Cour constitutionnelle
Arrêt n° 132/2023
du 19 octobre 2023
Numéro du rôle : 7762
En cause : le recours en annulation de l’article 77 du décret de la Communauté française du 19 juillet 2021 « modifiant diverses dispositions en matière de statut des membres du personnel de l’enseignement », introduit par Anne Lacroix et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée du juge T. Giet, faisant fonction de président, du président L. Lavrysen, et des juges J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et M. Plovie, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le juge T. Giet,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 24 février 2022 et parvenue au greffe le 28 février 2022, un recours en annulation de l’article 77 du décret de la Communauté française du 19 juillet 2021 « modifiant diverses dispositions en matière de statut des membres du personnel de l’enseignement » (publié au Moniteur belge du 30 août 2021) a été introduit par Anne Lacroix, Huseyin Sönmez et Murielle Bovy, assistés et représentés par Me L. Rase et Me A. Villers, avocats au barreau de Liège-Huy.
Le Gouvernement de la Communauté française, assisté et représenté par Me M. Nihoul, avocat au barreau du Brabant wallon, a introduit un mémoire, les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse et le Gouvernement de la Communauté française a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 28 juin 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs K. Jadin et W. Verrijdt, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la
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notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 12 juillet 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 12 juillet 2023.
Par ordonnance du 12 septembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs, a décidé :
- de compléter le siège par la juge M. Plovie,
- de rouvrir les débats dès lors que le délibéré ne s’est pas terminé avant le départ à la retraite du juge T. Detienne,
- de clôturer les débats et de mettre l’affaire en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
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A.1.1. Les parties requérantes exercent, respectivement, les professions de directeur d’école, d’enseignant et de maître-assistant. Chacune a été victime d’un accident du travail et toutes sont parties à des procédures judiciaires pendantes dans le cadre desquelles sont discutés l’existence d’un lien causal entre les absences au travail des parties requérantes postérieures à la date de consolidation des lésions et l’accident du travail, ainsi que le sort à réserver à ces absences.
A.1.2. Les parties requérantes estiment disposer d’un intérêt à l’annulation de l’article 77 du décret de la Communauté française du 19 juillet 2021 « modifiant diverses dispositions en matière de statut des membres du personnel de l’enseignement » (ci-après : le décret du 19 juillet 2021), dès lors qu’en vertu de cette disposition, les absences au travail qui sont en lien causal avec l’accident du travail dont elles ont été victimes et qui sont postérieures à la date de consolidation de leurs lésions seront ou pourraient être déduites de leur « quota de jours de congé de maladie », alors que ce n’était pas le cas en vertu de l’article 10 du décret de la Communauté française du 5 juillet 2000 « fixant le régime des congés et de disponibilité pour maladie ou infirmité de certains membres du personnel de l’enseignement » (ci-après : le décret du 5 juillet 2000), tel qu’il était applicable avant sa modification par l’article 77 du décret du 19 juillet 2021. La disposition attaquée produit ainsi des effets préjudiciables sur la situation administrative et financière des parties requérantes. Celles-ci pourraient passer rapidement voire immédiatement d’une position d’« activité de service » à une position de « disponibilité pour cause de maladie » ou être admises à la pension de retraite temporaire ou définitive. Sur le plan financier, elles pourraient passer d’un traitement intégral à un traitement d’attente réduit de 80 % à 60 %, voire à une pension de retraite dont le montant serait déterminé sur la base d’une carrière incomplète. Elles exposent que le recours est dirigé non pas contre l’ancien article 10 du décret du 5 juillet 2000, compte tenu ou non de son interprétation par les cours et tribunaux, mais contre l’article 77 du décret du 19 juillet 2021. Elles ajoutent que la différence de traitement critiquée résulte effectivement de cette dernière disposition.
A.2. Le Gouvernement de la Communauté française conteste l’intérêt des parties requérantes, dès lors que la circonstance que les absences postérieures à la date de consolidation des lésions liées à un accident du travail n’étaient pas imputées sur le quota de jours de congé de maladie en vertu de l’ancien article 10 du décret du 5 juillet 2000 résulte non pas de cette disposition, mais de l’interprétation de celle-ci par certaines juridictions. Dans la
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mesure où l’article 77 du décret du 19 juillet 2021 ne ferait que confirmer l’interprétation donnée par la Communauté française à l’ancien article 10 du décret du 5 juillet 2000, la différence de traitement critiquée trouverait son origine dans la jurisprudence mentionnée par les parties requérantes, et non dans l’article 10, ancien ou nouveau, du décret du 5 juillet 2000.
A.3.1. Les parties requérantes prennent un moyen unique de la violation, par l’article 77 du décret du 19 juillet 2021, des articles 10 et 11, lus en combinaison ou non avec l’article 23, de la Constitution. Selon les parties requérantes, la disposition attaquée fait naître une différence de traitement injustifiée entre les membres du personnel enseignant et les agents d’autres secteurs publics, en ce que seuls les premiers voient imputées sur leur quota de jours de congé de maladie les absences liées à un accident du travail postérieures à la date de consolidation des lésions. Les parties requérantes se réfèrent à l’arrêté royal du 19 novembre 1998 « relatif aux congés et aux absences accordés aux membres du personnel des administrations de l’Etat », à l’arrêté royal du 30 mars 2001
« portant la position juridique du personnel des services de police » (ci-après : l’arrêté royal du 30 mars 2001) et à l’arrêté du Gouvernement wallon du 18 décembre 2003 « portant le Code de la fonction publique wallonne ».
La disposition attaquée ferait également naître une différence de traitement entre les membres du personnel enseignant et les agents des autres services de la Communauté française. Les parties requérantes se réfèrent à cet égard à l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 2 juin 2004 « relatif aux congés et aux absences des agents des Services du Gouvernement de la Communauté française, du Conseil supérieur de l’Audiovisuel et des organismes d’intérêt public relevant du Comité de Secteur XVII ». Elle entraîne par ailleurs une différence de traitement entre les membres du personnel enseignant qui sont victimes d’un accident du travail, selon qu’une reprise du travail a eu lieu ou non au moment de la consolidation.
La disposition attaquée entraînerait par ailleurs un recul non justifié par un motif d’intérêt général dans la protection du droit des membres du personnel enseignant à des conditions de travail et à une rémunération équitables, tel qu’il est garanti par l’article 23, alinéa 3, 1°, de la Constitution.
A.3.2. Les parties requérantes soutiennent que, premièrement, le législateur décrétal n’a pas exposé, dans les travaux préparatoires, les raisons qui justifient la modification décrétale critiquée. La disposition attaquée serait en tout cas contraire à la ratio legis du régime de congés applicable en cas d’accident du travail. Deuxièmement, des motifs budgétaires ne peuvent pas justifier l’atteinte aux droits fondamentaux en cause. Elles se réfèrent, à cet égard, aux arrêts de la Cour nos 38/96 (ECLI:BE:GHCC:1996:ARR.038) et 93/2007
(ECLI:BE:GHCC:2007:ARR.093). Troisièmement, selon une jurisprudence constante des cours et tribunaux et de la Cour de cassation, les absences des membres du personnel enseignant qui sont médicalement reconnues comme imputables à un accident du travail ne peuvent pas être transformées en congés de maladie. Les parties requérantes se réfèrent, sur ce point, à l’arrêt de la Cour de cassation S.09.0105.F du 14 février 2011
(ECLI:BE:CASS:2011:ARR.20110214.1). Elles estiment que la volonté de remettre en cause cette interprétation unanime n’est pas susceptible de justifier les atteintes aux droits fondamentaux qui sont critiquées. La disposition attaquée compromet d’ailleurs le principe de la séparation des pouvoirs, dès lors que plusieurs procédures judiciaires portant sur l’application de l’article 10 du décret de la Communauté française du 5 juillet 2000 sont en cours. Quatrièmement, la disposition attaquée revient à remettre en cause les notions de « consolidation » et d’« incapacité du travail », qui sont des notions médicales et d’ordre public. Cinquièmement, à défaut de disposition transitoire, la disposition attaquée s’applique aux effets des situations nées avant son entrée en vigueur.
Il s’ensuit qu’elle s’applique aux parties requérantes de manière rétroactive, sans que cette rétroactivité soit justifiée par un objectif d’intérêt général, ce qui est contraire aux principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime.
A.3.3. Les parties requérantes précisent que la disposition attaquée fait naître une différence de traitement injustifiée en ce qu’elle subordonne la poursuite du bénéfice du régime de congés applicable en cas d’accident du travail à une reprise effective de l’activité professionnelle à la date de consolidation ou après celle-ci, alors que le membre du personnel enseignant concerné serait sans discontinuité en incapacité de travail en raison de l’accident du travail. D’une part, cette exigence n’est pas imposée aux agents d’autres services publics. D’autre part, l’ancien article 10 du décret du 5 juillet 2000 n’imposait pas une telle condition. En réalité, la « dérive interprétative »
dénoncée par le Gouvernement de la Communauté française résulte de sa propre interprétation erronée et unilatérale de l’ancien article 10 du décret du 5 juillet 2000.
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Les parties requérantes soutiennent que le régime prévu par l’arrêté du Gouvernement flamand du 13 janvier 2006 « fixant le statut du personnel des services des autorités flamandes » (ci-après : l’arrêté du Gouvernement flamand du 13 janvier 2006) n’est pas comparable au régime prévu à l’article 77 du décret du 19 juillet 2021, ni aux autres régimes précités. Ce régime prévoit un quota de jours de congé de maladie de 666 jours (contre 182 jours pour les membres du personnel enseignant visés par le décret du 5 juillet 2000). Il ne prévoit par ailleurs ni une obligation de reprise effective d’une activité professionnelle, ni l’application du régime de congés en vigueur en cas d’accident du travail dans le cadre de la reprise d’une activité professionnelle après la date de consolidation.
En revanche, la récupération des traitements est possible, ce qui n’est pas le cas dans les autres régimes. Enfin, le régime critiqué est prévu par une disposition décrétale, tandis que le régime applicable au personnel des autorités flamandes est prévu par un arrêté. Selon les parties requérantes, rien ne justifie que soit accordée une prépondérance à une comparaison du régime critiqué avec le régime applicable aux agents des autorités flamandes.
Les parties requérantes indiquent avoir dûment analysé les régimes de congés auxquels elles se réfèrent. Elles ne soutiennent pas que les membres du personnel enseignant pourraient bénéficier indéfiniment du régime de congés applicable en cas d’accident du travail. L’application de ce régime est limitée par l’admission à la pension pour cause d’inaptitude physique définitive.
Selon les parties requérantes, la disposition attaquée ne se borne pas à clarifier une règle existante. Elle en modifie la portée et crée un nouveau régime. Elles observent que le décret du 5 juillet 2000 s’applique aux membres du personnel engagés à titre définitif, qu’ils soient nommés ou engagés sous contrat. La disposition attaquée s’applique ainsi également aux membres du personnel de l’enseignement libre subventionné. Se référant aux travaux préparatoires du décret du 5 juillet 2000, les parties requérantes exposent que la ratio legis du régime de congés applicable en cas d’accident du travail est de protéger et d’améliorer la situation sociale des enseignants.
L’indemnisation des absences postérieures à la consolidation dans le cadre d’un congé de maladie en lieu et place d’une prise en charge conforme à la réglementation des congés liés à un accident du travail entraîne un épuisement du quota de jours de congé de maladie du membre du personnel enseignant concerné, alors que celui-ci n’est pas malade mais absent en raison d’un accident du travail. Il sera placé en disponibilité pour cause de maladie plus rapidement, avec des conséquences pécuniaires moins favorables. Une réduction de traitement de 20 % à 40 %
constitue une régression de ses droits. Certains pourraient avoir tendance à reprendre le travail avec des conséquences défavorables pour leur santé et pour la sécurité.
Les parties requérantes font valoir qu’une rente liée au taux d’incapacité permanente reconnu à la victime peut être cumulée avec une rémunération liée au régime des congés prévu par le décret du 5 juillet 2000.
L’indemnisation de l’incapacité de travail pendant la période d’incapacité de travail régie par la loi du 3 juillet 1967 doit être distinguée de la rémunération octroyée pendant la période d’incapacité de travail liée à l’accident du travail régie par le décret du 5 juillet 2000. Alors que le taux d’invalidité permanente est fixé en fonction de la capacité résiduelle du travail de la victime sur le marché général de l’emploi, les absences s’apprécient au regard de la seule fonction exercée par la victime au moment de l’accident. Pour cette raison, la date de consolidation des lésions peut, selon la jurisprudence, être différente de la date ultime d’absence justifiée par l’accident du travail.
Les parties requérantes observent que l’arrêt de la Cour du travail de Liège du 16 janvier 2012 (2011/AL/174, ECLI:BE:CTLIE:2012:ARR.20120116.2), qui fait suite à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 février 2011, répond à l’argumentation développée par le Gouvernement de la Communauté française dans la présente procédure.
Les parties requérantes soutiennent que les décisions auxquelles Gouvernement de la Communauté française se réfère sont dépassées et que toute référence aux travaux préparatoires et à la doctrine relatifs à la législation applicable dans le secteur privé est dépourvue de pertinence. Il est possible, selon elles, que la disposition attaquée ait été adoptée pour des raisons budgétaires, dès lors qu’il est plus avantageux financièrement pour la Communauté française de verser un traitement réduit.
A.4.1. À titre préalable, le Gouvernement de la Communauté française expose que la réglementation des absences des membres du personnel qui sont victimes d’un accident du travail et la rémunération de ceux-ci sont liées, la première ayant une incidence sur la seconde. La disposition attaquée s’applique uniquement aux membres du personnel enseignant soumis au décret du 5 juillet 2000 qui sont nommés, engagés à titre définitif ou admis au stage, à l’exclusion des membres du personnel enseignant engagés sous contrat de travail ou par le biais de
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désignations temporaires. L’interprétation selon laquelle l’ancien article 10 du décret du 5 juillet 2000 prévoyait un congé sans limite de temps ne résulte pas de cette disposition, mais de la « dérive interprétative » dont elle a fait l’objet. La disposition attaquée vise à « clarifi[er] l’application d’une disposition mal interprétée par la jurisprudence majoritaire ». Les parties requérantes interpréteraient par ailleurs de manière erronée la jurisprudence de la Cour de cassation.
A.4.2. Le Gouvernement de la Communauté française soutient que la différence de traitement entre les membres du personnel enseignant et les agents d’autres secteurs publics n’est pas contraire aux articles 10 et 11
de la Constitution. Premièrement, d’autres secteurs publics appliquent un régime analogue au régime prévu par la disposition attaquée. C’est notamment le cas du régime prévu par l’arrêté du Gouvernement flamand du 13 janvier 2006. Deuxièmement, les régimes de jours de congé et de maladie des agents des services publics auxquels se réfèrent les parties requérantes relèvent de la compétence de différents niveaux de pouvoir. Or, une différence de traitement qui trouve sa source dans l’application de normes édictées par des législateurs différents n’est pas contraire au principe d’égalité. Troisièmement, les parties requérantes citent et analysent de manière incomplète les dispositions et les régimes applicables aux agents d’autres secteurs publics auxquels elles renvoient. En ce qui concerne les membres des services de police, il ressort des articles VIII.X.6 et VIII.X.8 de l’arrêté royal du 30 mars 2001 que le décompte des jours de congé de maladie intervient dès la date de consolidation des lésions. Les membres des services de police ne peuvent pas faire valoir des absences postérieures à cette date sans limite de temps. Les parties requérantes invoquent l’existence de régimes différents sans démontrer qu’il en résulterait une différence de traitement injustifiée.
Le Gouvernement de la Communauté française fait valoir que la différence de traitement entre les membres du personnel enseignant selon qu’ils sont soumis à la loi ancienne ou à la loi nouvelle n’est pas non plus contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. Ceci ressort de la jurisprudence constante de la Cour. Par ailleurs, la disposition attaquée n’introduit pas un nouveau régime. Les absences des membres du personnel enseignant postérieures à la date de consolidation des lésions sont traitées en vertu de la disposition attaquée, comme elles l’ont toujours été.
En ce qui concerne la différence de traitement entre les membres du personnel enseignant et les agents des autres services de la Communauté française, le Gouvernement de la Communauté française soutient que ces deux catégories de personnes ne sont pas comparables. Il observe en outre que les parties requérantes ne critiquent pas la différence de traitement entre les membres du personnel enseignant selon que ceux-ci relèvent ou non du champ d’application du décret du 5 juillet 2000 ni selon qu’ils sont nommés, engagés à titre définitif, admis au stage ou temporaires.
A.4.3. Selon le Gouvernement de la Communauté française, il ressort des travaux préparatoires que la disposition attaquée était nécessaire en raison du fait qu’un contentieux judiciaire se développait. Il observe que les parties requérantes ne précisent pas quelle serait la ratio legis du régime des congés liés à un accident du travail, ni la source de celle-ci. Il fait valoir que le régime applicable prévoit que les jours d’absence sont décomptés du quota de jours de congé de maladie à partir de la date de consolidation. Lorsque ce quota est épuisé, le membre du personnel enseignant concerné se trouve de plein droit en disponibilité et bénéficie d’un traitement réduit, à savoir 80 % du dernier traitement d’activité pendant douze mois, 70 % du dernier traitement d’activité pendant les douze mois suivants et 60 % du dernier traitement d’activité au delà de cette période. Selon le Gouvernement de la Communauté française, ce régime n’entraîne pas une régression dans la protection des droits fondamentaux des personnes concernées, puisqu’il s’agit du régime qui a toujours été applicable. Il ajoute que les conditions de travail ne sont pas concernées en l’espèce, et que l’atteinte au droit à une rémunération équitable n’est pas étayée par des éléments précis et concrets. En tout état de cause, un changement de régime est toujours possible en application de la loi du changement, et la régression éventuelle n’est pas significative.
Le Gouvernement de la Communauté française soutient que le décret du 5 juillet 2000 et la loi du 3 juillet 1967 « sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public » doivent s’interpréter à la lumière l’un de l’autre. La loi du 3 juillet 1967, qui est d’ordre public, interdit de cumuler une incapacité temporaire de travail et une incapacité permanente de travail. Il se réfère à l’arrêt de la Cour constitutionnelle n° 165/2018 du 29 novembre 2018 (ECLI:BE:GHCC:2018:ARR.165), à l’arrêt de la Cour de cassation S.00.0178.F du 24 septembre 2001 (ECLI:BE:CASS:2001:ARR.20010924.7), à la jurisprudence des cours et tribunaux et à la doctrine. Selon le Gouvernement de la Communauté française, une incapacité temporaire de travail est, par
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définition, temporaire, et elle prend fin au moment de la consolidation de l’état de santé de la victime. Des périodes d’incapacité temporaire postérieures à la consolidation peuvent être constatées si elles conservent un caractère temporaire. Les absences postérieures à la consolidation doivent être couvertes conformément au décompte applicable au régime des congés de maladie. Une non-reprise du travail après consolidation n’équivaut pas à la situation d’une « rechute en incapacité temporaire totale » visée à l’article 6, § 3, de la loi du 3 juillet 1967 et à l’article 25 de la loi du 10 avril 1971 « sur les accidents du travail ». La portée de l’arrêt de la Cour de cassation du 14 février 2011 doit être relativisée. Cet arrêt casse l’arrêt de la Cour du travail de Mons du 9 avril 2009 (RG
20.506) uniquement en ce que celui-ci refuse au membre du personnel le droit de prouver la qualification de ses absences au regard du décret du 5 juillet 2000, au moyen d’une expertise judiciaire. Il ressort de la jurisprudence et des travaux préparatoires de l’article 25 de la loi du 10 avril 1971 précitée que le régime des incapacités temporaires postérieures à la date de consolidation est un régime d’exception, qui permet d’indemniser des rechutes ponctuelles lorsqu’une personne a repris le travail. L’interprétation extensive proposée par les parties requérantes leur permet d’être indemnisées pour leur incapacité permanente et pour des incapacités temporaires à partir de la date de consolidation, sans reprendre une activité professionnelle. La victime percevrait ainsi une double indemnisation de son dommage et la notion de consolidation perdrait son sens et son essence. Cette interprétation donnerait lieu, en outre, à une discrimination entre les victimes d’un accident du travail. Les parties requérantes cherchent à obtenir une situation de congé leur donnant des droits plus importants que ceux que la loi reconnaît à des enseignants continuant à travailler malgré leur incapacité permanente de travail.
Le Gouvernement de la Communauté française conclut que la disposition attaquée respecte les principes fondamentaux en matière d’indemnisation d’accident du travail et qu’il est légitime que le décompte des jours de maladie s’enclenche à partir de la date de la consolidation des lésions. Il observe qu’en cas de rechute en incapacité après la date de consolidation, le congé est accordé à nouveau sans qu’il soit puisé dans le quota.
Le Gouvernement de la Communauté française fait valoir que des raisons budgétaires ne sont pas invoquées pour justifier l’adoption de la disposition attaquée. Le moyen ne serait pas recevable en ce qu’il est pris de la violation de la jurisprudence des cours et tribunaux. Le législateur décrétal n’entend pas remettre en cause la jurisprudence à laquelle les parties requérantes se réfèrent. Il entend clarifier le texte d’une disposition législative eu égard au refus des cours et tribunaux de respecter la pratique constante de l’administration en la matière. Cette jurisprudence compromettrait la séparation des pouvoirs et non la disposition attaquée. Le Gouvernement de la Communauté française n’aperçoit pas en quoi l’article 23 de la Constitution serait violé, ni en quoi la disposition attaquée remettrait en cause les notions de consolidation et d’incapacité. Enfin, aucune disposition du décret du 19 juillet 2021 ne prévoit une entrée en vigueur de celui-ci avec effet rétroactif.
A.4.4. Le Gouvernement de la Communauté française soutient que l’ancien article 10 du décret du 5 juillet 2000, tel qu’il était appliqué par la Communauté française, exigeait déjà une reprise de fonction pour pouvoir continuer à bénéficier du régime de congés applicable en cas d’accident du travail. La doctrine confirme que les absences sont imputées sur le quota de congés de maladie dès que l’incapacité de travail temporaire se mue en incapacité de travail permanente. Les absences indemnisables selon les critères de la loi du 3 juillet 1967
n’entament pas le capital de jours de congé auquel l’agent a droit, contrairement aux absences qui ne répondent pas à ces critères. Les membres du personnel enseignant bénéficient également d’un quota « illimité » de jours de congé de maladie, sans préjudice de l’application des dispositions relatives à la mise en disponibilité qui entraîne une diminution de rémunération. Le quota de jours de congé de maladie du membre du personnel enseignant n’est pas de 182 jours sur l’ensemble de la carrière. À partir de la consolidation et si aucune reprise de fonction n’a eu lieu à cette date, il dispose d’une réserve de 182 jours durant lesquels il perçoit l’intégralité de son traitement. Il tombe ensuite en disponibilité et perçoit alors un traitement réduit. Cette diminution est plus lente et moins importante que dans les autres régimes auxquels les parties requérantes se réfèrent.
Le Gouvernement de la Communauté française expose qu’un mécanisme de récupération des traitements est ouvert à l’employeur public sur la base de l’article 1382 du Code civil et qu’un tel mécanisme est prévu par les différents régimes auxquels les parties requérantes se réfèrent. Il estime que les régimes de congés applicables à d’autres agents de la fonction publique et aux agents des autres services de la Communauté française suivent une logique qui leur est propre et qu’ils ne sont pas comparables au régime prévu par la disposition attaquée. Enfin, la condition de reprise de l’activité professionnelle sur laquelle reposerait la différence de traitement critiquée est un critère objectif.
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-B-
Quant à la disposition attaquée et à son contexte
B.1.1. L’article 77 du décret de la Communauté française du 19 juillet 2021 « modifiant diverses dispositions en matière de statut des membres du personnel de l’enseignement » (ci-
après : le décret du 19 juillet 2021) modifie le régime du congé pour maladie ou infirmité résultant d’un accident du travail applicable à certains membres du personnel enseignant en vertu de l’article 10 du décret de la Communauté française du 5 juillet 2000 « fixant le régime des congés et de disponibilité pour maladie ou infirmité de certains membres du personnel de l’enseignement » (ci-après : le décret du 5 juillet 2000).
L’article 77 du décret du 19 juillet 2021 est entré en vigueur le 9 septembre 2021, conformément à l’article 124 du même décret.
B.1.2. Les articles 7 à 17bis du décret du 5 juillet 2000 déterminent le régime des congés et de disponibilité pour maladie ou infirmité dont bénéficient les membres du personnel enseignant visés à l’article 1er de ce décret qui sont nommés ou engagés à titre définitif ou admis au stage (article 6 du même décret).
Le membre du personnel enseignant qui est empêché d’exercer normalement sa fonction, par suite de maladie ou d’infirmité, bénéficie au cours de sa carrière d’un nombre maximum de jours de congé pour cette raison (articles 7 à 9).
Les congés pour maladie ou infirmité sont assimilés à des périodes d’activité de service (article 12). Pendant ceux-ci, le membre du personnel reçoit son traitement d’activité, soit un traitement à 100 % (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 1999-2000, n° 87/1, p. 5).
Le membre du personnel enseignant se trouve de plein droit en disponibilité lorsqu’il est absent pour maladie ou infirmité après avoir épuisé le nombre maximum de jours de congé qui peuvent lui être accordés pour cette raison « en application des articles 7 à 10 » (article 13).
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Durant cette période, il perçoit un traitement d’attente réduit, à savoir : 80 % de son dernier traitement d’activité pendant les douze premiers mois de disponibilité, 70 % de ce traitement pendant les douze mois suivants et 60 % de ce traitement au delà de ces vingt-quatre premiers mois (article 14).
Le membre du personnel enseignant ne peut pas être déclaré définitivement inapte pour maladie ou infirmité avant d’avoir épuisé les jours de congé visés aux articles 7 à 9 (article 11).
B.1.3. Avant sa modification par l’article 77 du décret du 19 juillet 2021, l’article 10 du décret du 5 juillet 2000 disposait :
« Par dérogation aux dispositions qui précèdent, le congé pour cause de maladie ou d’infirmité est accordé sans limite de temps lorsqu’il résulte d’un accident du travail, d’un accident sur le chemin du travail ou d’une maladie professionnelle.
Sauf pour l’application de l’article 11, les jours de congé accordés en application de l’alinéa précédent ne sont pas pris en considération pour fixer le nombre de jours de congé dont bénéficie le membre du personnel en vertu des articles 7 à 9 ».
Cette disposition prévoyait que, « par dérogation aux articles [7 à 9] », le congé pour maladie ou infirmité est accordé sans limite de temps lorsqu’il résulte d’un accident du travail, d’un accident sur le chemin du travail ou d’une maladie professionnelle (alinéa 1er) et que, sauf dans l’hypothèse d’une déclaration d’inaptitude définitive (« sauf pour l’application de l’article 11 »), ces jours de congé ne sont pas pris en considération pour fixer le nombre de jours de congé visés aux articles 7 à 9 (alinéa 2).
B.1.4. Par son arrêt du 14 février 2011 (S.09.0105.F, ECLI:BE:CASS:2011:ARR.20110214.1), la Cour de cassation a jugé que l’article 10 du décret du 5 juillet 2000, tel qu’il était applicable avant sa modification par l’article 77 du décret du 19 juillet 2021, n’introduisait aucune distinction suivant que le congé est accordé avant ou après la consolidation des lésions, et que l’arrêt décidant que cette disposition ne pouvait pas s’appliquer après la consolidation des lésions violait celle-ci :
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« En vertu de l’article 10 du décret de la Communauté française du 5 juillet 2000, le congé pour cause de maladie ou d’infirmité est accordé sans limite de temps lorsqu’il résulte d’un accident du travail, d’un accident sur le chemin du travail ou d’une maladie professionnelle et n’est pas pris en considération pour apprécier si l’agent, ayant épuisé le nombre maximum de jours de congé qui peuvent lui être accordés pour cause de maladie ou d’infirmité, se trouve de plein droit en disponibilité.
Pas plus que les autres dispositions du décret, qui règle les congés pour cause de maladie ou d’infirmité que peut obtenir l’agent auquel il s’applique et leur incidence sur sa position administrative, l’article 10 n’a pour objet l’indemnisation de la victime d’un accident du travail, d’un accident sur le chemin du travail ou d’une maladie professionnelle.
Cet article ne prévoit aucune distinction suivant que le congé qu’il concerne est accordé avant ou après la consolidation des lésions.
En décidant, par les motifs reproduits au moyen, que l’article 10 ‘ ne pourrait trouver application après la consolidation des lésions ’ en raison ‘ des principes clairs dégagés de la loi du 3 juillet 1967 ’, ‘ lesquels sont d’ordre public ’, l’arrêt viole cette disposition légale. »
Dans le même sens, il a été jugé à plusieurs reprises qu’en vertu de l’article 10 du décret du 5 juillet 2000, tel qu’il était applicable avant sa modification par l’article 77 du décret du 19 juillet 2021, les absences au travail postérieures à la date de consolidation des lésions, dès lors qu’elles sont en lien causal avec l’accident du travail, ne sont pas imputées sur le quota de jours de congé pour maladie ou infirmité visé aux articles 7 à 9 du décret du 5 juillet 2000 et que l’enseignant concerné perçoit l’intégralité de son traitement durant cette période (Liège, 18 octobre 2016, RG 2015/1194; Liège, 24 avril 2018, RG 2017/232; Mons, 13 novembre 2018, RG 2018/88; Liège, 19 novembre 2018, RG 2017/1150, inédits).
B.1.5. Depuis sa modification par l’article 77 du décret du 19 juillet 2021, l’article 10 du décret du 5 juillet 2000 dispose :
« Par dérogation aux dispositions qui précèdent, lorsqu’il résulte d’un accident du travail, d’un accident sur le chemin du travail ou d’une maladie professionnelle, le congé pour cause de maladie ou d’infirmité est accordé sans limite de temps :
- durant la période d’incapacité antérieure à la date de consolidation/durant la période d’incapacité temporaire;
- durant les périodes d’absence postérieures à cette même date de consolidation, pour autant qu’il s’agisse d’une nouvelle incapacité liée à l’incapacité initiale mais intervenue après une reprise du travail.
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Sauf pour l’application de l’article 11, les jours de congé accordés en application de l’alinéa précédent ne sont pas pris en considération pour fixer le nombre de jours de congé dont bénéficie le membre du personnel en vertu des articles 7 à 9 ».
Quant à la recevabilité
B.2.1. Le Gouvernement de la Communauté française conteste l’intérêt des parties requérantes. La différence de traitement qu’elles dénoncent trouverait son origine non pas dans l’article 10 du décret du 5 juillet 2000, tel qu’il était applicable avant ou après son remplacement par l’article 77 du décret du 19 juillet 2021, mais dans la jurisprudence des juridictions.
B.2.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.2.3. Le recours est dirigé contre l’article 77 du décret du 19 juillet 2021, et non contre l’article 10 du décret du 5 juillet 2000, tel qu’il était applicable avant sa modification par cette disposition. La question de savoir si la différence de traitement critiquée par les parties requérantes trouve son origine dans cette disposition est liée au fond.
B.2.4. L’exception est rejetée.
Quant au fond
B.3. Le moyen unique est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 23 de celle-ci.
Les parties requérantes font valoir qu’en subordonnant la poursuite du bénéfice du régime de congés applicable en cas d’accident du travail à une reprise effective de l’activité professionnelle à la date de consolidation ou après celle-ci alors que le membre du personnel
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enseignant concerné serait sans discontinuité en incapacité de travail en raison de l’accident du travail dont il a été victime, l’article 77 du décret du 19 juillet 2021 traite différemment, sans qu’existe une justification raisonnable, les membres du personnel enseignant et les agents d’autres services publics. À cet égard, elles comparent, d’une part, la situation des membres du personnel enseignant soumis à l’article 10 du décret du 5 juillet 2000 et, d’autre part, celle des agents visés par l’arrêté royal du 19 novembre 1998 « relatif aux congés et aux absences accordés aux membres du personnel des administrations de l’État » (ci-après : l’arrêté royal du 19 novembre 1998), par l’arrêté royal du 30 mars 2001 « portant la position juridique du personnel des services de police » (ci-après : l’arrêté royal du 30 mars 2001), par l’arrêté du Gouvernement wallon du 18 décembre 2003 « portant le Code de la fonction publique wallonne » (ci-après : l’arrêté du Gouvernement wallon du 18 décembre 2003) et par l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 2 juin 2004 « relatif aux congés et aux absences des agents des Services du Gouvernement de la Communauté française, du Conseil supérieur de l’Audiovisuel et des organismes d’intérêt public relevant du Comité de Secteur XVII » (ci-après : l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 2 juin 2004).
Selon les parties requérantes, la disposition attaquée fait aussi naître une différence de traitement entre les membres du personnel enseignant victimes d’un accident du travail selon qu’une reprise du travail a eu lieu ou non au moment de la consolidation. Elle entraîne en outre un recul non justifié par un motif d’intérêt général du droit des membres du personnel enseignant à des conditions de travail et à une rémunération équitables garanti par l’article 23, alinéa 3, 1°, de la Constitution.
Enfin, les parties requérantes font valoir que la disposition attaquée est rétroactive, sans que cette rétroactivité soit nécessaire à la réalisation d’un objectif d’intérêt général.
B.4. Avant l’entrée en vigueur du décret du 5 juillet 2000, la règle selon laquelle les jours de congé pour maladie ou infirmité résultant d’un accident du travail sont accordés sans limite de temps et sans impact sur le quota de jours de congé pour maladie ou infirmité était contenue dans l’article 9 du décret du 4 février 1997 « fixant le régime des congés et de disponibilité pour
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maladie et infirmité de certains membres du personnel de l’enseignement ». Les travaux préparatoires de cette disposition énoncent :
« L’article 9 réaffirme le principe de la protection du travailleur lorsque le congé pour cause de maladie ou d’infirmité résulte d’un accident du travail, d’un accident sur le chemin du travail ou d’une maladie professionnelle. Dans ce cas, le congé est accordé sans limite de temps et sans impact sur le calcul du nombre de jours de congé de maladie auquel il peut prétendre tant pour l’année que pour l’ensemble de la carrière » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 1996-1997, n° 135/1, p. 3).
« Il est à rappeler que toute absence résultant d’un accident du travail, d’un accident sur le chemin du travail ou d’une maladie professionnelle n’a aucun impact sur le calcul du nombre de jours de congés de maladie » (ibid., n° 135/2, p. 3).
Il ressort des travaux préparatoires du décret du 5 juillet 2000 que, par l’article 10 de ce décret, tel qu’il était applicable avant sa modification par la disposition attaquée, le législateur décrétal a voulu préserver cette mesure:
« ’ Le Gouvernement, conscient que les enseignants sont les premiers acteurs du système éducatif initiera une nouvelle relation de confiance avec eux et avec l’ensemble de la communauté éducative. Elle passera notamment par une réforme du régime des congés de maladie. Celle-ci se traduira notamment [...] par une certaine forme de recapitalisation progressive, jusqu’à 182 jours, qui tienne compte d’une partie des jours de congé de maladie non utilisés. ’
C’est en ces termes que le Gouvernement de la Communauté française a énoncé, dans la déclaration de politique communautaire, l’un des objectifs qu’il entendait poursuivre, à savoir l’amélioration de la situation sociale des enseignants.
Le présent décret concrétise cette ambition en opérant la révision du régime des congés de maladie ou d’infirmité des enseignants antérieurement régi par le décret du 4 février 1997 fixant le régime des congés et de disponibilité pour maladie et infirmité de certains membres du personnel de l’enseignement.
[...]
Pour le surplus, la plupart des dispositions anciennement en vigueur ne sont pas modifiées.
Tel est le cas, par exemple, des dispositions relatives à la mise en disponibilité pour maladie avec traitement dégressif, la protection du travailleur lorsque le congé pour cause de maladie ou d’infirmité résulte d’un accident du travail, d’un accident survenu sur le chemin du travail ou d’une maladie professionnelle, la protection particulière des membres du personnel souffrant d’une maladie ou d’une infirmité reconnue comme grave et de longue durée et l’assimilation des congés pour cause de maladie ou d’infirmité à des périodes d’activité de service » (Doc.
parl., Parlement de la Communauté française, 1999-2000, n° 87/1, p. 2).
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Lors des travaux préparatoires du même décret, il a également été rappelé que le système d’un quota de jours de congé pour maladie et d’une mise en disponibilité avec traitement dégressif après l’épuisement de ce quota « ne s’applique pas pour [...] les maladies professionnelles et les accidents du travail » (ibid., n° 87/2, p. 2).
B.5.1. Il ressort de ces travaux préparatoires, de la version antérieure de l’article 10 du décret du 5 juillet 2000, citée en B.1.3, et de la jurisprudence citée en B.1.4 qu’avant la modification décrétale attaquée, les jours de congé pour maladie ou infirmité résultant d’un accident du travail étaient accordés aux membres du personnel enseignant visés sans limite de temps et sans impact sur le quota de jours de congé pour maladie ou infirmité visé aux articles 7
à 9 du décret du 5 juillet 2000, que ceux-ci interviennent avant ou après la date de consolidation des lésions. Les membres du personnel enseignant concernés percevaient l’intégralité de leur traitement durant cette période.
B.5.2. En vertu de l’article 10 du décret du 5 juillet 2000, tel qu’il est applicable depuis sa modification par l’article 77 du décret du 19 juillet 2021, seuls les jours de congé pour maladie ou infirmité résultant d’un accident du travail antérieurs à la date de consolidation (« durant la période d’incapacité antérieure à la date de consolidation / durant la période d’incapacité temporaire »), d’une part, et les jours de congé qui sont postérieurs à cette date « pour autant qu’il s’agisse d’une nouvelle incapacité liée à l’incapacité initiale mais intervenue après une reprise du travail », d’autre part, sont accordés sans limite de temps et sans impact sur le quota de jours de congé pour maladie ou infirmité visé aux articles 7 à 9 du décret du 5 juillet 2000.
Il en résulte que les jours de congé pour maladie ou infirmité résultant d’un accident du travail postérieurs à la date de consolidation qui ne font pas suite à une reprise de travail sont désormais imputés sur le quota de jours de congé pour maladie ou infirmité visé aux articles 7 à 9 du décret du 5 juillet 2000. Ces jours de congé sont dès lors pris en considération lorsqu’il s’agit d’apprécier si l’agent, ayant épuisé ce quota, se trouve de plein droit en disponibilité et perçoit un traitement d’attente réduit, conformément aux articles 13 et 14 du même décret.
B.5.3. Contrairement à ce que le Gouvernement de la Communauté française soutient, l’article 77 du décret du 19 juillet 2021 attaqué ne se limite pas à confirmer une situation préexistante. Cette disposition modifie les conditions d’application de l’ancien article 10 du
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décret du 5 juillet 2000 et introduit dès lors un nouveau régime de congés et de disponibilité applicable aux membres du personnel enseignant concernés.
En ce qui concerne la différence de traitement entre les membres du personnel enseignant et certains agents fédéraux et régionaux
B.6. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.7. La différence de traitement critiquée entre, d’une part, les membres du personnel enseignant soumis à l’article 10 du décret du 5 juillet 2000 et, d’autre part, les agents visés par l’arrêté royal du 19 novembre 1998, par l’arrêté royal du 30 mars 2001 et par l’arrêté du Gouvernement wallon du 18 décembre 2003, en ce qui concerne le régime de congés qui leur est applicable en cas d’accident du travail, résulte de l’autonomie accordée aux communautés et aux régions ainsi qu’à l’autorité fédérale par ou en vertu de la Constitution, dans les matières qui relèvent de leurs compétences respectives.
Sans préjudice de l’application éventuelle du principe de proportionnalité dans l’exercice des compétences, cette autonomie serait dénuée de sens si une différence de traitement entre, d’une part, les destinataires de règles communautaires et, d’autre part, les destinataires de règles fédérales et régionales, dans des matières analogues, était jugée contraire en tant que telle au principe d’égalité et de non-discrimination.
En ce qu’il porte sur cette différence de traitement, le moyen unique n’est pas fondé.
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En ce qui concerne la différence de traitement entre les membres du personnel enseignant et les agents visés par l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 2 juin 2004
B.8. L’article 1er, § 1er, de l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 2 juin 2004, précité, dispose :
« Le présent arrêté s’applique aux agents des services du Gouvernement de la Communauté française, du Conseil supérieur de l’Audiovisuel et des organismes d’intérêt public relevant du Comité de Secteur XVII. [...] ».
L’article 59 du même arrêté dispose :
« § 1er. Sous réserve de l’article 61 et par dérogation à l’article 53, l’agent bénéficie d’un congé accordé sans limite de temps dans les circonstances suivantes :
1° lorsque sa maladie ou son infirmité est provoquée par un accident du travail, par un accident survenu sur le chemin du travail ou par une maladie professionnelle;
[...]
Sauf pour l’application de l’article 61, les jours de congé accordés dans ces cas ne sont pas pris en considération pour déterminer le nombre de jours de congé que l’agent peut encore obtenir en vertu de l’article 53.
Pour les cas visés à l’alinéa 1er, 1°, les dispositions de l’alinéa précédent restent d’application même après la date de consolidation.
[...] ».
L’article 53 du même arrêté dispose :
« Pour l’ensemble de sa carrière, l’agent qui, par suite de maladie ou d’infirmité, est empêché d’exercer normalement ses fonctions, bénéficie, à sa demande, de congés pour cause de maladie ou d’infirmité à concurrence de vingt et un jours ouvrables par douze mois d’ancienneté de service.
Toutefois, lors de son entrée en service, l’agent bénéficie d’un crédit de jours de congé pour cause de maladie ou d’infirmité fixé à soixante-trois jours ouvrables couvrant les trente-
six premiers mois d’ancienneté de service.
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Pour l’agent invalide de guerre, le nombre de jours fixé au premier alinéa est porté à trente-
deux et à nonante-cinq au deuxième alinéa.
Le congé pour cause de maladie ou d’infirmité est assimilé à une période d’activité de service ».
L’article 61, alinéa 1er, du même arrêté dispose :
« L’agent ne peut être déclaré définitivement inapte pour cause de maladie ou d’infirmité avant qu’il n’ait épuisé la somme de congés à laquelle lui donne droit l’article 53 du présent arrêté ».
B.9.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’impose pas qu’un statut juridique identique soit accordé à toute personne qui travaille au sein des services publics. Il appartient à l’autorité compétente de choisir la voie la plus appropriée pour réaliser les missions de service public dont elle est chargée.
B.9.2. La disposition attaquée est applicable aux membres du personnel de l’enseignement, visés à l’article 1er du décret du 5 juillet 2000, alors que l’arrêté du 2 juin 2004
est notamment applicable aux agents des services du Gouvernement de la Communauté française.
Eu égard aux différences objectives entre les deux catégories de membres du personnel et les secteurs dans lesquels ces membres du personnel sont actifs, il est justifié de les soumettre à des statuts différents. Il est admissible que la comparaison détaillée des deux statuts fasse apparaître des différences de traitement, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Il ne pourrait être question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l’application de chacun de ces statuts entraînait une limitation disproportionnée des droits des membres du personnel concernés.
B.10. Le législateur décrétal dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu pour déterminer sa politique dans les matières socio-économiques. C’est notamment le cas lorsqu’il s’agit du statut des membres du personnel enseignant, et en particulier du régime relatif aux congés et disponibilités pour maladie ou infirmité résultant d’un accident du travail.
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B.11.1. La disposition attaquée a été justifiée comme suit, lors des travaux préparatoires :
« Cette modification vise à préciser les conséquences d’une reconnaissance d’un accident du travail, d’un accident sur le chemin du travail ou d’une maladie professionnelle sur le régime des congés de maladie fixé par le décret du 5 juillet 2000 afin [de] clarifier que les périodes d’incapacité de travail suivant immédiatement une consolidation ne sont pas couvertes par la disposition d’immunisation du décompte des jours de congé maladie prévue à l’article 10 de ce décret » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2020-2021, n° 264/1, p. 23).
B.11.2. Il ressort des mémoires du Gouvernement de la Communauté française que la modification décrétale attaquée a été apportée à la suite de la jurisprudence citée en B.1.4. Par la disposition attaquée, le législateur décrétal aurait voulu éviter que des absences puissent être retenues « sans limite de temps au-delà de consolidation des lésions [...] tout en conservant le bénéfice d’une rémunération à 100 % cumulée avec la rente d’incapacité obtenue à partir de la date de consolidation ».
B.12.1. Comme l’observe le Gouvernement de la Communauté française, il convient de prendre en compte la loi du 3 juillet 1967 « sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public » (ci-après : la loi du 3 juillet 1967). En ce qu’elle règle l’indemnisation des accidents du travail, cette loi a en effet pour but de donner à la victime d’un accident du travail une « réparation appropriée du préjudice subi à la suite d’un accident du travail » (Doc. parl., Chambre, 1964-1965, n° 1023/1, pp. 3-4; Ann. parl., Chambre, 21 mars 1967, p. 30; Doc. parl., Sénat, 1966-1967, n° 242, p. 3).
L’article 3 de la loi du 3 juillet 1967 énumère les diverses indemnités qui peuvent être dues :
« 1° la victime d’un accident du travail, d’un accident survenu sur le chemin du travail ou d’une maladie a droit :
a) à une indemnité pour frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques, hospitaliers, de prothèse et d’orthopédie;
b) à une rente en cas d’incapacité de travail permanente;
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c) à une allocation d’aggravation de l’incapacité permanente de travail après le délai de révision;
[...] ».
L’article 3bis, alinéa 1er, dispose :
« Sous réserve de l’application d’une disposition légale ou réglementaire plus favorable, les membres du personnel auxquels la présente loi a été rendue applicable bénéficient pendant la période d’incapacité temporaire jusqu’à la date de reprise complète du travail des dispositions prévues en cas d’incapacité temporaire totale par la législation sur les accidents du travail ou par la législation relative à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles ».
L’article 22 de la loi du 10 avril 1971 « sur les accidents du travail » (ci-après : la loi du 10 avril 1971) dispose à cet égard :
« Lorsque l’accident a été la cause d’une incapacité temporaire et totale de travail, la victime a droit, à partir du jour qui suit celui du début de l’incapacité de travail, à une indemnité journalière égale à 90 p.c. de la rémunération quotidienne moyenne.
L’indemnité afférente à la journée au cours de laquelle l’accident survient ou au cours de laquelle l’incapacité de travail débute est égale à la rémunération quotidienne normale diminuée de la rémunération éventuellement proméritée par la victime ».
Les articles 4 à 7 de la loi du 3 juillet 1967 établissent les règles applicables aux rentes en cas d’incapacité de travail permanente.
L’article 4, § 1er, dispose :
« La rente pour incapacité de travail permanente est établie sur la base de la rémunération annuelle à laquelle la victime a droit au moment de l’accident ou de la constatation de la maladie professionnelle. Elle est proportionnelle au pourcentage d’incapacité de travail reconnue à la victime.
[...] ».
L’article 5 prévoit que, sans préjudice de l’application des articles 6 et 7 de la loi, la rente en cas d’incapacité permanente de travail et l’allocation d’aggravation de l’incapacité
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permanente de travail peuvent être cumulées avec la rémunération et avec la pension de retraite allouées en vertu des dispositions légales et réglementaires propres aux pouvoirs publics.
L’article 6 dispose :
« § 1er. Aussi longtemps que la victime conserve l’exercice de fonctions, la rente visée à l’article 3, alinéa 1er, 1°, b, et l’allocation visée à l’article 3, 1°, alinéa 1er, 1°, c, ne peuvent dépasser 25 % de la rémunération sur la base de laquelle la rente a été établie.
§ 2. Lorsque la victime est reconnue inapte à l’exercice de ses fonctions mais qu’elle peut en exercer d’autres qui sont compatibles avec son état de santé, elle peut être réaffectée, selon les modalités et dans les limites fixées par son statut, à un emploi correspondant à de telles fonctions.
Lorsque la victime est réaffectée, elle conserve le bénéfice du régime pécuniaire dont elle jouissait lors de l’accident ou de la constatation de la maladie professionnelle.
§ 3. Si l’incapacité de travail permanente reconnue à la victime s’aggrave au point qu’elle ne puisse plus exercer temporairement son nouvel emploi, elle a droit pendant cette période d’absence à l’indemnisation prévue à l’article 3bis ».
B.12.2. Conformément à l’article 3bis de la loi du 3 juillet 1967, un travailleur du secteur public qui a été victime d’un accident du travail peut bénéficier, pendant toute la période de son incapacité de travail temporaire, fût-elle totale ou partielle, des indemnités d’incapacité de travail temporaire totale prévues par la législation sur les accidents du travail dans le secteur privé « sous réserve de l’application d’une disposition légale ou réglementaire plus favorable »
(voy. également Cass., 10 octobre 2005, C.05.0074.N, ECLI:BE:CASS:2005:ARR.20051010.4).
L’indemnité d’incapacité de travail temporaire prend fin à la date à laquelle la victime reprend complètement le travail, ou à la date de la consolidation des séquelles de l’accident. À
partir de cette dernière date, la victime a droit à une rente pour incapacité de travail définitive, visée à l’article 3, alinéa 1er, 1°, b), de la loi du 3 juillet 1967.
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B.12.3. L’indemnisation en cas d’incapacité temporaire vise à compenser la perte de rémunération subie par le travailleur à la suite de l’accident du travail ou de l’accident survenu sur le chemin du travail dont il a été victime.
B.12.4. La rente pour incapacité permanente de travail tend par contre à réparer le dommage que la victime de l’accident du travail subit en raison notamment de la diminution de sa valeur économique sur le marché général de l’emploi (Cass., 24 mars 1986, RG 5052, ECLI:BE:CASS:1986:ARR.19860324.7; Cass., 12 décembre 1988, RG 8421, ECLI:BE:CASS:1988:ARR.19881212.12; Cass., 1er juin 1993, RG 6367, ECLI:BE:CASS:1993:ARR.19930601.7; Cass., 17 mars 1997, S.95.0144.F, ECLI:BE:CASS:1997:ARR.19970317.6).
Cette rente constitue un « mode de réparation propre du dommage provoqué par l’accident » et son paiement est indépendant du paiement de la rémunération de la victime de cet accident (Doc. parl., Chambre, 1964-1965, n° 1023/1, p. 5; Doc. parl., Chambre, 1966-1967, n° 339/6, p. 7; Doc. parl., Sénat, 1966-1967, n° 242, pp. 6-7). La victime d’un accident du travail peut donc en principe percevoir à la fois sa rémunération et la rente pour incapacité permanente de travail due en application de l’article 3, alinéa 1er, 1°, b), de la loi du 3 juillet 1967 (article 5 de cette loi).
B.13. La disposition attaquée est en lien avec la distinction ainsi établie dans la législation relative aux accidents du travail entre l’incapacité de travail temporaire et l’incapacité de travail permanente.
Ainsi qu’il est mentionné en B.1.2, le congé pour maladie ou infirmité est assimilé à des périodes de service actif et le membre du personnel reçoit durant ce congé l’intégralité de son traitement. En accordant pareil congé sans limite de temps durant la période d’incapacité de travail temporaire, la disposition attaquée permet, tant que les lésions évoluent, de compenser la perte de rémunération que subit le membre du personnel par suite de l’accident du travail.
Au cours de l’incapacité de travail temporaire, le membre du personnel concerné n’a en principe pas droit à une autre indemnité couvrant le dommage en ce qui concerne la perte de capacité de gain qui résulte de l’accident du travail.
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L’incapacité de travail temporaire prend fin à la date à laquelle la victime reprend complètement le travail, ou à la date de la consolidation des séquelles de l’accident. À partir de cette dernière date, l’incapacité peut être considérée comme présentant un caractère suffisamment certain et permanent, et l’intéressé a droit à une rente pour incapacité de travail permanente. Le législateur décrétal a pu choisir de ne pas octroyer également – sans limite de temps – un traitement intégral au membre du personnel qui bénéficie déjà d’une rente pour incapacité de travail permanente et qui ne peut pas reprendre le travail ou ne peut le faire que partiellement, eu égard aux coûts qu’impliquerait pour l’employeur public un tel cumul d’indemnités. Le membre du personnel percevrait ainsi des indemnités qui, cumulées, peuvent être plus élevées que son traitement avant l’accident du travail, même s’il ne travaille pas durant l’incapacité de travail permanente. Comme l’observe le Gouvernement de la Communauté française, il peut en outre être admis que la possibilité de percevoir à la fois une rente pour incapacité de travail permanente et un traitement intégral n’inciterait pas les membres du personnel concernés à reprendre le travail dès que leur état de santé le permet.
Il n’est pas non plus déraisonnable d’accorder tout de même un congé illimité pour maladie ou infirmité après la date de consolidation, pour autant qu’il s’agisse d’une nouvelle incapacité de travail liée à l’incapacité de travail initiale, mais qui se produit après une reprise du travail.
Dans cette situation, après la consolidation, les lésions du membre du personnel concerné se sont en effet aggravées au point que celui-ci ne pourra plus exercer son emploi, à tout le moins temporairement. Le législateur décrétal a pu considérer qu’un tel membre du personnel doit être traité de la même manière qu’un membre du personnel en incapacité de travail temporaire (voy.
en ce sens également l’article 6, § 3, de la loi du 3 juillet 1967).
B.14. Enfin, la circonstance que le congé pour maladie ou infirmité n’est pas accordé sans limite de temps durant l’incapacité de travail permanente ne produit pas des effets disproportionnés.
Certes, il s’ensuit que le membre du personnel concerné ne recevra plus son traitement intégral sans limite de temps. Dès que ce membre du personnel aura épuisé son congé pour maladie ou infirmité, celui-ci se trouvera toutefois en disponibilité et recevra, en plus de la rente octroyée pour incapacité de travail permanente, un traitement d’attente égal à 80 % du dernier traitement d’activité pendant les douze premiers mois de disponibilité, 70 % de ce traitement
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pendant les douze mois suivants et 60 % de ce traitement au delà de ces 24 premiers mois (articles 13 et 14 du décret du 5 juillet 2000). Le membre du personnel en disponibilité a en outre droit à un traitement d’attente égal au montant de son traitement d’activité si l’affection dont il souffre est reconnue comme maladie ou infirmité grave et de longue durée (article 15 du même décret). Il conserve également ses titres à une nomination à une fonction de promotion, à une nomination à une fonction de sélection et à l’avancement de traitement (article 16 du même décret).
Par ailleurs, la disposition attaquée ne porte pas atteinte à l’article 10, alinéa 2, du décret du 5 juillet 2000, qui prévoit que le congé accordé sans limite de temps en vertu de l’alinéa 1er de cet article n’est pas pris en considération dans le calcul du nombre de jours de congé dont bénéficie le membre du personnel en vertu des articles 7 à 9 du même décret. La disposition attaquée n’empêche pas non plus que le membre du personnel épuise le nombre de jours de congé restants après la date de consolidation et perçoive tout de même, durant cette partie de l’incapacité de travail permanente, un traitement intégral, en plus de la rente pour incapacité de travail permanente qui lui est octroyée.
La disposition attaquée a par ailleurs pour conséquence que les membres du personnel enseignant visés dans le décret du 5 juillet 2000, tant qu’ils sont en incapacité de travail temporaire, conservent un traitement intégral. Ils peuvent donc, même durant l’incapacité de travail temporaire, se trouver dans une situation plus favorable que les membres du personnel qui, conformément à l’article 3bis de la loi du 3 juillet 1967, « bénéficient pendant la période d’incapacité temporaire jusqu’à la date de reprise complète du travail, des dispositions prévues en cas d’incapacité temporaire totale par la législation sur les accidents du travail ou par la législation relative à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles ». En effet, les membres du personnel cités en dernier lieu ont « droit, à partir du jour du début de l’incapacité, à une indemnité journalière égale à 90 % du salaire quotidien moyen » (article 22
de la loi du 10 avril 1971).
B.15. La différence de traitement critiquée par les parties requérantes entre les membres du personnel enseignant visés dans le décret du 5 juillet 2000 et les membres du personnel visés dans l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 2 juin 2004 est donc raisonnablement justifiée. En ce qu’il porte sur cette différence de traitement, le moyen unique n’est pas fondé.
23
En ce qui concerne le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables
B.16.1. L’article 23 de la Constitution dispose que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. À cette fin, les différents législateurs garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels et ils déterminent les conditions de leur exercice. Ces droits comprennent notamment le droit, invoqué par les parties requérantes, à des conditions de travail et à une rémunération équitables (article 23, alinéa 3, 1°). L’article 23 de la Constitution ne précise pas ce qu’impliquent ces droits dont seul le principe est exprimé, chaque législateur étant chargé de les garantir, conformément à l’alinéa 2 de cet article, en tenant compte des obligations correspondantes.
B.16.2. L’article 23 de la Constitution contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement, sans justification raisonnable, le degré de protection offert par la législation applicable.
B.16.3. Comme il est dit en B.10, en matière socio-économique, le législateur décrétal dispose d’un large pouvoir d’appréciation en vue de déterminer les mesures à adopter pour tendre vers les objectifs qu’il s’est fixés.
B.16.4. L’obligation de standstill ne peut toutefois s’entendre comme imposant à chaque législateur, dans le cadre de ses compétences, de ne pas toucher aux modalités des conditions de travail et de la rémunération prévues par la loi. Elle leur interdit d’adopter des mesures qui marqueraient, sans justification raisonnable, un recul significatif des droits garantis par l’article 23, alinéa 3, 1°, de la Constitution, mais elle ne les prive pas du pouvoir d’apprécier la manière dont ces droits sont le plus adéquatement assurés.
B.17. Sans qu’il soit nécessaire d’établir si la disposition attaquée occasionne un recul significatif du degré de protection du droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, il peut être constaté que ce recul est en tout état de cause raisonnablement justifié, ainsi qu’il ressort de ce qui est dit en B.13 et B.14.
24
En ce qu’il est pris de la violation de l’article 23 de la Constitution, le moyen unique n’est pas fondé.
En ce qui concerne le principe de la non-rétroactivité
B.18.1. Conformément à l’article 124 du décret du 19 juillet 2021, la disposition attaquée est entrée en vigueur le dixième jour suivant la publication au Moniteur belge, soit le 9 septembre 2021. Elle ne produit ses effets que pour l’avenir. Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, cette disposition n’a donc pas d’effet rétroactif. La circonstance que la disposition attaquée est également applicable aux membres du personnel à l’égard desquels la consolidation a eu lieu avant le 9 septembre 2021 n’aboutit pas à une autre conclusion.
B.18.2. En ce qu’il est allégué dans le moyen unique que la disposition attaquée est rétroactive, sans que cette rétroactivité soit nécessaire pour réaliser un objectif d’intérêt général, le moyen repose sur une prémisse erronée et il n’est pas fondé.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 octobre 2023.
Le greffier, Le président f.f.,
F. Meersschaut T. Giet