La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/09/2023 | BELGIQUE | N°117/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 14 septembre 2023, 117/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 117/2023
du 14 septembre 2023
Numéro du rôle : 7828
En cause : la question préjudicielle relative aux articles 40bis, § 2, alinéa 1er, 3°, et 40ter, § 1er et § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 15 décembre 1980 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers », posée par le Conseil du contentieux des étrangers.
La Cour constitutionnelle,
composée du juge T. Giet, faisant fonction de président, du président L. Lavrysen, et des juges M. Pâques, D. Pieters, S. de Bethune, E

. Bribosia et K. Jadin, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le juge T. Giet,
après en a...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 117/2023
du 14 septembre 2023
Numéro du rôle : 7828
En cause : la question préjudicielle relative aux articles 40bis, § 2, alinéa 1er, 3°, et 40ter, § 1er et § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 15 décembre 1980 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers », posée par le Conseil du contentieux des étrangers.
La Cour constitutionnelle,
composée du juge T. Giet, faisant fonction de président, du président L. Lavrysen, et des juges M. Pâques, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et K. Jadin, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le juge T. Giet,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par l’arrêt n° 274 095 du 16 juin 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 4 juillet 2022, le Conseil du contentieux des étrangers a posé la question préjudicielle suivante :
« Les articles 40bis, § 2, alinéa 1er, 3°, 40ter, § 1er, et 40ter, § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l’article 22
de la Constitution, interprétés et appliqués en ce sens qu’ils exigent, tant du regroupé majeur descendant d’un Belge sédentaire que du regroupé majeur descendant d’un ressortissant Belge ou de l’Union ayant exercé son droit à la libre circulation, d’être à charge du regroupant dans le pays de provenance ou d’origine, alors que cette exigence résulte, selon la Cour de justice de l’Union européenne, de l’exercice par le citoyen Belge ou de l’Union de son droit à la libre circulation ? ».
2
Des mémoires ont été introduits par :
- Camara Abou-Bakr, assisté et représenté par Me D. Andrien, avocat au barreau de Liège-Huy;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me S. Matray, avocat au barreau de Liège-Huy.
Le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 31 mai 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Giet et S. de Bethune, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 14 juin 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 14 juin 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Devant le juge a quo, la partie requérante, qui est de nationalité ivoirienne, sollicite l’annulation de la décision de refus du séjour de plus de trois mois qu’elle avait sollicité en qualité de descendant à charge de sa mère, qui est de nationalité belge. Le droit de séjour n’a pas été octroyé parce que la partie requérante n’aurait pas établi avoir été à charge de sa mère lorsqu’elle se trouvait dans le pays d’origine ou de provenance.
Selon la partie requérante, cette condition est indissociablement liée à l’exercice de la libre circulation, et elle ne peut par conséquent pas s’appliquer aux regroupés qui rejoignent un Belge n’ayant pas fait usage de son droit à la libre circulation et ayant toujours séjourné dans le pays dont il possède la nationalité, en l’espèce la Belgique.
Selon la partie défenderesse, la notion d’« être à charge » doit être comprise à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice relative à l’interprétation de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 « relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE » (ci-après : la directive 2004/38/CE) et impose donc d’avoir été à charge dans le pays d’origine ou de provenance avant de venir en Belgique, même lorsque le regroupant n’a pas fait usage de son droit de circuler.
Le juge a quo constate que la problématique qui oppose les parties a fait l’objet d’une question préjudicielle posée dans des termes quasiment identiques par le Conseil d’État, dans son arrêt n° 251.479 du 14 septembre 2021, lequel s’appuie sur l’arrêt de la Cour n° 121/2013 du 26 septembre 2013 (ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.121), dont l’enseignement a été confirmé par l’arrêt de la Cour n° 149/2019 du 24 octobre 2019
(ECLI:BE:GHCC:2019:ARR.149).
Estimant qu’il n’y a pas lieu d’interpréter de la même manière la notion d’« être à charge » selon qu’elle relève de l’article 40bis ou de l’article 40ter de la loi du 15 décembre 1980 « sur l’accès au territoire, le séjour,
3
l’établissement et l’éloignement des étrangers » (ci-après : la loi du 15 décembre 1980), dès lors que ces articles n’ont pas le même objet, le juge a quo considère que la jurisprudence de la Cour de justice est inopérante en l’espèce, et décide de poser à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut. Il estime en revanche qu’il n’y a pas lieu de poser à la Cour de justice les questions préjudicielles suggérées par la partie requérante, dès lors que la situation en cause est purement interne et ne relève donc pas du droit de l’Union.
III. En droit
–A–
A.1. Le Conseil des ministres rappelle que l’article 40bis de la loi du 15 décembre 1980 transpose la directive 2004/38/CE et que les conditions qu’il pose ont pour objectif de limiter le regroupement familial aux membres les plus proches de la famille du citoyen de l’Union. Initialement, ces conditions étaient les mêmes pour les regroupés d’un Belge, que ce dernier ait exercé sa libre circulation ou non. Elles ont ensuite été adaptées par la loi du 8 juillet 2011, qui impose des conditions spécifiques pour les membres de la famille d’un Belge, et ce, afin d’assurer la viabilité de la société et le bien-être économique, et de maîtriser les flux migratoires tant dans l’intérêt de l’étranger que dans l’intérêt général du bien-être économique. Par la loi du 4 mai 2016, le législateur a encore modifié l’article 40ter précité, afin de se conformer à l’arrêt de la Cour n° 121/2013, précité, en ce qui concerne le Belge qui a exercé son droit à la libre circulation et les enfants mineurs d’un Belge.
A.2. Le Conseil des ministres estime tout d’abord qu’il y a lieu de reformuler la question préjudicielle en ce sens que le regroupé « majeur » est le regroupé de « plus de vingt et un ans » visé à l’article 40bis, § 2, alinéa 1er, 3°, de la loi du 15 décembre 1980.
A.3.1. Le Conseil des ministres souligne ensuite que tant l’article 40bis, § 2, alinéa 1er, 3°, que l’article 40ter, § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 15 décembre 1980 prévoient que le regroupé de plus de vingt et un ans doit être « à charge » du regroupant. Cette notion doit par conséquent recevoir la même interprétation, à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice, qui exige que la situation de dépendance économique existe dans le pays d’origine ou de provenance du membre de la famille qui est concerné, et ce, au moment où le regroupé demande à rejoindre le regroupant citoyen de l’Union dont il est à charge.
Il n’y a pas lieu d’interroger la Cour de justice, dès lors qu’elle a déjà répondu à une question identique et qu’il n’y a aucun doute raisonnable quant à l’application du droit de l’Union, puisque la Cour de justice est incompétente à l’égard de situations purement internes.
A.3.2. Selon le Conseil des ministres, cette identité de traitement entre deux catégories de personnes, au regard de la condition d’être à charge, ne viole pas les articles 10 et 11, combinés avec l’article 22, de la Constitution.
Il se déduit en effet des arrêts de la Cour nos 121/2013 et 167/2013 que le regroupé de plus de vingt et un ans descendant d’un Belge sédentaire et le regroupé de plus de vingt et un ans descendant d’un Belge ou d’un citoyen de l’Union ayant exercé son droit à la libre circulation se trouvent dans des situations comparables, qui ne sont dès lors pas essentiellement différentes. De plus, en vertu de l’article 20 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tant le regroupant belge sédentaire que le Belge ou le citoyen de l’Union ayant fait usage de son droit à la libre circulation sont des citoyens de l’Union européenne.
A.3.3. L’identité de traitement est justifiée, dès lors que, d’une part, les personnes relevant de ces deux catégories introduisent des demandes ayant le même objet, à savoir un droit de séjour de plus de trois mois sur le territoire belge en qualité de descendant de plus de vingt et un ans d’une personne résidant en Belgique, et que, d’autre part, cette identité repose sur un critère objectif, qui est la citoyenneté européenne des regroupants.
4
Le fait que la situation de dépendance économique doive exister dans le pays de provenance ou d’origine se justifie, dès lors que, conformément à l’article 9 de la loi du 15 décembre 1980, la demande de regroupement familial doit en principe être introduite par le regroupé dans son pays d’origine ou de provenance, quelle que soit la qualité du regroupant.
Le lien de dépendance entre le regroupé de plus de vingt et un ans et le regroupant résidant sur le territoire belge tend à démontrer l’existence d’une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 22 de la Constitution. En effet, la protection offerte par ces dispositions vise en premier lieu la famille restreinte aux enfants mineurs et à leurs parents, et ce n’est qu’exceptionnellement qu’elle s’étend aux enfants majeurs, le lien de dépendance permettant ainsi d’établir la réalité de cette vie familiale, ce qui est raisonnable et justifié au regard de l’objectif de la mesure.
A.3.4. Enfin, cette mesure ne produit pas des effets disproportionnés, puisqu’elle s’applique indistinctement au Belge sédentaire et au Belge ou citoyen européen ayant exercé son droit à la libre circulation. Si l’on considérait que cette condition ne doit pas exister pour le regroupement avec un Belge sédentaire, cela favoriserait de manière injustifiée le regroupement familial des membres de la famille d’un Belge par rapport aux membres de la famille d’un Belge ou d’un citoyen européen ayant exercé son droit à la libre circulation, ce qui serait contraire au droit de l’Union et à l’esprit de la directive 2004/38/CE, qui, par la condition de lien de dépendance, vise à refléter l’acquis existant.
Pour le surplus, les conditions du regroupement familial avec un Belge sédentaire ne sont pas équivalentes à celles qui sont imposées à un citoyen de l’Union ou à un Belge ayant exercé son droit à la libre circulation, dès lors que le Belge regroupant doit disposer de moyens de subsistance stables, suffisants et réguliers, d’un logement décent et d’une assurance maladie couvrant les risques en Belgique pour lui-même et pour les membres de sa famille.
A.4. À titre principal, la partie requérante devant le juge a quo invite la Cour à interroger la Cour de justice quant à la portée des articles 2 et 3 de la directive 2004/38/CE et quant à l’incidence de l’exercice de la liberté de circulation sur la condition d’être à charge.
En effet, si les articles 2 et 3 de la directive 2004/38/CE n’imposent pas au regroupé descendant majeur d’un ressortissant de l’Union d’être à sa charge dans le pays de provenance, la discrimination est inexistante. Or, il ressort des arrêts de la Cour de justice Jia (grande chambre, 9 janvier 2007, C-1/05, ECLI:EU:C:2007:1), Rahman e.a. (grande chambre, 5 septembre 2012, C-83/11; ECLI:EU:C:2012:519) et Reyes (16 janvier 2014, C-423/12, ECLI:EU:C:2014:16) que la condition d’être à charge dans le pays de provenance n’est imposée qu’aux membres de la famille visés à l’article 2 de la directive, de sorte que le regroupé descendant majeur en est dispensé. En outre, la solution retenue est étroitement liée à la libre circulation.
A.5. À titre subsidiaire, la partie requérante devant le juge a quo se réfère à l’arrêt de la Cour n° 121/2013, dont elle déduit que le législateur pouvait ne pas établir des règles strictement identiques pour les catégories de regroupés, au regard de l’objectif poursuivi par la directive 2004/38/CE.
La partie requérante soutient que la condition d’être à charge dans le pays de provenance ne s’impose pas au regroupé descendant majeur d’un Belge sédentaire. Selon elle, il est à tout le moins manifestement discriminatoire d’imposer indistinctement cette condition au citoyen de l’Union sédentaire et au citoyen de l’Union qui a exercé son droit à la libre circulation, car cela aboutirait à appliquer la directive 2004/38/CE à une situation purement interne.
–B–
B.1. La question préjudicielle porte sur l’article 40bis, § 2, alinéa 1er, 3°, et sur l’article 40ter, § 1er et § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 15 décembre 1980 « sur l’accès au
5
territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers » (ci-après : la loi du 15 décembre 1980).
Quant aux dispositions en cause et à leur contexte
B.2. Tel qu’il a été remplacé par l’article 8 de la loi du 8 juillet 2011 « modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers en ce qui concerne les conditions dont est assorti le regroupement familial » (ci-après :
la loi du 8 juillet 2011), l’article 40bis de la loi du 15 décembre 1980 dispose :
« § 1er. Sans préjudice de dispositions plus favorables contenues dans les lois ou les règlements européens dont les membres de famille du citoyen de l’Union pourraient se prévaloir, les dispositions ci-après leur sont applicables.
§ 2. Sont considérés comme membres de famille du citoyen de l’Union :
[…]
3° les descendants et les descendants de son conjoint ou partenaire visé au 1° ou 2°, âgés de moins de vingt-et-un ans ou qui sont à leur charge, qui les accompagnent ou les rejoignent, pour autant que l’étranger rejoint, son conjoint ou le partenaire enregistré visé en ait le droit de garde et, en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord;
[...] ».
B.3.1. L’article 40ter de la loi du 15 décembre 1980, tel qu’il avait été inséré par l’article 21 de la loi du 25 avril 2007 « modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers », disposait :
« Les dispositions de ce chapitre qui sont applicables aux membres de la famille du citoyen de l’Union qu’ils accompagnent ou rejoignent, sont applicables aux membres de la famille d’un Belge qu’ils accompagnent ou rejoignent.
[...] ».
Les travaux préparatoires de cette loi mentionnent :
6
« L’objectif est d’appliquer aux membres de la famille d’un Belge les mêmes règles que celles applicables aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union, ce qui revient à assimiler les premiers visés aux seconds et non au citoyen de l’Union lui-même » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2845/001, p. 44).
B.3.2.1. L’article 40ter a ensuite été remplacé, pour la première fois, par l’article 9 de la loi du 8 juillet 2011. Il disposait alors :
« Les dispositions du présent chapitre sont applicables aux membres de la famille d’un Belge, pour autant qu’il s’agisse :
- de membres de la famille mentionnés à l’article 40bis, § 2, alinéa 1er, 1° à 3°, qui accompagnent ou rejoignent le Belge;
[…] ».
B.3.2.2. Différentes propositions de loi sont à l’origine de la loi du 8 juillet 2011 (Doc.
parl., Chambre, 2010-2011, DOC 53-0443/018, pp. 1 et suiv.). Ces propositions ont ensuite pris la forme d’un « amendement global », à savoir l’amendement n° 147 (Doc. parl., Chambre, 2010-2011, DOC 53-0443/014), qui est devenu le texte de base de cette loi.
B.3.2.3. Au cours des travaux préparatoires de la loi du 8 juillet 2011, il a été souligné qu’en Belgique, plus de 50 % des visas délivrés le sont dans le cadre du regroupement familial, qui constitue la première source d’immigration légale.
Les différentes propositions de loi confirment que le droit à la protection de la vie familiale est une valeur sociale importante et que la migration par le biais du regroupement familial doit être possible. Elles visent toutefois à mieux réguler l’octroi d’un droit de séjour dans le cadre du regroupement familial afin de maîtriser les flux et la pression migratoires. Elles tendent principalement à prévenir ou à décourager certains abus ou cas de fraudes, notamment les mariages blancs, les partenariats de complaisance et les adoptions fictives. De plus, la nécessité d’encadrer les conditions du regroupement familial a été invoquée afin d’éviter que les membres de la famille qui viennent s’établir en Belgique tombent à charge des autorités ou que le regroupement familial se déroule dans des circonstances non conformes à la dignité humaine, du fait par exemple de l’absence d’un logement décent. Enfin, les travaux préparatoires ont
7
rappelé à plusieurs reprises que le législateur doit tenir compte des obligations découlant du droit de l’Union européenne lorsqu’il règle les conditions du regroupement familial.
B.3.3. Enfin, l’article 40ter a été remplacé une seconde fois par l’article 18 de la loi du 4 mai 2016 « portant des dispositions diverses en matière d’asile et de migration et modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers et la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile et de certaines autres catégories d’étrangers » (ci-après : la loi du 4 mai 2016). Dans le prolongement de l’arrêt n° 121/2013 du 26 septembre 2013 (ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.121), il a, à l’article 18 de la loi du 4 mai 2016, été opté pour la réécriture complète de l’article 40ter de la loi du 15 décembre 1980, « dans un souci de clarté juridique et de facilité au niveau de la technique législative »
(Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1696/001, p. 28).
Tel qu’il a été remplacé par l’article 18 de la loi du 4 mai 2016, l’article 40ter de la loi du 15 décembre 1980 dispose :
« § 1er. Les membres de la famille visés à l’article 40bis, § 2, d’un Belge qui a exercé son droit à la libre circulation, conformément au Traité sur l’Union européenne et au Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, sont soumis aux mêmes dispositions que les membres de la famille d’un citoyen de l’Union.
§ 2. Les membres de la famille suivants d’un Belge qui n’a pas fait usage de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, conformément au Traité sur l’Union européenne et au Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, sont soumis aux dispositions du présent chapitre :
1° les membres de la famille visés à l’article 40bis, § 2, alinéa 1er, 1° à 3°, pour autant qu’ils accompagnent ou qu’ils rejoignent le Belge ouvrant le droit au regroupement familial;
[…] ».
Quant au fond
B.4. La partie requérante devant la juridiction a quo, qui est âgée de plus de vingt et un ans, a introduit une demande de carte de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union européenne en qualité de descendant de Belge. Le 27 novembre 2019, cette demande a fait
8
l’objet d’une décision de refus, au motif que la partie requérante n’a pas établi, dans son pays d’origine ou de provenance, la condition d’être « à charge » de sa mère belge.
B.5. En vertu de l’article 40bis, § 2, alinéa 1er, 3°, de la loi du 15 décembre 1980, sont considérés comme membres de la famille des citoyens de l’Union : leurs descendants, qui sont âgés de moins de vingt et un ans ou qui sont « à leur charge », qui les accompagnent ou les rejoignent, moyennant le respect de certaines conditions. Pour avoir la qualité de membre de la famille d’un citoyen de l’Union ouvrant le droit au regroupement familial, le descendant âgé de plus de vingt et un ans doit démontrer qu’il est « à charge » du citoyen de l’Union ouvrant le droit au regroupement familial.
Cette condition d’être « à charge » du regroupant s’applique également aux descendants de plus de vingt et un ans d’un Belge qui a exercé son droit à la libre circulation (article 40ter, § 1er, de la loi du 15 décembre 1980), ainsi qu’aux descendants de plus de vingt et un ans d’un Belge qui n’a pas fait usage de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres (article 40ter, § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 15 décembre 1980).
B.6.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l’article 22 de la Constitution, des articles 40bis, § 2, alinéa 1er, 3°, 40ter, § 1er, et 40ter, § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 15 décembre 1980, interprétés « en ce sens qu’ils exigent, tant du regroupé majeur descendant d’un Belge sédentaire que du regroupé majeur descendant d’un ressortissant Belge ou de l’Union ayant exercé son droit à la libre circulation, d’être à charge du regroupant dans le pays de provenance ou d’origine, alors que cette exigence résulte, selon la Cour de justice de l’Union européenne, de l’exercice par le citoyen Belge ou de l’Union de son droit à la libre circulation ».
B.6.2. Dans l’interprétation que la juridiction a quo donne à l’article 40ter, § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 15 décembre 1980, et en particulier aux termes « ou qui sont à leur charge »
contenus dans l’article 40bis, § 2, alinéa 1er, 3°, auquel renvoie l’article 40ter, § 2, alinéa 1er, 1°, la condition d’être « à charge », pour un descendant, âgé de plus de vingt et un ans, d’un
9
regroupant belge n’ayant pas exercé son droit à la libre circulation, impose de démontrer que ce descendant est « à charge » du regroupant dans le pays d’origine ou de provenance, en vue de l’obtention d’un droit de séjour par le biais du regroupement familial.
Il ressort de ce qui précède que la question préjudicielle porte uniquement sur l’article 40ter, § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 15 décembre 1980, en ce qu’il renvoie aux termes « ou qui sont à leur charge » contenus dans l’article 40bis, § 2, alinéa 1er, 3°, de la même loi.
La Cour limite son examen à l’article 40ter, § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 15 décembre 1980, dans l’interprétation du juge a quo.
B.6.3. La question préjudicielle invite dès lors la Cour à se prononcer sur l’identité de traitement, en ce qui concerne la condition d’être « à charge » du regroupant pour un descendant de plus de vingt et un ans, selon que le regroupant est, d’une part, un ressortissant d’un autre État membre de l’Union ou un Belge qui a exercé son droit à la libre circulation ou, d’autre part, un Belge qui n’a pas exercé son droit à la libre circulation.
Comme le souligne le Conseil des ministres dans son mémoire, il y a lieu d’interpréter les termes « regroupé majeur » utilisés dans la question préjudicielle comme visant un « descendant de plus de vingt et un ans ».
La question préjudicielle porte exclusivement sur le regroupement familial d’un « descendant de plus de vingt-et-un ans », ressortissant d’un pays tiers, avec un ascendant belge n’ayant pas exercé son droit à la libre circulation, de sorte que la Cour limite son examen à cette situation.
B.7.1. L’article 40bis de la loi du 15 décembre 1980 constitue la transposition en droit belge de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004
« relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de
10
séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE »
(ci-après : la directive 2004/38/CE).
B.7.2. L’article 2, point 2), c), de la directive 2004/38/CE définit comme « membre de la famille » d’un citoyen de l’Union « les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt-et-
un ans ou qui sont à charge ».
En vertu de son article 3, paragraphe 1, la directive 2004/38/CE « s’applique à tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu’aux membres de sa famille, tels que définis à l’article 2, point 2), qui l’accompagnent ou le rejoignent ».
Les considérants 2, 5 et 6 de la directive 2004/38/CE précisent à cet égard :
« 2. La libre circulation des personnes constitue une des libertés fondamentales du marché intérieur, qui comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel cette liberté est assurée selon les dispositions du traité.
[…]
5. Le droit de tous les citoyens de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres devrait, pour qu’il puisse s’exercer dans des conditions objectives de liberté et de dignité, être également accordé aux membres de leur famille quelle que soit leur nationalité. Aux fins de la présente directive, la définition de “membre de la famille” devrait aussi comprendre les partenaires enregistrés si la législation de l’État membre d’accueil considère le partenariat enregistré comme équivalent à un mariage.
6. En vue de maintenir l’unité de la famille au sens large du terme et sans préjudice de l’interdiction des discriminations fondées sur la nationalité, la situation des personnes qui ne sont pas englobées dans la définition des membres de la famille au titre de la présente directive et qui ne bénéficient donc pas d’un droit automatique d’entrée et de séjour dans l’État membre d’accueil devrait être examinée par ce dernier sur la base de sa législation nationale, afin de décider si le droit d’entrée ou de séjour ne pourrait pas être accordé à ces personnes, compte tenu de leur lien avec le citoyen de l’Union et d’autres circonstances telles que leur dépendance pécuniaire ou physique envers ce citoyen ».
La Cour de justice a jugé que « tirent de la directive 2004/38 des droits d’entrée et de séjour dans un État membre non pas tous les ressortissants de pays tiers, mais uniquement ceux qui
11
sont membres de la famille, au sens de l’article 2, point 2, de cette directive, d’un citoyen de l’Union ayant exercé son droit de libre circulation en s’établissant dans un État membre autre que l’État membre dont il a la nationalité » (CJUE, grande chambre, 25 juillet 2008, C-127/08, Metock e.a., ECLI:EU:C:2008:449, point 73).
La directive 2004/38/CE n’est pas applicable aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union n’ayant jamais fait usage de son droit à la libre circulation et ayant toujours séjourné dans l’État membre dont il possède la nationalité (CJUE, 15 novembre 2011, C-256/11, Dereci e.a., ECLI:EU:C:2011:734, point 58; 8 mai 2013, C-87/12, Ymeraga e.a., ECLI:EU:C:2013:291, point 30).
B.7.3. La possibilité, pour des membres de la famille d’un citoyen de l’Union, de se prévaloir de l’article 40bis de la loi du 15 décembre 1980 en vue de rejoindre ce citoyen tend à permettre la réalisation de l’un des objectifs fondamentaux de l’Union, à savoir la libre circulation sur le territoire des États membres, dans des conditions objectives de liberté et de dignité (considérants 2 et 5 de la directive 2004/38/CE).
L’article 40ter de la loi du 15 décembre 1980 résulte en revanche de la volonté du législateur de mener une politique équitable en matière d’immigration, et poursuit un objectif différent de celui que poursuit le droit de l’Union en matière de libre circulation.
B.8.1. Comme la Cour l’a jugé par son arrêt n° 121/2013, précité, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de justice en la matière, une différence ou une identité de traitement entre, d’une part, les Belges n’ayant jamais exercé leur droit à la libre circulation et, d’autre part, les citoyens européens ayant exercé leur droit à la libre circulation et bénéficiant d’une réglementation spécifique qui est la transposition d’obligations découlant de la directive 2004/38/CE n’est pas susceptible de violer le principe général du droit de l’Union européenne d’égalité et de non-discrimination, en raison des spécificités de cet ordre juridique et de son champ d’application limité.
Il ne saurait en aller de même au regard des articles 10 et 11 de la Constitution. En effet, ces articles visent à assurer que les normes applicables dans l’ordre juridique belge respectent le principe d’égalité et de non-discrimination. Ils ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine. Parmi les droits et libertés qui doivent être garantis
12
sans discrimination figurent les droits et libertés résultant de dispositions conventionnelles internationales qui lient la Belgique.
L’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme interdit notamment toute discrimination dans la jouissance d’un des droits garantis par cette Convention, en ce compris le droit à la vie familiale.
B.8.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s’oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.8.3. Lorsque le législateur règle les conditions d’exercice du regroupement familial, applicables à des personnes dont une catégorie, à la différence de l’autre, relève du droit de l’Union et lorsqu’il choisit d’établir une stricte identité de règles, il appartient dès lors à la Cour de vérifier que cette identité de traitement est raisonnablement justifiée et n’emporte pas des effets disproportionnés, compte tenu des objectifs, mentionnés en B.7.3, poursuivis respectivement par la directive 2004/38/CE et par la loi du 15 décembre 1980.
Il convient à cet égard de tenir particulièrement compte du droit au respect de la vie familiale, garanti par l’article 22 de la Constitution et par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.9.1. L’article 22 de la Constitution dispose :
13
« Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.
La loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent la protection de ce droit ».
B.9.2. Le Constituant a recherché la plus grande concordance possible entre l’article 22 de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).
La portée de cet article 8 est analogue à celle de la disposition constitutionnelle précitée, de sorte que les garanties que fournissent ces deux dispositions forment un tout indissociable.
B.9.3. L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne reconnaît pas le droit d’un étranger à séjourner dans un pays déterminé. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé à maintes reprises que « d’après un principe de droit international bien établi les Etats ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de contrôler l’entrée des non-nationaux sur leur sol » (CEDH, 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, ECLI:CE:ECHR:1985:0528JUD000921480, § 67; 21 octobre 1997, Boujlifa c. France, ECLI:CE:ECHR:1997:1021JUD002540494, § 42; grande chambre, 18 octobre 2006, Üner c. Pays-Bas, ECLI:CE:ECHR:2006:1018JUD004641099, § 54;
31 juillet 2008, Darren Omoregie e.a. c. Norvège, ECLI:CE:ECHR:2008:0731JUD000026507, § 54; grande chambre, 3 octobre 2014, Jeunesse c. Pays-Bas, ECLI:CE:ECHR:2014:1003JUD001273810, § 100; grande chambre, 9 juillet 2021, M.A. c. Danemark, ECLI:CE:ECHR:2021:0709JUD000669718, § 131). Plus particulièrement, cet article n’implique pas l’obligation pour un État d’autoriser le regroupement familial sur son territoire. La Cour a souligné également que « la situation au regard du droit des étrangers, lorsqu’il ne s’agit pas par exemple du statut de réfugié, implique une part de choix en ce qu’elle est souvent celle d’une personne qui a choisi de vivre dans un pays dont elle n’a pas la nationalité » (CEDH, 27 septembre 2011, Bah c. Royaume-Uni, ECLI:CE:ECHR:2011:0927JUD005632807, § 45).
En ce qui concerne le regroupement familial, la Cour européenne des droits de l’homme a précisé :
14
« Cela étant, dans une affaire qui concerne la vie familiale aussi bien que l’immigration, l’étendue de l’obligation pour l’État d’admettre sur son territoire des proches de personnes qui y résident varie en fonction de la situation particulière des personnes concernées et de l’intérêt général et appelle la recherche d’un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu. Les facteurs à prendre en considération dans ce contexte sont la mesure dans laquelle il y a effectivement entrave à la vie familiale, l’étendue des attaches que les personnes concernées ont dans l’État contractant en cause, la question de savoir s’il existe ou non des obstacles insurmontables à ce que la famille vive dans le pays d’origine de l’étranger concerné et celle de savoir s’il existe des éléments touchant au contrôle de l’immigration » (CEDH, grande chambre, 9 juillet 2021, M.A. c. Danemark, ECLI:CE:ECHR:2021:0709JUD000669718, § 132; voy. aussi grande chambre, 3 octobre 2014, Jeunesse c. Pays-Bas, ECLI:CE:ECHR:2014:1003JUD001273810, § 107; grande chambre, 24 mai 2016, Biao c. Danemark, ECLI:CE:ECHR:2016:0524JUD003859010, § 117).
B.9.4. L’impossibilité de vivre avec les membres de sa famille peut néanmoins constituer une ingérence dans le droit à la protection de la vie familiale, tel qu’il est garanti par l’article 22
de la Constitution et par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour se conformer à ces dispositions, une telle ingérence doit être prévue par une disposition législative suffisamment précise, répondre à un besoin social impérieux et être proportionnée au but légitime qui est poursuivi.
Rappelant à cet égard que « la marge d’appréciation laissée aux autorités nationales compétentes variera selon la nature des questions en litige et la gravité des intérêts en jeu »
(CEDH, grande chambre, 9 juillet 2021, M.A. c. Danemark, ECLI:CE:ECHR:2021:0709JUD000669718, § 140), et que le regroupement familial est soumis à des exigences de fond (§§ 134-135) et à des exigences de forme pour le traitement des demandes (§§ 137-139), la Cour européenne des droits de l’homme est, de manière générale, disposée à conclure que les États contractants ont une obligation positive d’autoriser le regroupement familial lorsque plusieurs circonstances sont cumulativement réunies (§ 135).
B.9.5. La Cour de justice de l’Union européenne a également jugé :
« 52. [...] le droit au respect de la vie familiale au sens de l’article 8 de la CEDH fait partie des droits fondamentaux qui, selon la jurisprudence constante de la Cour, sont protégés dans l’ordre juridique communautaire (arrêts précités [du 11 juillet 2002,] Carpenter, [C-60/00,]
point 41, et [du 23 septembre 2003,] Akrich, [C-109/01,] points 58 et 59). Ce droit de vivre avec ses parents proches entraîne pour les Etats membres des obligations qui peuvent être négatives,
15
lorsque l’un d’eux est tenu de ne pas expulser une personne, ou positives, lorsqu’il est tenu de laisser une personne entrer et résider sur son territoire.
53. Ainsi, la Cour a jugé que, même si la CEDH ne garantit pas comme un droit fondamental celui, pour un étranger, d’entrer ou de résider sur le territoire d’un pays déterminé, exclure une personne d’un pays où vivent ses parents proches peut constituer une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale tel que protégé par l’article 8, paragraphe 1, de cette convention (arrêts précités Carpenter, point 42, et Akrich, point 59) » (CJUE, 27 juin 2006, C-540/03, Parlement c. Conseil, ECLI:EU:C:2006:429).
B.10.1. En ce qui concerne la qualité de membre de la famille « à charge » d’un ressortissant de l’Union, la Cour de justice a précisé, dans son arrêt Jia du 9 janvier 2007 (C-
1/05, ECLI:EU:C:2007:1) :
« 35. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la qualité de membre de la famille ‘ à charge ’ résulte d’une situation de fait caractérisée par la circonstance que le soutien matériel du membre de la famille est assuré par le ressortissant communautaire ayant fait usage de la liberté de circulation ou par son conjoint [voir, à propos des articles 10 du règlement n° 1612/68
et 1er, de la directive 90/364/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour (JO
L 180, p. 26), respectivement, arrêts Lebon, précité, point 22, ainsi que du 19 octobre 2004, Zhu et Chen, C-200/02, Rec. p. I-9925, point 43].
36. La Cour a également jugé que la qualité de membre de la famille à charge ne suppose pas un droit à des aliments, sous peine de faire dépendre ladite qualité des législations nationales qui varient d’un État à l’autre (arrêt Lebon, précité, point 21). Selon la Cour, il n’est pas nécessaire de déterminer les raisons du recours à ce soutien et de se demander si l’intéressé est en mesure de subvenir à ses besoins par l’exercice d’une activité rémunérée. Cette interprétation est exigée en particulier par le principe selon lequel les dispositions qui consacrent la libre circulation des travailleurs, partie des fondements de la Communauté, doivent être interprétées largement (arrêt Lebon, précité, points 22 et 23).
37. Afin de déterminer si les ascendants du conjoint d’un ressortissant communautaire sont à la charge de celui-ci, l’État membre d’accueil doit apprécier si, eu égard à leurs conditions économiques et sociales, ceux-ci ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins essentiels.
La nécessité du soutien matériel doit exister dans l’État d’origine ou de provenance de ces ascendants au moment où ils demandent à rejoindre ledit ressortissant communautaire ».
B.10.2. Par son arrêt Reyes du 16 janvier 2014 (C-423/12, ECLI:EU:C:2014:16), la Cour de justice a confirmé la jurisprudence Jia, en ce qui concerne la condition d’être « à charge »
pour un descendant direct d’un citoyen de l’Union :
« 20. À cet égard, il y a lieu de relever que, pour qu’un descendant direct d’un citoyen de l’Union, qui est âgé de 21 ans ou plus, puisse être considéré comme étant ‘ à charge ’ de celui-
16
ci au sens de l’article 2, point 2, sous c), de la directive 2004/38, l’existence d’une situation de dépendance réelle doit être établie (voir, en ce sens, arrêt Jia, précité, point 42).
21. Cette dépendance résulte d’une situation de fait caractérisée par la circonstance que le soutien matériel du membre de la famille est assuré par le citoyen de l’Union ayant fait usage de la liberté de circulation ou par son conjoint (voir, en ce sens, arrêt Jia, précité, point 35).
22. Afin de déterminer l’existence d’une telle dépendance, l’État membre d’accueil doit apprécier si, eu égard à ses conditions économiques et sociales, le descendant direct d’un citoyen de l’Union, qui est âgé de 21 ans ou plus, ne subvient pas à ses besoins essentiels. La nécessité du soutien matériel doit exister dans l’État d’origine ou de provenance d’un tel descendant au moment où il demande à rejoindre ledit citoyen (voir, en ce sens, arrêt Jia, précité, point 37).
23. En revanche, il n’est pas nécessaire de déterminer les raisons de cette dépendance, et donc du recours à ce soutien. Cette interprétation est exigée en particulier par le principe selon lequel les dispositions qui, telle la directive 2004/38, consacrent la libre circulation des citoyens de l’Union, partie des fondements de l’Union, doivent être interprétées largement (voir, en ce sens, arrêt Jia, précité, point 36 et jurisprudence citée).
24. Or, le fait que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, un citoyen de l’Union procède régulièrement, pendant une période considérable, au versement d’une somme d’argent à ce descendant, nécessaire à ce dernier pour subvenir à ses besoins essentiels dans l’État d’origine, est de nature à démontrer qu’une situation de dépendance réelle de ce descendant par rapport audit citoyen existe.
25. Dans ces conditions, il ne saurait être exigé dudit descendant que, en plus, il établisse avoir vainement tenté de trouver un travail ou de recevoir une aide à la subsistance des autorités de son pays d’origine et/ou essayé par tout autre moyen d’assurer sa subsistance ».
B.10.3. Par ailleurs, par son arrêt Rahman e.a. du 5 septembre 2012 (C-83/11, ECLI:EU:C:2012:519), la Cour de justice de l’Union européenne a également jugé, à propos de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/38/CE, lequel n’oblige pas les États membres à reconnaître un droit d’entrée et de séjour en faveur de personnes qui sont des membres de la famille autres que ceux visés à l’article 2, point 2, de la directive, à la charge d’un citoyen de l’Union, mais invite les États membres à « favoriser », conformément à leur législation nationale, l’entrée et le séjour de « tout autre membre de la famille, [...] si, dans le pays de provenance, il est à charge ou fait partie du ménage du citoyen de l’Union bénéficiaire du droit de séjour à titre principal » :
17
« 31. Ainsi que l’a exposé M. l’avocat général aux points 91, 92 et 98 de ses conclusions, rien n’indique que l’expression ‘ pays de provenance ’ utilisée dans ces dispositions doit être comprise comme se référant au pays dans lequel le citoyen de l’Union séjournait avant de s’installer dans l’État membre d’accueil. Il ressort, au contraire, d’une lecture combinée desdites dispositions que le ‘pays de provenance’ visé est, dans le cas d’un ressortissant d’un État tiers qui déclare être ‘ à charge ’ d’un citoyen de l’Union, l’État dans lequel il séjournait à la date où il a demandé à accompagner ou à rejoindre le citoyen de l’Union.
32. En ce qui concerne le moment auquel le demandeur doit se trouver dans une situation de dépendance pour être considéré ‘ à charge ’ au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/38, il y a lieu de relever que l’objectif de cette disposition consiste, ainsi qu’il découle du considérant 6 de cette directive, à ‘ maintenir l’unité de la famille au sens large du terme ’ en favorisant l’entrée et le séjour des personnes qui ne sont pas incluses dans la définition de membre de la famille d’un citoyen de l’Union contenue à l’article 2, point 2, de la directive 2004/38, mais qui entretiennent néanmoins avec un citoyen de l’Union des liens familiaux étroits et stables en raison de circonstances factuelles spécifiques, telles qu’une dépendance économique, une appartenance au ménage ou des raisons de santé graves.
33. Or, force est de constater que de tels liens peuvent exister sans que le membre de la famille du citoyen de l’Union ait séjourné dans le même État que ce citoyen ou ait été à la charge de ce dernier peu de temps avant ou au moment où celui-ci s’est installé dans l’État d’accueil. La situation de dépendance doit en revanche exister, dans le pays de provenance du membre de la famille concerné, au moment où il demande à rejoindre le citoyen de l’Union dont il est à la charge ».
B.10.4. Il ressort de ce qui précède que la condition d’être « à charge » du regroupant vise à établir une situation de dépendance réelle dans laquelle le soutien matériel du membre de la famille, tel qu’en l’espèce un descendant âgé de plus de vingt et un ans, est assuré par le regroupant. Pour établir cette situation de dépendance, il convient d’avoir égard aux conditions économiques et sociales du descendant direct, âgé de plus de vingt et un ans, démontrant que ce dernier ne subvient pas à ses besoins essentiels. La nécessité du soutien matériel doit exister dans l’État d’origine ou de provenance d’un tel descendant au moment où il demande à rejoindre le regroupant.
En revanche, il ressort de l’arrêt Reyes précité qu’il n’est pas nécessaire d’établir les raisons de cette dépendance (point 23), et que la circonstance que le regroupant procède régulièrement, pendant une période considérable, au versement d’une somme d’argent à ce descendant, est de nature à démontrer l’existence d’une situation de dépendance réelle de ce descendant par rapport audit regroupant (point 24).
18
B.11.1. Les membres de la famille visés à l’article 40bis, § 2, alinéa 1er, 1° à 3°, de la loi du 15 décembre 1980 sont (1) le conjoint ou l’étranger avec lequel le regroupant est lié par un partenariat enregistré considéré comme équivalent à un mariage en Belgique, qui l’accompagne ou le rejoint, (2) le partenaire auquel le regroupant est lié par un partenariat enregistré conformément à une loi, et qui l’accompagne ou le rejoint, moyennant le respect de certaines conditions, et (3) les descendants et les descendants du conjoint ou partenaire susvisés, âgés de moins de vingt et un ans ou qui sont à leur charge, qui les accompagnent ou les rejoignent, moyennant le respect de certaines conditions.
En se référant aux membres de la famille visés à l’article 40bis, § 2, alinéa 1er, 1° à 3°, de la loi du 15 décembre 1980, l’article 40ter de la loi du 15 décembre 1980 garantit donc le droit de la famille nucléaire à la vie familiale.
B.11.2. L’article 40ter de la loi du 15 décembre 1980 règle l’octroi d’un droit de séjour dans le cadre du regroupement familial, de sorte qu’il n’est pas sans justification raisonnable de conditionner ce droit à l’existence d’une vie familiale avec le regroupant belge.
Contrairement à ce que soutient la partie requérante devant le juge a quo, la condition d’être « à charge » du regroupant belge vise à établir avant toute autre chose les liens familiaux étroits et stables fondant un droit d’entrée et de séjour sur le territoire national sur la base du « regroupement familial ». Cette mesure est dès lors justifiée par l’objectif poursuivi par la loi du 15 décembre 1980, rappelé en B.7.3, de mener une politique équitable en matière d’immigration.
L’exigence d’un lien de dépendance réelle, en ce qui concerne un descendant direct âgé de plus de vingt et un ans, tend ainsi à démontrer l’existence et la réalité d’une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 22 de la Constitution, justifiant qu’un droit d’entrée et de séjour soit octroyé à un ressortissant âgé de plus de vingt et un ans, en raison de ses liens familiaux avec un regroupant belge qui lui assure un soutien matériel pour ses besoins essentiels. En l’absence de ce lien de dépendance, un
19
descendant âgé de plus de vingt et un ans ne relève en principe plus de la famille nucléaire du regroupant.
B.11.3. Par ailleurs, le fait que la nécessité du soutien matériel doive exister dans l’État d’origine ou de provenance d’un tel descendant au moment où il demande à rejoindre le regroupant n’est pas lié à l’exercice de la libre circulation par le regroupant, mais vise à établir que les conditions pour l’octroi d’un droit de séjour sur la base du regroupement familial – parmi lesquelles la condition d’existence d’une situation de dépendance réelle de ce descendant par rapport audit regroupant – sont remplies au moment de la demande d’autorisation de séjour fondée sur le regroupement familial.
Il convient de rappeler qu’en vertu de l’article 9 de la loi du 15 décembre 1980, une autorisation de séjour doit, sauf dans le cas d’exceptions déterminées, être demandée auprès du poste diplomatique ou consulaire belge à l’étranger compétent pour l’étranger concerné.
B.11.4. La mesure en cause ne produit par ailleurs pas des effets disproportionnés.
La situation de dépendance réelle dans le pays d’origine ou de provenance peut être établie par toutes voies de droit (voy. C.C.E., n° 161047 du 29 janvier 2016). Il ressort par ailleurs de l’arrêt Reyes, précité, que l’existence de cette situation de dépendance économique peut être établie sans qu’il soit tenu compte des raisons de cette dépendance, et notamment par des versements réguliers, pendant une période considérable, de la part du regroupant au profit du descendant (points 23-24), sans qu’il soit exigé, par conséquent, que le regroupant exerce sa libre circulation vers le pays d’origine ou de provenance.
B.11.5. Les descendants âgés de plus de vingt et un ans d’un ressortissant d’un autre État membre de l’Union ou d’un Belge qui a exercé son droit à la libre circulation et les descendants de plus de vingt et un ans d’un Belge qui n’a pas exercé son droit à la libre circulation ne se trouvent pas, en ce qui concerne la condition d’être « à charge », dans des situations à ce point
20
différentes qu’elles devraient être traitées différemment en ce qui concerne le droit de séjour fondé sur le regroupement familial.
En traitant de la même manière, en ce qui concerne la condition d’être « à charge », les descendants de plus de vingt et un ans d’un regroupant qui est un ressortissant d’un autre État membre de l’Union ou un Belge qui a exercé son droit à la libre circulation, d’une part, et les descendants de plus de vingt et un ans d’un Belge qui n’a pas exercé son droit à la libre circulation, d’autre part, la disposition en cause est raisonnable et justifiée au regard de l’objectif de la mesure.
B.12. Interprété en ce sens qu’il exige d’un descendant âgé de plus de vingt et un ans d’un Belge qui n’a pas exercé son droit à la libre circulation d’être à charge du regroupant dans le pays de provenance ou d’origine, l’article 40ter, § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 15 décembre 1980, en renvoyant aux termes « ou qui sont à leur charge » contenus dans l’article 40bis, § 2, alinéa 1er, 3°, de la même loi, n’est pas incompatible avec les articles 10 et 11, combinés avec l’article 22, de la Constitution.
B.13. Pour le surplus, en l’absence d’élément relevant du champ d’application du droit de l’Union, et même si le contenu de la directive 2004/38/CE a été rendu applicable par la disposition en cause en raison d’un renvoi opéré par cette dernière au contenu de celle-ci, la présente affaire ne soulève, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de justice rappelée en B.10, aucun doute quant à l’interprétation du droit de l’Union. En outre, comme il est dit en B.8.1, la comparaison d’espèce n’est pas susceptible de méconnaître le principe général du droit de l’Union européenne d’égalité et de non-discrimination.
Il n’y a dès lors pas lieu de poser à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles suggérées par la partie requérante devant la juridiction a quo.
21
Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
Interprété en ce sens qu’il exige d’un descendant âgé de plus de vingt et un ans d’un Belge qui n’a pas exercé son droit à la libre circulation d’être à charge du regroupant belge dans le pays de provenance ou d’origine, l’article 40ter, § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 15 décembre 1980 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers », en renvoyant aux termes « ou qui sont à leur charge » contenus dans l’article 40bis, § 2, alinéa 1er, 3°, de la même loi, ne viole pas les articles 10 et 11, lus en combinaison avec l’article 22, de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 septembre 2023.
Le greffier, Le président f.f.,
N. Dupont T. Giet


Synthèse
Numéro d'arrêt : 117/2023
Date de la décision : 14/09/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Non-violation (article 40ter, § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 15 décembre 1980, interprété en ce sens qu'il exige d'un descendant âgé de plus de vingt et un ans d'un Belge qui n'a pas exercé son droit à la libre circulation d'être à charge du regroupant belge dans le pays de provenance ou d'origine en renvoyant aux termes « ou qui sont à leur charge » contenus dans l'article 40bis, § 2, alinéa 1er, 3°, de la même loi)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle relative aux articles 40bis, § 2, alinéa 1er, 3°, et 40ter, § 1er et § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 15 décembre 1980 « sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers », posée par le Conseil du contentieux des étrangers. Etrangers - Accès au territoire, séjour, établissement et éloignement - Conditions du regroupement familial - Membres de la famille d'un ressortissant belge n'ayant pas exercé son droit à la libre circulation - Regroupé majeur à charge du regroupant


Origine de la décision
Date de l'import : 29/09/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-09-14;117.2023 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award