Cour constitutionnelle
Arrêt n° 107/2023
du 29 juin 2023
Numéro du rôle : 7963
En cause : la demande de suspension des articles 5, 9°, 9, c), 10, b) et d), 18, 27, 28 et 40 de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 15 décembre 2022 « modifiant l’ordonnance du 24 avril 2008 relative aux établissements d’accueil ou d’hébergement pour personnes âgées », introduite par l’ASBL « Fédération des Maisons de Repos privées de Belgique (MR-MRS) » (Femarbel).
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges Y. Kherbache, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la demande et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 30 mars 2023 et parvenue au greffe le 31 mars 2023, l’ASBL « Fédération des Maisons de Repos privées de Belgique (MR-MRS) » (Femarbel), assistée et représentée par Me J.-P. Hordies et Me Y. Rimokh, avocats au barreau de Bruxelles, et par Me G. de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, a introduit une demande de suspension des articles 5, 9°, 9, c), 10, b) et d), 18, 27, 28 et 40 de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 15 décembre 2022
« modifiant l’ordonnance du 24 avril 2008 relative aux établissements d’accueil ou d’hébergement pour personnes âgées » (publiée au Moniteur belge du 30 janvier 2023).
Par la même requête, la partie requérante demande également l’annulation des mêmes dispositions ordonnancielles.
Par ordonnance du 12 avril 2023, la Cour a fixé l’audience pour les débats sur la demande de suspension au 17 mai 2023, après avoir invité les autorités visées à l’article 76, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle à introduire, le 3 mai 2023 au plus tard, leurs observations écrites éventuelles sous la forme d’un mémoire, dont une copie serait
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envoyée dans le même délai à la partie requérante, ainsi qu’au greffe de la Cour par courriel envoyé à l’adresse « griffie@const-court.be ».
Le Collège réuni de la Commission communautaire commune, assisté et représenté par Me M. Kaiser, Me M. Verdussen, Me C. Jadot et Me P. Bellemans, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit des observations écrites.
À l’audience publique du 17 mai 2023 :
- ont comparu :
. Me J.-P. Hordies et Me Y. Rimokh, qui comparaissaient également loco Me G. de Foestraets, pour la partie requérante;
. Me M. Kaiser, qui comparaissait également loco Me M. Verdussen, Me C. Jadot et Me P. Bellemans, pour le Collège réuni de la Commission communautaire commune;
- la juge E. Bribosia et la juge S. de Bethune, rapporteure en remplacement de la juge-rapporteure J. Moerman, légitimement empêchée, ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale précitée du 6 janvier 1989 relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à l’intérêt
A.1. L’ASBL « Fédération des Maisons de Repos privées de Belgique (MR-MRS) » (ci-après : Femarbel)
soutient que son recours s’inscrit dans le cadre de la défense de ses membres. L’intérêt à agir de la partie requérante n’a jamais été contesté devant la Cour.
Quant au risque de préjudice grave et difficilement réparable
A.2. Pour justifier l’urgence, l’ASBL « Femarbel » s’appuie sur deux motifs.
Premièrement, l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 15 décembre 2022 « modifiant l’ordonnance du 24 avril 2008 relative aux établissements d’accueil ou d’hébergement pour personnes âgées » (ci-
après : l’ordonnance du 15 décembre 2022) est rétroactive. En effet, elle a été publiée au Moniteur belge le 30 janvier 2023, mais elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2023, sous réserve de deux dispositions, attaquées, qui bénéficient d’une dérogation. Cette rétroactivité a surpris tous les membres de l’ASBL « Femarbel ». Elle a en outre anéanti toute sécurité juridique, puisque les décisions prises par ces membres avant la publication de l’ordonnance au Moniteur belge l’ont été sans que ces derniers sachent que ces décisions allaient être régies par une ordonnance profondément remaniée.
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Deuxièmement, la gravité des mesures attaquées constitue un second motif d’urgence. Ces mesures sont les suivantes. L’ordonnance prévoit la fin de la possibilité de céder des lits ou des places entre établissements du même type. Par ailleurs, l’ordonnance inaugure une politique consistant à refuser de manière générale et absolue toute nouvelle demande d’autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation pour des places de maisons de repos, tant que le secteur marchand occupe 50 % ou plus du total des places agréées. Ces mesures créent une situation d’urgence absolue pour les membres de l’ASBL « Femarbel ». En effet, par exemple, un opérateur ciblé par l’ordonnance peut perdre un grand nombre de places en raison d’une inoccupation légèrement supérieure à 5 %, puisque l’ordonnance veut sanctionner l’inoccupation de lits agréés. Toute nouvelle autorisation serait toutefois refusée à cet opérateur jusqu’à ce que le secteur marchand n’ait plus une part de 50 % ou plus du marché. En effet, la mesure la plus radicale de l’ordonnance consiste en ce qu’aucune autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation pour des places de maisons de repos ne sera octroyée aux établissements appartenant au secteur privé à but lucratif, tant que ce secteur représente une part de plus de 50 % du total des places agréées. Or, tous les établissements relevant du secteur marchand sont obligés et responsables de leurs charges fixes, parmi lesquelles des loyers ou des mensualités hypothécaires, par exemple. L’ordonnance programme l’asphyxie du secteur marchand. Les établissements du secteur marchand sont, sans la moindre contrepartie, privés de la possibilité d’atteindre un équilibre économique. Le préjudice qui en résulte est grave, irréparable et actuel.
A.3.1. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour, le Collège réuni de la Commission communautaire commune soutient tout d’abord que la partie requérante ne se prévaut pas d’un préjudice à titre personnel. En effet, la partie requérante omet de démontrer un préjudice qu’elle aurait personnellement subi. Elle ne produit même pas ses statuts.
En tout état de cause, le préjudice que la partie requérante subirait n’est que moral, et il est donc réparable.
A.3.2. Le Collège réuni de la Commission communautaire commune soutient, à titre subsidiaire, que le préjudice invoqué par la partie requérante est hypothétique. En effet, celle-ci n’avance aucun fait concret permettant de démontrer que le préjudice allégué se réaliserait effectivement, pas plus qu’elle ne démontre que serait en jeu la survie financière d’un établissement pour aînés. La requête et ses annexes sont insuffisamment détaillées en fait.
A.3.3. Le Collège réuni de la Commission communautaire commune considère par ailleurs que les risques de préjudice invoqués par la partie requérante ne constituent pas des risques de préjudice grave et difficilement réparable.
Les préjudices allégués sont d’ordre économique.
Premièrement, en ce qui concerne l’impossibilité d’octroyer au secteur marchand une autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation tant que ce secteur représente plus de 50 % du total des places agréées comme places de maisons de repos, il y a lieu d’observer que l’article 10, b), attaqué, qui crée cette impossibilité, n’est pas encore entré en vigueur. Le préjudice allégué n’est donc pas actuel et est inexistant. Deuxièmement, la perte de l’agrément des lits inoccupés lorsque le taux d’inoccupation d’un établissement est supérieur à 5 % n’engendre aucune perte financière, puisque le financement des maisons de repos est directement lié à l’occupation des lits. La perte de l’agrément de lits structurellement inoccupés n’engendre donc aucun préjudice financier. En tout état de cause, la portée de la mesure est limitée, en ce que la marge des lits inoccupés est fixée à 5 % et en ce que seule la moitié des agréments des lits inoccupés excédant ce taux de 5 % expire de plein droit. Troisièmement, à considérer qu’un préjudice économique puisse être établi, celui-ci serait réparable par nature. D’ailleurs, la partie requérante ne prouve pas le contraire. Quatrièmement, l’ordonnance du 15 décembre 2022 n’est pas rétroactive. Qui plus est, l’adoption de cette ordonnance n’a pas pu être imprévisible pour la partie requérante, puisque celle-ci est représentée au sein d’Iriscare, qui a rendu à trois reprises des avis sur le projet d’ordonnance. La partie requérante connaissait également l’échéancier envisagé pour l’adoption de l’ordonnance. Par ailleurs, toutes les dispositions de l’ordonnance ne sont pas encore entrées en vigueur ou n’ont pas encore été appliquées. De plus, la seule mesure qui a produit ses effets en janvier 2023 a eu un effet positif pour la partie requérante. Il s’agit de la règle selon laquelle les agréments à durée déterminée et valides au 1er janvier 2023 sont réputés avoir été octroyés à durée indéterminée.
En conséquence, la partie requérante ne démontre pas l’existence d’un risque de préjudice grave et difficilement réparable.
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-B-
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.1. L’ordonnance de la Commission communautaire commune du 15 décembre 2022
« modifiant l’ordonnance du 24 avril 2008 relative aux établissements d’accueil ou d’hébergement pour personnes âgées » (ci-après : l’ordonnance du 15 décembre 2022) modifie l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 24 avril 2008 « relative aux établissements d’accueil ou d’hébergement pour personnes âgées » (ci-après : l’ordonnance du 24 avril 2008), qui règle notamment l’agrément, la programmation et les subventionnements des établissements pour aînés en région bilingue de Bruxelles-Capitale.
B.2.1. Il ressort de l’exposé des motifs que l’ordonnance du 15 décembre 2022 poursuit trois objectifs. Premièrement, elle tient compte de la création d’« Iriscare », c’est-à-dire de l’Office bicommunautaire de la santé, de l’aide aux personnes et des prestations familiales, créé par l’ordonnance du 23 mars 2017 « portant création de l’Office bicommunautaire de la santé, de l’aide aux personnes et des prestations familiales ». Deuxièmement, l’ordonnance du 15 décembre 2022 apporte à l’ordonnance du 24 avril 2008 des corrections techniques et urgentes. Troisièmement, l’ordonnance du 15 décembre 2022 modifie le régime des autorisations spécifiques de mise en service et d’exploitation « pour remédier aux dysfonctionnements du régime actuel [...] et tendre vers une meilleure réponse aux besoins des ainés à Bruxelles [...] dans l’attente d’une réforme de plus grande envergure » (Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2022-2023, B-132/1, p. 2).
B.2.2. Le régime des autorisations spécifiques de mise en service et d’exploitation est instauré par les articles 6, 7 et 8 de l’ordonnance du 24 avril 2008.
En vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 24 avril 2008, l’autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation est accordée par le Collège réuni pour la mise en service ou l’exploitation d’un nouvel établissement pour aînés ou d’une extension de la capacité d’accueil
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ou d’hébergement d’un de ces établissements existants si l’établissement concerné entre dans une catégorie d’établissements pour laquelle le Collège réuni a arrêté une « programmation ».
L’article 4 de l’ordonnance du 24 avril 2008 règle la programmation que le Collège réuni peut fixer pour les établissements pour ainés afin de maîtriser l’évolution de l’offre d’accueil, d’hébergement ou de soins aux aînés, en fonction de l’évolution des besoins de la population bruxelloise.
Par l’autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation, le Collège réuni peut donc vérifier que la mise en service ou l’exploitation d’un nouvel établissement pour aînés ou de l’extension d’un tel établissement est compatible avec la programmation du nombre de lits fixé par le Collège réuni.
B.2.3. Parallèlement à l’autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation, tout établissement pour aînés doit disposer d’un agrément pour être mis en service (article 11 de l’ordonnance du 24 avril 2008). Au cours de la procédure de demande d’agrément, l’établissement pour aînés peut obtenir une « autorisation de fonctionnement provisoire »
(article 13 de l’ordonnance du 24 avril 2008).
L’agrément et l’autorisation de fonctionnement provisoire sont régis par le chapitre III
(« Agrément ») de l’ordonnance du 24 avril 2008, qui est composé des articles 11 à 19/3 de l’ordonnance.
B.2.4. À propos des dysfonctionnements du régime des autorisations spécifiques de mise en service et d’exploitation, les travaux préparatoires mentionnent :
« Le régime actuel des ASMESE [lire : autorisations spécifiques de mise en service et d’exploitation] est source d’inadéquation entre l’offre d’établissements pour aînés et les besoins des aînés, d’une part, et comporte un risque de dépassement budgétaire, d’autre part.
La programmation des établissements pour aînés constitue la pierre angulaire de l’ordonnance du 24 avril 2008. Or, il faut constater que, depuis treize ans, aucune programmation n’a encore été élaborée par le Collège réuni. Les ASMESE ont ainsi été octroyées en dehors du cadre de toute programmation, de sorte qu’au fil des années, s’est formé un important surplus de places qui bénéficient d’une ASMESE mais qui ne sont pas exploitées
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dans le cadre d’un agrément ou d’une autorisation de fonctionnement provisoire » (Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2022-2023, B-132/1, p. 2).
B.3.1. Pour remédier à l’excédent des places dans les établissements pour aînés qui ne sont pas exploitées dans le cadre d’un agrément ou d’une autorisation de fonctionnement provisoire bien qu’elles soient couvertes par une autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation, mais aussi pour tendre vers une meilleure réponse aux besoins des aînés, l’ordonnance du 15 décembre 2022 instaure trois mesures.
B.3.2. Premièrement, le Collège réuni est habilité à fixer une programmation transitoire, dans l’attente de la programmation visée à l’article 4 de l’ordonnance du 24 avril 2008
(article 31 de l’ordonnance du 24 avril 2008, tel qu’il a été remplacé par l’article 34 de l’ordonnance du 15 décembre 2022).
Tel qu’il a été remplacé par l’article 34 de l’ordonnance du 15 décembre 2022, l’article 31
précité dispose :
« Dans l’attente d’une programmation arrêtée conformément au chapitre II, le Collège réuni peut fixer, par catégorie d’établissements pour aînés, le nombre maximal de places pouvant bénéficier d’une autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation à l’échelle du territoire de Bruxelles-Capitale. Le Collège réuni fixe en tout cas le nombre maximal de places de maisons de repos, en ce compris celles qui bénéficient d’un agrément spécial pour la prise en charge des aînés fortement dépendants et nécessitant des soins, et de centre de soins de jour qui peuvent bénéficier d’une autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation à l’échelle du territoire de Bruxelles-Capitale ».
La programmation provisoire vise à neutraliser le risque de dépassement budgétaire car « tant que le nombre de places qui bénéficient d’une ASMESE restera supérieur au nombre de places prévues dans la programmation transitoire, aucune nouvelle ASMESE ne sera octroyée »
(Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2022-2023, B-132/1, p. 4).
B.3.3. Deuxièmement, l’ordonnance du 15 décembre 2022 introduit des critères qualitatifs pour l’octroi des autorisations spécifiques de mise en service et d’exploitation (article 7, § 1er/1, de l’ordonnance du 24 avril 2008, tel qu’il a été inséré par l’article 10, b), attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022) qui permettent d’accroître le contrôle du Collège réuni et d’Iriscare sur la qualité des projets d’ouverture ou d’extension d’établissements pour aînés
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(Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2022-2023, B-132/1, p. 4). Parmi ces critères figure celui du secteur d’appartenance du gestionnaire de l’établissement pour aînés.
L’article 7, § 1er/1, de l’ordonnance du 24 avril 2008 précité dispose :
« Le Collège réuni arrête, sur avis du Conseil de gestion, des modalités supplémentaires de la procédure d’octroi de l’autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation. Il arrête notamment, sur avis du Conseil de gestion, les critères applicables pour l’octroi de l’autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation.
Les critères visés à l’alinéa 1er portent notamment sur :
[...]
10° le secteur d’appartenance du gestionnaire, en vue d’assurer une répartition équilibrée de la capacité des établissements entre le secteur public, le secteur privé à but non lucratif et le secteur privé à but lucratif. En vue de garantir la liberté de choix des aînés entre établissements appartenant aux différents secteurs, et l’accès à des établissements abordables et accessibles, aucune autorisation pour l’exploitation de places de maisons de repos ne sera octroyée aux établissements appartenant au secteur privé à but lucratif, tant que ce secteur représente une part de plus de 50 % du total des places qui sont agréées en tant que places de maison de repos en vertu de la présente ordonnance ou de ses arrêtés d’exécution, en ce compris les places de maisons de repos qui bénéficient d’une autorisation de fonctionnement provisoire. Sans préjudice du principe précédent, le Collège réuni détermine ce qu’il convient d’entendre par ‘ répartition équilibrée ’.
Le Collège réuni peut fixer les modalités des critères visés à l’alinéa précédent, dont la pondération ».
Il s’ensuit que les établissements du « secteur privé à but lucratif » se voient refuser toute nouvelle autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation qui porterait sur l’exploitation de places de maisons de repos tant que ce secteur représente plus de 50 % du total des places qui sont agréées en tant que places de maisons de repos, en ce compris celles qui bénéficient d’une autorisation de fonctionnement provisoire.
Le « secteur privé à but lucratif » regroupe les « établissements dont le gestionnaire est soit constitué sous la forme d’une personne morale à but lucratif, soit soumis au contrôle d’une société au sens de l’article I:14, § 1er, du Code des sociétés et des associations tout en étant constitué sous la forme d’une personne morale à but non lucratif. Le Collège réuni peut
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déterminer ce qu’il faut entendre par ‘ soumis au contrôle de ’ [...] » (article 2, 15°, de l’ordonnance du 24 avril 2008, inséré par l’article 5, 9°, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022).
Les travaux préparatoires mentionnent :
« Aujourd’hui, sur le territoire de Bruxelles-Capitale, l’équilibre des places agréées de maisons de repos entre les secteurs est absent, avec une prépondérance de 65 % pour le secteur marchand, contre 20 % pour le secteur public et 15 % pour le secteur privé non-marchand.
Ce déséquilibre a un impact sur la nature de la prestation de services aux aînés, et peut entraver le choix des personnes qui souhaitent trouver un établissement public ou un établissement à but non lucratif à proximité de leur lieu de résidence » (Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2022-2023, B-132/1, p. 10).
B.3.4. Troisièmement, pour renforcer le contrôle que le Collège réuni et Iriscare exercent par l’application des critères qualitatifs visés à l’article 7, § 1er/1, de l’ordonnance du 24 avril 2008 aux autorisations spécifiques de mise en service et d’exploitation, l’ordonnance du 15 décembre 2022 supprime la possibilité de céder, entre établissements du même type, des lits ou des places autorisés (article 9, c), attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022, qui abroge l’alinéa 2 de l’article 6 de l’ordonnance du 24 avril 2008).
Il ressort en effet des travaux préparatoires :
« Pour s’assurer que les ASMESE seront à l’avenir octroyées conformément aux critères qualitatifs prévus par le nouvel article 7, § 1er/1 en projet, cet article met fin aux possibilités de cessions de lits (ou places) autorisés ou agréés entre gestionnaires.
En autorisant, dans les conditions fixées par le Collège réuni, la cession de lits ou de places entre établissements du même type, l’article 6, alinéa 2, de l’ordonnance du 24 avril 2008 avait, en réalité, créé un ‘ marché ’ des ‘ lits autorisés ou agréés ’, en particulier depuis l’instauration du moratoire sur les ASMESE et agréments de lits MRPA et MRS.
Étant donné que l’ordonnance ‘ moratoire ’ empêchait l’octroi de nouvelles ASMESE (et de nouveaux agréments), les gestionnaires qui souhaitaient développer un nouveau projet de MRPA(-MRS) devaient, lors de l’introduction de leur demande d’ASMESE, pouvoir démontrer que le nombre de lits autorisés demandés correspondait à une réduction d’autant de lits autorisés dans le chef d’un autre gestionnaire.
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Malgré le fait que l’ASMESE ne pouvait pas être cédée en tant que telle (c’est-à-dire en tant qu’autorisation ministérielle), l’opération de cession de places - généralement conclues à titre onéreux, sous la condition suspensive d’obtention d’une ASMESE par le gestionnaire cessionnaire - portait ainsi de facto sur ces ‘ lits autorisés ’ ou autorisations.
Les ‘ lits agréés ’ pouvaient faire l’objet d’une opération analogue, étant entendu que l’opération de cession ne pouvait jamais porter sur l’agrément lui-même, dans la mesure où
l’agrément n’est pas un droit réel mais une autorisation administrative » (Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2022-2023, B-132/1, pp. 8-9).
B.4. Parallèlement aux trois mesures décrites en B.3.2 à B.3.4, l’ordonnance du 15 décembre 2022 introduit plusieurs autres mesures parmi lesquelles celle qui consiste en l’expiration de plein droit de l’agrément de la moitié des places agréées mais inoccupées, pour autant que certaines conditions soient remplies.
Concrètement, pour favoriser le développement de projets qui répondent davantage aux besoins des aînés (ibid., p. 13), l’ordonnance du 15 décembre 2022 prévoit que, lorsqu’un établissement pour aînés, hormis les centres de soins de jour, a un taux d’inoccupation moyen annuel de ses places agréées supérieur à zéro sur une période de référence, les agréments de la moitié des places inoccupées expirent de plein droit. Toutefois, un établissement peut disposer de places inoccupées à hauteur de 5 % de ses places agréées, avec un minimum de trois places agréées inoccupées (article 18, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022, qui remplace l’article 15, § 1er, de l’ordonnance du 24 avril 2008).
B.5. Enfin, l’article 40, alinéa 1er, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 qui a été publiée au Moniteur belge le 30 janvier 2023, fixe l’entrée en vigueur de l’ordonnance au 1er janvier 2023. L’article 40, alinéa 2, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 dispose que les articles 9, c), 10, b), 23 et 35 de l’ordonnance entrent en vigueur à une date fixée par le Collège réuni.
À défaut d’exécution de cette disposition par le Collège réuni, les articles 9, c), et 10, b), attaqués, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 ne sont pas encore entrés en vigueur.
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Il s’ensuit que les critères qualitatifs fixés à l’article 7, § 1er/1 de l’ordonnance du 24 avril 2008, insérés par l’article 10, b), de l’ordonnance du 15 décembre 2022, ainsi que la suppression de la possibilité de cession des lits ou places autorisées entre établissements du même type par l’article 9, c), de l’ordonnance du 15 décembre 2022 ne sont pas encore entrés en vigueur.
Quant à la demande de suspension
B.6. Aux termes de l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, deux conditions de fond doivent être remplies pour que la suspension puisse être décidée :
- des moyens sérieux doivent être invoqués;
- l’exécution immédiate de la règle attaquée doit risquer de causer un préjudice grave difficilement réparable.
Les deux conditions étant cumulatives, la constatation que l’une de ces deux conditions n’est pas remplie entraîne le rejet de la demande de suspension.
Quant au risque de préjudice grave et difficilement réparable
B.7.1. Une suspension par la Cour doit permettre d’éviter qu’un préjudice grave résulte pour la partie requérante de l’application immédiate de la norme attaquée, préjudice qui ne pourrait être réparé ou qui pourrait difficilement être réparé en cas d’annulation éventuelle.
B.7.2. Il ressort de l’article 22 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 que, pour satisfaire à la deuxième condition de l’article 20, 1°, de cette loi, la personne qui forme une demande de suspension doit exposer, dans sa requête, des faits concrets et précis qui prouvent à suffisance que l’application immédiate des dispositions dont elle demande l’annulation risque de lui causer un préjudice grave difficilement réparable. Cette personne doit notamment faire la
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démonstration de l’existence du risque de préjudice, de sa gravité, de son caractère difficilement réparable et de son lien avec l’application des dispositions attaquées.
B.8. D’une part, la partie requérante fait valoir que la rétroactivité de la plupart des dispositions de l’ordonnance du 15 décembre 2022, publiée le 30 janvier 2023 et entrée en vigueur le 1er janvier 2023 sauf pour les articles 9, c), 10, b), 23 et 35, a créé une insécurité juridique, puisque les membres de la partie requérante ont pris des décisions à un moment où elles ne savaient pas que celles-ci allaient être régies par une nouvelle ordonnance.
D’autre part, la partie requérante allègue la gravité de l’incidence des mesures introduites par l’ordonnance du 15 décembre 2022. Elle pointe notamment la fin de la possibilité de céder des lits ou des places entre établissements et le fait que des demandes d’autorisation pour l’exploitation de places de maisons de repos introduites par les établissements appartenant au secteur privé à but lucratif sont refusées tant que ce secteur représente une part de plus de 50 % du total des places agréées. Ces mesures empêchent que les établissements appartenant au secteur privé à but lucratif puissent atteindre un équilibre économique.
B.9.1. La partie requérante est une association sans but lucratif dont le but statutaire consiste à assurer la défense des intérêts professionnels ou moraux de ses membres, à savoir « des associations, des sociétés et des personnes physiques responsables ou gestionnaires d’établissements d’hébergement pour personnes âgées ou présentant une dépendance qui [...]
offrent l’hébergement et/ou l’accueil ainsi que [...] les soins aux personnes âgées ». Elle a également pour but de défendre les intérêts professionnels des personnes physiques et morales qui, sous quelque dénomination que ce soit, assurent l’aide et les soins à domicile ainsi que leur coordination.
B.9.2. Lorsqu’il s’agit d’apprécier la gravité et le caractère difficilement réparable d’un préjudice, une association sans but lucratif qui défend l’intérêt collectif d’un groupe professionnel ne peut être confondue avec les membres de ce groupe professionnel affectés dans leur situation personnelle, auxquels cet intérêt est relatif.
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Pour la partie requérante, le préjudice allégué est un préjudice purement moral qui découle de l’adoption ou de l’application de dispositions législatives susceptibles d’affecter les intérêts individuels de ses membres.
Ce préjudice moral n’est pas difficilement réparable, puisqu’il disparaîtrait en cas d’annulation des dispositions attaquées.
B.9.3. Dès lors qu’une des conditions pour que la Cour puisse conclure à une suspension n’est pas remplie, il y a lieu de rejeter la demande de suspension.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette la demande de suspension.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 29 juin 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut P. Nihoul