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21/09/2023 | BELGIQUE | N°127/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 21 septembre 2023, 127/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 127/2023
du 21 septembre 2023
Numéro du rôle : 7874
En cause : la question préjudicielle relative à l’article D.IV.13 du Code du développement territorial, posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et D. Pieters, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par arrêt n° 254.674 du 5 octobre 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 13 octob...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 127/2023
du 21 septembre 2023
Numéro du rôle : 7874
En cause : la question préjudicielle relative à l’article D.IV.13 du Code du développement territorial, posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et D. Pieters, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt n° 254.674 du 5 octobre 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 13 octobre 2022, le Conseil d’État a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article D.IV.13 du Code du développement territorial viole-t-il le principe de standstill inhérent au droit à la protection d’un environnement sain prévu à l’article 23, [alinéa 3,] 4°, de la Constitution en ce que cette disposition n’exige plus qu’une dérogation au plan de secteur, pour autoriser un projet soumis à permis d’urbanisme, ne puisse être octroyée qu’à titre exceptionnel, c’est-à-dire qu’elle soit indispensable à la réalisation du projet soumis à l’autorité, contrairement à ce que prévoyait l’article 114 du CWATUP ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- Marcel Van Puymbroeck et Karine Deroloffe, assistés et représentés par Me J. Bouillard et Me G. Renard, avocats au barreau de Namur;
- la commune de Faimes, représentée par son collège communal, assistée et représentée par Me N. Van Damme et Me A. Zians, avocats au barreau de Liège-Huy;
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- la Région wallonne, assistée et représentée par Me P. Moërynck, avocat au barreau de Bruxelles;
- Sébastien Pirlet, assisté et représenté par Me A. Pirson, avocat au barreau de Liège-Huy.
Des mémoires en réponse ont été introduits par :
- la commune de Faimes;
- la Région wallonne;
- Sébastien Pirlet.
Par ordonnance du 28 juin 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs M. Pâques et Y. Kherbache, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 12 juillet 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 12 juillet 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le 6 novembre 2017, l’administration communale de Faimes accuse réception d’une demande de permis d’urbanisme tendant à transformer une ferme en treize logements. Le bien est situé en zone agricole selon le plan de secteur de Huy-Waremme et en zone inondable d’aléa moyen. Partant, une demande de dérogation à l’affectation au plan de secteur est sollicitée. Le 16 avril 2018, le collège communal de Faimes délivre le permis dérogatoire.
Le Conseil d’État est saisi d’un recours en annulation de la décision du 16 avril 2018 introduit par les riverains du bien précité. Par un arrêt du 5 octobre 2022, il observe notamment que l’article D.IV.13 du Code du développement territorial (ci-après : le CoDT) n’exige plus que la dérogation ne puisse être octroyée qu’à titre exceptionnel, contrairement à ce qui était prévu par l’article 114 du Code wallon de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et du patrimoine (ci-après : le CWATUP). Les parties requérantes devant le Conseil d’État l’invitent dès lors à s’interroger sur la compatibilité de l’article D.IV.13 du CoDT avec l’obligation de standstill contenue dans l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution. Par conséquent, il sursoit à statuer et pose la question préjudicielle reproduite plus haut.
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III. En droit
-A-
A.1.1. Les parties requérantes devant la juridiction a quo soutiennent qu’en vertu de la disposition en cause, plus aucune dérogation au plan de secteur ne doit présenter de caractère exceptionnel, ainsi que les travaux préparatoires et la doctrine pertinente le mettent en évidence. À l’inverse, dans le régime antérieur, l’article 114
du CWATUP et l’article D.II.62 de la version initiale du CoDT limitaient cette possibilité aux permis qui poursuivaient une certaine finalité d’intérêt général. La disposition en cause viole manifestement l’obligation de standstill qui découle de l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution en ce qu’elle emporte un recul significatif de la protection du droit à un environnement sain sans que cela ne soit justifié par des motifs d’intérêt général. Elles observent que, par son arrêt n° 87/2007 du 20 juin 2007 (ECLI:BE:GHCC:2007:ARR.087), la Cour a jugé que la suppression de la condition selon laquelle la dérogation prévue par l’article 127, § 3, du CWATUP doit revêtir un caractère exceptionnel constituait une réduction significative de la protection de ce droit. Selon elles, la Cour a estimé dans cet arrêt que ce recul était raisonnablement justifié dès lors que la dérogation concernée était relative à des projets présentant une certaine finalité d’intérêt général. En l’espèce toutefois, la disposition en cause concerne l’ensemble des dérogations au plan de secteur. L’exigence de justification qu’elle prévoit, au regard des spécificités du projet en fonction du lieu précis où celui-ci est envisagé, ne peut être assimilée à la condition de caractère exceptionnel telle qu’elle est précisée par la jurisprudence du Conseil d’État.
A.1.2. Par ailleurs, le recul significatif de la protection du droit à un environnement sain est aggravé par le fait que la disposition en cause prescrit que les dérogations ne compromettent pas la mise en œuvre cohérente du plan de secteur dans le reste de son champ d’application. Les travaux préparatoires précisent que l’objectif est de permettre de s’écarter substantiellement de l’affectation de la zone à laquelle le permis déroge, pourvu que le plan de secteur puisse globalement être mis en œuvre d’une manière qui reste cohérente. Partant, il n’est plus question, pour l’administration, de faire de la dérogation un usage modéré et subsidiaire.
Enfin, bien que la jurisprudence du Conseil d’État relative à la disposition en cause enseigne que le mécanisme dérogatoire reste, par nature, l’exception à la règle de principe, laquelle doit nécessairement s’appréhender de manière restrictive, il n’en demeure pas moins que les conditions qui assortissent l’ensemble des dérogations au plan de secteur n’exigent plus que le demandeur du permis démontre le caractère exceptionnel de la dérogation. En toute hypothèse, il n’appartient pas à la jurisprudence de pallier les carences du législateur.
A.2.1. La partie intervenante devant la juridiction a quo soutient que le caractère exceptionnel est inhérent à toute dérogation au sens du CoDT sans qu’il soit nécessaire de le prévoir textuellement. Depuis l’entrée en vigueur du CoDT, la dérogation constitue en effet le mécanisme d’exception aux outils d’aménagement du territoire qui ont une valeur réglementaire. Ce mécanisme obéit aux strictes conditions de la disposition en cause, sous le contrôle du juge. Par ailleurs, la consécration légale du caractère exceptionnel d’une dérogation n’offre pas une protection autonome au regard de la protection du droit à un environnement sain lorsque des conditions strictes d’encadrement existent, comme c’est le cas en l’espèce.
A.2.2. La partie intervenante devant la juridiction a quo soutient que la disposition en cause n’est pas constitutive d’un recul significatif de la protection du droit à un environnement sain, dès lors que le caractère exceptionnel de la dérogation n’a pas disparu. En réalité, la manière de contrôler ce critère a simplement évolué.
Désormais, le législateur impose que la dérogation ne compromette pas la mise en œuvre de l’outil d’aménagement du territoire auquel il est dérogé dans le reste de son champ d’application, de sorte que l’exigence du caractère exceptionnel perdure. Elle précise que la suppression formelle de cette exigence aurait pu susciter des problèmes si cette disposition n’avait pas établi d’autres conditions à la dérogation et si la jurisprudence avait été modifiée, ce qui n’est néanmoins pas le cas en l’espèce. En effet, le Conseil d’État continue à juger que la dérogation constitue l’exception à la règle de principe. De la sorte, il ne pallie pas les carences du législateur mais il applique au contraire la disposition en cause dans sa portée actuelle.
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A.2.3. En outre, l’arrêt n° 87/2007 n’est pas transposable à la disposition en cause en ce qu’il constate un recul significatif dans la protection du droit à un environnement sain, dès lors que les conditions imposées par l’article 127, § 3, du CWATUP, dont il était question dans cet arrêt, ne sont pas équivalentes à celles qui prévalent en l’espèce. En effet, la disposition en cause prévoit désormais un système harmonisé pour toutes les dérogations ainsi que des garanties procédurales relatives à l’intervention de l’autorité centralisée et à la tenue d’une d’enquête publique mais aussi trois conditions de fond. Partant, elle a harmonisé, conformément à la volonté du législateur, le régime des conditions de dérogation aux outils réglementaires. Elle a également amélioré et rationalisé, dans une approche globale, la protection du droit à un environnement sain dans une série d’hypothèses de dérogation.
En effet, les conditions pour déroger au plan de secteur dans les cas anciennement visés aux articles 110 à 112 du CWATUP sont désormais plus nombreuses et protègent davantage l’environnement. En conséquence, l’ensemble des dérogations au plan de secteur sont désormais soumises à davantage de conditions de fond que dans le cadre du régime du CWATUP. Il ne s’agit pas de généraliser la suppression du caractère exceptionnel mais d’établir un régime uniforme, voire plus protecteur, pour le mécanisme d’exception aux outils réglementaires.
A.2.4. En toute hypothèse, la partie intervenante devant la juridiction a quo affirme que la disposition en cause est justifiée au regard de motifs admissibles d’intérêt général. Comme les travaux préparatoires le précisent, l’examen du respect de l’obligation de standstill doit s’évaluer de manière globale, et non mesure par mesure. En l’espèce, le législateur poursuivait de manière générale des objectifs de lisibilité, d’efficacité, de simplification et d’accélération des procédures en vue d’améliorer le processus décisionnel ainsi que de tendre vers un meilleur urbanisme et aménagement du territoire. L’amélioration du processus décisionnel est un objectif d’intérêt général clairement expliqué, de manière cohérente, dans les travaux préparatoires et qui est lié à un intérêt plus large.
Certes, par la suppression formelle du caractère exceptionnel de la dérogation, le législateur a souhaité légèrement augmenter la marge de manœuvre des autorités. Cependant, cet assouplissement répond à un objectif d’intérêt général directement lié à la police administrative de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire, en ce compris dans sa dimension environnementale, puisque les intérêts à prendre en compte dans le cadre de la délivrance des permis sont multiples et identifiés par le législateur. Pour le surplus, la facilitation du processus décisionnel ne peut être sortie de son contexte du fait que la disposition en cause prévoit désormais trois conditions ayant pour but de répondre à des impératifs d’intérêt général, notamment en matière de paysage et d’adaptabilité des projets à leur contexte.
A.2.5. Dans l’hypothèse d’un constat d’inconstitutionnalité, la partie intervenante devant la juridiction a quo demande à la Cour de limiter les effets dans le temps de son arrêt afin d’éviter que le permis d’urbanisme délivré à la suite de la décision du 16 avril 2018 du collège communal de Faimes, dont elle bénéficie, soit annulé par le Conseil d’État.
A.3.1. La commune de Faimes affirme que la disposition en cause a réuni et harmonisé les régimes de dérogation prévus antérieurement par le CWATUP et par la version initiale du CoDT, de sorte que le caractère exceptionnel demeure implicitement exigé, bien qu’assoupli. D’ailleurs, la jurisprudence du Conseil d’État en la matière est demeurée identique sur ce point malgré l’entrée en vigueur de la disposition en cause. À cet égard, il est toujours fait référence au critère de la nécessité de la dérogation. Ce faisant, le Conseil d’État ne pallie nullement les carences du législateur mais il interprète la loi. En outre, en droit administratif général, une dérogation est de nature intrinsèquement exceptionnelle, comme le confirment la jurisprudence du Conseil d’État et la doctrine pertinente. Partant, le degré de protection du droit à un environnement sain n’a pas été réduit par la disposition en cause, malgré la suppression de la condition relative au caractère exceptionnel.
A.3.2. À titre subsidiaire, la commune de Faimes soutient que la diminution du degré de protection n’est pas significative eu égard aux conditions imposées pour octroyer la dérogation, qui sont de stricte interprétation, et au caractère intrinsèquement exceptionnel de celle-ci.
A.4.1. Le Gouvernement de la Région wallonne considère que le degré de protection du droit à un environnement sain est maintenu par la disposition en cause, qui exige deux conditions pour accorder une dérogation en lieu et place du caractère exceptionnel, à savoir que celle-ci soit justifiée compte tenu des spécificités du projet au regard du lieu précis où celui-ci est envisagé, d’une part, et qu’elle ne compromette pas la mise en œuvre cohérente du plan de secteur ou des normes du guide régional d’urbanisme dans le reste de son champ d’application, d’autre part.
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La volonté du législateur a clairement été d’assouplir la marge de manœuvre dont les autorités disposent actuellement pour s’écarter du plan de secteur. Néanmoins, en application de la jurisprudence du Conseil d’État relative à la disposition en cause, la dérogation doit être nécessaire à la réalisation optimale du projet en raison d’impératifs techniques ou juridiques et, par ailleurs, la motivation de l’acte autorisant la dérogation doit révéler qu’il n’y est pas recouru par facilité mais, au contraire, après avoir examiné la possibilité d’appliquer la règle, par nécessité pour la réalisation optimale du projet. Par ailleurs, l’assouplissement de la marge de manœuvre des autorités ne permet pas de conclure à une réduction du degré de protection du droit à un environnement sain, dès lors que la disposition en cause exige que le plan de secteur puisse globalement être mis en œuvre d’une manière qui reste cohérente. L’exigence de cohérence qui y est mentionnée ne peut en effet aboutir à dénaturer le plan de secteur.
A.4.2. Le Gouvernement de la Région wallonne observe que l’article 114 du CWATUP permettait l’octroi d’une dérogation « à titre exceptionnel » sans toutefois définir cette exigence, qui a donc été précisée par la jurisprudence du Conseil d’État. Par ailleurs, celui-ci a imposé que la dérogation soit utilisée modérément et qu’elle soit spécifiquement motivée. En ce qui concerne l’article 127, § 3, du CWATUP, la Cour a estimé, par son arrêt n° 87/2007, que la suppression de la condition relative au caractère exceptionnel de la dérogation ne constituait pas une violation de l’article 23 de la Constitution. S’il est vrai qu’à cette occasion, elle a estimé que cette suppression entraînait une réduction sensible du niveau de protection du droit à un environnement sain, c’est notamment parce que, ce faisant, il était porté atteinte aux prescriptions de l’article 28 du CWATUP. En toute hypothèse, la Cour a considéré dans cet arrêt que le recul était justifié par des motifs d’intérêt général d’ordre socio-économique. Le Gouvernement de la Région wallonne remarque que la jurisprudence du Conseil d’État relative à l’article 127, § 3, du CWATUP, tel qu’il a été modifié, est demeurée inchangée par rapport au régime antérieur et est calquée sur celle qui est relative à l’article 114 du CWATUP.
Selon le Gouvernement de la Région wallonne, on ne peut néanmoins pas déduire des travaux préparatoires de la disposition en cause que le caractère exceptionnel de la dérogation soit maintenu en l’espèce. Au contraire, celui-ci est explicitement supprimé par le législateur. En réalité, il faut constater que cette suppression est compensée par les conditions auxquelles est désormais subordonnée la dérogation, de sorte que la disposition en cause présente des garanties au moins équivalentes à celles qui existaient sous la législation antérieure.
A.4.3. Enfin, le Gouvernement de la Région wallonne soutient que ni la décision de renvoi ni les parties requérantes devant la juridiction a quo n’énoncent d’éléments concrets indiquant en quoi la disposition en cause serait susceptible d’entraîner un recul significatif de la protection du droit à un environnement sain. La question préjudicielle se limite à constater que les termes « à titre exceptionnel » ne sont pas mentionnés dans la disposition en cause sans néanmoins préciser que des conditions sont ajoutées par rapport au régime antérieur. Par ailleurs, aucune interprétation permettant le cas échéant à la Cour de se prononcer au moyen d’un double dispositif n’est indiquée.
-B-
B.1. La question préjudicielle porte sur l’article D.IV.13 du Code wallon du développement territorial (ci-après : le CoDT), qui dispose :
« Un permis ou un certificat d’urbanisme n° 2 peut être octroyé en dérogation au plan de secteur ou aux normes du guide régional d’urbanisme si les dérogations :
1° sont justifiées compte tenu des spécificités du projet au regard du lieu précis où celui-
ci est envisagé;
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2° ne compromettent pas la mise en œuvre cohérente du plan de secteur ou des normes du guide régional d’urbanisme dans le reste de son champ d’application;
3° concernent un projet qui contribue à la protection, à la gestion ou à l’aménagement des paysages bâtis ou non bâtis ».
B.2. Les travaux préparatoires de cette disposition indiquent :
« Cette disposition fixe les conditions dans lesquelles les dérogations au plan de secteur et aux normes du guide régional peuvent être octroyées. En effet, si les hypothèses de dérogations peuvent varier que l’on soit un demandeur public ou privé, les conditions de dérogation sont identiques. Elles sont partiellement inspirées de la jurisprudence du Conseil d’État. Les dérogations autorisables en application de l’article D.IV.13 ne doivent pas l’être à titre exceptionnel. En outre, elles doivent être justifiées compte tenu des spécificités du projet ce qui n’implique pas qu’elles soient indispensables à la réalisation de celui-ci. La volonté est clairement d’assouplir la marge dont disposent actuellement les autorités pour s’écarter, dans les hypothèses visées à l’article D.IV.12, des prescriptions notamment des plans de secteur.
Enfin, tel que développé dans le commentaire de l’article D.II.17, la troisième condition s’inspire de notions développées dans la Convention européenne du paysage adoptée le 20 octobre 2000, à Florence afin de disposer de définitions adéquates pour les concepts liés au paysage. Il est renvoyé au commentaire de l’article D.II.17 » (Doc. parl., Parlement wallon, 2015-2016, n° 307/1, p. 44).
B.3. La Cour est interrogée sur la compatibilité de la disposition en cause avec l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution en ce qu’il n’est plus exigé que la dérogation au plan de secteur ne puisse être octroyée qu’à titre exceptionnel, contrairement à ce qui était prévu par l’article 114 du Code wallon de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et du patrimoine (ci-après : le CWATUP).
B.4.1. Avant son abrogation par le décret de la Région wallonne du 20 juillet 2016
« abrogeant le décret du 24 avril 2014 abrogeant les articles 1er à 128 et 129quater à 184 du Code wallon de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme, du Patrimoine et de l’Energie, abrogeant les articles 1er à 128 et 129quater à 184 du Code wallon de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme et du Patrimoine et formant le Code du Développement territorial »
(ci-après : le décret du 20 juillet 2016), l’article 114 du CWATUP disposait :
« Pour toute demande de permis qui implique l’application des dispositions de la présente section, une ou plusieurs dérogations peuvent être accordées, à titre exceptionnel, pour autant
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que la demande soit préalablement soumise aux mesures particulières de publicité déterminées par le Gouvernement ainsi qu’à la consultation visée à l’article 4, alinéa 1er, 3°.
Sur avis préalable du fonctionnaire délégué, le collège communal accorde toute dérogation qui porte exclusivement sur les prescriptions d’un règlement communal d’urbanisme, d’un plan communal d’aménagement ou d’un permis de lotir ainsi qu’aux prescriptions d’un permis d’urbanisation visées à l’article 88, § 3, 3°, sauf lorsque la demande porte sur des actes et travaux visés à l’article 127, § 1er.
Dans les autres cas, toute dérogation est accordée par le Gouvernement ou le fonctionnaire délégué ».
B.4.2. Le Conseil d’État a jugé que « le caractère exceptionnel de la dérogation visé à l’article 114 du CWATUP s’entend de la nécessité de l’accorder pour la réalisation optimale d’un projet bien spécifique en un lieu bien précis » (C.E., arrêt n° 250.823 du 8 juin 2021; voy.
aussi C.E., arrêts n° 253.524 du 19 avril 2022, n° 250.334 du 15 avril 2021, n° 249.727 du 5 février 2021 et n° 248.907 du 13 novembre 2020).
B.5.1. L’article 23 de la Constitution dispose que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. À cette fin, les différents législateurs garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels et ils déterminent les conditions de leur exercice. L’article 23 de la Constitution ne précise pas ce qu’impliquent ces droits dont seul le principe est exprimé, chaque législateur étant chargé de les garantir, conformément à l’alinéa 2 de cet article, en tenant compte des obligations correspondantes.
B.5.2. Toute mesure en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire n’a pas ipso facto une incidence sur le droit à un environnement sain, au sens de l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution. En l’espèce, il peut toutefois être admis que la disposition en cause, qui règle les conditions de la dérogation au plan de secteur du bien et qui est, de la sorte, susceptible d’avoir des conséquences importantes pour les riverains et pour l’espace public, a une portée qui entre au moins partiellement dans le champ d’application de l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution.
B.5.3. L’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, qui garantit le droit à la protection d’un environnement sain, contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent
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de réduire significativement, sans justification raisonnable, le degré de protection offert par la législation applicable.
B.5.4. L’obligation de standstill ne peut toutefois s’entendre comme interdisant au législateur décrétal, dans le cadre de ses compétences, d’apporter des modifications au système des plans d’aménagement du territoire et des permis d’urbanisme. Elle lui interdit de prendre des mesures qui marqueraient, sans justification raisonnable, un recul significatif du droit garanti par l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, mais elle ne le prive pas du pouvoir d’apprécier la manière dont ce droit est le plus adéquatement assuré.
B.6. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.2 que le législateur décrétal a souhaité, par la disposition en cause, assouplir la marge de manœuvre des autorités compétentes à l’occasion de l’octroi d’une dérogation au plan de secteur.
De la sorte, la disposition en cause s’inscrit dans le cadre des objectifs généraux poursuivis par le législateur décrétal à l’occasion de l’adoption du décret du 20 juillet 2016, à savoir assurer une meilleure efficacité du droit de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire ainsi qu’accélérer les procédures pour permettre de concrétiser plus rapidement les projets sur le terrain (Doc. parl., Parlement wallon, 2015-2016, n° 307/1, p. 14).
B.7. Les conditions prévues à l’article D.IV.13 du CoDT sont formulées en tant que conditions cumulatives. En outre, le Conseil d’État a jugé que « s’il ressort [des travaux préparatoires] la volonté du législateur d’assouplir les conditions d’octroi de la dérogation, il n’en demeure pas moins que le mécanisme dérogatoire reste, par nature, l’exception à la règle de principe, laquelle doit nécessairement s’appréhender de manière restrictive » (C.E., arrêt n° 253.939 du 8 juin 2022; voy. aussi C.E., arrêt n° 250.872 du 11 juin 2021).
B.8. En tant qu’il règle les conditions de la dérogation, l’article D.IV.13 du CoDT est d’interprétation restrictive et son application doit être dûment motivée, et ce, quand bien même le législateur décrétal n’a pas expressément prévu que c’est seulement à titre exceptionnel que la dérogation peut être consentie (en ce sens, voy. C. const., arrêts n° 94/2016 du 16 juin 2016,
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ECLI:BE:GHCC:2016:ARR.094, B.8.5, alinéa 2, et n° 87/2007 du 20 juin 2007, ECLI:BE:GHCC:2007:ARR.087, B.9.3, alinéa 2, in fine).
B.9. Il ressort de ce qui précède que l’article D.IV.13 du CoDT ne dispense pas l’autorité de motiver spécialement, en application de la loi du 29 juillet 1991 « relative à la motivation formelle des actes administratifs », la nécessité de ne pas appliquer la règle applicable en principe dans un cas où le CoDT permet la dérogation.
Le contrôle exercé par le Conseil d’État dans le cadre de l’article D.IV.13 du CoDT porte notamment sur cette condition de motivation du permis dérogatoire :
« Concernant la nécessité de déroger au plan de secteur, il y a lieu de vérifier si, à travers les motifs donnés à cet égard, l’administration a montré que la dérogation n’était pas accordée par facilité mais après avoir examiné la possibilité d’appliquer la règle dans son principe et après avoir conclu qu’en raison d’impératifs techniques ou juridiques, elle était nécessaire pour la réalisation optimale du projet. La motivation sur cet aspect peut être succincte, pour autant qu’elle ne soit pas vague et passe-partout » (C.E., arrêt n° 249.884 du 23 février 2021).
B.10. Compte tenu de l’interprétation restrictive précitée et de l’obligation de motivation, le recul du degré de protection existant du droit à un environnement sain n’est pas significatif.
B.11. L’article D.IV.13 du CoDT est compatible avec l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article D.IV.13 du Code du développement territorial ne viole pas l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 septembre 2023.
Le greffier, Le président,
N. Dupont P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 127/2023
Date de la décision : 21/09/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 03/10/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-09-21;127.2023 ?

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