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19/10/2023 | BELGIQUE | N°141/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 19 octobre 2023, 141/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 141/2023
du 19 octobre 2023
Numéro du rôle : 7954
En cause : la question préjudicielle relative aux articles 2.12.3.0.1, 2.12.4.0.1 et 3.3.1.0.15
du Code flamand de la fiscalité du 13 décembre 2013, posée par le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand.
La Cour constitutionnelle,
composée de la juge J. Moerman, faisant fonction de présidente, du président P. Nihoul, et des juges T. Giet, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters et W. Verrijdt, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par la

juge J. Moerman,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la qu...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 141/2023
du 19 octobre 2023
Numéro du rôle : 7954
En cause : la question préjudicielle relative aux articles 2.12.3.0.1, 2.12.4.0.1 et 3.3.1.0.15
du Code flamand de la fiscalité du 13 décembre 2013, posée par le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand.
La Cour constitutionnelle,
composée de la juge J. Moerman, faisant fonction de présidente, du président P. Nihoul, et des juges T. Giet, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters et W. Verrijdt, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par la juge J. Moerman,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 20 février 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 17 mars 2023, le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand, a posé la question préjudicielle suivante :
« Les articles 2.12.3.0.1, 2.12.4.0.1 et 3.3.1.0.15 du Code flamand de la fiscalité, interprétés en ce sens que les redevables qui proposent exclusivement des jeux et paris autres que les jeux de casino ne peuvent pas reporter et imputer sur les périodes de déclaration suivantes les pertes (à savoir le solde négatif résultant de la compensation du montant des gains avec le montant de la mise) subies au cours d’une période de déclaration, sont-ils compatibles avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- la SA « PMU Belge », assistée et représentée par Me Y. Spiegl, Me E. Van Nuffel et Me L. De Smet, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me B. Martel, Me K. Caluwaert et Me Q. Jacobs, avocats au barreau de Bruxelles.
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Par ordonnance du 12 juillet 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Y. Kherbache et M. Pâques, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 1er septembre 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 1er septembre 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
La SA « PMU Belge », partie demanderesse devant la juridiction a quo, est agréée par la Commission des jeux de hasard comme opérateur de paris et organise des paris sur des courses hippiques et des compétitions sportives. Un litige est né entre la SA « PMU Belge » et l’administration fiscale flamande (Vlaamse Belastingdienst) au sujet de la décision de cette dernière de refuser que, lors du calcul de la taxe due sur les paris sportifs, les pertes subies par la SA « PMU Belge » au cours du mois de novembre 2020 soient déduites des recettes du mois de décembre 2020.
Dans le cadre de ce litige, le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand, qui est la juridiction a quo, observe « qu’il se peut que l’application des articles 2.12.3.0.1, 2.12.4.0.1 et 3.3.1.0.15 du Code flamand de la fiscalité fasse naître une discrimination entre les personnes qui proposent des jeux autres que les jeux de casino, selon que les bénéfices effectivement distribués pour les jeux et paris sont compensés ou non par les sommes ou mises engagées à l’occasion des jeux et paris concernés ».
C’est dans ces circonstances que la juridiction a quo, à la demande de la partie demanderesse, pose la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1.1. La SA « PMU Belge », partie demanderesse devant la juridiction a quo, fait valoir que les articles 2.12.3.0.1, 2.12.4.0.1 et 3.3.1.0.15 du Code flamand de la fiscalité du 13 décembre 2013 (ci-après : le Code flamand de la fiscalité) font naître plusieurs différences de traitement, lesquelles ne peuvent être justifiées ni par la qualité des redevables, ni par la nature de leurs revenus, ni par la base imposable.
A.1.2. Premièrement, les dispositions en cause font naître une différence de traitement entre les organisateurs de paris sur le même événement sportif, en ce qui concerne le taux des taxes sur les revenus provenant des paris.
En fonction du moment où les joueurs perçoivent leurs gains, la taxe sera chez certains organisateurs plus élevée que le taux légal de 15 %. Si la perte subie par un organisateur de paris lors d’un mois déterminé n’est pas compensée par les revenus des mois suivants, cet organisateur est taxé plus lourdement qu’un organisateur de paris qui, dans le courant de l’exercice d’imposition, a obtenu des revenus similaires mais sans perte dans la déclaration mensuelle. Cette différence de traitement selon que les bénéfices distribués excèdent ou non les sommes engagées pour un mois déterminé ne repose pas sur un critère objectif raisonnablement justifié.
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Selon la partie demanderesse devant la juridiction a quo, cette discrimination résulte non pas du libellé des dispositions en cause, mais bien de l’interprétation que l’administration flamande donne à celles-ci.
L’article 3.3.2.0.1 du Code flamand de la fiscalité définit en effet l’exercice d’imposition et la période imposable comme étant l’année dans laquelle les jeux et paris « donnant lieu à la taxe [...] ont cours ». Pour déterminer la base imposable, il convient donc de tenir compte du gain obtenu durant l’exercice d’imposition concerné. La Région flamande se fonde toutefois sur l’article 3.3.1.0.15 du Code flamand de la fiscalité, qui dispose que la déclaration fiscale doit être effectuée mensuellement, pour justifier l’allégation selon laquelle il ne saurait être question de déduire ou de reporter les pertes lors du calcul du montant imposable. Or, cette disposition règle uniquement les obligations de déclaration et ne vise pas à déroger à la base imposable ni à la période imposable.
Ce point de vue est confirmé par l’article 2.12.7.0.1 du Code flamand de la fiscalité, qui dispose que, si le redevable n’a pas introduit la déclaration mensuelle, la taxe est due conformément à l’article 3.3.2.0.1 du même Code, c’est-
à-dire pour l’année dans laquelle les jeux et paris « donnant lieu à la taxe [...] ont cours ». Si le législateur décrétal avait voulu établir la période imposable de la taxe sur les jeux et paris de manière mensuelle pour limiter les risques de détournement, il n’aurait pas prévu d’exception pour les redevables qui ne respectent pas leur obligation d’effectuer une déclaration mensuelle. Il y a donc lieu de distinguer la déclaration et le paiement de la taxe, qui se font mensuellement, et la période imposable, qui porte sur une année. L’imputation des pertes sur la période suivante permet de respecter l’obligation fiscale pour la période imposable annuelle, alors que la déclaration et la déduction fiscales se font sur une base mensuelle.
La partie demanderesse devant la juridiction a quo souligne en outre que le risque de manipulation de la base imposable par le redevable qui doit payer la taxe sur les jeux et paris est inexistant. Les redevables n’ont en effet aucun contrôle sur le moment où les joueurs font leur mise ou perçoivent leurs gains.
A.1.3. Deuxièmement, les dispositions en cause créent une différence de traitement entre les exploitants qui proposent des paris sur plusieurs catégories d’événements sportifs et les exploitants qui proposent des paris sur une seule catégorie d’événements sportifs. La Région flamande établit en effet une distinction entre les revenus tirés de paris sur des courses hippiques, d’une part, et les revenus tirés de paris sur d’autres événements sportifs, d’autre part. Cette interprétation de l’article 2.12.3.0.1 du Code flamand de la fiscalité a pour conséquence que le redevable qui organise des paris sur des courses hippiques et autres événements sportifs risque de payer davantage de taxes que celui qui n’organise des paris que sur des courses hippiques, même s’ils génèrent au total les mêmes gains. Cette différence de traitement entre des situations identiques n’est pas justifiée.
A.1.4. Troisièmement, l’application des dispositions en cause fait naître une différence de traitement entre les personnes qui proposent des jeux et paris autres que des jeux de casino et les redevables qui proposent des jeux de casino, en ce que seuls ces derniers peuvent reporter leurs pertes d’un jour sur les jours suivants, en vertu de l’article 2.12.3.0.1, alinéa 4, du Code flamand de la fiscalité. Cette différence de traitement ne repose sur aucun critère objectif qui puisse être raisonnablement justifié.
A.2.1. Le Gouvernement flamand fait valoir qu’il ressort de la décision de renvoi que la constitutionnalité des dispositions en cause n’est mise en question qu’en ce qu’il en découle que la taxe sur les jeux et paris est levée sur une base mensuelle et que des résultats négatifs ne peuvent pas être imputés sur des résultats positifs dans une période de déclaration suivante. Le véritable problème concerne donc la détermination de la base imposable de la taxe, telle qu’elle est réglée à l’article 2.12.3.0.1 du Code flamand de la fiscalité, lu en combinaison avec l’article 3.3.1.0.12 du même Code, qui prévoit une obligation de déclaration mensuelle. L’article 2.12.4.0.1 du Code flamand de la fiscalité, qui concerne le taux de la taxe, ne fait en revanche pas l’objet d’une discussion dans le litige au fond.
Par conséquent, la question préjudicielle, en ce qu’elle porte sur la constitutionnalité de l’article 2.12.4.0.1
du Code flamand de la fiscalité, n’est pas utile à la solution du litige au fond.
A.2.2. Le Gouvernement flamand fait valoir en outre que la question préjudicielle est irrecevable, dès lors que son libellé ne permet pas de déduire quelles sont les catégories de personnes à comparer. En effet, la question préjudicielle fait état d’une prétendue discrimination des « redevables qui proposent exclusivement des jeux et paris autres que les jeux de casino », mais elle ne mentionne pas une seconde catégorie de personnes avec laquelle une comparaison pertinente pourrait être établie.
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A.2.3. En ordre subsidiaire, le Gouvernement flamand considère que la question préjudicielle concerne une prétendue différence de traitement à l’égard des « personnes qui proposent des jeux autres que les jeux de casino »
sur le plan du calcul de la base imposable de la taxe sur les jeux et paris. La juridiction a quo semble considérer que les personnes qui proposent des jeux autres que les jeux de casino seraient traitées différemment selon que celles-ci enregistrent des résultats positifs ou des résultats négatifs lors d’une période de déclaration déterminée.
Plus particulièrement, il serait discriminatoire que les personnes qui proposent des jeux autres que les jeux de casino et qui enregistrent des résultats négatifs au cours d’une période de déclaration déterminée ne puissent pas reporter ces pertes sur les périodes de déclaration suivantes. La juridiction a quo semble considérer que ceci peut avoir pour conséquence que les personnes relevant de cette catégorie soient soumises, pendant une année d’imposition, à une pression fiscale plus élevée que les personnes qui proposent des jeux autres que les jeux de casino et qui, pendant l’année d’imposition, ont réalisé des résultats identiques, mais davantage étalés sur plusieurs périodes de déclaration, de sorte qu’elles ne sont pas confrontées à des pertes lors des périodes de déclaration.
Selon le Gouvernement flamand, cette différence de traitement ne découle pas des dispositions en cause.
Celles-ci traitent en effet les « personnes qui proposent des jeux autres que les jeux de casino » de manière strictement identique, tant en ce qui concerne la base imposable qu’en ce qui concerne le taux et la déclaration. Le simple constat qu’un redevable qui enregistre toujours des résultats positifs tout au long des différentes périodes de déclaration lors d’une période imposable devra éventuellement payer moins de taxes en comparaison d’un redevable qui, durant cette période imposable, génère les mêmes gains mais enregistre un résultat négatif lors d’une période de déclaration déterminée est une donnée purement factuelle. Une telle situation de fait, qui est en outre purement hypothétique et qui découle du caractère incertain du résultat des jeux et paris, ne constitue pas une différence de traitement que la Cour peut contrôler.
En tout état de cause, le Gouvernement flamand estime que cette différence de traitement est raisonnablement justifiée. Le législateur décrétal a posé un choix politique tout à fait légitime en ne prenant en compte, pour le calcul de la base imposable, que le gain par période de déclaration. Le législateur décrétal n’est nullement tenu de prévoir la déduction ou le report de résultats négatifs lors du calcul de la base imposable. À cet égard, il y a lieu de tenir compte également des objectifs particuliers qui sous-tendent la taxe sur les jeux et paris, à savoir la volonté de décourager les jeux de hasard et d’éviter que les établissements de jeux de hasard enregistrent des bénéfices disproportionnés. Il faut également tenir compte du fait que le secteur des jeux de hasard est exposé à la fraude.
Dans ce contexte, il existe un risque réel de malversations fiscales si des revenus importants s’accumulent sans être soumis à une imposition. En outre, la possibilité de reporter un résultat négatif sur une période de déclaration suivante et de l’imputer sur cette période risquerait de vider de sa substance la ratio legis de la taxe sur les jeux et paris. En effet, les redevables pourraient, pour des motifs purement fiscaux, étaler leurs dépenses et ainsi minimiser leur propre base imposable voire la réduire à zéro.
À la lumière de ces éléments, le législateur décrétal a jugé opportun de lever la taxe sur les jeux et paris de manière mensuelle. Cette déclaration mensuelle a pour conséquence évidente que, lorsqu’un redevable enregistre un résultat négatif lors d’un mois déterminé, la taxe s’élève à zéro. Étant donné qu’aucune disposition ne prévoit la possibilité de reporter un résultat négatif, le redevable ne peut pas déduire ce résultat négatif de la base imposable lors d’une période de déclaration suivante. Compte tenu de ce qui précède, le principe constitutionnel d’égalité (en matière fiscale) ne permet pas de déduire la moindre obligation pour le législateur décrétal de prévoir la possibilité de reporter un résultat négatif sur une période de déclaration suivante. C’est d’autant plus vrai que ni la question préjudicielle ni la décision de renvoi n’établissent une comparaison avec des redevables qui, eux, pourraient faire usage d’une telle possibilité de report.
A.2.4. Dans la mesure où la SA « PMU Belge » demanderait à la Cour d’étendre le champ et la portée de la question préjudicielle à de prétendues discriminations entre « des paris sur des courses hippiques, d’une part, et tous les paris sur d’autres événements sportifs, d’autre part », et entre « les casinos et tous les autres exploitants de jeux de hasard », il y a lieu de conclure, selon le Gouvernement flamand, qu’une telle demande n’est pas autorisée. En effet, la portée d’une question préjudicielle ne peut être modifiée ni par la Cour elle-même ni par ou à la demande d’une des parties.
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-B-
B.1.1. La question préjudicielle porte sur les articles 2.12.3.0.1, 2.12.4.0.1 et 3.3.1.0.15 du Code flamand de la fiscalité du 13 décembre 2013 (ci-après : le Code flamand de la fiscalité), qui concernent respectivement la base imposable, le taux et la déclaration de la taxe sur les jeux et paris.
B.1.2. Il ressort de la décision de renvoi que la question préjudicielle porte uniquement sur la base imposable de la taxe sur les jeux et paris pour les jeux et paris autres que les jeux de casino, telle qu’elle figure à l’article 2.12.3.0.1, § 1er, alinéas 1er et 2, du Code flamand de la fiscalité, lu en combinaison avec l’obligation de déclaration mensuelle contenue dans l’article 3.3.1.0.15, alinéa 1er, du Code flamand de la fiscalité. La Cour limite son examen à ces dispositions, qui sont libellées comme suit :
« Art. 2.12.3.0.1. § 1er. La taxe sur les jeux et les paris est levée sur les gains des jeux et des paris, en ce inclus ceux qui sont engagés via des instruments de la société de l’information, tels que visés à l’article 2, 10°, de la Loi sur les jeux de hasard du 7 mai 1999.
Dans l’alinéa premier il faut entendre par gain : le montant des sommes ou mises engagées à l’occasion des jeux et paris concernés, diminué des bénéfices effectivement distribués pour ces jeux et paris. Cette disposition s’applique également aux sommes ou mises engagées dans des cercles privés ».
« Art. 3.3.1.0.15. Pour l’application du titre 2, chapitre 12, le contribuable introduit au plus tard le cinquième jour ouvrable du mois auprès de l’entité compétente une déclaration pour les opérations réalisées dans le mois précédent ».
B.2. La juridiction a quo demande à la Cour si les dispositions en cause, « [interprétées]
en ce sens que les redevables qui proposent exclusivement des jeux et paris autres que les jeux de casino ne peuvent pas reporter et imputer sur les périodes de déclaration suivantes les pertes (à savoir le solde négatif résultant de la compensation du montant des gains avec le montant de la mise) subies au cours d’une période de déclaration », sont compatibles avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
B.3.1. La partie demanderesse devant la juridiction a quo conteste l’interprétation que la juridiction a quo donne, à l’instar de l’administration fiscale flamande, aux dispositions en cause. Elle estime que, pour déterminer la base imposable, il y a lieu de tenir compte du gain
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obtenu lors de l’exercice d’imposition concerné et non du gain obtenu dans la période de déclaration mensuelle concernée. Dans cette interprétation des dispositions en cause, les pertes subies lors d’une période de déclaration pourraient effectivement être reportées sur une autre période de déclaration dans la même période imposable.
B.3.2. Sous réserve d’une lecture manifestement erronée des dispositions en cause, il revient en règle à la juridiction a quo d’interpréter les dispositions qu’elle applique.
L’interprétation mentionnée en B.2, qui correspond à la position administrative de l’administration fiscale flamande n° 21044 du 19 juillet 2021, n’est pas manifestement erronée, en l’absence d’une disposition prévoyant que les pertes subies lors d’une période de déclaration peuvent être reportées sur une autre période de déclaration au cours de la même période imposable. La Cour répond dès lors à la question préjudicielle dans l’interprétation soumise par la juridiction a quo.
B.4.1. Selon le Gouvernement flamand, la question préjudicielle est irrecevable parce que la juridiction a quo n’indique pas quelles sont les catégories de personnes à comparer. En ordre subsidiaire, le Gouvernement flamand estime qu’à supposer même qu’il puisse être question d’une différence de traitement entre les personnes qui proposent des jeux et paris autres que les jeux de casino, en ce qui concerne les taxes qui seront finalement dues lors d’un exercice d’imposition, la différence de traitement précitée ne découlerait pas des dispositions en cause, qui traitent en effet de la même manière les catégories de redevables comparées, mais bien d’une donnée purement factuelle.
B.4.2. Il ressort de la motivation du jugement de renvoi que la juridiction a quo compare les personnes qui proposent des jeux et paris autres que les jeux de casino et qui ont subi des pertes au cours d’une période de déclaration avec les personnes qui proposent des jeux et paris autres que les jeux de casino et qui, au cours de la même période imposable, ont obtenu les mêmes gains mais n’ont subi des pertes lors d’aucune période de déclaration. Dès lors que les personnes qui relèvent de la première catégorie ne peuvent pas reporter leurs pertes sur une autre période de déclaration au cours de la même période imposable, celles-ci seraient soumises, dans cette période imposable, à une pression fiscale plus élevée que les personnes qui relèvent de la seconde catégorie.
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La question préjudicielle doit dès lors être interprétée en ce sens qu’il est demandé à la Cour si les articles 2.12.3.0.1 et 3.3.1.0.15 du Code flamand de la fiscalité font naître une différence de traitement injustifiée entre les catégories de personnes précitées, en ce qu’ils ne prévoient pas la possibilité de reporter les pertes d’une période de déclaration sur une autre période de déclaration au cours de la même période imposable.
Dans cette interprétation, la différence de traitement décrite dans la question préjudicielle découle des dispositions en cause. Il ressort des mémoires de la partie demanderesse devant la juridiction a quo et du Gouvernement flamand que ceux-ci ont compris la question préjudicielle en ce sens et ont ainsi pu mener une défense utile.
B.4.3. Les exceptions soulevées par le Gouvernement flamand sont rejetées.
B.5. La partie demanderesse devant la juridiction a quo fait valoir, dans les mémoires qu’elle a introduits devant la Cour, que les dispositions en cause font également naître une différence de traitement entre les exploitants qui proposent des paris sur plusieurs catégories d’événements sportifs et les exploitants qui proposent des paris sur une seule catégorie d’événements sportifs, en ce que la taxe est calculée de manière distincte pour les différentes catégories d’événements sportifs. En outre, les dispositions en cause feraient naître une différence de traitement entre les personnes qui proposent des jeux et paris autres que les jeux de casino et les redevables qui proposent des jeux de casino, en ce que seuls ces derniers peuvent reporter leurs pertes d’un jour sur les jours suivants.
Dès lors que les parties devant la Cour ne peuvent modifier, faire modifier ou étendre la portée de la question préjudicielle, la Cour n’a pas à examiner ces comparaisons supplémentaires.
B.6.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de
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non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.6.2. L’article 172, alinéa 1er, de la Constitution constitue une application particulière, en matière fiscale, du principe d’égalité et de non-discrimination inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution.
B.7. Il appartient au législateur d’établir la base de l’impôt. Il dispose en la matière d’une large marge d’appréciation. En effet, les mesures fiscales constituent un élément essentiel de la politique socioéconomique. Elles assurent non seulement une part substantielle des recettes qui doivent permettre la réalisation de cette politique, mais elles permettent également au législateur d’orienter certains comportements et d’adopter des mesures correctrices afin de donner corps à la politique sociale et économique.
Les choix sociaux qui doivent être réalisés lors de la collecte et de l’affectation des ressources relèvent par conséquent du pouvoir d’appréciation du législateur. La Cour ne peut sanctionner un tel choix politique et les motifs qui le fondent que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou s’ils sont déraisonnables.
B.8. En outre, le législateur fiscal ne peut pas prendre en compte les particularités des divers cas d’espèce. Il ne peut appréhender leur diversité que de manière approximative et simplificatrice.
B.9.1. La différence de traitement en cause repose sur l’existence ou non de pertes au cours d’une période de déclaration, ce qui constitue un critère objectif. La Cour doit examiner si ce critère est pertinent au regard de l’objectif poursuivi par le législateur décrétal et si la différence de traitement ne produit pas des effets disproportionnés.
B.9.2. La taxe sur les jeux et paris a pour objectif « d’éviter que les établissements de jeux de hasard enregistrent des bénéfices disproportionnés et de lutter contre les effets néfastes des jeux de hasard sur la société » (Doc. parl., Parlement flamand, 2017-2018, n° 1663/1, pp. 12-
13). En outre, le législateur décrétal a voulu tenir compte des gains importants générés dans le secteur et du risque de fraude auquel celui-ci est confronté (ibid., p. 23).
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Au regard de ces objectifs, il est pertinent que le législateur décrétal ait prévu une obligation de déclaration mensuelle de la taxe sur les jeux et paris ainsi que l’impossibilité de reporter les pertes subies lors d’une période de déclaration sur les périodes de déclaration suivantes.
B.9.3. Enfin, les dispositions en cause ne produisent pas des effets disproportionnés pour les redevables qui proposent exclusivement des jeux et paris autres que les jeux de casino et qui ont subi des pertes au cours d’une période de déclaration, dès lors que, pour ce mois, ils ne doivent pas payer des taxes pour la catégorie de paris concernée. En outre, il n’apparaît pas que l’impossibilité de reporter ces pertes sur les périodes de déclaration suivantes au cours de la même période imposable entraîne une pression fiscale disproportionnée.
B.10. Les articles 2.12.3.0.1 et 3.3.1.0.15 du Code flamand de la fiscalité sont compatibles avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
Les articles 2.12.3.0.1 et 3.3.1.0.15 du Code flamand de la fiscalité du 13 décembre 2013
ne violent pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 octobre 2023.
Le greffier, La présidente f.f.,
F. Meersschaut J. Moerman


Synthèse
Numéro d'arrêt : 141/2023
Date de la décision : 19/10/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 01/11/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-10-19;141.2023 ?

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