Cour constitutionnelle
Arrêt n° 139/2023
du 19 octobre 2023
Numéro du rôle : 7923
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 335, §§ 3 et 4, de l’ancien Code civil, posées par le tribunal de la famille du Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée de la juge J. Moerman, faisant fonction de présidente, du président P. Nihoul, et des juges D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par la juge J. Moerman,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par jugement du 9 janvier 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 31 janvier 2023, le tribunal de la famille du Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes :
« 1. L’article 335, § 3, de l’ancien Code civil viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il ne permet pas à l’enfant majeur qui a introduit avec succès une action en contestation de paternité (et simultanément une action en recherche de paternité) et est ensuite reconnu volontairement par le père biologique prétendu de porter le nom de ce dernier en faisant une déclaration à cette fin devant l’officier de l’état civil, alors que cette possibilité est ouverte aux enfants mineurs moyennant une déclaration de leurs parents ?
2. L’article 335, § 4, de l’ancien Code civil, lu en combinaison avec l’arrêt de la Cour constitutionnelle n° 50/2017 du 27 avril 2017, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il ne permet pas à l’enfant majeur qui a introduit avec succès une action en contestation de paternité et simultanément une action en recherche de paternité et qui, après que cette dernière action a été renvoyée au rôle particulier, a ensuite été reconnu volontairement par le père biologique prétendu de porter le nom de ce dernier, alors que cette possibilité est ouverte
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à l’enfant majeur qui a introduit avec succès une action en contestation de paternité et simultanément une action en recherche de paternité que le tribunal déclare ensuite fondée ? ».
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me J. Vanpraet, avocat au barreau de Flandre occidentale, a introduit un mémoire.
Par ordonnance du 12 juillet 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures J. Moerman et E. Bribosia, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins que le Conseil des ministres n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendu, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 1er septembre 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 1er septembre 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Depuis sa naissance le 21 décembre 1999, L.R. (anciennement L.B.) a un lien de filiation avec sa mère, à savoir B.R., et avec le conjoint que celle-ci avait à l’époque, à savoir D.B, dont il portait initialement le nom.
Le 16 décembre 2021, L.R. cite à comparaître devant le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles sa mère, son père légal et son père biologique prétendu, à savoir A.S. L.R. demande au Tribunal de dire pour droit que son père n’est pas D.B. mais bien A.S., et qu’il porte désormais le nom d’A.S.
Par jugement du 14 février 2022, le Tribunal déclare fondée l’action en contestation de la paternité de D.B., prend acte de la déclaration faite par L.R. selon laquelle il ne souhaite pas conserver le nom de D.B. et renvoie l’action en recherche de paternité au rôle particulier, et ce, parce que l’action en contestation et en recherche de paternité introduite par l’enfant majeur n’est pas une action dite « deux en un », c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une action sur laquelle il peut être statué simultanément. Depuis lors, L.R. porte le nom de sa mère.
Le 9 juin 2022, l’officier de l’état civil de la commune de Sint-Pieters-Leeuw dresse un acte de reconnaissance volontaire, établissant la paternité d’A.S. à l’égard de L.R.
Ensuite, L.R. demande au Tribunal de statuer sur le changement de son nom patronymique, ainsi qu’il est demandé dans la citation introductive. Le Tribunal constate que l’article 335, § 4, de l’ancien Code civil ne lui confère pas le pouvoir d’acter le nom choisi par le demandeur lorsque l’enfant est reconnu volontairement devant l’officier de l’état civil après avoir contesté avec succès la paternité du père légal. Le Tribunal considère ensuite qu’il s’indique de poser à la Cour les questions préjudicielles reproduites plus haut.
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III. En droit
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A.1. Le Conseil des ministres estime que la première question préjudicielle n’appelle pas de réponse parce que la réponse n’est pas utile à la solution du litige pendant devant la juridiction a quo. Il fait valoir que la question porte sur l’impossibilité pour une personne majeure de faire une déclaration de changement de nom devant l’officier de l’état civil, alors que la juridiction a quo doit se prononcer sur une demande d’établissement d’un lien de filiation et de changement de nom en application de l’article 335, § 4, alinéa 2, de l’ancien Code civil. Selon lui, la réponse de la Cour ne pourra jamais avoir pour conséquence de permettre à la juridiction a quo d’acter le changement de nom. Le Conseil des ministres estime en outre que la juridiction a quo postule à tort qu’elle peut encore statuer sur la demande de changement de nom. Selon lui, le lien de filiation en question a été établi à la suite de la reconnaissance volontaire devant l’officier de l’état civil. Il renvoie à cet égard à l’article 322 de l’ancien Code civil. Dès lors que le droit de changer de nom, inscrit à l’article 335, § 4, de l’ancien Code civil, est un accessoire de l’établissement judiciaire de la paternité, la juridiction a quo ne peut plus statuer, selon lui, sur la demande de changement de nom.
A.2.1. À supposer que la Cour considère que la première question préjudicielle appelle une réponse, le Conseil des ministres estime que la différence de traitement visée dans cette question repose sur un critère objectif, à savoir la minorité ou la majorité de l’enfant dont la filiation paternelle est établie.
A.2.2. Le Conseil des ministres déduit de la jurisprudence de la Cour que les règles relatives au choix du nom prévues à l’article 335, § 3, de l’ancien Code civil sont raisonnablement justifiées au regard de l’objectif poursuivi. Selon lui, il ressort plus particulièrement de cette jurisprudence qu’il est raisonnablement justifié que, compte tenu de l’utilité sociale de la fixité du nom et de l’intérêt de l’enfant, le législateur ait prévu que le nom déjà attribué ne puisse être modifié qu’avec l’accord des deux parents, qui peuvent ensemble être considérés comme étant les mieux placés pour apprécier l’intérêt de l’enfant, si bien que ce nom demeure inchangé en cas de désaccord. Selon lui, l’utilité sociale de la fixité du nom justifie aussi que la possibilité de changer de nom lorsque la filiation paternelle est établie après la filiation maternelle soit soumise à la condition que la déclaration soit faite par les parents dans un délai d’un an à dater de la reconnaissance ou du jour où une décision établissant la filiation paternelle est coulée en force de chose jugée et avant la majorité de l’enfant.
A.2.3. Selon le Conseil des ministres, la circonstance qu’un enfant majeur dont la filiation paternelle est établie au moyen d’une reconnaissance après la filiation maternelle ne dispose pas de la possibilité de demander un changement de nom par le biais d’une déclaration devant l’officier de l’état civil dans l’année qui suit la reconnaissance ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. Il estime que c’est sur la base de l’exercice de l’autorité parentale que les parents ont le droit d’opter pour un changement du nom de l’enfant mineur au moyen d’une déclaration faite devant l’officier de l’état civil. Il fait valoir qu’après la majorité, seul l’enfant lui-même peut demander un changement de nom, et ce, par la voie judiciaire.
A.2.4. Le Conseil des ministres estime qu’il convient de garder à l’esprit que tant la reconnaissance volontaire par le père biologique que la demande de changement de nom devant l’officier de l’état civil sont de simples déclarations qui ne sont pas soumises à un contrôle judiciaire. Selon lui, lorsque, en application de l’article 335, § 4, de l’ancien Code civil, le tribunal établit judiciairement le lien de filiation et qu’il acte ensuite la demande de changement de nom faite par l’enfant majeur, il est en revanche déterminé avec certitude que la personne concernée est le père biologique et que la demande de changement de nom émanant de l’enfant majeur vise effectivement à rendre le nom conforme au lien de filiation. Selon lui, le fait de permettre à l’enfant majeur, après une reconnaissance volontaire par le père biologique, de changer son nom au moyen d’une déclaration devant l’officier de l’état civil porterait atteinte à l’intégrité du régime relatif au changement de nom et à la stabilité de celui-ci.
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A.2.5. Selon le Conseil des ministres, la différence de traitement est proportionnée à l’objectif poursuivi, dès lors que l’enfant majeur qui est reconnu par le père biologique peut, sur la base de l’article 370, §§ 1er et 2, de l’ancien Code civil, introduire une demande de changement de nom auprès du Ministre de la justice, le refus de ce dernier pouvant être attaqué devant le tribunal de la famille.
A.2.6. À supposer que la première question préjudicielle vise la situation où ce n’est pas pas l’officier de l’état civil mais le juge qui, en raison de l’article 335, § 3, alinéa 4, de l’ancien Code civil, est dans l’impossibilité d’acter le changement de nom lorsque la reconnaissance volontaire a lieu au moment où une action judiciaire en recherche de paternité et en changement de nom est pendante, il n’existe pas de différence de traitement, selon le Conseil des ministres. L’article 335, § 3, alinéa 4, de l’ancien Code civil ne porte en effet pas sur la situation dans laquelle un enfant mineur est reconnu volontairement après que la paternité a été contestée avec succès.
A.3. En ce qui concerne la seconde question préjudicielle, le Conseil des ministres estime que cette question n’appelle pas non plus de réponse, dès lors que la juridiction a quo n’est plus compétente pour statuer sur l’action en recherche de paternité et en changement de nom.
A.4.1. À supposer que la Cour juge que la seconde question préjudicielle appelle une réponse, le Conseil des ministres souligne que, pour donner suite à l’arrêt de la Cour n° 50/2017 du 27 avril 2017
(ECLI:BE:GHCC:2017:ARR.050), le législateur a permis qu’un enfant majeur choisisse de porter le nom du nouveau père, le nom de la mère ou les deux noms lorsqu’une nouvelle filiation est établie judiciairement. Il souligne à cet égard que cette possibilité n’existe que lorsque le nouveau lien de filiation est établi judiciairement, et non donc en cas de reconnaissance volontaire. Selon le Conseil des ministres, la différence de traitement visée dans la question préjudicielle en ce qui concerne la possibilité de demander un changement de nom repose donc sur un critère objectif, à savoir le mode d’établissement de la paternité.
A.4.2. Le Conseil des ministres souligne que, lorsque la paternité de l’enfant majeur est établie par le juge à la demande de cet enfant, le consentement du père biologique n’est pas nécessaire et que le lien de filiation, contrairement à la reconnaissance, est donc établi de manière contraignante. Selon lui, eu égard au caractère contraignant de l’établissement de la paternité, le législateur a pu prévoir que l’enfant majeur se voie conférer le droit de porter le nom du père biologique, même si le père biologique s’y oppose, et que le juge doit acter le nouveau nom que l’enfant choisit. Selon le Conseil des ministres, la circonstance que l’enfant majeur n’a pas ce droit en cas de reconnaissance volontaire est justifiée, dès lors que, dans ce cas, il ne s’agit pas d’un établissement coercitif de la paternité. Il renvoie à cet égard aux articles 319 et 329bis, § 1er, de l’ancien Code civil et en déduit qu’une reconnaissance volontaire auprès de l’officier de l’état civil repose sur la libre volonté tant du père que de l’enfant majeur.
A.4.3. Le Conseil des ministres renvoie aux arrêts de la Cour n° 50/2017 du 27 avril 2017 (précité) et n° 48/2022 du 24 mars 2022 (ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.048), et souligne que le droit de l’enfant majeur de demander un changement de nom est, dans ces arrêts, lié à une recherche fructueuse de la paternité et à l’établissement judiciaire de celle-ci. Il estime que le droit de changer de nom constitue donc un accessoire de l’établissement judiciaire de la paternité.
A.4.4. Selon le Conseil des ministres, la différence de traitement est proportionnée à l’objectif poursuivi, dès lors que l’enfant majeur peut demander un changement de nom auprès du ministre de la Justice.
A.4.5. Selon le Conseil des ministres, la circonstance que la reconnaissance en cause devant la juridiction a quo a eu lieu après que la paternité a été contestée avec succès et alors qu’une action en recherche de la paternité était encore pendante ne conduit pas à une autre conclusion. Selon lui, dès lors que le lien de filiation est établi par la reconnaissance, le tribunal n’est en effet plus en mesure d’établir la paternité ni de statuer sur l’action en changement de nom. Il renvoie en la matière à l’article 322 de l’ancien Code civil. Selon lui, l’impossibilité pour le tribunal d’acter le changement de nom est la conséquence de la décision de l’enfant majeur de consentir à la reconnaissance par le père biologique.
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-B-
B.1. Les questions préjudicielles portent sur l’article 335, §§ 3 et 4, de l’ancien Code civil.
L’article 335 de l’ancien Code civil règle les conséquences de la filiation sur le nom de l’enfant et dispose :
« § 1er. L’enfant dont la filiation paternelle et la filiation maternelle sont établies simultanément porte soit le nom de son père, soit le nom de sa mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom pour chacun d’eux.
Les père et mère choisissent le nom de l’enfant lors de la déclaration de naissance.
L’officier de l’état civil prend acte de ce choix. [...] En cas de désaccord, l’enfant porte les noms du père et de la mère accolés par ordre alphabétique dans la limite d’un nom pour chacun d’eux.
Lorsque le père et la mère, ou l’un d’entre eux, portent un double nom, la partie du nom transmise à l’enfant est choisie par l’intéressé. En l’absence de choix, la partie du double nom transmise est déterminée selon l’ordre alphabétique.
Le refus d’effectuer un choix est considéré comme un cas de désaccord.
Lorsque les père et mère déclarent conjointement la naissance de l’enfant, l’officier de l’état civil constate le nom choisi par eux ou le désaccord entre eux, conformément à l’alinéa 2.
Si le père ou la mère déclare seul la naissance de l’enfant, il ou elle déclare à l’officier de l’état civil le nom choisi par eux ou le désaccord entre eux.
§ 2. L’enfant dont seule la filiation maternelle est établie, porte le nom de sa mère.
L’enfant dont seule la filiation paternelle est établie, porte le nom de son père.
§ 3. Si la filiation paternelle est établie après la filiation maternelle, aucune modification n’est apportée au nom de l’enfant. Il en va de même si la filiation maternelle est établie après la filiation paternelle.
Toutefois, les père et mère ensemble, ou l’un d’eux si l’autre est décédé peuvent déclarer, dans un acte dressé par l’officier de l’état civil, que l’enfant portera soit le nom de la personne à l’égard de laquelle la filiation est établie en second lieu, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom pour chacun d’eux.
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Cette déclaration est faite dans un délai d’un an à dater de la reconnaissance ou du jour où
une décision établissant la filiation paternelle ou maternelle est coulée en force de chose jugée et avant la majorité ou l’émancipation de l’enfant. Le délai d’un an prend cours le jour suivant la notification ou la signification visées aux articles 313, § 3, alinéa 2, 319bis, alinéa 2, ou 322, alinéa 2.
En cas de modification de la filiation paternelle ou maternelle durant la minorité de l’enfant en suite d’une action en contestation sur la base des articles 312, § 2, 318, §§ 5 et 6, ou 330, §§ 3 et 4, le juge acte le nouveau nom de l’enfant, choisi, le cas échéant, par les parents selon les règles énoncées au § 1er ou à l’article 335ter, § 1er.
L’officier de l’état civil compétent établit l’acte de déclaration de choix de nom suite à la déclaration visée à l’alinéa 2 et l’associe à l’acte de naissance de l’enfant et aux actes de l’état civil auxquels il se rapporte, ou modifie l’acte de naissance de l’enfant et les actes de l’état civil auxquels il se rapporte suite au jugement visé à l’alinéa 4.
§ 4. Si la filiation d’un enfant est modifiée alors que celui-ci a atteint l’âge de la majorité, aucune modification n’est apportée à son nom sans son accord.
En cas d’établissement d’un nouveau lien de filiation d’un enfant majeur à l’égard du père, de la mère ou de la coparente, à la suite d’une action en contestation de la filiation sur base des articles 312, § 2, 318, §§ 5 et 6, ou 330, §§ 3 et 4, le juge acte le nouveau nom de l’enfant, choisi, le cas échéant, par ce dernier selon les règles énoncées au paragraphe 1er ou à l’article 335ter, § 1er.
L’officier de l’état civil compétent modifie l’acte de naissance de l’enfant et les actes de l’état civil auxquels le jugement se rapporte, suite au jugement visé à l’alinéa 2 ».
B.2.1. Il ressort de la décision de renvoi que l’affaire pendante devant la juridiction a quo porte sur une action en contestation de paternité du père légal et en recherche de paternité du père biologique prétendu, introduite par un enfant majeur, dans le cadre de laquelle cet enfant demande également au tribunal d’acter qu’il souhaite désormais porter le nom du père biologique prétendu, alors qu’il portait auparavant le nom du père légal. Après avoir déclaré fondée l’action en contestation de paternité du père légal, la juridiction a quo renvoie au rôle particulier l’action en recherche de paternité ainsi que la demande de port du nom du père biologique prétendu, dès lors que l’action en contestation et en recherche de paternité introduite par l’enfant majeur n’est pas une action « deux en un », c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une
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action sur laquelle il peut être statué simultanément. Après que la paternité du père biologique à l’égard de l’enfant majeur a été établie au moyen d’un acte de reconnaissance volontaire dressé par l’officier de l’état civil, l’enfant majeur demande à la juridiction a quo d’acter le nouveau nom qu’il a choisi, comme demandé dans la citation introductive.
B.2.2. Dans le cadre de ce litige, deux questions préjudicielles sont posées à la Cour.
B.3.1. La Cour examine d’abord la seconde question préjudicielle.
B.3.2. Par cette question, la juridiction a quo demande à la Cour si l’article 335, § 4, alinéa 2, de l’ancien Code civil, lu en combinaison avec l’arrêt de la Cour n° 50/2017 du 27 avril 2017 (ECLI:BE:GHCC:2017:ARR.050), est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il ne permet pas à l’enfant majeur qui a introduit avec succès une action en contestation de paternité et simultanément une action en recherche de paternité, et qui, après que cette dernière action a été renvoyée au rôle particulier, a été reconnu volontairement par le père biologique prétendu, de porter le nom de ce dernier, alors que cette possibilité est ouverte à l’enfant majeur qui a introduit avec succès une action en contestation de paternité et simultanément une action en recherche de paternité que le tribunal déclare ensuite fondée.
B.3.3. Compte tenu des faits de l’affaire pendante devant la juridiction a quo, ainsi qu’il est exposé en B.2.1, la Cour limite son examen de la question posée à la situation dans laquelle l’enfant majeur, avant d’introduire l’action en contestation de paternité du père légal, portait le nom de ce dernier.
B.4. Le Conseil des ministres estime que la seconde question préjudicielle n’appelle pas de réponse. Il soutient qu’eu égard à l’établissement du lien de filiation paternelle par la voie d’un acte de reconnaissance adopté par l’officier de l’état civil, la juridiction a quo ne peut plus statuer sur la demande d’acter le nom choisi, dès lors que cette demande est un accessoire de l’établissement judiciaire du lien de filiation paternelle et que la juridiction a quo ne peut plus établir la paternité du père biologique.
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B.5. C’est en règle à la juridiction a quo qu’il appartient d’apprécier si la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution du litige. Ce n’est que lorsque tel n’est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la question n’appelle pas de réponse. Il appartient également en règle à la juridiction a quo d’interpréter les dispositions qu’elle applique, sous réserve d’une lecture manifestement erronée de la disposition en cause.
B.6.1. Selon l’article 335, § 4, alinéa 2, de l’ancien Code civil, en cas d’établissement d’un nouveau lien de filiation d’un enfant majeur à l’égard du père, de la mère ou de la coparente, à la suite d’une action en contestation de la filiation introduite sur la base des articles 312, § 2, 318, §§ 5 et 6, ou 330, §§ 3 et 4, le juge acte le nouveau nom de l’enfant, choisi le cas échéant par ce dernier, dans le respect des règles énoncées au paragraphe 1er ou à l’article 335ter, § 1er.
B.6.2. En ce qui concerne cette disposition, la Cour a jugé, par son arrêt n° 48/2022 du 24 mars 2022 (ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.048) :
« B.3.1. L’article 335, § 4, de l’ancien Code civil a été modifié par l’article 114 de la loi du 21 décembre 2018 ‘ portant des dispositions diverses en matière de justice ’ en vue de remédier à une inconstitutionnalité constatée par la Cour sur question préjudicielle.
Par son arrêt n° 50/2017, la Cour a jugé qu’en ce qu’il ne permettait pas à l’enfant majeur ayant agi avec fruit, simultanément, en contestation de paternité et en recherche de paternité de porter le nom de son père biologique, l’article 335, § 3, du Code civil, tel que cet article était rédigé avant son remplacement par l’article 2 de la loi du 8 mai 2014 ‘ modifiant le Code civil en vue d’instaurer l’égalité de l’homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l’enfant et à l’adopté ’, violait les articles 10 et 11 de la Constitution.
À la suite de cet arrêt, le législateur a entendu permettre qu’un enfant majeur puisse choisir de porter le nom du nouveau père, le nom de la mère ou les deux noms accolés dans l’ordre qu’il choisit ‘ dans le cadre de l’action dite ‘ 2 en 1 ’ (contestation et attribution d’un lien de filiation) ’ (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-3303/001, pp. 86-87).
B.3.2. Comme le souligne le juge a quo, le législateur n’a cependant pas mis un terme à la discrimination constatée par la Cour dans l’arrêt n° 50/2017, précité. L’article 335, § 4, alinéa 2, de l’ancien Code civil, tel qu’il a été modifié par la loi du 21 décembre 2018, vise en effet les hypothèses où un nouveau lien de filiation d’un enfant majeur est établi à l’égard du
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père, de la mère ou de la coparente mais seulement à la suite d’une action en contestation de la filiation sur la base des articles 312, § 2, 318, §§ 5 et 6, ou 330, §§ 3 et 4, du même Code. Il ne vise pas la situation de l’enfant majeur qui agit avec fruit, simultanément, en contestation de paternité et en recherche de paternité, situation qui était précisément visée dans l’arrêt n° 50/2017.
Il découle de ce qui précède que, malgré l’intervention du législateur, l’arrêt n° 50/2017
reste pertinent en ce qui concerne l’enfant majeur qui a agi avec fruit, simultanément, en contestation de paternité et en recherche de paternité et qui souhaite porter le nom de son père biologique. Cet enfant majeur doit en effet pouvoir faire ce choix.
B.4. Il résulte d’une lecture combinée de l’arrêt n° 50/2017 et de la disposition en cause que l’enfant majeur dont la filiation paternelle a été modifiée par une procédure en contestation et en recherche de paternité peut choisir de porter le nom de son père biologique, seul ou accolé au nom de sa mère, que cet enfant ait introduit la procédure ou non. [...] ».
B.6.3. Sur la base de cet arrêt de la Cour, la juridiction a quo pouvait estimer qu’il résulte d’une lecture combinée de l’arrêt n° 50/2017 et de l’article 335, § 4, alinéa 2, de l’ancien Code civil que le droit pour l’enfant majeur de porter le nom de son père biologique, seul ou accolé au nom de sa mère, s’applique non seulement dans le cas d’une action en contestation de la filiation sur la base des articles 312, § 2, 318, §§ 5 et 6, ou 330, §§ 3 et 4, du même Code, mais également lorsque l’enfant majeur agit avec fruit, simultanément, en contestation de paternité et en recherche de paternité.
B.6.4. Il ressort de la décision de renvoi que la juridiction a quo estime qu’elle ne peut plus établir la paternité du père biologique, puisque celle-ci est déjà établie sur la base de la reconnaissance.
L’article 322, alinéa 1er, de l’ancien Code civil dispose, en effet :
« Lorsque la paternité n’est pas établie, ni en vertu des articles 315 ou 317, ni par une reconnaissance, et que la comaternité visée au chapitre 2/1 n'est pas non plus établie, elle peut l’être par un jugement prononcé par le tribunal de la famille, aux conditions fixées à l’article 332quinquies ».
Toutefois, la juridiction a quo se demande ensuite si l’article 335, § 4, alinéa 2, de l’ancien Code civil, dans l’interprétation selon laquelle le tribunal ne peut acter le nom choisi par le
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demandeur que lorsqu’il établit lui-même le nouveau lien de filiation, et non donc lorsque l’enfant majeur a entretemps été reconnu volontairement devant l’officier de l’état civil, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.6.5. Étant donné que la réponse de la Cour à la seconde question préjudicielle pourrait, le cas échéant, avoir pour effet de permettre à la juridiction a quo d’acter le nom choisi par l’enfant majeur, la réponse à cette question n’est pas manifestement inutile à la solution du litige pendant devant cette juridiction. Cette question ne repose par ailleurs pas sur une lecture manifestement erronée de la disposition en cause.
B.6.6. L’exception est rejetée.
B.7. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.8.1. Dans l’interprétation soumise par la juridiction a quo, l’article 335, § 4, alinéa 2, de l’ancien Code civil, lu en combinaison avec l’arrêt de la Cour n° 50/2017, précité, a pour conséquence que l’enfant majeur qui a introduit avec succès une action en contestation de paternité et simultanément une action en recherche de paternité du père biologique, action qui est ensuite déclarée fondée par le tribunal, a le droit de porter le nom du père biologique et de demander au tribunal d’en prendre acte, alors que l’enfant majeur qui a introduit avec succès une action en contestation de paternité et simultanément une action en recherche de paternité du père biologique et qui, après que cette dernière action a été renvoyée au rôle particulier, est reconnu volontairement par le père biologique, ne jouit pas d’un tel droit.
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B.8.2. La disposition en cause fait ainsi naître une différence de traitement entre les enfants majeurs qui ont introduit avec succès une action en contestation de paternité et simultanément une action en recherche de paternité du père biologique, selon que la paternité du père biologique à l’égard de l’enfant majeur est établie au moyen d’une décision du tribunal à la suite de l’action en recherche de paternité introduite ou au moyen d’un acte de reconnaissance volontaire adopté par l’officier de l’état civil.
B.9. Aux termes de l’article 319 de l’ancien Code civil, lorsque la paternité n’est pas établie en vertu des articles 315 ou 317, ni la comaternité visée au chapitre 2/1, le père peut reconnaître l’enfant aux conditions fixées à l’article 329bis. L’acte de reconnaissance est établi par l’officier de l’état civil (article 327, § 2, du même Code). Selon l’article 329bis, § 1er, du même Code, la reconnaissance de l’enfant majeur ou mineur émancipé n’est recevable que moyennant son consentement préalable.
B.10. La différence de traitement mentionnée en B.8.2 repose sur un critère objectif, à savoir le mode d’établissement de la paternité du père biologique à l’égard de l’enfant majeur.
B.11.1. Par son arrêt n° 50/2017, précité, la Cour a jugé :
« B.9. Contrairement au droit de donner son nom de famille à son enfant, le droit de porter un nom constitue un droit fondamental.
Les limitations à la possibilité de porter le nom de son père biologique constituent une ingérence dans l’exercice du droit de l’intéressé au respect de sa vie privée (CEDH, 25 novembre 1994, Stjerna c. Finlande).
La Cour doit dès lors examiner si la mesure en cause n’entraîne pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée des enfants majeurs et si, notamment, l’utilité sociale que constitue l’invariabilité de leur nom de famille doit l’emporter sur une modification du nom lorsque l’état civil vient à se modifier en raison de l’établissement de la paternité.
La Cour doit, en outre, tenir compte du fait que le changement de filiation de l’enfant majeur a pour conséquence que son nom est en principe modifié, s’il y marque son accord, et qu’il porte le nom de sa mère, sauf s’il souhaite conserver son nom patronymique d’origine.
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L’article 335, § 4, du Code civil autorise en effet un changement du nom de l’enfant majeur en raison d’un changement dans sa filiation.
B.10.1. La contestation de paternité peut être mue par d’autres motifs et a d’autres effets qu’un changement de nom. Toutefois, l’enfant majeur qui a introduit lui-même une action en contestation de sa paternité et à l’égard duquel a été établi un lien de filiation avec son père biologique peut légitimement souhaiter porter le nom de ce dernier.
B.10.2. La faculté qui est laissée par la loi du 15 mai 1987 relative aux noms et prénoms à cet enfant majeur de solliciter de l’autorité compétente une seconde modification de son nom afin de pouvoir porter le nom de son père biologique n’est pas de nature à fournir à la différence de traitement évoquée une justification raisonnable, cette faculté demeurant par essence hypothétique.
Elle ne correspondrait, en outre, ni à l’utilité sociale d’assurer à ce nom une certaine fixité ni à l’intérêt de la personne qui souhaite un changement de nom, dès lors que l’enfant majeur ayant agi avec fruit en contestation de paternité et qui aurait marqué son accord pour porter le nom de sa mère puis qui obtiendrait ensuite le droit de porter le nom de son père biologique au terme de cette procédure, serait soumis à deux changements successifs de nom, afin de pouvoir porter celui qu’il désire ».
B.11.2. Il découle de cet arrêt qu’il n’est pas raisonnablement justifié que l’enfant majeur qui a introduit avec succès une action en contestation de paternité et à l’égard duquel un lien de filiation avec son père biologique est établi, ne puisse pas choisir de porter le nom de son père biologique.
B.11.3. Même si l’arrêt n° 50/2017 portait sur la situation dans laquelle la filiation paternelle de l’enfant majeur est modifiée à la suite d’une action, jugée fondée, en contestation de la paternité légale, combinée à une action, jugée fondée, en recherche de paternité (voy. le considérant B.4 de l’arrêt n° 50/2017), la circonstance que le lien de filiation avec le père biologique est établi après une contestation, introduite avec fruit, de la paternité légale au moyen d’un acte de reconnaissance volontaire adopté par l’officier de l’état civil et non au moyen d’une décision judiciaire ne conduit pas à une autre conclusion. Dans les deux situations, la paternité du père légal est en effet contestée avec succès et un lien de filiation avec le père biologique est établi.
B.11.4. Il découle également de l’arrêt n° 50/2017 précité que la possibilité actuellement réglée aux articles 370/3 et suivants de l’ancien Code civil - possibilité qui était auparavant
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réglée par la loi du 15 mai 1987 « relative aux noms et prénoms » - de demander un changement de nom auprès de l’autorité compétente afin de pouvoir porter le nom de son père biologique n’est pas de nature à pouvoir justifier l’impossibilité précitée, pour l’enfant majeur, de choisir de porter le nom de son père biologique.
B.12. En ce qu’il ne confère pas à l’enfant majeur qui a introduit avec succès une action en contestation de paternité et simultanément une action en recherche de paternité et qui, après que cette dernière action a été renvoyée au rôle particulier par le tribunal compétent, est reconnu par son père biologique au moyen d’un acte de reconnaissance volontaire adopté par l’officier de l’état civil le droit de demander au tribunal d’acter son choix de porter le nom de son père biologique, alors qu’avant d’introduire l’action en contestation de paternité, cet enfant majeur portait le nom de la personne dont la paternité a été contestée avec succès, l’article 335, § 4, alinéa 2, de l’ancien Code civil n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.13. Il appartient à la juridiction a quo d’acter le nom que l’enfant majeur choisit et qui correspond à sa filiation.
B.14. Dès lors que la réponse à la seconde question préjudicielle permet à la juridiction a quo de résoudre le litige pendant devant elle, la réponse à la première question préjudicielle n’est manifestement plus utile à la solution de ce litige.
B.15. La première question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
En ce qu’il ne confère pas à l’enfant majeur qui a introduit avec succès une action en contestation de paternité et simultanément une action en recherche de paternité et qui, après que cette dernière action a été renvoyée au rôle particulier par le tribunal compétent, est reconnu par son père biologique au moyen d’un acte de reconnaissance volontaire adopté par l’officier de l’état civil le droit de demander au tribunal d’acter son choix de porter le nom de son père biologique, alors qu’avant d’introduire l’action en contestation de paternité, il portait le nom de la personne dont la paternité a été contestée avec succès, l’article 335, § 4, alinéa 2, de l’ancien Code civil, viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 octobre 2023.
Le greffier, La présidente f.f.,
F. Meersschaut J. Moerman