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20/07/2023 | BELGIQUE | N°116/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 20 juillet 2023, 116/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 116/2023
du 20 juillet 2023
Numéro du rôle : 7883
En cause : le recours en annulation des articles 2 et 15 de la loi du 1er juin 2022 « modifiant la loi du 23 mars 1989 relative à l’élection du Parlement européen en vue d’offrir aux citoyens la faculté de voter dès l’âge de 16 ans », introduit par Mark Deweerdt.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Ja

din, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président L. Lavrysen,
après en ...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 116/2023
du 20 juillet 2023
Numéro du rôle : 7883
En cause : le recours en annulation des articles 2 et 15 de la loi du 1er juin 2022 « modifiant la loi du 23 mars 1989 relative à l’élection du Parlement européen en vue d’offrir aux citoyens la faculté de voter dès l’âge de 16 ans », introduit par Mark Deweerdt.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 4 novembre 2022 et parvenue au greffe le 7 novembre 2022, Mark Deweerdt a introduit un recours en annulation des articles 2 et 15 de la loi du 1er juin 2022 « modifiant la loi du 23 mars 1989 relative à l'élection du Parlement européen en vue d'offrir aux citoyens la faculté de voter dès l'âge de 16 ans » (publiée au Moniteur belge du 28 juin 2022).
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me D. D’Hooghe et Me L. Schellekens, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire, la partie requérante a introduit un mémoire en réponse et le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 26 avril 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures J. Moerman et E. Bribosia, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de
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la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 17 mai 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 17 mai 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité
A.1.1. Le Conseil des ministres conteste la recevabilité du recours. Il soutient que la partie requérante ne justifie pas de l’intérêt requis. Elle renvoie en effet uniquement à l’élargissement du corps électoral, qui aurait pour conséquence de réduire le poids de son vote. Un tel élargissement n’affecte toutefois pas le droit de vote proprement dit de la partie requérante. Le Conseil des ministres renvoie à cet égard à l’arrêt de la Cour n° 76/94
du 18 octobre 1994 (ECLI:BE:GHCC:1994:ARR.076). En outre, selon le Conseil des ministres, la partie requérante se contredit, d’une part, parce qu’elle déduit son intérêt de la dilution potentielle de son vote et, d’autre part, parce qu’elle avance principalement des arguments qui donneraient lieu en pratique à un élargissement encore plus grand du corps électoral et, partant, à une dilution encore plus importante de son vote.
A.1.2. Selon la partie requérante, le renvoi à la jurisprudence de la Cour n’est pas pertinent et les dispositions attaquées affectent effectivement le poids de son vote.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
A.2.1. La partie requérante prend un premier moyen de la violation, par l’article 2, 2°, de la loi du 1er juin 2022 « modifiant la loi du 23 mars 1989 relative à l’élection du Parlement européen en vue d’offrir aux citoyens la faculté de voter dès l’âge de 16 ans » (ci-après : la loi du 1er juin 2022), des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 25, b), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle reproche à la disposition attaquée d’introduire une nouvelle catégorie d’électeurs, qui, contrairement aux électeurs existants, ne sont pas soumis au vote obligatoire ou n’y sont soumis que s’ils se sont inscrits sur la liste des électeurs. La partie requérante soutient que le droit de vote est un droit politique fondamental de la démocratie représentative.
Il est essentiel que le droit de vote soit égal et que tous les citoyens puissent ou doivent exercer leur droit de vote dans les mêmes conditions.
A.2.2. Le Conseil des ministres répond que le moyen ne porte pas sur des catégories de personnes comparables. En tout état de cause, la différence de traitement repose sur un critère objectif. La législation attaquée poursuit un objectif légitime, à savoir le renouvellement démocratique et l’harmonisation de l’âge minimum pour participer aux élections européennes dans les différents États membres. L’obligation de voter aux élections européennes pour les électeurs majeurs est cohérente avec l’obligation de voter aux élections fédérales et aux élections des entités fédérées. Le Conseil des ministres renvoie à l’arrêt de la Cour n° 100/2000 du 4 octobre 2000
(ECLI:BE:GHCC:2000:ARR.100) en ce qui concerne l’absence de vote obligatoire pour les mineurs.
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En ce qui concerne le deuxième moyen
A.3.1. La partie requérante prend un deuxième moyen de la violation, par l’article 2 de la loi du 1er juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 25, b), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle critique le fait que l’élection des parlementaires de l’État fédéral et des entités fédérées est réservée aux Belges majeurs, alors que la disposition attaquée permet à des mineurs de participer à l’élection des membres du Parlement européen pour la Belgique. Une telle situation fait naître une différence de traitement injustifiée entre les Belges mineurs et les Belges majeurs, ces derniers étant traités défavorablement.
A.3.2. Le Conseil des ministres répond que l’âge des électeurs appelés à élire les membres de la Chambre des représentants découle de la Constitution elle-même, à savoir de son article 61. La limite d’âge des électeurs appelés à élire les membres des Parlements des entités fédérées découle de l’article 25 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. À cet égard, le moyen est irrecevable, dès lors que la différence de traitement contestée ne trouve pas sa source dans les dispositions attaquées. Pour le surplus, le Conseil des ministres réitère ce qu’il a déjà dit en réponse au premier moyen.
En ce qui concerne le troisième moyen
A.4.1. La partie requérante prend un troisième moyen de la violation, par les dispositions attaquées, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 25, b), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La partie requérante reproche aux dispositions attaquées d’étendre de manière injustifiée le droit de vote aux mineurs qui n’ont pas la maturité politique pour voter et qui ne sont pas en mesure de porter un jugement en connaissance de cause. Elle critique le fait que les mineurs sont réputés être insuffisamment capables de voter dans le cadre des élections fédérales et des élections des entités fédérées, mais qu’ils peuvent par contre participer aux élections européennes. Une telle situation fait naître un élargissement injustifié du corps électoral pour ces dernières élections, ce qui réduit le poids du vote des électeurs majeurs.
A.4.2. Le Conseil des ministres se réfère à ce qu’il a déjà dit en réponse au premier moyen. Pour le surplus, le moyen semble en réalité être dirigé contre l’élargissement « soudain » du droit de vote à certains mineurs, de sorte qu’il concerne une comparaison entre les électeurs existants avant et après l’introduction des dispositions attaquées. Sur la base de la jurisprudence constante de la Cour, ce moyen n’est dès lors pas fondé.
-B-
Quant aux dispositions attaquées
B.1.1. La partie requérante demande l’annulation des articles 2 et 15 de la loi du 1er juin 2022 « modifiant la loi du 23 mars 1989 relative à l’élection du Parlement européen en vue d’offrir aux citoyens la faculté de voter dès l’âge de 16 ans » (ci-après : la loi du 1er juin 2022).
Ces dispositions instaurent à certaines conditions le droit de vote pour les jeunes de seize et dix-
sept ans, en ce qui concerne les élections des membres du Parlement européen pour la Belgique.
B.1.2. L’article 2 de la loi du 1er juin 2022 dispose :
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« À l’article 1er de la loi du 23 mars 1989 relative à l’élection du Parlement européen, modifié en dernier lieu par la loi du 17 novembre 2016, les modifications suivantes sont apportées :
1° dans le paragraphe 2, alinéa 1er, 1°, les mots ‘ , qui réunissent les conditions d’électorat visées au § 1er, alinéa 1er, 2° et 4° ’ sont remplacés par les mots ‘ , qui, au jour de l’élection, ont atteint l’âge de seize ans accomplis et ne se trouvent pas dans un cas d’exclusion ou de suspension prévu par les articles 6 à 8 du Code électoral ’;
2° dans le paragraphe 2, alinéa 1er, sont insérés les 1°/1 et 1°/2 rédigés comme suit :
‘ 1°/1 les mineurs belges inscrits aux registres de population d’une commune belge qui, au jour de l’élection, ont atteint l’âge de seize ans accomplis et ne se trouvent pas dans un cas d’exclusion ou de suspension prévu par les articles 6 à 8 du Code électoral, et qui en font la demande conformément au paragraphe 3/1 auprès de la commune où ils sont inscrits aux registres de la population;
1°/2 les mineurs belges inscrits aux registres de la population tenus dans les postes consulaires de carrière situés dans un Etat non membre de l’Union européenne qui, au jour de l’élection, ont atteint l’âge de seize ans accomplis et ne se trouvent pas dans un cas d’exclusion ou de suspension prévu par les articles 6 à 8 du Code électoral, et qui en font la demande conformément au chapitre II, section II, du présent titre, auprès du poste consulaire belge dont ils relèvent; ’;
3° dans le paragraphe 2, alinéa 1er, 2°, les mots ‘ qui, hormis la nationalité, réunissent les autres conditions visées au § 1er, et qui ont manifesté, conformément au § 3, leur volonté d’exercer leur droit de vote en Belgique ’ sont remplacés par les mots ‘ inscrits aux registres de la population d’une commune belge qui, au jour de l’élection, ont atteint l’âge de seize ans accomplis et ne se trouvent pas dans un cas d’exclusion ou de suspension prévu par les articles 6
à 8 du Code électoral, et qui en font la demande conformément au paragraphe 3 ’;
4° le paragraphe 2 est complété par un alinéa rédigé comme suit :
‘ Les mineurs ne peuvent introduire une demande visée à l’alinéa 1er, 1° à 2°, qu’à partir de l’âge de quatorze ans accomplis. ’.
5° il est inséré un paragraphe 3/1 rédigé comme suit :
‘ § 3/1. Pour pouvoir être inscrits sur la liste des électeurs visée à l’article 3, les mineurs visés au § 2, alinéa 1er, 1°/1, qui sont inscrits aux registres de la population d’une commune belge, doivent introduire auprès de cette commune une demande écrite conforme au modèle fixé par le ministre de l’Intérieur.
Les articles 7bis et 13 du Code électoral s’appliquent.
Toutefois, les notifications visées par l’article 13 du Code électoral sont faites par les parquets ou les greffes des cours et tribunaux concernés à la demande expresse des autorités communales lorsque celles-ci ont constaté que la personne qui a sollicité son inscription sur la liste des électeurs est susceptible de tomber sous l’application des mesures d’exclusion ou de suspension visées par les articles 6 et 7 du Code électoral.
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Ces notifications sont transmises dans les dix jours de la réception de la demande des autorités communales. S’il n’y a pas lieu à notification, les autorités communales en sont avisées dans le même délai.
En cas de notification après que la liste des électeurs a été établie, l’intéressé est rayé de ladite liste.
Après avoir vérifié que les conditions d’électorat sont réunies dans son chef, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de résidence notifie à l’intéressé, en la motivant, sa décision d’agréer ou non cette demande, conformément aux modèles fixés par le ministre de l’Intérieur. En cas de refus, la notification en est faite par envoi recommandé.
Sont déclarées irrecevables, les demandes introduites durant la période prenant cours le jour de l’établissement de la liste des électeurs et expirant le jour de l’élection pour laquelle elle est établie.
En dehors de la période visée à l’alinéa 7, toute personne agréée en qualité d’électeur peut solliciter le retrait de cet agrément auprès de la commune où elle a établi sa résidence principale.
L’agrément visé à l’alinéa 6 reste valable jusqu’à l’âge de dix-huit ans aussi longtemps que l’intéressé continue à réunir les conditions d’électorat ou n’a pas sollicité le retrait de l’agrément qui lui a été octroyé. ’ ».
B.1.3. L’article 15 de la loi du 1er juin 2022 dispose :
« L’article 39, alinéa 1er, de la même loi, modifié en dernier lieu par la loi du 17 novembre 2016, est remplacé par ce qui suit :
‘ La participation au scrutin est obligatoire :
1° pour les Belges majeurs inscrits au registre de la population d’une commune belge;
2° pour les Belges mineurs de plus de seize ans qui sont inscrits au registre de la population d’une commune belge et qui sont inscrits sur la liste des électeurs de la commune de leur résidence, en exécution de l’article 3;
3° pour les Belges majeurs qui résident sur le territoire d’un Etat non membre de l’Union européenne et qui sont inscrits dans les registres de la population tenus dans les postes consulaires de carrière;
4° pour les Belges mineurs de plus de seize ans qui résident sur le territoire d’un Etat non membre de l’Union européenne et qui sont inscrits sur la liste des électeurs du poste consulaire belge de carrière dont ils relèvent, en exécution des articles 5 à 7;
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5° pour les Belges de plus de seize ans qui résident sur le territoire d’un autre Etat membre de l’Union européenne et qui sont inscrits sur la liste des électeurs du poste consulaire belge de carrière dont ils relèvent, en exécution des articles 5 à 7;
6° pour les ressortissants des autres Etats membres de l’Union européenne de plus de seize ans inscrits sur la liste des électeurs de la commune belge de leur résidence, en exécution de l’article 3. ’ ».
B.1.4. Dans les travaux préparatoires, les dispositions attaquées sont commentées comme suit :
« Dans son accord du 30 septembre 2020, le gouvernement fédéral entend renforcer la confiance des citoyens dans la politique en tant que force positive, en faisant du renouveau démocratique une priorité. À cet effet, le fonctionnement démocratique doit être modernisé dans le sens notamment d’une ouverture à de nouvelles formes de participation.
En ce sens, il est prévu dans l’accord de gouvernement d’abaisser l’âge de vote aux élections européennes à 16 ans: le jeune qui souhaitera voter dans ce cadre devra s’inscrire au registre des électeurs de sa commune et, dès lors qu’il se sera inscrit, il sera soumis à l’obligation de voter.
Cette volonté du gouvernement s’inscrit pleinement dans la résolution du Parlement européen du 11 novembre 2015 sur la réforme de la loi électorale de l’Union européenne (2015/2035(INL)), dans laquelle il est recommandé aux États membres, pour l’avenir, d’envisager d’harmoniser l’âge minimal des électeurs à 16 ans afin de garantir une plus grande égalité aux citoyens de l’Union lors des élections.
Actuellement, l’Autriche (16 ans), Malte (16 ans) et la Grèce (17 ans) permettent le vote des jeunes lors de l’élection du Parlement européen.
Sur la base de cette recommandation du Parlement européen et afin de mettre en place une réciprocité du droit de vote pour les électeurs de 16 ans, la présente proposition de loi vise à répondre à la volonté exprimée dans l’accord de gouvernement » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2373/001, p. 3).
Quant à l’intérêt
B.2.1. Le Conseil des ministres conteste l’intérêt de la partie requérante à l’annulation des dispositions attaquées.
B.2.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée
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directement et défavorablement par la norme attaquée; il s’ensuit que l’action populaire n’est pas admissible.
B.2.3. La partie requérante, qui se prévaut de sa qualité d’électeur, estime que les dispositions attaquées sont d’une nature telle qu’elles sont susceptibles de porter atteinte à son droit de vote, puisqu’elles auraient pour effet de réduire le poids du vote exprimé par la partie requérante.
B.2.4. Les dispositions attaquées concernent le droit de vote. Le droit de vote est un aspect de l’État de droit démocratique qui est à ce point essentiel que sa protection intéresse tous les citoyens.
L’exception est rejetée.
Quant au fond
En ce qui concerne le troisième moyen
B.3.1. Le troisième moyen est pris de la violation, par les dispositions attaquées, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 25, b), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La partie requérante dénonce le fait que les dispositions attaquées étendent de manière injustifiée le droit de vote aux mineurs qui n’ont pas la maturité politique requise et qui ne sont pas en état de porter un jugement en connaissance de cause. Elle fait valoir que les mineurs sont considérés comme insuffisamment capables de voter aux élections fédérales et aux élections des entités fédérées, mais qu’ils sont par contre jugés aptes à participer aux élections européennes.
B.3.2. La partie requérante critique en substance le fait que le droit de vote, dans le cadre des élections européennes, est étendu aux jeunes de seize et dix-sept ans, ce qui implique selon elle un traitement égal injustifié par rapport aux Belges majeurs qui résident en Belgique.
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B.4.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s’oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.4.2. L’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose :
« Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2
et sans restrictions déraisonnables :
a) de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis;
b) de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs;
c) d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays ».
B.4.3. Il appartient au Constituant et au législateur de décider si et à quelles conditions est exercé le droit de vote, un droit dont on trouve également l’expression, notamment, dans l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
B.4.4. Il ressort des travaux préparatoires que les dispositions attaquées cadrent avec l’objectif du législateur consistant à procéder à un renouveau démocratique, afin de moderniser
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le fonctionnement démocratique grâce, notamment, à la recherche d’une ouverture à de nouvelles formes de participation :
« En ce sens, il est prévu dans l’accord de gouvernement d’abaisser l’âge de vote aux élections européennes à 16 ans : le jeune qui souhaitera voter dans ce cadre devra s’inscrire au registre des électeurs de sa commune et, dès lors qu’il se sera inscrit, il sera soumis à l’obligation de voter.
Cette volonté du gouvernement s’inscrit pleinement dans la résolution du Parlement européen du 11 novembre 2015 sur la réforme de la loi électorale de l’Union européenne (2015/2035(INL)), dans laquelle il est recommandé aux États membres, pour l’avenir, d’envisager d’harmoniser l’âge minimal des électeurs à 16 ans afin de garantir une plus grande égalité aux citoyens de l’Union lors des élections.
Actuellement, l’Autriche (16 ans), Malte (16 ans) et la Grèce (17 ans) permettent le vote des jeunes lors de l’élection du Parlement européen.
Sur la base de cette recommandation du Parlement européen et afin de mettre en place une réciprocité du droit de vote pour les électeurs de 16 ans, la présente proposition de loi vise à répondre à la volonté exprimée dans l’accord de gouvernement » (Doc. parl., Chambre, 2021-
2022, DOC 55-2373/001, p. 3).
Dans la résolution du Parlement européen du 11 novembre 2015 « sur la réforme de la loi électorale de l’Union européenne » (2015/2035(INL)), le Parlement européen recommande aux États membres « d’envisager d’harmoniser l’âge minimal des électeurs à 16 ans afin de garantir une plus grande égalité aux citoyens de l’Union lors des élections » (point 15). Cette recommandation s’inscrit dans l’idée que « la réforme de la procédure électorale du Parlement européen devrait viser à renforcer la dimension démocratique et transnationale des élections européennes et la légitimité démocratique du processus décisionnel de l’Union, à renforcer le concept de citoyenneté de l’Union, à améliorer le fonctionnement du Parlement européen et la gouvernance de l’Union, à conférer aux travaux du Parlement européen plus de légitimité, à consolider les principes d’égalité électorale et d’égalité des chances, à accroître l’efficacité du mode d’organisation des élections européennes et à rapprocher les députés au Parlement européen de leurs électeurs, notamment les plus jeunes » (considérant B). Il est ensuite considéré que « parmi les 28 États membres, l’âge minimal d’éligibilité pour se présenter aux élections varie entre 18 et 25 ans, et que l’âge requis pour avoir le droit de vote s’étend de 16 à 18 ans, en raison des traditions constitutionnelles et électorales divergentes dans les États membres; que l’harmonisation de la majorité électorale et de l’âge minimum pour les candidats serait hautement souhaitable pour fournir aux citoyens de l’Union une réelle égalité de vote, et
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permettrait d’éviter la discrimination dans le domaine le plus fondamental de la citoyenneté, à savoir le droit de participer au processus démocratique » (considérant AC).
B.4.5. Le choix de permettre aux jeunes de seize et dix-sept ans de voter aux élections européennes relève du pouvoir d’appréciation du législateur.
Il n’appartient pas à la Cour de substituer son appréciation à celle du législateur alors que rien ne révèle qu’elle serait manifestement déraisonnable.
B.4.6. À la lumière des objectifs poursuivis consistant à contribuer à une harmonisation progressive des conditions de participation aux élections européennes et à éveiller l’intérêt pour ces élections, chez les jeunes aussi, le législateur a pu raisonnablement, sans violer le principe d’égalité et de non-discrimination, étendre aux jeunes de seize et dix-sept ans le droit de vote à ces élections.
B.4.7. Le troisième moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le deuxième moyen
B.5.1. Le deuxième moyen est pris de la violation, par l’article 2 de la loi du 1er juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 25, b) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La partie requérante fait valoir que l’élection des députés du Parlement de l’État fédéral et des Parlements des entités fédérées est réservée aux Belges majeurs, alors que la disposition attaquée permet aux mineurs de participer à l’élection des membres du Parlement européen pour la Belgique.
B.5.2. Le Conseil des ministres conteste la recevabilité du deuxième moyen en ce qu’il est dirigé contre la condition d’âge pour le droit de vote aux élections du Parlement fédéral et aux élections des Parlements des entités fédérées. En effet, ces conditions sont contenues dans des dispositions qui ne font pas l’objet du recours présentement examiné.
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B.5.3. En ce que le deuxième moyen doit être interprété en ce sens qu’il est dirigé contre les conditions d’âge pour voter à d’autres élections que les élections du Parlement européen, la différence de traitement ne trouve pas sa source dans les dispositions attaquées et le moyen est irrecevable.
B.5.4. Si le deuxième moyen doit être interprété en ce sens qu’il est dirigé contre la condition d’âge pour les élections du Parlement européen, il est renvoyé à ce qui est dit en B.4.1
à B.4.6.
B.5.5. Le deuxième moyen, pour autant qu’il soit recevable, n’est pas fondé.
En ce qui concerne le premier moyen
B.6. Le premier moyen est pris de la violation, par l’article 2, 2°, de la loi du 1er juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 25, b) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La partie requérante critique le fait que la disposition attaquée instaure une nouvelle catégorie d’électeurs, les Belges de seize et dix-
sept ans, qui, contrairement aux Belges majeurs, ne sont soumis au vote obligatoire que s’ils se sont inscrits sur la liste des électeurs.
B.7.1. En ce que l’élargissement du droit de vote pour ces élections aux jeunes de seize et dix-sept ans repose sur le constat que les jeunes, tout comme les adultes, sont en mesure de se faire une opinion politique et de voter pour le parti ou le candidat qui représente le mieux leur opinion (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2373/004, pp. 27 et 50), il n’est pas raisonnablement justifié de subordonner l’exercice de ce droit de vote, pour les Belges de seize et dix-sept ans, à la condition qu’ils demandent à être inscrits sur la liste des électeurs. Comme il est dit en B.2.4, le droit de vote constitue un droit politique fondamental dans une démocratie représentative.
B.7.2. Le premier moyen est fondé. La loi du 1er juin 2022 doit être annulée en ce qu’elle subordonne le droit de vote pour les jeunes de seize et dix-sept ans à la condition qu’ils demandent à être inscrits sur la liste des électeurs.
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Par ces motifs,
la Cour
- annule la loi du 1er juin 2022 « modifiant la loi du 23 mars 1989 relative à l’élection du Parlement européen en vue d’offrir aux citoyens la faculté de voter dès l’âge de 16 ans », en ce qu’elle subordonne le droit de vote pour les jeunes de seize et dix-sept ans à la condition qu’ils demandent à être inscrits sur la liste des électeurs;
- rejette le recours pour le surplus.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 20 juillet 2023.
Le greffier, Le président,
N. Dupont L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 116/2023
Date de la décision : 20/07/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

1. Annulation (loi du 1er juin 2022, en ce qu'elle subordonne le droit de vote pour les jeunes de seize et dix-sept ans à la condition qu'ils demandent à être inscrits sur la liste des électeurs) 2. Rejet du recours pour le surplus

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - le recours en annulation des articles 2 et 15 de la loi du 1er juin 2022 « modifiant la loi du 23 mars 1989 relative à l'élection du Parlement européen en vue d'offrir aux citoyens la faculté de voter dès l'âge de 16 ans », introduit par Mark Deweerdt. Élections européennes - Droit de vote - Condition d'âge - Jeunes de 16 et 17 ans - Demande d'inscription sur la liste des électeurs


Origine de la décision
Date de l'import : 01/08/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-07-20;116.2023 ?

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