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21/09/2023 | BELGIQUE | N°124/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 21 septembre 2023, 124/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 124/2023
du 21 septembre 2023
Numéro du rôle : 7852
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 90, alinéa 1er, 9°, du Code des impôts sur les revenus 1992, junctis les articles 97, 102 et 103 du même Code, posée par le Tribunal de première instance d’Anvers, division d’Anvers.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune et K. Jadin, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président L. Lavrysen,

après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et pr...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 124/2023
du 21 septembre 2023
Numéro du rôle : 7852
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 90, alinéa 1er, 9°, du Code des impôts sur les revenus 1992, junctis les articles 97, 102 et 103 du même Code, posée par le Tribunal de première instance d’Anvers, division d’Anvers.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune et K. Jadin, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 29 juin 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 8 septembre 2022, le Tribunal de première instance d’Anvers, division d’Anvers, a posé une question préjudicielle qui, par ordonnance de la Cour du 12 octobre 2022, a été reformulée comme suit :
« L’article 90, alinéa 1er, 9°, lu en combinaison avec les articles 97, 102 et 103 du Code des impôts sur les revenus 1992 viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce qu’il fait naître une différence de traitement entre, d’une part, les contribuables qui réalisent des bénéfices et des profits résultant de la gestion [a]normale d’un patrimoine privé au sens de l’article 90, alinéa 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, qui, après déduction des frais exposés pour cette opération, sont imposés sur le montant net et qui peuvent imputer sur les autres revenus visés à l’article 90, alinéa 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992
les pertes relatives à ces opérations et éprouvées au cours des cinq périodes imposables antérieures et, d’autre part, les contribuables qui réalisent des plus-values sur actions résultant de la gestion anormale d’un patrimoine privé au sens de l’article 90, alinéa 1er, 9°, du Code des impôts sur les revenus 1992, qui, sans déduction des frais exposés pour cette opération, sont imposés sur le montant brut et qui ne peuvent pas, au cours des cinq périodes imposables suivantes, imputer sur les autres revenus visés à l’article 90, alinéa 1er, 9°, du Code des impôts sur les revenus 1992 les pertes relatives à de telles opérations ? ».
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Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- Jan-Wouter Buitink et Evi Van Der Velden, assistés et représentés par Me S. Gnedasj et Me J. Leroy, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me K. Maenhout, avocat au barreau d’Anvers.
Par ordonnance du 31 mai 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs S. de Bethune et T. Giet, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 14 juin 2023 et l’affaire mise en délibéré.
À la suite de la demande du Conseil des ministres à être entendu, la Cour, par ordonnance du 14 juin 2023, a fixé l'audience au 12 juillet 2023.
À l'audience publique du 12 juillet 2023 :
- ont comparu :
. Me S. Gnedasj, pour Jan-Wouter Buitink et Evi Van Der Velden;
. Me K. Maenhout, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs S. de Bethune et T. Giet ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l'affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
La SPRL « TBK » a été créée le 4 février 2015 par Jan-Wouter Buitink et Patrik Mermans, qui ont tous deux souscrit la moitié des parts. Le 24 mars 2015, la SPRL « TBK » a acheté un bien immobilier à la SA « Picolo Real Estate » en faillite. Le 19 novembre 2014, Jan-Wouter Buitink et Patrik Mermans avaient déjà fait une offre sur ce bien immobilier au nom d’une société en formation.
Le 10 mars 2016, Jan-Wouter Buitink et Patrik Mermans ont vendu leurs parts de la SPRL « TBK » à la SA « Retail Estates » et à la SA « Vlaamse Leasing Maatschappij ». Tous deux ont réalisé une plus-value considérable sur la vente des parts. Dans le cadre de cette vente, ils se sont fait assister par des avocats.
Jan-Wouter Buitink et Evi Van Der Velden, parties demanderesses devant la juridiction a quo, n’ont pas mentionné dans leur déclaration relative à l’exercice d’imposition 2017 la plus-value obtenue, estimant que cette
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plus-value est exonérée d’impôt. Selon eux, cette plus-value s’inscrit dans la gestion normale d’un patrimoine privé. Une cotisation initiale a été établie sur la base de cette déclaration.
Le 18 octobre 2019, l’Administration générale de l’Inspection spéciale des impôts, direction régionale de Bruxelles, a, après avoir ouvert une enquête en 2018, envoyé un avis de rectification à Jan-Wouter Buitink et Evi Van Der Velden les informant que la plus-value réalisée doit être considérée comme une opération ne relevant pas de la gestion normale du patrimoine privé et doit donc être imposée sur la base de l’article 90, alinéa 1er, 9°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992).
Le 27 novembre 2019, Jan-Wouter Buitink et Evi Van Der Velden ont fait savoir à l’administration qu’ils n’étaient pas d’accord avec la taxation proposée. L’Administration générale de l’Inspection spéciale des impôts, direction régionale de Bruxelles, les a informés, dans sa décision de taxation du 19 décembre 2019, qu’elle ne pouvait pas se rallier à leur objection et a établi une cotisation supplémentaire le 20 décembre 2019. Après que leur réclamation contre cette cotisation supplémentaire a été rejetée, Jan-Wouter Buitink et Evi Van Der Velden ont intenté le 20 novembre 2020 une action en justice.
Par jugement du 29 juin 2022, le Tribunal de première instance d’Anvers, division d’Anvers, a jugé que la plus-value réalisée ne s’inscrit pas dans la gestion normale du patrimoine privé et qu’elle avait donc été imposée à juste titre sur la base de l’article 90, alinéa 1er, 9°, juncto l’article 102 du CIR 1992, en tant que revenu divers.
Dans le même jugement, le Tribunal de première instance d’Anvers, division d’Anvers, a également déjà considéré que la plus-value imposable ne doit pas être limitée à la partie provenant de l’opération anormale.
Avant de statuer plus avant, le Tribunal de première instance d’Anvers, division d’Anvers, estime nécessaire de soumettre à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
Quant à la recevabilité de la question préjudicielle
A.1. Le Conseil des ministres fait valoir que la question préjudicielle n’est pas utile à la solution du litige au fond en ce qu’elle porte sur la déductibilité des moins-values. Les parties demanderesses devant la juridiction a quo n’ont pas réalisé de moins-value sur la vente de parts dans les cinq années antérieures. Elles ne peuvent donc en aucun cas, selon lui, se prévaloir de l’article 103 du CIR 1992, qui prévoit, pour d’autres revenus divers, la déduction des moins-values réalisées dans les cinq années antérieures.
A.2. Les parties demanderesses devant la juridiction a quo estiment que la question préjudicielle est recevable dans sa totalité. Tout d’abord, elles soulignent qu’elles ont exposé des frais dans le cadre de la vente des parts. Elles ont par exemple demandé l’assistance d’avocats. Ensuite, elles relèvent que la portée de l’article 103
du CIR 1992 s’étend au-delà des moins-values. Cette disposition porte en effet sur les pertes. Selon elles, les frais peuvent être déduits à titre de pertes.
Quant au fond
A.3.1. Les parties demanderesses devant la juridiction a quo estiment que la question préjudicielle appelle une réponse affirmative. Tout d’abord, elles soulignent qu’il existe une différence de traitement entre deux catégories comparables de contribuables, à savoir, d’une part, les contribuables qui réalisent des bénéfices et des profits résultant de la gestion anormale d’un patrimoine privé au sens de l’article 90, alinéa 1er, 1°, du CIR 1992
et, d’autre part, les contribuables qui réalisent des plus-values sur actions ou parts résultant de la gestion anormale d’un patrimoine privé au sens de l’article 90, alinéa 1er, 9°, du CIR 1992. En vertu des articles 97, § 1er, et 103, § 1er, du CIR 1992, les contribuables de la première catégorie sont imposés sur le montant net qui subsiste après déduction des frais et après déduction des pertes provenant d’autres opérations anormales de gestion de patrimoine privé et éprouvées au cours des cinq périodes imposables antérieures, alors qu’en vertu de l’article 102 du
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CIR 1992, les contribuables de la seconde catégorie sont imposés sur le montant brut, sans possibilité de déduire les frais ni les pertes, qui peuvent pourtant être bien présents.
A.3.2. Elles font ensuite valoir que la différence de traitement ne repose pas sur un critère objectif et n’est pas raisonnablement justifiée. Selon elles, la taxation brute des plus-values sur actions ou parts résultant de la gestion anormale d’un patrimoine privé au sens de l’article 90, alinéa 1er, 9°, du CIR 1992 est une conséquence non voulue par le législateur de la modification de l’article 90, alinéa 1er, 9°, du CIR 1992 par la loi du 11 décembre 2008 « modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 en vue de le mettre en concordance avec la Directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’Etats membres différents ainsi qu’au transfert de siège statutaire d’une SE ou d’une SCE d’un Etat membre à un autre, modifiée par la Directive 2005/19/CE du Conseil du 17 février 2005 » (ci-après : la loi du 11 décembre 2008). À la suite de cette modification, le caractère imposable des plus-values sur actions ou parts à titre de revenus divers a été transféré, pour de simples raisons de clarification, de l’article 90, alinéa 1er, 1°, du CIR 1992 à l’article 90, alinéa 1er, 9°, du CIR 1992, sans qu’il soit toutefois exclu que les plus-values sur actions ou parts soient également encore imposées à titre de revenu divers sur la base de cette première disposition. À cet égard, le législateur n’a pas tenu compte du fait que l’article 97, § 1er, et l’article 103, § 1er, du CIR 1992 ne renvoient pas à l’article 90, alinéa 1er, 9°, du CIR 1992 et que l’article 102 du CIR 1992 ne prévoit pas une taxation sur les montants nets.
Elles ajoutent que la taxation sur les montants bruts des plus-values sur actions ou parts résultant de la gestion anormale d’un patrimoine privé est contraire également au principe de base de l’impôt sur les revenus figurant à l’article 6 du CIR 1992, principe selon lequel l’impôt ne grève que l’enrichissement effectif du contribuable, ainsi qu’au principe de la capacité contributive. Selon elles, les deux principes exigent que les plus-values sur actions ou parts soient soumises à une taxation sur les montants nets.
A.4. Les parties demanderesses devant la juridiction a quo font encore valoir que les effets de l’inconstitutionnalité ne peuvent en aucun cas être maintenus. Selon elles, le Conseil des ministres ne démontre pas concrètement que l’ordre juridique serait perturbé si l’on écartait l’application de l’article 90, alinéa 1er, 9°, du CIR 1992.
Elles estiment également qu’une interprétation conforme à la Constitution des dispositions en cause n’est pas possible. Compte tenu du principe de légalité en matière fiscale, il appartient au législateur de combler la lacune.
Celui-ci dispose à cet égard de plusieurs possibilités.
A.5. Le Conseil des ministres estime que la question préjudicielle, à supposer qu’elle soit recevable, appelle une réponse négative. Il fait valoir que la différence de traitement repose sur un choix délibéré du législateur qui est objectivement et raisonnablement justifié. La simple détention d’actions ou de parts est, contrairement aux activités qui relèvent de l’article 90, alinéa 1er, 1°, du CIR 1992, en effet une activité passive qui ne nécessite pas de prestations, d’infrastructure, d’investissements ni d’autres frais spécifiques. Selon lui, il faut veiller à ce que les frais de la société ne soient pas mis sur le compte de l’actionnaire ou de l’associé.
A.6. À supposer que l’article 90, alinéa 1er, 9°, du CIR 1992 viole tout de même les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, le Conseil des ministres demande à la Cour en premier lieu de maintenir les effets pendant un certain délai, de sorte qu’il puisse être remédié à l’inconstitutionnalité. Selon lui, le fait que les frais puissent être déduits ne peut pas conduire à ce que les plus-values nettes ne puissent plus être imposées.
En second lieu, il demande à la Cour d’interpréter les articles 90, alinéa 1er, 9°, et 102 du CIR 1992 en ce sens que les frais que le contribuable justifie avoir faits ou supportés pendant la période imposable en vue de réaliser les plus-values peuvent être déduits. Il estime que cette interprétation est possible, étant donné que les dispositions en cause ne disent rien quant au traitement des frais et que l’article 6 du CIR 1992 dispose explicitement, en tant que règle générale, que le revenu imposable est constitué de l’ensemble des revenus nets, diminués des dépenses déductibles.
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-B-
B.1. La juridiction a quo interroge la Cour sur la compatibilité des articles 90, alinéa 1er, 9°, 97, 102 et 103 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992) avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce qu’ils font naître une différence de traitement entre les contribuables qui réalisent des plus-values sur actions ou parts résultant de la gestion anormale d’un patrimoine privé au sens de l’article 90, alinéa 1er, 9°, du CIR 1992 et les contribuables qui réalisent des bénéfices ou des profits résultant de la gestion anormale d’un patrimoine privé au sens de l’article 90, alinéa 1er, 1°, du CIR 1992. Selon la juridiction a quo, les contribuables de la première catégorie sont imposés sur le montant brut sans la moindre déduction de frais ou de pertes antérieures, alors que les contribuables de la seconde catégorie peuvent déduire des frais et peuvent imputer les pertes relatives aux opérations visées à l’article 90, alinéa 1er, 1°, du CIR 1992 et éprouvées au cours des cinq périodes imposables antérieures sur les autres revenus visés à l’article 90, alinéa 1er, 1°, du CIR 1992.
B.2.1. Il ressort du libellé de la question préjudicielle et de la motivation de la décision de renvoi que la question préjudicielle invite la Cour à comparer les contribuables auxquels est appliqué l’article 90, alinéa 1er, 9°, premier tiret, en combinaison avec l’article 102, alinéa 1er, du CIR 1992 et les contribuables auxquels est appliqué l’article 90, alinéa 1er, 1°, en combinaison avec l’article 97, § 1er, et avec l’article 103, § 1er, du CIR 1992. Dans leur version applicable à l’exercice d’imposition 2017, ces articles disposent :
« Art. 90. Les revenus divers sont :
1° sans préjudice des dispositions du 1°bis, 8° et 10°, les bénéfices ou profits, quelle que soit leur qualification, qui résultent, même occasionnellement ou fortuitement, de prestations, opérations ou spéculations quelconques ou de services rendus à des tiers, en dehors de l’exercice d’une activité professionnelle, à l’exclusion des opérations de gestion normale d’un patrimoine privé consistant en biens immobiliers, valeurs de portefeuille et objets mobiliers;
[…]
9° les plus-values sur actions ou parts qui :
- soit, sont réalisées à l’occasion de la cession à titre onéreux de ces actions ou parts, en dehors de l’exercice d’une activité professionnelle, à l’exclusion des opérations de gestion normale d’un patrimoine privé ».
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« Art. 97. § 1er. Les revenus visés à l’article 90, alinéa 1er, 1°, s’entendent de leur montant net, c’est-à-dire de leur montant brut diminué des frais que le contribuable justifie avoir faits ou supportés pendant la période imposable en vue d’acquérir ou de conserver ces revenus ».
« Art. 102. Les plus-values visées à l’article 90, alinéa 1er, 9°, s’entendent de la différence entre le prix reçu, en espèces, en titres ou sous toute autre forme, en rémunération des actions ou parts cédées et le prix auquel le contribuable ou son auteur a acquis, à titre onéreux, lesdites actions ou parts, ce prix étant éventuellement réévalué conformément à l’article 2, § 1er, 7° ».
« Art. 103. § 1er. Les pertes éprouvées au cours des cinq périodes imposables antérieures dans l’exercice d’activités visées à l’article 90, alinéa 1er, 1°, ne sont déduites que des revenus résultant de telles activités.
Les pertes sont successivement déduites des revenus de chacune des périodes imposables suivantes ».
B.2.2. Ces dispositions qualifient deux catégories de revenus comme étant des revenus divers imposables et indiquent la base imposable pour les deux catégories de revenus divers.
En vertu de l’article 90, alinéa 1er, 1°, du CIR 1992, les bénéfices ou profits, quelle que soit leur qualification, qui résultent, même occasionnellement ou fortuitement, de prestations, opérations ou spéculations quelconques ou de services rendus à des tiers, en dehors de l’exercice d’une activité professionnelle, constituent des revenus divers s’ils résultent de la gestion anormale d’un patrimoine privé. Conformément à l’article 97, § 1er, du CIR 1992, ces revenus s’entendent de leur montant net, c’est-à-dire de leur montant brut diminué des frais que le contribuable justifie avoir faits ou supportés pendant la période imposable en vue d’acquérir ou de conserver ces revenus. Conformément à l’article 103, § 1er, du CIR 1992, de ces revenus sont en outre déduites les pertes éprouvées au cours des cinq périodes imposables antérieures dans l’exercice d’activités visées à l’article 90, alinéa 1er, 1°, du CIR 1992.
En vertu de l’article 90, alinéa 1er, 9°, premier tiret, du CIR 1992, les plus-values sur actions ou parts réalisées à l’occasion de la cession à titre onéreux de ces actions ou parts en dehors de l’exercice d’une activité professionnelle constituent des revenus divers si elles résultent de la gestion anormale d’un patrimoine privé. De telles plus-values s’entendent d’un
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montant égal à la différence entre le prix reçu et le prix d’acquisition, éventuellement réévalué.
Il n’est pas prévu de déduction des frais ni des pertes pour ces revenus divers.
C’est cette différence de traitement qui fait l’objet de la question préjudicielle.
B.3.1. Le Conseil des ministres fait valoir que la question préjudicielle n’appelle pas de réponse en ce qu’elle porte sur la déductibilité de pertes. Selon le Conseil des ministres, les parties demanderesses devant la juridiction a quo ne peuvent en tout cas pas se prévaloir de l’article 103 du CIR 1992, étant donné qu’elles n’ont pas subi de pertes.
B.3.2. C’est en règle à la juridiction a quo qu’il appartient d’apprécier si la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution du litige. Ce n’est que lorsque tel n’est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la question n’appelle pas de réponse.
B.3.3. L’article 103, § 1er, du CIR 1992 dispose que les pertes éprouvées au cours des cinq périodes imposables antérieures dans l’exercice d’activités visées à l’article 90, alinéa 1er, 1°, peuvent être déduites des revenus résultant de telles activités. Contrairement à ce que soutiennent les parties demanderesses devant la juridiction a quo, des dépenses exposées pour réaliser une plus-value sur actions ou parts lors de la vente de celles-ci, telles que des frais d’avocat, ne peuvent être considérées comme des pertes qui pourraient, le cas échéant, être déduites en vertu de cette disposition. En revanche, des dépenses de cette sorte peuvent être considérées comme étant des frais que le contribuable a faits ou supportés en vue d’acquérir ou de conserver la plus-value sur actions ou parts et pourraient donc être déduites de la plus-value imposable si l’article 97, § 1er, du CIR 1992 ou une disposition similaire était applicable aux revenus visés à l’article 90, alinéa 1er, 9°, premier tiret. La réponse à la question préjudicielle, en ce qu’elle se réfère à l’article 103 du CIR 1992, n’est dès lors pas utile à la solution du litige pendant devant la juridiction a quo.
En ce qu’elle vise l’article 90, alinéa 1er, 9°, premier tiret, lu en combinaison avec l’article 103 du CIR 1992, la question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
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B.4.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.4.2. L’article 172, alinéa 1er, de la Constitution constitue une application particulière, en matière fiscale, du principe d’égalité et de non-discrimination inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution.
B.4.3. Il appartient au législateur compétent d’établir la matière imposable, la base de l’impôt et le taux d’imposition. Il dispose en la matière d’un large pouvoir d’appréciation. En effet, les mesures fiscales constituent un élément essentiel de la politique socio-économique.
Elles assurent non seulement une part substantielle des recettes qui doivent permettre la réalisation de cette politique, mais elles permettent également au législateur d’orienter certains comportements et d’adopter des mesures correctrices afin de donner corps à la politique sociale et économique.
Les choix sociaux qui doivent être réalisés lors de la collecte et de l’affectation des ressources relèvent par conséquent du pouvoir d’appréciation du législateur compétent. La Cour ne peut sanctionner un tel choix politique et les motifs qui le fondent que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou s’ils sont déraisonnables.
B.5.1. Depuis la loi du 11 décembre 2008 « modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 en vue de le mettre en concordance avec la Directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’Etats membres
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différents ainsi qu’au transfert de siège statutaire d’une SE ou d’une SCE d’un Etat membre à un autre, modifiée par la Directive 2005/19/CE du Conseil du 17 février 2005 » (ci-après : la loi du 11 décembre 2008), qui a inséré l’article 90, alinéa 1er, 9°, tel qu’il est applicable au litige au fond, les plus-values sur actions ou parts résultant de la gestion anormale d’un patrimoine privé constituent une catégorie distincte de revenus divers. Avant cette modification, elles étaient éventuellement imposables sur la base de l’article 90, alinéa 1er, 1°, du CIR 1992.
Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 11 décembre 2008 que les plus-values sur actions ou parts résultant de la gestion anormale d’un patrimoine privé ont été intégrées dans le premier tiret de cette disposition dans le seul but « de faciliter le renvoi à ce type de revenu divers potentiel en rassemblant toutes les règles qui s’y appliquent » (Doc. parl., Chambre, 2007-2008, DOC 52-1398/001, p. 27). Selon le législateur, cette mention « ne vise pas à rendre imposables des plus-values qui ne seraient pas déjà taxables le cas échéant sur base de l’article 90, 1°, CIR 92 (qui de manière générale vise tout revenu provenant de toute opération à l’exception de celles effectuées dans le cadre de la gestion normale du patrimoine privé) »
(ibid.).
B.5.2. Toutefois, la loi du 11 décembre 2008 n’a pas modifié l’article 97, § 1er, du CIR 1992, qui prévoit une déduction des frais pour les revenus divers mentionnés à l’article 90, alinéa 1er, 1°, du CIR 1992, de sorte que cette disposition n’est pas applicable aux plus-values sur actions ou parts résultant de la gestion anormale d’un patrimoine privé mentionnées à l’article 90, alinéa 1er, 9°, premier tiret, du CIR 1992. Au lieu de cela, l’article 102, alinéa 1er, du CIR 1992, qui ne prévoit pas de déduction des frais, est devenu applicable à ces revenus divers.
Un amendement visant à rendre l’article 97, § 1er, du CIR 1992 applicable aux plus-values sur actions ou parts visées à l’article 90, alinéa 1er, 9°, premier tiret, du CIR 1992, afin que le montant imposable soit calculé de la même manière après cette modification législative, a été retiré après une intervention du ministre. Ce dernier a observé « qu’en ce qui concerne la détermination du montant net du revenu pour revenus divers, le CIR 92 prévoit déjà un article spécifique relatif à la plus-value sur actions, à savoir l’article 102 » (Doc. parl., Chambre, 2007-
2008, DOC 52-1398/004, p. 16).
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Le fait qu’en conséquence, aucune déduction des frais n’est possible pour les plus-values sur actions ou parts résultant de la gestion anormale visées à l’article 90, alinéa 1er, 9°, premier tiret, du CIR 1992 n’est pas expliqué. Les travaux préparatoires de la loi du 3 novembre 1976
« modifiant le Code des impôts sur les revenus », qui a instauré l’article 102 du CIR 1992 dans sa version originale, n’expliquent pas non plus pourquoi cette disposition ne prévoit pas de déduction des frais.
B.6.1. Le Conseil des ministres fait valoir que la différence de traitement est raisonnablement justifiée dès lors que les plus-values sur actions ou parts mentionnées à l’article 90, alinéa 1er, 9°, premier tiret, du CIR 1992 découlent d’une activité passive qui ne nécessite pas de prestations, d’infrastructure, d’investissements ni d’autres frais spécifiques, alors que les bénéfices et les profits mentionnés à l’article 90, alinéa 1er, 1°, du CIR 1992
découlent d’une activité qui implique nécessairement des frais ou des investissements.
B.6.2. Ce point de vue ne saurait être suivi. Il ne saurait être a priori exclu que des frais doivent être exposés afin de réaliser les plus-values visées par l’article 90, alinéa 1er, 9°, premier tiret, du CIR 1992 et rien ne permet de justifier que, si tel est le cas, ces frais ne puissent être déduits du revenu imposable alors que des frais de même nature peuvent être déduits du revenu imposable lorsque celui-ci est constitué par des bénéfices ou profits résultant de prestations, opérations ou spéculations quelconques ou de services rendus à des tiers.
B.7. La différence de traitement mentionnée en B.1 et en B.2.2 n’est donc pas raisonnablement justifiée. L’article 90, alinéa 1er, 9°, premier tiret, du CIR 1992, lu en combinaison avec les articles 97, § 1er, et 102, alinéa 1er du CIR 1992, dans leur version applicable à l’exercice d’imposition 2017, ne sont dès lors pas compatibles avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce qu’ils ne prévoient pas une déduction des frais pour les contribuables qui acquièrent des revenus divers constitués par des plus-values sur actions ou parts réalisées à l’occasion de leur cession à titre onéreux.
B.8. Dans l’attente d’une intervention du législateur, il appartient à la juridiction a quo de mettre fin à l’inconstitutionnalité constatée par la Cour, étant donné que ce constat est exprimé en des termes suffisamment clairs et complets pour permettre que les dispositions en cause
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soient appliquées dans le respect des articles 10, 11 et 172 de la Constitution. Plus spécifiquement, la juridiction a quo peut le faire en appliquant l’article 97, § 1er, du CIR 1992
aux plus-values mentionnées à l’article 90, alinéa 1er, 9°, premier tiret, du CIR 1992.
B.9.1. Le Conseil des ministres demande enfin à la Cour de maintenir les effets des dispositions en cause durant une certaine période, afin que le législateur puisse remédier à l’inconstitutionnalité.
B.9.2. Il ressort du mémoire du Conseil des ministres que la demande de maintien des effets qu’il formule à titre subsidiaire concerne l’hypothèse où le constat d’inconstitutionnalité des dispositions en cause aurait pour conséquence qu’aucun impôt ne serait dû par les contribuables imposés sur la base de l’article 90, alinéa 1er, 9°, premier tiret, du CIR 1992. Dès lors que le constat d’inconstitutionnalité qui a été fait en B.7 n’a pas une telle portée, la demande de maintien des effets est sans objet.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 90, alinéa 1er, 9°, premier tiret, lu en combinaison avec les articles 97 et 102, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992, dans leur version applicable à l’exercice d’imposition 2017, violent les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce qu’ils ne prévoient pas une déduction des frais exposés par les contribuables qui acquièrent des revenus divers mentionnés à l’article 90, alinéa 1er, 9°, premier tiret, du CIR 1992.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 septembre 2023.
Le greffier, Le président,
N. Dupont L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 124/2023
Date de la décision : 21/09/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Violation (article 90, alinéa 1er, 9°, premier tiret, lu en combinaison avec les articles 97 et 102, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992, dans leur version applicable à l'exercice d'imposition 2017, en ce qu'ils ne prévoient pas une déduction des frais exposés par les contribuables qui acquièrent des revenus divers mentionnés à l'article 90, alinéa 1er, 9°, premier tiret, du CIR 1992)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle relative à l'article 90, alinéa 1er, 9°, du Code des impôts sur les revenus 1992, junctis les articles 97, 102 et 103 du même Code, posée par le Tribunal de première instance d'Anvers, division d'Anvers. Droit fiscal - Impôts sur les revenus - Revenus divers - Plus-values sur actions ou parts résultant de la gestion anormale d'un patrimoine privé - Imposition - Montant brut


Origine de la décision
Date de l'import : 03/10/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-09-21;124.2023 ?

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