérêt personnel, en ce que l’ordonnance du 7 avril 2022 risque d’entraîner des restrictions importantes au niveau de leur organisation, plus particulièrement des restrictions du droit de réunion et du droit de travailler qui porteraient atteinte à la réalisation des buts sociaux précités. Elles se réfèrent en la matière à l’impossibilité d’organiser des réunions, des conférences, des activités, de donner accès à la bibliothèque, toutes ces restrictions donnant lieu à une interruption des activités ou à leur ralentissement.
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Les autres parties requérantes, à savoir soixante et une personnes physiques, font valoir que soit elles sont domiciliées en Région de Bruxelles-Capitale ou y travaillent, soit elles se rendent régulièrement en Région de Bruxelles-Capitale pour des activités culturelles, familiales ou sociales. Elles risquent par conséquent d’être affectées personnellement par les mesures qui peuvent être imposées, en vertu de l’ordonnance du 7 avril 2022, par le Collège réuni.
A.5.1. Quant au fond, les parties requérantes dans l’affaire n° 7875 invoquent dans leur premier moyen la violation des articles 10, 11, 12, 19, 22, 23, 26, 27 et 187 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 14
et 15, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 3 et 4, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec l’article 9 du Traité sur l’Union européenne, avec les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec le principe d’égalité, avec le principe de proportionnalité et avec le principe de la légalité formelle et matérielle.
Les parties requérantes font valoir que les libertés et droits fondamentaux sont fortement restreints et réglementés par les dispositions attaquées, sans que le législateur en ait fixé tous les éléments essentiels. Le législateur ordonnanciel a fixé de manière trop vague et imprécise les mesures que le Collègue réuni peut imposer.
Il s’agit seulement d’un cadre sans la moindre restriction. Ainsi, les mesures qui sont énumérées dans l’article 13/2, § 1er, alinéa 1er, 4°, de l’ordonnance du 19 juillet 2007 « relative à la politique de prévention en santé » (ci-après :
l’ordonnance du 19 juillet 2007), inséré par la disposition attaquée, ne sont données qu’à titre d’exemples et il ne s’agit pas d’une liste limitative. Ensuite, « le port d’un équipement individuel » n’est pas précisé. Il est ainsi accordé au Collège réuni une compétence d’exécution illimitée qui porte atteinte aux droits fondamentaux.
En outre, la décision qui constate la situation épidémiologique et qui permet au Collège réuni de prendre des mesures ne sera pas formalisée dans un arrêté. Cette situation aura des conséquences très négatives quant à « la possibilité de contestation en droit ».
Enfin, les indicateurs sur la base desquels la situation épidémiologique est évaluée sont imprécis et incomplets, puisqu’il n’est pas précisé à partir de quel taux de positivité et de vaccination des mesures sont justifiées et puisque la gravité des variants n’est pas mentionnée.
A.5.2. Le deuxième moyen dans l’affaire n° 7875 est pris de la violation des articles 1er, 2, 128, §§ 1er et 2, et 135 de la Constitution et de l’article 5, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
Les parties requérantes font valoir que les mesures prévues par l’article 13/2 , § 1er, alinéa 1er, de l’ordonnance du 19 juillet 2007, inséré par la disposition attaquée, ne s’adressent pas directement aux personnes présentant une infection ou un risque d’infection ayant pour origine une maladie contagieuse, mais à la population en général. Ces mesures ne peuvent donc être considérées comme des « activités et services de médecine préventive ». Ces mesures sont définies en des termes si généraux qu’elles excèdent la compétence des communautés en matière de médecine préventive. Les mesures en question ne relèveraient de cette compétence que si l’on définit spécifiquement à quels endroits et/ou dans quelles circonstances ces mesures, qui doivent viser directement les personnes présentant une infection ou un risque d’infection ayant pour origine une maladie contagieuse, peuvent être prises, ce qui n’est toutefois pas le cas. La section de législation du Conseil d’État l’aurait également constaté dans son avis relatif à l’ordonnance du 7 avril 2022.
Les parties requérantes soulignent que le législateur ordonnanciel ne peut pas prendre de mesures à l’égard des institutions établies dans cette Région qui, en raison de leur organisation, doivent être considérées comme appartenant à l’une ou à l’autre communauté. La Commission communautaire commune n’est dès lors pas compétente pour interdire les déplacements sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale ou toute présence dans l’espace public. Par ailleurs, la Commission communautaire commune n’est pas compétente pour prendre des mesures à l’égard d’établissements relevant des secteurs éducatif, horeca, commercial, religieux, culturel, festif, sportif, récréatif, associatif ou événementiel.
A.5.3. Le troisième moyen dans l’affaire n° 7875 est pris de la violation des articles 10, 11, 12 et 14 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 6, 7, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec les articles 20, 21, 47
et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec le principe d’égalité et avec le principe de la légalité des infractions et peines.
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En vertu de l’article 13/2, § 4, de l’ordonnance du 19 juillet 2007, inséré par la disposition attaquée, le non-
respect des mesures qui peuvent être imposées par le Collège réuni en vertu de l’article 13/2, § 1er, est punissable.
Ces mesures n’étant pas claires, les personnes concernées peuvent difficilement savoir si leurs comportements sont punissables ou non. Rien ne garantit par ailleurs que le Collège réuni formulera les mesures qu’il imposera de manière suffisamment claire, précise et accessible pour rendre leur application raisonnablement prévisible. Par conséquent, la disposition attaquée ne définit pas de manière suffisamment précise les infractions ni le lien entre ces infractions et les sanctions correspondantes.
A.6.1. Le Collège réuni de la Commission communautaire commune conteste l’intérêt de l’ASBL « Notre Bon Droit » et de l’ASBL « GRAPPE ».
Le but statutaire de l’ASBL « Notre Bon Droit » ne se distinguerait pas de l’intérêt général en ce qu’il vise à défendre les intérêts des citoyens belges sans aucune distinction. En effet, l’intérêt de la population belge est l’intérêt général.
En ce qui concerne l’ASBL « GRAPPE », le Collège réuni de la Commission communautaire commune souligne que son but statutaire est la défense de l’environnement. Le simple fait que cette association s’intéresse à la gestion de la COVID-19 ne suffit pas à modifier ce but statutaire.
Ensuite, l’intérêt personnel invoqué par les associations précitées ne serait pas démontré de manière suffisante.
A.6.2. Le Collège réuni de la Commission communautaire commune fait valoir que le premier moyen n’est pas recevable. En effet, les parties requérantes ne démontrent pas en quoi les normes de référence invoquées au moyen sont violées. En ce qu’il est allégué une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, les différentes catégories qui seraient traitées différemment ne sont pas précisées. Pour le surplus, la « violation combinée »
alléguée ou le lien entre dispositions de droit interne et celles de droit international ne sont pas précisés. Enfin, en ce que le moyen n’est pas pris de la violation des dispositions contenues dans le titre II de la Constitution, lues en combinaison avec l’article 187 de la Constitution, le moyen n’est pas recevable.
En tout état de cause, le premier moyen n’est pas fondé. Le but poursuivi par la disposition attaquée, qui consiste à protéger la santé de la population, est légitime. Il découle de la disposition attaquée que le Collège réuni peut uniquement prendre les mesures qui sont contenues dans la disposition attaquée. Ensuite, la disposition attaquée précise que le domicile privé n’est pas visé par ces mesures et que ces dernières peuvent uniquement être prises lors d’une situation d’urgence épidémique et jusqu’à ce que l’OMS déclare la fin de l’état de pandémie de COVID-19. Tant les arrêtés adoptés que l’évaluation de la situation épidémiologique doivent être transmis immédiatement à l’Assemblée réunie et être publiés sur le site internet de l’Assemblée réunie. Enfin, la compétence du Collège réuni pour prendre des mesures est également limitée dans le temps. Par conséquent, cette compétence du Collège réuni est suffisamment encadrée et les composantes essentielles de celle-ci sont déterminées. La liberté d’appréciation conférée au Collège réuni est justifiée par la nécessité d’apprécier, parmi ces mesures, celles qui peuvent être prises à la lumière de la situation sanitaire en Région de Bruxelles-Capitale.
Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, la décision établissant la situation épidémiologique sera formalisée dans l’arrêté fixant les mesures de lutte contre la pandémie. Cette décision pourra donc être attaquée par le biais d’un recours contre cet arrêté.
Enfin, les parties requérantes déclarent à tort que les indicateurs sur la base desquels la situation épidémiologique est évaluée ne sont pas suffisamment clairs. Les variants ne pouvaient pas se trouver dans la liste des indicateurs, en raison de leur caractère incertain et évolutif.
A.6.3. Selon le Collège réuni de la Commission communautaire commune, le deuxième moyen n’est pas recevable non plus, à défaut d’exposé du moyen, et il n’est en tout état de cause pas fondé.
Les avis de la section de législation du Conseil d’État confirment que la Commission communautaire commune est compétente pour prendre des mesures de lutte contre une situation d’urgence épidémique. Tel est
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l’objet des mesures contenues dans la disposition attaquée, qui peuvent uniquement être imposées s’il est question d’une situation d’urgence épidémiologique. Dans son avis relatif à la disposition attaquée, la section de législation du Conseil d’État relève également que la disposition attaquée est justifiée par la compétence de la Commission communautaire commune en matière de médecine préventive, mais que, eu égard au libellé large de la compétence octroyée au Collège réuni, il conviendra de s’assurer que les règles répartitrices de compétences soient respectées lors de l’adoption des arrêtés d’exécution. Cet avis serait conforme à la position adoptée par la Cour dans l’arrêt n° 26/2023 du 16 février 2023 (ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.026).
A.6.4. Selon le Collège réuni de la Commission communautaire commune, le troisième moyen aussi est irrecevable, à défaut d’exposé du moyen, et il est en tout état de cause non fondé.
Tant la peine que le comportement punissable sont en effet clairement déterminés dans la disposition attaquée. Il est ainsi prévu que la sanction est une amende de 50 à 500 euros. Le comportement punissable porte sur les mesures qui sont encadrées dans la disposition attaquée et qui pourront être prises par le Collège réuni après un examen de la situation épidémiologique. Il ressortirait en outre de l’arrêt n° 26/2023, précité, du 16 février 2023
que le législateur compétent ne doit pas nécessairement déterminer l’ensemble des éléments qui constituent l’infraction dans son texte, mais qu’il doit tout de même s’assurer que le citoyen puisse en connaître les contours avec une précision suffisante. Tel est le cas, puisque la disposition attaquée détermine le cadre et que les mesures concrètes seront publiées conformément aux dispositions en question. Ces mesures seront donc effectivement connues des citoyens.
-B-
Quant à la disposition attaquée et à son contexte
B.1. Le recours en annulation dans l’affaire n° 7830 est dirigé contre l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 7 avril 2022 « modifiant l’ordonnance du 19 juillet 2007 relative à la politique de prévention en santé » (ci-après : l’ordonnance du 7 avril 2022).
Le recours en annulation dans l’affaire n° 7875 est dirigé contre l’article 2 de cette ordonnance.
B.2. Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé a qualifié de pandémie l’explosion du nombre de contaminations au virus SARS-CoV-2. Depuis mars 2020, la Belgique aussi est confrontée à cette pandémie et à ses conséquences. Le virus SARS-CoV-2
est un virus très contagieux, qui cause la COVID-19, maladie qui peut entraîner de sérieux problèmes médicaux, voire la mort, principalement chez les personnes âgées et chez les personnes ayant des comorbidités.
Dans le cadre de cette crise sanitaire et pour lutter contre la propagation de la COVID-19, le Conseil national de sécurité, d’abord, puis le Comité de concertation, qui regroupe des
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représentants de l’autorité fédérale et des entités fédérées, ont été chargés de prendre des mesures concertées afin de freiner cette propagation (voy. C. const., arrêt n° 26/2023 du 16 février 2023, ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.026, B.2).
B.3.1. L’ordonnance du 7 avril 2022 s’inscrit dans le cadre visant à compléter et à actualiser l’arsenal des mesures que les différentes autorités ont prises pour lutter contre la pandémie de COVID-19 et contre la propagation du virus SARS-CoV-2.
B.3.2. Par l’ordonnance du 7 avril 2022, la Commission communautaire commune vise « à donner au Collège réuni la possibilité d’imposer des mesures visant à prévenir ou à limiter la propagation de la maladie transmissible Covid-19 sur le territoire de la région bilingue de Bruxelles-Capitale » (Doc. parl., Parlement bruxellois, 2021-2022, B-109/1, p. 1).
À cette fin, l’article 2 de l’ordonnance du 7 avril 2022 ajoute un article 13/2 dans l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 19 juillet 2007 « relative à la politique de prévention en santé » (ci-après : l’ordonnance du 19 juillet 2007). En vertu de cette disposition, le Collège réuni de la Commission communautaire commune peut, sans préjudice des obligations imposées par le Roi en vertu de la loi du 14 août 2021 « relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique », imposer sur le territoire de la région bilingue de Bruxelles-Capitale une ou plusieurs des mesures suivantes, en vue de prévenir ou de limiter la propagation de la COVID-19 :
1) la réglementation ou la limitation de l’accès à certains établissements, à des lieux spécifiques ou à des lieux de réunion;
2) la limitation ou l’interdiction des rassemblements dans des lieux spécifiques ou dans des circonstances spécifiques;
3) la réglementation ou la limitation des déplacements;
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4) la détermination de mesures de protection sanitaire dans des lieux spécifiques ou dans des circonstances spécifiques, afin de prévenir, de ralentir ou d’arrêter la propagation du virus SARS-CoV-2, telles que le maintien d’une certaine distance par rapport aux autres personnes, le port d’un moyen de protection individuel ou des règles relatives à l’hygiène des mains (article 13/2, § 1er, alinéa 1er, de l’ordonnance du 19 juillet 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 2 de l’ordonnance du 7 avril 2022).
L’article 13/2, § 2, de l’ordonnance du 19 juillet 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 2
de l’ordonnance du 7 avril 2022, dispose que les mesures précitées sont « nécessaires, adéquates et proportionnelles à l’objectif poursuivi » et sont imposées après que le Collège réuni a constaté que la situation épidémiologique du territoire de la région bilingue de Bruxelles-Capitale l’exigeait. Cette situation épidémiologique est appréciée sur la base notamment du taux d’incidence, du taux de positivité, de la contagiosité des variants circulants, du taux de vaccination et du taux de remplissage des lits hospitaliers. Le Collège réuni sollicite à cette fin l’avis du médecin-inspecteur d’hygiène qui est remis dans un délai de cinq jours ouvrables. S’il décide de ne pas suivre cet avis, le Collège réuni doit motiver sa décision.
En vertu de l’article 13/2, § 3, de l’ordonnance du 19 juillet 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 2 de l’ordonnance du 7 avril 2022, le Collège réuni fixe la durée d’application des mesures imposées, laquelle ne peut dépasser trois mois. Cette période est renouvelable, par période de trois mois maximum chaque fois. À chaque renouvellement, le Collège réuni fait à l’Assemblée réunie un état des lieux de la situation épidémiologique et des mesures adoptées.
Les mesures cessent après la publication de l’arrêté du Collège réuni constatant la fin de l’état d’épidémie du virus SARS-CoV-2 dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale (article 13/2, § 1er, alinéa 6, de l’ordonnance du 19 juillet 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 2 de l’ordonnance du 7 avril 2022).
En vertu de l’article 13/2, § 4, de l’ordonnance du 19 juillet 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 2 de l’ordonnance du 7 avril 2022, toute personne qui ne respecte pas les mesures imposées est passible d’une amende de 50 à 500 euros.
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Quant à l’intérêt
B.4.1. La Commission communautaire commune conteste l’intérêt des première et deuxième parties requérantes dans l’affaire n° 7875, que sont l’ASBL « Notre Bon Droit » et l’ASBL « Groupe de Réflexion et d’Action Pour une Politique Ecologique ». L’intérêt des autres parties requérantes dans l’affaire n° 7875 et l’intérêt des parties requérantes dans l’affaire n° 7830 ne sont pas contestés.
B.4.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée; il s’ensuit que l’action populaire n’est pas admissible.
B.4.3. Les troisième à soixante-troisième parties requérantes dans l’affaire n° 7875 sont des personnes physiques, qui font valoir, à l’appui de leur intérêt, qu’elles vivent en Région de Bruxelles-Capitale ou s’y rendent régulièrement et qu’elles risquent donc d’être personnellement affectées par les mesures qui peuvent être prises en vertu de l’ordonnance du 7 avril 2022.
Étant donné que l’intérêt des troisième à cinquante-sixième parties requérantes dans l’affaire n° 7875 est suffisamment démontré et n’est en outre pas contesté par la Commission communautaire commune, l’intérêt à agir des autres parties requérantes dans l’affaire n° 7875
ne doit pas être examiné.
B.4.4. L’exception est rejetée.
Quant à la recevabilité des moyens
En ce qui concerne la compétence de la Cour
B.5.1. En vertu de l’article 142, alinéa 2, de la Constitution et de l’article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989, la Cour est compétente pour statuer sur les recours en annulation
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d’une loi, d’un décret ou d’une règle visée à l’article 134 de la Constitution pour cause de violation des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l’autorité fédérale, des communautés et des régions et pour cause de violation des articles du titre II (« Des Belges et de leurs droits ») et des articles 143, § 1er, 170, 172 et 191 de la Constitution.
La Cour examine les moyens en ce qu’ils sont pris de la violation de normes au regard desquelles elle peut effectuer un contrôle direct.
B.5.2. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7830 demandent à la Cour de « statuer en droit » pour la législation future en vue de clarifier la Constitution et les droits fondamentaux dans un certain nombre de situations concrètes.
Ni l’article 142 de la Constitution ni l’article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989
n’habilitent la Cour à statuer en droit sur une future législation.
Par conséquent, le recours dans l’affaire n° 7830 est irrecevable dans cette mesure.
B.5.3.1. L’article 142 de la Constitution et l’article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989
ne confèrent pas non plus à la Cour le pouvoir de contrôler des dispositions législatives directement au regard de l’article 187 de la Constitution.
Par conséquent, le second moyen dans l’affaire n° 7830 et le premier moyen dans l’affaire no 7875 sont irrecevables en ce qu’ils sont pris de la violation de l’article 187 de la Constitution « lu isolément ».
Ces moyens sont également irrecevables en ce qu’ils sont pris de la violation de l’article 187 de la Constitution, lu en combinaison avec les articles 14 et 15, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 3 et 4, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec l’article 9 du Traité sur l’Union européenne, avec les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et avec des principes généraux du droit.
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B.5.3.2. L’article 187 de la Constitution est une garantie étroitement liée aux dispositions constitutionnelles dont la Cour assure le respect.
La Cour tient dès lors compte de la garantie contenue dans cette disposition constitutionnelle lorsqu’elle est saisie d’une violation de droits fondamentaux mentionnés au titre II de la Constitution. Les moyens, en ce qu’ils sont pris de la violation des articles contenus dans le titre II de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 187 de la Constitution, sont recevables.
B.5.4. Enfin, la Cour n’est pas compétente pour contrôler une norme législative directement au regard de principes généraux du droit, mais peut tenir compte de ceux-ci lorsque sont aussi invoqués les articles 10 et 11 de la Constitution.
En ce qu’il est pris de la violation directe du « principe de bonne législation », le premier moyen dans l’affaire n° 7830 est dès lors irrecevable.
En ce qui concerne l’exposé des moyens
B.6. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions.
La Cour examine les moyens dans la mesure où ils satisfont aux exigences précitées.
Quant au fond
B.7. L’examen de la conformité d’une disposition législative aux règles répartitrices de compétences doit en règle précéder celui de sa compatibilité avec les dispositions du titre II et des articles 170, 172 et 191 de la Constitution. La Cour examine donc d’abord le deuxième moyen dans l’affaire n° 7875, qui est pris de la violation des règles répartitrices de compétences (B.8
à B.13).
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La Cour examine ensuite les moyens pris de la violation des droits fondamentaux lus en combinaison avec l’article 187 de la Constitution (B.14), avant d’examiner les moyens qui portent sur le principe de légalité (B.15 à B.25) et sur les droits économiques, sociaux et culturels (B.26 à B.27).
En ce qui concerne les règles répartitrices de compétences
B.8. Dans le deuxième moyen dans l’affaire n° 7875, les parties requérantes font valoir en substance que les mesures qui sont prévues par l’article 13/2, § 1er, alinéa 1er, de l’ordonnance du 19 juillet 2007, inséré par la disposition attaquée, ne relèvent pas de la compétence de la Commission communautaire commune en matière de médecine préventive. De ce fait, les articles 1er, 2, 128, §§ 1er et 2, et 135 de la Constitution et l’article 5, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980) seraient violés.
B.9.1. L’article 1er de la Constitution dispose :
« La Belgique est un État fédéral qui se compose des communautés et des régions ».
L’article 2 de la Constitution dispose :
« La Belgique comprend trois communautés : la Communauté française, la Communauté flamande et la Communauté germanophone ».
B.9.2. Les parties requérantes ne démontrent pas en quoi l’article 13/2, § 1er, de l’ordonnance du 19 juillet 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 2 de l’ordonnance du 7 avril 2022, violerait ces dispositions.
Partant, le deuxième moyen dans l’affaire n° 7875, en ce qu’il est pris de la violation des articles 1er et 2 de la Constitution, n’est pas recevable.
B.10.1. L’article 128 de la Constitution dispose :
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« § 1er. Les Parlements de la Communauté française et de la Communauté flamande règlent par décret, chacun en ce qui le concerne, les matières personnalisables, de même qu’en ces matières, la coopération entre les communautés et la coopération internationale, y compris la conclusion de traités.
Une loi adoptée à la majorité prévue à l’article 4, dernier alinéa, arrête ces matières personnalisables, ainsi que les formes de coopération et les modalités de conclusion de traités.
§ 2. Ces décrets ont force de loi respectivement dans la région de langue française et dans la région de langue néerlandaise, ainsi que, sauf si une loi adoptée à la majorité prévue à l’article 4, dernier alinéa, en dispose autrement, à l’égard des institutions établies dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale qui, en raison de leur organisation, doivent être considérées comme appartenant exclusivement à l’une ou à l’autre communauté ».
B.10.2. L’article 135 de la Constitution dispose :
« Une loi adoptée à la majorité prévue à l’article 4, dernier alinéa, désigne les autorités qui, pour la région bilingue de Bruxelles-Capitale, exercent les compétences non dévolues aux communautés dans les matières visées à l’article 128, § 1er ».
B.10.3. L’article 63, alinéa 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux Institutions bruxelloises (ci-après : la loi spéciale du 12 janvier 1989), pris en exécution de l’article 135 de la Constitution, dispose :
« Sans préjudice des compétences de la Communauté française et de la Communauté flamande, le collège réuni et l’assemblée réunie exercent les compétences visées aux articles 5, [...] 8 à 16 [...] de la loi spéciale ».
L’Assemblée réunie et le Collège réuni sont les organes de la Commission communautaire commune (article 60, alinéa 4, de la loi spéciale du 12 janvier 1989) qui exercent collectivement le pouvoir de légiférer par ordonnances (article 68, § 1er, de la même loi spéciale).
B.10.4. Il découle de l’article 128 de la Constitution qu’en ce qui concerne les « matières personnalisables », les communautés sont territorialement compétentes, respectivement dans la région de langue néerlandaise et dans la région de langue française, ainsi qu’à l’égard des institutions établies dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale qui, en raison de leur organisation, doivent être considérées comme appartenant exclusivement à l’une ou à l’autre communauté.
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En ce qui concerne la région bilingue de Bruxelles-Capitale, le législateur décrétal ne peut soumettre des personnes directement à ses propres règles. Il ne peut imposer des obligations aux personnes présentes sur le territoire de la région bilingue de Bruxelles-Capitale que pour autant que ces obligations résultent d’une décision libre de s’adresser à une institution appartenant à la Communauté flamande ou à la Communauté française. Quant aux autres personnes établies en région bilingue de Bruxelles-Capitale, des obligations concernant les matières personnalisables ne peuvent leur être imposées que par la Commission communautaire commune, conformément à l’article 135 de la Constitution et à l’article 63 de la loi spéciale du 12 janvier 1989.
B.11.1. L’article 5, § 1er, I, de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose :
« Les matières personnalisables visées à l’article 128, § 1er, de la Constitution, sont :
I. En ce qui concerne la politique de santé :
[...]
8° l’éducation sanitaire ainsi que les activités et services de médecine préventive, ainsi que toute initiative en matière de médecine préventive.
L’autorité fédérale reste toutefois compétente pour :
1° l’assurance maladie-invalidité;
2° les mesures prophylactiques nationales.
[...] ».
B.11.2. En vertu de l’article 5, § 1er, I, alinéa 1er, 8°, et alinéa 2, 2°, de la loi spéciale du 8 août 1980, les communautés sont compétentes pour les activités et services de médecine préventive, ainsi que pour toute initiative en matière de médecine préventive, à l’exception des mesures prophylactiques nationales.
B.11.3. Il ressort des travaux préparatoires de la loi spéciale du 8 août 1980 qu’« en ce qui concerne les activités et services de médecine préventive », il a été songé en particulier au dépistage et à la lutte contre les maladies transmissibles (Doc. parl., Sénat, 1979-1980, n° 434/2, p. 125). En ce qui concerne la portée des « mesures prophylactiques nationales », il
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s’avère que cette compétence réservée à l’autorité fédérale est limitée aux vaccinations obligatoires (ibid., p. 125).
Selon les travaux préparatoires de la loi spéciale du 6 janvier 2014 relative à la Sixième Réforme de l’État, par laquelle les « initiatives » en matière de médecine préventive ont été ajoutées à l’énumération des compétences communautaires prévues à l’article 5, § 1er, I, alinéa 1er, 8°, les communautés disposent d’une « compétence générale concernant l’éducation sanitaire et la médecine préventive ». Ces mêmes travaux préparatoires mentionnent que « [l’]autorité fédérale ne pourra plus prendre des mesures en matière d’éducation sanitaire, ni en matière d’activités et de services de médecine préventive qui reviennent aux communautés ».
À cet égard, il a en particulier été relevé que l’autorité fédérale ne poursuivrait pas certaines initiatives de prévention, comme les campagnes de dépistage et de vaccination, et que, à l’avenir, elle ne pourrait plus non plus prendre pareilles nouvelles initiatives de prévention « sur la base de quelque compétence que ce soit » (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2232/1, pp. 42
et 43).
B.12. Il faut considérer que le Constituant et le législateur spécial, dans la mesure où ils n’en disposent pas autrement, ont attribué aux communautés toute la compétence d’édicter les règles propres aux matières qui leur ont été transférées.
B.13.1. Il résulte de ce qui précède que la lutte contre les maladies contagieuses, telles que la COVID-19, relève de la compétence des communautés en matière de médecine préventive visée à l’article 5, § 1, I, alinéa 1er, 8°, de la loi spéciale du 8 août 1980. Ainsi qu’il ressort des avis de la section de législation du Conseil d’État, cette compétence comprend la possibilité d’imposer des obligations à des personnes en vue de la détection de certaines maladies et de prévenir la contamination d’autres personnes (voyez CE, avis n° 38.381/3 du 7 juillet 2005;
CE, avis n° 40.537/3 du 22 octobre 2009; CE, avis n° 53.018 du 13 mai 2013; CE, avis n° 68.338/3 du 12 janvier 2021). Ainsi, les communautés sont compétentes pour interdire l’accès à certains lieux, pour instaurer des restrictions à la liberté de déplacement, pour imposer une limitation des contacts, pour exiger une distanciation sociale ou pour imposer le port d’un
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masque buccal, pour autant, du moins, que ces mesures « ne ‘ s’adressent pas à la population en général ’, mais définisse spécifiquement à quels ‘ endroits et/ou dans quelles circonstances ’ ces mesures, qui doivent viser directement les personnes présentant une infection (ou un risque d’infection) ayant pour origine une maladie contagieuse et qui doivent être directement liées à des maladies et affections, sont imposées » (CE, avis n° 68.936 du 7 avril 2021, point 26; CE, avis n° 70.159 du 23 septembre 2021, point 5.1).
Tel est le cas en l’espèce, dès lors que les mesures qui sont prévues à l’article 13/2, § 1er, de l’ordonnance du 19 juillet 2007, tel qu’il a été inséré par l’ordonnance du 7 avril 2022, portent sur des mesures ciblées « en vue de prévenir ou de limiter la propagation du COVID-
19 ». Ainsi, en vertu de l’article 13/2, § 2, de l’ordonnance du 19 juillet 2007, ces mesures ne peuvent être imposées qu’après que le Collège réuni a constaté, sur la base des critères mentionnés dans l’ordonnance, que la situation épidémiologique de la région bilingue de Bruxelles-Capitale l’exige. Ces mesures ne peuvent être imposées que pour une période maximale de trois mois, qui peut être renouvelée chaque fois pour trois mois au maximum, et en tout cas au plus tard jusqu’à ce que l’Organisation mondiale de la santé déclare la fin de l’état de pandémie de COVID-19 (article 13/2, § 1er, alinéa 1er, et § 3, alinéa 1er).
B.13.2. Par ailleurs, l’article 13/2 de l’ordonnance du 19 juillet 2007, tel qu’il a été inséré par l’ordonnance du 7 avril 2022, prévoit uniquement la possibilité pour le Collège réuni d’imposer les mesures mentionnées dans cette disposition, en vue de prévenir ou de limiter la propagation du virus SARS-CoV-2. Cette habilitation qui est ainsi conférée au Collège réuni ne peut être interprétée en ce sens qu’elle lui permettrait de prendre des mesures en violation des règles répartitrices de compétences. Lorsqu’un législateur décrétal délègue, il faut en effet supposer, sauf indications contraires, qu’il entend exclusivement habiliter le délégué à faire de son pouvoir un usage conforme à la Constitution. Par conséquent, l’habilitation contenue dans la disposition attaquée doit être interprétée en ce sens que le Collège réuni devra toujours préciser à quels endroits spécifiques ou dans quelles circonstances ces mesures, qui doivent viser directement les personnes présentant une infection ou un risque d’infection par le virus SARS-CoV-2, sont applicables (voy. Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2021-2022, B-109/1, p. 2; voy. également CE, avis n° 71.179/3 du 18 mars 2022, point 5.1).
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Par ailleurs, les mesures imposées par le Collège réuni doivent être « nécessaires, adéquates et proportionnelles à l’objectif poursuivi » (article 13/2, § 2, alinéa 1er, de l’ordonnance du 19 juillet 2007, inséré par l’ordonnance du 7 avril 2022). Cette même exigence découle du principe de la loyauté fédérale, contenu dans l’article 143, § 1er, de la Constitution, et du principe de proportionnalité qui est inhérent à tout exercice de compétences. Aucune autorité ne peut exercer sa compétence d’une manière qui rende impossible ou excessivement difficile l’exercice raisonnable, par d’autres autorités, de leurs compétences respectives. Cette garantie est également offerte par la disposition contenue dans l’article 13/2, § 1er, de l’ordonnance du 19 juillet 2007, inséré par l’ordonnance du 7 avril 2022, selon laquelle le Collège réuni peut imposer les mesures contenues dans cette disposition « sans préjudice des obligations imposées par le Roi en vertu de la loi du 14 août 2021 relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique ». Au cours des travaux préparatoires de l’ordonnance du 7 avril 2022, il a été précisé à cet égard que le Collège réuni peut renforcer les obligations éventuellement déjà édictées par l’autorité fédérale, mais pas les assouplir (voy. Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2021-2022, B-109/1, p. 3, et B-109/2, p. 3). Ensuite, les travaux préparatoires précisent que le Collège réuni, lorsqu’il envisage de prendre une mesure ayant une incidence directe sur les domaines relevant de la compétence matérielle d’une autre autorité, doit préalablement se concerter avec cette autre autorité (voy. Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2021-
2022, B-109/1, p. 4, et B-109/2, pp. 3-4).
Il appartient à la section du contentieux administratif du Conseil d’État et aux cours et tribunaux ordinaires d’examiner, le cas échéant, si les mesures qui ont effectivement été prises respectent les limites de compétence précitées.
B.14. Le deuxième moyen dans l’affaire n° 7875 n’est pas fondé.
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En ce qui concerne les droits fondamentaux
I. Article 187 de la Constitution
B.15.1. Dans le second moyen dans l’affaire n° 7830 et le premier moyen dans l’affaire n° 7875, les parties requérantes font valoir que l’ordonnance du 7 avril 2022 n’est pas compatible avec l’article 187 de la Constitution, lu en combinaison avec différents droits fondamentaux. L’article 187 de la Constitution dispose :
« La Constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie ».
B.15.2. Cette disposition confirme que la Constitution constitue la norme suprême, et oblige tous les pouvoirs de l’État à respecter cette dernière en toutes circonstances. Elle s’oppose dès lors à toute législation qui permettrait à un des pouvoirs de l’État de déclarer l’état d’urgence, même dans des situations de crise graves, et de rendre ainsi la Constitution ou l’une de ses dispositions temporairement inopérante.
Elle ne s’oppose pas, en revanche, à l’instauration d’un ensemble de mesures restrictives par lesquelles le législateur compétent apporte une réponse globale et radicale à un état d’urgence de fait, tel que la pandémie de COVID-19. Elle interdit en effet une « suspension »
de dispositions constitutionnelles qui aurait pour effet d’écarter temporairement l’application de ces dispositions, rendant de ce fait inopérant le contrôle juridictionnel des mesures y dérogeant. Elle n’interdit dès lors pas les mesures qui « restreignent » des droits fondamentaux, pour autant que le juge compétent puisse contrôler cette restriction au regard de ces droits fondamentaux, par le biais des procédures et critères de contrôle habituels.
B.15.3. Comme il est exposé en B.3, l’ordonnance du 7 avril 2022 a un champ d’application strictement limité. Elle confère, dans le cadre d’une pandémie bien définie, au Collège réuni la compétence d’imposer, pour une période limitée, les mesures mentionnées dans cette ordonnance sur le territoire de la région bilingue de Bruxelles-Capitale.
Même si le législateur ordonnanciel vise, par l’ordonnance du 7 avril 2022, à lutter contre une situation d’urgence de fait et à en limiter les conséquences, l’habilitation et les mesures
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qu’elle contient ne reviennent aucunement à déclarer un état d’urgence tel que visé en B.15.2, par lequel la Constitution ou l’une de ses dispositions serait rendue temporairement inopérante.
B.15.4. Par conséquent, le second moyen dans l’affaire no 7830 et le premier moyen dans l’affaire n° 7875 ne sont pas fondés, en ce que les parties requérantes allèguent que l’ordonnance du 7 avril 2022 suspend totalement ou partiellement la Constitution.
II. Le principe de légalité
B.16. Dans le premier moyen dans l’affaire n° 7875, les parties requérantes font valoir en substance que l’ordonnance du 7 avril 2022 porte atteinte au principe de légalité formelle et matérielle contenu dans les articles 12, 19, 22, 23, 26 et 27 de la Constitution. Les droits et libertés fondamentaux concernés seraient considérablement limités et réglés par l’ordonnance du 7 avril 2022, sans que le législateur ordonnanciel ait fixé tous les éléments essentiels.
Ensuite, le législateur ordonnanciel aurait déterminé de manière trop vague et imprécise les mesures que le Collège réuni peut imposer.
B.17.1. L’article 22 de la Constitution réserve au législateur compétent le pouvoir de fixer dans quels cas et à quelles conditions il peut être porté atteinte au droit au respect de la vie privée. Il garantit ainsi à tout citoyen qu’aucune ingérence dans l’exercice de ce droit ne peut avoir lieu qu’en vertu de règles adoptées par une assemblée délibérante, démocratiquement élue.
Une délégation à un autre pouvoir n’est toutefois pas contraire au principe de légalité formelle, pour autant que l’habitation soit définie de manière suffisamment précise et qu’elle porte sur l’exécution de mesures dont les éléments essentiels ont été fixés préalablement par le législateur.
B.17.2. L’article 13/2, § 1er, de l’ordonnance du 19 juillet 2007, inséré par l’article 2 de l’ordonnance du 7 avril 2022, contient une liste limitative des catégories de mesures que le Collège réuni peut imposer en vue de prévenir ou de limiter la propagation de la COVID-19.
Ces mesures sont définies de manière suffisamment précise par le législateur ordonnanciel, à
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savoir régler, limiter ou interdire l’accès à certains endroits et les rassemblements à des endroits spécifiques ou dans des circonstances spécifiques, régler ou limiter les déplacements ainsi que prendre des mesures en vue de protéger la santé à des endroits spécifiques ou dans des circonstances spécifiques en vue de prévenir, de ralentir ou d’arrêter la propagation du virus SARS-CoV-2, comme le maintien d’une certaine distance par rapport aux autres personnes, le port d’un équipement de protection individuel ou des règles relatives à l’hygiène des mains. Il ne peut être reproché au législateur ordonnanciel de ne mentionner, en ce qui concerne cette dernière catégorie, que certaines mesures spécifiques, à titre d’exemple. Le législateur décrétal a pu considérer que ces mesures doivent pouvoir être adaptées aux caractéristiques de la maladie potentiellement imprévisible qui est à l’origine du risque épidémiologique contre lequel il convient de lutter et que la nature de ces mesures est liée à l’état des connaissances scientifiques disponibles au moment où ces mesures doivent être prises.
Par ailleurs, l’ordonnance du 7 avril 2022 précise suffisamment les circonstances dans lesquelles ces mesures peuvent être imposées, notamment après que le Collège réuni a constaté que la situation épidémiologique de la région bilingue de Bruxelles-Capitale l’exige.
Contrairement à ce que font valoir les parties requérantes, cette décision par laquelle la situation épidémiologique est constatée sera effectivement formalisée dans un arrêté, qui pourra ensuite faire l’objet d’un recours devant la juridiction compétente. Cette situation épidémiologique doit être examinée sur la base de critères qui ont également été déterminés de manière suffisamment précise dans l’ordonnance du 7 avril 2022. Le législateur ordonnanciel a pu habiliter le Collège réuni à préciser le taux de positivité et de vaccination qui doit être atteint pour que les mesures soient justifiées. Ensuite, en vertu de l’ordonnance du 7 avril 2022, ces mesures peuvent être imposées pour une période renouvelable d’au maximum trois mois et au plus tard jusqu’à ce que l’Organisation mondiale de la santé déclare la fin de l’état de pandémie de COVID-19.
Par conséquent, les éléments essentiels des mesures à prendre par le Collège réuni sont déterminés de manière suffisante, de sorte qu’il est satisfait au principe de légalité formelle contenu dans l’article 22 de la Constitution.
B.18.1. Outre l’exigence de légalité formelle, l’article 22 de la Constitution impose que l’ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée soit définie en des termes clairs
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et suffisamment précis qui permettent d’appréhender de manière prévisible les hypothèses dans lesquelles le législateur autorise une pareille ingérence.
B.18.2. L’ordonnance du 7 avril 2022 ne donne pas immédiatement lieu à des mesures limitant les droits et libertés, étant donné que l’article 13/2, § 1er, de l’ordonnance du 19 juillet 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 2 de l’ordonnance du 7 avril 2022, se borne à déléguer au Collège réuni la compétence de prendre de telles mesures. Il appartient au Collège réuni, sous le contrôle du juge compétent, de formuler ces mesures en des termes clairs et suffisamment précis.
B.18.3. Partant, la critique formulée par les parties requérantes doit être considérée, en réalité, comme une critique dirigée contre les mesures à prendre par le Collège réuni. Or, la Cour n’est pas compétente pour connaître des modalités d’exécution de dispositions législatives.
B.18.4. L’ordonnance du 7 avril 2022 ne viole pas le principe de légalité matérielle contenu dans l’article 22 de la Constitution.
B.19.1. Sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les articles 12, 19, 23, 26 et 27 de la Constitution contiennent un principe de légalité similaire à celui qui est contenu dans l’article 22 de la Constitution, il suffit de constater que l’examen de ces dispositions ne saurait conduire à un autre résultat.
B.19.2. Le premier moyen dans l’affaire n° 7875 n’est pas fondé.
B.20. Dans le troisième moyen dans l’affaire n° 7875, les parties requérantes font valoir en substance que l’ordonnance du 7 avril 2022 porte atteinte au principe de légalité en matière pénale, en ce que l’ordonnance attaquée détermine de manière insuffisamment précise les comportements punissables.
B.21.1. L’article 12, alinéa 2, de la Constitution dispose :
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« Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu’elle prescrit ».
B.21.2. L’article 14 de la Constitution dispose :
« Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu d’une loi ».
B.21.3. L’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ».
B.21.4. L’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose :
« Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où
l’infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l’application d’une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier ».
B.22.1. En vertu de l’article 13/2, § 4, alinéa 2, de l’ordonnance du 19 juillet 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 2 de l’ordonnance du 7 avril 2022, « est punie d’une amende de 50 à 500 euros la personne qui ne respecte pas les mesures imposées ».
B.22.2. Dès lors que les peines se trouvent fixées dans la disposition législative précitée, l’article 14 de la Constitution, qui consacre le principe de la légalité des peines, n’est pas violé.
B.23.1. En ce qu’ils exigent que toute infraction soit prévue par une norme suffisamment claire, prévisible et accessible, l’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont une portée analogue à celle de l’article 12, alinéa 2, de la Constitution. Les garanties fournies par ces dispositions, qui visent l’aspect substantiel du principe de légalité des incriminations, forment dès lors, dans cette mesure, un tout indissociable.
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B.23.2. En attribuant au pouvoir législatif la compétence de déterminer dans quels cas des poursuites pénales sont possibles, l’article 12, alinéa 2, de la Constitution garantit à tout justiciable qu’aucun comportement ne sera punissable qu’en vertu de règles adoptées par une assemblée délibérante, démocratiquement élue.
En outre, le principe de légalité en matière pénale qui découle de la disposition constitutionnelle et des dispositions internationales précitées procède de l’idée que la loi pénale doit être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est punissable ou non. Il exige que le législateur indique, en des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique, quels faits sont sanctionnés, afin, d’une part, que celui qui adopte un comportement puisse évaluer préalablement, de manière satisfaisante, quelle sera la conséquence pénale de ce comportement et afin, d’autre part, que ne soit pas laissé au juge un trop grand pouvoir d’appréciation.
Toutefois, le principe de légalité en matière pénale n’empêche pas que la loi attribue un pouvoir d’appréciation au juge. Il faut en effet tenir compte du caractère de généralité des lois, de la diversité des situations auxquelles elles s’appliquent et de l’évolution des comportements qu’elles répriment.
La condition qu’une infraction doit être clairement définie par la loi se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les juridictions, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.
Ce n’est qu’en examinant une disposition pénale spécifique qu’il est possible de déterminer, en tenant compte des éléments propres aux infractions qu’elle entend réprimer, si les termes généraux utilisés par le législateur sont à ce point vagues qu’ils méconnaîtraient le principe de légalité en matière pénale.
B.23.3. Par ailleurs, le principe de légalité en matière pénale ne va pas jusqu’à obliger le législateur à régler lui-même chaque aspect de l’incrimination. Une délégation à une autre autorité n’est pas contraire à ce principe, pour autant que l’habilitation soit définie de manière
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suffisamment précise et porte sur l’exécution de mesures dont les éléments essentiels ont été fixés préalablement par le législateur.
B.24.1. L’objectif général de l’ordonnance du 7 avril 2022 consiste à prévenir ou à limiter la propagation de la COVID-19. Afin « de pouvoir agir avec rapidité et réactivité à une situation sanitaire évolutive » (Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2021-2022, B-109/1, p. 3), le législateur ordonnanciel a laissé au Collège réuni le soin d’imposer des mesures en vue d’éviter ou de limiter la propagation de la COVID-19, et ce, dans le cadre légal fixé par l’ordonnance du 7 avril 2022.
B.24.2. Le législateur ordonnanciel a lui-même déterminé le comportement punissable, à savoir le non-respect des mesures qui sont imposées par le Collège réuni en vertu de l’article 13/2 de l’ordonnance du 19 juillet 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 2 de l’ordonnance du 7 avril 2022, en cas d’urgence épidémique, en vue de prévenir ou de limiter la propagation de la COVID-19. Cette même disposition contient une liste de catégories de mesures qui peuvent être imposées par le Collège réuni. Comme il est dit en B.17.2, le législateur ordonnanciel a défini ces mesures d’une manière suffisamment précise et a suffisamment précisé les circonstances dans lesquelles et pour quelle période ces mesures peuvent être imposées.
B.24.3. Compte tenu du contexte de la pandémie, de l’évolution constante des circonstances, des incertitudes à ce sujet et de la technicité des mesures à prendre, l’article 13/2
de l’ordonnance du 19 juillet 2007, tel qu’il a été inséré par l’article 2 de l’ordonnance du 7 avril 2022, délimite suffisamment l’action du pouvoir exécutif. La lecture combinée de cette disposition avec les arrêtés du Collège réuni pris en exécution de cette ordonnance permet d’établir que tel comportement est incriminé dans la situation visée et que tel autre ne l’est pas, dans la mesure où les arrêtés d’exécution sont rédigés dans des termes suffisamment clairs et précis – ce qui relève de l’appréciation du juge compétent.
B.24.4. Dès lors que le législateur ordonnanciel a précisé lui-même l’objectif de l’habilitation attaquée et les limites dans lesquelles elle a été accordée, ainsi que le comportement jugé infractionnel, les composantes essentielles de l’incrimination ont été fixées
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par l’ordonnance du 7 avril 2022, de sorte qu’il est satisfait au principe de légalité contenu dans l’article 12, alinéa 2, de la Constitution.
En outre, les mesures prises par le Collège réuni peuvent être contestées devant le Conseil d’État, section du contentieux administratif, et devant les cours et tribunaux ordinaires, qui jugeront si elles respectent le principe de légalité matérielle, le principe de légitimité et le principe de proportionnalité.
B.25. Le troisième moyen dans l’affaire n° 7875 n’est pas fondé.
III. Les droits économiques, sociaux et culturels
B.26. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7830 font valoir dans leur premier moyen que l’article 2 de l’ordonnance du 7 avril 2022 porte atteinte à l’article 23 de la Constitution, en ce que les mesures mentionnées dans cette disposition aboutissent à une réduction de la capacité de travail et de la productivité au travail, à une baisse de la qualité de la vie sociale et à une restriction de l’accès à la vie culturelle, sans que des motifs d’intérêt général le justifient.
B.27.1. L’article 23 de la Constitution dispose :
« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
Ces droits comprennent notamment :
1° le droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle dans le cadre d’une politique générale de l’emploi, visant entre autres à assurer un niveau d’emploi aussi stable et élevé que possible, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, ainsi que le droit d’information, de consultation et de négociation collective;
[...]
5° le droit à l’épanouissement culturel et social;
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[...] ».
B.27.2. L’article 23, alinéa 1er, de la Constitution dispose que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine et l’alinéa 3, 1° et 5°, inscrit parmi les droits économiques, sociaux et culturels « le droit au travail » et « le droit à l’épanouissement culturel et social ». Cette disposition ne précise pas ce qu’impliquent ces droits, dont seul le principe est exprimé, étant donné que chaque législateur est chargé de garantir ces droits, conformément à l’article 23, alinéa 2, « en tenant compte des obligations correspondantes ». Le législateur compétent peut, à cet égard, limiter ces droits. Ces restrictions ne sont inconstitutionnelles que si elles ne sont pas raisonnablement justifiées.
B.27.3. Les droits garantis par l’article 23 de la Constitution ne sont pas compromis par une disposition ordonnancielle qui habilite le Collège réuni à imposer les mesures mentionnées dans cette disposition sur le territoire de la région bilingue de Bruxelles-Capitale en vue de prévenir ou de limiter la propagation de la COVID-19.
La disposition attaquée contribue à éviter que le secteur des soins de santé, et en particulier les hôpitaux, soit soumis à une pression trop importante en raison d’une augmentation des contaminations à la COVID-19. Cette disposition garantit de ce fait le droit à la protection de la santé et à l’assistance médicale des personnes qui nécessitent des soins médicaux lourds et pour lesquelles une telle assistance est donc la plus urgente.
À cet égard, il y a par ailleurs lieu de relever, comme il est dit en B.12.2, que, lorsqu’un législateur délègue, il faut supposer, sauf indications contraires, qu’il entend exclusivement habiliter le délégué à faire de son pouvoir un usage conforme à la Constitution. C’est à la section du contentieux administratif du Conseil d’État et aux cours et tribunaux ordinaires qu’il appartient de contrôler dans quelle mesure le délégué aurait excédé les termes de l’habilitation qui lui a été conférée.
La violation alléguée des droits contenus dans l’article 23 de la Constitution ne réside donc pas dans la disposition attaquée mais pourrait uniquement résulter de la manière dont le Collège réuni ferait usage de l’habilitation qui lui est conférée.
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B.27.4. Le premier moyen dans l’affaire n° 7830 n’est pas fondé.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette les recours.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 9 novembre 2023.
Le greffier, Le président,
N. Dupont L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 143/2023
Date de la décision : 09/11/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-11-09;143.2023 ?

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