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21/09/2023 | BELGIQUE | N°125/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 21 septembre 2023, 125/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 125/2023
du 21 septembre 2023
Numéros du rôle : 7860, 7861, 7862, 7863 et 7864
En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 286 et 288 du décret flamand du 22 décembre 2017 « sur l’administration locale » et aux articles 186 et 187 du décret communal flamand du 15 juillet 2005 (dans la version applicable du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2018), posées par le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul,

et des juges Y. Kherbache, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, as...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 125/2023
du 21 septembre 2023
Numéros du rôle : 7860, 7861, 7862, 7863 et 7864
En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 286 et 288 du décret flamand du 22 décembre 2017 « sur l’administration locale » et aux articles 186 et 187 du décret communal flamand du 15 juillet 2005 (dans la version applicable du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2018), posées par le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges Y. Kherbache, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
a. Par deux jugements du 6 septembre 2022, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour le 15 septembre 2022, le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand, a posé les questions préjudicielles suivantes :
« 1. Les articles 286 et 288 du décret sur l’administration locale, dans l’interprétation selon laquelle il pourrait être déduit de ces dispositions que le seul mode de preuve admissible concernant la publication d’un règlement communal est la mention dans le registre spécial tenu par le directeur général, violent-ils les articles 10, 11, 33, 170, 172 et 191 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 105, 108, 159, 162 et 190 de la Constitution et avec les principes de la légalité et de la sécurité juridique, en ce qu’ils privent tant l’autorité communale, en sa qualité d’auteur d’un tel règlement, que toutes les personnes susceptibles d’être soumises à un tel règlement, de la garantie consistant en l’intervention d’une assemblée législative délibérante, à savoir le législateur visé à l’article 190 de la Constitution, pour déterminer la preuve de cette publication et, partant, pour déterminer un élément essentiel relatif au caractère obligatoire des lois, arrêtés et règlements et, dans le cas d’un règlement fiscal communal, relatif à la qualité de contribuable, alors que les auteurs des autres types de normes (lois, arrêtés ou règlements d’administration générale ou provinciale), visés à l’article 190 de la Constitution, et
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toutes les personnes susceptibles d’être soumises à de telles normes ne sont pas privés de cette garantie ?
2. Les articles 286 et 288 du décret sur l’administration locale, dans l’interprétation selon laquelle la mention dans le registre des publications prévue par le second alinéa de l’article 288
du décret sur l’administration locale constitue le seul mode de preuve admissible concernant la publication d’un règlement fiscal communal (et que cette preuve ne peut donc être produite d’aucune autre manière, par exemple par une preuve numérique), violent-ils les articles 10, 11
et 170 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 190 de celle-ci, en ce que, contrairement à ce qui est le cas pour les normes législatives et les actes administratifs réglementaires adoptés par d’autres autorités, le fait que les règlements communaux aient force obligatoire ne dépend pas seulement de leur publication (en l’espèce, sur le site internet), mais aussi de la mention de cette publication dans le registre des publications des règlements et ordonnances des autorités communales ?
3. Les articles 286 et 288 du décret sur l’administration locale, dans l’interprétation selon laquelle la mention dans le registre des publications prévue par le second alinéa de l’article 288
du décret sur l’administration locale constitue le seul mode de preuve admissible concernant la publication d’un règlement fiscal communal, violent-ils les articles 10, 11 et 170 de la Constitution (et en particulier l’exigence d’un lien raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et l’objectif poursuivi), lus en combinaison avec l’article 190 de la Constitution, en ce que, dans cette interprétation, la publication d’un règlement fiscal communal ne pourrait être établie au moyen d’une preuve numérique (par exemple, une capture d’écran du service d’appui du site internet de la commune), alors que la production d’une preuve numérique offre au moins les mêmes garanties objectives (voire davantage) en ce qui concerne la preuve du fait et la date de la publication ? ».
b. Par trois jugements du 6 septembre 2022, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour le 15 septembre 2022, le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand, a posé les questions préjudicielles suivantes :
« 1. Les articles 186 et 187 du décret communal, dans l’interprétation selon laquelle il pourrait être déduit de ces dispositions que le seul mode de preuve admissible concernant la publication d’un règlement communal est l’annotation dans le registre spécial tenu par le secrétaire communal, violent-ils les articles 10, 11, 33, 170, 172 et 191 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 105, 108, 159, 162 et 190 de la Constitution et avec les principes de la légalité et de la sécurité juridique, en ce qu’ils privent tant l’autorité communale, en sa qualité d’auteur d’un tel règlement, que toutes les personnes susceptibles d’être soumises à un tel règlement de la garantie consistant en l’intervention d’une assemblée législative délibérante, à savoir le législateur visé à l’article 190 de la Constitution, pour déterminer la preuve de cette publication et, partant, pour déterminer un élément essentiel relatif au caractère obligatoire des lois, arrêtés et règlements et, dans le cas d’un règlement fiscal communal, relatif à la qualité de contribuable, alors que les auteurs des autres types de normes (lois, arrêtés ou règlements d’administration générale ou provinciale), visés à l’article 190 de la Constitution, et toutes les personnes susceptibles d’être soumises à de telles normes ne sont pas privés de cette garantie ?
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2. Les articles 186 et 187 du décret communal, dans l’interprétation selon laquelle l’annotation dans le registre des publications prévue par le second alinéa de l’article 187 du décret communal constitue le seul mode de preuve admissible concernant la publication d’un règlement fiscal communal (et que cette preuve ne peut donc être produite d’aucune autre manière, par exemple par une preuve numérique), violent-ils les articles 10, 11 et 170 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 190 de celle-ci, en ce que, contrairement à ce qui est le cas pour les normes législatives et les actes administratifs réglementaires adoptés par d’autres autorités, le fait que les règlements communaux aient force obligatoire ne dépend pas seulement de leur publication (en l’espèce, sur le site internet), mais aussi de la mention de cette publication dans le registre des publications des règlements et ordonnances des autorités communales ?
3. Les articles 186 et 187 du décret communal, dans l’interprétation selon laquelle l’annotation dans le registre des publications prévue par le second alinéa de l’article 187 du décret communal constitue le seul mode de preuve admissible concernant la publication d’un règlement fiscal communal, violent-ils les articles 10, 11 et 170 de la Constitution (et en particulier l’exigence d’un lien raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et l’objectif poursuivi), lus en combinaison avec l’article 190 de la Constitution, en ce que, dans cette interprétation, la publication d’un règlement fiscal communal ne pourrait pas être établie au moyen d’une preuve numérique (qui, le cas échéant, peut prévaloir sur un registre tenu avec une certaine négligence ou qui est incomplet), alors que la production d’une preuve numérique offre au moins les mêmes garanties objectives (voire davantage) en ce qui concerne la preuve du fait et de la date de la publication ? ».
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7860, 7861, 7862, 7863 et 7864 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Des mémoires ont été introduits par :
- la SA « Telenet Group », assistée et représentée par Me S. Champagne, Me C. De Jonghe et Me L. de Potter d’Indoye, avocats au barreau de Bruxelles (dans l’affaire n° 7860);
- la commune de Zwalm, représentée par son collège des bourgmestre et échevins, assistée et représentée par Me L. De Meyere, avocat au barreau de Gand (dans les affaires n os 7860 et 7861);
- la SA de droit public « Proximus », assistée et représentée par Me B. Lombaert et Me R. Delforge, avocats au barreau de Bruxelles (dans l’affaire n° 7861);
- la SA « Menatam », la SA « Sit Media » et la SA « Gamma België », assistées et représentées par Me J. Houmani et Me I. Uckuyulu, avocats au barreau de Bruxelles (dans les affaires nos 7862, 7863 et 7864);
- la commune de Sint-Martens-Latem, représentée par son collège des bourgmestre et échevins, assistée et représentée par Me L. De Meyere (dans les affaires nos 7862, 7863 et 7864);
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- la SA « Orange Belgium », assistée et représentée par Me L. Rasking et Me E. Ulrix, avocats au barreau de Bruxelles (partie intervenante dans toutes les affaires);
- le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me B. Martel et Me K. Caluwaert, avocats au barreau de Bruxelles.
Des mémoires en réponse ont été introduits par :
- la SA « Telenet Group »;
- la commune de Zwalm, représentée par son collège de bourgmestre et échevins;
- la SA de droit public « Proximus »;
- la SA « Menatam », la SA « Sit Media » et la SA « Gamma België »;
- la commune de Sint-Martens-Latem, représentée par son collège de bourgmestre et échevins;
- le Gouvernement flamand.
Par ordonnance du 31 mai 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs W. Verrijdt et K. Jadin, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 14 juin 2023 et les affaires mises en délibéré.
À la suite de la demande de plusieurs parties à être entendues, la Cour, par ordonnance du 14 juin 2023, a fixé l’audience au 12 juillet 2023.
À l’audience publique du 12 juillet 2023 :
- ont comparu :
. Me C. De Jonghe et Me L. de Potter d’Indoye, également loco Me S. Champagne, pour la SA « Telenet Group »;
. Me S. Plas, avocat au barreau de Gand, loco Me L. De Meyere, pour la commune de Zwalm et pour la commune de Sint-Martens-Latem;
. Me B. Lombaert et Me R. Delforge, pour la SA de droit public « Proximus »;
. Me J. Houmani, également loco Me I. Uckuyulu, pour la SA « Menatam », la SA « Sit Media » et la SA « Gamma België »;
. Me L. Rasking et Me E. Ulrix, pour la SA « Orange Belgium »;
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. Me K. Caluwaert et Me E. Forson, avocat au barreau de Bruxelles, également loco Me B. Martel, pour le Gouvernement flamand;
- les juges-rapporteurs W. Verrijdt et K. Jadin ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et les procédures antérieures
Dans les affaires nos 7860 et 7861, la SA « Telenet Group » (dans la première affaire) et la SA « Proximus »
(dans la seconde) demandent l’annulation d’une cotisation établie par la commune de Zwalm en vertu de son règlement-taxe sur les mâts et pylônes relatif aux années 2019 à 2025. Ce règlement-taxe sur les mâts et pylônes ne serait pas opposable parce que la commune de Zwalm ne fournit pas la preuve de la publication du règlement-
taxe conformément aux formalités prévues par les articles 286 et 288 du décret flamand du 22 décembre 2017
« sur l’administration locale » (ci-après : le décret du 22 décembre 2017) et par l’arrêté du Gouvernement flamand du 20 avril 2018 « relatif à la publication et les possibilités de consultation d’arrêtés et de pièces de l’administration locale, concernant la manière dont les règlements et ordonnances de l’administration locale sont tenus au registre et concernant les possibilités de consultation des arrêtés des zones policières et des zones de secours » (ci-après :
l’arrêté du 20 avril 2018).
Dans les affaires nos 7862, 7863 et 7864, la SA « Menatam », la SA « Sit Media » et la SA « Gamma België »
demandent, chacune dans l’affaire qui la concerne, l’annulation ou le dégrèvement d’une ou de plusieurs cotisations établies par la commune de Sint-Martens-Latem en vertu d’un règlement-taxe soumettant à une taxe pour les années 2018 et 2019 la diffusion sur son territoire d’imprimés sans adresse et de produits y assimilés. Il n’y aurait pas de preuve que la commune de Sint-Martens-Latem a publié le règlement-taxe conformément aux formalités prévues par les articles 186 et 187 du décret communal flamand du 15 juillet 2005 (ci-après : le décret du 15 juillet 2005) et par l’arrêté du Gouvernement flamand du 18 janvier 2008 « relatif aux annotations dans le registre de publication des règlements et ordonnances des autorités communales » (ci-après : l’arrêté du 18 janvier 2008).
La juridiction a quo constate dans les affaires nos 7860 et 7861 que la preuve qui a été fournie quant à la publication du règlement-taxe de la commune de Zwalm ne répond pas aux formalités prévues par les articles 286
et 288 du décret du 22 décembre 2017 et par l’arrêté du 20 avril 2018. En effet, la commune de Zwalm présente non pas une annotation dans un registre mais une capture d’écran d’un site internet.
La juridiction a quo constate dans les affaires nos 7862, 7863 et 7864 que le registre confirmant que le règlement-taxe a été publié a été signé le 4 décembre 2017, alors que, selon ce registre, le règlement a été publié le 5 décembre 2017. La juridiction a quo constate par ailleurs dans ces affaires que la commune de Sint-Martens-
Latem souhaite démontrer, au moyen d’autres preuves, que le règlement-taxe a été publié en réalité le 28 novembre 2017.
Selon la juridiction a quo, il découle de la jurisprudence de la Cour de cassation que l’annotation dans le registre est la seule preuve admissible de la publication d’un règlement-taxe communal.
Avant de statuer plus avant dans les différentes affaires, la juridiction a quo, à la demande de la commune de Zwalm (dans les deux premières affaires) et de Sint-Martens-Latem (dans les trois autres), pose à la Cour les questions préjudicielles reproduites plus haut.
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Les trois questions préjudicielles que la juridiction a quo pose à la Cour sont similaires et portent à la fois sur les articles 286 et 288 du décret du 22 décembre 2017 et sur les articles 186 et 187 du décret du 15 juillet 2005.
III. En droit
-A-
Quant à la compétence de la Cour
A.1. La SA « Proximus » et la SA « Orange Belgium » font valoir que les questions préjudicielles ne relèvent pas de la compétence de la Cour. Les questions préjudicielles portent en réalité non pas sur les articles 286
et 288 du décret du 22 décembre 2017, ni sur les articles 186 et 187 du décret du 15 juillet 2005, mais sur les arrêtés d’exécution du Gouvernement flamand et sur la jurisprudence de la Cour de cassation.
A.2. La commune de Zwalm estime que les questions préjudicielles relèvent effectivement de la compétence de la Cour. L’arrêté d’exécution du Gouvernement flamand détermine les formalités auxquelles l’annotation dans le registre doit répondre, mais ne dispose pas que cette annotation constitue la seule preuve admissible.
Quant à la recevabilité des questions préjudicielles
A.3.1. La SA « Telenet Group » fait valoir que la première question préjudicielle n’appelle pas de réponse, étant donné qu’elle est fondée sur la prémisse erronée selon laquelle le décret du 22 décembre 2017 ne prévoit pas lui-même que la publication d’un règlement-taxe ne peut être prouvée qu’au moyen d’une annotation dans le registre. Elle estime par ailleurs que la question préjudicielle n’est pas utile à la solution du litige au fond, étant donné que, dans le litige au fond dans l’affaire n° 7860, la commune de Zwalm n’est pas en mesure de présenter une annotation dans le registre.
A.3.2. Le Gouvernement flamand et la SA « Proximus » font valoir que la deuxième question préjudicielle est irrecevable au motif que les catégories de personnes comparées ne sont pas décrites de manière suffisamment claire. Il est impossible d’identifier avec certitude la seconde catégorie de personnes, parce que l’on n’aperçoit pas clairement les autres autorités dont il s’agirait.
A.3.3. Le Gouvernement flamand, la SA « Telenet Group », la SA « Proximus » et la SA « Orange Belgium » observent que la troisième question préjudicielle est irrecevable. Les catégories de personnes comparées ne sont pas décrites de manière suffisamment claire. Il est impossible d’identifier avec certitude la catégorie de personnes à laquelle devraient être comparées les communes souhaitant démontrer la publication d’un règlement au moyen d’une preuve informatique.
A.4. La commune de Zwalm et la commune de Sint-Martens-Latem estiment que les trois questions préjudicielles sont recevables. Elles soulignent en particulier que les catégories de personnes qui sont comparées dans les deuxième et troisième questions préjudicielles sont suffisamment claires. Il ressort de la deuxième question préjudicielle que les communes sont comparées à d’autres autorités pouvant adopter des normes législatives et des actes administratifs réglementaires. Quant à la troisième question préjudicielle, il en ressort que les communes qui ne peuvent prouver le fait et la date de la publication de leur règlement-taxe qu’au moyen d’une annotation dans un registre spécial sont comparées aux communes qui le démontrent à l’aide d’une preuve informatique.
Quant au fond
En ce qui concerne la première question préjudicielle
A.5.1. Selon la commune de Zwalm et la commune de Sint-Martens-Latem, la première question préjudicielle appelle une réponse affirmative, dans l’interprétation selon laquelle le seul mode de preuve admissible de la publication d’un règlement communal est l’annotation dans le registre spécialement tenu à cet
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effet. Dans cette interprétation, le législateur décrétal aurait délégué au pouvoir exécutif les formalités auxquelles l’annotation doit satisfaire afin de servir de preuve de la publication à l’égard d’un contribuable. Or, l’article 190
de la Constitution n’autorise pas le législateur décrétal à déléguer au pouvoir exécutif un élément essentiel relatif au caractère obligatoire d’une ordonnance communale ou d’un règlement communal. Par ailleurs, cette délégation illimitée aurait pour effet que le Gouvernement flamand puisse en fait bloquer à l’avenir certaines taxes communales et puisse ainsi accorder des exonérations.
A.5.2. Les dispositions en cause peuvent toutefois, selon la commune de Zwalm et la commune de Sint-
Martens-Latem, être interprétées de manière conforme à la Constitution. Conformément à une jurisprudence récente, ces dispositions peuvent être interprétées en ce sens que l’annotation dans le registre spécial ne constitue pas le moyen de preuve unique et obligatoire de la publication d’un règlement communal.
A.6.1. La SA « Telenet Group », la SA « Proximus », la SA « Menatam », la SA « Sit Media », la SA « Gamma België », la SA « Orange Belgium » et le Gouvernement flamand estiment que la première question préjudicielle appelle une réponse négative. L’habilitation conférée au Gouvernement flamand dans l’article 288
du décret du 22 décembre 2017 et dans l’article 187 du décret du 15 juillet 2005 ne porte pas atteinte au principe de légalité. Cette habilitation ne porte en effet pas sur la forme de la publication proprement dite, mais seulement sur la manière dont le registre, qui sert uniquement de preuve du fait et de la date de la publication, doit être tenu.
Il ne s’agit pas d’un élément ou, à tout le moins, il ne s’agit pas d’un élément essentiel de la publication et de l’entrée en vigueur des ordonnances et règlements communaux que le législateur doit lui-même déterminer en vertu de l’article 190 de la Constitution. Le Gouvernement flamand n’est pas non plus habilité à fixer les éléments essentiels d’un impôt. Il s’agit d’une habilitation précise axée purement sur des détails formels qui ne touchent pas à l’entrée en vigueur ni au caractère exécutoire des ordonnances et des règlements communaux.
A.6.2. En ordre subsidiaire, la SA « Telenet Group » observe que l’interprétation conforme à la Constitution proposée par la commune de Zwalm et la commune de Sint-Martens-Latem ne saurait être suivie. Si la Cour devait constater une inconstitutionnalité, il serait indiqué, selon la SA « Telenet Group », qu’elle maintienne les effets pour permettre au législateur décrétal d’effectuer les adaptations nécessaires sans que les justiciables soient livrés dans l’intervalle à l’arbitraire des communes.
En ce qui concerne la deuxième question préjudicielle
A.7.1. La commune de Zwalm et la commune de Sint-Martens-Latem estiment que la deuxième question préjudicielle appelle également une réponse affirmative dans l’interprétation soumise par la juridiction a quo. En effet, il est ainsi établi une différence de traitement quant à la preuve admise qui s’applique aux ordonnances et règlements communaux et provinciaux en ce qui concerne leur publication. Seules les communes flamandes seraient obligées de prouver la publication sur le site internet local en produisant une annotation dans un registre spécial. Cette différence de traitement entre l’autorité communale et l’autorité provinciale n’est pas justifiée objectivement et raisonnablement. Il ressort des travaux préparatoires qu’en introduisant l’annotation dans un registre à titre de preuve, le législateur entendait procurer aux administrations locales un moyen de preuve adéquat du fait et de la date de la publication. Actuellement, à l’ère numérique, la publication d’un règlement communal sur le site internet local peut être attestée d’une manière tout aussi objective et fiable par d’autres preuves. Ainsi, l’on n’aperçoit pas pourquoi le même mode de publication, à savoir une publication sur le site internet local, ne pourrait être attesté qu’à l’aide d’un seul mode de preuve par un niveau de pouvoir, alors qu’un autre niveau de pouvoir pourrait le prouver par toutes voies de droit commun.
A.7.2. La commune de Zwalm et la commune de Sint-Martens-Latem réaffirment que les dispositions en cause peuvent être interprétées en ce sens que l’annotation dans le registre spécial n’est pas le seul mode de preuve admissible de la publication d’un règlement communal. Dans cette interprétation, les communes comme les provinces pourraient prouver la publication par toutes voies de droit commun.
A.8.1. La SA « Telenet Group », la SA « Proximus », la SA « Menatam », la SA « Sit Media », la SA « Gamma België », la SA « Orange Belgium » et le Gouvernement flamand estiment que la deuxième question préjudicielle appelle une réponse négative. En premier lieu, la question repose sur un postulat erroné en ce qu’elle affirme que l’acquisition de la force obligatoire et le caractère exécutoire des ordonnances et règlements communaux sont tributaires du respect de l’obligation d’annotation dans le registre conformément aux prescriptions légales et réglementaires. L’annotation constitue seulement la preuve de la publication.
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Par ailleurs, les communes et les autres autorités ne sont pas comparables en ce qui concerne la preuve de la publication de leurs normes. À tout le moins, la différence de traitement est objective, dès lors qu’elle repose sur le type d’entité politique concernée, et raisonnablement justifiée. Il ressort des travaux préparatoires que le législateur de l’époque et ensuite le législateur décrétal ont estimé qu’il y avait lieu d’introduire un régime probatoire particulier sur la base duquel peuvent être établis avec certitude la date et le fait de la publication des ordonnances et règlements communaux. Ce régime probatoire offre au justiciable la sécurité juridique. Dès lors que l’annotation dans le registre spécialement tenu à cet effet constitue la seule preuve admissible de la publication, les justiciables savent toujours où s’adresser pour vérifier si les ordonnances et règlements communaux ont été publiés en bonne et due forme et sont donc opposables. Ce choix politique du législateur décrétal, qui dispose d’un pouvoir discrétionnaire étendu, est tout à fait légitime et pertinent. Il n’impose pas non plus une charge disproportionnée aux communes. L’annotation dans le registre n’est pas une formalité difficile à remplir. Le Gouvernement flamand observe encore à cet égard que rien n’empêche de tenir le registre sous format numérique.
A.8.2. Quant à cette question préjudicielle, la SA « Telenet Group » affirme également, en ordre subsidiaire, que l’interprétation conforme à la Constitution proposée par la commune de Zwalm et la commune de Sint-
Martens-Latem ne saurait être suivie. Si la Cour devait constater une inconstitutionnalité, il serait indiqué, selon la SA « Telenet Group », qu’elle maintienne les effets pour permettre au législateur décrétal d’effectuer les adaptations nécessaires sans que les justiciables soient livrés dans l’intervalle à l’arbitraire des communes.
En ce qui concerne la troisième question préjudicielle
A.9.1. Enfin, la troisième question préjudicielle appelle, selon la commune de Zwalm et la commune de Sint-
Martens-Latem, également une réponse affirmative dans l’interprétation soumise par la juridiction a quo. Dans cette interprétation, il existe une différence de traitement entre les communes selon qu’elles peuvent prouver la date de publication du règlement-taxe au moyen d’une annotation dans un registre spécial ou à l’aide d’une preuve informatique. Seul le premier mode de preuve est en effet admis. Cette différence de traitement n’est pas raisonnablement justifiée. La publication peut être démontrée de manière au moins aussi objective et fiable à l’aide d’une preuve informatique. Il existe en effet, depuis l’introduction de la publication via le site internet communal, une trace numérique de chaque publication. L’annotation dans un registre spécial n’est plus nécessaire pour prouver la publication de manière adéquate.
A.9.2. Ici aussi, la commune de Zwalm et la commune de Sint-Martens-Latem font valoir que les dispositions en cause peuvent être interprétées de manière conforme à la Constitution. Elles peuvent en effet être interprétées en ce sens que la date de publication d’un règlement-taxe peut aussi être démontrée au moyen d’une preuve informatique. Dans cette interprétation, la différence de traitement en cause n’existe pas.
A.10.1. Selon la SA « Telenet Group », la SA « Proximus », la SA « Menatam », la SA « Sit Media », la SA « Gamma België », la SA « Orange Belgium » et le Gouvernement flamand, cette question préjudicielle appelle elle aussi une réponse négative, pour des raisons analogues à celles qui justifient de répondre à la deuxième question préjudicielle par la négative. Ils soulignent néanmoins qu’une preuve informatique n’a pas la même valeur probante qu’une annotation dans le registre, qui constitue un acte authentique, que les preuves informatiques peuvent être manipulées, et que le fait d’admettre de telles preuves informatiques entraînerait dans la pratique une prolifération de modes de preuve.
A.10.2. En ce qui concerne cette question préjudicielle également, la SA « Telenet Group » affirme, en ordre subsidiaire, que l’interprétation conforme à la Constitution proposée par la commune de Zwalm et la commune de Sint-Martens-Latem ne saurait être suivie. Si la Cour devait constater une inconstitutionnalité, il serait indiqué, selon la SA « Telenet Group », qu’elle maintienne les effets pour permettre au législateur décrétal d’effectuer les adaptations nécessaires sans que les justiciables soient livrés dans l’intervalle à l’arbitraire des communes.
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-B-
Quant aux dispositions en cause et à leur contexte
B.1. Les questions préjudicielles portent sur la publication officielle des règlements et ordonnances communaux, en particulier des règlements-taxes. Cette matière a été transférée aux régions par la loi spéciale du 13 juillet 2001 portant transfert de diverses compétences aux régions et communautés. Certaines des affaires jointes concernent la réglementation qui était applicable en Région flamande entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2018 (affaires nos 7862, 7863 et 7864) et les autres concernent la réglementation qui y est applicable depuis le 1er janvier 2019 (affaires nos 7860 et 7861). Compte tenu des similitudes entre les dispositions en cause, la Cour examine les questions préjudicielles conjointement.
B.2.1. Les articles 186 et 187 du décret communal flamand du 15 juillet 2005 (ci-après :
le décret du 15 juillet 2005), dans leur version applicable devant la juridiction a quo, disposent :
« Art. 186. Les règlements et ordonnances du conseil communal, du collège des bourgmestre et échevins et du bourgmestre sont publiés par le bourgmestre sur le site web de la commune, avec mention de la date de leur approbation et de la date de leur publication sur le site web.
Art. 187. Les règlements et ordonnances visés à l’article 186 deviennent obligatoires le cinquième jour qui suit le jour de leur publication, sauf s’ils en disposent autrement.
La publicité et la date de la publication de ces règlements et ordonnances sont constatées par une annotation dans un registre spécialement tenu à cet effet, dans la forme qui sera déterminée par le gouvernement flamand ».
B.2.2. Les articles 286 et 288 du décret flamand du 22 décembre 2017 « sur l’administration locale » (ci-après : le décret du 22 décembre 2017), dans leur version applicable devant la juridiction a quo, disposent :
« Art. 286. § 1er. Le bourgmestre publie les arrêtés suivants ainsi que leur contenu sur l’application web de la commune :
1° les règlements et ordonnances du conseil communal, du collège des bourgmestre et échevins et du bourgmestre;
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[…]
Art. 288. Sauf disposition contraire, les règlements et ordonnances visés à l’article 286, § 1er, 1° et 2°, ainsi que les règlements visés à l’article 286, § 2, 1° et 2°, entrent en vigueur le cinquième jour qui suit leur publication.
La publication et la date de publication des règlements et ordonnances visés à l’alinéa premier doivent être attestées par une mention dans un registre tenu conformément à la manière prévue par le Gouvernement flamand ».
B.3.1. Il appartient en règle à la juridiction a quo d’interpréter les dispositions qu’elle applique, sous réserve d’une lecture manifestement erronée des dispositions en cause.
B.3.2. La juridiction a quo interprète l’article 187, alinéa 2, du décret du 15 juillet 2005 et l’article 288, alinéa 2, du décret du 22 décembre 2017 en ce sens que le seul mode de preuve admissible de la publication des règlements ou ordonnances communaux est l’annotation dans le registre spécialement tenu à cet effet. Pour ce faire, elle se fonde sur la jurisprudence de la Cour de cassation qui a jugé en ce sens au sujet des anciennes règles flamandes et des règles wallonnes (Cass., 10 octobre 2019, C.18.0384.N, ECLI:BE:CASS:2019:CONC.20191010.9;
8 novembre 2018, C.17.0604.F, ECLI:BE:CASS:2018:CONC.20181108.10; 21 mai 2015, F.14.0098.F, ECLI:BE:CASS:2015:ARR.20150521.15; 21 mai 2015, F.13.0158.F, ECLI:BE:CASS:2015:ARR.20150521.14).
B.3.3. La Cour examine les dispositions en cause dans l’interprétation que donne la juridiction a quo, laquelle n’est pas manifestement erronée.
Quant à la compétence de la Cour
B.4.1. La SA « Proximus », partie demanderesse dans le litige au fond dans l’affaire n° 7861, et la SA « Orange Belgium », partie intervenante, contestent que la Cour soit compétente pour répondre aux questions préjudicielles. Selon elles, les questions préjudicielles portent en réalité sur les arrêtés d’exécution pris par le Gouvernement flamand en vertu soit de
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l’article 187, alinéa 2, du décret du 15 juillet 2005, soit de l’article 288, alinéa 2, du décret du 22 décembre 2017, et sur la jurisprudence de la Cour de cassation.
B.4.2. La Cour n’est pas compétente pour répondre à une question préjudicielle relative à un arrêté qui n’est pas une norme législative. Elle ne peut pas non plus se prononcer sur les divergences d’interprétation d’un arrêté qui résultent des applications jurisprudentielles de ce dernier. Enfin, la Cour n’est pas compétente pour connaître des modalités d’exécution d’une norme législative.
B.4.3. En vertu de l’article 187, alinéa 2, du décret du 15 juillet 2005 et de l’article 288, alinéa 2, du décret du 22 décembre 2017, la publication et la date de publication d’un règlement communal ou d’une ordonnance communale doivent être attestées par une annotation dans un registre tenu conformément à la manière prévue par le Gouvernement flamand.
La première question préjudicielle concerne l’habilitation faite au Gouvernement flamand dans ces dispositions. Les deuxième et troisième questions préjudicielles concernent l’exigence prévue par ces dispositions selon laquelle la publication et la date de publication doivent être attestées par une annotation dans un registre. Les questions préjudicielles portent donc sur les dispositions en cause.
B.4.4. L’exception est rejetée.
Quant à la première question préjudicielle
B.5. Par la première question préjudicielle, la juridiction a quo souhaite savoir si les dispositions en cause sont compatibles avec les articles 10, 11, 33, 170, 172 et 191 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 105, 108, 159, 162 et 190 de la Constitution et avec le principe de la légalité et de la sécurité juridique, en ce qu’elles priveraient l’autorité communale et les personnes qui peuvent être soumises à un règlement communal de la garantie consistant en l’intervention d’une assemblée législative délibérante pour déterminer la preuve de cette publication, alors que cette garantie n’est pas refusée aux auteurs de lois, d’arrêtés et de règlements d’administration générale ou provinciale ou aux personnes susceptibles d’être soumises à ces normes.
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Il ressort des décisions de renvoi que, par cette question, la juridiction a quo interroge en substance la Cour sur la compatibilité de l’article 187, alinéa 2, du décret du 15 juillet 2005 et de l’article 288, alinéa 2, du décret du 22 décembre 2017 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 190 de la Constitution, en ce qu’ils habilitent le Gouvernement flamand à déterminer les formalités de l’annotation dans le registre spécialement tenu à cet effet, dans l’interprétation selon laquelle celle-ci est le seul mode de preuve admissible de la publication d’une ordonnance communale ou d’un règlement communal.
B.6.1. L’article 190 de la Constitution dispose :
« Aucune loi, aucun arrêté ou règlement d’administration générale, provinciale ou communale, n’est obligatoire qu’après avoir été publié dans la forme déterminée par la loi ».
B.6.2. La publication des ordonnances et règlements communaux sur le site internet de la commune vise à donner exécution au droit, pour les justiciables, garanti par l’article 190 de la Constitution, de pouvoir prendre connaissance à tout moment de ces textes officiels avant que ceux-ci leur soient opposables. En outre, ce droit est inhérent à l’État de droit puisque c’est cette connaissance qui permet à chacun de s’y conformer.
L’annotation datée et signée de la publication dans un registre vise à attester avec certitude la publication du règlement.
B.7.1. Au sujet de la manière dont le registre des ordonnances et règlements de l’administration locale est tenu, l’arrêté du Gouvernement flamand du 18 janvier 2008 « relatif aux annotations dans le registre de publication des règlements et ordonnances des autorités communales » (ci-après : l’arrêté du 18 janvier 2008), qui était applicable jusqu’au 31 décembre 2018, dispose :
« Art. 2. L’annotation dans le registre se fait le jour de la publication du règlement ou de l’ordonnance. Les annotations sont numérotées dans l’ordre des publications consécutives.
Art. 3. L’annotation datée et signée par le bourgmestre et le secrétaire communal est établie de la manière suivante :
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‘ N° ... Le bourgmestre de la commune (ou de la ville) ..., province ..., confirme que le règlement (ou l’ordonnance) du conseil communal (ou du collège des bourgmestre et échevins)
(ou du bourgmestre), daté(e) ..., ayant pour objet ..., a été publié(e), conformément à l’article 186 [du] Décret communal
le ...
..., ... (date) Le secrétaire communal, Le bourgmestre, ’ ».
B.7.2. L’arrêté du Gouvernement flamand du 20 avril 2018 « relatif à la publication et les possibilités de consultation d’arrêtés et de pièces de l’administration locale, concernant la manière dont les règlements et ordonnances de l’administration locale sont tenus au registre et concernant les possibilités de consultation des arrêtés des zones policières et des zones de secours » (ci-après : l’arrêté du 20 avril 2018), qui a remplacé l’arrêté du 18 janvier 2008, tel qu’il était applicable au litige pendant devant la juridiction a quo, dispose :
« Art. 3. Dans un registre spécialement tenu à cet effet, le directeur général note la publication et la date de publication des règlements ou ordonnances de la commune et du centre public d’action sociale, visés à l’article 286, § 1er, 1° et 2°, et § 2, 1° et 2°, et l’article 553 du décret du 22 décembre 2017 sur l’administration locale. Cette annotation se fait le jour de la publication du règlement ou de l’ordonnance. Les annotations sont numérotées dans l’ordre des publications consécutives.
[…]
Art. 4. Le bourgmestre et le directeur général datent et signent l’annotation des règlements et ordonnances de la commune, visés à l’article 286, § 1er, 1° et 2°, et l’article 553 du décret du 22 décembre 2017 sur l’administration locale.
Le président du bureau permanent et le directeur général datent et signent l’annotation des règlements du centre public d’action sociale, visés à l’article 286, § 2, 1° et 2°, du décret précité.
[…]
L’annotation, visée aux alinéas 1er à 3 inclus, mentionne au moins :
1° l’organe ayant pris le règlement ou l’ordonnance, en particulier le conseil communal, le collège des bourgmestre et échevins, le bourgmestre, le conseil de l’aide sociale, le bureau permanent, le conseil de district, le collège de district ou le bourgmestre de district;
2° la date du règlement ou de l’ordonnance;
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3° l’objet du règlement ou de l’ordonnance;
4° la date de publication du règlement ou de l’ordonnance ».
B.8.1. La SA « Telenet Group », partie demanderesse dans le litige au fond dans l’affaire n° 7860, fait valoir que la question préjudicielle n’appelle pas de réponse, étant donné qu’elle repose sur une prémisse erronée et qu’elle n’est pas utile à la solution du litige au fond.
Selon la SA « Telenet Group », la question préjudicielle repose sur la prémisse erronée selon laquelle elle postule que le décret du 22 décembre 2017 ne dispose pas lui-même que la publication d’un règlement-taxe ne peut être prouvée que par une annotation dans le registre.
Elle estime que la question préjudicielle n’est pas utile, étant donné que, dans le litige au fond dans l’affaire n° 7860, la commune de Zwalm n’est pas en mesure de présenter une annotation dans le registre.
B.8.2. L’examen de l’exception coïncide avec l’examen du fond de l’affaire. La Cour les examine dès lors conjointement.
B.9. En tant qu’elles ont trait à la publication des normes au sens large, les dispositions en cause portent sur une matière que l’article 190 de la Constitution réserve au législateur. Cette disposition constitutionnelle n’empêche toutefois pas que la forme de la publication fasse l’objet d’une habilitation au pouvoir exécutif, pour autant que celle-ci soit décrite de manière suffisamment précise et porte sur l’exécution de mesures dont les éléments essentiels ont été préalablement établis par le pouvoir législatif.
B.10. En l’espèce, aux termes de l’article 187, alinéa 2, du décret du 15 juillet 2005 et de l’article 288, alinéa 2, du décret du 22 décembre 2017, l’habilitation ne porte pas sur le mode de publication sur le site internet de la commune en tant que tel, mais sur la manière dont la preuve de cette publication doit être apportée.
B.11. Étant donné que le législateur décrétal a prévu que le mode de publication doit être la mise en ligne sur le site internet de la commune et que la preuve de celle-ci doit être apportée au moyen d’une annotation dans un registre spécialement tenu à cet effet, il a réglé lui-même
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les éléments essentiels de la forme de la publication. La délégation ne porte que sur la forme de l’annotation dans le registre.
B.12. La forme de l’annotation dans le registre n’emporte aucune conséquence sur la régularité d’une norme communale publiée sur le site internet de la commune. En ce qui concerne l’inopposabilité éventuelle du règlement dont la publication n’a pas été constatée dans le respect des dispositions prises en vertu de l’habilitation à l’exécutif, elle doit être considérée comme une conséquence de l’absence de preuve de la publication et ne doit pas être confondue avec la nullité de l’acte. De plus, cette inopposabilité découle principalement des dispositions en cause, qui consacrent l’annotation comme seul mode de preuve de la publication des règlements et ordonnances communaux, et non de l’habilitation ou des dispositions réglementaires.
B.13. Il découle de ce qui précède que le législateur décrétal a déterminé les éléments essentiels des mesures dont l’exécution est confiée au pouvoir exécutif et que, partant, cette habilitation n’est pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de légalité contenu dans l’article 190 de la Constitution.
B.14. La Cour est également interrogée sur la compatibilité de l’habilitation contenue dans l’article 187, alinéa 2, du décret du 15 juillet 2005 et dans l’article 288, alinéa 2, du décret du 22 décembre 2017, lorsqu’elle vise les règlements-taxes communaux, avec les articles 10 et 11
de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 170 de la Constitution.
B.15. L’article 170, § 4, de la Constitution, dispose :
« Aucune charge, aucune imposition ne peut être établie par l’agglomération, par la fédération de communes et par la commune que par une décision de leur conseil.
La loi détermine, relativement aux impositions visées à l’alinéa 1er, les exceptions dont la nécessité est démontrée ».
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B.16. En vertu de cette disposition, lue en combinaison avec les articles 41 et 162 de la Constitution, l’établissement d’un impôt communal est une matière d’intérêt communal qu’il revient au conseil communal de régler.
Cette compétence du conseil communal implique qu’il détermine les éléments essentiels de l’impôt, dont font partie la désignation des contribuables, la matière imposable, la base d’imposition, le taux d’imposition et les éventuelles exonérations d’impôt.
B.17. L’habilitation contenue dans les dispositions en cause ne permet aucunement qu’un règlement-taxe communal soit adopté par une autorité autre que le conseil communal.
B.18. Au surplus, la forme de l’annotation dans le registre de la publication des règlements-taxes communaux, même si elle peut avoir des effets quant à la preuve de la publication et à l’opposabilité de ces règlements, ne fait pas partie des éléments essentiels de l’impôt mentionnés en B.16.
B.19. Dès lors, les dispositions en cause sont compatibles avec l’article 170, § 4, de la Constitution.
B.20. L’examen des dispositions en cause au regard des articles 33, 105, 108, 159, 162, 172 et 191 de la Constitution, au sujet desquels ni la juridiction a quo ni les parties n’exposent en quoi ils seraient violés, ne conduit pas à une autre conclusion.
Quant à la deuxième question préjudicielle
B.21. Par la deuxième question préjudicielle, la juridiction a quo souhaite savoir si les dispositions en cause, interprétées en ce sens que l’annotation dans le registre spécialement tenu à cet effet est le seul mode de preuve admissible de la publication d’un règlement-taxe communal, sont compatibles avec les articles 10, 11 et 170 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 190 de la Constitution, en ce que la force obligatoire de règlements communaux dépend non seulement de leur publication, mais également de la mention de la
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publication dans le registre spécialement tenu à cet effet, alors que cette condition ne s’applique pas aux normes adoptées par d’autres autorités.
B.22.1. La question préjudicielle part du postulat qu’une norme communale acquiert sa force obligatoire par la conjonction de deux conditions, à savoir la publication proprement dite et l’annotation, alors que les autres normes, dont la publication a lieu dans un journal officiel, ne supposent aucune autre formalité.
La question préjudicielle contient donc les éléments nécessaires permettant à la Cour de statuer. L’exception du Gouvernement flamand et de la SA « Proximus », partie demanderesse dans le litige au fond dans l’affaire n° 7861, sur ce point est rejetée.
B.22.2. Aux termes des dispositions en cause, les règlements et ordonnances communaux acquièrent leur force obligatoire exclusivement par le biais de la publication sur le site internet de la commune, à savoir le cinquième jour qui suit le jour de leur publication, sauf disposition contraire. Aucune autre condition n’est requise.
L’annotation dans le registre spécialement tenu à cet effet constitue le mode de preuve de cette publication, notamment devant un tribunal. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le non-respect des règles relatives à la forme de l’annotation dans le registre entraîne l’absence de preuve de la publication et, par conséquent, l’inopposabilité du règlement communal (Cass., 10 octobre 2019, C.18.0384.N, précité; 21 mai 2015, F.14.0098.F, précité; 21 mai 2015, F.13.0158.F, précité).
La publication dans un journal officiel est, de la même façon, la seule condition de la force obligatoire des normes publiées par ce biais. La seule circonstance que la preuve de l’existence de la publication au journal officiel est plus aisée à apporter ne signifie pas que ce type de publication n’est soumise à aucun régime probatoire.
B.22.3. En ce qu’elle considère que la force obligatoire des règlements et ordonnances communaux en Région flamande dépend d’une double condition de publication et d’annotation,
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la question préjudicielle part d’une prémisse erronée. La différence de traitement qui y est décrite est dès lors inexistante.
B.23. La deuxième question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
Quant à la troisième question préjudicielle
B.24. Par la troisième question préjudicielle, la juridiction a quo souhaite savoir si les dispositions en cause, interprétées en ce sens que l’annotation dans le registre spécialement tenu à cet effet constitue le seul mode de preuve admissible de la publication d’un règlement-taxe communal, sont compatibles avec les articles 10, 11 et 170 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 190 de la Constitution, en ce que, dans cette interprétation, la publication d’un règlement-taxe communal ne peut pas être démontrée au moyen d’une preuve informatique, alors qu’une telle preuve est au moins aussi fiable.
B.25. Le postulat sur lequel repose la question préjudicielle est qu’il existe une différence de traitement entre les communes qui souhaitent prouver la publication du règlement-taxe au moyen d’une annotation dans un registre spécialement tenu à cet effet et les communes qui souhaitent démontrer la publication au moyen d’une preuve informatique. Seules les communes de la première catégorie pourront prouver la publication de manière effective.
B.26. La question préjudicielle comporte les éléments nécessaires pour permettre à la Cour de statuer. L’exception du Gouvernement flamand, de la SA « Telenet Group » (partie demanderesse dans le litige au fond dans l’affaire n° 7860), de la SA « Proximus » (partie demanderesse dans le litige au fond dans l’affaire n° 7861) et de la SA « Orange Belgium »
(partie intervenante) sur ce point est rejetée.
B.27. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de
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non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.28. Interprétés comme faisant de l’annotation dans le registre le seul mode de preuve de la publication d’une ordonnance ou d’un règlement communal, l’article 187, alinéa 2, du décret du 15 juillet 2005 et l’article 288, alinéa 2, du décret du 22 décembre 2017 n’ont pas pour objectif l’organisation et le mode de fonctionnement de l’administration mais visent à protéger l’administré, et donc le redevable dans le cadre d’un règlement-taxe. Ceci est de nature à renforcer l’objectif général visé par l’article 190 de la Constitution.
B.29. En vue de protéger l’administré, et donc le redevable dans le cadre d’un règlement-
taxe, le législateur décrétal a pu estimer qu’il était pertinent d’organiser un régime probatoire unique et exclusif, qui ne souffre d’aucune ambiguïté, à savoir la production d’une annotation dans un registre spécifique.
B.30. En outre, la Cour n’aperçoit aucune difficulté d’ordre pratique qui rendrait ce régime de preuve disproportionné à l’objectif poursuivi. Il en va d’autant plus ainsi que la preuve de la publication d’une norme ne se confond pas avec la validité de celle-ci. Par ailleurs, le registre peut être tenu sous format papier ou sous format numérique, selon le choix de la commune, tant qu’il contient les mentions obligatoires.
B.31. Enfin, la simple circonstance que certaines juridictions ont pu considérer que d’autres moyens de preuve n’étaient en réalité pas exclus par les dispositions en cause n’entraîne pas ipso facto l’inconstitutionnalité de celles-ci. En effet, la Cour les examine dans l’interprétation de la juridiction a quo mentionnée en B.3.2.
B.32. En ce qu’elles font de l’annotation dans le registre le seul mode de preuve de la publication d’un règlement communal, les dispositions en cause ne sont pas incompatibles avec les articles 10, 11 et 170 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 190 de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
- Les articles 186 et 187 du décret communal flamand du 15 juillet 2005 et les articles 286
et 288 du décret flamand du 22 décembre 2017 « sur l’administration locale » ne violent pas les articles 10, 11 et 170 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 190 de la Constitution.
- La deuxième question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 septembre 2023.
Le greffier, Le président,
N. Dupont L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 125/2023
Date de la décision : 21/09/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

- Non-violation - La deuxième question préjudicielle n'appelle pas de réponse

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - les questions préjudicielles relatives aux articles 286 et 288 du décret flamand du 22 décembre 2017 « sur l'administration locale » et aux articles 186 et 187 du décret communal flamand du 15 juillet 2005 (dans la version applicable du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2018), posées par le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand. Droit public - Pouvoirs locaux - Région flamande - Communes - Règlements et ordonnances - Publication - Annotation - Preuve


Origine de la décision
Date de l'import : 03/10/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-09-21;125.2023 ?

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