La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/07/2023 | BELGIQUE | N°112/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 20 juillet 2023, 112/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 112/2023
du 20 juillet 2023
Numéro du rôle : 7738
En cause : le recours en annulation des articles 18, 21, 43, 45, 46 et 48 du décret de la Communauté flamande du 18 juin 2021 « modifiant la réglementation dans le cadre de la protection sociale flamande », introduit par la Confédération des syndicats chrétiens de Belgique et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et W. Verrijdt, as

sistée du greffier N. Dupont, présidée par le président L. Lavrysen,
après en a...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 112/2023
du 20 juillet 2023
Numéro du rôle : 7738
En cause : le recours en annulation des articles 18, 21, 43, 45, 46 et 48 du décret de la Communauté flamande du 18 juin 2021 « modifiant la réglementation dans le cadre de la protection sociale flamande », introduit par la Confédération des syndicats chrétiens de Belgique et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et W. Verrijdt, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 21 janvier 2022 et parvenue au greffe le 25 janvier 2022, un recours en annulation des articles 18, 21, 43, 45, 46
et 48 du décret de la Communauté flamande du 18 juin 2021 « modifiant la réglementation dans le cadre de la protection sociale flamande » (publié au Moniteur belge du 26 juillet 2021) a été introduit par la Confédération des syndicats chrétiens de Belgique, Marc Leemans, la Fédération générale du travail de Belgique, Thierry Bodson, la Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique, Mario Coppens, l’ASBL « Vlaams Netwerk tegen Armoede », l’ASBL « Liga voor Mensenrechten », l’ASBL « Samenlevingsopbouw Antwerpen stad », l’ASBL « Vluchtelingenwerk Vlaanderen », l’ASBL « Ella, kenniscentrum gender en etniciteit », l’ASBL « Medimmigrant », l’ASBL « Kif Kif », l’ASBL « Furia » et l’ASBL « Vrienden van Hart boven Hard », assistés et représentés par Me J. Buelens, Me L. Michielsen et Me L. Adriaensens, avocats au barreau d’Anvers, et par Me M. Van Den Broeck, avocat au barreau de Bruxelles.
Le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me B. Martel, Me V. Pertry, Me K. Caluwaert et Me F. Van Beirendonck, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un
2
mémoire, les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse et le Gouvernement flamand a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 12 avril 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs S. de Bethune et T. Giet, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 26 avril 2023 et l’affaire mise en délibéré.
À la suite de la demande des parties requérantes à être entendues, la Cour, par ordonnance du 26 avril 2023, a fixé l’audience au 17 mai 2023.
À l’audience publique du 17 mai 2023 :
- ont comparu :
. Me L. Michielsen, Me L. Adriaensens et Me M. Van Den Broeck, pour les parties requérantes;
. Me V. Pertry, qui comparaissait également loco Me B. Martel, pour le Gouvernement flamand;
- les juges-rapporteurs S. de Bethune et T. Giet ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant au premier moyen
A.1.1. Les parties requérantes prennent un premier moyen, subdivisé en trois branches, de la violation, par l’article 18, 1° et 2°, du décret de la Communauté flamande du 18 juin 2021 « modifiant la réglementation dans le cadre de la protection sociale flamande » (ci-après : le décret du 18 juin 2021) et par l’article 21, 2° du même décret, de l’article 23 de la Constitution, lu ou non en combinaison avec l’article 22ter de la Constitution, avec l’article 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, avec les articles 12, 13
et 15 de la Charte sociale européenne, avec l’article 34 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec les articles 19, 26 et 28 de la Convention des Nations unies du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées et avec l’obligation de motivation matérielle.
A.1.2. Le Gouvernement flamand estime que les parties requérantes n’exposent pas en quoi les dispositions conventionnelles internationales et européennes auraient été transgressées et qu’elles se sont bornées à exposer la violation de l’obligation de standstill. Selon lui, le premier moyen est dès lors uniquement recevable en ce qu’il
3
est pris de la violation de l’article 23 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec l’obligation de motivation matérielle.
A.2.1.1. Dans la première branche, qui est à son tour subdivisée en trois sous-branches, les parties requérantes critiquent l’article 18, 1° et 2°, du décret du 18 juin 2021.
A.2.1.2. Dans la première sous-branche, elles font valoir que la nouvelle condition relative à la durée de résidence à laquelle il convient de satisfaire pour prétendre à un budget de soins (article 18, 1°) viole l’obligation de standstill.
La disposition précitée aboutit selon elles à un recul significatif du degré de protection existant.
Le recul consiste en ce que certaines personnes ne pourront pas prétendre au budget de soins durant cinq années supplémentaires, ce qui représente un doublement de la condition de durée de résidence existante.
Ainsi, une catégorie de personnes qui avait d’abord droit à un budget de soins perd l’accès à ce budget parce que ces personnes ne peuvent pas démontrer qu’elles ont résidé durant dix ans, dont cinq ans sans interruption, dans la région de langue néerlandaise ou dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale. La mesure a des répercussions considérables, étant donné que les personnes ayant besoin de soins qui ne satisfont pas à la nouvelle condition ne pourront plus recevoir un budget de soins de 130 euros par mois (pour les personnes ayant besoin de soins importants) jusqu’à 606 euros par mois (pour les personnes âgées ayant besoin de soins importants). Elles relèvent que le recul significatif se voit confirmé dans les avis du « Sociaal Economische Raad van Vlaanderen » (Conseil socio-économique de la Flandre, ci-après : le SERV) et du « Vlaamse Raad Welzijn, Volksgezondheid en Gezin »
(Conseil flamand de l’aide sociale, de la santé publique et de la famille), ainsi que par la section de législation du Conseil d’État. Elles se réfèrent également à la jurisprudence de la Cour (arrêts nos 133/2005
(ECLI:BE:GHCC:2005:ARR.133), 77/2018 (ECLI:BE:GHCC:2018:ARR.077) et 6/2019
(ECLI:BE:GHCC:2019:ARR.006)), dont elles déduisent que l’exclusion d’une large catégorie de bénéficiaires des droits garantis par l’article 23 de la Constitution par l’effet de la condition de durée de résidence de dix ans, même sans que le montant ou les conditions de paiement de l’intervention en question soient modifiés, doit être considérée comme un recul significatif. Il en est d’autant plus ainsi qu’aucune mesure transitoire n’a été prévue.
Elles font valoir que le législateur décrétal n’a pas prévu que la nouvelle condition s’applique uniquement aux nouvelles demandes d’un budget de soins, si bien que des personnes qui pouvaient auparavant prétendre à un budget de soins sont susceptibles de perdre ce budget d’un jour à l’autre parce qu’elles ne satisfont pas à la nouvelle condition de durée de résidence. La jurisprudence contenue dans les arrêts précités doit être étendue à la nouvelle condition de durée de résidence pour ce qui concerne le budget de soins, qui est une mesure compensatoire de coûts et qui tend à indemniser forfaitairement des coûts qui ne sont pas couverts par la sécurité sociale fédérale.
En effet, les allocations de remplacement de revenus comme les interventions compensatoires de coûts entrent dans le champ d’application de l’article 23 de la Constitution. Le financement différent de ces allocations ou interventions ne signifie pas qu’il n’y a pas de recul significatif.
Selon les parties requérantes, le législateur décrétal ne donne pas de motifs d’intérêt général adéquats pour justifier le recul significatif. Elles estiment que le fait que la protection sociale flamande est une assurance sociale, la viabilité financière du système et la solidarité sociale intergénérationnelle ne peuvent justifier ce recul. Selon elles, l’argument de l’assurance sociale ne convainc pas, étant donné que les budgets de soins sont en majeure partie financés par les moyens généraux, de sorte que, sous l’angle des assurances, l’obligation de contribution ne peut pas être considérée comme étant normalement proportionnée à l’étendue des droits qui peuvent être conférés en vertu de la protection sociale flamande. Il n’est pas davantage démontré que l’objectif n’est pas déjà atteint par l’actuelle condition de durée de résidence. Le législateur décrétal ne justifie pas pourquoi le système actuel, qui prévoit une condition de durée de résidence de cinq ans, ne suffit pas. La raison pour laquelle la mesure serait indispensable pour assurer l’équilibre budgétaire de la protection sociale flamande n’est pas davantage précisée.
Le législateur décrétal ne donne pas de chiffres détaillés concernant la viabilité financière du système à long terme, ni concernant les économies que représenterait cette mesure, pas plus que sur l’évolution du nombre de primo-
arrivants qui peuvent prétendre à un budget de soins. Ce faisant, l’obligation de motivation matérielle est également violée.
A.2.1.3. Dans une deuxième sous-branche, les parties requérantes font valoir que la nouvelle condition d’intégration civique à laquelle il convient de satisfaire pour entrer en considération pour obtenir un budget de soins (article 18, 2°) viole l’obligation de standstill.
La disposition précitée aboutit à un recul significatif du degré de protection existant.
4
L’introduction de la condition relative à l’obligation d’intégration civique peut avoir pour effet qu’une personne qui, pour le surplus, reste tenue de contribuer soit exclue du budget de soins pour une durée indéterminée.
Avant le décret du 18 juin 2021, le non-respect de l’obligation d’intégration civique n’avait aucune conséquence sur le budget de soins et il n’en allait pas autrement dans le cas de l’octroi d’autres droits sociaux. La circonstance que l’obligation d’intégration civique n’est pas nouvelle en soi n’a pas pour effet que le lien qui est établi entre cette obligation et l’octroi de droits sociaux n’aboutisse pas à un recul significatif du degré de protection existant.
Dans son avis concernant la mesure attaquée, la section de législation du Conseil d’État le confirme. Elles ajoutent que l’attestation d’intégration civique est déjà devenue plus difficile à obtenir, si bien qu’il est beaucoup plus compliqué d’obtenir un budget de soins, ce qui démontre également le recul significatif. Sans qu’une autre solution soit prévue, le budget de soins est supprimé pour les personnes tenues de suivre un parcours citoyen et qui ne peuvent pas payer leurs cours ou qui ne réussissent pas les modules du parcours citoyen. Le recul est d’autant plus significatif qu’aucune mesure transitoire n’est prévue.
Les parties requérantes estiment que les motifs d’intérêt général invoqués (préciser le lien entre les droits à la protection sociale flamande et les obligations dans la société flamande; renforcer la situation du primo-arrivant et la solidarité intergénérationnelle) ne peuvent pas justifier le recul significatif. Il s’agit de motifs insuffisants qui ne démontrent aucun lien raisonnable entre l’objectif du budget de soins et le fait de satisfaire à l’obligation d’intégration. Le fait de satisfaire ou non à l’obligation d’intégration n’a aucune incidence sur le niveau de perte d’autonomie. Selon les parties requérantes, il n’est pas prouvé que le fait de lier des droits sociaux à l’obligation d’intégration civique permette de préciser les obligations du primo-arrivant ou qu’il serait nécessaire de les préciser. Par ailleurs, le système existant en matière d’obligation d’intégration (civique) offre suffisamment de garanties pour informer les primo-arrivants de leurs obligations. Elles ajoutent que les décrets et ordonnances relatifs à l’intégration (civique) ne prévoient pas de limiter les droits sociaux pour sanctionner le non-respect de l’obligation d’intégration civique. Les personnes qui, pour l’une ou l’autre raison, ne s’intègrent pas ou n’achèvent pas le parcours citoyen sont doublement touchées, vu qu’elles doivent non seulement payer une amende, mais qu’elles sont également exclues du budget de soins et des correctifs sociaux. Il n’est d’ailleurs pas démontré que le fait d’assortir la sécurité sociale et l’aide sociale de conditions supplémentaires et le fait de mettre en place des seuils pour accéder à celles-ci renforcera la situation du primo-arrivant. En renvoyant à des études empiriques, elles font valoir que la condition d’une meilleure connaissance de la société flamande ou du néerlandais aura plutôt pour effet que les personnes qui ne bénéficient pas en soi de l’aide complémentaire ne pourront pas s’intégrer ou n’exprimeront pas leurs besoins, si bien que la condition d’intégration civique produira plutôt un effet d’exclusion.
Elles déduisent ensuite de la jurisprudence de la Cour concernant l’exigence de connaissance linguistique dans le cadre de la location sociale qu’un droit social ne peut être subordonné à une obligation de résultat. Elles affirment que la mesure attaquée fait en revanche dépendre l’accès au budget de soins et aux correctifs sociaux d’une obligation de résultat, c’est-à-dire suivre avec succès un parcours citoyen et obtenir une attestation d’intégration civique, ce qui implique certains frais. L’obligation d’intégration civique n’est dès lors pas proportionnée. Les parties requérantes contestent également l’argument de la solidarité intergénérationnelle. La protection sociale flamande (et donc également le budget de soins) est régie par une solidarité entre ceux qui ont besoin de soins importants en raison d’une perte d’autonomie de longue durée et ceux qui sont « en bonne santé ». L’obligation d’intégration suspend cette solidarité et ne la renforce donc pas.
A.2.1.4. Dans une troisième sous-branche, elles font valoir que les répercussions globales de la combinaison des conditions relatives à la durée de résidence et à l’intégration civique (article 18, 1° et 2°) doivent en tout état de cause aboutir au constat d’un recul significatif du degré de protection existant, étant donné que les personnes qui ont besoin de soins importants ou les personnes âgées qui ont besoin de soins sont privées du budget de soins jusqu’à ce qu’elles remplissent les deux conditions. Elles rappellent, par référence à leur exposé relatif aux autres sous-branches, qu’aucun motif d’intérêt général ne saurait justifier ce recul.
A.2.2. Le Gouvernement flamand fait valoir que ni la nouvelle condition de durée d’assurance, ni la condition d’intégration civique, ni leur combinaison n’aboutissent, en ce qui concerne l’accès au budget de soins, à un recul significatif du degré de protection offert. À tout le moins, il existe des motifs d’intérêt général susceptibles de justifier pareil recul.
Le Gouvernement flamand relève en premier lieu que la protection sociale flamande est une assurance sociale qui se distingue des systèmes d’aide sociale, en ce que le principe de l’assurance est fondé notamment sur des droits et obligations, ce qui, selon lui, doit être apprécié moins sévèrement que d’autres systèmes sociaux en ce qui concerne le respect de l’obligation de standstill. Il estime ensuite qu’il n’y a pas de recul parce que les dispositions attaquées ne diminuent pas le degré offert par la protection sociale flamande, elles n’en modifient
5
que les conditions. Le degré de protection offert reste donc inchangé pour toutes les personnes qui remplissent déjà les conditions pour en bénéficier.
Ainsi, la condition de durée d’assurance existait déjà, mais cette durée est dorénavant portée à dix ans. La condition est également calculée différemment, étant donné que les dix années requises ne doivent plus se situer juste avant l’ouverture du droit. Par ailleurs, la nouvelle condition porte uniquement sur les budgets de soins dans le cadre de la protection sociale flamande qui est plus étendue. Le Gouvernement flamand observe que la jurisprudence de la Cour relative à la condition de résidence de dix ans dans le cadre de la garantie de revenus pour personnes âgées, d’une part, et de l’allocation pour personnes handicapées, d’autre part, ne peut être transposée à la protection sociale flamande, parce qu’il s’agit d’une assurance sociale, et non d’une aide sociale. La protection sociale flamande prévoit uniquement des allocations compensatoires de coûts en vue de remédier à des besoins particuliers en soins, et non des allocations de remplacement de revenus.
En ce qui concerne la nouvelle condition d’intégration civique, le Gouvernement flamand relève que l’obligation d’intégration civique n’est pas nouvelle et découle déjà du décret flamand du 7 juin 2013 « relatif à la politique flamande d’intégration et d’intégration civique [lire : de parcours citoyen] » (ci-après : le décret du 7 juin 2013) et de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 11 mai 2017 « concernant le parcours d’accueil des primo-arrivants » (ci-après : l’ordonnance du 11 mai 2017), de sorte qu’il n’y a pas de recul significatif. Selon lui, l’obligation d’intégration civique doit être abordée d’une manière positive comme une possibilité d’avoir accès à de meilleurs soins. Par ailleurs, cette obligation n’est pas insurmontable et la réussite d’un test de citoyenneté ne constitue pas une obligation de résultat, eu égard aux dispenses dont bénéficient certains participants au parcours citoyen ou eu égard au fait qu’une déclaration d’efforts fournis suffit s’il s’agit d’une personne disposant de capacités cognitives limitées. Les coûts qui sont liés au parcours citoyen ne peuvent pas constituer une entrave parce que celui qui n’est pas en mesure de supporter ces coûts peut probablement bénéficier d’une aide du CPAS.
Le Gouvernement flamand estime que, s’il était néanmoins question d’un recul significatif du degré de protection offert, des motifs d’intérêt général peuvent le justifier. En premier lieu, les dispositions attaquées entendent garantir pour l’avenir le principe de la sécurité sociale et le principe de l’assurance, d’autant qu’il a été choisi de maintenir le montant des primes de soins annuelles à un niveau relativement bas. Tel est a fortiori le cas dès lors que le système devrait être graduellement étendu. Selon lui, l’adaptation de la condition de durée d’assurance et l’introduction de la condition d’intégration civique, actuellement plus de vingt ans après la création de l’assurance soins, sont liées à une évolution et à une extension graduelles de la protection sociale flamande, dans le cadre desquelles les expériences et conceptions autour des besoins et des priorités en matière de soins peuvent donner lieu à des conditions plus définitives pour le système de la protection sociale flamande. En se référant aux travaux préparatoires, il ajoute que le fait de garantir la solidarité (intergénérationnelle) et la viabilité financière du système sont des motifs d’intérêt général susceptibles de justifier les conditions attaquées. Le système a toujours été pensé dans l’idée que les usagers n’utilisent généralement le budget de soins qu’à partir de 65 ans, ce que confirme également la pratique, ce qui supposait qu’ils aient donc contribué durant des dizaines d’années.
La condition, attaquée, de durée d’assurance rend actuellement ce postulat explicite. Le fait que le législateur décrétal intervient proactivement avant que se posent des problèmes budgétaires et que les répercussions budgétaires soient insuffisamment étayées par des chiffres n’y change rien. Il ajoute que, dans sa jurisprudence relative aux réformes des pensions, la Cour a jugé que la poursuite des objectifs budgétaires était légitime et que ceux-ci étaient des motifs d’intérêt général. En outre, le législateur décrétal peut subordonner à l’existence d’un lien suffisant avec la Belgique les allocations qui sont partiellement financées par des moyens généraux, comme dans le cadre du système hybride de la protection sociale flamande. Il se réfère aux travaux préparatoires et à la jurisprudence de la Cour concernant la sécurité sociale d’outre-mer et l’obligation d’intégration civique dans le cadre de la location sociale. Cette jurisprudence peut également être appliquée dans l’affaire actuellement examinée. La personne qui est mieux intégrée et qui a donc une meilleure connaissance du néerlandais est plus à même d’exercer ses droits dans le cadre du budget de soins.
A.3.1.1. Dans la seconde branche, qui est à son tour subdivisée en trois sous-branches, les parties requérantes critiquent l’article 21, 2°, du décret du 18 juin 2021.
A.3.1.2. Dans une première sous-branche, les parties requérantes font valoir que la nouvelle condition de durée de résidence, qui suppose une résidence ininterrompue de cinq ans avant de pouvoir prétendre à une prime de soins réduite d’un montant de 27 euros (c’est-à-dire un « correctif social »), viole l’obligation de standstill.
Selon elles, la mesure attaquée aboutit à un recul significatif du degré de protection existant. Elles relèvent en particulier que les bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance maladie (cf. l’article 37, § 19, de la
6
loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994; ci-après : la loi du 14 juillet 1994) doivent en principe payer une prime de soins réduite, si bien que la condition de durée de résidence de cinq ans aboutit, pour certaines personnes de cette catégorie, à la perte du correctif social et qu’elles doivent ainsi payer la prime de 54 euros.
Elles observent que les primes ne semblent pas particulièrement élevées à première vue, mais, pour les personnes qui se trouvent dans une situation financière précaire, la situation est différente. Ainsi, les personnes qui ont droit à une intervention majorée de l’assurance maladie perçoivent par définition un revenu très faible, signe également qu’elles risquent de se retrouver dans une situation de précarité. Les primo-arrivants sont souvent aussi confrontés au même risque, de sorte qu’il est logique d’accorder aux primo-arrivants à faible revenu le bénéfice d’une prime moins élevée. Elles font valoir que l’ajout d’une nouvelle condition de durée de résidence ne tient pas compte de la capacité financière de l’usager quand celui-ci veut bénéficier des correctifs sociaux. Elles ajoutent que le système de la protection sociale flamande, qui prévoit des primes invariables, ne tient de toute manière que très peu compte de la situation financière de l’usager. Elles estiment qu’il n’y a que peu de différences entre la prime de soins ordinaire et la prime qui résulte d’un correctif social et que peu de personnes ont accès à la prime de soins réduite. Elles font valoir que, pour les personnes bénéficiant d’une intervention majorée de l’assurance maladie, le montant de la prime réduite est souvent encore trop élevé, entraînant des amendes si elles ne payent pas le montant ou ne le paient pas intégralement. Elles font référence aux chiffres qui ont été demandés au ministre compétent. Elles observent que, par ses arrêts nos 77/2018 (ECLI:BE:GHCC:2018:ARR.077), 6/2019 et 41/2020
(ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.041), la Cour tient également compte de l’incidence très concrète de la mesure sur la situation financière précaire des bénéficiaires d’une intervention. Elles observent enfin que des mesures transitoires ne sont pas davantage prévues dans ce cadre, de sorte que les usagers qui ont actuellement droit à un correctif social ne pourront plus en bénéficier à l’avenir.
Les parties requérantes estiment que les motifs d’intérêt général invoqués ne sont pas de nature à justifier le recul significatif, ce qui induit également une violation de l’obligation de motivation matérielle. Le fait que les primo-arrivants doivent démontrer leur volonté de contribuer au budget de soins et à la société flamande n’est pas un motif adéquat. Le paiement d’une prime inférieure peut aussi bien démontrer cette volonté, a fortiori lorsqu’il s’agit de personnes bénéficiant d’une intervention majorée de l’assurance maladie, qui se trouvent donc dans une situation financière précaire, si bien que cette prime réduite est proportionnellement substantielle et démontre donc dans une large mesure cette volonté. Les motifs budgétaires invoqués ne sont pas davantage convaincants. Ainsi, le législateur décrétal reconnaît lui-même que les recettes de cette mesure seront limitées et que la mesure est neutre du point de vue du budget. Elles observent par ailleurs que de nombreuses personnes ne sont pas davantage en mesure de payer les primes réduites et les amendes. En augmentant les primes pour un groupe-cible qui se trouve déjà dans une situation financière précaire, l’objectif n’est pas atteint. De même, la section de législation du Conseil d’État a observé dans son avis que la condition de durée de résidence n’est pas pertinente à la lumière du but des correctifs sociaux. En effet, il est contradictoire que des personnes qui ne disposent pas des ressources suffisantes pour payer le montant intégral de la prime de soins soient privées du droit de bénéficier d’un correctif social pour des raisons étrangères à leur situation financière. Enfin, elles attirent encore l’attention sur les effets disproportionnés de la mesure, de sorte que le motif d’intérêt général invoqué ne saurait justifier la condition de durée de résidence de cinq ans.
A.3.1.3. Dans une deuxième sous-branche, elles font valoir que la nouvelle condition d’intégration civique à laquelle il convient de satisfaire avant de pouvoir prétendre à une prime de soins réduite à concurrence de 27 euros (c’est-à-dire « un correctif social ») viole l’obligation de standstill.
Si le droit à des correctifs sociaux est lié à une condition d’intégration civique, certaines personnes disposant de moyens d’existence limités n’ont droit à une prime de soins réduite que si elles ont suivi avec succès le parcours citoyen. Ainsi, selon les parties requérantes, les personnes qui bénéficient déjà d’une intervention majorée de l’assurance maladie – et qui disposent donc de ressources limitées – (cf. l’article 37, § 19, de la loi du 14 juillet 1994) sont particulièrement touchées, ce qui aboutit à un recul significatif du degré de protection existant, a fortiori en l’absence de mesures transitoires. En outre, la condition d’intégration civique vient s’ajouter aux autres conditions, existantes et nouvelles, qu’il convient de remplir pour obtenir un budget de soins ou pour payer une prime de soins moins élevée.
Selon les parties requérantes, le Gouvernement flamand n’a pas justifié le recul significatif par des motifs d’intérêt général adéquats. Elles affirment qu’il n’est pas démontré que l’obligation d’intégration civique aboutit à une meilleure intégration et améliore la situation financière des intéressés. Le fait d’appliquer ou non des correctifs sociaux ne peut servir d’instrument pour imposer une obligation d’intégration civique, étant donné qu’il n’existe aucun lien entre cette obligation et les correctifs sociaux. La mesure attaquée ne crée pas davantage une
7
assise plus large pour la solidarité, puisque le fait de ne pas appliquer certains correctifs sociaux affaiblit au contraire la solidarité.
Le but réel de la mesure semble consister à inciter les primo-arrivants à travailler pour pouvoir payer les primes. Or, les correctifs sociaux entendent précisément réduire la prime, qui n’est pas liée aux revenus, au profit des personnes disposant d’une capacité financière limitée. Ensuite, les parties requérantes n’aperçoivent pas en quoi le fait de lier la condition d’intégration civique à une prime de soins réduite pourrait les inciter à suivre un parcours citoyen payant, compte tenu de ce que les intéressés doivent sans doute attendre plusieurs années avant de pouvoir prétendre à un budget de soins. Elles se réfèrent pour le surplus à leur exposé dans le cadre de la première sous-branche.
A.3.1.4. Dans la troisième sous-branche, les parties requérantes font valoir que l’incidence globale de la combinaison des conditions relatives à la durée de résidence ininterrompue de cinq ans et à l’intégration civique (article 21, 2°) doit aboutir au constat qu’il y a un recul significatif du degré de protection existant, étant donné que certaines personnes se trouvant dans une situation financière précaire sont privées d’une prime de soins réduite jusqu’à ce qu’elles remplissent les deux conditions. Par référence à leur exposé concernant les sous-branches précédentes, elles rappellent que ce recul n’est pas justifié par des motifs d’intérêt général.
A.3.2. Le Gouvernement flamand fait valoir qu’en ce qui concerne les correctifs sociaux, ni la condition de durée d’assurance, ni la condition d’intégration civique, ni la combinaison des deux n’aboutissent à un recul significatif du degré de protection offert. Il existe à tout le moins des motifs d’intérêt général pouvant justifier pareil recul.
Le montant de la prime de soins de 54 euros est plutôt limité. En cas de correctif social, ce montant peut être réduit à 27 euros. Compte tenu du montant de la prime de soins, les conditions précitées relatives aux correctifs sociaux ne peuvent être considérées comme un recul significatif. Ainsi, il relève que, dans son avis, la section de législation du Conseil d’État partage ce point de vue. Par ailleurs, le montant est, le cas échéant, payé par des tiers, tel le CPAS.
De surcroît, le recul significatif peut être justifié par des motifs d’intérêt général. Il fait référence à la solidarité intergénérationnelle, au financement du système et à l’amélioration de la situation sociale et financière de l’intéressé.
A.4.1. Dans une troisième branche, les parties requérantes critiquent la combinaison des nouvelles conditions de durée de résidence et d’intégration civique pour ce qui est de l’accès au budget de soins et aux correctifs sociaux relatifs à la prime de soins. Elles estiment que cette combinaison implique en tout état de cause un recul significatif du degré de protection existant, sans que des motifs d’intérêt général puissent le justifier.
A.4.2. Le Gouvernement flamand se réfère à ses arguments concernant les première et deuxième branches.
Il rappelle que la protection sociale flamande repose sur le postulat selon lequel l’usager a d’abord contribué longtemps au système. Lorsque tel n’est pas le cas, il est, selon lui, raisonnablement justifié de corriger le système à la lumière de la solidarité (intergénérationnelle) et de la viabilité financière du système.
Quant au deuxième moyen
A.5. Les parties requérantes prennent un deuxième moyen, composé de trois branches, de la violation, par les articles 43, 46 et 48 du décret du 18 juin 2021, des articles 10, 11, 13 et 23 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 13 de la même Convention, avec l’article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
A.6.1. Dans la première branche, les parties requérantes invoquent la violation du droit d’accès au juge, en ce que les dispositions attaquées subordonnent au paiement d’une taxe de dossier de 75 euros, sauf pour certaines catégories de personnes qui en sont exonérées, la recevabilité d’un recours administratif introduit contre une décision prise dans le cadre de la protection sociale flamande. Il est dès lors instauré un seuil financier. Celui qui
8
ne paie pas la taxe, ou la paie partiellement, est privé de l’accès au recours administratif, ce qui entrave également l’accès au tribunal du travail. L’épuisement du recours administratif est une condition de recevabilité du recours introduit devant le tribunal du travail. La possibilité d’introduire un recours juridictionnel est donc limitée à ceux qui peuvent payer la taxe de dossier.
Les parties requérantes font valoir qu’il s’agit d’une restriction injustifiée du droit d’accès au juge.
L’argument selon lequel, sans cette taxe de dossier, les recours contre les décisions négatives prises dans le cadre de la protection sociale flamande seraient systématiques ne convainc pas, à plus forte raison que cette thèse n’est nullement étayée. Par ailleurs, les parties requérantes contestent que la mesure puisse atteindre l’objectif. En effet, la mesure empêche certes que des personnes qui ont des difficultés financières puissent introduire un recours, mais elle n’empêche pas ceux qui peuvent payer la taxe d’introduire tout de même des recours inutiles. En tout état de cause, les arguments objectifs font défaut, de sorte qu’il s’agit simplement d’une supposition selon laquelle la taxe de dossier découragera les recours inutiles. Par ailleurs, les chiffres démontrent que les décisions négatives ne sont pas attaquées systématiquement. Moins de 20 % des décisions négatives sont attaquées. Elles observent également que des recours sont souvent introduits parce que le système n’est pas clair ou parce que le système n’est pas compris, ce à quoi la taxe de dossier ne porte pas remède.
Elles estiment que la taxe de dossier est une charge excessive qui constitue une charge insurmontable pour une partie des intéressés, eu égard à leur vulnérabilité socioéconomique. En effet, même l’existence d’exceptions au paiement de la contribution financière supplémentaire pour entamer une procédure n’exclut pas que l’accès au juge soit entravé pour d’autres catégories de personnes vulnérables. Selon les parties requérantes, tous les usagers sont en réalité des personnes vulnérables, de sorte que le fait de prévoir des exceptions à la règle selon laquelle la taxe de dossier doit être payée pour pouvoir introduire un recours n’est pas un moyen adéquat pour empêcher qu’un seuil effectif soit instauré. Les correctifs sociaux prévus par le législateur décrétal, c’est-à-dire une taxe de dossier réduite d’un montant de 37,50 euros ou une dispense de la taxe pour certaines catégories, ne suffisent pas pour empêcher que l’accès au juge soit néanmoins restreint de manière disproportionnée. La taxe de dossier réduite s’applique uniquement aux personnes qui ont droit à une intervention majorée de l’assurance maladie et le législateur décrétal a également prévu des exemptions de la taxe pour un nombre restreint de catégories de personnes. Selon les parties requérantes, ces exemptions ne sont pas suffisantes parce que tous les usagers de la protection sociale flamande se trouvent en réalité dans une situation de vulnérabilité. Le fait que la taxe de dossier est remboursée si le recours est jugé fondé n’empêche par ailleurs pas qu’il y a un seuil initial qui est trop élevé pour de nombreuses personnes. Étant donné que, dans le cadre d’un recours contre les décisions prises en matière de protection sociale flamande, des droits sociaux fondamentaux sont en jeu, le droit d’accès au juge ne peut être limité purement et simplement. L’importance des droits sociaux en cause exige une appréciation stricte des mesures limitatives. À cet égard, les parties requérantes attirent également l’attention sur le principe de la gratuité des procédures dans le cadre de la sécurité sociale et de l’aide sociale, principe qui découle de la Charte de l’assuré social, afin de permettre un accès au juge qui soit le plus large possible.
A.6.2. Le Gouvernement flamand estime que l’imposition d’une taxe de dossier dans le cadre d’un recours administratif n’équivaut nullement à une restriction disproportionnée de l’accès au juge. Il ne s’agit pas d’une charge excessive pour l’usager de la protection sociale flamande. Il souligne que la taxe de dossier est imposée dans le cadre d’un second examen d’un recours administratif, afin d’éviter que l’usager demande systématiquement un deuxième avis en cas de décision négative. Le législateur décrétal a pu intervenir sur la base du postulat rationnel qu’un seuil financier décourage les recours administratifs ayant une faible chance de réussite et sur la base du constat que la grande majorité des recours administratifs sont non fondés ou irrecevables. Ainsi, les requérants potentiels sont fortement incités à bien s’informer sur les critères d’octroi de l’allocation et sur les chances de réussite de leur recours à cet égard. Selon le Gouvernement flamand, le montant de la taxe de dossier de 75 euros est raisonnablement justifié. De surcroît, la taxe ne s’applique pas à tous les justiciables, étant donné que les usagers qui se trouvent dans une situation financière vulnérable en sont exemptés ou bénéficient d’une diminution. Il conteste par ailleurs le fait que tout usager de la protection sociale flamande se trouve dans une situation précaire nécessitant une dispense de la taxe de dossier. Le montant de la taxe est en outre entièrement remboursé si le recours est déclaré fondé. La circonstance que le recours juridictionnel peut être introduit sans frais doit également être prise en compte, étant donné que le seuil financier doit être apprécié en tenant compte de la procédure dans son ensemble. En ce qu’il est soit fait référence au choix du législateur fédéral de prévoir la gratuité des procédures, le Gouvernement flamand souligne qu’il relève de l’autonomie de toute autorité de mener sa propre politique en la matière.
A.7.1. Dans une deuxième branche, elles invoquent la violation de l’article 23 de la Constitution et de l’obligation de standstill contenue dans cette disposition. La nouvelle taxe de dossier constitue un recul significatif
9
du degré de protection garanti antérieurement par le législateur décrétal. Il s’agit d’un seuil financier supplémentaire pour entamer une procédure. Elles se réfèrent à cet égard à l’arrêt de la Cour n° 77/2018.
Auparavant, un usager pouvait introduire un recours administratif sans devoir payer une somme d’argent. Par ailleurs, la mesure aboutit également à un recul significatif du degré de protection existant en ce qu’elle rompt avec la gratuité des procédures dans le cadre de la sécurité sociale et de l’aide sociale.
Ce recul significatif n’est, selon les parties requérantes, pas justifié par des motifs d’intérêt général adéquats.
L’argument invoqué par le législateur décrétal selon lequel, sans une taxe de dossier, les décisions négatives feront systématiquement l’objet d’un recours administratif est incorrect et n’est pas non plus étayé. Pour le surplus, elles se réfèrent à leur point de vue exposé dans le cadre de la première branche.
A.7.2. Le Gouvernement flamand estime que l’introduction d’une taxe de dossier dans le cadre du recours administratif n’entraîne pas un recul significatif du droit à la sécurité sociale ou à l’aide sociale. Premièrement, il s’agit d’un montant limité, qui correspond à l’indemnité due pour une « indication » réalisée (évaluation des besoins en matière de soins). Deuxièmement, plusieurs catégories d’usagers sont exemptées de la taxe de dossier ou bénéficient d’une réduction. Enfin, le montant est intégralement remboursé si le recours est déclaré fondé.
L’arrêt de la Cour n° 77/2018 ne peut pas être appliqué étant donné que le législateur décrétal a justement prévu que les usagers qui disposent de peu de ressources sont dispensés de la taxe.
Le Gouvernement flamand ajoute que des motifs d’intérêt général fondent l’instauration d’une taxe de dossier. En effet, il est légitime de décourager, par un seuil financier limité, les procédures inutiles ou non fondées.
A.8.1. Dans la troisième branche, les parties requérantes invoquent en substance la violation du principe d’égalité en ce que la taxe de dossier instaurée aboutit, sans justification raisonnable, à une différence de traitement entre des catégories de personnes comparables ou à un traitement égal de catégories de personnes non comparables.
A.8.2.1. Premièrement, elles invoquent une différence de traitement entre les personnes qui bénéficient d’une exemption partielle (cf. l’article 37, § 19, de la loi du 14 juillet 1994 : les personnes qui ont droit à une intervention majorée de l’assurance maladie) et les personnes qui sont entièrement exemptées de la taxe de dossier.
Les deux catégories sont vulnérables et sont exposées à un risque accru de pauvreté, chaque coût supplémentaire ayant potentiellement pour effet qu’elles n’aient pas recours aux soins indispensables. Elles critiquent en particulier la différence entre les personnes qui reçoivent un revenu d’intégration et les personnes qui reçoivent un revenu d’intégration équivalent (surtout des étrangers), ce qui les amène à conclure que la distinction repose en réalité sur la nationalité. Elles ne voient pas davantage pourquoi les personnes qui sortent de prison ou d’un établissement psychiatrique et n’ont pas d’adresse ne bénéficient pas d’une exemption et doivent néanmoins payer la taxe de dossier réduite. De même, elles ne voient pas pourquoi le bénéficiaire du minimum d’allocations de chômage qui perçoit des revenus supérieurs à l’allocation de remplacement de revenus pour les personnes en situation de handicap bénéficie d’une exemption, alors qu’une personne en situation de handicap qui ne travaille pas bénéficie seulement d’une taxe de dossier réduite. Selon elles, la distinction n’est ni objective ni pertinente. Il est injustifié que des personnes se trouvant dans une situation difficile soient réparties en deux catégories : les personnes qui ne paient rien et les personnes qui doivent payer la moitié de la taxe de dossier. Les conséquences pour les personnes qui doivent payer la taxe de dossier de 37,50 euros mais qui sont incapables de le faire sont graves puisqu’elles n’ont pas accès à une procédure de recours.
A.8.2.2. Selon le Gouvernement flamand, la différence de traitement soumise à la Cour entre les usagers qui doivent payer la taxe et les usagers qui ne doivent pas la payer n’est pas dénuée de justification raisonnable. Il relève de la liberté d’appréciation du législateur décrétal de soumettre à une taxe réduite de 37,50 euros les usagers qui bénéficient d’une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale et qui se trouvent donc dans une situation de précarité financière. Ce montant n’est pas déraisonnable. Parallèlement à cette référence aux personnes qui bénéficient d’une intervention majorée en ce qui concerne le paiement d’une taxe réduite, le législateur décrétal a également pu exempter entièrement, nominativement, plusieurs catégories de personnes financièrement vulnérables. En ce qui concerne ces exemptions aussi, le législateur décrétal dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu. Les choix afférents aux catégories de personnes exemptées sont raisonnablement justifiés.
A.8.3.1. Deuxièmement, les parties requérantes invoquent une différence de traitement entre des personnes qui peuvent payer la taxe de dossier et des personnes qui ne peuvent pas la payer. Des personnes qui se trouvent dans des situations fondamentalement différentes sont traitées de manière égale. Il s’agit d’une discrimination fondée sur la fortune, alors que les usagers de la protection sociale flamande peuvent être issus de toutes les couches de la population parce que chacun peut avoir la malchance d’avoir besoin à un moment donné de certains soins qui ne sont pas couverts par l’assurance maladie fédérale. En ne prévoyant toutefois pas la possibilité de
10
demander une exemption de la taxe de dossier lorsque ce montant s’avère trop élevé pour l’usager, la taxe de dossier obligatoire a pour effet que celui qui peut difficilement payer cette taxe aura moins tendance à introduire un recours, ce qui signifie en réalité que la mesure a un effet discriminatoire sur la base de la fortune. Cette différence n’est pas raisonnablement justifiée.
A.8.3.2. Le Gouvernement flamand estime qu’il ne s’agit pas d’un traitement égal de personnes qui peuvent payer la taxe de dossier et de celles qui ne peuvent pas la payer. Il rappelle que le législateur décrétal a prévu que les usagers financièrement vulnérables ne doivent pas payer la taxe, ou seulement en partie. Les catégories comparées sont donc effectivement traitées différemment. Selon lui, il n’est dès lors pas nécessaire de prévoir une possibilité supplémentaire de demander une exemption de la taxe de dossier.
A.8.4.1. Troisièmement, les parties requérantes invoquent une différence de traitement entre les personnes qui entament une procédure devant le tribunal du travail contre une décision négative rendue dans le cadre de l’aide sociale ou de la sécurité sociale et les personnes qui introduisent un recours contre une décision rendue dans le cadre de la protection sociale flamande. La première procédure est gratuite parce que l’accès au juge a été considéré comme primordial, alors que la seconde procédure n’est ouverte qu’après le paiement d’une taxe de dossier. Selon les parties requérantes, le critère de distinction est le cadre dans lequel la décision a été prise. Ce critère n’est pas pertinent à la lumière du but consistant à éviter les recours inutiles et systématiques. En effet, des recours systématiques dans le cadre de la sécurité sociale et de l’aide sociale sont également possibles. Par ailleurs, la gratuité des procédures en matière de sécurité sociale et d’aide sociale n’a jamais été envisagée lors de l’introduction de la taxe de dossier. Le traitement inégal n’est pas justifié.
A.8.4.2. Le Gouvernement flamand répond que la comparaison porte sur des situations qui sont réglées par des autorités distinctes dans le cadre de leurs compétences autonomes. Il est de jurisprudence constante qu’une différence de traitement qui découle des politiques distinctes des différentes autorités, qui est la conséquence de leur autonomie constitutionnelle, ne peut être jugée contraire au principe d’égalité.
A.8.5.1. Quatrièmement, les parties requérantes invoquent une différence de traitement entre les personnes qui ont recours à un avocat pro deo et engagent une procédure contre une décision dans le cadre de la protection sociale flamande et les personnes qui ont recours à un avocat pro deo et qui intentent une tout autre procédure. En ce qui concerne les personnes qui ont recours à des avocats pro deo, le législateur fédéral considère qu’il s’agit de personnes qui se trouvent dans une situation financière précaire. Celui qui a droit à une aide juridique de deuxième ligne ne peut pas demander l’exemption de la taxe de dossier dans le cas d’un recours administratif contre une décision négative rendue dans le cadre de la protection sociale flamande, alors que celui qui a droit à l’aide juridique de deuxième ligne peut toujours demander, dans toute autre procédure, d’être exempté du paiement des frais. La protection des personnes qui doivent recourir à l’aide juridique de deuxième ligne n’a pas été envisagée lors de l’instauration de la taxe de dossier. La différence n’est pas raisonnablement justifiée.
A.8.5.2. Le Gouvernement flamand fait valoir que la comparaison porte sur des situations qui sont régies par des autorités distinctes dans le cadre de leurs compétences autonomes. Il est de jurisprudence constante qu’une différence de traitement qui découle des politiques distinctes des différentes autorités, qui est la conséquence de leur autonomie constitutionnelle, ne peut être jugée contraire au principe d’égalité.
A.8.6.1. Cinquièmement, les parties requérantes invoquent une différence de traitement entre les personnes qui introduisent un recours qui est fondé et les personnes dont le recours est rejeté. En prévoyant le remboursement des frais de dossier des personnes dont le recours est déclaré fondé, le législateur décrétal tente de démontrer qu’il ne s’agit pas d’obtenir des moyens financiers, mais simplement de dissuader les recours inutiles ou systématiques.
Selon les parties requérantes, cet argument n’est pas convaincant, puisqu’un recours administratif non fondé peut encore être mis à néant devant le tribunal du travail ou la cour du travail, qui peut donner raison quant au fond à l’usager. Dans ce cas, l’usager n’obtient pas davantage le remboursement de la taxe de dossier. Aucune réglementation n’est prévue non plus pour les recours qui sont sans objet, qui font l’objet d’un désistement ou pour lesquels il a été trouvé une solution amiable. Dans toutes ces situations, le remboursement n’est pas prévu. Par ailleurs, il n’est pas prouvé que les recours non fondés sont le résultat d’une contestation irréfléchie de décisions négatives. Il est par ailleurs également toujours difficile d’évaluer ses chances de réussite, surtout dans une matière complexe comme l’« indication ».
A.8.6.2. Selon le Gouvernement flamand, la différence de traitement soumise à la Cour entre les usagers qui obtiennent gain de cause et les usagers qui ont introduit un recours non fondé est raisonnablement justifiée. En effet, il est tout à fait raisonnable que la taxe de dossier ne soit pas mise à charge d’un usager qui a introduit un recours pour des motifs fondés contre une première « indication ». Il est en même temps logique que le
11
remboursement ne soit pas le même pour celui qui a injustement introduit un recours, sinon la mesure manquerait son objectif. Par ailleurs, eu égard au montant limité, il n’est pas davantage déraisonnable que le décret du 18 juin 2021 ne prévoie pas de remboursement lorsque le recours est sans objet, qu’il y a désistement du recours, qu’une solution amiable est trouvée ou que la situation de l’usager est modifiée en sa défaveur en cours de procédure. En effet, un recours administratif emporte une nouvelle appréciation, ce qui peut profiter au requérant.
En ce qui concerne le troisième moyen
A.9.1. Les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation, par l’article 18, 1°, par l’article 18, 2°, et par l’article 21, 2°, du décret du 18 juin 2021, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 14 de cette Convention, avec les articles 2 et 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, avec les articles 18 et 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, avec les articles 20, 21 et 45 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 « relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union » (ci-après : le règlement (UE) n° 492/2011), avec l’article 24 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 « relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE » (ci-après : la directive 2004/38/CE), avec l’Accord sur l’Espace économique européen et avec l’Accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, avec les articles 1er, 4 et 6 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 « sur la coordination des systèmes de sécurité sociale » (ci-après : le règlement (CE) n° 883/2004), avec le règlement (UE) n° 1231/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 « visant à étendre le règlement (CE) n° 883/2004 et le règlement (CE) n° 987/2009 aux ressortissants de pays tiers qui ne sont pas déjà couverts par ces règlements uniquement en raison de leur nationalité » (ci-après : le règlement (UE) n° 1231/2010), avec l’article 11 de la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003
« relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée » (ci-après : la directive 2003/109/CE), avec l’article 12 de la directive 2011/98/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011
« établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un État membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un État membre » (ci-après : la directive 2011/98/UE), avec l’article 14 de la directive 2009/50/CE du Conseil du 25 mai 2009 « établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi hautement qualifié » (ci-
après : la directive 2009/50/CE), avec l’article 18 de la directive 2014/66/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 « établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe » (ci-après : la directive 2014/66/UE), avec l’article 22, paragraphes 1 et 3, de la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 « relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d’études, de formation, de volontariat et de programmes d’échange d’élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair (refonte) » (ci-après : la directive (UE)
2016/801), avec l’article 3 de la décision n° 3/80 du Conseil d’association du 19 septembre 1980 relative à l’application des régimes de sécurité sociale des États membres des Communautés européennes aux travailleurs turcs et aux membres de leur famille (ci-après : la décision n° 3/80), avec l’article 65 de l’Accord euro-
méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et la Tunisie, avec l’article 65 de l’Accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et le Maroc, avec l’article 68 de l’Accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et l’Algérie, avec l’article 12, paragraphe 4, de la Charte sociale européenne, avec les articles 23 et 24 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et avec les articles 23 et 24 de la Convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides.
A.9.2. Le Gouvernement flamand fait valoir en premier lieu que le troisième moyen est irrecevable à défaut d’un exposé clair de ce moyen. Il affirme qu’il ne voit pas toujours clairement en quoi les dispositions attaquées violeraient les normes de référence invoquées. Selon lui, les parties requérantes ne démontrent pas si, ni dans quelle mesure, les dispositions attaquées établissent une discrimination indirecte. En particulier en ce qui concerne la sous-branche N de la première branche du moyen, il n’aperçoit pas si et en quoi les mesures seraient contraires à la Charte sociale européenne.
12
A.10.1. Dans la première branche, les parties requérantes font valoir que l’article 18, 1°, du décret du 18 juin 2021 (la condition de durée de résidence et la condition de durée d’assurance en ce qui concerne le droit à un budget de soins) viole les normes de référence invoquées au moyen en ce qu’il y a souvent des discriminations (in)directes.
La branche est subdivisée en plusieurs sous-branches, dans lesquelles les prétendues discriminations sont exposées en fonction de la norme de référence invoquée et des comparaisons.
A.10.2.1. Dans la sous-branche A, elles font valoir que l’article 18, 1°, du décret du 18 juin 2021 viole les articles 10 et 11 de la Constitution en établissant une différence de traitement injustifiée entre, d’une part, les personnes qui satisfont à la condition de durée de résidence ou à la condition d’assurance de dix ans et, d’autre part, les personnes qui n’y satisfont pas. Le critère de la résidence dans la région de langue néerlandaise ou dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale, que le législateur a pris en compte, n’est, selon elles, pas pertinent pour atteindre les objectifs poursuivis par le législateur décrétal (solidarité intergénérationnelle entre les citoyens et viabilité financière du système). Par ailleurs, la condition de durée de résidence d’au moins dix ans est disproportionnée à la lumière des objectifs poursuivis par le législateur décrétal.
A.10.2.2. Dans la sous-branche B, elles font valoir que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution en établissant une différence de traitement injustifiée entre les personnes de nationalité belge qui satisfont à la condition de durée de résidence ou à la condition d’assurance et les Belges qui n’y satisfont pas. En renvoyant à l’arrêt de la Cour n° 62/2009 du 25 mars 2009 (ECLI:BE:GHCC:2009:ARR.062), elles considèrent que le renforcement des conditions n’est pas pertinent à la lumière des objectifs, parce que la possession de la nationalité belge démontre déjà un lien suffisant avec la Belgique.
A.10.2.3. Dans la sous-branche C, elles relèvent que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14 de cette Convention, en établissant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui satisfont à la condition de durée de résidence ou à la condition d’assurance et les personnes qui n’y satisfont pas, en particulier lorsqu’il s’agit de personnes qui disposent d’un titre de séjour en Belgique. Les conditions renforcées constituent une discrimination indirecte fondée sur la nationalité qui n’est pas justifiée par des « considérations très fortes ». La différence de traitement n’est pas raisonnablement justifiée et n’est pas proportionnée. Les parties requérantes estiment qu’une autorisation d’établissement, prévue par les articles 15 et 16 de la loi du 15 décembre 1980 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers » suffit pour démontrer un lien suffisant avec la Belgique. Elles se réfèrent à cet égard à l’arrêt de la Cour n° 153/2007 du 12 décembre 2007 (ECLI:BE:GHCC:2007:ARR.153).
A.10.2.4. Dans la sous-branche D, elles font valoir que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 2 et 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, en établissant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui satisfont à la condition de durée de résidence ou à la condition d’assurance et les personnes qui n’y satisfont pas. Elles font valoir que le Pacte précité s’oppose à une législation en matière de sécurité sociale qui constitue une discrimination directe ou indirecte. Elles affirment ensuite que les conditions imposées ne sont ni raisonnables ni proportionnées.
A.10.2.5. Dans la sous-branche E, elles soutiennent que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 21 et 45 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 492/2011, avec l’article 24 de la directive 2004/38/CE, avec l’Accord sur l’Espace économique européen (ci-après : l’Accord EEE) et avec l’Accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération Suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, en établissant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui satisfont à la condition de durée de résidence ou à la condition d’assurance et les personnes qui n’y satisfont pas, en ce que les deux catégories entrent dans le champ d’application des dispositions précitées. Les parties requérantes affirment que les normes de référence précitées établissent une interdiction de discrimination fondée sur la nationalité, en ce qui concerne les avantages sociaux. Les budgets de soins relèvent de la notion d’« avantage social », telle qu’elle a été définie par la Cour de justice de l’Union européenne. La justification qui est déduite des considérations budgétaires manque de clarté et n’est pas démontrée de manière suffisamment concrète. Selon les parties requérantes, le renforcement des conditions n’est ni pertinent, ni proportionné.
13
A.10.2.6. Dans la sous-branche F, les parties requérantes font valoir que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 4 et 6 du règlement (CE) n° 883/2004, avec le règlement (UE) n° 1231/2010, avec l’Accord EEE et avec l’Accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, en établissant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui satisfont à la condition de durée de résidence ou à la condition d’assurance et les personnes qui n’y satisfont pas, en ce que les deux catégories relèvent du champ d’application des dispositions précitées et en ce que, pour ces personnes, il n’est pas tenu compte des périodes de résidence dans un autre État membre de l’EEE ou en Suisse. La disposition attaquée établit une discrimination indirecte injustifiée et disproportionnée. Par ailleurs, le législateur décrétal a décidé à tort de ne pas prendre en compte les périodes de résidence dans un autre État membre, comme l’impose le droit de l’Union.
A.10.2.7. Dans la sous-branche G, les parties requérantes déclarent que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et avec l’article 11, paragraphe 1, d), de la directive 2003/109/CE, en établissant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui satisfont à la condition de durée de résidence ou à la condition d’assurance et les personnes qui n’y satisfont pas, en ce que les deux catégories relèvent du champ d’application de la directive 2003/109/CE du fait que les personnes qui, conformément à la directive 2003/109/CE précitée, ont reçu le statut de « résident de longue durée » sont indirectement discriminées par les conditions renforcées. Elles affirment à cet égard que les budgets de soins relèvent des prestations essentielles pour lesquelles aucune distinction entre résidents de longue durée et ressortissants ne peut être établie.
A.10.2.8. Dans la sous-branche H, elles relèvent que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et avec l’article 12, paragraphe 1, e), de la directive 2011/98/UE, en établissant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui satisfont à la condition de durée de résidence ou à la condition d’assurance et les personnes qui n’y satisfont pas, en ce que les deux catégories relèvent du champ d’application de la directive 2011/98/UE. Elles affirment que les ressortissants de pays tiers qui relèvent du champ d’application de cette directive ont droit au même traitement que les ressortissants de l’État membre d’accueil pour ce qui est de certaines branches de la sécurité sociale ainsi qu’elles sont définies dans le règlement (CE) n° 883/2004. Elles estiment que la discrimination (in)directe qui découle du renforcement des conditions n’est ni justifiée ni proportionnée. Elles se réfèrent à cet égard à l’article 4 du règlement (CE) n° 883/2004.
A.10.2.9. Dans la sous-branche I, elles font valoir que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et avec l’article 14, paragraphe 1, e), de la directive 2009/50/CE, en établissant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui satisfont à la condition de durée de résidence ou à la condition d’assurance et les personnes qui n’y satisfont pas, en ce que les deux catégories relèvent du champ d’application de la directive 2009/50/CE. Elles déclarent que les personnes qui relèvent du champ d’application de la directive précitée ont droit au même traitement que les ressortissants de l’État membre d’accueil en ce qui concerne certaines branches de la sécurité sociale, mentionnées dans le règlement (CE) n° 883/2004. Elles relèvent que la discrimination directe et indirecte qui découle du renforcement des conditions relatives au droit à un budget de soins n’est ni justifiée ni proportionnée.
A.10.2.10. Dans la sous-branche J, elles font valoir que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 18, paragraphe 2, c), de la directive 2014/66/UE, en établissant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui satisfont à la condition de durée de résidence ou à la condition d’assurance et les personnes qui n’y satisfont pas, en ce que les deux catégories relèvent du champ d’application de la directive 2014/66/UE. Elles déclarent que les personnes qui relèvent du champ d’application de cette directive ont droit au même traitement que les ressortissants de l’État membre d’accueil en ce qui concerne certaines branches de la sécurité sociale, mentionnées dans le règlement (CE) n° 883/2004. Elles affirment que la discrimination (in)directe n’est ni justifiée ni proportionnée.
A.10.2.11. Dans la sous-branche K, elles font valoir que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et avec l’article 18, paragraphe 2, c), de la directive (UE) 2016/801, en établissant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui satisfont à la condition de durée de résidence ou à la condition d’assurance et les personnes qui n’y satisfont pas, en ce que les deux catégories relèvent du champ d’application de la directive (UE) 2016/801. Elles affirment que les personnes qui relèvent du champ d’application de cette directive ont droit au même traitement que les ressortissants de l’État membre d’accueil en ce qui concerne
14
certaines branches de la sécurité sociale, mentionnées dans le règlement (CE) n° 883/2004. Elles relèvent à nouveau que la discrimination (in)directe qui découle du renforcement des conditions n’est ni justifiée ni proportionnée.
A.10.2.12. Dans la sous-branche L, les parties requérantes font valoir que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 3 de la décision n° 3/80 et avec les articles 20
et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en établissant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui satisfont à la condition de durée de résidence ou à la condition d’assurance et les personnes qui n’y satisfont pas, en ce que les deux catégories relèvent du champ d’application de la décision n° 3/80. Elles affirment que les personnes qui relèvent du champ d’application de cette décision ont droit au même traitement que les ressortissants de l’État membre d’accueil en ce qui concerne certaines branches de la sécurité sociale. Elles se réfèrent à nouveau au champ d’application et à la clause d’égalité contenue dans le règlement (CE) n° 883/2004. Elles affirment que la discrimination indirecte qui découle du renforcement des conditions du droit à un budget de soins n’est ni justifiée ni proportionnée.
A.10.2.13. Dans la sous-branche M, les parties requérantes relèvent que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 65 de l’Accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et la Tunisie, avec l’article 65 de l’Accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et le Maroc et avec l’article 68 de l’Accord euro-
méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et l’Algérie, en instaurant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui satisfont à la condition de durée de résidence ou à la condition d’assurance et les personnes qui n’y satisfont pas, en ce que les deux catégories relèvent du champ d’application de ces Accords. Elles font valoir que les personnes qui relèvent du champ d’application de ces Accords ont droit au même traitement que les ressortissants de l’État membre d’accueil en ce qui concerne certaines branches de la sécurité sociale. Elles se réfèrent au champ d’application et à la clause d’égalité du règlement (CE) n° 883/2004. Elles font valoir à cet égard que la discrimination indirecte qui découle du renforcement des conditions relatives au droit à un budget de soins n’est ni justifiée ni proportionnée.
A.10.2.14. Dans la sous-branche N, elles font valoir que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 12, paragraphe 4, de la Charte sociale européenne, en établissant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui satisfont à la condition de durée de résidence ou à la condition d’assurance et les personnes qui n’y satisfont pas, en ce que les deux catégories relèvent du champ d’application de cette disposition. Elles affirment que les personnes qui entrent dans le champ d’application de cette disposition ont droit au même traitement que les ressortissants de l’État membre d’accueil en ce qui concerne notamment certaines branches de la sécurité sociale. Par ailleurs, la Charte interdit les conditions relatives aux périodes de résidence préalables pour bénéficier d’allocations fondées sur le paiement de cotisations. Par ailleurs, elles affirment à cet égard que la discrimination indirecte qui découle du renforcement des conditions relatives au droit à un budget de soins n’est ni justifiée ni proportionnée.
A.10.2.15. Dans la sous-branche O, elles font valoir que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 24 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et avec l’article 24 de la Convention de New York relative au statut des apatrides, en établissant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui satisfont à la condition de durée de résidence ou à la condition d’assurance et les personnes qui n’y satisfont pas, en ce que les deux catégories relèvent du champ d’application de ces conventions. Elles affirment que les personnes qui relèvent du champ d’application de ces dispositions ont droit au même traitement que les ressortissants de l’État membre d’accueil en ce qui concerne notamment l’aide sociale et la sécurité sociale. Elles ajoutent que la discrimination indirecte qui découle du renforcement des conditions relatives au droit à un budget de soins n’est ni justifiée ni proportionnée.
A.10.3. Le Gouvernement flamand estime qu’il n’y a pas de discrimination directe ni de discrimination indirecte. Il affirme qu’aucune distinction directe sur la base de la nationalité n’est établie et qu’il ne s’agit donc nullement d’une discrimination directe. En ce qui concerne la discrimination indirecte, il estime que les parties requérantes ne démontrent pas à suffisance qu’il s’agirait de ce type de discrimination. Par ailleurs, il précise qu’il s’agit d’une assurance sociale assortie d’une obligation de cotisation, et non d’un régime d’aide sociale. Il ajoute que la différence de traitement invoquée par les parties requérantes concerne d’autres catégories de personnes : il ne s’agit en effet pas de la comparaison entre des Belges et des non-Belges, mais des Belges qui n’ont pas davantage habité en Belgique ou n’ont quasiment pas habité en Belgique et des non-Belges. Enfin, il déclare que la distinction est raisonnablement justifiée à la lumière des buts poursuivis, à savoir garantir le principe d’assurance, la solidarité et la viabilité financière et que la mesure attaquée est proportionnée. Il examine ensuite les différentes sous-branches.
15
A.10.4.1. En ce qui concerne la sous-branche A, le Gouvernement flamand estime que le renforcement des conditions est raisonnablement justifié et proportionné parce qu’il s’agit selon lui d’une assurance sociale assortie d’une obligation de cotisation et parce que les primes de soins annuelles sont relativement basses. Par ailleurs, il s’agit d’un système de solidarité intergénérationnelle, et non par définition d’une solidarité entre personnes en bonne santé et personnes ayant besoin de soins de longue durée.
A.10.4.2. En ce qui concerne la sous-branche B, le Gouvernement flamand relève que le renforcement des conditions ne viole pas le principe d’égalité entre différentes catégories de personnes de nationalité belge. Il souligne que ce n’est pas un lien suffisant avec la Belgique, mais un lien suffisant avec la protection sociale flamande qui importe. La distinction qui est établie est dès lors pertinente. Selon lui, la jurisprudence invoquée n’est pas pertinente parce qu’elle concerne un régime résiduel (et donc l’aide sociale), et non une protection sociale qui est une assurance sociale.
A.10.4.3. En ce qui concerne la sous-branche C, il fait valoir que le renforcement des conditions ne viole pas l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 14 de cette Convention. Il déclare que ces dispositions n’impliquent pas le droit d’acquérir une propriété (cf. arrêt n° 138/2013 du 17 octobre 2013, ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.138) si bien qu’elles ne sont pas pertinentes. En ordre subsidiaire, il fait valoir qu’il n’est nullement question d’une violation du droit de propriété parce que l’ingérence telle qu’elle est décrite plus haut est justifiée et proportionnée. Le Gouvernement flamand attire l’attention sur le pouvoir d’appréciation étendu pour donner corps à la sécurité sociale. Enfin, il déclare que l’arrêt de la Cour n° 157/2007 du 12 décembre 2007 (ECLI:BE:GHCC:2007:ARR.157) n’est pas pertinent parce que la protection sociale flamande est une assurance sociale et qu’aucune condition de revenus ne s’applique.
A.10.4.4. En ce qui concerne la sous-branche D, le Gouvernement flamand observe que l’article 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels n’est pas applicable parce que la protection sociale flamande ne concerne pas un des risques sociaux qui relèvent du champ d’application de cet article.
A.10.4.5. En ce qui concerne la sous-branche E, il estime que ni l’article 18 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ni l’article 7 du règlement (UE) n° 492/2011, ni la directive 2004/38/CE ne sont pertinents.
Ensuite, il fait valoir que les parties requérantes ne précisent pas en quoi il serait plus difficile pour les citoyens d’un autre État membre de l’EEE ou pour les citoyens suisses de satisfaire à la condition de durée d’assurance que pour les ressortissants belges. Il relève ensuite que tant les Belges que d’autres personnes qui entrent dans le champ d’application de ce règlement peuvent obtenir de la même façon l’équivalence des périodes (de résidence) pour l’application de la condition de durée d’assurance et qu’il n’y a donc pas de discrimination indirecte. Enfin, en renvoyant à l’arrêt de la Cour n° 189/2021 du 23 décembre 2021 (ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.189), le Gouvernement flamand relève qu’en ce qui concerne le système de l’assurance sociale d’outre-mer, le législateur national prévoit, pour l’application d’une condition de durée d’assurance, des assimilations imposées par des normes internationales.
A.10.4.6. En ce qui concerne la sous-branche F, le Gouvernement flamand observe que, contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, il est tenu compte des périodes de résidence dans un autre État membre de l’EEE ou en Suisse, pour autant qu’il s’agisse d’un pays disposant d’une assurance sociale (non contributive) et où l’usager est donc affilié à l’assurance sociale sur la seule base de la résidence dans ce pays. La protection sociale flamande étant qualifiée d’assurance sociale, le seul fait de résider dans un autre pays ne peut être pris en compte comme critère. L’inverse serait contraire à l’objectif du règlement (CE) n° 883/2004, à savoir uniquement coordonner les régimes de sécurité sociale dans les divers États membres européens. Il ajoute que le principe d’équivalence précité a effet direct et qu’il n’est donc pas nécessaire de le faire explicitement figurer dans un texte légal.
A.10.4.7. En ce qui concerne la sous-branche G, le Gouvernement flamand relève que la directive 2003/109/CE n’est pas pertinente. La protection sociale flamande ne concerne pas la sécurité sociale au sens de la directive précitée, elle relève uniquement d’un système de protection sociale. En raison de cette qualification, il serait possible de restreindre l’application des principes contenus dans la directive aux « prestations essentielles ». Le Gouvernement flamand déclare que les budgets de soins ne font pas partie des prestations essentielles. De surcroît, contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, le Gouvernement flamand aurait indiqué de manière suffisamment claire qu’il souhaitait déroger au principe d’égalité en matière de protection sociale, eu égard à la nature de la disposition attaquée (il s’agit d’une mesure compensatoire de coûts)
et à la manière dont elle a été élaborée.
16
A.10.4.8. En ce qui concerne la sous-branche H, le Gouvernement flamand observe à propos de l’aspect relatif au traitement égal, que la directive 2011/98/UE, ne confère pas de droits supplémentaires par rapport au droit de l’Union en vigueur. En ce qui concerne le droit de l’Union en vigueur, le Gouvernement flamand se réfère à ses arguments relatifs à d’autres sous-branches.
A.10.4.9. En ce qui concerne la sous-branche I, le Gouvernement flamand observe que la directive 2009/50/CE ne confère pas de droits supplémentaires par rapport au droit de l’Union en vigueur en matière de sécurité sociale. Par conséquent, le principe d’égalité contenu dans cette directive ne permet pas d’en déduire des arguments supplémentaires.
A.10.4.10. En ce qui concerne la sous-branche J, le Gouvernement flamand relève que la directive 2014/66/UE fixe les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un transfert intragroupe. Selon lui, cette directive se réfère exclusivement au règlement (CE) n° 883/2004 et il réitère dès lors ses arguments relatifs à ce règlement.
A.10.4.11. En ce qui concerne la sous-branche K, le Gouvernement flamand relève que la directive (UE) 2016/801 fixe les conditions d’entrée et de séjour des résidents de pays tiers qui entrent dans le champ d’application de cette directive. Selon lui, la directive se réfère exclusivement au règlement (CE)
n° 883/2004 et il réitère dès lors ses arguments en la matière.
A.10.4.12. En ce qui concerne la sous-branche L, le Gouvernement flamand relève que la décision n° 3/80
n’est pas applicable aux budgets de soins. En effet, il est prévu une exception dans le champ d’application pour le revenu garanti aux personnes âgées et pour les allocations aux personnes en situation de handicap. Étant donné que le budget de soins n’existait pas encore lors de l’adoption de la décision précitée, il convient raisonnablement d’admettre que le but n’a jamais été de faire entrer les budgets de soins dans son champ d’application. En ordre subsidiaire, il observe que la décision – contrairement au règlement (CE) n° 883/2004 – ne prévoit pas que les périodes accomplies dans un autre État membre doivent être prises en compte. De surcroît, la portée de cette décision ne pourrait être étendue sur la base d’arguments fondés sur la discrimination indirecte, dont il ne serait par ailleurs pas question.
A.10.4.13. En ce qui concerne la sous-branche M, le Gouvernement flamand observe que les clauses d’égalité de traitement contenues dans les Accords invoqués ont la même portée que celle qui est contenue dans le règlement (CE) n° 883/2004. Il reprend intégralement ses arguments.
A.10.4.14. En ce qui concerne la sous-branche N, le Gouvernement flamand observe que l’argumentation des parties requérantes est fondée sur un régime non contributif, alors que la protection sociale flamande est quant à elle contributive. Par ailleurs, les parties requérantes n’exposent pas clairement en quoi la disposition attaquée violerait la Charte sociale européenne.
A.10.4.15. En ce qui concerne la sous-branche O, le Gouvernement flamand déclare que l’article 44 du décret du 18 mai 2018 « relatif à la protection sociale flamande » que les personnes qui relèvent du champ d’application de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et de la Convention de New York relative au statut des apatrides peuvent demander des « soins », comme il est prévu à l’article 4, alinéa 1er, 4° à 10°, du décret du 18 mai 2018, précité. Les budgets de soins en question ne relèvent pas de ces soins. Le Gouvernement flamand prévoit en outre que les personnes qui bénéficient d’une protection temporaire en vertu de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 « relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil » sont dispensées de l’obligation d’intégration civique. De surcroît, certains réfugiés et apatrides entrent sans doute en considération pour une « déclaration d’efforts fournis ». En ce qui concerne la discrimination indirecte, le Gouvernement flamand se réfère aux arguments qu’il a déjà exposés antérieurement.
A.11.1. Dans la seconde branche, les parties requérantes critiquent l’article 18, 2°, du décret du 18 juin 2021, qui établit une condition d’intégration civique pour l’accès au budget de soins. La disposition attaquée est contraire aux normes de référence invoquées dans le moyen en ce qu’elle dispose que, pour prétendre à une intervention, l’usager doit satisfaire à l’obligation d’intégration civique, mentionnée à l’article 2, alinéa 1er, 11°, du décret du 7 juin 2013 ou à l’article 4 de l’ordonnance du 11 mai 2017. Elles reproduisent leur point de vue exposé dans la première branche du troisième moyen (à l’exception de la sous-branche E). Elles estiment qu’il y a une différence de traitement qui n’est ni pertinente ni proportionnée. Selon elles, le renforcement des conditions d’accès à un budget de soins constitue une discrimination (in)directe qui n’est ni justifiée ni proportionnée.
17
A.11.2. Le Gouvernement flamand estime que l’obligation d’intégration civique, établie par l’article 18, 2°, du décret du 18 juin 2021, n’est pas contraire aux normes de référence invoquées dans le moyen. Il reprend en majeure partie les arguments qu’il a exposés dans le cadre de la première branche, à l’exception de la sous-
branche E.
Il précise ensuite que les parties requérantes demandent, en ce qui concerne le règlement (CE) n° 883/2004, d’établir une discrimination directe des Belges sur la base de la nationalité afin de lutter contre la discrimination indirecte alléguée. Il ajoute, en ordre subsidiaire, que si les budgets de soins sont qualifiés de « prestations essentielles » au sens de la directive 2003/109/CE, la Cour de justice de l’Union européenne a déjà jugé, par son arrêt du 4 juin 2015 en cause de P et S c. Commissie Sociale Zekerheid Breda e.a. (C-579/13, ECLI:EU:C:2015:369), qu’une condition d’intégration civique n’est pas contraire à la directive précitée.
A.12.1. Dans la troisième branche du troisième moyen, les parties requérantes font valoir que l’article 21, 2°, du décret du 18 juin 2021 viole les normes de référence invoquées dans le moyen en ce qu’il subordonne la demande de bénéficier des correctifs sociaux, qui impliquent une diminution de la prime annuelle obligatoire, d’une part, à l’exigence selon laquelle l’usager doit, durant au moins cinq années consécutives, résider dans la région de langue néerlandaise ou dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale ou avoir été affilié à l’assurance sociale dans un État membre de l’Union européenne, ou dans un autre État membre de l’EEE ou en Suisse et, d’autre part, au respect de l’obligation d’intégration civique, mentionnée à l’article 2, alinéa 1er, 11°, du décret du 7 juin 2013 ou à l’article 4 de l’ordonnance du 11 mai 2017. Elles répètent en majeure partie la thèse qu’elles ont exposée dans le cadre des branches précédentes de ce moyen. Elles invoquent une différence de traitement qui n’est ni pertinente ni proportionnée et affirment que le renforcement des conditions d’accès à un budget de soins constitue une discrimination (in)directe qui n’est ni justifiée ni proportionnée.
A.12.2. Le Gouvernement flamand considère qu’une condition de durée d’assurance d’au moins cinq ans et une obligation d’intégration civique pour obtenir des correctifs sociaux ne sont pas contraires aux normes de référence invoquées. À cet égard, il reprend en substance les arguments qu’il a exposés dans le cadre de la première branche du troisième moyen.
Il précise encore que les parties requérantes reproduisent intégralement l’argumentation de la première branche et de la deuxième branche, alors qu’il s’agit dans la troisième branche des correctifs sociaux (diminution de la prime). Il considère qu’il ne peut être postulé que des dispositions du droit de l’Union et des dispositions conventionnelles (en particulier la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et la Convention de New York relative au statut des apatrides) concernant la protection sociale portent sur des mesures relatives au paiement de la prime. Il souligne en outre le pouvoir discrétionnaire à cet égard, ce qui implique qu’il doit s’agir d’une mesure manifestement déraisonnable, ce qui, selon le Gouvernement flamand, n’est pas démontré. Il souligne que les deux catégories de personnes ne sont pas comparables, parce que les personnes qui satisfont aux conditions auraient démontré leur volonté de s’intégrer et de contribuer à la société flamande. Par ailleurs, la mesure est pertinente, notamment parce que les primo-arrivants ont l’occasion d’améliorer leur situation sociale et financière.
Enfin, la mesure est proportionnée parce que le montant total de la charge financière supplémentaire ne s’élèverait qu’à 135 euros, ce qui est très raisonnable, selon le Gouvernement flamand. Pour terminer, il observe que les correctifs sociaux ne relèvent pas de la notion de « prestations essentielles », telles qu’elles sont définies dans la directive 2003/109/CE.
Quant au quatrième moyen
A.13. Les parties requérantes prennent un quatrième moyen de la violation du principe de légalité, contenu dans l’article 23 de la Constitution, par l’article 45 du décret du 18 juin 2021.
A.14.1. Selon les parties requérantes, les modifications qui découlent de l’article 45 du décret du 18 juin 2021 ont pour effet que l’on n’aperçoit plus clairement sur la base de quels critères et calculs des personnes sont réparties dans des catégories de personnes âgées ayant besoin de soins et quels montants ces personnes reçoivent.
Elles affirment qu’avant la modification, le décret prévoyait que les catégories – dans lesquelles sont classées les personnes âgées ayant besoin de soins, avec la prime mensuelle y afférente – étaient basées sur le niveau d’autonomie du demandeur. À présent, le Gouvernement flamand est habilité à déterminer les catégories d’usagers, la répartition des usagers dans une catégorie nécessitant de prendre en compte la perte d’autonomie. Le législateur
18
décrétal ne détermine cependant pas lui-même les conditions d’exercice du droit à un budget de soins (cf. les conditions d’octroi) pour les personnes ayant besoin de soins.
A.14.2. Le Gouvernement flamand fait valoir que l’article 23 de la Constitution contient un principe de légalité atténué, ce qui signifie que rien ne fait obstacle à une habilitation au Gouvernement flamand pour autant que cette habilitation porte sur l’adoption de mesures dont l’objet a été précisé par le législateur compétent. Il soutient à cet égard que, contrairement à ce que dit le Conseil d’État dans son avis relatif au décret du 18 juin 2021, les éléments essentiels ne doivent pas être précisés par le législateur décrétal lui-même.
Selon lui, le législateur décrétal a défini l’objet de la disposition attaquée et a confié la mise en œuvre de celle-ci au Gouvernement flamand. En ordre subsidiaire, il estime par ailleurs que le législateur décrétal a lui-
même réglé les éléments essentiels en déterminant lui-même les cinq catégories d’usagers qui peuvent prétendre à un budget de soins pour personnes âgées ayant besoin de soins et les montants du budget de soins prévu à cet effet. Par ailleurs, il a lui-même déterminé le critère sur la base duquel les cinq catégories doivent être précisées.
Quant au maintien des effets
A.15. Les parties requérantes s’opposent au maintien des effets des dispositions qui seraient éventuellement annulées, étant donné que les répercussions budgétaires seraient limitées.
-B-
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.1. Les parties requérantes demandent l’annulation de l’article 18, 1° et 2°, de l’article 21, 2°, et des articles 43, 45, 46 et 48 du décret de la Communauté flamande du 18 juin 2021 « modifiant la réglementation dans le cadre de la protection sociale flamande » (ci-après :
le décret du 18 juin 2021).
B.2. Le décret de la Communauté flamande du 18 mai 2018 « relatif à la protection sociale flamande » (ci-après : le décret du 18 mai 2018) vise à instaurer une sécurité sociale flamande complémentaire de la sécurité sociale fédérale (Doc. parl., Parlement flamand, 2017-2018, n° 1474/1, p. 3). La protection sociale flamande est instaurée par phases, en développant de nouveaux aspects, qui ont été transférés dans le cadre de la sixième réforme de l’État, et en intégrant des interventions existantes (ibid.).
B.3.1. La partie 1 contient les dispositions de base communes en matière de protection sociale flamande. Ainsi, l’objet, les objectifs et les principes de la protection sociale flamande sont inscrits dans le décret (articles 4 à 8) et il y est prévu que la protection sociale flamande
19
est une assurance sociale qui attache des droits au paiement d’une prime annuelle (article 5 du décret du 18 mai 2018).
Elle consiste en plusieurs piliers, parmi lesquels le budget de soins pour personnes ayant besoin de soins importants (appelées « personnes en grande dépendance de soins »), le budget de soins pour personnes âgées ayant besoin de soins (appelées « personnes âgées présentant un besoin en soins »), le budget d’assistance de base, les soins résidentiels pour personnes âgées, les soins de santé mentale, y compris la revalidation qui est en premier lieu axée sur les aspects psychosociaux, la revalidation qui est en premier lieu axée sur le rétablissement de fonctions physiques, l’aide à domicile, les soins « transmuraux », les aides à la mobilité et la concertation multidisciplinaire (article 4 du décret du 18 mai 2018).
Cette partie contient en outre les règles concernant l’organisation de la protection sociale flamande par l’« Agentschap voor Vlaamse sociale bescherming » (Agence pour la protection sociale flamande) et les caisses d’assurance soins (articles 9 à 28), les cas dans lesquels une amende administrative peut être infligée et la procédure prévue à cet effet (article 28/1), le contrôle du fonctionnement de l’agence et des caisses d’assurance soins (articles 29 à 32), l’organisation de plusieurs commissions chargées du contrôle et/ou de missions de conseil (articles 33 à 40), les obligations de l’usager et les sanctions qui y sont attachées (articles 41 à 47) et le traitement des données (articles 49 à 54).
La partie 2 du décret du 18 mai 2018 contient les règles communes générales relatives au financement lié aux soins, en particulier en ce qui concerne l’octroi d’une intervention, l’« indication » (c’est-à-dire la détermination des besoins de soins de l’usager), les procédures d’appel, le cumul et la subrogation, les récupérations et les sanctions (articles 58 à 76/2).
Outre ces règles communes, le décret du 18 mai 2018 contient également des règles détaillées par catégorie d’intervention dans le cadre du financement lié aux soins. Ce décret fixe ainsi les conditions d’application et la procédure concernant le budget de soins pour personnes ayant besoin de soins importants (articles 79 à 83), le budget de soins pour personnes âgées ayant besoin de soins (articles 84 à 90) et le budget d’assistance de base (articles 91 à 94). Enfin, cette partie règle également le ticket de soins (articles 95 à 104) et l’intervention pour des aides à la mobilité (articles 105 à 135).
20
La partie 3 contient les règles relatives au financement lié à l’organisation (articles 136 à 139).
La partie 4 contient des dispositions temporaires (articles 139/1 à 154/21).
La partie 5 contient des dispositions modificatives (articles 155 à 175).
La partie 6 contient les dispositions finales, dont les dispositions relatives à l’entrée en vigueur et les dispositions transitoires (articles 176 à 188).
B.3.2. Le décret du 18 juin 2021 modifie le cadre décrétal existant sur plusieurs points. Il prévoit en premier lieu l’intégration graduelle de plusieurs secteurs supplémentaires dans la protection sociale flamande, à savoir les centres de soins psychiatriques, les initiatives d’habitation protégée, les hôpitaux de revalidation, les conventions de revalidation, les équipes d’accompagnement multidisciplinaire pour soins palliatifs et la concertation multidisciplinaire.
Les dispositions attaquées modifient ensuite les conditions d’octroi du droit à un budget de soins; elles prévoient des conditions relatives au droit à une prime de soins socialement corrigée, elles imposent le paiement d’une taxe de dossier pour introduire un recours administratif et elles prévoient de nouvelles règles pour répartir les usagers dans des catégories et le montant correspondant du budget de soins pour personnes âgées ayant besoin de soins.
Quant au fond
En ce qui concerne la compatibilité des nouvelles conditions d’octroi du budget de soins et des conditions relatives à la prime de soins socialement corrigée avec l’obligation de standstill (premier moyen)
B.4.1. Les parties requérantes prennent leur premier moyen de la violation de l’article 23
de la Constitution, lu en combinaison ou non avec l’article 22ter de la Constitution, avec l’article 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, avec les articles 12, 13 et 15 de la Charte sociale européenne, avec l’article 34 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec les articles 19, 26 et 28 de la Convention des
21
Nations unies du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées et avec l’obligation de motivation matérielle.
Dans la première branche, qui se compose de trois sous-branches, elles font valoir que l’article 18, 1° et 2°, du décret du 18 juin 2021 viole l’obligation de standstill. Dans la première sous-branche, elles contestent la nouvelle condition prolongeant la durée résidence pour entrer en considération pour un budget de soins (article 18, 1°). Dans la deuxième sous-branche, elles critiquent la nouvelle condition d’intégration civique pour prétendre à un budget de soins (article 18, 2°). Dans la troisième sous-branche, elles font valoir que l’effet cumulatif des deux conditions précitées viole a fortiori l’obligation de standstill.
Dans la deuxième branche, qui se compose de trois sous-branches, elles font valoir que l’article 21, 2°, du décret du 18 juin 2021 viole l’obligation de standstill. Dans la première sous-
branche, elles critiquent la nouvelle condition de durée de résidence, qui impose un séjour ininterrompu de cinq ans pour prétendre à une prime de soins socialement corrigée. Dans la deuxième sous-branche, elles critiquent la nouvelle condition de l’intégration civique pour prétendre à la même prime. Dans la troisième sous-branche, elles font valoir que l’effet cumulatif des deux nouvelles conditions viole a fortiori l’obligation de standstill.
Dans la troisième branche, les parties requérantes critiquent la combinaison des nouvelles conditions de durée de résidence et de l’intégration civique pour ce qui concerne tant l’accès au budget de soins que le droit à la prime socialement corrigée (article 18, 1° et 2°, du décret du 18 juin 2021 juncto l’article 21, 2°, du même décret).
B.4.2. Le Gouvernement flamand fait valoir que les parties requérantes exposent uniquement en quoi et dans quelle mesure les dispositions attaquées violent l’obligation de standstill, de sorte que le premier moyen ne serait recevable qu’en ce qu’il est pris de la violation de l’article 23 de la Constitution.
B.4.3. Il ressort de l’exposé du premier moyen des parties requérantes qu’elles se bornent en substance à invoquer la violation de l’article 23 de la Constitution, en particulier de l’obligation de standstill contenue dans cette disposition.
22
Par conséquent, le premier moyen n’est recevable qu’en ce qu’il est pris de la violation de cette disposition constitutionnelle et de l’obligation de standstill contenue dans cette disposition.
B.4.4. Étant donné que les différentes (sous-)branches du premier moyen portent toutes sur le même grief et invitent plus précisément à contrôler une ou plusieurs dispositions décrétales, prises isolément ou conjointement, au regard de l’obligation de standstill contenue dans l’article 23 de la Constitution, et que les dispositions attaquées respectives, prises isolément ou conjointement, affectent toutes l’accès à la protection sociale flamande, la Cour les examine conjointement.
B.5.1. L’article 23 de la Constitution dispose :
« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
À cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
Ces droits comprennent notamment :
[…]
2° le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l’aide sociale, médicale et juridique;
[…]
4° le droit à la protection d’un environnement sain;
[…] ».
B.5.2. L’article 23 de la Constitution dispose que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. À cette fin, les différents législateurs garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels et ils déterminent les conditions de leur exercice. L’article 23 de la Constitution ne précise pas ce qu’impliquent ces droits dont seul le principe est exprimé, chaque législateur étant chargé de les garantir, conformément à l’alinéa 2 de cet article, en tenant compte des obligations correspondantes.
23
B.5.3. L’article 23 de la Constitution contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement, sans justification raisonnable, le degré de protection offert par la législation applicable.
B.5.4. En matière socio-économique, le législateur compétent dispose d’un large pouvoir d’appréciation en vue de déterminer les mesures à adopter pour tendre vers les objectifs qu’il s’est fixés.
B.5.5. L’obligation de standstill ne peut toutefois s’entendre comme imposant à chaque législateur, dans le cadre de ses compétences, de ne pas toucher aux modalités de la sécurité sociale prévues par la loi. Elle leur interdit d’adopter des mesures qui marqueraient, sans justification raisonnable, un recul significatif du droit garanti par l’article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution, mais elle ne les prive pas du pouvoir d’apprécier la manière dont ce droit est le plus adéquatement assuré.
B.6.1. L’article 18, 1° et 2°, du décret du 18 juin 2021 modifie les obligations de l’usager de la protection sociale flamande.
B.6.2. Les droits susceptibles de donner lieu aux interventions dans le cadre de la protection sociale flamande sont soumis à plusieurs conditions ou, autrement dit, sont liés à des obligations pour l’usager. Ainsi, toute personne physique qui fait appel ou qui peut faire appel à la protection sociale flamande (article 2, 11°, du décret du 18 mai 2018) en tant que bénéficiaire potentiel de la protection sociale flamande doit satisfaire à des conditions pour pouvoir prétendre à ses droits.
B.6.3.1. Pour pouvoir bénéficier d’une intervention dans le cadre des piliers de la protection sociale flamande, un usager doit satisfaire à des conditions générales : l’usager doit (1) être affilié à une caisse d’assurance soins; (2) séjourner légalement dans un État membre de l’Union européenne, en Islande, au Liechtenstein, en Norvège ou en Suisse au moment de la mise en œuvre de l’intervention et (3) répondre aux conditions d’application du pilier concerné (article 41, § 1er, 1° à 3°, du décret du 18 mai 2018).
B.6.3.2. La personne qui réside ou vient résider dans la région de langue néerlandaise, doit s’affilier à une caisse d’assurance soins à partir de l’année au cours de laquelle l’intéressé atteint
24
l’âge de 26 ans (article 42, § 1er, alinéa 1er, du décret du 18 mai 2018, lu en combinaison avec l’article 56 de l’arrêté du Gouvernement flamand du 30 novembre 2018 « portant exécution du décret du 18 mai 2018 relatif à la protection sociale flamande », ci-après : l’arrêté du 30 novembre 2018). La personne qui ne réside pas en Belgique ou qui réside dans la région de langue française ou dans la région de langue allemande et qui a fait usage à son droit à la libre circulation des travailleurs ou à la liberté d’établissement, mais qui travaille dans la région de langue néerlandaise, doit également s’affilier à une caisse d’assurance soins à partir de l’année au cours de laquelle l’intéressé atteint l’âge de 26 ans, si le régime de sécurité sociale de la Belgique lui est applicable (article 42, § 2, alinéas 1er et 2, du décret du 18 mai 2018).
La personne qui réside ou vient résider dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale peut s’affilier de sa propre initiative à partir de l’année au cours de laquelle l’intéressé atteint l’âge de 26 ans (article 42, § 1er, alinéa 2, du décret du 18 mai 2018, lu en combinaison avec les articles 57 et 58 de l’arrêté du 30 novembre 2018). La personne qui ne réside pas en Belgique ou qui réside dans la région de langue française ou dans la région de langue allemande et qui a fait usage de son droit à la libre circulation des travailleurs ou à la liberté d’établissement, mais qui travaille dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale, peut également s’affilier à une caisse d’assurance soins à partir de l’année au cours de laquelle l’intéressé atteint l’âge de 26 ans, si le régime de sécurité sociale de la Belgique lui est applicable (article 42, § 2, alinéas 3 et 4, du décret du 18 mai 2018).
Par ailleurs, pour les personnes qui, compte tenu de leur âge, ne sont par définition pas encore affiliées et qui ne peuvent donc pas non plus s’affilier dans le cadre de la protection sociale flamande, la règle est qu’elles peuvent entrer en considération pour une intervention comme le budget de soins et qu’elles peuvent, à cet effet, introduire une demande auprès d’une caisse d’assurance soins de leur choix. À cet égard, elles sont « réputées » être affiliées à une caisse d’assurance soins, sans avoir à payer une prime de soins.
B.6.3.3. Conformément à ce qui est dit en B.6.3.2, la personne qui est affiliée à une caisse d’assurance soins doit payer une prime de soins (article 45 du décret du 18 mai 2018), ce qui signifie que l’obligation de contribution s’applique à partir de l’année au cours de laquelle l’intéressé atteint l’âge de 26 ans, ou ultérieurement à partir du moment où l’intéressé réside ou travaille dans la région de langue néerlandaise, ou à partir de l’affiliation sur base volontaire.
Une amende administrative est imposée à la personne qui est affiliée à une caisse d’assurance
25
soins et qui, à deux reprises, omet de payer la prime de soins précitée ou ne l’a payée que partiellement (article 47 du décret du 18 mai 2018).
B.6.3.4. L’usager doit en outre répondre aux conditions d’application du pilier concerné de la protection sociale flamande. À cet égard, le budget d’assurance soins est en réalité réservé aux usagers, âgés de plus de 65 ans ou non, souffrant d’une réduction de longue durée et grave de leur autonomie (articles 78 et 84, § 1er, du décret du 18 mai 2018). Il s’agit de personnes qui sont confrontées à une réduction des possibilités d’autonomie en matière de soins (article 2, 34°, du décret du 18 mai 2018).
B.6.3.5. Pour pouvoir prétendre à un budget de soins, l’usager doit en outre satisfaire à des conditions spécifiques supplémentaires.
B.6.3.6. En premier lieu, le droit à un budget de soins est lié à une condition de durée de résidence ou de durée de l’assurance (article 41, § 1er, 4°, du décret du 18 mai 2018).
L’article 18, 1°, du décret du 18 juin 2021 modifie cette condition.
L’article 41, § 1er, 4°, du décret du 18 mai 2018, tel qu’il a été remplacé par l’article 18, 1°, du décret du 18 juin 2021, dispose à présent :
« en ce qui concerne le droit à un budget de soins, pendant au moins dix années, dont au moins cinq années consécutives, précédant l’ouverture du droit à l’intervention conforme au présent décret, résider en région de langue néerlandaise ou en région bilingue de Bruxelles-
Capitale ou être affilié à l’assurance sociale dans les Etats membres de l’Union européenne ou dans les autres Etats parties à l’Espace économique européen ou en Suisse. Cette condition ne s’applique pas aux enfants jusqu’à l’âge de dix-huit ans, pour la durée entière de l’exécution des interventions et pour la durée de leur prolongation éventuelle; ».
Avant la modification de cette disposition, un usager devait, en ce qui concerne le droit à un budget de soins, « résider de façon ininterrompue dans la région de langue néerlandaise ou dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale pendant au moins cinq ans précédant l’ouverture du droit à l’intervention conforme au présent décret ou être affilié à l’assurance sociale de façon ininterrompue pendant au moins cinq ans dans les États membres de l’Union européenne ou dans les autres États parties à l’Espace économique européen, en Suisse ou au Royaume-Uni.
26
Cette condition ne s’applique pas aux enfants jusqu’à l’âge de dix-huit ans, pour la durée entière de l’exécution des interventions et pour la durée de leur prolongation éventuelle ».
B.6.3.7. En deuxième lieu, l’article 18, 2°, du décret du 18 juin 2021 établit une nouvelle condition qui lie le droit à un budget de soins à une obligation d’intégration civique (article 41, § 1er, 5°, du décret du 18 mai 2018).
L’article 41, § 1er, 5°, du décret du 18 mai 2018 dispose :
« en ce qui concerne le droit à un budget de soins, répondre à l’obligation d’intégration civique, visée à l’article 2, alinéa 1er, 11°, du décret du 7 juin 2013 relatif à la politique flamande d’intégration et d’intégration civique [lire : de parcours citoyen] ou à l’article 4 de l’ordonnance du 11 mai 2017 concernant le parcours d’accueil des primo-arrivants ».
B.7.1. L’article 41, § 1er, 4°, du décret du 18 mai 2018, tel qu’il a été remplacé par l’article 18, 1°, du décret du 18 juin 2021, prévoit qu’afin de pouvoir prétendre à un budget de soins, un usager doit, durant au moins dix ans, dont au moins cinq années consécutives, précédant l’ouverture du droit à une intervention, conformément à l’article 83, alinéa 1er, et à l’article 87, § 4, alinéa 1er, du décret du 18 mai 2018, résider dans la région de langue néerlandaise ou dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale ou être affilié à l’assurance sociale dans les États membres de l’Union européenne, dans les autres États parties à l’Espace économique européen ou en Suisse. Ainsi qu’il ressort du B.6.3.6, un usager devait auparavant « résider de façon ininterrompue en région de langue néerlandaise ou en région bilingue de Bruxelles-Capitale pendant au moins cinq ans précédant l’ouverture du droit à l’intervention conforme au présent décret ou être affilié à l’assurance sociale de façon ininterrompue pendant au moins cinq ans dans les États membres de l’Union européenne ou dans les autres États parties à l’Espace économique européen, en Suisse ou au Royaume-Uni ».
B.7.2. L’article 41, § 1er, 5°, du décret du 18 mai 2018, inséré par l’article 18, 2°, du décret du 18 juin 2021, prévoit que, pour pouvoir prétendre à un budget de soins, un usager doit avoir satisfait à l’obligation d’intégration civique, mentionnée à l’article 2, alinéa 1er, 11°, du décret flamand du 7 juin 2013 « relatif à la politique flamande d’intégration et d’intégration civique [lire : de parcours citoyen] » (ci-après : le décret du 7 juin 2013) ou à l’article 4 de
27
l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 11 mai 2017 « concernant le parcours d’accueil des primo-arrivants » (ci-après : l’ordonnance du 11 mai 2017).
L’article 2, alinéa 1er, 11°, du décret du 7 juin 2013 fait référence aux « obligations imposées aux intégrants au statut obligatoire [lire : aux participants tenus de suivre un parcours citoyen] en application de l’article 27, § 3 ». L’usager doit donc satisfaire aux obligations imposées aux participants qui sont tenus de suivre un parcours citoyen en application de l’article 27, § 3 , du décret du 7 juin 2013.
L’article 27, § 3, du décret du 7 juin 2013 dispose :
« L’intégrant au statut obligatoire [lire : le participant tenu de suivre un parcours citoyen]
est tenu de :
1° se présenter à l’AAE dans un délai de trois mois au maximum du début de l’obligation d’intégration civique conformément au paragraphe 1er;
2° pour atteindre les objectifs des parties du parcours d’insertion civique [lire : de parcours citoyen].
Le Gouvernement flamand peut raccourcir le délai, visé à l’alinéa premier, 1°.
Par dérogation à l’alinéa 1er, 2°, l’intégrant au statut obligatoire [lire : le participant tenu de suivre un parcours citoyen] ne doit pas atteindre les objectifs des programmes de formation s’il lui est impossible d’atteindre ces objectifs en raison de capacités d’apprentissage limitées.
Le Gouvernement flamand règle les modalités d’exécution.
Pour les catégories spécifiques suivantes, le Gouvernement flamand peut prévoir un report du délai dans lequel l’intégrant doit se présenter :
1° pour les intégrants [lire : les participants qui suivent un parcours citoyen] visés à l’article 26, § 1er, qui travaillent ou étudient et peuvent prouver qu’ils ne sont pas en mesure de combiner ce travail ou la formation avec le fait de suivre un parcours d’insertion civique;
2° pour les intégrants [lire : les participants qui suivent un parcours citoyen] qui, pour des raisons médicales ou personnelles, sont dans l’impossibilité de satisfaire à l’obligation de présentation dans les temps, visée à l’alinéa 1er, 1°.
Le Gouvernement flamand précise ce qu’il faut entendre par des raisons médicales ou personnelles telles que visées à l’alinéa 4, 2°.
Le Gouvernement flamand précise ce qu’il faut entendre par les notions de travail et d’études, visées à l’alinéa 4, 1° ».
28
La disposition précitée impose expressément au participant tenu de suivre un parcours citoyen, d’une part, de se présenter dans le délai prévu par le décret à l’« Agentschap integratie en inburgering » (l’Agence pour l’intégration et l’intégration civique) et, d’autre part, d’atteindre les objectifs des modules du parcours citoyen. Le parcours citoyen se compose d’un programme de formation « orientation sociale », d’un programme de formation « néerlandais comme deuxième langue », d’une inscription auprès du « Vlaamse Dienst voor Arbeidsbemiddeling en Beroepsopleiding » (VDAB, l’Office flamand de l’emploi et de la formation professionnelle) ou d’Actiris (l’Office régional bruxellois de l’emploi) et d’un parcours de participation et de réseau (article 29, § 1er, alinéa 2, du décret du 7 juin 2013). Les articles 30 à 33 du décret du 7 juin 2013 déterminent les objectifs poursuivis par ces modules et la manière dont le participant tenu de suivre un parcours citoyen démontre qu’il atteint les objectifs (notamment la réussite d’un test concernant le programme de formation « orientation sociale »).
Il résulte de la lecture combinée de l’article 41, § 1er, 5°, du décret du 18 mai 2018 et de l’article 27, § 3, du décret du 7 juin 2013 que, pour satisfaire à l’obligation d’intégration civique comme condition d’octroi du budget de soins, le participant tenu de suivre un parcours citoyen doit avoir respecté préalablement les obligations qui lui incombent de s’enregistrer auprès de l’Agence pour l’intégration et l’intégration civique et d’atteindre les objectifs prévus par les modules du parcours citoyen (voy. dans ce sens aussi Doc. parl., Parlement flamand, 2020-
2021, n° 710/1, p. 32).
Dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale, l’usager qui est un primo-arrivant doit satisfaire à l’obligation d’intégration civique imposée par l’article 4 de l’ordonnance du 11 mai 2017.
L’article 4 de l’ordonnance du 11 mai 2017 dispose :
« Chaque primo-arrivant est tenu de suivre le parcours d’accueil tel que visé à l’article 3.
Dans un délai de maximum six mois après son inscription au registre des étrangers d’une commune du territoire bilingue de Bruxelles-Capitale, le primo-arrivant s’enregistre auprès d’un organisateur agréé du parcours d’accueil et conclut une convention d’intégration avec cet organisateur. Si le primo-arrivant s’est enregistré régulièrement chez l’organisateur agréé, celui-ci délivre l’attestation prévue à cette fin au primo-arrivant. Le primo-arrivant introduit l’attestation à la commune, visée à l’article 6.
29
Dès que le primo-arrivant a terminé de manière régulière le parcours d’accueil, l’organisateur agréé lui remet l’attestation prévue à cette fin.
Dans un délai de maximum dix-huit mois après l’enregistrement, visé au deuxième alinéa, le primo-arrivant démontre à l’aide de l’attestation prévue à cette fin délivrée par l’organisme reconnu qu’il a suivi le parcours d’accueil auprès d’un organisateur agréé. Le primo-arrivant introduit l’attestation à la commune, visée à l’article 6.
Le Collège réuni détermine les conditions précises pour la remise des attestations, mentionnée dans cet article, ainsi que les situations qui peuvent justifier un délai ou une suspension de l’obligation de suivre un parcours d’accueil ».
Cette disposition impose au participant tenu de suivre un parcours d’accueil de s’enregistrer dans le délai fixé auprès d’un organisateur agréé, de suivre et de terminer le parcours d’accueil.
Le contenu du parcours d’accueil dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale est prévu par l’article 3, § 3, de l’ordonnance du 11 mai 2017, qui dispose :
« Le parcours d’accueil comprend au moins les modules suivants :
1° un programme d’accueil, où on évalue les besoins existants chez le primo-arrivant, notamment en matière de logement, de revenus, de soins de santé, d’insertion socioprofessionnelle, d’accueil d’enfants et d’enseignement, et où le primo-arrivant est informé des droits et devoirs en vigueur en la matière pour tous les habitants du territoire bilingue de Bruxelles-Capitale, ainsi que des acteurs responsables et des mesures de soutien disponibles;
2° un module de cours élémentaires de français ou de néerlandais langue étrangère, en fonction des besoins linguistiques du primo-arrivant;
3° une formation sur la citoyenneté, où des informations élémentaires sont fournies sur le fonctionnement des institutions publiques, sur les valeurs clés de la démocratie et sur les rapports sociaux au sein de notre société belge ».
Il résulte de l’article 4 de l’ordonnance du 11 mai 2017 que, pour satisfaire à son obligation d’intégration civique dans le délai légalement fixé, le primo-arrivant doit suivre et terminer le parcours d’accueil prescrit, ce qui est démontré à l’aide d’une attestation.
Il découle de la lecture combinée de l’article 41, § 1er, 5°, du décret du 18 mai 2018 et de l’article 4 de l’ordonnance du 11 mai 2017 que, pour satisfaire à l’obligation d’intégration civique comme condition d’octroi du budget de soins, le primo-arrivant doit avoir respecté les obligations qui lui incombent de s’enregistrer auprès d’un organisateur agréé d’un parcours
30
d’accueil, de suivre et de terminer le parcours (voy. dans ce sens aussi Doc. parl., Parlement flamand, 2020-2021, n° 710/1, p. 32).
B.7.3. Premièrement, les mesures attaquées ont pour conséquence qu’un usager doit actuellement satisfaire au moins cinq années de plus à l’exigence de résidence dans la région linguistique précitée avant de pouvoir prétendre effectivement à un budget de soins. En l’espèce, il suffit de constater qu’une condition d’octroi plus sévère est imposée en matière de durée de résidence effective pour conclure qu’en ce qui concerne les personnes qui ne peuvent pas démontrer une telle résidence, quelle que soit la phase de vie dans laquelle elles se trouvent, cette condition implique un recul significatif du degré de protection offert.
Deuxièmement, elles ont pour effet que, contrairement à ce qui était le cas par le passé, un usager doit satisfaire à l’obligation légale d’intégration civique avant de pouvoir prétendre à un budget de soins, ce qui entraîne également un recul significatif du degré de protection offert.
Par conséquent, une personne ayant besoin de soins importants pourra moins vite qu’avant, et seulement si elle satisfait à l’obligation légale d’intégration civique, bénéficier d’une intervention dans le cadre du budget de soins pour compenser les frais qu’elle a exposés pour ces soins.
Les articles 18, 1°, et 18, 2°, du décret du 18 juin 2021, pris isolément ou conjointement, aboutissent donc à un recul significatif du degré de protection sociale qui était offert auparavant.
Étant donné que le budget de soins vise à compenser les frais afférents aux soins qui ne sont pas couverts par la sécurité sociale fédérale ou par un autre pilier de la protection sociale flamande, le recul significatif précité n’est pas davantage compensé par d’autres mesures. Le fait que la plupart des usagers ayant besoin de soins importants et souhaitant obtenir une intervention sous la forme du budget de soins satisfont ou satisferaient généralement à la nouvelle condition de séjour d’au moins dix ans au moment où ils ont besoin de ces soins ne permet du reste pas d’aboutir à une autre conclusion.
B.8.1. L’article 21, 2°, attaqué, du décret du 18 juin 2021 modifie l’obligation faite à l’usager de payer une prime annuelle.
31
B.8.2. Les personnes affiliées à une caisse d’assurance soins doivent, à partir de l’âge fixé par le Gouvernement flamand, payer une prime annuelle pour la protection sociale flamande (article 45, § 1er, alinéa 1er, du décret du 18 mai 2018).
Le Gouvernement flamand fixe les règles complémentaires concernant l’âge et le délai de paiement, le mode de fixation et le montant ainsi que l’indexation des primes (article 45, § 1er, alinéa 2, du décret du 18 mai 2018). Il peut exempter, en tout ou partie, du paiement obligatoire de la prime des catégories de personnes auxquelles seuls certains piliers de ce décret sont applicables (article 45, § 1er, alinéa 3, du décret du 18 mai 2018).
Pour les affiliés ayant droit à une intervention majorée de l’assurance maladie, mentionnée à l’article 37, § 19, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 (ci-après : les bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale), le Gouvernement flamand peut appliquer des correctifs sociaux (article 45, § 1er, alinéa 4, du décret du 18 mai 2018, remplacé par l’article 21, 1°, du décret du 18 juin 2021).
L’article 21, 2°, du décret du 18 juin 2021 insère un nouvel alinéa 5 et subordonne l’application des correctifs sociaux précités à des conditions supplémentaires (article 45, § 1er, alinéa 5, du décret du 18 mai 2018).
L’article 45, § 1er, alinéa 5, du décret du 18 mai 2018 dispose :
« Pour l’application des corrections sociales, visées à l’alinéa 4, le membre doit répondre, le cas échéant, à chacune des conditions suivantes :
1° pendant au moins cinq années consécutives, résider en région de langue néerlandaise ou en région bilingue de Bruxelles-Capitale ou être affilié à l’assurance sociale dans un Etat membre de l’Union européenne ou dans un autre Etat partie à l’Espace économique européen ou en Suisse;
2° répondre à l’obligation d’intégration civique, visée à l’article 2, alinéa 1er, 11°, du décret du 7 juin 2013 relatif à la politique flamande d’intégration et d’intégration civique [lire :
de parcours citoyen] ou à l’article 4 de l’ordonnance du 11 mai 2017 concernant le parcours d’accueil des primo-arrivants ».
B.9.1. L’article 45, § 1er, alinéa 5, du décret du 18 mai 2018, inséré par l’article 21, 2°, du décret du 18 juin 2021, prévoit qu’un usager qui a droit à une intervention majorée de
32
l’assurance maladie fédérale n’entre en considération pour un correctif social (c’est-à-dire une réduction) de la prime à payer que si, pendant au moins cinq années successives, il habite dans la région de langue néerlandaise ou dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale ou s’il est affilié à l’assurance sociale dans les États membres de l’Union européenne, dans les autres États membres de l’Espace économique européen ou en Suisse et s’il satisfait à l’obligation d’intégration civique.
B.9.2. L’insertion attaquée a pour conséquence que, contrairement à ce qui était le cas avant cette insertion, le bénéficiaire d’une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale, c’est-à-dire une personne qui est en difficultés financières, ne peut bénéficier d’un correctif social dans le cadre du paiement de la prime de soins que si cet usager satisfait à deux conditions.
Par conséquent, le bénéficiaire d’une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale qui, par hypothèse, dispose seulement de ressources financières très limitées ne peut pas prétendre, durant au moins cinq ans, à une réduction de la prime de soins dans le cadre de la protection sociale flamande et cet usager reste en outre privé de cette prime réduite s’il ne satisfait pas à l’obligation d’intégration civique mentionnée en B.7.2, ce qui aboutit à une charge financière supplémentaire pour les personnes qui se trouvent déjà dans une situation financière précaire, indépendamment du fait que le montant de la prime de soins soit considéré comme « limité » ou non. Pour ces personnes, il existe un risque réel qu’elles ne puissent pas payer les primes de soins normales. Il convient aussi de tenir compte du fait qu’une amende administrative est imposée aux personnes qui, à deux reprises, n’ont pas payé (complètement)
leur prime de soins (article 47, § 1er, du décret du 18 mai 2018), ce qui affecte défavorablement leur situation financière déjà précaire. En outre, les primes de soins encore dues peuvent être déduites du budget de soins à verser (article 46, § 1er, alinéa 1er, du décret du 18 mai 2018), ce qui affecte défavorablement leurs droits à un budget de soins. Il s’ensuit que les conditions attaquées pour bénéficier de la prime de soins socialement corrigée aboutissent, à l’égard des personnes se trouvant dans une situation financière précaire, à un recul significatif du degré de protection offert auparavant.
B.10. À titre surabondant, il découle de ce qui précède que la combinaison des nouvelles conditions précitées relatives au droit à la prime socialement corrigée (article 21, 2°) avec les nouvelles conditions précitées pour pouvoir prétendre à un budget de soins (article 18, 1° et 2°)
33
constitue a fortiori un recul significatif du degré de protection sociale offert auparavant pour les bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale.
B.11.1. La Cour doit encore examiner si le recul significatif constaté en B.7.2, B.9.2 et B.10 est raisonnablement justifié.
B.11.2.1. L’augmentation de la durée de résidence exigée est justifiée comme suit dans les travaux préparatoires :
« L’augmentation de la durée de résidence exigée doit garantir et conserver l’adhésion en faveur de la solidarité entre les citoyens, ainsi que garantir la viabilité financière du système à long terme, d’autant que la protection sociale flamande est étendue en créant d’autres piliers et sera encore davantage étendue à l’avenir, alors que le montant des primes doit rester abordable pour chacun. En effet, la solidarité sociale intergénérationnelle constitue le fondement de la protection sociale flamande dans le cadre de laquelle le législateur décrétal doit pouvoir justifier l’augmentation des dépenses publiques à court, à moyen et à long terme. Le législateur décrétal choisit à cet égard d’instaurer la condition de résidence pour plusieurs piliers de la protection sociale flamande. Ainsi, d’autres formes de soins restent ouvertes, même pour ceux qui ne satisfont pas à la condition de séjour, mais la viabilité financière de la protection sociale flamande est néanmoins renforcée » (Doc. parl., Parlement flamand, 2020-2021, n° 710/1, p. 6).
L’augmentation attaquée a encore été explicitée comme suit :
« En augmentant la durée de résidence exigée de cinq à dix ans, le législateur décrétal entend garantir que tous les groupes de la société flamande aient au moins, durant une période minimum, contribué (et, s’ils ont atteint l’âge de 26 ans, aient payé des cotisations) au système de la protection sociale flamande avant de pouvoir faire valoir des droits à un budget de soins.
Cette augmentation doit garantir et conserver l’adhésion en faveur de la solidarité entre les citoyens, ainsi que garantir la viabilité financière du système à long terme, d’autant que la protection sociale flamande est étendue en créant d’autres piliers, alors que le montant des primes doit rester abordable pour chacun. En effet, la solidarité sociale intergénérationnelle constitue le fondement de la protection sociale flamande dans le cadre de laquelle le législateur décrétal doit pouvoir justifier l’augmentation des dépenses publiques à court, à moyen et à long terme.
L’augmentation de la durée de résidence requise doit également être mise en rapport avec la circonstance que la protection sociale flamande est une nouvelle assurance. Lors du lancement de l’assurance flamande soins de santé en 2002, les bénéficiaires n’avaient encore payé aucune prime de soins, si bien qu’en 2001, une condition de séjour limitée de cinq ans avait été instaurée. Il avait été choisi d’instaurer une condition de séjour parce qu’il n’était pas encore possible de lier explicitement le paiement des primes de soins à l’octroi des budgets de soins. À ce moment, cette condition était justifiée. Or, compte tenu de la longue période durant
34
laquelle les personnes contribuent en moyenne avant de faire valoir des droits et de la longue période au cours de laquelle l’obligation de payer des primes de soins est en vigueur (presque vingt ans) la durée de résidence exigée doit actuellement aussi être portée de cinq à dix ans. La très large majorité des bénéficiaires d’un budget de soins ont à dix ans en effet déjà cotisé pendant plus de vingt ans. L’augmentation de la durée de résidence exigée est donc tout à fait logique. Cette augmentation doit permettre de continuer à garantir pour l’avenir un équilibre entre le paiement des primes de soins et les budgets de soins octroyés » (ibid., p. 30).
En ce qui concerne cette augmentation, les travaux préparatoires mentionnent encore ce qui suit :
« En augmentant la durée de résidence exigée de cinq à dix ans, le législateur décrétal tend en effet à garantir la viabilité financière de la protection sociale flamande et à garantir l’équilibre entre les primes de soins payées et les budgets de soins octroyés, tant au niveau individuel que collectif, ainsi qu’il a été exposé plus haut » (ibid., p. 31).
« En effet, pendant cette période supplémentaire de cinq ans, il faut payer une prime de soins obligatoire annuelle pour financer la protection sociale flamande. […]
En outre, il faut avoir à l’esprit que le législateur décrétal impose une condition de séjour, et non une obligation stricte de payer des primes de soins sur une période de dix ans. Ainsi, pour un trentenaire qui a recours à un budget de soins, il suffit donc qu’il ait séjourné (légalement) pendant dix ans en Flandre ou dans la Région de Bruxelles-Capitale, même s’il n’aura payé des primes de soins que pendant quatre ans. En effet, avant l’âge de 26 ans, il suffit que la personne concernée ait séjourné (légalement) en Flandre ou dans la Région de Bruxelles-
Capitale et aucune obligation de contribution ne s’applique. En introduisant la condition de séjour, le législateur décrétal opte pour une mesure qui se fonde sur la solidarité entre les différentes générations, par laquelle les personnes peuvent également démontrer leur lien à la protection sociale flamande par d’autres moyens que le simple paiement d’une prime (à savoir, par leur séjour et par l’obligation d’intégration civique, voir également ci-dessous) » (ibid., p. 32).
B.11.2.2. Les motifs invoqués par le législateur décrétal, à savoir la nécessité de contribuer suffisamment et suffisamment longtemps et de maîtriser les dépenses comme l’expression d’une solidarité intergénérationnelle, pour justifier l’augmentation, attaquée, de la durée de résidence de cinq à dix ans concernent en réalité des motifs budgétaires, tels que la viabilité financière de la protection sociale flamande et des budgets de soins. Ces objectifs sont légitimes.
B.11.2.3. La Cour n’aperçoit pas en quoi la condition d’un séjour effectif pendant au moins dix années, dont au moins cinq années consécutives, précédant l’ouverture du droit à intervention permet de maintenir ou de restaurer l’équilibre financier du système.
35
B.11.2.4. Inversement, la Cour n’aperçoit pas non plus en quoi l’absence de la condition prolongeant la durée de résidence, actuellement attaquée, expliquerait le déséquilibre actuel et futur entre les primes payées et les budgets de soins octroyés, et la non-viabilité du système de la protection sociale flamande. Il ressort en effet des travaux préparatoires que d’autres facteurs, tels que l’extension des piliers de la protection sociale flamande ou le montant limité de la prime, pourraient compromettre la viabilité financière à long terme (ibid., p. 30). Par ailleurs, il apparaît que les budgets de soins actuellement octroyés ne sont financés qu’à concurrence de 30 % environ grâce au paiement de primes de soins (ibid., p. 29; voy. aussi les rapports annuels 2020 et 2021 de l’« Agentschap voor Vlaamse Sociale Bescherming »).
B.11.2.5. En outre, il convient de constater que, compte tenu des effets de la mesure, à savoir un temps d’attente plus long pour obtenir une intervention, il ne ressort pas de données objectives que l’augmentation à dix ans de la condition de durée de résidence améliore fondamentalement et substantiellement la viabilité financière des budgets de soins.
Par conséquent, le recul significatif du degré de protection offert auparavant qu’a causé l’augmentation à dix ans au moins de la durée de résidence requise n’est pas raisonnablement justifié.
B.11.3.1. La subordination, attaquée, du droit à un budget de soins à l’obligation d’intégration civique a été justifiée comme suit au cours des travaux préparatoires :
« Le lien créé entre l’obligation d’intégration civique et l’octroi d’un budget de soins et d’un correctif social de la prime de soins tend à renforcer la situation du primo-arrivant dans la société flamande. Ainsi, la personne en question peut en effet améliorer sa situation financière (par exemple par un meilleur accès au marché de l’emploi). Même lorsqu’une personne a besoin de soins, le parcours citoyen qui a déjà été suivi doit permettre à la personne d’avoir accès à de meilleurs soins, notamment parce qu’elle pourra mieux formuler ses besoins en matière de soins grâce à une meilleure connaissance de la société flamande et de la langue néerlandaise.
Par ailleurs, l’obligation d’intégration civique cadre également avec la solidarité intergénérationnelle, qui doit être considérée comme un fondement de la protection sociale flamande. Tandis que les bénéficiaires d’un budget de soins contribuent durant environ 40 ans en moyenne (puisqu’ils ne font appel à un budget de soins, en moyenne, qu’à partir de l’âge de 65 ans), cette période est beaucoup plus courte pour les primo-arrivants (ils arrivent plus tard et demandent plus vite un budget de soins). Ce déséquilibre n’est que partiellement corrigé en
36
augmentant la durée de résidence requise de cinq à dix ans. Pour cette raison, il est en outre demandé aux primo-arrivants de suivre effectivement le parcours citoyen. Cela leur permet de concrétiser, d’une autre manière, la solidarité intergénérationnelle au sein de la protection sociale flamande, c’est-à-dire en subordonnant l’octroi d’un budget de soins à une obligation d’intégration civique » (Doc. parl., Parlement flamand, 2020-2021, n° 710/1, pp. 6-7).
Concernant l’obligation d’intégration civique, les travaux préparatoires ajoutent :
« La période des primes de soins payées est cependant plus courte pour les primo-arrivants, ce qui donne lieu à un certain déséquilibre entre les primes de soins payées et les budgets de soins octroyés. Ce déséquilibre n’est corrigé que partiellement par l’augmentation de la condition de séjour de cinq à dix ans. C’est pourquoi une obligation supplémentaire est prévue, qui permet aux primo-arrivants de concrétiser d’une autre manière la solidarité intergénérationnelle dans le cadre de la protection sociale flamande, à savoir par la subordination de l’octroi d’un budget de soins à une obligation d’intégration civique. […]
Ainsi, l’obligation d’intégration civique vise l’intégration de la personne ayant besoin de soins, ce qui doit permettre à la personne en question de mieux formuler ses besoins en matière de soins. […] Ensuite, l’obligation d’intégration civique cadre également avec la solidarité intergénérationnelle, qui, même avec l’augmentation de la durée de résidence de cinq à dix ans, n’est que partiellement financée grâce aux primes de soins payées en proportion des budgets de soins octroyés, étant donné que les primo-arrivants demandent plus vite un budget de soins »
(ibid., p. 34).
B.11.3.2. Conformément à l’article 23 de la Constitution, le législateur décrétal peut imposer des obligations correspondantes afin d’avoir accès aux interventions sociales. Ces obligations doivent cependant être imposées aux usagers de manière non discriminatoire, ce qui suppose notamment que leur caractère contraignant puisse être raisonnablement justifié, en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que d’un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et les objectifs poursuivis en l’espèce.
B.11.3.3. L’objectif, mentionné dans les travaux préparatoires, consistant à renforcer la position du primo-arrivant dans la société, constitue un motif susceptible de justifier l’obligation d’intégration civique, mais il est sans rapport avec la mesure attaquée, qui subordonne le droit à un budget de soins au respect de cette obligation d’intégration civique.
En l’espèce, l’objectif invoqué relatif à la solidarité intergénérationnelle implique que les usagers doivent en principe payer une prime de soins et respecter un délai d’attente minimum avant de pouvoir prétendre aux interventions de la protection sociale flamande. Une contribution suffisante et suffisamment longue au système de la protection sociale flamande est
37
uniquement liée à la viabilité financière de la protection sociale flamande et au budget de soins, mais ce motif ne saurait raisonnablement justifier la subordination du droit à un budget de soins au respect de l’obligation d’intégration civique. Cette condition n’a rien à voir en soi avec la viabilité financière de la protection sociale flamande et impose aux primo-arrivants une condition supplémentaire qui n’est pas pertinente pour atteindre l’objectif.
B.11.3.4. Il découle de ce qui précède que ni le renforcement dans la société la situation du primo-arrivant tenu de suivre un parcours citoyen, ni la solidarité intergénérationnelle ou, autrement dit, la viabilité financière du budget de soins ne peuvent raisonnablement justifier la subordination du droit à un budget de soins à l’obligation d’intégration civique.
Par conséquent, le recul significatif du degré de protection sociale causé par la disposition attaquée n’est pas raisonnablement justifié.
B.11.4.1. La subordination, attaquée, de la prime socialement corrigée pour les usagers qui ont droit à une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale, d’une part, à une condition de durée de résidence et, d’autre part, à une obligation d’intégration civique, est justifiée comme suit dans les travaux préparatoires :
« Cet objectif [consistant à tenir compte exclusivement de la portée contributive des membres concernés] était l’objectif initial du correctif social, mais le législateur décrétal le complète à présent par des objectifs supplémentaires, mentionnés ci-dessus. Les conditions supplémentaires liées au correctif social sont un incitant pour suivre le parcours citoyen et pour soutenir l’intégration en Flandre. Le parcours citoyen est axé sur : l’orientation sociale, la vie, le travail, les normes et valeurs en Flandre (dans une langue que l’intéressé comprend).
L’intéressé reçoit également des cours de néerlandais (ou de français si tel est le choix du primo-
arrivant à Bruxelles) et est accompagné individuellement pour trouver un emploi, pour suivre des études etc., et reçoit de l’aide pour la valorisation des titres et diplômes. Les personnes qui ont droit à une intervention majorée de l’assurance maladie sont en difficultés financières. Le parcours citoyen doit les aider à améliorer leur situation financière.
[…]
L’instauration d’une condition de séjour de cinq ans avant d’avoir droit au correctif social tend à ce que les primo-arrivants contribuent suffisamment et suffisamment longtemps au budget de soins, afin de pouvoir continuer à assurer le paiement du budget de soins. En effet, les primo-arrivants contribuent moins longtemps au système, qui est financé grâce à la prime de soins annuelle et aux impôts généraux » (ibid., pp. 35-36).
38
B.11.4.2. Les bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale sont, par hypothèse, des personnes en situation financière précaire, ce qui implique que, contrairement à d’autres personnes, ils ne peuvent être considérés comme étant en mesure de contribuer pareillement aux frais relatifs à leurs besoins en matière de soins. En ce qui concerne d’une mesure de correction sociale relative à la prime de soins à payer, qui vise des personnes qui ne disposent pas des moyens financiers nécessaires pour payer l’intégralité de la prime, il est contradictoire de soumettre ces mêmes personnes à des conditions qui ont pour objet de les faire payer d’abord au moins durant cinq ans l’intégralité de la prime. L’argument selon lequel les primo-arrivants doivent contribuer suffisamment et suffisamment longtemps ne peut toutefois justifier, à l’égard de personnes dans une situation financière précaire, qu’ils ne puissent prétendre à une prime réduite qu’après cinq ans de séjour ininterrompu.
Il découle de ce qui précède que l’objectif de faire participer au financement de la protection sociale flamande, de manière suffisante et suffisamment longtemps, les personnes qui, par hypothèse, ne peuvent pas être considérées comme étant capables de supporter l’intégralité de la prime ne constitue pas un motif susceptible de justifier raisonnablement, à lui seul, le recul significatif du niveau de protection offert auparavant. Il en va par ailleurs de même, mutatis mutandis, pour ce qui est de l’objectif invoqué consistant à garantir la solidarité intergénérationnelle, et donc la viabilité budgétaire.
En ce qui concerne la condition supplémentaire relative à l’obligation d’intégration civique, l’application de correctifs sociaux ne peut en aucun cas servir d’instrument pour imposer l’application de l’obligation d’intégration civique, étant donné qu’il n’existe aucun lien manifeste entre l’obligation d’intégration civique et la situation financière des personnes concernées, ni entre l’obligation d’intégration civique et les correctifs sociaux pour les personnes qui n’ont pas une capacité financière suffisante, de sorte que l’argument de l’amélioration la situation du primo-arrivant ne peut pas davantage être invoqué comme motif pour justifier la mesure. Par ailleurs, il convient d’observer que, pour satisfaire à l’obligation d’intégration civique, les intéressés doivent également supporter des frais, de sorte que les bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale sont, en tant que primo-arrivants, doublement affectés parce qu’ils restent non seulement privés durant cinq ans
39
de la prime réduite, mais parce qu’ils doivent déjà supporter des frais dans le cadre du parcours citoyen pour prétendre, comme partie financièrement vulnérable, pour la prime réduite.
Par conséquent, le recul significatif du degré de protection offert auparavant, causé par la disposition attaquée, n’est pas raisonnablement justifié.
B.11.5. Par ailleurs, eu égard à ce qui précède, il convient de constater que la combinaison des mesures attaquées aboutit a fortiori à un recul significatif du degré de protection offert auparavant qui n’est pas raisonnablement justifié.
B.12. Il découle de ce qui précède que l’article 18, 1° et 2°, et l’article 21, 2°, du décret du 18 juin 2021, lus en combinaison ou non, violent l’obligation de standstill contenue dans l’article 23 de la Constitution et doivent dès lors être annulés.
B.13. Le premier moyen est fondé. Étant donné que l’examen du troisième moyen, qui est également dirigé contre les dispositions critiquées dans le premier moyen, ne saurait aboutir à une plus ample annulation, ce moyen ne doit pas être examiné.
Quant à la taxe de dossier (deuxième moyen)
B.14.1. Les parties requérantes prennent un deuxième moyen, composé de trois branches, de la violation, par les articles 43, 46 et 48 du décret du 18 juin 2021, des articles 10, 11, 13 et 23 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 13 de la même Convention, avec l’article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Dans la première branche, elles font valoir que l’imposition d’une taxe de dossier de 75 euros comme condition de recevabilité pour l’introduction d’un recours administratif contre une décision rendue dans le cadre de la protection sociale flamande entraîne une restriction disproportionnée de l’accès au juge.
40
Dans la deuxième branche, elles font valoir que la taxe de dossier imposée constitue un recul significatif du degré de protection offert auparavant par le législateur décrétal qui n’est pas justifié par des motifs d’intérêt général.
Dans la troisième branche, elles font valoir en substance que les règles relatives à l’exemption et au remboursement de la taxe de dossier établissent, sans justification raisonnable, une différence de traitement entre des catégories de personnes comparables ou une identité de traitement de catégories de personnes non comparables. Premièrement, elles invoquent une différence de traitement entre les personnes qui sont partiellement exemptées (cf. les bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale) et les personnes qui sont entièrement exemptées de la taxe de dossier (première comparaison).
Deuxièmement, elles invoquent une identité de traitement des personnes qui peuvent payer la taxe de dossier et des personnes qui ne peuvent pas la payer (deuxième comparaison).
Troisièmement, elles invoquent une différence de traitement entre les personnes qui introduisent une procédure devant le tribunal du travail contre une décision négative rendue dans le cadre de l’aide sociale ou de la sécurité sociale et les personnes qui introduisent un recours administratif contre une décision rendue dans le cadre de la protection sociale flamande (troisième comparaison). Quatrièmement, elles invoquent une différence de traitement entre les personnes qui font appel à un avocat pro deo et introduisent un recours administratif contre une décision rendue dans le cadre de la protection sociale flamande et les personnes qui font appel à un avocat pro deo et engagent toute autre procédure (quatrième comparaison).
Cinquièmement, elles invoquent une différence de traitement entre les personnes qui introduisent un recours fondé et les personnes dont le recours est déclaré non fondé, devient sans objet ou fait l’objet d’un désistement ou d’un accord amiable. Elles critiquent également l’absence de règles régissant la situation dans laquelle le tribunal du travail décide en substance que le requérant a droit à ce qu’il demandait dans le cadre du recours administratif.
B.14.2. Les trois branches du deuxième moyen étant étroitement liées, la Cour les examine conjointement.
B.15.1. En ce qui concerne le processus de décision administrative, les caisses de soins prennent une décision concernant les demandes individuelles d’intervention émanant des usagers dans le cadre du budget de soins pour « personnes en grande dépendance de soins »
41
(article 80, § 1er, du décret du 18 mai 2018), du budget de soins pour « personnes âgées présentant un besoin en soins » (article 87, § 1er, du décret du 18 mai 2018) et dans le cadre du budget d’assistance de base (article 92, § 1er, du décret du 18 mai 2018).
L’usager peut introduire un recours administratif contre ces décisions (article 80, § 5, article 88, § 3, et article 92, § 5, du décret du 18 mai 2018). Après avoir épuisé la procédure de recours administratif, les usagers peuvent encore introduire un recours auprès du tribunal du travail (articles 81, 89 et 93 du décret du 18 mai 2018).
B.15.2. Les articles 43, 46 et 48 attaqués du décret du 18 juin 2021 insèrent de nouvelles dispositions relatives à la procédure de recours administratif selon lesquelles l’usager qui introduit un recours administratif contre une décision relative à un budget de soins ou un budget d’assistance de base doit, à peine d’irrecevabilité, payer une taxe de dossier.
B.15.3. L’article 80, § 6, l’article 88, § 4, et l’article 92, § 6, du décret du 18 mai 2018, insérés respectivement par les articles 43, 46 et 48 du décret du 18 juin 2021, disposent :
« Tout usager qui introduit un recours administratif, doit payer une taxe de dossier à l’agence, sous peine d’irrecevabilité du recours.
La taxe de dossier, visée à l’alinéa 1er, s’élève à 75 euros.
Par dérogation à l’alinéa 2, la taxe de dossier ne s’élève qu’à 37,50 euros pour l’usager qui, au 1er janvier de l’année calendaire précédant l’année calendaire pendant laquelle la taxe de dossier doit être payée, a droit à l’intervention majorée de l’assurance, visée à l’article 37, § 19, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994.
Par dérogation à l’alinéa 1er, les usagers suivants sont exemptés du paiement d’une taxe de dossier :
1° l’usager qui fait l’objet d’un règlement collectif de dettes, qui est déclaré en état de faillite ou qui est déclaré insolvable par un huissier de justice;
2° l’usager qui fait l’objet d’une guidance budgétaire ou d’une gestion budgétaire par un centre public d’action sociale ou par une institution de médiation de dettes agréée par la Communauté flamande ou d’une médiation de dettes à l’amiable, visée à l’article 519, § 2, 10°, du Code judiciaire;
42
3° l’usager ou un membre de son ménage qui a droit à un revenu d’intégration tel que visé à la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale;
4° l’usager ou un membre de son ménage qui a droit à une allocation de remplacement de revenus telle que visée à la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées;
5° l’usager ou un membre de son ménage qui a droit au montant journalier minimal de l’allocation de chômage tel que visé à l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage et où le revenu du ménage de l’usager consiste uniquement en cette allocation;
6° l’usager ou un membre de son ménage qui a droit à la garantie de revenus aux personnes âgées telle que visée à la loi du 22 mars 2001 instituant la garantie de revenus aux personnes âgées.
Dans les cas auxquels le recours administratif est déclaré fondé, la taxe de dossier est intégralement remboursée.
Le Gouvernement flamand peut arrêter des modalités relatives à la taxe de dossier ».
B.15.4. Les dispositions attaquées ont été commentées comme suit au cours des travaux préparatoires :
« C’est pourquoi il est prévu que l’usager doit payer une taxe de dossier lorsqu’il introduit un recours administratif. Il est ainsi instauré un seuil nécessaire mais juste, sans toutefois entraver l’accès à un recours administratif. Si aucun seuil n’est prévu pour introduire un recours administratif, il faut s’attendre à ce qu’en cas de décision négative de la personne habilitée à procéder à une ‘ indication ’, l’usager demande systématiquement un deuxième avis, ce qu’il convient d’éviter » (Doc. parl., Parlement flamand, 2020-2021, n° 710/1, p. 16).
« Il convient d’observer en premier lieu que la taxe de dossier est instaurée avant de procéder à une seconde ‘ indication ’ dans le cadre d’une procédure de recours. L’‘ indication ’ effectuée lors de la demande d’un budget de soins est entièrement gratuite pour le citoyen. En outre, des mesures sont prises afin de garantir effectivement l’accès à la procédure de recours.
La taxe de dossier que doivent payer les personnes bénéficiant d’une intervention majorée est réduite de 50 %. Ensuite, le fait de se trouver dans une situation digne d’intérêt peut également être invoqué pour certains groupes-cibles. Il s’agit notamment des personnes bénéficiant d’un revenu d’intégration ou d’une garantie de revenus pour personnes âgées, des personnes bénéficiant d’une guidance budgétaire et des personnes ayant droit à une allocation de remplacement de revenus visée dans la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées. Pour ce groupe, aucune taxe de dossier n’est due.
Il n’est pas davantage question d’enrichissement. En effet, la taxe perçue sera remboursée si la seconde ‘ indication ’ ouvre le droit à un budget de soins. La taxe est située au même niveau
43
que le coût d’une indication, soit 75 euros. Ainsi, la taxe perçue constitue une indemnisation pour la personne chargée de procéder à l’‘ indication ’. Il ne s’agit donc pas d’un enrichissement pour les autorités » (ibid., p. 20).
B.16.1. L’article 13 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne ».
B.16.2. L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit tout autant le droit d’accès à un juge exerçant un contrôle de pleine juridiction pour les contestations sur des droits et obligations de caractère civil et pour établir le bien-fondé d’une accusation en matière pénale.
L’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ».
B.16.3. Le droit d’accès au juge peut être soumis à des conditions de recevabilité, même à caractère financier. Ces conditions ne peuvent cependant aboutir à restreindre le droit d’accès au juge de manière telle que celui-ci s’en trouve atteint dans sa substance même. Tel serait le cas si les restrictions imposées ne tendaient pas vers un but légitime et s’il n’existait pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. La compatibilité d’une telle restriction avec le droit d’accès au juge dépend des particularités de la procédure en cause et s’apprécie au regard de l’ensemble du procès (CEDH, 24 février 2009
L’Erablière c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:2009:0224JUD004923007, § 36; 29 mars 2011, RTBF c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:2011:0329JUD005008406, § 70; 18 octobre 2016, Miessen c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:2016:1018JUD003151712, § 64; 17 juillet 2018, Ronald Vermeulen c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:2018:0717JUD000547506, § 58).
44
Les règles en question ne peuvent toutefois pas empêcher les justiciables de faire valoir les voies de recours disponibles. « En effet, le droit d’accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente » (CEDH, 24 mai 2011, Sabri Güneş c. Turquie, ECLI:CE:ECHR:2011:0524JUD002739606, § 58; 13 janvier 2011, Evaggelou c. Grèce, ECLI:CE:ECHR:2011:0113JUD004407807, § 19; 18 octobre 2016, Miessen c. Belgique, précité, § 66).
L’introduction de règles financières est de nature à décourager les procédures non fondées et les frais excessifs et participe d’une bonne administration de la justice et de la sauvegarde des intérêts et droits d’autrui, parmi lesquels l’État en tant que partie au procès (CEDH, 18 juillet 2013, Klauz c. Croatie, ECLI:CE:ECHR:2013:0718JUD002896310, § 85;
6 septembre 2016, Cindrić et Bešlić c. Croatie, ECLI:CE:ECHR:2016:0906JUD007215213, § 96). En soi, l’instauration d’un seuil financier ne porte pas atteinte à ce droit, pour autant qu’il ne soit pas imposé de charge excessive à une partie au procès (CEDH, 3 juin 2014, Harrison McKee c. Hongrie, ECLI:CE:ECHR:2014:0603JUD002284007, §§ 27-28; 6 septembre 2016, Cindrić et Bešlić c. Croatie, précité, §§ 96-99 et §§ 121-122).
L’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit également le droit à un recours effectif. Il convient de donner à cette disposition la même portée qu’aux articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme (CJUE, grande chambre, 19 novembre 2019, C-585/18, C-624/18 et C-625/18, A. K.
c. Krajowa Rada Sądownictwa et CP et DO c. Sąd Najwyższy, ECLI:EU:C:2019:982, point 117).
B.16.4. Le droit d’accès au juge doit, enfin, être assuré de manière non discriminatoire.
B.17. Étant donné que l’accès au juge en matière sociale contribue également à assurer le droit à l’aide sociale ou à la sécurité sociale du citoyen, les mesures qui concernent les procédures de recours contre les décisions relatives aux interventions dans le cadre de la
45
protection sociale flamande entrent dans le champ d’application de l’article 23 de la Constitution.
B.18. En vertu des articles 43, 46 et 48, attaqués, du décret du 18 juin 2021, un usager qui introduit un recours administratif est tenu de payer une taxe de dossier à l’administration, sous peine d’irrecevabilité de son recours administratif.
Étant donné que le recours administratif doit être épuisé avant d’avoir accès à un recours juridictionnel, l’instauration de la taxe de dossier, sous peine d’irrecevabilité du recours administratif, constitue un seuil financier qui restreint l’accès au juge. En l’espèce, il convient d’observer que, pour les personnes en difficultés financières, même un montant limité peut constituer un seuil financier qui pourrait les dissuader d’introduire un recours administratif.
B.19. Le législateur décrétal a pu considérer qu’il convenait d’éviter que les procédures de recours soient systématiquement utilisées comme deuxième avis pour les décisions relatives aux demandes.
Éviter les procédures inutiles ou systématiques est un but légitime.
B.20. L’imposition de la taxe de dossier attaquée comme condition de recevabilité d’un recours administratif constitue une mesure adéquate pour atteindre cet objectif, étant donné que ce seuil financier permet d’éviter qu’un recours administratif soit introduit sans aucune considération relative à son utilité et à son caractère réaliste.
La Cour doit cependant encore examiner si la mesure attaquée ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire et n’impose pas à cet égard une charge excessive au justiciable, de manière discriminatoire ou non.
B.21. La taxe de dossier s’élève en principe à 75 euros, montant que le requérant doit payer avant de pouvoir introduire un recours administratif recevable. La taxe de dossier en tant que condition de recevabilité et en tant que seuil financier est toutefois modulée.
46
La réglementation prévoit d’une part des exemptions de la taxe de dossier. La taxe de dossier est réduite à 37,50 euros pour les bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale.
En outre, six catégories d’usagers sont entièrement exemptées du paiement de la taxe de dossier :
(1) les personnes bénéficiant d’un règlement collectif de dettes et les personnes déclarées en état de faillite ou d’insolvabilité;
(2) les bénéficiaires d’un revenu d’intégration;
(3) les bénéficiaires d’une garantie de revenus pour personnes âgées;
(4) les personnes bénéficiant d’une guidance budgétaire;
(5) les bénéficiaires du montant journalier minimum de l’allocation de chômage;
(6) les bénéficiaires d’une allocation de remplacement de revenus, mentionnée dans la loi du 27 février 1987 « relative aux allocations aux personnes handicapées ».
La réglementation prévoit, d’autre part, le remboursement intégral de la taxe de dossier lorsque le recours administratif est jugé fondé.
B.22. Compte tenu du montant de la taxe de dossier en tant que seuil financier et en tant que charge financière définitive si la condition du remboursement n’est pas remplie, la taxe de dossier ne constitue pas en général, en tant que condition de recevabilité, une charge excessive et n’a pas d’effets disproportionnés.
La Cour doit cependant encore examiner si la manière dont le législateur décrétal a élaboré les règles relatives à la taxe de dossier ne prive pas, de manière discriminatoire, certaines catégories de personnes de l’égal accès au juge.
47
B.23. Lorsque le législateur décrétal prévoit, comme en l’espèce, une exemption, une réduction ou un remboursement de la taxe de dossier, il doit veiller à ce que l’accès au juge ne soit pas restreint de manière discriminatoire.
B.24. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s’oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.25. Par l’exonération, partielle ou non, du paiement de la taxe de dossier, le législateur décrétal a en substance établi des différences de traitement entre les auteurs d’un recours administratif, en ce qui concerne la condition de recevabilité et donc la mesure dans laquelle l’accès au juge est limité ou garanti.
Ainsi, les requérants non exemptés doivent en principe payer au préalable une taxe de dossier de 75 euros, sous peine d’irrecevabilité de leur recours administratif. En revanche, les bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale, qui sont partiellement exemptés, ne doivent payer qu’une taxe de 37,50 euros, sous peine d’irrecevabilité. Enfin, six catégories d’usagers ne doivent pas payer la taxe de dossier.
B.26. Le législateur décrétal entendait garantir l’accès aux procédures de recours, même si une charge financière a été instaurée comme condition de recevabilité (Doc. parl., Parlement flamand, 2020-2021, n° 710/1, pp. 16 et 20).
48
B.27.1. Afin de garantir l’accès aux procédures de recours et donc au juge, le législateur décrétal a choisi de modérer ou de supprimer la taxe de dossier en tant que seuil financier pour certaines catégories de personnes. Compte tenu de ce que le paiement préalable de la taxe de dossier est une condition de recevabilité du recours administratif introduit, il ne peut être reproché au législateur décrétal d’avoir visé des catégories clairement délimitées, lesquelles sont déjà reconnues par les pouvoirs publics. Il n’est dès lors pas dénué de justification raisonnable que le législateur décrétal n’ait pas prévu une possibilité de demande individuelle d’exemption. Une telle possibilité rendrait également inopérante la condition de recevabilité.
Les choix relatifs aux catégories de personnes exemptées et la mesure dans laquelle elles sont soumises à la taxe de dossier en tant que condition de recevabilité à caractère financier doivent cependant reposer sur des critères objectifs et raisonnables.
B.27.2.1. Le statut de bénéficiaire d’une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale est en substance lié à la situation financière précaire de l’intéressé. Les six catégories d’usagers mentionnées nommément se trouvent dans une « situation digne d’intérêt ». Bien que ces personnes se trouvent toutes dans une situation financière précaire qui nécessite un correctif social pour atteindre l’objectif mentionné en B.26, celles-ci sont traitées différemment.
B.27.2.2. En vertu de l’article 8 de l’arrêté royal du 15 janvier 2014 « relatif à l’intervention majorée de l’assurance visée à l’article 37, § 19, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 », sont automatiquement bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale les personnes qui bénéficient d’un des avantages suivants ou se trouvent dans une des situations suivantes :
« 1. le revenu d’intégration institué par la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale, pour autant qu’il en ait bénéficié effectivement pendant au moins trois mois complets ininterrompus;
2. le secours partiellement ou totalement pris en charge par l’Etat fédéral sur la base des articles 4 et 5 de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les
49
centres publics d’action sociale, pour autant qu’il en ait bénéficié effectivement pendant au moins trois mois complets ininterrompus;
3. la garantie de revenus aux personnes âgées instituée par la loi du 22 mars 2001;
4. le revenu garanti aux personnes âgées institué par la loi du 1er avril 1969 ainsi que celui qui conserve le droit à la majoration de rente;
5. une allocation octroyée à une personne handicapée en application de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées ou une allocation pour l’aide aux personnes âgées octroyée en application du Code wallon de l’action sociale et de la santé ou de l’Ordonnance du 10 décembre 2020 relative à l’allocation pour l’aide aux personnes âgées, ou un budget de soins pour personnes âgées présentant un besoin de soins octroyé en application du Décret du 18 mai 2018 relatif à la protection sociale flamande;
6. l’enfant handicapé dont l’incapacité physique ou mentale d’au moins 66 % est constatée par un médecin de la Direction générale Personnes handicapées du Service public fédéral Sécurité sociale. La décision de constatation de l’incapacité physique ou mentale d’au moins 66 % prise par un médecin exerçant dans l’arrondissement d’une entité fédérée est également reconnue, à condition qu’elle remplisse les critères énoncés dans la loi générale relative aux allocations familiales;
7. l’enfant inscrit en qualité de titulaire MENA, visé à l’article 32, alinéa 1er, 22°, de la loi;
8. l’enfant inscrit en qualité de titulaire orphelin au sens de l’article 32, alinéa 1er, 20°, de la loi;
9. l’enfant inscrit en qualité de titulaire orphelin au sens de l’article 32, alinéa 1er, 11°sexies, de la loi, dont les deux parents sont décédés ».
En l’espèce, il convient de constater que le législateur décrétal exempte entièrement de la taxe de dossier certaines sous-catégories de personnes au sein de la catégorie des bénéficiaires automatiques d’une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale, alors que les autres sous-catégories ne sont que partiellement exemptées.
B.27.2.3. Le choix d’exempter certaines catégories de personnes de la taxe de dossier est lié, d’une part, au statut de bénéficiaire d’une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale (critère pour l’exemption partielle) et, d’autre part, au statut des personnes se trouvant dans les six situations nommément citées (critère pour l’exemption totale).
Ces critères de distinction sont objectifs.
50
B.27.2.4. En imposant une taxe de dossier, certes réduite, de 37,50 euros aux bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale, qui ne relèvent pas des six hypothèses nommément citées d’exemption totale, le législateur décrétal a imposé à des personnes qui se trouvent par hypothèse dans une situation financière précaire analogue une mesure qui peut constituer un seuil insurmontable pour cette catégorie de personnes, ce qui les dissuaderait de faire respecter certains droits sociaux en engageant une procédure de recours.
Ainsi, même s’il s’agit d’un montant plutôt limité, en l’absence d’une exemption totale, la taxe de dossier a des effets disproportionnés à l’égard des bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance maladie fédérale, qui ne relèvent pas des six cas nommément exemptés totalement de la taxe de dossier.
Il résulte de ce qui précède que le législateur décrétal a restreint de manière discriminatoire l’accès au juge en prévoyant seulement une exemption partielle et non une exemption totale pour la catégorie précitée de personnes qui ne relèvent pas des cas d’exemption totale nommément cités.
B.27.2.5. Par conséquent, l’article 80, § 6, alinéa 3, l’article 88, § 4, alinéa 3, et l’article 92, § 6, alinéa 3, du décret du 18 mai 2018, insérés respectivement par les articles 43, 46 et 48 du décret du 18 juin 2021, portent une atteinte discriminatoire au droit à un égal accès au juge. Inversement, l’absence d’exemption à l’article 80, § 6, alinéa 4, à l’article 88, § 4, alinéa 4, et à l’article 92, § 6, alinéa 4, du décret 18 mai 2018, insérés respectivement par les articles 43, 46 et 48 du décret du 18 juin 2021, établit, pour les personnes qui sont partiellement exemptées et qui ne relèvent pas des six cas nommément cités d’exemption totale, une différence de traitement injustifiée et porte une atteinte discriminatoire au droit à un égal accès au juge.
Eu égard à ce qui précède, l’article 80, § 6, alinéa 4, l’article 88, § 4, alinéa 4, et l’article 92, § 6, alinéa 4, du décret 18 mai 2018, insérés respectivement par les articles 43, 46
et 48 du décret du 18 juin 2021, violent également les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 13 de la Constitution, en ce que ces dispositions ne prévoient pas l’exemption totale de la taxe de dossier pour les bénéficiaires d’une intervention majorée de
51
l’assurance maladie fédérale qui sont partiellement exemptés et qui ne relèvent pas des six cas nommément cités d’exemption totale. Ces dispositions doivent être annulées dans cette mesure.
B.27.2.6. Dès lors que le constat de la lacune qui a été fait en B.27.2.5 est exprimé en des termes suffisamment précis et complets qui permettent l’application des dispositions attaquées dans le respect des normes de référence sur la base desquelles la Cour exerce son contrôle, il appartient à l’autorité compétente et, le cas échéant, au juge compétent de mettre fin à la violation de ces normes.
B.27.3. Les parties requérantes critiquent encore le fait que la taxe de dossier constitue une restriction discriminatoire de l’accès au juge en ce que les règles ne prévoient pas d’exemption de la taxe de dossier qui soit similaire à celle qui est prévue dans les situations auxquelles elles comparent ce régime. Premièrement, elles établissent une comparaison entre la situation d’un justiciable devant le tribunal du travail, d’une part, et l’auteur d’un recours administratif dans le cadre de la protection sociale flamande, d’autre part. En vertu de l’article 279/1, 3°, du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe, le premier dispose d’une exemption des droits de rôle, alors que le dernier doit en principe payer une taxe de dossier. Deuxièmement, elles établissent une comparaison entre la situation des justiciables qui bénéficient du système de l’aide juridique de deuxième ligne (gratuite), d’une part, et les personnes qui introduisent un recours administratif dans le cadre de la protection sociale flamande, d’autre part. Les premiers pourraient toujours demander une exemption des droits de rôle et des frais, tandis que les seconds restent soumis à la taxe de dossier.
Il convient de constater que les différences de traitement invoquées portent sur la comparaison de situations qui sont réglées par des autorités distinctes dans le cadre de leurs compétences respectives. Cette différence de traitement trouve son origine dans les compétences distinctes des communautés et de l’autorité fédérale et ne peut dès lors être réputée contraire au principe d’égalité et de non-discrimination.
B.28. Les règles prévoient un remboursement intégral de la taxe de dossier lorsque le recours administratif est jugé « fondé », si bien que le seuil financier initial ne devient pas une charge financière définitive pour le requérant. Dans d’autres cas dans lesquels l’organe de
52
recours n’aboutit pas, pour quelque raison que ce soit, au constat que le recours administratif est « fondé », la taxe de dossier devient une charge financière définitive pour le requérant. Le législateur décrétal n’a pas davantage prévu de remboursement lorsque l’usager obtient gain de cause devant le tribunal du travail dans le cadre de son droit à un budget de soins (adapté).
Par conséquent, le législateur décrétal a établi une différence de traitement en ce qui concerne la prise en charge définitive de la taxe de dossier.
B.29.1. Le fait qu’un recours administratif soit jugé fondé constitue un critère de distinction objectif. Au regard du but poursuivi par le législateur décrétal consistant à éviter les procédures de recours inutiles et souvent systématiques, il est pertinent de rembourser intégralement la taxe de dossier payée par les personnes qui ont introduit un recours administratif jugé fondé, ce qui ouvre donc le droit à un budget de soins (adapté) pour l’intéressé, étant donné qu’une décision injuste concernant la demande du requérant est rectifiée. En effet, à la lumière de cet objectif, le législateur décrétal a pu considérer que le seuil financier dissuasif ne peut aboutir à une charge financière définitive lorsque l’auteur s’avère avoir droit à un budget de soins ou à une adaptation de celui-ci. Il est également pertinent à cet égard de ne pas prévoir le remboursement lorsque le recours administratif n’aboutit pas au constat que le requérant a droit au budget demandé ou à une adaptation de celui-ci.
B.29.2. Il n’est toutefois pas raisonnablement justifié de ne pas prévoir le remboursement de la taxe de dossier lorsque le tribunal du travail, confronté à un recours dirigé contre la décision rendue sur recours administratif, décide en substance que le recours administratif a été rejeté à tort comme non fondé et que le requérant a droit au budget demandé ou à une adaptation de celui-ci.
B.29.3. En ne prévoyant pas le remboursement intégral de la taxe de dossier lorsque le tribunal du travail décide en substance que le requérant a droit à un budget de soins ou une adaptation de celui-ci, l’article 80, § 6, alinéa 5, l’article 88, § 4, alinéa 5, et l’article 92, § 6, alinéa 5, du décret du 18 mai 2018, insérés respectivement par les articles 43, 46 et 48 du décret du 18 juin 2021, violent les articles 10 et 11 de la Constitution.
53
B.29.4. Étant donné que le constat de la lacune qui a été fait en B.29.3 est exprimé en des termes suffisamment précis et complets qui permettent d’appliquer les dispositions attaquées dans le respect des normes de référence sur la base desquelles la Cour exerce son pouvoir de contrôle, il appartient au juge compétent de mettre fin à la violation de ces normes.
B.30. Compte tenu du montant de la taxe de dossier, de son exemption pour certaines catégories de personnes et de son remboursement intégral lorsque le requérant a introduit un recours administratif fondé, également dans le cas mentionné en B.29.3, la mesure attaquée ne restreint pas l’accès au juge de manière disproportionnée.
B.31. Il résulte de ce qui précède que l’instauration d’une taxe de dossier ne porte pas davantage en soi atteinte à l’obligation de standstill qui découle de l’article 23 de la Constitution.
B.32. Le deuxième moyen est fondé dans la mesure indiquée en B.27.2.5 et en B.29.3.
En ce qui concerne le classement en catégories des personnes âgées ayant besoin de soins (quatrième moyen)
B.33. Les parties requérantes prennent un quatrième moyen de la violation, par l’article 45
du décret du 18 juin 2021, du principe de légalité contenu dans l’article 23 de la Constitution.
B.34.1. L’article 45 attaqué modifie, en ce qui concerne les conditions d’application relatives au budget de soins pour personnes âgées ayant besoin de soins, les règles relatives à la répartition en catégories des usagers et au montant du budget de soins correspondant à celles-
ci (article 86 du décret du 18 mai 2018).
B.34.2. L’article 86, alinéa 1er, du décret du 18 mai 2018, tel qu’il a été remplacé par l’article 45, 1°, du décret du 18 juin 2021, dispose :
« Le montant du budget des soins pour personnes âgées présentant un besoin en soins varie selon la catégorie à laquelle l’usager appartient, de la façon suivante :
54
1° l’usager appartenant à la catégorie 1, reçoit un budget de soins pour personnes âgées présentant un besoin en soins, qui est égal à un montant annuel de 1.062,60 euros;
2° l’usager appartenant à la catégorie 2, reçoit un budget de soins pour personnes âgées présentant un besoin en soins, qui est égal à un montant annuel de 4.056,21 euros;
3° l’usager appartenant à la catégorie 3, reçoit un budget de soins pour personnes âgées présentant un besoin en soins, qui est égal à un montant annuel de 4.931,67 euros;
4° l’usager appartenant à la catégorie 4, reçoit un budget de soins pour personnes âgées présentant un besoin en soins, qui est égal à un montant annuel de 5.806,91 euros;
5° l’usager appartenant à la catégorie 5, reçoit un budget de soins pour personnes âgées présentant un besoin en soins, qui est égal à un montant annuel de 7.132,97 euros ».
L’article 86, alinéa 2, du décret du 18 mai 2018, inséré par l’article 45, 2°, du décret du 18 juin 2021, dispose :
« Le Gouvernement flamand détermine la catégorie à laquelle l’usager appartient, en tenant compte de la réduction d’autonomie de l’usager ».
B.35. L’article 23, alinéas 2 et 3, 2°, de la Constitution oblige le législateur compétent à garantir le droit à la sécurité sociale et à l’aide sociale et à déterminer les conditions d’exercice de ce droit.
Cette disposition constitutionnelle n’interdit cependant pas à ce législateur d’accorder des délégations au pouvoir exécutif, pour autant qu’elles portent sur l’exécution de mesures dont le législateur a déterminé l’objet.
Cette disposition constitutionnelle n’impose pas au législateur de régler tous les éléments essentiels du droit à la sécurité sociale ou à l’aide sociale et ne lui interdit pas d’habiliter le pouvoir exécutif à régler ceux-ci.
B.36. À l’article 86, alinéa 2, du décret du 18 mai 2018, le législateur décrétal a défini l’objet de l’habilitation au Gouvernement flamand, à savoir la répartition des usagers en catégories (à la lumière de l’alinéa 1er). Par ailleurs, le législateur décrétal a lui-même déterminé les éléments essentiels pour fixer le montant du budget de soins pour les personnes âgées ayant besoin de soins en prévoyant lui-même cinq catégories auxquelles est attaché un
55
montant déterminé, ainsi qu’en prévoyant que la répartition doit s’opérer sur la base du critère de la « réduction d’autonomie de l’usager ».
L’article 86 du décret du 18 mai 2018 ne porte pas atteinte au principe de légalité, qui découle de l’article 23 de la Constitution.
B.37. Le quatrième moyen n’est pas fondé.
56
Par ces motifs,
la Cour
- annule l’article 18, 1° et 2°, et l’article 21, 2°, du décret de la Communauté flamande du 18 juin 2021 « modifiant la réglementation dans le cadre de la protection sociale flamande »;
- annule l’article 80, § 6, alinéa 3, l’article 88, § 4, alinéa 3, et l’article 92, § 6, alinéa 3, du décret de la Communauté flamande du 18 mai 2018 « relatif à la protection sociale flamande », insérés respectivement par les articles 43, 46 et 48 du décret précité du 18 juin 2021;
- annule l’article 80, § 6, alinéa 4, l’article 88, § 4, alinéa 4, et l’article 92, § 6, alinéa 4, du décret précité du 18 mai 2018, insérés respectivement par les articles 43, 46 et 48 du décret précité du 18 juin 2021, en ce que ces dispositions ne prévoient pas l’exemption totale de la taxe de dossier pour les bénéficiaires d’une intervention majorée en vertu de l’article 37, § 19, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, qui ne relèvent pas des six catégories de personnes qui sont totalement exemptées;
- annule l’article 80, § 6, alinéa 5, l’article 88, § 4, alinéa 5, et l’article 92, § 6, alinéa 5, du décret précité du 18 mai 2018, insérés respectivement par les articles 43, 46 et 48 du décret précité du 18 juin 2021, en ce qu’ils ne prévoient pas le remboursement intégral de la taxe de dossier lorsque le tribunal du travail décide que, dans le cadre du recours administratif, il a été considéré à tort que le requérant n’a pas droit au budget de soins demandé ou à une adaptation de celui-ci;
- rejette le recours pour le surplus.
57
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 20 juillet 2023.
Le greffier, Le président,
N. Dupont L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 112/2023
Date de la décision : 20/07/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

- Annulation (article 18, 1° et 2°, et article 21, 2°, du décret de la Communauté flamande du 18 juin 2021) - Annulation (article 80, § 6, alinéa 3, article 88, § 4, alinéa 3, et article 92, § 6, alinéa 3, du décret de la Communauté flamande du 18 mai 2018 « relatif à la protection sociale flamande », insérés respectivement par les articles 43, 46 et 48 du décret précité du 18 juin 2021) - Annulation (article 80, § 6, alinéa 4, article 88, § 4, alinéa 4, et article 92, § 6, alinéa 4, du décret précité du 18 mai 2018, insérés respectivement par les articles 43, 46 et 48 du décret précité du 18 juin 2021, en ce que ces dispositions ne prévoient pas l'exemption totale de la taxe de dossier pour les bénéficiaires d'une intervention majorée en vertu de l'article 37, § 19, de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, qui ne relèvent pas des six catégories de personnes qui sont totalement exemptées) - Annulation (article 80, § 6, alinéa 5, article 88, § 4, alinéa 5, et article 92, § 6, alinéa 5, du décret précité du 18 mai 2018, insérés respectivement par les articles 43, 46 et 48 du décret précité du 18 juin 2021, en ce qu'ils ne prévoient pas le remboursement intégral de la taxe de dossier lorsque le tribunal du travail décide que, dans le cadre du recours administratif, il a été considéré à tort que le requérant n'a pas droit au budget de soins demandé ou à une adaptation de celui-ci) - Rejet du recours pour le surplus

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - le recours en annulation des articles 18, 21, 43, 45, 46 et 48 du décret de la Communauté flamande du 18 juin 2021 « modifiant la réglementation dans le cadre de la protection sociale flamande », introduit par la Confédération des syndicats chrétiens de Belgique et autres. Droit social - Communauté flamande - Protection sociale flamande - 1. Budget de soins - Prime de soins socialement corrigée - Conditions d'octroi - Durée du séjour - Obligation d'intégration civique - 2. Recours administratif - Condition de recevabilité - Taxe de dossier - 3. Budget de soins - Personnes âgées nécessitant des soins


Origine de la décision
Date de l'import : 01/08/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-07-20;112.2023 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award