Cour constitutionnelle
Arrêt n° 121/2023
du 14 septembre 2023
Numéros du rôle : 7851 et 7895
En cause : le recours en annulation partielle de la loi du 29 janvier 2022 « modifiant la loi du 6 août 1990 relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités » et en annulation des articles 54 et 55, 2°, de la loi du 18 mai 2022 « portant des dispositions diverses urgentes en matière de santé », introduit par la « Fédération des Mutualités Socialistes du Luxembourg », et le recours en annulation de l’article 54 de la loi du 18 mai 2022 précitée, introduit par Thierry Chamberland.
La Cour constitutionnelle,
composée du juge T. Giet, faisant fonction de président, du président L. Lavrysen, et des juges J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le juge T. Giet,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des recours et procédure
a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 1er septembre 2022
et parvenue au greffe le 2 septembre 2022, la « Fédération des Mutualités Socialistes du Luxembourg », assistée et représentée par Me R. De Baerdemaeker, Me E. Van Nuffel et Me E. Vauthier, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation partielle de la loi du 29 janvier 2022 « modifiant la loi du 6 août 1990 relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités » et des articles 54 et 55, 2°, de la loi du 18 mai 2022 « portant des dispositions diverses urgentes en matière de santé » (publiées respectivement au Moniteur belge du 2 mars 2022 et du 30 mai 2022).
b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 29 novembre 2022
et parvenue au greffe le 30 novembre 2022, Thierry Chamberland, assisté et représenté par Me R. De Baerdemaeker, Me E. Van Nuffel et Me E. Vauthier, a introduit un recours en annulation de l’article 54 de la loi du 18 mai 2022 précitée.
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Ces affaires, inscrites sous les numéros 7851 et 7895 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me P. Slegers, Me M. Kerkhofs et Me J. Duval, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit des mémoires, les parties requérantes ont introduit des mémoires en réponse et le Conseil des ministres a également introduit des mémoires en réplique.
Par ordonnance du 31 mai 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs K. Jadin et D. Pieters, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 14 juin 2023 et les affaires mises en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, les affaires ont été mises en délibéré le 14 juin 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité
En ce qui concerne le recours dans l’affaire n° 7851
A.1.1. La partie requérante dans l’affaire n° 7851 justifie son intérêt à agir par le fait que les dispositions attaquées interviennent dans son fonctionnement, qu’elles la soumettent à des mécanismes de contrôle et qu’elles portent atteinte à son autonomie.
A.1.2. Le Conseil des ministres ne conteste pas l’intérêt à agir de la partie requérante.
En ce qui concerne le recours dans l’affaire n° 7895
A.2.1. La partie requérante dans l’affaire n° 7895 affirme qu’elle est engagée sous contrat de travail par la Mutualité socialiste du Luxembourg, où elle exerce des fonctions de direction, à savoir les fonctions de trésorier et de secrétaire adjoint. Le 23 décembre 2021, le conseil d’administration de cette mutualité a renouvelé son mandat pour une durée de six ans. Selon la partie requérante, bien que l’article 25 de la loi du 6 août 1990 « relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités » (ci-après : la loi du 6 août 1990), tel qu’il a été remplacé par l’article 54 de la loi du 18 mai 2022 « portant des dispositions diverses urgentes en matière de santé » (ci-
après : la loi du 18 mai 2022), ne lui soit pas applicable actuellement, il lui sera applicable à partir du prochain renouvellement de son mandat. La partie requérante fait valoir qu’elle a l’intention de demander le renouvellement de son mandat. Elle estime que la disposition attaquée modifierait en profondeur son statut juridique lors du renouvellement de son mandat, de sorte qu’elle dispose d’un intérêt à agir.
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A.2.2. Le Conseil des ministres soutient que l’intérêt à agir de la partie requérante n’est ni actuel ni certain, étant donné qu’elle ne pourrait être soumise à la disposition attaquée que si son mandat était renouvelé et pour autant qu’elle en ait fait la demande.
A.2.3. La partie requérante répond que l’intérêt à agir trouve sa limite dans l’actio popularis, de sorte qu’un recours ne doit être déclaré irrecevable que s’il ne sert pas l’intérêt particulier de la partie requérante, mais l’intérêt de l’ensemble des citoyens. Elle observe que tel n’est pas le cas en l’espèce, dès lors qu’elle exerce actuellement des fonctions de direction au sein de la Mutualité socialiste du Luxembourg, et que ces fonctions doivent être renouvelées.
A.2.4. Le Conseil des ministres réplique que la disposition attaquée s’applique à la personne qui est en charge de la responsabilité globale de la gestion journalière de la mutualité. Le mandat dont la partie requérante dispose et qu’elle souhaiterait voir renouveler porte sur une autre fonction de direction, de sorte qu’elle ne justifie pas d’un intérêt au recours en annulation. S’il est vrai que la disposition attaquée prévoit la possibilité, pour la mutualité, d’étendre l’application du régime aux personnes qui exercent d’autres fonctions dirigeantes, il faut que les statuts de l’union nationale prévoient explicitement cette possibilité. Or, les statuts de l’Union nationale des mutualités socialistes sont muets à cet égard. De surcroît, si les statuts comportaient une telle clause, l’éventuelle atteinte au droit au travail de la partie requérante résulterait de ceux-ci et non de la disposition attaquée. Il s’ensuit que l’intérêt de la partie requérante est hypothétique.
Quant au fond
En ce qui concerne l’affaire n° 7851
A.3. Le moyen unique est pris de la violation des articles 10, 11 et 27 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Les griefs de la partie requérante sont dirigés contre les articles 3, 5, 3°, 6, 7, 9, alinéa 1er, et 13, 1° et 2°, de la loi du 29 janvier 2022 « modifiant la loi du 6 août 1990 relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités » (ci-après : la loi du 29 janvier 2022) et contre les articles 54 et 55, 2°, de la loi du 18 mai 2022.
La partie requérante subdivise son moyen en six griefs. L’un des griefs porte sur l’ensemble des dispositions attaquées, tandis que les autres griefs sont dirigés contre des dispositions particulières.
L’autonomie des mutualités
A.4.1. De manière générale, la partie requérante fait valoir que les dispositions attaquées portent atteinte à la liberté d’association, dès lors qu’elles déplacent le pouvoir de décision de la mutualité vers l’union nationale de mutualités (ci-après : l’union nationale) et anéantissent de la sorte l’autonomie organisationnelle et décisionnelle des mutualités, qui est l’une des composantes de la liberté d’association.
Elle soutient qu’au prétexte de vouloir atteindre des objectifs consistant à améliorer la gouvernance et à uniformiser les contrôles exercés sur les mutualités, les dispositions attaquées ont en réalité pour objectif de réduire les mutualités à la fonction d’agent des unions nationales de mutualités, en les privant de leur autonomie de décision.
A.4.2. La partie requérante considère qu’il ressort de la légisprudence de la section de législation du Conseil d’État qu’à l’aune de la liberté d’association, il ne peut être admis, fût-ce sous le couvert de conditions d’agrément ou d’octroi de subventions, que l’autorité publique fixe des règles qui modifient profondément l’existence, l’organisation et le fonctionnement d’associations de droit privé ou impose, en ce qui concerne les activités de ces associations, des contraintes telles que celles-ci - parce qu’elles n’auraient d’autre choix que de devenir de simples exécutants de la politique décidée par l’autorité – seraient dénaturées dans leur essence même (CE, avis n° 25.290/9 du 25 septembre 1996; voy. aussi les avis nos 52.653/2 du 14 janvier 2013 et 62.625/4/VR du 13 février 2018). La section de législation du Conseil d’État estime également qu’un régime de tutelle administrative n’est pas possible à l’égard d’une personne morale de droit privé (CE, avis n° 33.892/4 du 2 décembre 2002) et que la
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mise en place d’une tutelle de substitution aboutit à dénaturer fondamentalement le régime juridique de l’association sans but lucratif, de sorte qu’elle porte atteinte à la liberté d’association, même lorsqu’elle est instituée dans le cadre d’un contrôle de l’utilisation des subventions ou du respect des statuts (CE, avis n° 60.694/4 du 18 janvier 2017).
La partie requérante rappelle également que la section du contentieux administratif du Conseil d’État a jugé qu’un arrêté royal qui prévoyait que les mutualités devaient compter 75 000 membres pour être reconnues portait une atteinte disproportionnée à la liberté d’association de ces mutualités et que la simple référence au consensus du secteur - lequel a été coulé dans le Pacte d’avenir avec les organismes assureurs (ci-après : le Pacte d’avenir), signé le 28 novembre 2016 par les unions nationales de mutualités notamment - ne suffit pas pour justifier cette atteinte (CE, 14 juin 2021, n° 250.894). Elle considère que ce point de vue a été confirmé par la section de législation du Conseil d’État dans un avis portant sur un avant-projet de loi ayant un objet similaire (CE, avis n° 70.026/1/2/3 du 28 septembre 2021).
A.4.3. La partie requérante reconnaît certes que les missions confiées aux mutualités et leur financement peuvent justifier un contrôle de leurs activités par l’État et, dans une certaine mesure, par les unions nationales.
Elle soutient néanmoins que la loi du 6 août 1990, avant d’être modifiée par les dispositions attaquées, soumettait déjà les mutualités à un contrôle approfondi, qui était exercé par l’Office de contrôle des mutualités et par l’union nationale à laquelle la mutualité était affiliée. L’efficacité de ces mécanismes de contrôle n’a jamais été mise en doute par le législateur et aucune mesure prescrite par les dispositions attaquées n’est justifiée par la nécessité d’améliorer les mécanismes existants.
Il s’ensuit, selon elle, que les dispositions attaquées ne sont ni nécessaires ni proportionnées.
A.5.1. Le Conseil des ministres rappelle que la Cour a jugé que la liberté d’association n’empêche pas que des organismes privés qui souhaitent collaborer étroitement avec un établissement de droit public soient soumis à des modalités de fonctionnement et de contrôle qui se justifient en raison de ce rapport particulier et en raison du recours à des moyens publics (arrêt n° 10/93 du 11 février 1993, ECLI:BE:GHCC:1993:ARR.010, B.8.3).
Il fait valoir que les mutualités sont des institutions qui souhaitent collaborer étroitement avec un établissement de droit public, dès lors qu’en tant que membres d’une union nationale, elles participent à l’exécution de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, et collaborent avec l’Institut national d’assurance maladie-
invalidité. En effet, l’union nationale est un organisme assureur au sens de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 (ci-après : la loi du 14 juillet 1994). C’est parce que les mutualités choisissent de participer à l’exécution d’une mission d’intérêt général qu’elles doivent satisfaire à des conditions minimales et obtenir un agrément. Les mutualités ne disposent de la personnalité juridique reconnue par la loi du 6 août 1990 que si elles satisfont aux exigences précitées. Dans ce contexte, les restrictions à la liberté d’association sont raisonnablement justifiées.
A.5.2. Le Conseil des ministres soutient que la réforme est justifiée par l’évolution du secteur mutualiste et par la nécessité de renforcer le contrôle du bon fonctionnement de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités.
Le Conseil des ministres observe que le rôle des mutualités a changé au fil de l’évolution du secteur, à la suite, notamment, de la couverture des petits risques par l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, d’une part, et de la concurrence entre les mutualités et le secteur des assurances, d’autre part. Des services qui étaient offerts initialement par les mutualités ont dès lors perdu leur pertinence ou ont été abandonnés.
Le législateur a notamment pour objectif de renforcer le contrôle par les organismes assureurs de l’utilisation des deniers publics. Les lois attaquées consolident les facultés de contrôle de l’Office de contrôle des mutualités à l’égard des unions nationales et renforcent, en conséquence, les facultés de contrôle de ces unions nationales à l’égard des mutualités affiliées. En outre, cette réforme a fait l’objet d’une concertation avec le secteur mutualiste.
Cette concertation a abouti à l’adoption du Pacte d’avenir, qui a précédé l’adoption des lois attaquées.
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A.5.3. Selon le Conseil des ministres, la participation à l’exécution de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités est devenue la mission principale des mutualités. Néanmoins, la responsabilité de l’exécution de cette mission incombe au premier chef à l’union nationale. En conséquence, l’autonomie des mutualités a diminué.
En prévoyant toutefois que l’union nationale peut déléguer certaines de ses missions aux mutualités affiliées, le législateur a conservé autant que raisonnablement possible les particularités des mutualités. Les dispositions attaquées n’imposent pas aux unions nationales de réduire les particularités des mutualités. Il estime qu’en laissant subsister un système dans lequel plusieurs mutualités sont affiliées à une union nationale, en dépit de l’objectif d’uniformité, le législateur contraint les unions nationales à prendre en considération l’autonomie et les particularités des mutualités affiliées qui les composent, dans le respect de la liberté d’association. Il n’en demeure pas moins que l’objectif consistant à assurer un bon fonctionnement du régime d’assurance obligatoire soins de santé et indemnités doit l’emporter sur les souhaits d’autonomie des mutualités.
A.6.1. La partie requérante répond qu’en soutenant que les mutualités participent à l’exécution des obligations relatives à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, le Conseil des ministres n’identifie pas l’objectif d’intérêt général poursuivi par les dispositions attaquées. Elle fait également valoir que la référence au Pacte d’avenir ne permet pas de justifier ces dispositions, dès lors que ce Pacte ne contient aucune recommandation relative à l’accroissement du contrôle des unions nationales à l’égard des mutualités. Selon elle, le renforcement du contrôle de l’Office de contrôle des mutualités à l’égard des unions nationales ne saurait justifier une emprise renforcée de celles-ci sur les mutualités, étant donné que l’Office de contrôle peut contrôler directement les mutualités. La partie requérante en induit que le Conseil des ministres ne démontre pas que les mesures attaquées poursuivent un objectif d’intérêt général. Elle observe que le défaut de justification de l’atteinte portée à l’autonomie des mutualités a déjà été constaté par le Conseil d’État, dans son arrêt n° 250.894, précité.
A.6.2. La partie requérante estime en outre que l’objectif réellement poursuivi par les dispositions attaquées consiste à renforcer le pouvoir de contrôle des unions nationales à l’égard des mutualités, de sorte que la liberté d’association des unions nationales l’emporte sur la liberté d’association des mutualités. De surcroît, le but poursuivi par le législateur consiste, selon la partie requérante, à protéger les finances des unions nationales contre les risques qu’entraînerait une mauvaise gestion des mutualités. À titre principal, elle estime que cet objectif n’est pas un objectif d’intérêt général, dès lors qu’il concerne les intérêts particuliers des unions nationales. Elle soutient également que cet objectif n’est pas légitime, étant donné qu’il est purement économique. À titre subsidiaire, elle fait valoir que, si la Cour devait estimer qu’un objectif purement économique peut justifier une restriction à un droit fondamental, elle devrait constater que, dans ce type de cas, la marge d’appréciation du législateur est étroite.
Par conséquent, seul un risque sérieux d’atteinte grave à cet objectif pourrait justifier ladite restriction. Elle répète que les restrictions à sa liberté d’association ne sont pas proportionnées.
A.7. Le Conseil des ministres réplique que les mesures attaquées s’inscrivent dans le cadre de l’objectif consistant à faire fonctionner le plus adéquatement possible l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités.
Les mesures attaquées donnent par conséquent exécution à l’article 23 de la Constitution. Il estime qu’il n’est pas illégitime de garantir la pérennité d’un tel système en s’assurant que le cadre législatif soit adapté à l’évolution de la société et de ce secteur.
Le Conseil des ministres observe que le besoin de coordination et de modernisation des mutualités et des unions nationales s’est accru depuis l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 1990, dans sa version initiale, tandis que les règles de gouvernance ont très peu évolué.
Selon le Conseil des ministres, les dispositions attaquées adaptent des principes qui existent depuis l’adoption de la loi du 6 août 1990. Les réformes adoptées s’inscrivent également dans la même orientation que celles qui résultent de l’adoption du Code des sociétés et des associations.
Le contrôle exercé à l’égard de la personne en charge de la responsabilité globale de la gestion journalière de la mutualité
A.8.1. La partie requérante considère qu’il résulte de l’article 54 de la loi du 18 mai 2022, qui remplace l’article 25 de la loi du 6 août 1990, que les mutualités ne peuvent plus désigner un responsable d’une fonction dirigeante, ne peuvent plus décider de la durée de la fonction ni de son renouvellement, ne peuvent plus exercer l’autorité sur leur dirigeant et ne peuvent plus mettre fin à sa fonction.
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A.8.2. Elle soutient que les travaux préparatoires de la disposition attaquée se limitent à décrire son contenu, sans justifier la limitation de la liberté d’association. Elle observe que le contrôle exercé à l’égard des mutualités n’a pas davantage été envisagé par le Pacte d’avenir, si ce n’est de manière incidente.
A.8.3. Selon la partie requérante, dès lors qu’elle prévoit que l’union nationale peut exiger que la personne chargée de la responsabilité globale de la gestion journalière de la mutualité soit membre de son personnel, la disposition attaquée donne lieu à un conflit d’intérêts entre l’union nationale et la mutualité. La disposition attaquée permet à l’union nationale de faire prévaloir son intérêt sur celui de la mutualité.
La partie requérante considère également que la disposition attaquée entre en conflit avec l’article 31, § 1er, de la loi du 24 juillet 1987 « sur le travail temporaire, le travail intérimaire et la mise des travailleurs à disposition d’utilisateurs », qui interdit, en dehors des hypothèses qu’elle prévoit, de mettre des travailleurs engagés par une personne physique ou morale à la disposition de tiers exerçant sur ceux-ci une part quelconque de l’autorité appartenant normalement à l’employeur. Selon la partie requérante, la disposition attaquée est dès lors fondamentalement illégale.
A.8.4. La partie requérante estime qu’étant donné que chaque union nationale peut décider si elle exige ou non que la personne chargée de la responsabilité globale de la gestion journalière de la mutualité fasse partie de son personnel, la disposition attaquée risque de créer des différences de traitement entre les mutualités, en fonction de l’union nationale à laquelle celles-ci sont affiliées. Elle en infère que la disposition attaquée viole les articles 10
et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 27 de celle-ci.
Elle fait également valoir que cette différence de traitement entre en contradiction avec l’objectif d’uniformité des contrôles exercés à l’égard des mutualités et compromet la réalisation des objectifs de bonne gouvernance, de sorte qu’elle viole la liberté d’association.
Enfin, la partie requérante soutient que la faculté, laissée à l’union nationale, d’exiger que soient agréées les personnes que le conseil d’administration souhaite désigner à une autre fonction dirigeante ou à une fonction de direction risque également d’occasionner des différences de traitement, en fonction de l’union nationale à laquelle la mutualité est affiliée, de sorte que les articles 10, 11 et 27 de la Constitution sont violés.
A.9.1. Le Conseil des ministres observe que l’agrément de la personne en charge de la gestion journalière est l’acte administratif par lequel l’union nationale, qui est responsable de la bonne exécution des obligations que le législateur lui impose, associe cette personne à sa responsabilité. Il s’ensuit qu’il n’est pas déraisonnable de prévoir que l’union nationale puisse fixer les conditions auxquelles la personne à laquelle elle délègue l’exécution concrète de cette mission exercera son activité.
Le Conseil des ministres soutient également que le candidat n’est pas imposé par l’union nationale, dès lors que la mutualité conserve la possibilité de proposer une autre personne qui réunit les conditions.
Le Conseil des ministres fait valoir qu’avant l’entrée en vigueur des dispositions attaquées, la personne responsable de la gestion journalière de la mutualité ne pouvait être désignée que sur l’avis conforme de l’union nationale. Il met en exergue que la disposition attaquée encadre plus précisément la faculté de l’union nationale de s’opposer au candidat proposé par la mutualité, de sorte qu’elle a pour effet d’étendre les garanties prévues en faveur de la liberté d’association.
A.9.2. Le Conseil des ministres estime que la faculté, laissée à l’union nationale de soumettre d’autres dirigeants de la mutualité à la procédure d’agrément ou de prévoir que les responsables de la gestion doivent être des membres du personnel de l’union nationale se justifie par la volonté que soient prises en compte les particularités de l’organisation de chaque union nationale et de chaque mutualité. Selon le Conseil des ministres, l’autonomie dont disposent les mutualités ne permet pas à celles-ci de se soustraire au contrôle légitime de l’union nationale en déléguant l’essentiel des pouvoirs de gestion à des membres de la mutualité qui ne devraient pas répondre de leur gestion à l’union nationale.
A.9.3. Le Conseil des ministres reconnaît que, dans l’hypothèse où l’union nationale exigerait que la personne en charge de la direction soit membre de son personnel, cette personne serait soumise à l’autorité de l’union nationale. Il estime toutefois que ce contrôle est justifié, au motif que l’union nationale délègue à la
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mutualité l’exécution de missions de service public que lui a confiées le législateur. Les mutualités restent compétentes pour proposer le candidat. Elles peuvent également décider de s’affilier à une autre union nationale ou de ne plus exercer de missions liées à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, auquel cas elles sont qualifiées de « mutualités » au sens de la loi du 6 août 1990.
En outre, il considère que la liberté d’association ne comporte pas une interdiction des conflits d’intérêts. Il rappelle qu’avant l’entrée en vigueur de la disposition attaquée, rien n’interdisait qu’une personne relevant du personnel d’une union nationale soit chargée de la gestion journalière d’une mutualité affiliée à cette union. Selon lui, la disposition attaquée accroît la sécurité juridique en prévoyant explicitement cette faculté.
Le Conseil des ministres observe que la dénonciation d’un conflit d’intérêts est d’autant moins pertinente que les unions nationales et les mutualités sont instituées par la loi, en vue de la réalisation du même objectif, à savoir l’exécution des missions légales relatives à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités. La disposition attaquée permet à l’union nationale de garantir l’effectivité de cette exécution, dont elle porte la responsabilité finale.
A.9.4. Enfin, le Conseil des ministres fait valoir que des représentants de la mutualité contrôlée siègent au conseil d’administration de l’union nationale, de sorte que la mutualité participe au contrôle qui est exercé sur elle, ainsi qu’à la fixation des modalités de ce contrôle.
A.10.1. La partie requérante répond que, dans le cadre de l’appréciation du caractère disproportionné de l’atteinte à ses droits fondamentaux, il faut prendre en considération l’ensemble des modifications opérées par l’article 54 de la loi du 18 mai 2022. La partie requérante estime que les compétences confiées à l’union nationale ne peuvent être justifiées par le seul motif que celle-ci est responsable de la bonne exécution de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités. Elle fait valoir que la gestion journalière de la mutualité relève du conseil d’administration. Elle estime qu’à suivre le Conseil des ministres, il faut considérer que le législateur a transféré la responsabilité de l’exécution des obligations relatives à l’assurance maladie de la mutualité, en tant qu’entité juridique, vers les dirigeants de celle-ci, alors que cela ne correspond pas à ce que prévoit la loi du 6 août 1990.
A.10.2. La partie requérante observe également que l’agrément n’est pas comparable à l’avis conforme, étant donné que l’union nationale peut retirer l’agrément lorsque le dirigeant ne satisfait pas aux conditions qui lui ont été imposées, alors que les effets de l’avis conforme étaient définitifs.
A.11. Le Conseil des ministres réplique qu’étant donné que les conditions fixées par l’agrément doivent pouvoir être contrôlées et que celui-ci est octroyé pour une durée indéterminée, il n’est pas déraisonnable que la compétence de retirer l’agrément ait été confiée à l’union nationale si ces conditions ne sont pas respectées. Cette mesure permet d’assurer une meilleure effectivité du contrôle qui avait été mis en place par la loi du 6 août 1990.
Selon lui, un hypothétique conflit d’intérêts à ce point bloquant que le dirigeant de la mutualité ne pourrait plus exercer sa fonction utilement aurait nécessairement un impact sur le fonctionnement des organes de l’union nationale, dès lors que ceux-ci sont composés de représentants des mutualités qui sont affiliées à cette union nationale.
Le contrôle de la gouvernance des mutualités
A.12.1. La partie requérante fait grief à l’article 3 de la loi du 29 janvier 2022, qui remplace partiellement l’article 7 de la loi du 6 août 1990, de porter atteinte à la liberté d’association des mutualités, en imposant à l’union nationale d’adopter un code déontologique et une charte de gouvernance, qui s’appliquent tant à l’union nationale qu’aux mutualités affiliées.
Elle observe que les travaux préparatoires ne font que définir le contenu de cette disposition, sans la justifier.
Elle estime que le Pacte d’avenir ne visait pas l’adoption d’un code déontologique et d’une charte de gouvernance.
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Elle considère que rien ne justifie que l’union nationale puisse imposer des règles de déontologie et de gouvernance aux mutualités affiliées. Dès lors que l’union nationale doit, de surcroît, exercer sa tutelle sur les mutualités à l’aune du code déontologique et de la charte de gouvernance, elle se substitue entièrement à la mutualité pour déterminer les règles de déontologie et de gouvernance les plus adéquates.
A.12.2. La partie requérante fait également valoir qu’en confiant à l’union nationale la compétence d’adopter un code déontologique et une charte de gouvernance, la disposition attaquée permet que chaque union nationale prenne des normes différentes, de sorte que les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 27 de celle-ci, sont violés. En outre, cette possibilité de traitement différencié compromet la réalisation de l’objectif d’uniformisation des contrôles exercés l’égard des mutualités, de sorte que la disposition attaquée viole l’article 27 de la Constitution.
A.13.1. Le Conseil des ministres observe que l’adoption du code déontologique et de la charte de gouvernance par l’union nationale permet de garantir un standard commun d’exigences en matière de déontologie et de bonne gouvernance pour l’ensemble des mutualités qui y sont affiliées. Il rappelle que l’amélioration de la gouvernance des mutualités est inscrite dans le Pacte d’avenir. La disposition attaquée répond à cette préoccupation.
A.13.2. Au vu des orientations politiques et sociétales qui marquent traditionnellement le secteur des mutualités, il a été choisi de permettre à chaque union nationale d’adopter un code déontologique et une charte de gouvernance plutôt que de confier cette compétence au Roi. Il n’est pas déraisonnable de considérer que l’union nationale et les mutualités qui y sont affiliées portent les mêmes valeurs. Selon le Conseil des ministres, le législateur a pu fixer le cadre pour l’adoption du code déontologique et de la charte de gouvernance, afin de s’assurer que l’affiliation des particuliers à une mutualité et, au travers de celle-ci, à un organisme assureur - à savoir l’union nationale - corresponde à leurs aspirations.
Dès lors que les mutualités sont représentées au sein de l’union nationale, elles peuvent participer à l’élaboration du code déontologique et de la charte de gouvernance. La disposition attaquée vise à garantir la prise en compte des intérêts, des standards et des règles de l’union nationale et de l’ensemble des mutualités affiliées.
Le législateur a également souhaité éviter que le contenu de ces textes soit dicté uniquement par des particularismes locaux qui ne se justifieraient pas au regard des règles de bonne gouvernance.
A.13.3. Selon le Conseil des ministres, le fait que l’Office de contrôle des mutualités soit chargé de proposer au Roi une définition de ce qu’il faut entendre par « charte de gouvernance » et par « code de déontologie » apporte également une garantie quant au contenu de ces textes.
A.14. La partie requérante répond qu’étant donné que les valeurs particulières que portent mutuellement les unions nationales peuvent différer, le Conseil des ministres ne peut affirmer sans se contredire que l’adoption du code déontologique et de la charte de gouvernance vise à adopter un standard commun d’exigences. Elle estime également que chaque assuré social doit être traité de la même manière, quelle que soit son orientation politique, de sorte qu’il ne se justifie pas que des règles différentes puissent être adoptées par chaque union nationale.
Le contrôle par les unions nationales des documents sociaux des mutualités
A.15.1. La partie requérante soutient que les articles 6 et 7 de la loi du 29 janvier 2022 et l’article 55 de la loi du 18 mai 2022 donnent aux unions nationales un accès illimité aux documents sociaux des mutualités, y compris aux documents relatifs à leur gestion journalière.
A.15.2. Elle observe que les travaux préparatoires justifient cette mesure sur la base de l’objectif de renforcer le rôle de coordination et de pilotage des unions nationales. Le Pacte d’avenir envisage toutefois uniquement un rapportage relatif à l’exécution des missions confiées aux mutualités. Par conséquent, il n’est pas démontré en quoi la mesure attaquée est nécessaire pour réaliser un objectif de gestion efficace des mutualités.
Elle estime que les contrôles qui existaient avant l’entrée en vigueur des dispositions attaquées répondaient déjà aux exigences de transparence de l’activité des mutualités.
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Elle considère que, dès lors que l’accès aux documents sociaux n’est pas soumis à des conditions et n’est pas limité dans le temps, l’objectif poursuivi est en réalité de s’immiscer dans la gestion journalière des mutualités.
A.16.1. Selon le Conseil des ministres, les dispositions sont justifiées par la volonté de renforcer le rôle de coordination et de pilotage des unions nationales. Il soutient qu’il n’est pas déraisonnable de prévoir que les unions nationales, qui sont responsables en première ligne de l’exécution de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités et de l’affectation concrète des deniers publics, disposent des outils nécessaires pour s’assurer de la bonne allocation de ces moyens par les mutualités qui y sont affiliées.
A.16.2. Le Conseil des ministres observe que, contrairement à ce qu’allègue la partie requérante, la compétence des unions nationales ne porte que sur les documents adoptés par l’assemblée générale et par le conseil d’administration, et non sur les documents relatifs à la gestion journalière.
Il considère que l’audit relatif aux activités des mutualités est l’accessoire de l’audit relatif aux activités de l’union nationale, étant donné qu’une partie importante des missions confiées à l’union nationale sont déléguées aux mutualités. Il s’ensuit qu’il ne serait pas pertinent d’imposer à l’union nationale de réaliser un audit de ses activités sans lui imposer de contrôler les mutualités.
A.16.3. Le Conseil des ministres relève également qu’avant l’entrée en vigueur des dispositions attaquées, l’article 31 de la loi du 6 août 1990 imposait déjà aux unions nationales de mettre en place un mécanisme de contrôle interne et d’audit interne portant notamment sur les activités des mutualités.
Le contrôle de l’existence des mutualités
A.17.1. La partie requérante considère que les articles 5, 3°, et 13, 2°, de la loi du 29 janvier 2022 violent l’article 27 de la Constitution, en ce qu’ils attribuent le pouvoir de décision en matière de fusion de plusieurs mutualités et de dissolution d’une mutualité à l’union nationale à laquelle elles sont affiliées. En outre, l’article 13, 1°, de la loi du 29 janvier 2022 viole, selon elle, le même article de la Constitution, en ce qu’il prévoit que le liquidateur doit être désigné par la mutualité sur proposition de l’union nationale.
A.17.2. La partie requérante observe que les travaux préparatoires justifient la mesure, d’une part, par l’objectif qui consiste à renforcer le rôle de coordination et de pilotage des unions nationales et à développer leurs outils de contrôle et, d’autre part, par la volonté de mettre en œuvre le Pacte d’avenir.
S’il peut se justifier de confier à l’union nationale de telles compétences de contrôle vis-à-vis des sociétés mutualistes, dès lors que celles-ci gèrent des besoins communs aux mutualités affiliées, tel n’est pas le cas, selon elle, pour ces dernières, dès lors qu’elles ne sont dans un rapport d’interaction ni avec les autres mutualités ni avec l’union nationale.
A.17.3. La partie requérante soutient qu’il n’appartient pas à une personne morale de droit privé de décider si une autre personne morale de droit privé doit fusionner ou non et si elle doit être dissoute ou non, sauf pour des raisons impérieuses d’intérêt général.
A.18. Le Conseil des ministres rappelle que l’union nationale est responsable de la bonne exécution des obligations qui lui incombent en application de la loi du 14 juillet 1994. Or, une union nationale doit être composée d’au moins deux mutualités. Il en résulte que la dissolution ou la fusion de mutualités menace l’existence de l’union nationale. En prévoyant que les décisions en la matière doivent être approuvées par l’union nationale, le législateur garantit la bonne exécution des missions confiées à celle-ci.
En outre, dès lors que les unions nationales assument, en vertu des articles 60 et suivants de la loi du 6 août 1990, la responsabilité financière des éventuelles infractions à la même loi, il n’est pas déraisonnable de leur confier des compétences relatives à la désignation du liquidateur et à l’affectation des éventuels actifs résiduels.
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A.19. La partie requérante répond que l’argumentation du Conseil des ministres relative au risque que constitue la dissolution ou la fusion entre en contradiction avec le fait qu’il observe par ailleurs que la mutualité peut quitter l’union nationale dont elle est membre afin de s’affilier à une autre union nationale ou de cesser d’exercer des prestations relatives à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités. Elle estime également que le risque de disparition de l’union nationale est très faible, dès lors qu’en cas de disparition de celle-ci, la mutualité, qui tire son existence juridique de son lien avec l’union nationale, disparaîtrait par la même occasion.
Le contrôle par les unions nationales des comptes des mutualités
A.20.1. La partie requérante estime que l’article 9 de la loi du 29 janvier 2022 viole l’article 27 de la Constitution, en ce qu’il dispose que le réviseur de la mutualité doit être désigné sur proposition de l’union nationale.
A.20.2. Elle observe que la mesure est justifiée par le souci d’assurer l’uniformité du contrôle révisoral de l’union nationale et des mutualités affiliées. Elle estime que cet objectif ne permet pas de justifier que l’union nationale détermine quel réviseur contrôle les comptes de la mutualité.
A.20.3. En outre, cette mesure n’est, selon elle, pas compatible avec le droit des marchés publics auquel les mutualités sont soumises eu égard à leur activité et à leur financement par l’État. La proposition de l’union nationale n’est pas compatible avec les procédures de passation des marchés publics qui impliquent une mise en concurrence, même lorsqu’il s’agit de marchés limités pouvant être passés par procédure négociée sans publication préalable.
A.21. Selon le Conseil des ministres, les mutualités sont, pour la part déterminante de leur activité, les opérateurs des unions nationales en ce qui concerne les missions dont ces dernières assurent la responsabilité légale. Il s’ensuit qu’il n’est pas déraisonnable d’avoir confié à l’union nationale la compétence de déterminer en partie la politique révisorale, en imposant que le réviseur de la mutualité ne puisse être désigné que sur proposition de l’union nationale.
Cela étant, en n’obligeant pas l’union nationale et les mutualités affiliées à désigner le même réviseur, le législateur a choisi l’option la moins attentatoire à la liberté d’association de la mutualité.
-B-
Quant aux dispositions attaquées
B.1.1. Les dispositions attaquées apportent plusieurs modifications à la loi du 6 août 1990
« relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités » (ci-après : la loi du 6 août 1990).
B.1.2. La loi du 6 août 1990 fixe les conditions auxquelles les mutualités et les unions nationales de mutualités (ci-après : les unions nationales) doivent satisfaire pour obtenir la personnalité juridique, détermine leurs missions et les règles de base de leur fonctionnement, et organise la tutelle à laquelle elles sont soumises (article 1er). Tant les unions nationales que les
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mutualités sont des organismes privés. Leur mission principale est de collaborer à l’exécution de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités (article 3, alinéa 1er, a)). En outre, les mutualités ont pour mission d’intervenir financièrement, pour leurs membres et pour les personnes à leur charge, dans les frais découlant de la prévention et du traitement de la maladie et de l’invalidité ou dans l’octroi d’indemnités en cas d’incapacité de travail ou lorsque se produit une situation en vertu de laquelle le bien-être physique, psychique ou social peut être encouragé ainsi que dans l’octroi d’aide, d’information, de guidance et d’assistance en vue de promouvoir le bien-être physique, psychique et social (article 3, alinéa 1er, b) et c)). L’article 3, dernier alinéa, de la loi du 6 août 1990 précise expressément que ces missions constituent des services d’intérêt général.
B.1.3. L’article 2, § 1er, première phrase, de la loi du 6 août 1990 définit les mutualités comme étant « des associations de personnes physiques qui, dans un esprit de prévoyance, d’assistance mutuelle et de solidarité, ont pour but de promouvoir le bien-être physique, psychique et social ». Elles exercent leurs activités sans but lucratif (article 2, § 1er, seconde phrase).
B.1.4. Les unions nationales sont des associations d’au moins deux mutualités. Elles poursuivent le même but que celles-ci (article 6, § 1er). En vertu des articles 2 et 3 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 (ci-
après : la loi du 14 juillet 1994), les unions nationales sont agréées en qualité d’« organismes assureurs » et doivent garantir l’exécution de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités fédérale. Leurs autres missions sont fixées à l’article 7, §§ 2 et 4, de la loi du 6 août 1990.
B.1.5. Le législateur a toujours décidé de conserver une structure à deux niveaux. S’il est vrai que les unions nationales sont responsables de l’exécution des missions relatives à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, elles peuvent déléguer ces missions aux mutualités, lesquelles sont structurées à un niveau local. Cette possibilité permet de maintenir des entités à un niveau plus proche du citoyen (Doc. parl., Chambre, 1989-1990, n° 1153/1, p. 4).
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L’Institut national d’assurance maladie-invalidité verse aux unions nationales les moyens nécessaires pour payer les prestations sociales (article 202 de la loi du 14 juillet 1994). Chaque union nationale décide de la manière dont elle répartit ces moyens entre les mutualités affiliées.
En outre, les unions nationales et les mutualités peuvent également recevoir des subventions des pouvoirs publics pour les services visés aux articles 3, b) et c), et 7, §§ 2 et 4, de la loi du 6 août 1990 et à l’article 67, alinéa 5, de la loi du 26 avril 2010 « portant des dispositions diverses en matière de l’organisation de l’assurance maladie complémentaire (I) » (article 27, alinéa 1er, de la loi du 6 août 1990).
Les mutualités exercent leurs missions sous le contrôle de l’union nationale à laquelle elles sont affiliées.
B.2.1. Les dispositions attaquées visent à renforcer le contrôle exercé par les unions nationales.
B.2.2. L’article 25 de la loi du 6 août 1990, tel qu’il a été remplacé par l’article 54 de la loi du 18 mai 2022 « portant des dispositions diverses urgentes en matière de santé » (ci-après :
la loi du 18 mai 2022), dispose :
« § 1er. La désignation, par le conseil d’administration d’une mutualité, de la personne ou des personnes en charge de la responsabilité globale de la gestion journalière de cette mutualité requiert l’agrément de cette personne ou de ces personnes par le conseil d’administration de l’union nationale à laquelle la mutualité est affiliée et ce, aux conditions fixées par le conseil d’administration de l’union nationale. Ces conditions concernent, sans pour autant devoir s’y limiter :
1° la compétence et l’expérience professionnelle;
2° la disponibilité pour l’exercice de la fonction;
3° la bonne gestion de la mutualité, tant en assurance obligatoire que dans les autres activités de la mutualité;
4° la transparence administrative, financière et comptable vis-à-vis de l’union nationale et des affiliés;
5° le respect des pouvoirs de contrôle de l’union nationale à l’égard des entités mutualistes affiliées.
Il peut être prévu dans ces conditions que la personne désignée ou les personnes désignées doive(nt) devenir membre(s) du personnel de l’union nationale.
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Un agrément similaire peut également être exigé pour la désignation, par le conseil d’administration d’une mutualité, d’une personne qui exerce, au sein de cette mutualité, une autre fonction dirigeante que celle visée à l’alinéa 1er ou une fonction de direction, pour autant que les statuts de l’union nationale à laquelle la mutualité est affiliée prévoient cette possibilité et précisent explicitement quelles sont les fonctions concernées par un tel agrément en tenant compte des définitions visées à l’alinéa suivant.
L’Office de contrôle définit, sur avis du Comité technique, ce qu’il y a lieu d’entendre par les notions de ‘ gestion journalière ’, ‘ fonction dirigeante ’ et de ‘ fonction de direction ' visées dans les alinéas précédents.
Le conseil d’administration de l’union nationale précitée établit la procédure et les modalités relatives à l’octroi de l’agrément visé à l’alinéa 1er ou à l’alinéa 3. Cette procédure et ces modalités sont transmises sans délai à l’Office de contrôle.
§ 2. L’agrément visé au § 1er, alinéa 1er ou 2, est accordé pour une durée indéterminée.
Toutefois, une union nationale peut préciser dans ses statuts que l’agrément précité doit, le cas échéant, être renouvelé selon une périodicité qui y est déterminée.
§ 3. La personne qui a bénéficié d’un agrément visé au § 1er remet, chaque année, un rapport écrit sur l’exécution de tous les aspects de sa fonction.
Ce rapport est établi selon la procédure et les modalités établies par le conseil d’administration de l’union nationale à laquelle la mutualité est affiliée. Cette procédure et ces modalités sont transmises sans délai à l’Office de contrôle.
À défaut d’un tel rapport, le conseil d’administration de l’union nationale à laquelle la mutualité est affiliée peut, après avoir mis en demeure la personne concernée d’exécuter son obligation et après lui avoir donné la possibilité d’être entendue, décider du retrait de l’agrément conformément au § 4.
§ 4. En cas de non-respect d’une ou de plusieurs conditions d’agrément visées au § 1er, le conseil d’administration de l’union nationale à laquelle la mutualité est affiliée peut, après avoir mis en demeure par lettre recommandée la personne concernée de respecter la ou les conditions en question, décider du retrait de l’agrément visé au § 1er.
Le conseil d’administration de l’union nationale établit la procédure et les modalités du retrait de l’agrément.
Sa décision doit être motivée en faisant référence au non-respect de la ou des conditions d’agrément et à la mise en demeure visées à l’alinéa 1er. Elle est communiquée par lettre recommandée à la personne concernée.
Un retrait d’agrément ne peut toutefois être décidé que si au moins la moitié des membres ayant droit de vote sont présents ou représentés.
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Le retrait de l’agrément implique de plein droit, pour la personne concernée, la fin :
1° des mandats qu’elle exerce au sein de la mutualité, d’une société mutualiste ou de l’union nationale à laquelle la mutualité est affiliée et qui lui ont été conférés par la mutualité ou par l’union nationale précitée;
2° des mandats qui dérivent de la fonction pour laquelle il a obtenu l’agrément.
L’Office de contrôle définit ce qu’il y a lieu d’entendre par les mandats visés à l’alinéa précédent ».
B.2.3. L’article 7, § 3, aliéna 1er, de la loi du 6 août 1990, tel qu’il a été remplacé par l’article 3, 2°, de la loi du 29 janvier 2022 « modifiant la loi du 6 août 1990 relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités » (ci-après : la loi du 29 janvier 2022) impose au conseil d’administration de chaque union nationale d’adopter un code déontologique et une charte de gouvernance, qui s’appliquent à l’union nationale et aux mutualités affiliées. Le Roi est chargé de déterminer, sur la proposition du Conseil de l’Office de contrôle, ce qu’il faut entendre par « code déontologique » et par « charte de gouvernance », ainsi que les conditions auxquelles ceux-ci doivent répondre (article 7, § 3, alinéa 2). Lorsqu’une union nationale autorise les mutualités affiliées à exécuter des tâches découlant de l’application de la loi du 14 juillet 1994, cette autorisation doit satisfaire aux conditions fixées dans la charte de gouvernance (article 7, § 1er, alinéa 3).
Lorsqu’une union nationale constate qu’une mutualité affiliée n’agit pas conformément à ses objectifs statutaires, ne respecte pas les obligations imposées par la loi du 6 août 1990 ou par ses arrêtés d’exécution, ou ne respecte pas les dispositions du code déontologique ou de la charte de gouvernance, elle peut ordonner à celle-ci de régulariser la situation dans un délai qu’elle détermine. À défaut de régularisation dans le délai imparti, l’union nationale peut suspendre l’exercice des compétences des organes statutaires de la mutualité concernée et se substituer à cette dernière pendant une période déterminée et renouvelable. Elle peut, en outre, suspendre ou annuler une décision litigieuse (article 7, § 3, alinéa 5). Elle est toutefois tenue d’informer sans délai l’Office de contrôle quant aux mesures adoptées. Elle peut également solliciter son avis avant d’adopter l’une de ces mesures (article 7, § 3, alinéa 6).
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La mutualité dispose du droit d’être entendue avant l’adoption de l’une de ces mesures. Si elle conteste la décision de l’union nationale, elle peut solliciter l’avis de l’Office de contrôle dans les conditions fixées à l’article 7, § 3, alinéa 7, 1°, ou introduire un recours devant le tribunal du travail compétent, dans les conditions fixées à l’article 7, § 3, alinéa 7, 2°.
B.2.4. L’article 17bis de la loi du 6 août 1990, qui a été inséré par l’article 6 de la loi du 29 janvier 2022, dispose :
« § 1er. Une mutualité transmet les documents suivants à l’union nationale dont elle fait partie, au plus tard un mois après leur approbation :
1° les rapports ou procès-verbaux des réunions de l’assemblée générale;
2° le budget et les comptes annuels de l’assurance complémentaire;
3° le rapport des réviseurs sur les comptes annuels de l’assurance complémentaire.
§ 2. Les unions nationales ont, de plein droit, sur simple demande et sans déplacement, un accès aux documents des réunions de l’assemblée générale des mutualités qui en font partie ».
L’article 24bis de la loi du 6 août 1990, qui a été inséré par l’article 7 de la loi du 29 janvier 2022, prévoit une obligation de transmission similaire en ce qui concerne les rapports et les procès-verbaux des réunions du conseil d’administration, ainsi qu’un droit d’accès de l’union nationale aux documents des réunions du conseil d’administration des mutualités qui en font partie.
En outre, l’article 31, alinéa 1er, de la loi du 6 août 1990, tel qu’il a été remplacé par l’article 55 de la loi du 18 mai 2022, impose à chaque union nationale de disposer d’un système de contrôle interne et d’audit interne, qui porte sur l’ensemble de ses activités, sur celles des mutualités affiliées, ainsi que sur les activités des entités qui leur sont liées, lesquelles sont déterminées par un arrêté royal. L’arrêté royal du 14 juin 2002 « portant exécution de l’article 31, alinéa 2, de la loi du 6 août 1990 relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités » détermine ce qu’il faut entendre par système de contrôle interne et d’audit interne. L’Office de contrôle doit déterminer les conditions auxquelles le système de contrôle interne et d’audit interne doit satisfaire, ainsi que les mesures à mettre en place par les unions
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nationales (article 31, alinéas 2 et 3, de la loi du 6 août 1990). Chaque union nationale a, de plein droit, sur simple demande et sans déplacement, un accès à tous les documents nécessaires dans le cadre de l’exercice de sa fonction de contrôle interne et d’audit interne. De surcroît, les communications écrites entre l’Office de contrôle et la mutualité doivent être transmises par cette dernière à l’union nationale dont elle fait partie (article 31, alinéas 4 et 5).
B.2.5. L’article 15, § 2, de la loi du 6 août 1990, tel qu’il a été remplacé par l’article 5, 3°, de la loi du 29 janvier 2022, attribue à l’assemblée générale de l’union nationale la compétence d’approuver la dissolution volontaire d’une mutualité et la fusion de mutualités affiliées. En outre, la destination à donner aux éventuels actifs résiduels après la dissolution doit également être approuvée par l’assemblée générale de l’union nationale (article 46, § 5, de la loi du 6 août 1990, tel qu’il a été inséré par l’article 13, 2°, de la loi du 29 janvier 2022). Le liquidateur doit, à peine de nullité, être désigné sur proposition de l’union nationale (article 46, alinéa 2, de la loi du 6 août 1990, tel qu’il a été inséré par l’article 13, 1°, de la loi du 29 janvier 2022).
Il en va de même du réviseur qui exerce un mandat au sein de la mutualité (article 32, alinéa 3, de la loi du 6 août 1990, tel qu’il a été inséré par l’article 9 de la loi du 29 janvier 2022).
Quant à la recevabilité du recours dans l’affaire n° 7895
B.3.1. La partie requérante dans l’affaire n° 7895 justifie son intérêt à l’annulation de l’article 54 de la loi du 18 mai 2022 en faisant valoir qu’elle a l’intention de demander le renouvellement de son mandat de trésorier et de secrétaire adjoint d’une mutualité lorsque celui-
ci sera arrivé à son terme. Elle estime que la disposition attaquée serait susceptible de modifier en profondeur son statut juridique lors du renouvellement de son mandat, de sorte qu’elle disposerait d’un intérêt à agir.
B.3.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier
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d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.3.3. La partie requérante a vu son mandat renouvelé pour une durée de six ans le 23 décembre 2021. Elle reconnaît que la disposition attaquée ne s’applique pas aux mandats en cours. En outre, elle n’exerce pas le mandat de personne en charge de la responsabilité globale de la gestion journalière de la mutualité visé à l’article 25, § 1er, alinéas 1er et 2, de la loi du 6 août 1990, mais un mandat d’une autre fonction dirigeante. Le régime prévu à l’article 25 de la loi du 6 août 1990 n’est applicable à ces fonctions que pour autant que l’union nationale l’ait intégré explicitement dans ses statuts. Actuellement, les statuts de l’union nationale à laquelle la mutualité au sein de laquelle elle exerce son mandat est affiliée ne prévoient pas cette possibilité.
La disposition attaquée ne pourrait donc influencer le statut juridique de la partie requérante que pour autant que l’union nationale à laquelle la mutualité au sein de laquelle elle exerce son mandat est affiliée modifie ses statuts, que la partie requérante demande, en 2027, le renouvellement de son mandat et que le conseil d’administration de la mutualité au sein de laquelle elle exerce son mandat décide qu’elle doit être reconduite dans ses fonctions.
B.3.4. Il découle de ce qui précède que l’intérêt invoqué par la partie requérante est hypothétique et qu’elle ne démontre pas qu’elle est directement et défavorablement affectée par la disposition attaquée. Le recours dans l’affaire n° 7895 n’est pas recevable.
Quant à la recevabilité du moyen dans l’affaire n° 7851
B.4.1. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions.
B.4.2. Plusieurs griefs formulés par la partie requérante ont trait à la violation du principe d’égalité et de non-discrimination. Elle considère qu’une différence de traitement risque de
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résulter du fait que l’article 25 de la loi du 6 août 1990 permet à chaque union nationale de choisir si elle exige que la personne en charge de la gestion journalière soit membre de son personnel. Elle soutient, en outre, qu’en laissant à l’union nationale la faculté d’exiger ou non que disposent d’un agrément les personnes que le conseil d’administration souhaite désigner à une autre fonction dirigeante ou à une fonction de direction, l’article 54 de la loi du 18 mai 2022
risque d’occasionner des différences de traitement en fonction de l’union nationale à laquelle la mutualité est affiliée. Elle estime également que des différences de traitement résulteront de ce qu’en vertu de l’article 3 de la loi du 29 janvier 2022, chaque union nationale peut donner un contenu différent au code déontologique et à la charte de gouvernance qu’elle doit adopter.
B.4.3. La partie requérante n’expose pas les raisons pour lesquelles les différences de traitement alléguées seraient discriminatoires. Il s’ensuit qu’en ce qu’il est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution par l’article 54 de la loi du 18 mai 2022 et par l’article 3
de la loi du 29 janvier 2022, le moyen unique est irrecevable.
Quant au fond
B.5. La partie requérante prend un moyen unique de la violation de l’article 27 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour examine conjointement les griefs qui composent le moyen unique.
B.6.1. L’article 27 de la Constitution dispose :
« Les Belges ont le droit de s’associer; ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive ».
B.6.2. L’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
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2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État ».
B.6.3. Lorsqu’une disposition conventionnelle liant la Belgique a une portée analogue à celle d’une des dispositions constitutionnelles dont le contrôle relève de la compétence de la Cour et dont la violation est alléguée, les garanties consacrées par cette disposition conventionnelle constituent un ensemble indissociable avec les garanties inscrites dans les dispositions constitutionnelles concernées.
Il s’ensuit que, dans le contrôle qu’elle exerce au regard de l’article 27 de la Constitution, la Cour tient compte de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit des droits ou libertés analogues.
B.6.4. La liberté d’association consacrée par l’article 27 de la Constitution a pour objet de garantir la création d’associations privées et la participation à leurs activités. Elle implique le droit de s’associer et celui de déterminer librement l’organisation interne de l’association, mais également le droit de ne pas s’associer.
L’autonomie organisationnelle des associations constitue un aspect important de la liberté d’association protégée par l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Cette autonomie comporte notamment le pouvoir de discipline sur les membres et la possibilité d’exclure ceux-ci (CEDH, 4 avril 2017, Lovrić c. Croatie, ECLI:CE:ECHR:2017:0404JUD003845815, § 71).
Ces principes s’appliquent également lorsque, comme en l’espèce, les membres d’une association, telle qu’une union nationale, sont d’autres associations. La liberté d’association implique qu’une association puisse soumettre ses membres à certaines règles et administrer ses propres affaires (CEDH, 5 mai 2022, Vlahov c. Croatie, ECLI:CE:ECHR:2022:0505JUD003116313, § 53; CEDH, 27 février 2007, Associated Society of Locomotive engineers & Firemen (ASLEF) c. Royaume-Uni, ECLI:CE:ECHR:2007:0227JUD001100205, § 38). Il s’ensuit que les associations doivent disposer des moyens de contrôler l’application de ces règles et d’en sanctionner la violation.
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B.6.5. La liberté d’association n’est toutefois pas absolue. L’article 27 de la Constitution interdit de soumettre la liberté d’association à des mesures préventives, mais n’empêche pas que des associations qui participent à la réalisation d’une mission d’intérêt général et qui sont subventionnées par des deniers publics puissent être soumises à des conditions de fonctionnement et de contrôle, pour autant que celles-ci n’altèrent pas la substance de cette liberté.
La liberté d’association n’empêche pas non plus que des organisations de droit privé qui souhaitent collaborer étroitement avec une institution de droit public ou avec une organisation de droit privé ayant une mission d’intérêt général, comme en l’espèce l’exécution de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, soient soumises à des modalités de fonctionnement et de contrôle qui se justifient par ce rapport particulier avec l’exercice de missions de service public.
B.7. En ce qu’elles limitent le pouvoir de désignation du personnel dirigeant, du réviseur et du liquidateur des mutualités, imposent à celles-ci de respecter un code déontologique et une charte de gouvernance, renforcent les moyens de contrôle dont dispose l’union nationale et attribuent à cette dernière un droit de veto en matière de dissolution et de fusion des mutualités, les dispositions attaquées restreignent la liberté d’association des mutualités.
La Cour doit examiner si ces restrictions poursuivent un but légitime et si elles y sont proportionnées.
B.8.1. Dès lors que les mutualités et les unions nationales collaborent à l’exécution de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, il est apparu nécessaire de les soumettre à des contraintes spécifiques. Eu égard au fait que ce sont les unions nationales qui, en tant qu’organismes assureurs, doivent garantir l’exécution des obligations qui leur sont confiées par la loi du 14 juillet 1994, il est raisonnablement justifié de prévoir qu’elles disposent des moyens de contrôler efficacement les mutualités auxquelles elles délèguent l’exécution de ces obligations.
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Le renforcement de ces mécanismes de contrôle est raisonnablement justifié, au motif que le rôle des mutualités a changé au fil de l’évolution du secteur en raison, notamment, de la couverture des petits risques par l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités et de la confrontation des mutualités au secteur des assurances. Le législateur souhaitait renforcer le contrôle des unions nationales en ce qui concerne l’utilisation des moyens publics qui sont transférés aux mutualités. Les dispositions attaquées répondent, en outre, à l’objectif d’uniformiser la gouvernance des mutualités qui sont affiliées à la même union nationale, tout en préservant les spécificités de chaque union nationale.
B.8.2. En améliorant le fonctionnement et la gouvernance des acteurs du secteur mutualiste, les dispositions attaquées contribuent à une meilleure efficacité de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, de sorte qu’elles mettent en œuvre l’obligation prévue à l’article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution de garantir le droit à la sécurité sociale et le droit à l’assistance sociale et médicale.
B.8.3. En outre, les dispositions attaquées renforcent la capacité des unions nationales à se doter de règles qui s’imposent à leurs membres, à contrôler la manière dont ces règles sont mises en œuvre et à contrôler la manière dont leurs membres utilisent les fonds qu’elles leur allouent. De surcroît, dès lors qu’une union nationale doit être composée d’au moins deux mutualités, les décisions d’une mutualité en matière de fusion ou de dissolution sont susceptibles d’affecter l’existence même de l’union nationale à laquelle elle est affiliée, de sorte que les prérogatives de l’union nationale en la matière lui permettent de protéger son existence même.
Il en résulte que les dispositions attaquées contribuent également à la protection de l’autonomie organisationnelle des unions nationales.
B.9.1. Contrairement à ce qu’allègue la partie requérante dans l’affaire n° 7851, les objectifs décrits en B.8.1 à B.8.3 ne sauraient être considérés comme illégitimes. En outre, le fait que la mise en œuvre d’un droit fondamental bénéficie à certaines catégories de personnes et non à l’ensemble des citoyens ne permet aucunement de considérer que le législateur aurait cessé de poursuivre l’intérêt général.
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De surcroît, la Constitution n’établit de hiérarchie ni entre les droits fondamentaux ni entre les titulaires de ces droits, de sorte que l’on ne saurait estimer que la protection de l’autonomie organisationnelle des mutualités serait légitime tandis que la protection de l’autonomie organisationnelle des unions nationales et la mise en œuvre du droit à la protection de la santé et du droit à la sécurité sociale des assurés sociaux ne le seraient pas.
B.9.2. Dans son examen de la justification des dispositions attaquées, la Cour doit dès lors tenir compte de l’ensemble des droits fondamentaux concernés.
B.10.1. Les dispositions attaquées renforcent le contrôle exercé par l’union nationale sur les dirigeants de la mutualité, sur les décisions de la mutualité en matière de fusion et de dissolution et sur ses comptes. Elles permettent à l’union nationale de définir les règles relatives à la déontologie et à la bonne gouvernance de la mutualité et d’en contrôler le respect. Elles lui octroient également l’accès à plusieurs catégories de documents sociaux de la mutualité. Étant donné que les unions nationales sont en premier lieu responsables de la bonne exécution de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités (article 7, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 6 août 1990) et que l’exécution correcte de cette mission est entre les mains des mutualités, ces mesures sont pertinentes et, compte tenu également du large pouvoir d’appréciation dont le législateur dispose en matière socio-économique, raisonnablement proportionnées pour atteindre les objectifs mentionnés en B.8.1 à B.8.3.
B.10.2. Spécifiquement en ce qui concerne l’agrément de la personne ou des personnes en charge de la responsabilité globale de la gestion journalière de la mutualité, il convient d’observer par ailleurs qu’avant l’adoption des dispositions attaquées, la loi du 6 août 1990
prévoyait déjà que les employés qui exercent une fonction dirigeante au sein de la mutualité devaient être nommés sur avis conforme de l’union nationale à laquelle la mutualité est affiliée et devaient rendre des comptes à l’union nationale (ancien article 25). L’union nationale pouvait ordonner à la mutualité qui n’agissait pas conformément à ses objectifs statutaires ou qui ne respectait pas les obligations imposées par la loi ou ses arrêtés d’exécution de régulariser la situation. À défaut de régularisation, l’union nationale pouvait décider de suspendre l’exercice
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des compétences des organes de la mutualité concernée et de se substituer à cette dernière pendant une période déterminée et renouvelable (ancien article 7, § 3).
À la lumière de l’objectif poursuivi par les dispositions attaquées, qui consiste à renforcer les mécanismes de contrôle à l’égard des mutualités, il est raisonnablement justifié de renforcer le contrôle des unions nationales sur la personne qui assure l’exécution concrète de ces obligations en prévoyant que le conseil d’administration de l’union nationale à laquelle la mutualité concernée est affiliée doit agréer cette personne et qu’elle peut retirer cet agrément si cette personne ne respecte pas les conditions liées à l’agrément.
B.11.1. Plusieurs dispositions attaquées encadrent le pouvoir d’appréciation dont dispose l’union nationale dans la mise en œuvre des mécanismes de contrôle institués de manière à empêcher l’arbitraire et à garantir la sécurité juridique.
B.11.2. Ainsi, le champ d’application de la compétence d’agrément prévue à l’article 25
de la loi du 6 août 1990 est partiellement déterminé par l’Office de contrôle, étant donné que ce dernier est chargé de définir les notions de « gestion journalière », de « fonction dirigeante »
et de « fonction de direction ». Pour que l’agrément ait une durée déterminée et puisse être renouvelé, l’union nationale doit le mentionner dans ses statuts. Si l’union nationale souhaite exiger que la désignation aux autres fonctions dirigeantes soit soumise à un agrément, elle doit mentionner dans les statuts quelles sont les fonctions concernées. Le retrait de l’agrément ne peut être prononcé qu’après que la personne concernée a été mise en demeure d’exécuter l’obligation litigieuse. Lorsqu’il est décidé du retrait en raison du non-respect de l’obligation de remettre le rapport écrit sur l’exécution de tous les aspects de sa fonction, ce retrait ne peut être prononcé qu’après que la personne concernée a eu la possibilité d’être entendue. En toute hypothèse, un retrait d’agrément ne peut toutefois être décidé que si au moins la moitié des membres ayant droit de vote sont présents ou représentés. La décision de retrait est motivée et transmise à son destinataire par lettre recommandée. La décision de retrait peut faire l’objet d’un recours devant le juge compétent.
B.11.3. Les notions de « code déontologique » et de « charte de gouvernance » doivent être définies par un arrêté royal. En cas de violation du code déontologique ou de la charte de gouvernance, l’union nationale ne peut se substituer à la mutualité qu’après avoir octroyé à
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cette dernière un délai pour régulariser la situation. En outre, elle doit informer sans délai l’Office de contrôle quant aux mesures adoptées. Elle peut également solliciter son avis avant d’adopter l’une de ces mesures. La mutualité dispose du droit d’être entendue. Elle peut solliciter l’avis de l’Office ou introduire un recours devant le tribunal du travail.
B.11.4. Le réviseur d’entreprise et le liquidateur proposés par l’union nationale doivent être choisis parmi une liste de réviseurs d’entreprise établie par l’Office de contrôle et ne peuvent être désignés, par la mutualité, que de l’accord de ce dernier (article 32, alinéas 1er et 3, et article 46, § 1er, alinéas 1er et 3).
B.12. En outre, le secteur des soins de santé se caractérise par une forte imbrication de l’action des acteurs privés et de celle des acteurs publics. Bien que les mutualités soient des organismes privés, il n’en demeure pas moins qu’elles exercent une mission de service public, qu’elles collaborent avec l’Institut national d’assurance maladie-invalidité et sont, notamment, contrôlées par un organisme public, en l’occurrence l’Office de contrôle des mutualités, qu’elles font usage de fonds publics et que les règles relatives à leur organisation, à leur fonctionnement et à leurs activités sont fixées dans une loi spécifique, à savoir dans la loi du 6 août 1990 et non dans le Code des sociétés et des associations, qui constitue le droit commun des sociétés et des associations, au point qu’elles ne disposent de la personnalité morale, en leur qualité de mutualité, qu’aux conditions fixées par la même loi (voy. en matière de sociétés de logement social : arrêts n° 19/2022 du 3 février 2022, ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.019, B.6.2 et n° 155/2022 du 24 novembre 2022, ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.155, B.84). Les mutualités ne sauraient donc être assimilées à des associations de droit commun.
De surcroît, les unions nationales sont des associations de mutualités, de sorte que les mutualités sont représentées, en proportion du nombre de membres qu’elles comptent, au sein des organes de décision des unions nationales. Il s’ensuit que les mutualités disposent d’une influence majeure sur la politique menée par l’union nationale dont elles sont membres et qu’elles participent à la mise en œuvre de l’ensemble des mécanismes de contrôle mis en place par les dispositions attaquées.
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Il est vrai que la restriction du pouvoir de décision des mutualités quant à la possibilité de dissolution ou de fusion avec d’autres mutualités peut être considérée comme étant significative. Toutefois, dès lors qu’une union nationale doit être composée d’au moins deux mutualités, les décisions d’une mutualité sont susceptibles d’affecter l’existence même de l’union nationale à laquelle elle est affiliée. La dissolution d’une mutualité affecte également, au moins de manière transitoire, la situation des assurés sociaux qui sont membres de celle-ci.
B.13. Comme il est dit en B.8.3, les dispositions attaquées contribuent dès lors à mettre en œuvre, d’une part, l’autonomie organisationnelle des unions nationales et, d’autre part, le droit à la sécurité sociale et à l’assistance sociale, ainsi que le droit à la protection de la santé des assurés sociaux.
B.14. Enfin, il incombe aux unions nationales de respecter l’autonomie des mutualités, qui relève de leur liberté d’association, lorsqu’elles font application des dispositions attaquées.
B.15.1. Il résulte des développements qui précèdent que le législateur a pu estimer que les dispositions attaquées sont proportionnées au regard des objectifs mentionnés en B.8.1 à B.8.3.
B.15.2. Ce constat n’est toutefois pas possible en ce qui concerne l’article 54, attaqué, de la loi du 18 mai 2022. Il ressort de cette disposition que l’union nationale peut, dans certaines conditions, exiger que les personnes désignées aux fonctions dirigeantes visées à ces alinéas soient membres de son personnel. Il en résulte que les personnes désignées à ces fonctions sont, pendant toute la durée de leur mandat, soumises à l’autorité de l’union nationale, de sorte que l’autonomie de gestion de la mutualité vis-à-vis de cet aspect est quasiment vidée de sa substance.
Dès lors, la disposition attaquée porte une atteinte excessive à l’autonomie organisationnelle des mutualités et leur impose des contraintes telles qu’elles n’ont d’autre choix que de devenir de simples exécutants de la politique décidée par l’union nationale à laquelle elles sont affiliées. Eu égard aux autres mécanismes de contrôle mis en place par les dispositions attaquées, la possibilité d’exiger que les personnes désignées à une fonction dirigeante au sein d’une mutualité soient membres du personnel de l’union nationale à laquelle
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elle est affiliée va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis par le législateur. Cette mesure est dès lors disproportionnée à l’objectif poursuivi.
B.15.3. Il découle de ce qui précède que l’article 25, § 1er, alinéa 2, de la loi du 6 août 1990, tel qu’il a été remplacé par l’article 54 de la loi du 18 mai 2022, doit être annulé.
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Par ces motifs,
la Cour
- annule l’article 54 de la loi du 18 mai 2022 « portant des dispositions diverses urgentes en matière de santé », en ce qu’il remplace l’article 25, § 1er, alinéa 2, de la loi du 6 août 1990
« relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités »;
- rejette les recours pour le surplus.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 septembre 2023.
Le greffier, Le président f.f.,
N. Dupont T. Giet