La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/06/2023 | BELGIQUE | N°105/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 29 juin 2023, 105/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 105/2023
du 29 juin 2023
Numéro du rôle : 7867
En cause : le recours en annulation des articles 12, 2°, 14, 4°, 112, 3°, et 113, 2°, de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 17 mars 2022 « modifiant l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale, l’ordonnance du 1er avril 2004 relative à l’organisation du marché du gaz en Région de Bruxelles-Capitale, concernant des redevances de voiries en matière de gaz et d’électricité et porta

nt modification de l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’él...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 105/2023
du 29 juin 2023
Numéro du rôle : 7867
En cause : le recours en annulation des articles 12, 2°, 14, 4°, 112, 3°, et 113, 2°, de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 17 mars 2022 « modifiant l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale, l’ordonnance du 1er avril 2004 relative à l’organisation du marché du gaz en Région de Bruxelles-Capitale, concernant des redevances de voiries en matière de gaz et d’électricité et portant modification de l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale et l’ordonnance du 12 décembre 1991 créant des fonds budgétaires en vue de la transposition de la directive 2018/2001 et de la directive 2019/944 », introduit par la Commission de régulation pour l’énergie en Région de Bruxelles-Capitale (« Bruxelles Gaz Electricité », en abrégé « BRUGEL »).
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 21 septembre 2022 et parvenue au greffe le 23 septembre 2022, la Commission de régulation pour l’énergie en Région de Bruxelles-Capitale (« Bruxelles Gaz Electricité », en abrégé « BRUGEL »), assistée et représentée par Me P. de Bandt, Me J. Dewispelaere et Me V. Heinen, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 12, 2°, 14, 4°, 112, 3°, et 113, 2°, de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 17 mars 2022 « modifiant l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale, l’ordonnance du 1er avril 2004 relative à l’organisation du marché du gaz en Région de Bruxelles-Capitale, concernant des redevances de voiries en matière de gaz et d’électricité et portant modification de l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation
2
du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale et l’ordonnance du 12 décembre 1991 créant des fonds budgétaires en vue de la transposition de la directive 2018/2001 et de la directive 2019/944 » (publiée au Moniteur belge du 20 avril 2022).
Des mémoires et mémoires en réplique ont été introduits par :
- la SCRL « Sibelga », assistée et représentée par Me J. Sohier, avocat au barreau de Bruxelles;
- le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, assisté et représenté par Me F. Vlassembrouck et Me Y. Laghmiche, avocats au barreau de Bruxelles.
La partie requérante a introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 26 avril 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Giet et S. de Bethune, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 17 mai 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 17 mai 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à l’intérêt de la partie requérante et de la partie intervenante
A.1.1. L’autorité bruxelloise de régulation dans les domaines de l’électricité, du gaz et du contrôle du prix de l’eau (ci-après : BRUGEL), partie requérante, estime que son intérêt à agir est justifié en raison du fait que les dispositions attaquées portent atteinte à ses missions. Elle fait valoir que la Cour a reconnu à plusieurs reprises l’intérêt à agir d’autorités de régulation dans des cas similaires.
A.1.2. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale se réfère à la sagesse de la Cour.
A.2.1. La SCRL « Sibelga » (ci-après : Sibelga), partie intervenante, fait valoir que son intérêt à intervenir découle du fait qu’elle est le gestionnaire du réseau de distribution de gaz et d’électricité dans la Région de Bruxelles-Capitale. Elle dispose d’un intérêt direct à intervenir dans le cadre du recours, dès lors que celui-ci est dirigé, d’une part, contre les lignes directrices qu’impose la Région de Bruxelles-Capitale à BRUGEL pour fixer la méthodologie tarifaire applicable au gestionnaire du réseau et, d’autre part, contre les dispositions relatives au plan de développement, qui doit être établi par le gestionnaire du réseau.
3
A.2.2. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et BRUGEL ne contestent pas l’intérêt de Sibelga à intervenir.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 57, paragraphes 4 et 5, point a), 58, point f), 59, paragraphes 1, point a), et 7, point a), de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 « concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (refonte) »
A.3.1.1. BRUGEL soutient que les articles 12 et 113 de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 17 mars 2022 « modifiant l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale, l’ordonnance du 1er avril 2004 relative à l’organisation du marché du gaz en Région de Bruxelles-Capitale, concernant des redevances de voiries en matière de gaz et d’électricité et portant modification de l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale et l’ordonnance du 12 décembre 1991 créant des fonds budgétaires en vue de la transposition de la directive 2018/2001 et de la directive 2019/944 » (ci-après : l’ordonnance du 17 mars 2022) n’assurent pas la transposition correcte de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019
« concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE
(refonte) » (ci-après : la directive (UE) 2019/944), dès lors que ces dispositions portent atteinte à son indépendance et à sa compétence exclusive en matière tarifaire.
Elle estime qu’en lui imposant d’élaborer la méthodologie tarifaire de manière à assurer un taux de rendement suffisamment stable à la rémunération du gestionnaire du réseau de distribution, les dispositions attaquées restreignent la compétence exclusive de l’autorité de régulation en matière tarifaire, laquelle ressort de l’article 59, paragraphes 1, point a), et 7, point a), de la directive (UE) 2019/944.
A.3.1.2. BRUGEL observe également que, dans une note interprétative, la Commission européenne considère qu’une règle fixant une marge bénéficiaire dans le tarif des coûts majorés constitue une instruction directe à l’autorité de régulation qui est contraire à l’exigence d’indépendance du régulateur. De surcroît, elle estime que les mêmes enseignements ressortent tant de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle que de celle de la Cour de justice de l’Union européenne.
BRUGEL en déduit qu’il n’appartient pas au législateur ordonnanciel de lui imposer des contraintes relatives au taux de rémunération des capitaux, étant donné que celles-ci limitent le choix du modèle régulateur. Il appartient à l’autorité de régulation, et non au législateur, de décider si ce modèle doit tendre à protéger la rémunération du gestionnaire de réseau et de ses actionnaires ou s’il doit poursuivre d’autres objectifs. De plus, il ressort des travaux préparatoires de l’ordonnance du 17 mars 2022 que le législateur ordonnanciel a souhaité que le gestionnaire du réseau exerce ses missions et investisse dans le réseau afin d’offrir un service à l’ensemble des utilisateurs, de garantir la qualité et de faire face à la transition énergétique. En outre, les articles 58, point f), et 59, paragraphe 7, point a), de la directive (UE) 2019/944 encadrent à suffisance le pouvoir d’appréciation de l’autorité de régulation puisqu’ils lui imposent de prévoir les mesures nécessaires afin de permettre au gestionnaire de réseau de réaliser les investissements assurant la viabilité du réseau et afin d’inciter le gestionnaire de réseau à améliorer l’efficacité énergétique.
A.3.2.1. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale affirme que la formulation de l’article 9quinquies, 9°, de l’ordonnance du 19 juillet 2001 « relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale » (ci-après : l’ordonnance du 19 juillet 2001), telle qu’elle a été modifiée par l’article 12, 2°, de l’ordonnance du 17 mars 2022, ne remet en cause ni la compétence exclusive ni l’indépendance de BRUGEL. La version précédente de cette disposition prévoyait que « la rémunération normale des capitaux investis dans les actifs régulés doit permettre au gestionnaire du réseau de distribution de réaliser les investissements nécessaires à l’exercice de ses missions ». Selon le Gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale, la version actuelle de cette disposition est relativement similaire. Elle est fondée sur l’article 59, paragraphe 7, point a), de la directive (UE) 2019/944, qui prévoit que la méthodologie tarifaire doit permettre au gestionnaire de réseau de réaliser les investissements nécessaires à la viabilité des réseaux.
4
A.3.2.2. Les travaux préparatoires de l’ordonnance du 17 mars 2022 exposent qu’une rémunération normale et équitable des capitaux permet de garantir la qualité du réseau bruxellois et d’assurer que celui-ci pourra faire face aux défis de la transition énergétique à long terme. La conséquence de cette rémunération normale est, selon le législateur ordonnanciel, qu’elle offre un taux de rendement « suffisamment stable » pour permettre au gestionnaire du réseau de faire face à ses obligations à long terme, relatives à la qualité du réseau.
A.3.2.3. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale estime que la note interprétative de la Commission européenne à laquelle se réfère BRUGEL ne concerne pas la directive (UE) 2019/944 et n’est revêtue d’aucune valeur normative. Il fait également valoir qu’il ressort de cette note que les autorités publiques des États membres ne peuvent pas fixer la marge bénéficiaire des gestionnaires de réseau ou le mode de calcul de cette marge. En l’espèce, les dispositions attaquées ne sont pas incompatibles avec ces exigences, dès lors que BRUGEL
conserve sa compétence pour établir la méthodologie tarifaire et pour approuver les tarifs. En outre, la notion de « rendement suffisamment stable » n’est pas définie, de sorte que BRUGEL dispose d’une large marge d’appréciation pour appliquer les dispositions attaquées. Le taux de rendement est fixé par BRUGEL. Les dispositions attaquées se limitent, selon le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, à inviter BRUGEL
à assurer la cohérence entre les méthodologies tarifaires qui sont fixées successivement par périodes de cinq ans, dans un contexte où les investissements dans le réseau sont amortis sur plusieurs dizaines d’années.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient qu’il convient de raisonner par analogie avec l’arrêt de la Cour n° 117/2013 du 7 août 2013 (ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.117). Par cet arrêt, la Cour a jugé que les lignes directrices imposées à la Commission de régulation de l’électricité et du gaz par le législateur fédéral ne portaient pas une atteinte discriminatoire aux directives européennes applicables.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale conclut que le nouvel article 9quinquies, 9°, de l’ordonnance du 19 juillet 2001 constitue une orientation de politique énergétique générale, qui est admise par la directive (UE) 2019/944.
A.3.3. À titre principal, Sibelga estime que la Cour n’est pas compétente pour statuer sur le premier moyen, dès lors que la partie requérante n’invoque la violation des articles 10 et 11 de la Constitution que pour la forme.
Elle estime que l’objet réel du recours est de faire contrôler la validité de l’ordonnance du 17 mars 2022 au regard des dispositions de la directive (UE) 2019/944.
A.3.4.1. À titre subsidiaire, Sibelga rappelle que la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que l’absence de toute influence parlementaire sur les autorités de régulation ne saurait se concevoir et que le législateur peut, notamment, définir leurs compétences. Selon Sibelga, la Cour de justice de l’Union européenne a admis que le législateur pouvait exercer lui-même certaines fonctions de l’autorité de régulation sous réserve de respecter les conditions d’indépendance du régulateur et de droit au recours contre ses décisions (voy. not. CJUE, 6 octobre 2010, C-389/08, Base NV e.a., ECLI:EU:C:2010:584). L’autorité de régulation peut également être soumise à un contrôle parlementaire conforme au droit constitutionnel des États membres. Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle que l’autorité de régulation doit être soumise au contrôle parlementaire afin de respecter l’article 37 de la Constitution.
Sibelga fait valoir que les dispositions attaquées ne privent pas BRUGEL de son pouvoir d’appréciation ni de ses compétences en matière de tarifs et de méthodologie tarifaire pour la distribution de gaz et d’électricité.
Elles se limitent à encadrer cette procédure en fixant des lignes directrices. La Cour constitutionnelle a jugé que de telles lignes directrices n’étaient pas incompatibles avec le droit de l’Union européenne (arrêt n° 117/2013, précité, B.31.3 à B.31.5.1). La Cour a également estimé qu’il ressortait de la directive européenne applicable que les gestionnaires de réseau devaient pouvoir procéder à des investissements à long terme et dès lors être assurés d’une certaine stabilité ou prévisibilité des prix et des méthodologies tarifaires. Cette exigence justifie l’intangibilité des prix pendant la période de régulation (arrêt n° 117/2013, précité, B.32.3).
Sibelga soutient que les lignes directrices que le législateur ordonnanciel a fixées ne peuvent être assimilées aux empiétements sur la compétence exclusive ou l’indépendance de l’autorité de régulation qui sont prohibés par le droit de l’Union européenne. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qu’une disposition législative ne peut prévoir que seul le gouvernement soit habilité à fixer les tarifs de la distribution d’électricité et de gaz (CJUE, 2 septembre 2021, C-718/18, Commission c. Allemagne, ECLI:EU:C:2021:662).
5
Or, l’encadrement de la décision fixant la méthodologie tarifaire, prévu par les dispositions attaquées, ne saurait être assimilé à une telle mesure.
A.3.4.2. Sibelga considère également que la ligne directrice fixée par l’ordonnance du 17 mars 2022 incite l’autorité de régulation à avoir égard à certains éléments spécifiques dans le cadre de la fixation des tarifs et de la méthodologie tarifaire, mais ne limite pas son pouvoir d’appréciation. De surcroît, cette ligne directrice se limite à préciser la règle contenue dans l’article 58, point f), de la directive (UE) 2019/944, qui permet au gestionnaire de réseau de réaliser les investissements nécessaires à l’exercice de ses missions.
Sibelga fait valoir que la sortie progressive des énergies fossiles nécessite des investissements importants dans des actifs ayant des durées de vie très longues, ce que reconnaît BRUGEL, de sorte qu’il convient de garantir au gestionnaire du réseau une stabilité suffisante de sa rémunération.
A.3.4.3. Sibelga observe qu’afin d’évaluer si l’intervention d’un pouvoir public porte atteinte à l’indépendance d’une autorité de régulation, l’on ne peut pas assimiler l’intervention du pouvoir législatif à celle du pouvoir exécutif. Les lignes directrices peuvent être considérées comme un cadre de contrôle parlementaire préventif organisé par le législateur, dès lors que toute autorité dépositaire d’une parcelle de la puissance publique doit être responsable de ses décisions vis-à-vis d’une assemblée démocratiquement élue. Un tel cadre de contrôle ne constitue ni une injonction directe, ni une appropriation des compétences exclusives de BRUGEL.
Sibelga rappelle également que la section de législation du Conseil d’État n’a formulé aucune remarque concernant cet aspect du projet d’ordonnance et que des lignes directrices du même type existent en Région wallonne.
A.3.5. Concernant la recevabilité du moyen, BRUGEL répond que, bien que la Cour ne soit pas compétente pour contrôler directement les normes qui lui sont soumises par rapport au droit international ou européen, il est de jurisprudence constante que les articles 10 et 11 de la Constitution peuvent être invoqués en combinaison avec des dispositions de droit international ou de droit européen, notamment des directives européennes. La différence de traitement résulte du fait que les uns bénéficient d’un régime juridique dans lequel les dispositions concernées sont respectées, tandis que les autres n’en bénéficient pas. BRUGEL estime également que les utilisateurs du réseau de distribution en Région de Bruxelles-Capitale sont discriminés par rapport aux utilisateurs établis dans les deux autres régions et dans les autres États membres de l’Union européenne.
A.3.6.1. Sur le fond, BRUGEL estime que les dispositions attaquées apportent une modification substantielle à l’ordonnance du 19 juillet 2001, étant donné qu’elles affectent sa compétence de déterminer les paramètres de calcul de la marge bénéficiaire du gestionnaire du réseau. BRUGEL répète qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que la fixation des paramètres du modèle de régulation tarifaire ne peut être limitée ou influencée par le législateur. Elle considère qu’elle ne sera plus en mesure de s’assurer que les paramètres choisis sont les plus adaptés au contexte et à la conjoncture. Elle fait valoir qu’elle envisage de passer à un modèle de régulation « revenue cap », qui entraîne des gains et des pertes à la charge du gestionnaire de réseau. Elle affirme, de surcroît, que les dispositions attaquées l’empêcheraient de passer à un modèle de régulation présentant un profil de risque plus important.
BRUGEL fait valoir que les dispositions attaquées comportent des exigences contradictoires qui consistent en ce que l’autorité de régulation doit concomitamment assurer au gestionnaire du réseau une rémunération normale et équitable et un taux de rendement suffisamment stable, alors que ce taux de rendement peut, en fonction du contexte, constituer une rente de monopole inéquitable et préjudiciable aux consommateurs.
A.3.6.2. Elle soutient également que les dispositions attaquées ne sauraient être considérées comme étant des orientations de politique énergétique générale dès lors que celles-ci ne peuvent concerner ni les missions ni les compétences de régulation visée à l’article 59 de la directive (UE) 2019/944.
A.3.6.3. BRUGEL reconnaît que la méthodologie tarifaire doit, en vertu de la directive (UE) 2019/944, permettre au gestionnaire de réseau de réaliser les investissements nécessaires à la viabilité du réseau. Elle affirme toutefois que cette directive impose aux États membres de conférer à l’autorité de régulation une compétence exclusive en la matière. Cette compétence est également confirmée par l’article 18, paragraphe 2, du règlement (UE) 2019/943 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 « sur le marché intérieur de
6
l’électricité (refonte) ». Elle observe qu’il existe de nombreux autres mécanismes que la rémunération de capitaux afin d’assurer le financement de projets à long terme.
A.3.6.4. Enfin, BRUGEL fait valoir qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice que l’indépendance de l’autorité de régulation doit être assurée tant à l’égard du pouvoir exécutif qu’à l’égard du pouvoir législatif.
S’il est vrai que cette indépendance ne fait pas obstacle à l’obligation de rendre compte de son action devant le parlement, elle n’autorise pas ce dernier à exercer une influence préalable sur les décisions de l’autorité de régulation.
En ce qui concerne le second moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 32, paragraphes 3 et 4, 57, paragraphes 4 et 5, point a), et 59, paragraphe 3, point a), de la directive (UE) 2019/944
A.4.1. BRUGEL soutient que les articles 14 et 112 de l’ordonnance du 17 mars 2022, qui ont trait aux modalités d’élaboration et d’approbation du plan de développement, portent une atteinte discriminatoire à son indépendance et à sa compétence exclusive.
Cette atteinte résulte, premièrement, du fait que les dispositions attaquées ne lui attribuent pas la compétence d’exiger des modifications du projet de plan que lui soumet le gestionnaire du réseau. BRUGEL dispose seulement de la compétence de demander des modifications.
BRUGEL estime qu’il s’agit d’un obstacle majeur à la mise en place d’une régulation tarifaire incitative et à la mise en œuvre de ses compétences, en particulier concernant la stratégie d’investissement qu’elle choisira de privilégier.
Deuxièmement, l’atteinte résulte du fait que BRUGEL doit transmettre le projet définitif de plan au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pour approbation. À cet égard, BRUGEL soutient que la Commission européenne estime que l’autorité de régulation doit disposer de la compétence de prendre des décisions immédiatement contraignantes sans devoir obtenir l’approbation d’une autre autorité publique.
A.4.2. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que la compétence dont dispose l’autorité de régulation de demander la modification du projet de plan découle de la directive (UE) 2019/944 elle-
même. L’article 32, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/944 prévoit que les États membres doivent attribuer à l’autorité de régulation la compétence de demander des modifications du plan de développement lorsque celui-
ci concerne le réseau de distribution, tandis que l’article 51, paragraphe 5, de la même directive dispose que les États membres doivent conférer à l’autorité de régulation la compétence d’exiger des modifications du projet de plan de développement lorsqu’il concerne le réseau de transport. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale en déduit que l’ordonnance attaquée ne viole pas la directive (UE) 2019/944 et que les critiques de BRUGEL sont, en réalité, dirigées contre la directive elle-même.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale rappelle également que le gestionnaire du réseau est tenu de prendre en considération les demandes de modification faite par BRUGEL et de communiquer une réponse motivée. BRUGEL dispose ensuite d’une nouvelle possibilité de faire valoir ses observations lorsque le projet de plan définitif est transmis au Gouvernement pour approbation.
En outre, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale observe qu’aucune disposition de la directive (UE) 2019/944 ne prévoit que l’autorité de régulation dispose d’une compétence d’approbation. Il en déduit que le législateur ordonnanciel pouvait valablement prévoir un mécanisme d’approbation par le Gouvernement.
Enfin, il considère que l’article 59, paragraphe 3, point a), de la directive (UE) 2019/944 impose aux États membres de conférer aux autorités de régulation la compétence de prendre des décisions contraignantes à l’égard des entreprises d’électricité pour s’acquitter des missions visées dans cet article. Dès lors que la matière des plans de développement est, quant à elle, réglée par l’article 32, paragraphes 2 et 4, de la même directive, l’obligation précitée n’y est pas applicable.
A.4.3. Sibelga se réfère aux arguments développés par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et les fait siens.
7
A.4.4. BRUGEL répond que l’article 32, paragraphes 2 et 4, de la directive (UE) 2019/944 doit être interprété en ce sens que l’autorité de régulation doit pouvoir exiger des modifications du projet de plan de développement. Cette interprétation est confirmée par la transposition de la directive qu’a effectuée le législateur régional flamand.
Selon BRUGEL, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale reconnaît, dans son mémoire, que l’avis de BRUGEL est contraignant étant donné qu’il y mentionne que le gestionnaire du réseau doit « prendre en considération » cet avis. Elle estime toutefois qu’elle ne dispose d’aucune garantie que ses remarques seront prises en considération par le gestionnaire du réseau ou par le Gouvernement régional.
Enfin, BRUGEL considère que l’article 32, paragraphes 2 et 4, de la directive (UE) 2019/944 ne prévoit aucune possibilité pour le pouvoir exécutif d’intervenir dans l’élaboration du plan de développement et qu’il ne déroge pas au principe d’indépendance de l’autorité de régulation énoncé à l’article 57, paragraphe 4, point b), ii), de sorte qu’il faut estimer que l’attribution au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale d’une compétence d’approbation concernant le projet de plan de développement définitif est incompatible avec la directive. BRUGEL
observe, à cet égard, que tant le législateur wallon que le législateur flamand ont confié à l’autorité de régulation la compétence d’approuver le plan de développement, appelés « plan d’investissement » dans ces deux régions.
-B-
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.1. L’autorité bruxelloise de régulation dans les domaines de l’électricité, du gaz et du contrôle du prix de l’eau (ci-après : BRUGEL) demande l’annulation des articles 12, 14, 112 et 113 de l’ordonnance du 17 mars 2022 de la Région de Bruxelles-Capitale « modifiant l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale, l’ordonnance du 1er avril 2004 relative à l’organisation du marché du gaz en Région de Bruxelles-Capitale, concernant des redevances de voiries en matière de gaz et d’électricité et portant modification de l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale et l’ordonnance du 12 décembre 1991 créant des fonds budgétaires en vue de la transposition de la directive 2018/2001 et de la directive 2019/944 » (ci-après : l’ordonnance du 17 mars 2022).
B.2.1. L’ordonnance du 17 mars 2022 modifie, d’une part, l’ordonnance du 19 juillet 2001
de la Région de Bruxelles-Capitale « relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale » (ci-après : l’ordonnance du 19 juillet 2001) et, d’autre part, l’ordonnance du 1er avril 2004 de la Région de Bruxelles-Capitale « relative à l’organisation du marché du gaz en Région de Bruxelles-Capitale, concernant des redevances de voiries en
8
matière de gaz et d’électricité et portant modification de l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale » (ci-après :
l’ordonnance du 1er avril 2004) et ce, notamment, afin :
- de transposer en droit belge la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 « concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (refonte) » (ci-après : la directive (UE) 2019/944) et
- de transposer partiellement la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 « relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (refonte) ».
B.2.2. Il ressort de la requête que le recours est plus précisément dirigé contre les articles 12, 2°, 14, 4°, 112, 3°, et 113, 2°, de l’ordonnance du 17 mars 2022.
La Cour limite son examen à ces dispositions.
B.2.3. L’article 12, 2°, de l’ordonnance du 17 mars 2022 remplace l’article 9quinquies, 9°, de l’ordonnance du 19 juillet 2001, qui se lit désormais :
« Brugel établit la méthodologie tarifaire dans le respect des lignes directrices suivantes :
[…]
9° la rémunération normale et équitable des capitaux investis dans les actifs régulés doit permettre au gestionnaire du réseau de distribution de réaliser les investissements nécessaires à l’exercice de ses missions. Cette rémunération reconnaît un taux de rendement suffisamment stable permettant d’assurer que le gestionnaire du réseau de distribution puisse faire face à ses obligations sur le long terme ».
B.2.4. L’article 10ter, 9°, de l’ordonnance du 1er avril 2004, tel qu’il a été modifié par l’article 113, 2°, de l’ordonnance du 17 mars 2022, contient dorénavant une règle identique.
B.2.5. L’article 14, 4°, de l’ordonnance du 17 mars 2022 remplace l’article 12, § 3, de l’ordonnance du 19 juillet 2001, qui dispose désormais :
9
« Chaque gestionnaire de réseau transmet son projet de plan de développement et un rapport de consultation à Brugel avant le 15 juin de l’année qui précède la première année couverte par le plan.
Brugel informe le gestionnaire de réseau, pour le 15 juillet de la même année au plus tard, de ses remarques et demandes de modifications du projet de plan de développement.
Sur la base des remarques et demandes de modification de Brugel, le gestionnaire de réseau élabore son projet définitif de plan de développement et une réponse motivée aux remarques et demandes de Brugel qu’il transmet à Brugel pour le 15 septembre de l’année qui précède la première année couverte par le plan.
Pour le 30 octobre de la même année au plus tard, Brugel transmet au Gouvernement, pour approbation, le projet définitif de plan, accompagné de son avis, de la réponse motivée aux remarques et demandes de Brugel et du rapport de consultation rédigés par les gestionnaires de réseaux. Pour son avis, Brugel examine notamment si les investissements prévus dans le projet de plan couvrent tous les besoins recensés en matière d’investissement durant le processus de consultation et si ce plan est cohérent avec le plan décennal de développement du réseau dans l’ensemble de l’Union européenne. Elle tient également compte des relations entre les marchés de l’électricité et du gaz.
À défaut de décision du Gouvernement au 31 décembre de la même année et pour autant que les documents aient bien été transmis au Gouvernement pour le 30 octobre au plus tard de la même année, le projet définitif de plan de développement est réputé approuvé. Brugel surveille et évalue la mise en œuvre de ces plans de développement.
Brugel peut, dans l’intérêt des utilisateurs et en tenant compte des critères environnementaux, donner injonction au gestionnaire de réseau d’étudier certains investissements alternatifs ou complémentaires dans le plan de développement. Ces études sont réalisées dans un délai compatible avec les délais d’approbation des plans de développement mentionnés à l’alinéa précédent ».
B.2.6. L’article 112, 3°, de l’ordonnance du 17 mars 2022 apporte une modification identique à l’article 10, § 3, de l’ordonnance du 1er avril 2004.
Quant à la recevabilité
B.3.1. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions.
10
B.3.2. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 57, paragraphes 4 et 5, point a), 58, point f), 59, paragraphes 1, point a), et 7, point a), de la directive (UE) 2019/944. Le second moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 32, paragraphes 3 et 4, 57, paragraphes 4 et 5, point a), et 59, paragraphe 3, point a), de la directive (UE) 2019/944.
B.3.3. BRUGEL n’expose pas de quelle manière les articles 112, 3°, et 113, 2°, de l’ordonnance du 17 mars 2022, qui remplacent des dispositions de l’ordonnance du 1er avril 2004 et concernent dès lors le marché du gaz, porteraient une atteinte discriminatoire aux dispositions précitées de la directive (UE) 2019/944, laquelle concerne le marché de l’électricité.
B.3.4. Le recours en annulation est irrecevable en ce qu’il est dirigé contre les articles 112, 3°, et 113, 2°, de l’ordonnance du 17 mars 2022.
B.4.1. Sibelga soutient, à propos du premier moyen, que la Cour ne pourrait connaître d’un moyen qui ne tendrait pas à démontrer une discrimination invoquée par BRUGEL sur la base des articles 10 et 11 de la Constitution.
B.4.2. En vertu de l’article 142, alinéa 2, de la Constitution et de l’article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989, la Cour est compétente pour statuer sur les recours en annulation d’une loi, d’un décret ou d’une règle visée à l’article 134 de la Constitution pour cause de violation des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l’État, des communautés et des régions ou pour cause de violation des articles du titre II (« Des Belges et de leurs droits ») et des articles 170, 172 et 191
de la Constitution.
B.4.3. La Cour n’est pas compétente pour contrôler directement des normes législatives au regard de principes généraux ou de dispositions conventionnelles. Elle peut tenir compte de ceux-ci dans le contrôle de constitutionnalité qu’elle exerce dans les limites précisées ci-dessus, mais uniquement lorsque sont aussi invoquées des dispositions au regard desquelles la Cour
11
peut exercer un contrôle direct, soit les articles 10 et 11 de la Constitution, soit, lorsqu’une disposition conventionnelle est invoquée, une disposition constitutionnelle qui garantit des droits ou libertés analogues.
B.4.4 Le premier moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec des dispositions du droit de l’Union européenne.
La Cour est donc compétente pour connaître du recours en annulation et le premier moyen est recevable.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
B.5. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 57, paragraphes 4 et 5, point a), 58, point f), et 59, paragraphes 1, point a), et 7, point a), de la directive (UE) 2019/944.
BRUGEL soutient que l’article 12, 2°, de l’ordonnance du 17 mars 2022 viole le principe de l’indépendance de l’autorité de régulation et restreint irrégulièrement sa compétence exclusive en matière tarifaire, dès lors que cette disposition lui impose d’élaborer la méthodologie tarifaire de telle manière que la rémunération des capitaux investis par les gestionnaires du réseau dans les actifs régulés assure un taux de rendement suffisamment stable.
B.6.1. L’article 57, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/944 dispose :
« Les États membres garantissent l’indépendance de l’autorité de régulation et veillent à ce qu’elle exerce ses compétences de manière impartiale et transparente. À cet effet, les États membres veillent à ce que, dans l’exécution des tâches de régulation qui lui sont conférées par la présente directive et la législation connexe, l’autorité de régulation :
a) soit juridiquement distincte et fonctionnellement indépendante d’autres entités publiques ou privées;
12
b) veille à ce que son personnel et les personnes chargées de sa gestion :
i) agissent indépendamment de tout intérêt commercial; et
ii) ne sollicitent ni n’acceptent d’instructions directes d’aucun gouvernement ou autre entité publique ou privée dans l’exécution des tâches de régulation. Cette exigence est sans préjudice d’une étroite concertation, le cas échéant, avec les autres autorités nationales concernées ou d’orientations générales édictées par le gouvernement qui ne concernent pas les missions et compétences de régulation prévues à l’article 59 ».
B.6.2. L’article 57, paragraphe 5, point a), de la même directive prévoit, notamment, qu’afin de protéger l’indépendance de l’autorité de régulation, les États membres veillent à ce que celle-ci « puisse prendre des décisions de manière autonome, indépendamment de tout organe politique ».
B.6.3. L’article 58, point f), de la même directive impose à l’autorité de régulation de prendre, dans le cadre de ses missions et compétences, définies à l’article 59, toutes les mesures raisonnables pour « faire en sorte que les gestionnaires de réseau et les utilisateurs du réseau reçoivent des incitations suffisantes, tant à court terme qu’à long terme, pour améliorer les performances des réseaux, en particulier sur le plan de l’efficacité énergétique, et favoriser l’intégration du marché ».
B.6.4. L’article 59, paragraphe 1, point a), de la même directive prévoit que l’autorité de régulation doit être investie de la mission de « fixer ou [d’]approuver, selon des critères transparents, les tarifs de transport et de distribution ou leurs méthodes de calcul, ou les deux ».
B.6.5. L’article 59, paragraphe 7, point a), de la même directive dispose, quant à lui, que l’autorité de régulation doit se voir attribuer une compétence de principe pour fixer ou approuver au moins les méthodes nationales utilisées pour « calculer ou établir les conditions de raccordement et d’accès aux réseaux nationaux, y compris les tarifs de transport et de distribution ou leurs méthodes de calcul ». Ces tarifs ou méthodes permettent de réaliser les investissements nécessaires à la viabilité des réseaux.
B.7.1. Il ressort des dispositions précitées de la directive (UE) 2019/944 que l’Union européenne a voulu réaliser l’indépendance fonctionnelle des autorités de régulation de l’énergie, en l’espèce pour le marché de l’électricité, et leur réserver certaines compétences.
13
Cette indépendance lors de l’exercice des missions du régulateur est garantie non seulement vis-à-vis des acteurs du marché, mais aussi vis-à-vis de toutes les autorités.
B.7.2. L’exigence d’une indépendance fonctionnelle totale de l’autorité de régulation de l’énergie en ce qu’elle doit être soustraite à toute influence extérieure est un élément essentiel au regard des objectifs de la directive (UE) 2019/944 précitée, parmi lesquels la réalisation d’un marché intérieur de l’énergie qui soit compétitif.
B.7.3. Par son arrêt du 2 septembre 2021 en cause de Commission c. Allemagne (C-
718/18, ECLI:EU:C:2021:662, point 130), la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que l’exclusivité des compétences et l’indépendance des autorités de régulation « doivent être garanties à l’égard de tout organe politique, et donc non seulement à l’égard du gouvernement, mais également à l’égard du législateur national, lequel ne saurait soustraire une partie de ces pouvoirs aux [autorités de régulation] et les attribuer à d’autres organes publics ».
Il peut également se déduire de la jurisprudence de la Cour de justice que les organes politiques nationaux ne peuvent déterminer la marge bénéficiaire du gestionnaire de réseau, étant donné que cette compétence doit être réservée à l’autorité de régulation (CJUE, 2 septembre 2021, C-718/18, Commission c. Allemagne, ECLI:EU:C:2021:662, point 106;
29 octobre 2009, C-474/08, Commission c. Belgique, ECLI:EU:C:2009:681, points 29-31).
B.8.1. L’article 57, paragraphe 4, point b), ii), de la directive (UE) 2019/944 prévoit qu’en dépit de l’indépendance fonctionnelle de principe de l’autorité de régulation, les autorités nationales peuvent toujours fixer des « orientations générales » qui, de manière indirecte, leur permettent d’encadrer les décisions du régulateur quant à la politique à suivre.
B.8.2. Cependant, le fait de donner des « orientations générales » à l’autorité de régulation n’est compatible qu’à certaines conditions avec l’exigence d’une indépendance fonctionnelle totale d’un régulateur de l’énergie, énoncée par la directive (UE) 2019/944. Ainsi, l’autorité nationale ne peut pas toucher à des décisions de régulation comme celle consistant à « fixer ou approuver, selon des critères transparents, les tarifs de transport ou de distribution ou leurs méthodes de calcul ».
14
B.8.3. Il découle de ce qui précède que les « orientations générales » ne sont conformes à l’objectif de la directive que si elles incitent seulement l’autorité de régulation de l’énergie à tenir compte, dans l’exercice de ses compétences, des objectifs poursuivis par les autorités en matière de politique énergétique et de leurs intérêts, tels que la viabilité, la fiabilité et la durabilité du marché de l’énergie.
B.9.1. L’exposé des motifs de l’ordonnance attaquée précise l’objectif que poursuit le législateur ordonnanciel en modifiant, par l’article 12, 2°, attaqué, de l’ordonnance du 17 mars 2022, la neuvième ligne directrice prévue à l’article 9quinquies de l’ordonnance du 19 juillet 2001 :
« Ensuite, la ligne directrice relative à la rémunération des capitaux investis – comme paramètre essentiel pour assurer les investissements suffisants dans le réseau sur le long terme –
est reformulée afin de la clarifier. Il est ainsi précisé que la rémunération des capitaux investis doit être ‘ normale et équitable ’.
Il résulte en effet de la politique énergétique régionale que la rémunération des capitaux investis, compte tenu notamment de la valeur du réseau initialement estimée et des attentes du marché pour des activités présentant un profil de risque comparable, doit permettre au GRD
d’exercer ses missions et d’investir dans le réseau afin d’offrir un service satisfaisant à l’ensemble des utilisateurs du réseau : une rémunération normale et équitable des capitaux permet donc de garantir la qualité du réseau bruxellois et d’assurer que celui-ci pourra faire face aux défis de la transition énergétique sur le long terme. La conséquence de cette rémunération normale est qu’elle offre un taux rendement ‘ suffisamment stable ’ pour permettre au GRD de faire face à ses obligations à long terme, en termes de qualité du réseau » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-516/1, p. 26).
B.9.2. En ce qu’il prévoit que la rémunération des capitaux investis dans les actifs régulés reconnaît un taux de rendement suffisamment stable permettant d’assurer que le gestionnaire du réseau de distribution puisse faire face à ses obligations à long terme, l’article 12, 2°, attaqué, de l’ordonnance du 17 mars 2022 fait écho à l’article 59, paragraphe 7, point a), de la directive (UE) 2019/944, qui requiert que les tarifs ou la méthodologie tarifaire permettent de réaliser les investissements nécessaires à la viabilité des réseaux. Cette disposition fait également écho à l’article 58, point f), de la même directive, qui dispose que l’autorité de régulation doit faire en sorte que les gestionnaires de réseau reçoivent des incitations suffisantes à long terme pour améliorer les performances des réseaux sur le plan de l’efficacité énergétique.
15
Cette disposition implique que les gestionnaires de réseau doivent pouvoir procéder à des investissements à long terme et, dès lors, être assurés d’une certaine stabilité ou prévisibilité des prix et des méthodologies tarifaires. Par ailleurs, au regard de ce que les obligations du gestionnaire du réseau de distribution supposent à long terme en matière de qualité du réseau, la disposition attaquée ne s’oppose pas à ce que BRUGEL détermine le rendement qui s’avère approprié.
En imposant à BRUGEL d’élaborer la méthodologie tarifaire pour la distribution d’électricité de manière telle que la rémunération des capitaux investis dans les actifs régulés assure « un taux de rendement suffisamment stable » permettant d’assurer que le gestionnaire du réseau de distribution puisse faire face à ses obligations à long terme, l’article 12, 2°, de l’ordonnance du 17 mars 2022 ne restreint pas la faculté de choix de ce dernier quant à la méthodologie tarifaire au point qu’elle porte atteinte à l’indépendance et à la compétence exclusive de l’autorité de régulation en matière tarifaire.
B.10. Le premier moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le second moyen
B.11. Le second moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 32, paragraphes 3 et 4, 57, paragraphes 4 et 5, point a), et 59, paragraphe 3, point a), de la directive (UE) 2019/944.
BRUGEL soutient que l’article 12, § 3, de l’ordonnance du 19 juillet 2001, tel qu’il est remplacé par l’article 14, 4°, de l’ordonnance du 17 mars 2022, porte une atteinte discriminatoire à son indépendance et à sa compétence exclusive, dès lors que, d’une part, il ne lui attribue pas la compétence d’exiger des modifications du projet de plan que lui soumet le gestionnaire du réseau, et que, d’autre part, il lui impose de transmettre le projet définitif de plan au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pour approbation.
16
B.12.1. L’article 32, paragraphes 3 et 4, de la directive (UE) 2019/944 dispose :
« 3. La mise en place d’un réseau de distribution se fonde sur un plan de développement du réseau transparent que le gestionnaire de réseau de distribution publie au moins tous les deux ans et soumet à l’autorité de régulation. Le plan de développement du réseau offre de la transparence quant aux services de flexibilité à moyen et long termes qui sont nécessaires, et énonce les investissements programmés pour les cinq à dix prochaines années, l’accent étant mis en particulier sur les principales infrastructures de distribution nécessaires pour raccorder les nouvelles capacités de production et les nouvelles charges, y compris les points de recharge des véhicules électriques. Ce plan de développement du réseau inclut également le recours à la participation active de la demande, à l’efficacité énergétique, à des installations de stockage d’énergie ou à d’autres ressources auxquelles le gestionnaire de réseau de distribution doit recourir comme alternatives à l’expansion du réseau.
4. Le gestionnaire de réseau de distribution consulte tous les utilisateurs du réseau concernés ainsi que les gestionnaires de réseau de transport concernés au sujet du plan de développement du réseau. Le gestionnaire de réseau de distribution publie les résultats du processus de consultation ainsi que le plan de développement du réseau et soumet les résultats de la consultation et le plan de développement du réseau à l’autorité de régulation. L’autorité de régulation peut demander que le plan soit modifié ».
B.12.2. L’article 59, paragraphe 3, de la même directive impose aux États membres de veiller à ce que les autorités de régulation disposent des pouvoirs nécessaires pour s’acquitter efficacement et rapidement des missions visées à cet article. À cette fin, ces autorités doivent se voir confier, notamment, la compétence de prendre des décisions contraignantes à l’égard des entreprises d’électricité.
B.13.1. Il ressort de l’ordonnance du 19 juillet 2001 que le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité est tenu, d’une part, de prendre en considération les demandes de modification du projet de plan de développement faites par BRUGEL et, d’autre part, de communiquer à ce dernier et au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale une réponse motivée, en particulier s’il choisit de ne pas effectuer les modifications demandées.
Par la suite, BRUGEL dispose encore de la possibilité de faire valoir ses recommandations de modification dans le cadre de l’avis qui accompagne le projet de plan définitif qu’il transmet au Gouvernement régional.
En outre, il résulte des principes généraux de bonne administration que le Gouvernement régional est tenu de prendre en compte cet avis et d’expliquer, le cas échéant, pour quelle raison il s’en écarte.
17
En revanche, il est vrai que ni les gestionnaires du réseau ni le Gouvernement régional ne sont tenus de se conformer aux demandes et à l’avis de BRUGEL.
B.13.2. Comme le relève le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, l’article 32, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/944 n’impose pas aux États membres de confier à l’autorité de régulation la compétence d’exiger que le plan de développement soit modifié.
Cette disposition n’impose pas davantage aux États membres d’attribuer à l’autorité de régulation la compétence d’approuver le plan de développement. Le champ d’application de la règle contenue dans l’article 59, paragraphe 3, point a), de la directive (UE) 2019/944, qui est décrite en B.12.2, est limité aux missions visées dans cet article. Dès lors que la matière du plan de développement est, quant à elle, réglée par l’article 32, paragraphes 2 et 4, de la même directive, le législateur ordonnanciel n’était pas tenu de réserver à BRUGEL la compétence de prendre des décisions contraignantes relatives à ce plan.
Il s’ensuit que l’article 14, 4°, de l’ordonnance du 17 mars 2022, en ce qu’il ne permet pas à l’autorité de régulation d’exiger une modification du plan de développement du réseau de distribution d’électricité et en ce qu’il prévoit un mécanisme d’approbation du plan par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, ne porte pas une atteinte discriminatoire aux articles 32, paragraphes 3 et 4, 57, paragraphes 4 et 5, point a), et 59, paragraphe 3, point a), de la directive (UE) 2019/944.
B.14. Le second moyen n’est pas fondé.
18
Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 29 juin 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 105/2023
Date de la décision : 29/06/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-06-29;105.2023 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award