Cour constitutionnelle
Arrêt n° 114/2023
du 20 juillet 2023
Numéro du rôle : 7856
En cause : le recours en annulation du décret de la Région flamande du 4 février 2022
« modifiant la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, en ce qui concerne la mise à disposition d’une aggravation de la sanction », introduit par l’ASBL « Fédération belge de la Viande » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et K. Jadin, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 12 septembre 2022 et parvenue au greffe le 14 septembre 2022, un recours en annulation du décret de la Région flamande du 4 février 2022 « modifiant la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, en ce qui concerne la mise à disposition d’une aggravation de la sanction » (publié au Moniteur belge du 10 mars 2022) a été introduit par l’ASBL « Fédération belge de la Viande », l’ASBL « Vereniging van Industriële Pluimveeslachterijen van België », l’ASBL « Beroepsvereniging voor de Belgische Kalfsvleessector », l’ASBL « Ani-Zoo - Animaux Zoo » et C.H., assistées et représentées par Me T. Carolus, Me A. Verhoye, Me K. Pieters et Me M. Verroken, avocats au barreau de Bruxelles.
Des mémoires et mémoires en réplique ont été introduits par :
- l’ASBL « Global Action in the Interest of Animals » (GAIA), assistée et représentée par Me A. Godfroid, avocat au barreau d’Anvers (partie intervenante);
2
- le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me J.-F. De Bock et Me V. De Schepper, avocats au barreau de Bruxelles.
Les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 17 mai 2023, la Cour a déclaré l’affaire en état et fixé l’audience au 14 juin 2023.
À l’audience publique du 14 juin 2023 :
- ont comparu :
. Me P. Slegers, avocat au barreau de Bruxelles, loco Me M. Verroken, et Me K. De Bleecker Hernandez, avocat au barreau de Bruxelles, qui comparaissait également loco Me A. Verhoye, pour les parties requérantes;
. Me A. Godfroid, pour l’ASBL « Global Action in the Interest of Animals » (GAIA);
. Me V. De Schepper, qui comparaissait également loco Me J.-F. De Bock, pour le Gouvernement flamand;
- les juges-rapporteurs D. Pieters et K. Jadin ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à l’intérêt des parties requérantes
A.1. Les parties requérantes sont d’avis qu’elles justifient toutes de l’intérêt requis à l’annulation du décret de la Région flamande du 4 février 2022 « modifiant la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, en ce qui concerne la mise à disposition d’une aggravation de la sanction » (ci-après : le décret attaqué).
La première partie requérante est la fédération professionnelle, nationalement reconnue, qui représente les abattoirs, les ateliers de découpe et les grossistes travaillant dans la production de viandes porcine, bovine, chevaline et ovine. La deuxième partie requérante est la fédération professionnelle indépendante qui représente les grands abattoirs et ateliers de découpe de volailles destinées à la mise sur le marché européen et sur les marchés d’exportation. La troisième partie requérante est la fédération professionnelle du secteur de la viande de veau. La quatrième partie requérante est la fédération professionnelle regroupant les entreprises du secteur des animaux domestiques. Selon les première à quatrième parties requérantes, en instaurant une aggravation des peines qui s’applique même aux erreurs ou omissions administratives purement non intentionnelles, sans prévoir une
3
fourchette progressive des peines, le décret attaqué affecte directement les membres des secteurs dont elles défendent les intérêts.
La cinquième partie requérante est une éleveuse de chiens agréée, qui exerce son activité à titre indépendant et est membre de la quatrième partie requérante. Elle estime qu’elle est directement et personnellement affectée par le décret attaqué, dès lors qu’elle relève de la réglementation extrêmement abondante et technique à laquelle s’applique l’aggravation des peines prévue par le décret attaqué.
A.2. Le Gouvernement flamand conteste tant l’intérêt des première et quatrième parties requérantes en particulier que l’intérêt de toutes les parties requérantes en général.
En ce qui concerne la première partie requérante, le Gouvernement flamand estime que l’on n’aperçoit pas en quoi son but statutaire serait affecté par un décret qui prévoit une augmentation des taux de peine pour les infractions à la législation relative au bien-être animal, mais qui ne modifie pas le montant minimum de l’amende.
Dans le même sens, le Gouvernement flamand n’aperçoit pas non plus en quoi une telle réforme peut affecter directement les membres du secteur des animaux domestiques.
Le Gouvernement flamand estime par ailleurs que l’intérêt de toutes les parties requérantes est hypothétique.
D’une part, le décret attaqué ne s’applique aux membres des première à quatrième parties requérantes et à la cinquième partie requérante que lorsqu’ils commettent une infraction à la législation relative au bien-être animal.
Or, estime le Gouvernement flamand, le fait qu’ils puissent commettre une telle infraction ne va pas de soi. Il est, d’autre part, très peu probable qu’un juge inflige une peine plus sévère dans le cas d’erreurs ou d’omissions administratives non intentionnelles.
Quant à l’intervention
A.3.1. La partie intervenante, l’ASBL « Global Action in the Interest of Animals » (ci-après :
l’ASBL « GAIA »), estime justifier de l’intérêt requis pour intervenir dans la procédure. Elle se présente comme la plus grande organisation nationale de défense des animaux. Elle affirme s’être battue pendant des années en faveur de la répression plus sévère des infractions à la législation relative au bien-être animal. Si le recours en annulation était déclaré fondé, les anciens taux de peine (beaucoup plus légers) seraient à nouveau applicables.
A.3.2. Les parties requérantes sont d’avis que l’intervention est irrecevable, dès lors qu’elle est motivée sommairement et qu’elle n’apporte rien pour l’issue de la procédure d’annulation.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
A.4.1. Premièrement, les parties requérantes allèguent la violation, par les articles 2, 3, 4 et 8 du décret attaqué, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de proportionnalité et avec le principe de la sécurité juridique. Selon les parties requérantes, ces articles entraînent une identité de traitement de situations différentes, en ce qu’ils appliquent un taux de peine uniforme pour toutes les infractions aux articles 35, 36, 36bis et 41 de la loi du 14 août 1986 « relative à la protection et au bien-être des animaux » (ci-après : la loi du 14 août 1986), alors que ces articles portent tant sur des infractions administratives, tel l’enregistrement incorrect des chiens et des chats, que sur des infractions qui causent une réelle souffrance aux animaux. Dans son avis relatif à l’avant-projet de décret qui a abouti au décret attaqué, la section de législation du Conseil d’État a par ailleurs observé que la réglementation en cause instaure une fourchette de peines tellement large qu’elle peut entraîner une insécurité et l’arbitraire lorsque le juge apprécie le taux de la peine. L’absence de tout cadre de référence dans le décret attaqué a pour effet que la personne du juge concerné et le lieu où il siège joueront un rôle crucial dans la fixation de la peine, pour laquelle le juge tiendra également compte de facteurs sociaux, politiques et idéologiques. Le bien-être animal étant un concept en constante évolution au sein de la société, la probabilité est forte de voir des disparités apparaître dans la jurisprudence. Or, la protection du bien-être animal ne justifie pas d’attribuer au juge un pouvoir discrétionnaire à ce point étendu que des infractions administratives puissent être punies de la même manière que les infractions physiques. Selon les parties requérantes, la référence faite dans les travaux préparatoires aux règles applicables dans les autres régions n’est pas pertinente, dès lors que la Région wallonne fonctionne avec trois taux de peine et que la Région de Bruxelles-Capitale applique un taux de peine nettement plus faible. Elles estiment que le mémorandum de l’« Instituut voor Recht en Ethiek in de
4
Diergeneeskunde » (Institut pour le droit et l’éthique en médecine vétérinaire, ci-après : l’IRED), sur lequel le législateur décrétal s’est appuyé pour élaborer le régime attaqué, ne convainc pas. Dans ce mémorandum, l’IRED
explique privilégier un taux de peine uniforme en se fondant sur les dispositions du décret de la Région flamande du 5 avril 1995 « contenant des dispositions générales concernant la politique de l’environnement », alors que ces dispositions n’appliquent aucunement un taux de peine uniforme. Plus encore, ces dispositions prévoient expressément une exception pour les infractions aux obligations administratives. Ce mémorandum n’est dès lors pas crédible, selon les parties requérantes.
A.4.2. Deuxièmement, les parties requérantes allèguent la violation des articles 10 et 11 de la Constitution par l’article 5 du décret attaqué. Cet article prévoit, d’une part, d’allonger la durée de fermeture d’un établissement qui peut être imposée en plus des peines prévues aux articles 35 ou 36 de la loi du 14 août 1986 et, d’autre part, de restreindre le choix du juge entre une fermeture définitive ou une fermeture temporaire. Selon les parties requérantes, ces mesures ne sauraient raisonnablement se justifier, surtout pour les infractions légères.
A.4.3. Troisièmement, les parties requérantes allèguent la violation des articles 10 et 11 de la Constitution par l’article 6 du décret attaqué. Selon elles, en prévoyant que le doublement du taux de la peine en cas de récidive s’applique également aux infractions à l’article 41 de la loi du 14 août 1986, l’article 6 produit un effet certes dissuasif, mais aussi disproportionné, en plus de décourager le lancement d’une activité dans le secteur animal.
Les parties requérantes renvoient à cet égard à l’arrêt de la Cour n° 134/2022 du 20 octobre 2022
(ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.134), dans lequel il a été jugé disproportionné d’appliquer les peines privatives de liberté les plus lourdes au non-respect d’obligations purement formelles prévues par la législation relative à l’euthanasie. Selon les parties requérantes, les motifs avancés pour justifier le doublement du taux de la peine, à savoir le triplement du nombre d’inspecteurs et la multiplication du nombre de procès-verbaux, sont insuffisants, dès lors que ces éléments ne conduiront qu’à une multiplication du nombre de cas de récidive. Dans leur mémoire en réponse, les parties requérantes invoquent également la violation de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, étant donné qu’en raison de l’importance des peines, l’auteur de l’infraction se verra contraint de vendre ses biens.
A.4.4. Quatrièmement, les parties requérantes allèguent la violation des articles 10 et 11 de la Constitution par l’article 7 du décret attaqué. En vertu de l’article 40 de la loi du 14 août 1986 que cet article 7 modifie, le juge peut, en plus d’une condamnation du chef d’une infraction à la loi précitée, interdire définitivement ou pour une période de deux mois à cinq ans la détention d’animaux d’une ou de plusieurs espèces. Selon les parties requérantes, le caractère inconstitutionnel de l’absence de toute différenciation selon la nature de l’infraction, comme il est exposé en A.4.1, s’applique a fortiori à l’interdiction de détenir des animaux.
A.5.1. Le Gouvernement flamand est d’avis que le moyen est irrecevable en ce qu’il est dirigé contre les articles 5 à 7 du décret attaqué, dès lors que les parties requérantes omettent d’exposer en quoi les dispositions attaquées violent les articles 10 et 11 de la Constitution. En ce que les parties requérantes prennent aussi un moyen, dans leur mémoire en réponse, de la violation de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme par l’article 6 du décret attaqué, ce grief supplémentaire est irrecevable, dès lors qu’il n’est pas permis d’invoquer des normes de contrôle supplémentaires dans un mémoire en réponse.
A.5.2. Ensuite, le Gouvernement flamand conteste le fait que les infractions administratives légères sont traitées de la même manière que les infractions graves en matière de bien-être animal. Avec l’uniformité du taux de peine, le législateur décrétal entend donner au juge la possibilité d’imposer une peine adéquate pour chaque infraction, si bien que des infractions différentes ne seront pas réprimées de manière identique.
A.5.3. Le Gouvernement flamand estime qu’il existe à tout le moins une justification raisonnable à cette identité de traitement.
L’instauration d’un taux de peine uniforme poursuit tout d’abord des objectifs légitimes, à savoir, d’une part, la simplification du régime des sanctions et, d’autre part, la création d’un effet suffisamment décourageant et dissuasif ainsi que l’incitation à changer de comportement.
Cette uniformité est en outre pertinente au regard des objectifs précités. En prévoyant pour toutes les infractions en matière de bien-être animal une seule fourchette de peines qui soit suffisamment large, le juge peut, dans tous les cas et en tenant compte des circonstances concrètes, imposer une sanction efficace, dissuasive et proportionnée. L’application d’un taux de peine uniforme est une mesure qui a également été proposée par l’IRED,
5
en plus d’être le fruit d’une concertation avec les parquets. Par ailleurs, la Région de Bruxelles-Capitale aussi applique un même taux de peine pour toutes les infractions à la législation relative au bien-être animal. Quant à la Région wallonne, s’il est vrai qu’elle applique une fourchette de peines différente, les peines pouvant être imposées sont beaucoup plus élevées que celles que prévoit le décret attaqué. Dans le même temps, en relevant le taux de peine, le législateur décrétal entend porter les peines à un niveau qui reflète l’importance que la société attache au bien-être des animaux. Les anciens taux de peine étaient trop faibles pour être dissuasifs. Il ressort de surcroît de l’exposé des motifs que le législateur décrétal estimait qu’il était problématique que les personnes suspectées d’infractions au bien-être animal ne puissent pas être détenues, alors qu’une détention préventive peut s’avérer utile lors de telles infractions.
Enfin, le décret attaqué ne produit pas des effets disproportionnés. Premièrement, en prévoyant une large fourchette de peines, le législateur décrétal a exprimé l’intention de permettre au juge d’imposer une peine qui corresponde à la gravité de l’infraction. Le ministre du Bien-être animal se chargera de communiquer cette intention aux zones de police et aux parquets. Cette intention du législateur décrétal vaut également pour l’article 8
du décret attaqué, qui instaure une aggravation de la peine pour les infractions mentionnées à l’article 41 de la loi du 14 août 1986. Par ailleurs, tout jugement doit être motivé. Si le non-respect d’une seule obligation administrative ne saurait justifier une peine d’emprisonnement, la violation systématique ou à grande échelle d’une obligation administrative le pourra en revanche. Le législateur décrétal a de surcroît souligné dans les travaux préparatoires du décret attaqué que les infractions explicitement mentionnées dans les articles 35, 36 et 36bis de la loi du 14 août 1986 ne constituent pas un cadre complètement limitatif adapté aux connaissances et attentes actuelles de la société. Aussi n’est-il pas réaliste de considérer que les infractions prévues à l’article 41 exigent par définition un taux de peine plus faible. Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, c’est au juge compétent qu’il appartient de veiller au respect du principe de proportionnalité. Deuxièmement, le décret attaqué augmente uniquement le montant maximum de l’amende, mais pas le montant minimum, de sorte qu’il est possible que les infractions administratives légères ne seront pas sanctionnées plus sévèrement. Troisièmement, outre les peines prévues par le décret attaqué, le juge dispose encore d’autres instruments pour imposer une peine adéquate, notamment la peine de travail, le sursis probatoire ou la suspension du prononcé. Quatrièmement, le décret attaqué n’affecte pas la faculté dont dispose la division Bien-être animal du département Environnement d’infliger des amendes administratives sans l’intervention des parquets.
Le renvoi, par les parties requérantes, à l’arrêt de la Cour n° 134/2022 ne permet pas de conclure autrement.
Premièrement, il s’agit d’un contexte différent. Deuxièmement, le décret attaqué n’a pas pour effet, contrairement à l’article 3 de la loi du 28 mai 2022 « relative à l’euthanasie » en cause dans cet arrêt, que tout acte contraire à la loi réunisse les éléments constitutifs de la même infraction. Troisièmement, le décret attaqué ne prévoit pas une seule et même incrimination, contrairement à l’article 397 du Code pénal.
A.5.4. Le Gouvernement flamand allègue ensuite que le décret attaqué n’entraîne pas une violation du principe de la sécurité juridique. La loi du 14 août 1986 permet au justiciable de déterminer les actes qui sont interdits, et le décret attaqué lui permet de savoir quelle peine il est susceptible d’encourir. La large fourchette de peines n’entraîne aucun arbitraire, mais tend justement, comme cela a déjà été dit, à imposer une peine adéquate, compte tenu de la nature de l’infraction, de l’état de récidive, de l’intention de l’auteur et des conséquences des actes de ce dernier.
A.6. La partie intervenante fait valoir que la large fourchette de peines prévue par le décret attaqué ne contraint pas le juge à infliger la peine maximale pour chaque infraction. Cela étant, il est logique que de lourdes peines puissent être infligées pour des infractions administratives, dès lors que de telles infractions ouvrent très souvent la voie à des fraudes de beaucoup plus grande ampleur ou des infractions nettement plus graves en matière de bien-être animal, par exemple lorsque des éleveurs de chiens ou de chats falsifient des fiches d’élevage.
L’obligation pour un éleveur de chiens ou de chats de tenir des fiches d’élevage est liée à la règle prévue à l’article 19/2 de l’arrêté royal du 27 avril 2007 « portant les conditions d’agrément des établissements pour animaux et portant les conditions de commercialisation des animaux » (ci-après : l’arrêté royal du 27 avril 2007), selon laquelle un éleveur n’est autorisé à commercialiser des chiens ou des chats issus d’autres élevages que le sien que s’il commercialise au moins dix portées par an issues de son propre élevage. En falsifiant les cartes d’élevage (à savoir en prétendant que le nombre de dix portées a été atteint), un éleveur peut commercialiser de manière illimitée des chiens ou des chats issus d’autres élevages. Avant l’entrée en vigueur du décret attaqué, l’amende maximum pour une telle infraction était de 500 euros (à majorer des décimes additionnels), ce qui ne représente qu’une broutille par rapport à l’avantage patrimonial qu’une telle infraction peut rapporter.
6
En outre, la partie intervenante se rallie aux arguments, mentionnés en A.5.3, sur lesquels le Gouvernement flamand s’est fondé pour conclure à la proportionnalité du décret attaqué. Elle ajoute à ces arguments qu’un double degré de juridiction est toujours prévu dans les affaires relatives aux infractions en matière de bien-être animal.
En ce qui concerne le deuxième moyen
A.7. Dans le deuxième moyen, les parties requérantes invoquent la violation, par le décret attaqué, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 34 et 35 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE), ainsi qu’avec l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980). Les articles 34 et 35 du TFUE
interdisent toute restriction disproportionnée à la libre circulation des marchandises entre les États membres ainsi qu’entre les États membres et des pays tiers. Les parties requérantes soulignent que les animaux sont encore considérés comme des produits. L’aggravation des peines pour les infractions légères et le durcissement des règles de récidive pour les infractions administratives limitées perturbent le commerce entre les États membres, dès lors que ces mesures peuvent décourager les individus de lancer ou de poursuivre une activité dans le secteur animal.
Des concurrents issus d’autres États membres pourraient dès lors en retirer un avantage concurrentiel. Les parties requérantes mentionnent les Pays-Bas, qui utilisent des peines différenciées pour les infractions en matière de bien-
être animal. Selon les parties requérantes, seules des raisons liées à la santé des animaux peuvent justifier une entrave à la libre circulation des marchandises, mais il s’agit d’une compétence dévolue à l’autorité fédérale. Pour les mêmes motifs, le décret attaqué viole l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, qui garantit la liberté de commerce et d’industrie.
A.8.1. Tout d’abord, le Gouvernement flamand soutient que le décret attaqué n’entrave pas la libre circulation des marchandises. Ce décret ne fait que prévoir un taux de peine uniforme pour les infractions en matière de bien-être animal, sans influencer l’importation, l’exportation et le transit des animaux entre les États membres. Le fait que le décret attaqué puisse aboutir à l’arrêt d’une activité dans le secteur animal est difficilement crédible et, à tout du moins, n’est pas démontré par les parties requérantes.
A.8.2. Ensuite, le Gouvernement flamand conteste le fait que seule la protection de la santé des animaux puisse justifier une restriction à la libre circulation des marchandises. Le bien-être animal figure lui aussi parmi les valeurs de l’Union européenne. L’article 13 du TFUE enjoint à l’Union européenne et aux États membres de tenir pleinement compte, lorsqu’ils formulent et mettent en œuvre la politique de l’Union, des exigences du bien-
être des animaux en tant qu’êtres sensibles. La Cour de justice de l’Union européenne reconnaît la protection du bien-être animal comme un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union et pouvant justifier la restriction d’un droit fondamental. Pour les motifs mentionnés en A.5.3, le décret attaqué ne limite pas la libre circulation des marchandises de manière disproportionnée.
A.8.3. Le Gouvernement flamand est d’avis que le décret attaqué ne limite pas la liberté de commerce et d’industrie, dès lors qu’il n’impose aucune obligation supplémentaire. La liberté de commerce et d’industrie n’est affectée que lorsque les parties requérantes commettent une infraction à la loi du 14 août 1986, mais, ainsi que cela a été dit en A.2, cette hypothèse ne va pas de soi. Tout du moins, la restriction de la liberté de commerce et d’industrie se justifie pour les motifs exposés en A.5.3.
A.9. La partie intervenante observe, premièrement, que le deuxième moyen repose sur une prémisse erronée en ce qu’il considère les animaux comme des produits, alors qu’ils constituent entre-temps une catégorie distincte dans le Code civil. Deuxièmement, le moyen n’est pas fondé. Le décret attaqué ne fait qu’augmenter les taux de peine et les obligations administratives ne font l’objet d’aucune modification. Par ailleurs, divers autres États membres de l’Union européenne prévoient eux aussi des peines sévères pour les infractions en matière de bien-
être animal. Les entrepreneurs qui respectent la législation ne sont dès lors pas empêchés de s’installer en Région flamande et d’y fournir leurs services.
En ce qui concerne le troisième moyen
A.10. Dans le troisième moyen, les parties requérantes allèguent que le décret attaqué viole la liberté d’expression garantie par l’article 19 de la Constitution et par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que l’aggravation des peines qu’il prévoit s’applique également aux infractions à l’interdiction de la publicité commerciale. Les parties requérantes se réfèrent à l’arrêt de la Cour n° 10/2021 du 21 janvier 2021
(ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.010), par lequel la Cour a annulé une interdiction analogue dans le Code wallon du
7
bien-être animal. La section de législation du Conseil d’État a elle aussi observé, dans son avis relatif à l’avant-
projet de décret qui a abouti au décret attaqué, qu’il était disproportionné de sanctionner l’interdiction de publicité commerciale par une peine d’emprisonnement. Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qu’en droit pénal, les restrictions de la liberté d’expression appellent une interprétation très stricte. Eu égard à la sévérité des peines, les parties requérantes estiment que le décret attaqué viole la liberté d’expression.
A.11.1. Le Gouvernement flamand conteste la pertinence de l’arrêt de la Cour n° 10/2021. Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, cet arrêt ne portait pas sur une interdiction de la publicité commerciale, mais sur une mesure préventive dont le contenu, la nature et la portée n’avaient pas été établis. En outre, cet arrêt ne saurait être appliqué par analogie à l’affaire présentement examinée, puisque, contrairement à la norme attaquée dans l’arrêt précité, le décret attaqué n’instaure pas d’incriminations nouvelles, mais ne fait qu’augmenter les taux de peine existants.
De même, le Gouvernement flamand conteste la pertinence de l’avis de la section de législation du Conseil d’État. À l’inverse de ce que le Conseil d’État affirme, le régime attaqué n’a aucun lien avec la liberté d’expression, mais porte sur la fixation des conditions relatives à la commercialisation des animaux (article 10 de la loi du 14 août 1986, exécuté par l’article 27, § 3, de l’arrêté royal du 27 avril 2007).
A.11.2. D’autre part, le Gouvernement flamand estime que le décret attaqué ne viole pas la liberté d’expression. Il rappelle à cet égard que le décret attaqué n’instaure aucune interdiction de fournir de fausses informations et de faire de la publicité trompeuse, mais qu’il se borne à augmenter le taux de peine pour de telles infractions. Compte tenu de l’objectif de prévoir des sanctions efficaces, dissuasives et proportionnées, il est raisonnablement justifié de prévoir un taux de peine uniforme pour toutes les infractions, y compris celles à l’article 10 de la loi du 14 août 1986. Pour le reste, le Gouvernement flamand renvoie aux motifs exposés en A.5.3.
A.12. La partie intervenante estime que le troisième moyen n’est pas fondé. Le fait de réaliser de la publicité avec des photos d’animaux qui n’existent pas équivaut à une escroquerie, de sorte que l’objectif du législateur décrétal d’interdire de telles formes d’expression est légitime. La même chose vaut pour l’obligation qui incombe aux éleveurs occasionnels de ne faire de la publicité que dans des revues spécialisées. Cette obligation vise à lutter contre les achats impulsifs et les escroqueries sur les réseaux sociaux, si bien qu’elle répond également à un objectif d’intérêt général.
-B-
Quant au décret attaqué et à son contexte
B.1.1. Les parties requérantes demandent l’annulation du décret de la Région flamande du 4 février 2022 « modifiant la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, en ce qui concerne la mise à disposition d’une aggravation de la sanction » (ci-après :
le décret attaqué). Le décret attaqué prévoit une augmentation et une uniformisation des taux de peine pour les infractions à la loi du 14 août 1986 « relative à la protection et au bien-être des animaux » (ci-après : la loi du 14 août 1986).
8
B.1.2. Avant l’entrée en vigueur, le 20 mars 2022, de leur modification par les articles 2 à 8 du décret attaqué, les articles 35 à 37 et 39 à 41 de la loi du 14 août 1986 prévoyaient différentes fourchettes de peines. Ces articles disposaient, pour la Région flamande :
« Art. 35. Sans préjudice de l’application éventuelle de peines plus sévères prévues par le Code pénal, est puni d’un emprisonnement d’un mois à trois mois et d’une amende de 52 euros à 2.000 euros ou d’une de ces peines seulement, celui qui :
1° […]
2° organise des combats d’animaux ou organise des exercices de tir sur animaux, y participe avec ses animaux ou en tant que spectateur, y prête son concours d’une manière quelconque ou organise ou participe aux paris sur leurs résultats;
3° abandonne un animal avec l’intention de s’en défaire;
4° se livre à des interventions douloureuses en violation des prescriptions de l’article 18;
5° commet des amputations interdites par l’article 17bis;
6° se livre à des expériences dans des conditions contraires aux articles 20, 24 et 30;
7° introduit une demande d’agrément pour l’exploitation d’un établissement visé à l’article 5, § 1er, alors qu’il fait l’objet d’une interdiction visée au § 4 du même article;
8° gère un établissement visé à l’article 5, § 1er, et y exerce une surveillance directe sur les animaux alors qu’il fait l’objet d’une interdiction visée au § 4 du même article;
9° a des relations sexuelles avec des animaux;
10° en dépit d’une interdiction judiciaire de garder des animaux, imposée en vertu de l’article 40, détient des animaux.
Sans préjudice de l’application éventuelle de peines plus sévères prévues dans le Code pénal, est puni d’un emprisonnement d’un mois à six mois et d’une amende de 52 euros à 2.000 euros ou d’une de ces peines seulement, celui qui se livre, sauf pour des raisons de force majeure, à des actes non visés par la présente loi, qui ont pour conséquence de faire périr sans nécessité un animal ou de lui causer sans nécessité des lésions, mutilations, douleurs ou souffrances.
Art. 36. Sans préjudice de l’application, le cas échéant, de peines plus sévères fixées par le Code pénal, sera puni d’une amende de 52 euros à 2 000 euros, celui qui :
1° excite la férocité d’un animal en le dressant contre un autre animal;
9
2° administre ou fait administrer à un animal des substances déterminées par le Gouvernement flamand, qui ont pour but d’influencer ses prestations, ou qui sont de nature à empêcher le dépistage des produits stimulants;
3° enfreint les dispositions de l’article 4 du chapitre IV ou du chapitre VIII, autres que celles visées à l’article 35, 6°, ou d’arrêtés pris en exécution de ces dispositions;
4° ne se conforme pas aux mesures visées à l’article 4, § 5, et prescrites par les agents de l’autorité compétents ou rend inopérantes les mesures prises;
5° impose à un animal un travail dépassant manifestement ses capacités naturelles;
6° enfreint les dispositions du chapitre VI;
7° se sert de chiens comme bêtes de somme ou de trait, sous réserve des dérogations que le Gouvernement flamand peut accorder selon les conditions fixées par le Gouvernement flamand;
8° met en vente, vend, achète ou détient un oiseau aveugle;
9° utilise un animal à des fins de dressage, d’une mise en scène, de publicité ou à des fins similaires, dans la mesure où il est évident qu’il résulte de cette utilisation impropre des douleurs, des souffrances ou des lésions évitables;
10° agit à l’encontre de l’article 9quinquies ou de l’article 9sexies;
11° donne à un animal une substance qui peut lui causer des souffrances ou des lésions, sauf pour des raisons médicales ou pour les expériences définies au chapitre VIII;
12° en infraction à l’article 11, cède des animaux à des personnes de moins de 16 ans;
13° expédie un animal contre remboursement par voie postale;
14° se livre à une exploitation visée à l’article 5, § 1er, sans l’agrément requis par cet article, ou contrairement aux conditions visées à l’article 5, § 2, alinéas 1er et 2, enfreint les dispositions prises en exécution des articles 6 ou 7, et les obligations fixées par l’article 9, § 1er, alinéa 1er, par l’article 9, § 2, alinéas 1er et 2, et par les articles 10 et 12;
15° détient ou commercialise des animaux teints ou autrement artificiellement colorés;
16° propose ou décerne des animaux à titre de prix, de récompense ou de don lors d’achats, de concours, de loteries, de paris ou dans d’autres circonstances similaires, sauf les dérogations qui pourront être accordées par le Gouvernement flamand selon les conditions fixées par le Gouvernement flamand; ces dérogations ne peuvent être accordées qu’à l’occasion de festivités, marchés annuels, concours et autres manifestations ayant un caractère professionnel ou assimilé;
10
17° enfreint les dispositions du règlement (CE) n° 1/2005 du Conseil du 22 décembre 2004 relatif à la protection des animaux pendant le transport et les opérations annexes et modifiant les directives 64/432/CEE et 93/119/CE et le règlement (CE) n° 1255/97;
18° enfreint les dispositions du règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort.
20° enfreint les dispositions de l’article 6ter de la présente loi.
Art. 36bis. Sans préjudice de l’application de peines plus sévères portées par le Code pénal, est puni d’une amende de 52 euros à 2.000 euros celui qui organise une course de chevaux et/ou un entraînement en préparation à une course de ce genre ou qui y participe, si la course a lieu totalement ou partiellement sur la voie publique, dont le revêtement consiste en asphalte, béton, pavés, briques ou un autre matériau dur.
Art. 37. Outre les peines prévues aux articles 35 et 36, le tribunal peut ordonner la fermeture, pour une période d’un mois à trois ans, de l’établissement où les infractions ont été commises.
[…]
Art. 39. En cas de récidive dans les trois ans de la condamnation antérieure pour une des infractions prévues aux articles 35, 36, 36bis et 41, les peines de prison sont doublées ou, en cas de maltraitance ou négligence grave, multipliées par un facteur six, et les peines d’amendes sont portées à 5.000 euros ou, en cas de maltraitance ou de négligence grave, à 12.500 euros.
Le tribunal peut en outre ordonner, dans ces cas, la fermeture, définitive ou pour une période de deux mois à cinq ans, de l’établissement où les infractions ont été commises.
Art. 40. Le tribunal peut, accessoirement à une condamnation du chef d’une infraction définie par la présente loi, interdire définitivement ou pour une période d’un mois à trois ans la détention d’animaux d’une ou plusieurs espèces.
Art. 41. Les infractions à la présente loi ou à ses arrêtés d’exécution ou aux décisions et règlements européens en la matière qui ne sont pas reprises aux articles 35, 36, et 36bis sont punies d’une amende de 52 euros à 500 euros ».
B.1.3. Pour les infractions énumérées aux articles 35 (article 2 du décret attaqué), 36
(article 3 du décret attaqué), 36bis (article 4 du décret attaqué) et 41 (article 8 du décret attaqué)
de la loi du 14 août 1986, le décret attaqué prévoit un taux de peine uniforme, à savoir une peine d’emprisonnement de huit jours à cinq ans et/ou une amende de 52 euros à 100 000 euros (à majorer des décimes additionnels).
11
Le décret attaqué allonge en outre la durée de la fermeture de l’établissement dans lequel les infractions ont été commises, que le juge peut ordonner en vertu de l’article 37 de la loi du 14 août 1986. Désormais, le juge peut imposer la fermeture définitive ou une fermeture pendant une période d’un mois à cinq ans (article 5 du décret attaqué). Le décret attaqué prolonge de manière analogue la durée de l’interdiction de détenir des animaux prévue à l’article 40 de la loi du 14 août 1986. Désormais, le juge peut interdire définitivement ou pendant une période d’un mois à cinq ans la détention d’animaux d’une ou de plusieurs espèces (article 7 du décret attaqué).
Enfin, l’article 6 du décret attaqué modifie la disposition pénale relative à la récidive (article 39, alinéa 1er, de la loi du 14 août 1986). D’une part, le délai entre la condamnation pour le premier fait et la commission du second fait est porté à cinq ans. D’autre part, le taux de peine est augmenté à une peine d’emprisonnement et à une amende égales au double du maximum prévu pour la dernière infraction commise, ou d’une seule de ces peines, sans que cette peine puisse être inférieure à 200 euros ou à quinze jours d’emprisonnement. Le décret attaqué n’allonge pas la durée de la fermeture de l’établissement qui peut être imposée en plus de la peine d’emprisonnement et/ou de l’amende en cas de récidive (article 39, alinéa 2, de la loi du 14 août 1986).
B.2. Au cours des travaux préparatoires, le ministre compétent a souligné que le décret attaqué s’inscrivait dans une stratégie plus large de durcissement face aux infractions à la législation relative au bien-être animal, qui intervient à la suite du transfert aux régions de la compétence en matière de bien-être animal :
« Selon le ministre, le projet de décret constitue la clé de voûte d’une politique flamande résolue en matière de bien-être animal. Depuis que la compétence en la matière a été transférée à la Région flamande, le budget a été multiplié par huit. Grâce à cela, les autorités flamandes ont pu recruter plus d’inspecteurs, dont le nombre a triplé depuis. Cela a permis de collaborer plus et mieux avec les services de police et le parquet. Chaque zone de police dispose à présent d’un responsable chargé du bien-être animal. Le nombre de contrôles et de procès-verbaux (d’avertissement) a été démultiplié. Il en résultera logiquement une augmentation des amendes et des peines » (Doc. parl., Parlement flamand, 2021-2022, n° 960/2, p. 4).
12
Quant à l’intérêt
B.3.1. Le Gouvernement flamand conteste l’intérêt des parties requérantes.
B.3.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.3.3. La cinquième partie requérante, qui travaille en tant qu’éleveuse de chiens agréée et qui, en tant que telle, relève des dispositions de la loi du 14 août 1986, a un intérêt à attaquer les dispositions décrétales qui augmentent les taux de peine pour les infractions à cette loi.
Dès lors que la cinquième partie requérante justifie d’un intérêt à agir et que son recours est recevable, la Cour ne doit pas examiner s’il l’est aussi pour les autres parties requérantes.
B.4.1. Les parties requérantes contestent l’intérêt à intervenir de l’ASBL « Global Action in the Interest of Animals » (ci-après : l’ASBL « GAIA »).
B.4.2. Lorsqu’une association sans but lucratif qui n’invoque pas son intérêt personnel agit devant la Cour, il est requis que son but statutaire soit d’une nature particulière et, dès lors, distinct de l’intérêt général; qu’elle défende un intérêt collectif; que la norme attaquée soit susceptible d’affecter son but; qu’il n’apparaisse pas, enfin, que ce but n’est pas ou n’est plus réellement poursuivi.
B.4.3. En ce que l’ASBL « GAIA », renvoyant à ses statuts et à ses activités, fait valoir qu’elle a pour but de défendre les droits et les intérêts des animaux, elle justifie d’un intérêt suffisant à son intervention.
13
Quant à la violation alléguée des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de proportionnalité et avec le principe de la sécurité juridique
B.5. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation, par les articles 2
à 8 du décret attaqué, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de proportionnalité et avec le principe de la sécurité juridique. En prévoyant une uniformisation et une augmentation des taux de peine pour toutes les infractions à la loi du 14 août 1986, quelle que soit la gravité de l’infraction, les dispositions attaquées entraîneraient une identité de traitement injustifiée de personnes se trouvant dans des situations différentes.
B.6.1. Le Gouvernement flamand allègue que le moyen est irrecevable en ce qu’il est dirigé contre les articles 5 à 7 du décret attaqué, dès lors que les parties requérantes n’exposent pas en quoi ces dispositions violent les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.6.2.1. L’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 exige que la requête portant un recours en annulation expose, pour chaque moyen, en quoi les règles dont la violation est alléguée devant la Cour auraient été transgressées par la disposition décrétale attaquée.
B.6.2.2. Lorsque le moyen est pris de la violation du principe d’égalité et de non-
discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution, il doit préciser quelle est la catégorie de personnes dont la situation doit être comparée avec celle de la catégorie de personnes prétendument discriminée. Le moyen doit aussi préciser en quoi la disposition attaquée entraîne une différence de traitement qui serait discriminatoire.
B.6.2.3. Lorsqu’un moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec un principe général du droit garantissant un droit fondamental, la catégorie des personnes dont ce droit fondamental serait violé doit être comparée à la catégorie des personnes auxquelles ce droit fondamental est garanti.
14
B.6.3. Dès lors que les parties requérantes critiquent tous les articles du décret attaqué qui apportent des modifications aux taux de peine prévus par la loi du 14 août 1986, et donc également les articles 5 à 7 de ce décret, en ce qu’ils augmentent et uniformisent les taux de peine précités, le moyen satisfait aux exigences de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
L’exception est rejetée.
B.7.1. Dans leur mémoire en réponse, les parties requérantes font valoir que l’article 6 du décret attaqué viole l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, dès lors qu’en raison de la sévérité des peines applicables en cas de récidive, le contrevenant se verra contraint de vendre ses biens.
B.7.2. Il n’appartient pas aux parties requérantes de modifier, dans leur mémoire en réponse, le moyen du recours tel qu’elles l’ont elles-mêmes formulé dans la requête. Un grief qui, comme en l’espèce, est formulé dans un mémoire en réponse mais qui diffère de celui qui est énoncé dans la requête constitue un moyen nouveau et n’est pas recevable.
En ce qui concerne les articles 2, 3, 4 et 8 du décret attaqué
B.8. Selon les parties requérantes, les articles 2, 3, 4 et 8 du décret attaqué entraînent une identité de traitement injustifiée de personnes se trouvant dans des situations différentes, en ce que ces dispositions instaurent, pour les infractions aux articles 35, 36, 36bis et 41 de la loi du 14 août 1986, un taux de peine uniforme et plus sévère, à savoir une peine d’emprisonnement de huit jours à cinq ans et/ou une amende de 52 euros à 100 000 euros (à majorer des décimes additionnels), alors que les articles précités de la loi du 14 août 1986 portent tant sur des infractions administratives que sur des infractions qui causent une réelle souffrance aux animaux.
B.9. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère
15
objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s’oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.10. Le principe de la proportionnalité des sanctions pénales implique que la sanction prononcée par le juge doit se trouver dans un rapport raisonnable de proportionnalité avec l’infraction qu’elle punit, compte tenu des éléments de la cause.
B.11.1. Le principe de la sécurité juridique interdit au législateur de porter atteinte sans justification objective et raisonnable à l’intérêt que possèdent les sujets de droit d’être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes.
B.11.2. En matière pénale, le principe de la sécurité juridique est étroitement lié au principe – non invoqué par les parties requérantes – de légalité, garanti par les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, par l’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Le principe de légalité en matière pénale qui découle des dispositions constitutionnelles et conventionnelles précitées procède de l’idée que la loi pénale doit être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est ou non punissable et, le cas échéant, de connaître la peine encourue. Il exige que le législateur indique, en des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique, quels faits sont sanctionnés, afin, d’une part, que celui qui adopte un comportement puisse évaluer préalablement, de manière satisfaisante, quelle sera la conséquence pénale de ce comportement et afin, d’autre part, que ne soit pas laissé au juge un trop grand pouvoir d’appréciation.
16
Toutefois, le principe de légalité en matière pénale n’empêche pas que la loi attribue un pouvoir d’appréciation au juge. Il faut en effet tenir compte du caractère de généralité des lois, de la diversité des situations auxquelles elles s’appliquent et de l’évolution des comportements qu’elles répriment.
La condition qu’une infraction doit être clairement définie par la loi se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les juridictions, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.
Ce n’est qu’en examinant une disposition pénale spécifique qu’il est possible de déterminer, en tenant compte des éléments propres aux infractions qu’elle entend réprimer, si les termes généraux utilisés par le législateur sont à ce point vagues qu’ils méconnaîtraient le principe de légalité en matière pénale.
B.11.3. De même, afin de déterminer si les fourchettes des peines retenues par le législateur décrétal sont à ce point larges qu’elles violeraient le principe de prévisibilité de la peine, il faut tenir compte des spécificités des infractions auxquelles ces peines se rattachent.
B.12.1. L’exposé des motifs relatif au projet de décret ayant abouti au décret attaqué justifie la nécessité d’augmenter les taux de peine pour les infractions en matière de bien-être animal comme suit :
« L’on constate que les taux de peine actuellement prévus par la législation flamande relative au bien-être animal sont trop faibles pour être dissuasifs.
[…]
Au-delà de ce constat se pose aussi le problème qu’à l’heure actuelle, les personnes suspectées ne peuvent pas être détenues en vertu de la loi du 14 août 1986, dès lors qu’une peine privative de liberté d’au moins un an est requise pour pouvoir détenir une personne suspectée (cf. article 16, § 1er, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive). Il convient dès lors d’augmenter à un an d’emprisonnement correctionnel le maximum des peines légales d’emprisonnement. Cela permettra ainsi de procéder à une détention préventive, ce qui peut
17
s’avérer utile pour l’enquête, tout en permettant également de réaliser une foule d’autres actes d’instruction auxquels il est impossible de recourir aujourd’hui.
Il en résulte qu’une adaptation des peines applicables aux infractions à la législation relative au bien-être animal s’impose en Flandre, et ce, afin de permettre au juge de tenir pleinement compte de la gravité et des circonstances des faits, de même que de l’auteur de l’infraction. Les peines prévues par le décret du 5 avril 1995 contenant des dispositions générales concernant la politique de l’environnement ainsi que par les Régions wallonne et de Bruxelles-Capitale servent à cet égard d’inspiration. Il ne s’agit dès lors pas seulement d’augmenter les amendes et les peines d’emprisonnement, mais aussi d’allonger la durée pour laquelle le tribunal peut ordonner la fermeture de l’établissement dans lequel les infractions ont été commises ou prononcer l’interdiction de détenir des animaux d’une ou de plusieurs espèces.
L’instauration d’un taux de peine légal plus sévère illustre l’importance que la société ainsi que les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire attachent au bien-être des animaux » (Doc.
parl., Parlement flamand, 2021-2022, n° 960/1, p. 3).
La nécessité d’augmenter les taux de peine a aussi été justifiée par l’objectif consistant à « pouvoir réprimer les infractions à la législation relative au bien-être animal par des peines qui, d’une part, soient suffisamment dissuasives et découragent l’adoption du comportement indésirable et qui, d’autre part, induisent un changement de comportement et encouragent l’adoption du comportement souhaité, c’est-à-dire un comportement respectueux des animaux »
(ibid., p. 6).
B.12.2. Parallèlement, le législateur décrétal a également choisi d’uniformiser les différents taux de peine. En réaction à la suggestion de la section de législation du Conseil d’État consistant à prévoir deux types de taux de peine selon les caractéristiques spécifiques et la gravité de l’infraction (CE, avis n° 69.974/1/V du 6 septembre 2021, Doc. parl., Parlement flamand, 2021-2022, n° 960/1, p. 20), le législateur décrétal a répondu ce qui suit :
« Le choix a été fait de ne pas prévoir les deux types de taux de peine que suggère le Conseil d’État.
Il convient de rappeler que le projet de décret vise à uniformiser le taux de peine pour toutes les infractions en matière de bien-être animal, à savoir une peine d’emprisonnement de huit jours à cinq ans et/ou une amende de 52 euros à 100 000 euros. À cet égard, il a été choisi de n’augmenter que le montant maximum de l’amende, sans toucher au montant minimum. Cette uniformisation du taux de peine aboutit en pratique à une simplification du régime répressif ainsi qu’à une réduction des erreurs. Ce taux de peine permet au juge de réprimer adéquatement, en tenant compte de la gravité et des circonstances des faits, ainsi que de l’auteur de l’infraction.
Ce choix politique a été effectué, notamment, après la réalisation d’un exercice de droit comparé par rapport aux taux de peine appliqués en Région de Bruxelles-Capitale et en Région
18
wallonne pour les infractions en matière de bien-être animal. Il en ressort que la Région de Bruxelles-Capitale a fait le choix, elle aussi, de prévoir un seul et même taux de peine pour toutes les infractions à la loi du 14 août 1986, à savoir une peine d’emprisonnement de huit jours à deux ans et/ou une amende de 50 euros à 100 000 euros (cf. le taux de peine uniforme pour toutes les infractions environnementales en région bruxelloise). En Wallonie, par contre, il existe trois taux de peine différents, à savoir premièrement, une peine d’emprisonnement de huit jours à trois ans et/ou une amende de 100 euros à 1 000 000 euros; deuxièmement, une peine d’emprisonnement de huit jours à six mois et/ou une amende de 100 euros à 100 000 euros; enfin, troisièmement, une peine d’emprisonnement de dix à quinze ans et/ou une amende de 100 000 euros à 10 000 000 euros. En d’autres termes, le constat qui s’impose est que les autres régions du pays ont elles aussi opté pour la plus grande uniformité possible en ce qui concerne la peine minimum et la peine maximum, la fixation précise de la sanction étant laissée à l’appréciation du juge. La Région flamande a aussi choisi cette option politique.
Il peut également être observé que si la Région wallonne a effectivement prévu trois taux de peine, ceux-ci sont significativement plus élevés que celui que propose le présent projet de décret.
Les sanctions pénales dans les matières qui ont trait au bien-être animal doivent être efficaces, dissuasives et proportionnées. Ainsi que cela a été dit, le choix qui est posé est celui de l’uniformité et de l’absence de toute distinction selon l’infraction concernée, puisque la gravité concrète de l’infraction sera déterminée in concreto par le juge, en fonction, notamment, de l’intention de l’auteur et des conséquences concrètes des actes de ce dernier. Par ailleurs, en présence de circonstances atténuantes, le juge peut aussi infliger une peine plus légère que le minimum légal, notamment en recourant aux instruments du droit pénal tels que le sursis probatoire ou la suspension du prononcé. Partant, l’on considère comme judicieux de prévoir, pour toutes les infractions en matière de bien-être animal, une seule série de peines qui soit suffisamment large, de manière à permettre au juge, dans tous les cas, d’infliger une sanction suffisamment efficace, dissuasive et proportionnée, compte tenu des circonstances.
Le projet de décret prévoit systématiquement une peine d’emprisonnement et une amende, ou une de ces sanctions seulement. En d’autres termes, le juge ne prononcera une peine d’emprisonnement que s’il y a des motifs pour la justifier. Tout jugement doit en effet être suffisamment motivé et circonstancié. D’autre part, le non-respect d’une obligation administrative ou une infraction mineure peuvent certes justifier une sanction légère, mais dans le cas, par exemple, d’une violation systématique et à grande échelle de cette même obligation administrative, une infraction à une obligation administrative pourra même parfaitement justifier une peine d’emprisonnement.
En ce qui concerne la répression des infractions à l’article 41 de la loi relative à la protection et au bien-être des animaux, il y a lieu de signaler que la loi actuelle date de 1986.
Au fil des ans, le texte initial a certes connu des modifications ad hoc en vue d’adapter la loi au gré de l’évolution des conceptions et des attentes en matière de bien-être animal. Cependant, les infractions qui sont explicitement mentionnées dans les articles 35, 36 et 36bis de la loi du 14 août 1986 ne constituent toujours pas pour autant un cadre complètement limitatif adapté aux connaissances et attentes actuelles de la société. Il ne saurait donc être admis que les infractions mentionnées à l’article 41 exigeront par définition un taux de peine plus faible. Il s’avère par ailleurs qu’il ne faut pas seulement tenir compte de la nature de l’infraction, mais également de la répétitivité, de l’intention de l’auteur et des conséquences des actes de ce dernier » (ibid., pp. 4-5).
19
B.13.1. L’appréciation de la gravité d’une infraction et de la sévérité avec laquelle l’infraction peut être punie relève du pouvoir d’appréciation du législateur compétent. Il peut imposer des peines particulièrement lourdes dans des matières où les infractions sont de nature à porter gravement atteinte aux droits fondamentaux des individus et aux intérêts de la collectivité.
C’est dès lors au législateur compétent qu’il appartient de fixer les limites et les montants à l’intérieur desquels le pouvoir d’appréciation du juge doit s’exercer. La Cour ne pourrait censurer un tel système que s’il était déraisonnable.
La Cour empiéterait sur le domaine réservé au législateur si, en s’interrogeant sur la justification des différences qui existent entre les nombreux textes législatifs portant des sanctions, elle émettait chaque fois une appréciation sur la base d’un jugement de valeur concernant le caractère répréhensible des faits en cause par rapport à d’autres faits punissables.
S’agissant de l’échelle des peines, l’appréciation de la Cour doit se limiter aux cas dans lesquels le choix du législateur contient une incohérence telle qu’elle aboutit à traiter de manière déraisonnable des infractions comparables.
B.13.2. La protection du bien-être animal est un but légitime d’intérêt général, dont l’importance a déjà été relevée, notamment, dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJCE, 17 janvier 2008, C-37/06 et C-58/06, Viamex Agrar Handels e.a., ECLI:EU:C:2008:18, point 22; 19 juin 2008, C-219/07, Nationale Raad van Dierenkwekers en Liefhebbers e.a., ECLI:EU:C:2008:353, point 27; CJUE, 10 septembre 2009, C-100/08, Commission c. Belgique, ECLI:EU:C:2009:537, point 91; 23 avril 2015, C-424/13, Zuchtvieh-
Export, ECLI:EU:C:2015:259, point 35; 17 décembre 2020, C-336/19, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a., ECLI:EU:C:2020:1031, point 63), ainsi que lors de l’établissement, par les États membres européens, du Protocole n° 33 sur la protection et le bien-être des animaux, annexé au Traité instituant la Communauté européenne (Journal officiel, 1997, C 340, p. 110), dont le contenu a été repris en grande partie dans l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE).
Le législateur décrétal poursuit tout autant un objectif légitime lorsqu’il entend, d’une part, durcir les sanctions pénales pour les infractions en matière de bien-être animal en Région flamande et, d’autre part, rationaliser et simplifier ces sanctions.
20
Par sa volonté d’encourager un changement de comportement et de refléter l’importance que la société attache au bien-être animal, le décret attaqué s’inscrit aussi dans une évolution de la société marquée par une sensibilisation accrue aux règles en matière de bien-être animal, une évolution qui avait déjà été amorcée avec l’adoption de la loi du 14 août 1986. L’on peut lire dans les travaux préparatoires du projet de loi ayant abouti à cette loi que la législation antérieure avait mis l’accent sur la protection des animaux tandis que « [les] conditions de vie de l’animal dans la société moderne ont changé à un point tel qu’actuellement, sur la base des idées éthiques y afférente, on veut aller beaucoup plus loin, le bien-être général des animaux doit également être poursuivi d’une manière active, ce qui veut dire qu’il faut satisfaire à leurs besoins » (Doc. parl., Sénat, 1982-1983, n° 469/1, p. 1; voy. aussi Doc. parl., Chambre, 1985-1986, n° 264/10, pp. 5 et 7). Cela explique pourquoi la loi du 14 août 1986 ne se borne pas à interdire de faire périr sans nécessité un animal ou de lui causer sans nécessité des lésions, des mutilations, des douleurs ou des souffrances (article 1er de la loi du 14 août 1986). En vertu de l’article 4, § 1er, de la loi du 14 août 1986, toute personne qui détient un animal, qui en prend soin ou doit en prendre soin, doit prendre les mesures nécessaires afin de procurer à l’animal une alimentation, des soins et un logement qui conviennent à sa nature, à ses besoins physiologiques et éthologiques, à son état de santé et à son degré de développement, d’adaptation ou de domestication. La loi du 14 août 1986 prévoit en outre diverses dispositions instituant des obligations négatives ou positives aux fins de promouvoir le bien-être animal.
Au fil des ans, la manière d’appréhender juridiquement les animaux a subi une évolution :
d’abord objets de droit soumis au droit de propriété, les animaux sont devenus des êtres doués de sensibilité et ayant des besoins biologiques (comparez l’article 3.39, alinéa 1er, du Code civil, inséré par l’article 2 de la loi du 4 février 2020 « portant le livre 3 ‘ Les biens ’ du Code civil »; comparez, pour la Région de Bruxelles-Capitale, l’article 1er, alinéa 1er, de la loi du 14 août 1986, inséré par l’article 2 de l’ordonnance du 6 décembre 2018 « portant modification de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux visant à la reconnaissance du statut spécifique de l’animal »; comparez, pour la Région wallonne, l’article D.1, alinéa 1er, du Code wallon du bien-être des animaux, inséré par le décret de la Région wallonne du 4 octobre 2018 « relatif au Code wallon du Bien-être des animaux »). Cette prise de conscience sociétale s’opère également au niveau de l’Union européenne. Bien que les
21
animaux soient encore considérés comme des biens dans le droit de l’Union, diverses initiatives ont néanmoins été prises pour inciter les institutions comme les États membres à adopter une législation plus sévère en matière de bien-être animal, assortie de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives. La Cour de justice de l’Union européenne a elle aussi reconnu que le bien-être animal s’inscrit dans un contexte en évolution sur les plans tant sociétal que normatif, qui se caractérise par une sensibilisation croissante (CJUE, 17 décembre 2020, C-336/19, précité, points 77 et 79).
B.13.3. À la lumière de ce qui précède, l’augmentation et l’uniformisation des taux de peine pour les infractions en matière de bien-être animal constituent toutes deux des mesures pertinentes.
Comme il est dit en B.2, l’augmentation des taux de peine comme composante d’une stratégie plus large de durcissement est de nature à réduire le nombre d’infractions à la législation relative au bien-être animal et d’inciter les individus à ajuster leur comportement à l’égard des animaux. Une peine qui vise à changer les mentalités ne peut être utile que si elle est suffisamment dissuasive.
En outre, si l’évolution des conceptions et attentes en matière de bien-être animal a entraîné une augmentation des obligations destinées à prévenir la souffrance animale et à promouvoir le bien-être animal, elle a aussi eu pour effet qu’il n’est pas toujours possible d’effectuer une division stricte entre les différentes infractions selon leur gravité. Certaines des infractions définies par les parties requérantes comme étant des « infractions administratives » peuvent donner lieu à des fraudes ou à d’autres infractions graves en matière de bien-être animal.
Partant, le législateur décrétal a pu considérer qu’au lieu d’opérer une distinction entre les taux de peine en fonction de la nature précise de l’infraction, il s’avérait plus judicieux de fixer un taux de peine unique avec un écart suffisant entre la sanction minimale et la sanction maximale, afin d’offrir au juge la possibilité d’adapter la sanction à la gravité de l’infraction, compte tenu des circonstances concrètes de l’affaire. Les spécificités des infractions en matière de bien-être animal peuvent ainsi conduire le législateur décrétal à mettre à la disposition du juge un large éventail de sanctions. L’importance de la différence entre la sanction minimale et la sanction
22
maximale permet précisément au juge d’infliger la sanction la plus adéquate au regard de l’infraction commise et favorise dès lors le respect du principe de la proportionnalité des peines.
B.13.4.1. Les dispositions attaquées ne produisent pas des effets disproportionnés.
B.13.4.2. Tout d’abord, en prévoyant qu’une infraction énumérée aux articles 35, 36, 36bis et 41 de la loi du 14 août 1986 peut être sanctionnée d’une peine d’emprisonnement de huit jours à cinq ans et/ou d’une amende de 52 euros à 100 000 euros, les dispositions attaquées permettent aux justiciables d’estimer quel type de sanction et quelle sanction minimale et maximale ils peuvent se voir infliger. Il convient également de prendre en compte à cet égard qu’en règle, les personnes qui détiennent ou commercialisent un animal connaissent ou doivent connaître la législation relative au bien-être animal et que, partant, il faut supposer qu’elles peuvent évaluer avec suffisamment de précision la gravité de l’infraction qu’elles commettent et l’importance corrélative de la sanction à laquelle elles s’exposent.
B.13.4.3. En outre, le juge est en tout état de cause tenu de respecter le principe de proportionnalité et, par conséquent, de veiller à ce que la sanction qu’il impose soit proportionnée à la gravité du comportement punissable.
En outre, les dispositions attaquées n’instaurent pas une incrimination nouvelle, mais elles prévoient uniquement une aggravation de la sanction. De surcroît, elles modifient uniquement le montant maximum de l’amende. Elles n’affectent en rien le montant minimum de l’amende.
B.13.4.4. En ce qui concerne les peines d’emprisonnement, il y a lieu de constater que, pour les infractions mentionnées à l’article 35 de la loi du 14 août 1986, seule la durée maximale de la peine d’emprisonnement est augmentée, la durée minimale étant, quant à elle, abaissée.
Pour les infractions mentionnées aux articles 36, 36bis et 41 de la loi du 14 août 1986, il s’agit certes de la première fois qu’une peine d’emprisonnement est prévue. Cela étant, les dispositions attaquées permettent non seulement de choisir une sanction dans de larges fourchettes de peines, mais aussi d’infliger seulement soit une peine d’emprisonnement, soit une amende. Partant, ainsi que l’a également observé le ministre compétent au cours des travaux préparatoires du décret attaqué, les dispositions attaquées ne s’opposent pas à ce que les infractions que les parties requérantes définissent comme des infractions administratives légères ne soient pas sanctionnées plus lourdement qu’avant l’entrée en vigueur des dispositions
23
attaquées (Doc. parl., Parlement flamand, 2021-2022, n° 960/1, p. 6, et ibid., n° 960/2, p. 5).
Le juge est par ailleurs tenu de motiver la peine qu’il choisit d’infliger.
B.13.4.5. Ensuite, chaque infraction à la loi du 14 août 1986 ne doit pas forcément donner lieu à des poursuites pénales. C’est ainsi, premièrement, que le ministre qui a le Bien-être animal dans ses attributions peut retirer l’agrément d’un établissement qui ne satisfait plus aux conditions prévues par la loi et ses arrêtés d’exécution (conformément à l’article 2, § 2, de l’arrêté royal du 27 avril 2007 « portant les conditions d’agrément des établissements pour animaux et portant les conditions de commercialisation des animaux »). Deuxièmement, en cas de constat d’une infraction à la loi du 14 août 1986, à un de ses arrêtés d’exécution ou à des décisions et règlements européens en la matière, les membres du personnel du service désigné par le Gouvernement flamand peuvent adresser au contrevenant un avertissement le mettant en demeure de mettre fin à cette infraction (article 34, § 5, de la loi du 14 août 1986).
Troisièmement, l’article 41bis de la loi du 14 août 1986, modifié pour la dernière fois par l’article 36 du décret de la Région flamande du 13 juillet 2018 « modifiant la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux dans le cadre de la sixième réforme de l’État », prévoit la possibilité pour le fonctionnaire du département Environnement d’infliger, pour les infractions à la loi du 14 août 1986, une amende administrative, dont le paiement volontaire par le contrevenant éteint l’action publique. Au cours des travaux préparatoires du décret attaqué, le ministre compétent a précisé qu’« actuellement, les infractions sont déjà traitées administrativement », en particulier lorsqu’il s’agit d’une « infraction limitée à la loi du 14 août 1986 », et que cette pratique « est maintenue » (Doc. parl., Parlement flamand, 2021-
2022, n° 960/2, pp. 5 et 9).
B.13.4.6. Enfin, les dispositions attaquées ne modifient pas l’article 38 de la loi du 14 août 1986, qui déclare les dispositions du livre I du Code pénal, en ce compris son article 85, applicables aux infractions à cette loi. Pour les infractions à la loi précitée, le juge peut condamner, à titre de peine principale, à une peine de travail (conformément aux articles 37quinquies à 37septies du Code pénal) ou à une peine de probation autonome (conformément aux articles 37octies à 37undedies du Code pénal) et réduire la peine d’emprisonnement et/ou l’amende s’il existe des circonstances atténuantes (article 85 du Code
24
pénal). Les dispositions attaquées n’affectent pas davantage les dispositions de la loi du 29 juin 1964 « concernant la suspension, le sursis et la probation » (ci-après : la loi du 29 juin 1964).
B.13.5. Il découle de ce qui précède que, même si les dispositions attaquées accordent au juge un large pouvoir d’appréciation, elles ne lui attribuent pas un pouvoir d’appréciation qui excéderait les limites de ce qu’admettent le principe de la sécurité juridique et le principe de proportionnalité.
B.14. Par conséquent, le premier moyen n’est pas fondé en ce qu’il est dirigé contre les articles 2, 3, 4 et 8 du décret attaqué.
En ce qui concerne les articles 5 et 7 du décret attaqué
B.15. Les parties requérantes critiquent les articles 5 et 7 du décret attaqué en ce que ces dispositions augmentent les taux de peine prévus, respectivement, à l’article 37 et à l’article 40
de la loi du 14 août 1986, indépendamment de la nature de l’infraction.
B.16. L’article 37 de la loi du 14 août 1986, après sa modification par l’article 5 du décret attaqué, dispose, pour la Région flamande :
« Outre les peines prévues aux articles 35 et 36, le tribunal peut ordonner la fermeture, définitivement ou pour une période d’un mois à cinq ans, de l’établissement où les infractions ont été commises ».
Avant l’entrée en vigueur de l’article 5 du décret attaqué, le juge pouvait, comme il est dit en B.1.2, imposer une fermeture d’un mois à trois ans.
B.17. L’article 40 de la loi du 14 août 1986, après sa modification par l’article 7 du décret attaqué, dispose, pour la Région flamande :
« Le tribunal peut, accessoirement à une condamnation du chef d’une infraction définie par la présente loi, interdire définitivement ou pour une période d’un mois à cinq ans la détention d’animaux d’une ou plusieurs espèces ».
25
Avant l’entrée en vigueur de l’article 7 du décret attaqué, le juge pouvait, comme il est dit en B.1.2, interdire définitivement ou pour une période d’un mois à trois ans la détention d’animaux d’une ou de plusieurs espèces.
B.18.1. En ce que, par leur critique dirigée contre l’article 5 du décret attaqué, les parties requérantes viseraient l’application de cette disposition aux infractions prévues à l’article 41 de la loi du 14 août 1986, leur moyen repose sur une prémisse erronée, dès lors qu’il découle du texte de l’article 37 de la loi du 14 août 1986, qui n’a pas été modifié sur ce point par l’article 5
du décret attaqué, que la fermeture de l’établissement ne peut être prononcée que pour les infractions prévues aux articles 35 et 36 de la loi précitée.
B.18.2. Pour le surplus, la peine accessoire de la fermeture de l’établissement s’applique déjà depuis l’entrée en vigueur de la loi du 14 août 1986 sans distinction à toutes les infractions visées dans les articles 35 et 36 de cette loi. Il en va de même pour la peine accessoire de l’interdiction de détenir des animaux, qui s’applique déjà depuis l’entrée en vigueur de la loi du 14 août 1986 à toute infraction à cette loi, et donc tant à une infraction visée dans ses articles 35, 36 et 36bis qu’à une infraction prévue à son article 41.
B.19.1. En ce qui concerne la peine accessoire de la fermeture de l’établissement, il ressort du B.1.2 que l’article 39, alinéa 2, de la loi du 14 août 1986 prévoyait déjà une fourchette de peines analogue avant l’entrée en vigueur du décret attaqué, plus précisément une fermeture définitive ou pour une période de deux mois à cinq ans. Cette peine accessoire ne pouvait cependant être infligée par le juge qu’en cas de récidive. L’article 5 du décret attaqué généralise donc aujourd’hui l’application de cette large fourchette de peines, étant entendu que la durée minimale de fermeture est réduite.
Les travaux préparatoires du décret attaqué justifient cette généralisation en énonçant que « les instruments dont dispose le juge pour faire respecter les lois doivent être suffisamment larges pour lui permettre d’infliger une sanction adéquate et suffisante dans des situations concrètes, et ce, peu importe qu’il y ait ou non récidive après une précédente condamnation »
(Doc. parl., Parlement flamand, 2021-2022, n° 960/1, p. 6; ibid., n° 960/2, p. 6).
26
C’est dans le même sens que l’article 7 du décret attaqué augmente uniquement la durée maximale pour laquelle le juge peut prononcer l’interdiction de détenir des animaux, « par analogie avec la durée pour laquelle la fermeture de l’établissement où des infractions ont été commises peut être ordonnée » (Doc. parl., Parlement flamand, 2021-2022, n° 960/1, p. 6;
ibid., n° 906/2, p. 6).
B.19.2. La fermeture de l’établissement et l’interdiction de détenir des animaux se distinguent par la nature des personnes visées par ces deux sanctions. Si la peine accessoire prévue à l’article 37 ne s’applique qu’aux personnes qui détiennent ou commercialisent des animaux à titre professionnel, la peine accessoire prévue à l’article 40 vise, si pas exclusivement, en tout cas en premier lieu les particuliers (comparez Doc. parl., Sénat, 1982-
1983, n° 469/11, p. 52). Pour le reste, il s’agit de peines similaires, au sens où elles ont toutes deux pour effet d’interdire temporairement ou définitivement à l’auteur de l’infraction de détenir ou de commercialiser des animaux.
La fermeture de l’établissement et l’interdiction de détenir des animaux ont la même finalité. Les deux peines présentent un lien de causalité avec l’infraction commise et peuvent, en ce sens, contribuer à sensibiliser l’auteur de l’infraction aux effets qu’a pu produire le comportement spécifique pour lequel il a été condamné. Dès lors qu’elles peuvent réduire le risque d’infractions futures à la loi du 14 août 1986, ces peines promeuvent également le bien-
être animal.
B.19.3. À la lumière de l’objectif du législateur décrétal d’instaurer, comme il est dit en B.12.1, des peines plus sévères, aux effets dissuasifs, pour les infractions à la loi du 14 août 1986 et d’insuffler un changement dans les comportements humains à l’égard des animaux, il s’avère pertinent d’augmenter non seulement les fourchettes des peines principales d’emprisonnement et d’amende, mais aussi les fourchettes des peines accessoires, de même qu’il est pertinent, en ce qui concerne la fermeture de l’établissement, de donner la possibilité au juge de prononcer cette sanction également en dehors de l’hypothèse d’une récidive. À cet égard, le législateur décrétal a de surcroît veillé à faire preuve de cohérence en faisant correspondre la durée maximale des deux peines accessoires. Pour les motifs qui sont mentionnés en B.13.3, le législateur décrétal a pu considérer qu’il n’était pas opportun de revenir sur le choix qui avait été fait lors de l’instauration de la loi du 14 août 1986 d’appliquer la peine de la fermeture de l’établissement sans distinction à toutes les infractions prévues aux
27
articles 35 et 36 de la loi précitée et d’appliquer sans distinction à toute infraction à cette loi la peine de l’interdiction de détenir des animaux.
B.20.1 Les dispositions attaquées ne produisent pas des effets disproportionnés.
B.20.2. En effet, les dispositions attaquées permettent aux justiciables d’évaluer quel type de peine accessoire et quelle peine minimale et maximale ils peuvent se voir infliger. Par ailleurs, comme il est dit en B.13.4.2, le décret attaqué vise des personnes dont il peut être supposé qu’elles connaissent la législation relative au bien-être animal ainsi que les risques que la détention ou la commercialisation d’animaux peuvent entraîner.
B.20.3. Ensuite, les dispositions attaquées augmentent uniquement la durée maximale de la fermeture de l’établissement et de l’interdiction de détenir des animaux; la durée minimale relative à la peine accessoire de l’interdiction de détenir des animaux ne subit aucune modification, alors que la durée minimale de la peine accessoire relative à la fermeture de l’établissement est réduite par rapport à l’ancienne législation. En outre, en ce qui concerne spécifiquement la peine prévue à l’article 40 de la loi du 14 août 1986, il découle de la formulation de cet article que l’interdiction peut être limitée à un ou plusieurs animaux ou à une ou plusieurs espèces d’animaux. Rien ne s’oppose donc à ce que le juge permette à l’auteur d’une infraction à la loi précitée de détenir encore des animaux.
B.20.4. En outre, les dispositions attaquées ne reviennent pas sur le caractère facultatif des peines accessoires. Le juge peut prononcer la fermeture de l’établissement ou l’interdiction de détenir des animaux, mais il n’y est pas contraint. Dès lors, le juge qui souhaite imposer la fermeture de l’établissement ou une interdiction de détenir des animaux, en plus de la peine d’emprisonnement et/ou d’une amende, doit motiver son choix. Il devra tenir compte à cet égard de la gravité du comportement punissable, une obligation qui découle également du principe de proportionnalité, qui est applicable en tout état de cause.
B.20.5. Enfin, les dispositions attaquées n’affectent pas la loi du 29 juin 1964.
B.21. Par conséquent, le premier moyen n’est pas fondé en ce qu’il est dirigé contre les articles 5 et 7 du décret attaqué.
28
En ce qui concerne l’article 6 du décret attaqué
B.22. Les parties requérantes allèguent la violation, par l’article 6 du décret attaqué, des normes de contrôle mentionnées en B.5, en ce qu’il prévoit le doublement du taux de peine en cas de récidive aussi dans l’hypothèse d’une infraction prévue à l’article 41 de la loi du 14 août 1986.
B.23. L’article 39, alinéa 1er, de la loi du 14 août 1986, après sa modification par l’article 6 du décret attaqué, dispose, pour la Région flamande :
« Celui qui, dans les cinq ans après la condamnation pour une des infractions visées aux articles 35, 36, 36bis et 41, commet une nouvelle infraction à ces articles, peut être puni d'un emprisonnement et d'une amende égaux au double du maximum prévu pour la dernière infraction commise, ou d’une seule de ces peines, sans que cette peine puisse être inférieure à 200 euros ou à quinze jours d’emprisonnement ».
Avant l’entrée en vigueur de l’article 7 du décret attaqué, le juge pouvait, comme il est dit en B.1.2, doubler les peines d’emprisonnement ou infliger une amende maximale de 5 000 euros en cas de récidive dans les trois ans de la condamnation antérieure pour une infraction prévue aux articles 35, 36, 36bis ou 41 de la loi du 14 août 1986. En cas de maltraitance ou de négligence graves, les peines d’emprisonnement étaient multipliées par un facteur six et les amendes étaient augmentées jusqu’à 12 500 euros.
Il en résulte que l’article 6 du décret attaqué allonge le délai entre la condamnation pour le premier fait et la commission du second fait, augmente la peine d’emprisonnement et l’amende maximales, et instaure une peine d’emprisonnement et une amende minimales.
B.24. Les travaux préparatoires du décret attaqué justifient la modification du régime de récidive comme suit :
« Toute personne qui récidive dans un délai de cinq ans suivant une condamnation antérieure et qui commet une nouvelle infraction encourt, du fait de la modification apportée à l’article 39 de la loi du 14 août 1986, une peine d’emprisonnement et une amende égales au
29
double du maximum prévu pour la dernière infraction commise, ou une de ces peines seulement, sans que cette peine puisse être inférieure à 200 euros ou à quinze jours d’emprisonnement. Il s’agit en effet, dans les cas d’infractions répétées, de contrevenants s’obstinant dans la malveillance, une réalité à laquelle le système de sanctions doit s’adapter. L’instauration d’un tel système de sanction progressif poursuit dès lors un double objectif : elle répond à l’esprit de justice des citoyens et permet une sanction sur mesure du contrevenant considéré individuellement.
En ce sens, donc, le délai actuel de trois ans suivant une condamnation antérieure est porté à cinq ans. Il s’agit d’une nécessité si l’on veut tenir compte du temps dont a besoin le parquet du procureur du Roi pour mener l’enquête avant de décider de procéder à la citation de l’inculpé, mais aussi de la lenteur de l’administration de la justice une fois que le dossier a été soumis au juge pénal compétent, tout cela rendant le délai de récidive de trois ans suivant une condamnation antérieure insignifiant en pratique » (Doc. parl., Parlement flamand, 2021-2022, n° 960/1, pp. 6-7, et ibid., n° 960/2, pp. 5-6).
B.25. Il appartient au législateur compétent de décider s’il convient d’opter pour une répression aggravée à l’égard de certaines formes de délinquance.
L’article 6 du décret attaqué vise à sanctionner la récidive, c’est-à-dire le cas dans lequel l’auteur d’une première infraction, puni à raison de ce fait, en commet une seconde. Parce qu’elle peut généralement être considérée comme une circonstance aggravante et parce qu’elle témoigne de l’inefficacité de la première peine à inciter le condamné à respecter la loi, la récidive justifie l’application d’une peine plus sévère (comparez, en ce qui concerne l’article 56, alinéa 2, du Code pénal, avec l’arrêt de la Cour n° 185/2014 du 18 décembre 2014, ECLI:BE:GHCC:2014:ARR.185, B.9).
Compte tenu de la ratio legis générale du décret attaqué, mentionnée en B.12.1, et de la ratio legis spécifique du régime de récidive, mentionnée en B.24, il est pertinent d’augmenter non seulement les taux de peine applicables au premier fait punissable, mais aussi les taux de peine applicables en cas de récidive légale. Pour les motifs qui sont mentionnés en B.13.3, le législateur décrétal a pu estimer qu’il n’y avait pas non plus lieu de prévoir une fourchette de peines différenciée pour le régime de récidive.
B.26.1. La disposition attaquée ne produit pas des effets disproportionnés.
B.26.2. En effet, ainsi qu’il ressort du B.23, la disposition attaquée n’instaure pas une peine nouvelle ni une incrimination nouvelle, mais elle ne fait que modifier les modalités du
30
régime de récidive existant. Par ailleurs, en ce qui concerne la récidive, le législateur décrétal a uniquement augmenté le plafond maximum des peines principales, mais il n’a pas prévu de modalités plus sévères pour les peines accessoires. En portant à cinq ans le délai entre la condamnation pour le premier fait et la commission du second fait, en fixant le maximum au double de l’amende maximale ou de la peine d’emprisonnement maximale pour la dernière infraction commise, et en instaurant pour ces peines un minimum qui se trouve dans le prolongement de l’amende minimale et de la peine d’emprisonnement minimale pour une première infraction, le législateur décrétal a prévu des taux de peine qui ne sont pas disproportionnés ni insuffisamment prévisibles. La disposition attaquée prend en outre la condamnation pour une infraction visée aux articles 35, 36, 36bis et 41 de la loi du 14 août 1986
comme point de départ du délai dans lequel la seconde infraction doit avoir été commise pour qu’il soit question de récidive, la date de condamnation devant être comprise comme la date d’une décision de condamnation du juge pénal passée en force de chose jugée (Cass., 1er mars 1977, Pas., 1977, I, pp. 689-692, ECLI:BE:CASS:1977:ARR.19770301.4; Cass., 17 juin 1980, Pas., 1980, I, p. 1281, ECLI:BE:CASS:1980:ARR.19800617.7; Cass., 5 octobre 1999, P.99.0695.N, ECLI:BE:CASS:1999:ARR.19991005.12). Ce faisant, le législateur décrétal a opté pour un critère sûr, non susceptible de contestation et qui peut être établi de manière objective.
B.26.3. Ensuite, la disposition attaquée permet au juge non seulement de choisir une sanction dans de larges fourchettes de peines, mais également de n’imposer qu’une seule des deux peines. Pour le reste, la disposition attaquée n’affecte pas le caractère facultatif du régime de récidive et n’entraîne pas non plus automatiquement une aggravation de la peine, de sorte que rien n’empêche le juge d’infliger une peine inférieure au maximum de l’amende ou de la peine d’emprisonnement qui a été fixé pour le premier fait.
B.26.4. En outre, comme il a été dit pour les autres dispositions du décret attaqué, le juge est en tout état de cause tenu de respecter le principe de proportionnalité, de sorte que même en cas de récidive, il doit veiller à prononcer une peine qui soit proportionnée à la gravité du comportement punissable. À cet égard, le juge devra également motiver son choix s’il opte pour une peine plus lourde.
B.26.5. Enfin, le juge peut prononcer une peine de travail, réduire la peine d’emprisonnement et/ou l’amende en présence de circonstances atténuantes et, pour autant que
31
les conditions d’application de la loi du 29 juin 1964 soient respectées, accorder une suspension du prononcé ou un sursis de la peine d’emprisonnement ou de l’amende.
B.27. Par conséquent, le premier moyen n’est pas fondé en ce qu’il est dirigé contre l’article 6 du décret attaqué.
Quant à la violation alléguée de la liberté de commerce et d’industrie
B.28. Dans le deuxième moyen, les parties requérantes invoquent la violation, par le décret attaqué, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980). Selon les parties requérantes, l’aggravation de la sanction pour les infractions légères et le durcissement des règles de la récidive pour les infractions administratives limitées, prévus par le décret attaqué, les découragent de lancer ou de poursuivre une activité dans le secteur animal, de sorte que le décret attaqué limite de manière disproportionnée leur liberté de commerce et d’industrie.
B.29.1. L’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose :
« En matière économique, les Régions exercent leurs compétences dans le respect des principes de la libre circulation des personnes, biens, services et capitaux et de la liberté de commerce et d’industrie, ainsi que dans le respect du cadre normatif général de l’union économique et de l’unité monétaire, tel qu’il est établi par ou en vertu de la loi, et par ou en vertu des traités internationaux ».
Cette disposition garantit la liberté de commerce et d’industrie. Il s’agit d’une disposition au regard de laquelle la Cour peut effectuer directement un contrôle, en tant que règle répartitrice de compétences.
B.29.2. La liberté de commerce et d’industrie ne peut être conçue comme une liberté absolue. Elle ne fait pas obstacle à ce que le législateur compétent règle l’activité économique des personnes et des entreprises. Celui-ci n’interviendrait de manière déraisonnable que s’il limitait la liberté de commerce et d’industrie sans aucune nécessité ou si cette limitation était disproportionnée au but poursuivi.
32
B.29.3. Bien que les peines plus sévères instaurées par le décret attaqué ne s’appliquent pas au simple exercice professionnel d’une activité consistant en la détention ou la commercialisation d’animaux, mais uniquement lorsqu’une telle activité est exercée en violation des dispositions prévues par la législation relative au bien-être animal, le décret attaqué peut limiter la liberté de commerce et d’industrie des personnes qui détiennent ou commercialisent des animaux à titre professionnel, en ce qu’il augmente les taux de peine pour les infractions à la loi du 14 août 1986.
B.30.1. Comme il est dit en B.13.2, la protection du bien-être animal constitue un objectif légitime d’intérêt général reconnu par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et par l’article 13 du TFUE.
B.30.2. Dès lors que les sanctions pénales visent à garantir le respect des obligations qui sont imposées aux intéressés en vue d’atteindre l’objectif mentionné en B.30.1, les dispositions attaquées s’inscrivent dans les limites fixées à la liberté de commerce et d’industrie, telles qu’elles ont été indiquées en B.29.2.
B.30.3. Comme il est dit en B.13.3, l’augmentation et l’uniformisation des taux de peine pour les infractions en matière de bien-être animal, prévues par le décret attaqué, sont des mesures pertinentes pour assurer une protection efficace du bien-être des animaux.
Pour les motifs qui sont mentionnés en B.13.4, les dispositions attaquées n’instaurent pas des taux de peine disproportionnés et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif mentionné en B.30.1.
B.31. Par conséquent, le deuxième moyen n’est pas fondé en ce qu’il est pris de la violation de la liberté de commerce et d’industrie.
33
Quant à la violation alléguée des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’interdiction des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives
B.32. Dans leur deuxième moyen, les parties requérantes invoquent également la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 34 et 35 du TFUE.
Pour les motifs qui sont mentionnés en B.28, le décret attaqué revient, selon les parties requérantes, à une mesure, interdite, d’effet équivalent à des restrictions quantitatives.
B.33.1. En vertu de l’article 34 du TFUE, les restrictions quantitatives à l’importation ainsi que toutes « mesures d’effet équivalent » sont interdites entre les États membres. Selon la Cour de justice de l’Union européenne, une « mesure nationale susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire »
constitue une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’importation (CJUE, 29 septembre 2016, C-492/14, Essent Belgium, ECLI:EU:C:2016:732, point 96).
L’article 35 du TFUE interdit « [les] restrictions quantitatives à l’exportation, ainsi que toutes mesures d’effet équivalent […] entre les États membres ». Selon la Cour de justice de l’Union européenne, une « mesure nationale applicable à tous les opérateurs agissant sur le territoire national qui affecte en fait davantage la sortie des produits du marché de l’État membre d’exportation que la commercialisation des produits sur le marché national dudit État membre » constitue une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’exportation (CJUE, 18 septembre 2019, C-222/18, VIPA, ECLI:EU:C:2019:751, point 62).
B.33.2. Sans qu’il soit nécessaire de déterminer si le décret attaqué constitue une mesure, interdite par les articles 34 et 35 du TFUE, qui produit un effet équivalent à une restriction quantitative, le décret attaqué, qui ne prévoit pas lui-même des dispositions prohibitives ou des restrictions concernant la détention et la commercialisation d’animaux, mais uniquement une aggravation des sanctions pénales pouvant être infligées en cas de non-respect des dispositions injonctives et prohibitives prévues par la loi du 14 août 1986, peut en tout état de cause être justifié sur la base de l’article 36 du TFUE ou sur la base d’autres exigences impératives, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Il ressort en effet de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qu’une mesure d’effet équivalent à des restrictives quantitatives peut être justifiée par l’une des raisons d’intérêt
34
général énumérées à l’article 36 du TFUE ou par des exigences impératives, pour autant que la mesure en cause soit propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint (CJUE, 29 septembre 2016, C-492/14, précité, point 100; 18 septembre 2019, C-222/18, précité, point 69).
La protection du bien-être animal constitue un objectif légitime d’intérêt général reconnu par la jurisprudence de la Cour de justice et l’article 13 du TFUE. De surcroît, conformément à l’article 36 du TFUE, les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions justifiées par des raisons de protection de la santé et de la vie des animaux, à condition que ces interdictions ou restrictions ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres.
Pour les motifs qui sont mentionnés en B.13.4 et compte tenu du large pouvoir d’appréciation que la Cour de justice de l’Union européenne accorde aux États membres en matière de protection du bien-être animal (CJCE, 19 juin, 2008, C-219/07, précité; CJUE, 17 décembre 2020, C-336/19, précité, point 71), les dispositions attaquées n’instaurent pas des taux de peine disproportionnés et ne vont dès lors pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif mentionné en B.33.2.
Le fait que d’autres États membres de l’Union européenne appliquent des règles moins strictes que celles qui sont appliquées en Belgique ne signifie pas en soi que l’interdiction de principe est disproportionnée et, partant, incompatible avec le droit de l’Union européenne. La seule circonstance qu’un État membre a choisi un système de protection différent de celui adopté par un autre État membre ne saurait avoir d’incidence sur l’appréciation de la nécessité et de la proportionnalité des dispositions attaquées (CJCE, 1er février 2001, C-108/96, Mac Quen e.a., ECLI:EU:C:2001:67, points 33 et 34; 19 juin 2008, C-219/07, précité, point 31).
B.34. Par conséquent, le deuxième moyen n’est pas fondé en ce qu’il est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 34 et 35 du TFUE.
35
Quant à la violation alléguée de la liberté d’expression
B.35. Les parties requérantes font valoir que le décret attaqué viole l’article 19 de la Constitution et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que l’aggravation de la sanction qu’il instaure s’applique également aux infractions aux règles de publicité prévues par la loi du 14 août 1986.
B.36.1. L’article 19 de la Constitution dispose :
« La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés ».
L’article 19 de la Constitution interdit que la liberté d’expression soit soumise à des restrictions préventives, mais non que les infractions qui sont commises à l’occasion de la mise en œuvre de cette liberté soient sanctionnées.
B.36.2. En ce qu’il reconnaît le droit à la liberté d’expression, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme a une portée analogue à celle de l’article 19 de la Constitution, qui reconnaît la liberté de manifester ses opinions en toute matière.
Dès lors, les garanties fournies par ces dispositions forment, dans cette mesure, un ensemble indissociable.
B.36.3. Les informations à contenu commercial sont protégées par la liberté d’expression (CEDH, 20 novembre 1989, Markt intern Verlag GmbH et Klaus Beermann c. Allemagne, ECLI:CE:ECHR:1989:1120JUD001057283, § 26; 24 février 1994, Casado Coca c. Espagne, ECLI:CE:ECHR:1994:0224JUD001545089, § 50; grande chambre, 13 juillet 2012, Mouvement raëlien suisse c. Suisse, ECLI:CE:ECHR:2012:0713JUD001635406, § 61;
30 janvier 2018, Sekmadienis Ltd. c. Lituanie, ECLI:CE:ECHR:2018:0130JUD006931714).
B.36.4. Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que si la publicité constitue pour le citoyen un moyen de connaître les caractéristiques des services et des biens qui lui sont proposés, les messages publicitaires peuvent néanmoins faire l’objet de restrictions destinées à empêcher la concurrence déloyale et la publicité mensongère ou
36
trompeuse. Dans certains contextes, même la publication de messages publicitaires objectifs et véridiques pourrait subir des limitations, tendant au respect des droits d’autrui ou fondées sur les particularités d’une activité commerciale ou d’une profession déterminées, à condition de réaliser à cet effet un juste équilibre entre les intérêts en cause (CEDH, 24 février 1994, Casado Coca c. Espagne, précité, § 51; 17 octobre 2002, Stambuk c. Allemagne, ECLI:CE:ECHR:2002:1017JUD003792897, § 39; 11 décembre 2003, Krone Verlag Gmbh &
Co. KG c. Autriche, ECLI:CE:ECHR:2003:1211JUD003906997, § 31; 16 décembre 2008, Frankowicz c. Pologne, ECLI:CE:ECHR:2008:1216JUD005302599, § 49).
Il doit être démontré que les restrictions sont nécessaires dans une société démocratique, qu’elles répondent à un besoin social impérieux et qu’elles demeurent proportionnées aux buts légitimes poursuivis. Pour apprécier la proportionnalité de cette mesure, il y a lieu de tenir compte de la nature et de la sévérité de la sanction infligée (CEDH, grande chambre, 8 juillet 1999, Ceylan c. Turquie, ECLI:CE:ECHR:1999:0708JUD002355694, § 37; 6 février 2001, Tammer c. Estonie, ECLI:CE:ECHR:2001:0206JUD004120598, § 69; grande chambre, 17 décembre 2004, Cumpănă et Mazare c. Roumanie, ECLI:CE:ECHR:2004:1217JUD003334896, § 111).
Pour réglementer la diffusion d’informations à contenu commercial, les autorités nationales disposent d’un large pouvoir d’appréciation (CEDH, 20 novembre 1989, Markt intern Verlag GmbH et Klaus Beermann c. Allemagne, précité, § 33; 24 février 1994, Casado Coca c. Espagne, précité, § 50; grande chambre, 13 juillet 2012, Mouvement raëlien suisse c. Suisse, précité, §§ 61 et 76; 30 janvier 2018, Sekmadienis Ltd. c. Lituanie, précité, § 73).
B.37. L’article 36, 14°, de la loi du 14 août 1986, tel qu’il a été modifié par l’article 2 du décret attaqué, punit d’une peine d’emprisonnement de huit jours à cinq ans et/ou d’une amende de 52 euros à 100 000 euros, celui qui enfreint « les obligations fixées […] par l’article […] 10 » de la loi précitée. L’article 10 de la loi du 14 août 1986 habilite le Gouvernement flamand à imposer des conditions relatives à la commercialisation des animaux dans le but de les protéger et d’assurer leur bien-être, ces conditions pouvant notamment porter sur les informations fournies à l’acheteur et sur la présentation en vue de la commercialisation.
En exécution de cette disposition, l’article 27 de l’arrêté royal du 27 avril 2007 « portant les
37
conditions d’agrément des établissements pour animaux et portant les conditions de commercialisation des animaux » interdit à tout responsable d’un animal de « fournir de fausses informations notamment sur l’âge, l’origine ou la dénomination d’un animal destiné à la vente »
ainsi que de « faire une publicité mensongère pour promouvoir la vente d’un animal ».
D’autre part, l’article 11bis, alinéa 1er, de la loi du 14 août 1986 interdit de faire de la publicité, en ce compris le placement d’annonces, dans le but de commercialiser des espèces animales qui ne figurent pas sur la liste établie en application de l’article 3bis, § 1er, de la loi précitée. En vertu de l’alinéa 2 de l’article 11bis¸ précité, l’interdiction concerne également les chiens et les chats, sauf s’il s’agit d’annonces publiées dans des revues spécialisées ou lorsque la publicité est faite par des personnes possédant un établissement agréé visé à l’article 5.
L’infraction à cette disposition prohibitive n’étant pas mentionnée à l’article 36 de la loi du 14 août 1986, elle est passible, conformément à l’article 41 de la loi précitée, tel qu’il a été modifié par l’article 8 du décret attaqué, d’une peine d’emprisonnement de huit jours à cinq ans et/ou d’une amende de 52 euros à 100 000 euros.
Le décret attaqué ne prévoit pas des règles de publicité pour la commercialisation d’animaux et n’instaure pas non plus une incrimination nouvelle pour les infractions aux règles de publicité figurant dans les articles 10 et 11bis de la loi du 14 août 1986. Néanmoins, en prévoyant une aggravation des peines existantes pour les infractions aux articles précités, le décret attaqué entraîne une ingérence dans la liberté d’expression.
B.38. Comme cela a déjà été dit, la protection du bien-être animal constitue un objectif légitime d’intérêt général, qui peut justifier une restriction des droits fondamentaux, notamment de la liberté d’expression.
Spécifiquement en ce qui concerne l’application du durcissement et de l’uniformisation des taux de peine pour les infractions aux articles 10 et 11bis de la loi du 14 août 1986, les travaux préparatoires du décret attaqué indiquent que ces articles visent à « éviter les achats impulsifs tout autant que la vente d’animaux dont la vente n’est pas autorisée (notamment pour des raisons de maladie) » (Doc. parl., Parlement flamand, 2021-2022, n° 960/1, pp. 5-6). La Cour
38
a déjà reconnu la légitimité de cet objectif dans son arrêt n° 10/2021 du 21 janvier 2021
(ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.010) portant sur un régime de publicité analogue dans le Code wallon du bien-être des animaux.
Par conséquent, les articles 10 et 11bis de la loi du 14 août 1986 répondent aux « particularités », mentionnées en B.36.4, qui permettent de restreindre la publicité, fût-elle objective, aux fins d’empêcher toute concurrence déloyale et toute publicité mensongère ou trompeuse. En ce que les articles 2 et 8 du décret attaqué visent à garantir le respect de ces obligations, ils répondent tout autant à ces « particularités ».
S’il est vrai que les articles 10 et 11bis de la loi du 14 août 1986 et les articles 2 et 8 du décret attaqué portent à cet égard atteinte à la liberté d’expression, le but de ces dispositions n’est pas tant de régler, dans le premier cas, ou de réprimer plus sévèrement, dans le second, l’exercice de la liberté d’expression en tant que tel, mais de fixer les conditions relatives à la commercialisation des animaux et de sanctionner plus sévèrement le non-respect de ces conditions. Contrairement à la réglementation ordinaire en matière de publicité commerciale, les articles 10 et 11bis de la loi du 14 août 1986 et les articles 2 et 8 du décret attaqué, qui prévoient une sanction plus sévère en cas de non-respect, défendent non seulement les intérêts du consommateur mais aussi, et surtout, les intérêts des animaux (voy. en ce sens Doc. parl., Sénat, 1982-1983, n° 469/1, p. 8). Compte tenu du lien indissociable entre les articles 10 et 11bis de la loi du 14 août 1986 et les autres dispositions qui imposent des restrictions à la commercialisation des animaux et eu égard à l’objectif commun de toutes les conditions commerciales destinées à garantir le bien-être animal, le législateur décrétal a pu considérer qu’il n’était pas judicieux, dans le cadre d’une répression plus sévère, d’opérer une distinction entre les conditions commerciales.
Par ailleurs, les motifs mentionnés en B.13.3, y compris la difficulté d’opérer systématiquement une division stricte entre les différentes infractions, valent également pour les infractions prévues aux articles 10 et 11bis de la loi du 14 août 1986, en particulier dès lors que ces infractions sont de nature à stimuler la détention illégale d’animaux. Sous cet angle, par analogie avec ce qui est dit en B.13.3, le législateur décrétal a dès lors pu estimer nécessaire, pour fixer une large fourchette de peines pour les infractions à la législation relative au bien-
être animal, de ne pas établir de distinction selon que l’infraction présente un lien ou non avec la liberté d’expression.
39
Pour examiner si une restriction de la liberté d’expression en vue de protéger des valeurs fondamentales telles que le bien-être animal est raisonnablement justifiée, il faut entre autres tenir compte, a fortiori eu égard au large consensus social en cette matière, du fait que des préoccupations fondamentales relatives au bien-être animal peuvent primer les besoins économiques privés et certains droits fondamentaux comme la liberté d’expression (comparez CJUE, 17 décembre 2020, C-336/19, précité, point 71).
B.39. Les dispositions attaquées n’entraînent pas une limitation disproportionnée de la liberté d’expression.
Comme cela a déjà été dit, les dispositions attaquées n’instaurent pas un régime de publicité et ne créent pas non plus une incrimination nouvelle. Elles prévoient uniquement une aggravation des peines existantes pour les infractions aux articles 10 et 11bis de la loi du 14 août 1986, ces articles n’entraînant par ailleurs, ainsi qu’il ressort du B.37, aucune interdiction générale de publicité. Les dispositions attaquées ont dès lors un champ d’application limité. Il convient en outre de souligner que, comme il est dit en B.13.4.2 et en B.20.2, le décret attaqué vise des personnes dont il peut être supposé qu’elles connaissent la législation relative au bien-
être animal ainsi que les risques que la détention ou la commercialisation d’animaux peuvent entraîner.
Par ailleurs, les garanties mentionnées en B.13.4.3 et B.13.4.4 sont pleinement applicables en cas de sanction punissant les infractions aux articles 10 et 11bis de la loi du 14 août 1986.
Le large écart entre les peines minimales et les peines maximales, le principe de proportionnalité, la possibilité prévue aux articles 36 et 41 de la loi du 14 août 1986 de n’infliger que l’une des peines énumérées dans ces articles ainsi que l’obligation de motivation du juge contraignent ce dernier à examiner la peine qui peut être considérée comme adéquate, compte tenu des circonstances concrètes de la cause et d’une mise en balance entre, d’une part, l’importance de la liberté d’expression et, d’autre part, la protection du bien-être animal.
Enfin, les infractions aux articles 10 et 11bis de la loi du 14 août 1986 peuvent, au même titre que les infractions à d’autres dispositions de cette loi, faire l’objet d’un traitement administratif tel qu’il est mentionné en B.13.4.5, en particulier à en juger par l’exposé présenté
40
par le ministre compétent et cité dans le considérant précité, et le juge peut user des possibilités d’individualisation de la peine qui sont mentionnées en B.13.4.6.
B.40. Par conséquent, le troisième moyen n’est pas fondé.
41
Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 20 juillet 2023.
Le greffier, Le président,
N. Dupont L. Lavrysen