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19/10/2023 | BELGIQUE | N°136/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 19 octobre 2023, 136/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 136/2023
du 19 octobre 2023
Numéro du rôle : 7892
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 70, § 4, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posée par la Cour d’appel de Liège.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et

procédure
Par arrêt du 4 novembre 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 1...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 136/2023
du 19 octobre 2023
Numéro du rôle : 7892
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 70, § 4, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posée par la Cour d’appel de Liège.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt du 4 novembre 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 16 novembre 2022, la Cour d’appel de Liège a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 70, § 4, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, viole-t-il les articles 10 et 11
de la Constitution lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ce qu’il ne permet pas au tribunal de première instance ou à la cour d’appel d’assortir d’un sursis la sanction qu’il prévoit ? ».
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me G. de Foestraets, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire.
Par ordonnance du 12 juillet 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Giet et S. de Bethune, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins que le Conseil des ministres n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendu, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 1er septembre 2023 et l’affaire mise en délibéré.
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Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 1er septembre 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le litige porté devant la juridiction a quo concerne une amende de 1 500 euros infligée à une personne physique qui exerce depuis 2009 une activité de « detailing » automobile (nettoyage et cosmétique de la carrosserie), du chef de la non-tenue d’un registre des véhicules à moteur visé par l’article 28 de l’arrêté royal n° 1
du 29 décembre 1992 « relatif aux mesures tendant à assurer le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée » (ci-
après : l’arrêté royal n° 1). L’État belge a interjeté appel du jugement du 18 novembre 2021 par lequel le Tribunal de premier instance de Liège a annulé l’amende en question.
La juridiction a quo estime que l’activité de « detailing » automobile, qui emporte l’amélioration esthétique de l’automobile, excède la simple notion de « lavage de voitures », lequel peut bénéficier d’une exception à l’obligation de tenir le registre visé par l’article 28 de l’arrêté royal n° 1. Selon la juridiction a quo, l’intimé devait dès lors tenir le registre en question, mais l’octroi d’un sursis, qui pourrait être envisagé, se heurte à l’absence de possibilité légale le permettant. Constatant que la Cour a déjà jugé, pour d’autres amendes en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), que l’absence d’une possibilité d’octroyer un sursis était contraire aux articles 10 et 11
de la Constitution, la juridiction a quo a décidé de poser à la Cour la question préjudicielle reproduite ci-dessus.
III. En droit
–A–
A.1. Après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour concernant l’octroi d’un sursis à l’égard d’amendes en matière de TVA et à l’égard d’autres amendes ou taxes, le Conseil des ministres constate qu’il en ressort que le constat d’inconstitutionnalité partielle de la Cour n’empêche pas d’appliquer les dispositions censurées lorsque les infractions sont établies, que le montant de l’amende n’est pas disproportionné et qu’il n’y aurait pas lieu d’accorder un sursis en l’espèce même si cette mesure avait été prévue par la loi. La jurisprudence de la Cour de cassation en matière de sursis au paiement d’une amende fiscale aboutit aux mêmes conclusions.
A.2. À titre principal, le Conseil des ministres estime que la jurisprudence de la Cour relative aux amendes proportionnelles en matière de TVA devrait être nuancée à l’égard de l’amende fixe visée à l’article 70, § 4, du Code de la TVA.
Cette amende est en effet fixée d’après la nature et la gravité de l’infraction, selon une échelle de gradation déterminée par le Roi, afin de créer un effet dissuasif à l’égard de certaines infractions de nature formelle, ce qui est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du système de la TVA et le contrôle correct de la perception de la taxe. Lorsque l’agent taxateur inflige une amende administrative visée à l’article 70, § 4, du Code de la TVA, il exerce une compétence liée, sans contrôle d’opportunité. La décision de l’agent constatateur peut faire l’objet d’un recours juridictionnel, qui est un recours de pleine juridiction au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans le cadre de ce recours, le juge doit, dans les mêmes limites que celles de l’agent constatateur, confirmer ou non l’amende administrative, sans pouvoir en moduler le montant.
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A.3. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres estime que la question préjudicielle appelle une réponse identique à celle qui a été donnée par la Cour dans les arrêts n os 157/2008 (ECLI:BE:GHCC:2008:ARR.157), 13/2013 (ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.013) et 32/2020 (ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.032), sur des questions similaires relatives à des amendes administratives en matière fiscale, au sujet desquelles la Cour a jugé qu’elles revêtent un caractère pénal au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
–B–
B.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité de l’article 70, § 4, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : le Code de la TVA) avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme en ce que cette disposition ne permet pas au tribunal de première instance ou à la cour d’appel d’assortir d’un sursis la sanction qu’elle prévoit.
B.2.1. Le litige pendant devant la juridiction a quo porte sur la non-tenue d’un registre des véhicules à moteur visé par l’article 28 de l’arrêté royal n° 1 du 29 décembre 1992 « relatif aux mesures tendant à assurer le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée » (ci-après : l’arrêté royal n° 1). En l’espèce, était controversée la question de savoir si l’activité de « detailing »
automobile (nettoyage et cosmétique de la carrosserie) exercée par la partie intimée constituait ou non une activité relevant de l’obligation prévue par l’article 28 de l’arrêté royal n° 1.
B.2.2. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que la question préjudicielle porte uniquement sur l’alinéa 1er de l’article 70, § 4, du Code de la TVA, auquel la Cour limite par conséquent son examen.
B.3. L’article 70, § 4, du Code de la TVA fait partie de la section première (« Amendes fiscales ») du chapitre XI (« Sanctions ») de ce Code.
Tel qu’il a été remplacé en dernier lieu par l’article 41 de la loi-programme du 22 juin 2012, l’article 70, § 4, alinéa 1er, du Code de la TVA dispose :
« Les infractions au présent Code et aux arrêtés pris pour son exécution, autres que celles qui sont visées aux §§ 1er, 2 et 3, sont réprimées par une amende fiscale non proportionnelle
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de 50 euros à 5.000 euros par infraction. Le montant de cette amende est fixé d’après la nature et la gravité de l’infraction selon une échelle dont les graduations sont déterminées par le Roi ».
Conformément à l’article 42 de la loi-programme du 22 juin 2012, l’article 41 précité est entré en vigueur le 1er juillet 2012 et est applicable aux infractions commises à partir de cette date.
B.4. L’article 70, § 4, du Code de la TVA organise un régime s’appliquant aux « infractions aux dispositions légales ou réglementaires prises pour assurer le paiement de la taxe, autres que celles qui sont visées par les §§ 1, 2 et 3, du même article » (Doc. parl., Chambre, S.E. 1968, n° 88/1, p. 64).
Dans sa version initiale, la disposition en cause prévoyait un minimum et un maximum, de 1 000 à 10 000 francs belges par infraction, le montant de ces amendes étant fixé par le fonctionnaire désigné par le Roi (ancien article 72, alinéa 2, du Code de la TVA).
B.5. L’article 24 de la loi du 22 juillet 1993 « portant des dispositions fiscales et financières » a modifié la disposition en cause, d’une part, en portant le montant maximal de l’amende à 100 000 francs belges et, d’autre part, en prévoyant que le montant de l’amende « sera dorénavant calculé selon une échelle dont les graduations sont fixées par le Roi » (Doc.
parl., Sénat, 1992-1993, n° 762/1, p. 13). L’article 72, dernier alinéa, du Code de la TVA
« devient dès lors superflu et peut être abrogé » (ibid.).
En exécution de la nouvelle version de la disposition en cause, a été pris l’arrêté royal n° 44
du 21 octobre 1993 « fixant le montant des amendes fiscales non proportionnelles en matière de taxe sur la valeur ajoutée ».
B.6.1. L’article 41 de la loi-programme du 22 juin 2012 a une nouvelle fois adapté les minima et maxima de l’amende prévue par la disposition en cause.
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Les travaux préparatoires exposent ce qui suit :
« L’article 70, § 4, alinéa 1er, nouveau, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée vise à revoir et à réévaluer les montants minima et maxima des amendes fiscales non proportionnelles et habilite le Roi à fixer, d’après la nature et la gravité de l’infraction commise, les échelles de graduations de ces amendes. Ces graduations font l’objet de l’arrêté royal n° 44 du 21 octobre 1993 qui sera amendé en conséquence.
Par souci de clarté, il est précisé que cette disposition concerne les amendes fiscales non proportionnelles par opposition aux amendes fiscales proportionnelles qui sont traitées sous les §§ 1er à 3 de l’article 70 du Code.
Cette appellation est ainsi identique à celle utilisée dans l’intitulé de l’arrêté royal n° 44 du 21 octobre 1993 fixant le montant des amendes fiscales non proportionnelles en matière de taxe sur la valeur ajoutée, pris en exécution de l’article 70, § 4, alinéa 1er, du Code » (Doc. parl., Chambre, 2011-2012, DOC 53-2198/001, pp. 29-30).
Interrogé par un parlementaire au sujet du caractère encore proportionnel des amendes dont le montant est doublé par rapport au régime antérieur, le vice-premier ministre a répondu :
« […] avec cette réforme, le législateur entend rendre la législation relative à la TVA plus cohérente, plus simple et plus transparente et souhaite, en corollaire, en améliorer les recettes.
L’intention n’est clairement pas de doubler toutes les amendes existantes. Mais le modèle d’amendes actuel manque totalement de cohérence.
[…]
L’augmentation escomptée du produit des amendes résultera de la meilleure applicabilité du nouveau système, plutôt que de la majoration des amendes.
[…]
Cette mesure devrait rapporter 25 millions d’euros. Mais il est inexact que toutes les amendes passeront du simple au double. Le système d’amendes sera simplifié et donc amélioré » (Doc. parl., Chambre, 2011-2012, DOC 53-2198/015, pp. 9-10).
B.6.2.1. L’arrêté royal n° 44 du 9 juillet 2012 « fixant le montant des amendes fiscales non proportionnelles en matière de taxe sur la valeur ajoutée » (ci-après : l’arrêté royal n° 44) a été
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pris en exécution de l’article 70, § 4, alinéa 1er, du Code de la TVA, tel qu’il a été remplacé par l’article 41 de la loi-programme du 22 juin 2012.
Le rapport au Roi précédant l’arrêté royal n° 44 expose :
« L’article 70, § 4, alinéa 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, remplacé par l’article 41 de la loi-programme du 22 juin 2012, a pour objet de fixer les montants minima et maxima des amendes fiscales non proportionnelles en cas d’infractions au Code et aux arrêtés royaux pris pour son exécution. Il a pour objectif de créer un effet dissuasif au non-respect des obligations, notion qui existe aussi à l’article 444 du Code des Impôts sur les revenus (CIR 92)
et d’inciter les assujettis à respecter leurs obligations fiscales principalement déclaratives et, le cas échéant, de sanctionner le non-respect de ces obligations selon la nature et la gravité de l’infraction.
Cette disposition habilite le Roi à fixer les échelles de graduations de ces amendes en tenant compte notamment de la gravité de l’infraction.
L’article 2 de l’arrêté royal concerne une disposition qui permet de réprimer de manière plus conséquente les infractions commises dans une intention frauduleuse tout en respectant toutefois la limite du montant maximum de 5.000 euros fixée à l’article 70, § 4, alinéa 1er, du Code.
L’article 3 de cet arrêté organise le mode de graduations des amendes s’agissant des mêmes infractions.
L’annexe à cet arrêté royal qui développe le système de graduations des amendes selon la nature des infractions, tient compte des principes précités et des montants minima et maxima fixés par l’article 70, § 4, alinéa 1er, du Code.
Le présent projet entre en vigueur le 1er juillet 2012, date d’entrée en vigueur de l’article 70, § 4, alinéa 1er, du Code » (Moniteur belge du 17 juillet 2012, p. 39014).
B.6.2.2. Dans la section 3 (« Obligations en matière de comptabilité »), le point « I. Livres, registres et journaux dont la tenue est prescrite par ou en vertu de la règlementation » de l’annexe de l’arrêté royal n° 44 prévoit :
A. Non tenu Par livre, registre ou journal :
- 1ère infraction : 1 500 EUR
- 2ème infraction : 3 000 EUR
- infractions suivantes : 5 000 EUR
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B.7. La Cour est invitée à statuer sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que cette disposition ne permet pas au tribunal de première instance ou à la cour d’appel, siégeant en matière civile, d’assortir d’un sursis la sanction qu’elle prévoit.
B.8.1. Bien que la question préjudicielle n’identifie pas expressément les catégories de personnes comparées, il ressort de la décision de renvoi que, dans sa motivation pour poser à la Cour la question préjudicielle présentement examinée, la juridiction a quo s’est expressément référée à l’arrêt n° 13/2013 du 21 février 2013 (ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.013).
Dans cet arrêt, sont comparées, d’une part, la situation des assujettis à la TVA auxquels s’appliquent les sanctions prévues par l’article 70, § 1erbis, du Code de la TVA, pour lesquels le tribunal civil ne peut assortir d’un sursis la sanction que cet article prévoit, avec, d’autre part, la situation des mêmes assujettis qui, s’ils étaient poursuivis devant le tribunal correctionnel pour le même fait visé par l’article 73 du Code de la TVA, pourraient demander le sursis à l’exécution de la peine en application de l’article 8 de la loi du 29 juin 1964 « concernant la suspension, le sursis et la probation ».
B.8.2. Il y a dès lors lieu de considérer qu’en ce qui concerne les sanctions prévues par l’article 70, § 4, alinéa 1er, du Code de la TVA, la juridiction a quo soumet à la Cour les mêmes catégories de personnes à comparer et qu’il y a dès lors lieu de tenir compte, pour examiner cette comparaison, de l’article 73 du Code de la TVA.
B.8.3. L’article 73 du Code de la TVA, remplacé par l’article 18 de la loi du 20 septembre 2012 « instaurant le principe ‘ una via ’ dans le cadre de la poursuite des infractions à la législation fiscale et majorant les amendes pénales fiscales » et modifié par l’article 99 de la loi du 17 juin 2013 « portant des dispositions fiscales et financières et des dispositions relatives au développement durable », dispose :
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« Sera puni d’un emprisonnement de huit jours à deux ans et d’une amende de 250 euros à 500.000 euros ou de l’une de ces peines seulement, celui qui, dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire, contrevient aux dispositions du présent Code ou des arrêtés pris pour son exécution.
Si les infractions visées à l’alinéa 1er ont été commises dans le cadre de la fraude fiscale grave, organisée ou non, le coupable est puni d’un emprisonnement de huit jours à 5 ans et d’une amende de 250 euros à 500.000 euros ou de l’une de ces peines seulement ».
L’article 73 du Code de la TVA s’applique aux infractions aux dispositions du même Code ou des arrêtés pris pour son exécution, y compris par conséquent aux infractions visées à l’article 70, § 4, en cause, du Code de la TVA.
B.9. Une mesure constitue une sanction pénale au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme si elle a un caractère pénal selon sa qualification en droit interne ou s’il ressort de la nature de l’infraction, à savoir la portée générale et le caractère préventif et répressif de la sanction, qu’il s’agit d’une sanction pénale ou encore s’il ressort de la nature et de la sévérité de la sanction subie par l’intéressé qu’elle a un caractère punitif et donc dissuasif (CEDH, grande chambre, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, ECLI:CE:ECHR:2016:1115JUD002413011, §§ 105-107; grande chambre, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, ECLI:CE:ECHR:2009:0210JUD001493903, § 53; grande chambre, 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande, ECLI:CE:ECHR:2006:1123JUD007305301, §§ 30-31).
L’amende fiscale prévue à l’article 70, § 4, du Code de la TVA a pour objet de prévenir et de sanctionner les infractions au même Code et aux arrêtés pris pour son exécution, autres que celles qui sont visées aux §§ 1er, 2 et 3. Elle a donc un caractère répressif et est de nature pénale au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.10. L’article 8, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 29 juin 1964, remplacé par l’article 37, 1°, de la loi du 5 février 2016 « modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice », dispose :
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« Lorsque le condamné n’a pas encouru antérieurement de condamnation à une peine criminelle ou à un emprisonnement principal de plus de trois ans ou à une peine équivalente prise en compte conformément à l’article 99bis du Code pénal, les juridictions de jugement peuvent, lorsqu’elles ne condamnent pas à une ou plusieurs peines principales privatives de liberté supérieures à cinq ans d’emprisonnement, ordonner qu’il sera sursis à l’exécution de tout ou partie des peines principales et accessoires qu’elles prononcent ».
B.11. Contrairement à l’assujetti à la TVA qui est poursuivi devant le tribunal correctionnel, celui qui, en application de l’article 569, alinéa 1er, 32°, du Code judiciaire, conteste devant le tribunal civil l’amende prévue par l’article 70, § 4, du Code de la TVA, ne peut pas demander un sursis à l’exécution de cette sanction puisqu’un sursis à l’exécution d’une peine ne peut, en vertu de la loi du 29 juin 1964, être ordonné que par une juridiction pénale.
B.12.1. Sous la réserve qu’il ne peut prendre une mesure déraisonnable, le législateur démocratiquement élu peut vouloir déterminer lui-même la politique répressive et limiter ainsi le pouvoir d’appréciation du juge.
Le législateur a toutefois opté à diverses reprises pour l’individualisation des peines, notamment en autorisant le juge à accorder des mesures de sursis.
B.12.2. Il appartient au législateur d’apprécier s’il est souhaitable de contraindre le juge à la sévérité quand une infraction nuit particulièrement à l’intérêt général, spécialement dans une matière qui, comme en l’espèce, donne lieu à une fraude importante. Cette sévérité peut notamment porter sur les mesures de sursis.
La Cour ne pourrait censurer pareil choix que si celui-ci était déraisonnable ou si la disposition en cause avait pour effet de priver une catégorie de justiciables du droit à un procès équitable devant une juridiction impartiale et indépendante, garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.13.1. Le sursis à l’exécution des peines a pour objectif de réduire les inconvénients inhérents à l’exécution des peines et de ne pas compromettre la réinsertion du condamné. Il peut être ordonné à propos de peines d’amende. Il ressort en outre de l’article 157, § 1er, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994,
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tel qu’il a été remplacé par l’article 2 de la loi du 19 décembre 2008 « portant modification de l’article 157 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 » et modifié par l’article 5, 1°, de la loi du 29 mars 2012 « portant des dispositions diverses (II) », que le sursis n’est pas considéré par le législateur comme incompatible avec une amende imposée par une autorité autre qu’une juridiction pénale.
Sans doute le régime de l’amende fiscale en cause peut-il différer en divers éléments de celui de la sanction pénale prévue par l’article 73 du Code de la TVA ou de celui des sanctions administratives prévues en d’autres matières, qu’il s’agisse de la formulation différente de l’exigence de l’élément moral, de la possibilité de cumuler des amendes administratives, du mode de fixation des peines ou de l’application de décimes additionnels. S’il est vrai que de telles différences peuvent être pertinentes pour justifier l’application de règles spécifiques dans certains domaines, elles ne le sont pas dans celui qui fait l’objet de la question préjudicielle :
en effet, qu’il soit accordé par le tribunal correctionnel ou par une autre juridiction, telle que le tribunal civil, le sursis peut inciter le condamné à s’amender, par la menace d’exécuter, s’il venait à récidiver, la condamnation au paiement d’une amende.
Si la loi du 29 juin 1964 n’est pas applicable, il appartient au législateur de déterminer en la matière les conditions auxquelles un sursis, de même éventuellement qu’un sursis probatoire, peut être ordonné et de fixer les conditions et la procédure de son retrait.
B.13.2. Il résulte de ce qui précède que l’article 70, § 4, alinéa 1er, du Code de la TVA
n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il ne permet pas au tribunal de première instance ou à la cour d’appel, siégeant en matière civile, d’accorder le bénéfice du sursis à l’assujetti visé en B.2.1.
B.13.3. Ce constat d’inconstitutionnalité partielle n’a toutefois pas pour conséquence que cette disposition ne pourrait plus, dans l’attente d’une intervention législative, être appliquée par les juridictions lorsque celles-ci constatent que les infractions sont établies, que le montant
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de l’amende n’est pas disproportionné à la gravité de l’infraction et qu’il n’y aurait pas eu lieu d’accorder un sursis même si cette mesure avait été prévue par la loi.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
En ce qu’il ne permet pas au tribunal de première instance ou à la cour d’appel, siégeant en matière civile, d’assortir d’un sursis l’amende qu’il prévoit, l’article 70, § 4, alinéa 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 octobre 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 136/2023
Date de la décision : 19/10/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Violation (article 70, § 4, alinéa 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, en ce qu'il ne permet pas au tribunal de première instance ou à la cour d'appel, siégeant en matière civile, d'assortir d'un sursis l'amende qu'il prévoit)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle relative à l'article 70, § 4, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posée par la Cour d'appel de Liège. Droit fiscal - Taxe sur la valeur ajoutée - Non-tenue d'un registre imposé par la loi - Sanction - Amendes fiscales - Impossibilité d'assortir l'amende d'un sursis


Origine de la décision
Date de l'import : 01/11/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-10-19;136.2023 ?

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