Cour constitutionnelle
Arrêt n° 104/2023
du 29 juin 2023
Numéro du rôle : 7798
En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 « relative à la sécurité civile », posées par le tribunal correctionnel francophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, M. Pâques, T. Detienne, D. Pieters et S. de Bethune, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par jugement du 27 avril 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 3 mai 2022, le tribunal correctionnel francophone de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes :
« - Question n° 1
Les articles 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile violent-ils ou non les articles 12, alinéa 2 et 14 de la Constitution, en combinaison avec l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et les principes généraux de légalité et de sécurité juridique, ainsi qu’avec :
- les articles 12, alinéa 1er, 15, 16, 22, et 26 de la Constitution;
- les articles 5, 8, et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme;
- l’article 1er du protocole additionnel n° 1 de la Convention;
- l’article 2 du protocole additionnel n° 4 de la Convention;
- les articles 9, 12, 17, 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
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en ce qu’ils ne précisent pas à suffisance l’ensemble, ou à tout le moins, l’un ou plusieurs des éléments suivants :
- la notion de ʽ circonstances dangereuses ʼ;
- la notion de ʽ protection de la population ʼ ou le type de mesures destinées à atteindre cet objectif;
- suivant quelles modalités le ministre, son délégué, ou le bourgmestre peuvent obliger la population ʽ à s’éloigner des lieux ou régions particulièrement exposés, menacés ou sinistrés ʼ;
lui ʽ assigner un lieu de séjour provisoire ʼ, et ʽ interdire tout déplacement ou mouvement de la population ʼ ?
- Question n° 2
L’article 187 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile viole-t-il ou non les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi qu’avec l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 14.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et les principes de personnalité, d’individualisation et de proportionnalité des peines, en ce qu’il sanctionne des mêmes peines sans distinction aucune le refus d’une part, et d’autre part, la négligence de se conformer aux mesures prises sur la base des articles 181 et 182 de la loi ?
L’article 187 de la loi du 15 mai 2007 relative et la sécurité civile (éventuellement examiné en combinaison avec l’article 13 de la loi du 20 mai 2020 portant des dispositions diverses en matière de justice dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19 et les articles 138 et 140 du Code d’instruction criminelle) viole(n)-t-il(s) ou non les articles 10 et 11 de la Constitution, lu(s) en combinaison avec l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 14.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et les principes de personnalité, d’individualisation et de proportionnalité des peines, en ce qu’il(s)
ne permet(tent) pas au juge pénal de modérer l’amende et la peine d’emprisonnement prévues par cette disposition, lorsqu’existent des circonstances atténuantes ?
- Question n° 3
L’article 182, lu le cas échéant conjointement avec l’article 187 de la loi du 15 mai 2007
relative à la sécurité civile qui prévoit des sanctions pénales, viole-t-il ou non, les articles 12, alinéa 2 et 14 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi qu’avec les principes généraux de la séparation des pouvoirs, de l’Etat de droit, de légalité et de sécurité juridique, lus en combinaison avec :
- les articles 12, alinéa 1er, 15, 16, 22, et 26 de la Constitution, - les articles 10 et 11 de la Constitution, - les articles 5, 6, 8, 11, et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme;
- l’article 1er du protocole additionnel n° 1 de la Convention;
- l’article 2 du protocole additionnel n° 4 de la Convention;
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- les articles 9, 12, 14, 17, 21, et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
s’il est interprété en ce sens qu’il habiliterait le ministre de l’Intérieur à imposer à toute personne de plus de douze ans de se couvrir la bouche et le nez avec un masque ou toute autre alternative en tissu dès l’entrée dans l’aéroport, la gare, sur le quai ou un point d’arrêt, dans le bus, le (pré)métro, le tram, le train ou tout autre moyen de transport organisé par une autorité publique ? ».
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me N. Bonbled et Me C. Dupret Torres, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire.
Par ordonnance du 26 avril 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Giet et S. de Bethune, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins que le Conseil des ministres n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendu, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 17 mai 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 17 mai 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Une personne est poursuivie devant le tribunal correctionnel francophone de Bruxelles pour des faits commis le 20 septembre 2020. Il lui est reproché d’avoir outragé, en lui crachant au visage, un agent de la SNCB dans la gare de l’aéroport de Zaventem et d’avoir violé, à cette occasion, l’obligation du port du masque prévue par l’article 16, alinéa 2, de l’arrêté ministériel du 30 juin 2020 « portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 » (ci-après : l’arrêté ministériel du 30 juin 2020).
La juridiction a quo observe que l’arrêté ministériel précité est notamment pris en exécution des articles 181, 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 « relative à la sécurité civile » (ci-après : la loi du 15 mai 2007). Dès lors que la juridiction a quo s’interroge sur la constitutionnalité de ces dispositions de la loi du 15 mai 2007, elle sursoit à statuer et pose les questions reproduites plus haut.
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III. En droit
-A-
Quant à la première question préjudicielle
A.1.1. Le Conseil des ministres estime que la première question préjudicielle appelle une réponse négative.
En effet, au regard du principe de légalité en matière pénale, la délégation contenue dans les dispositions en cause est suffisamment précise, compte tenu du contexte exceptionnel dans lequel ces dispositions s’appliquent.
En outre, ces dispositions règlent adéquatement les éléments essentiels de l’incrimination et les sanctions qui s’y rapportent. Elles indiquent (1) l’objectif de la mesure, à savoir la protection de la population en cas de circonstances dangereuses, (2) la substance des comportements infractionnels, à savoir le refus ou la négligence de se conformer aux mesures ordonnées par le ministre et (3) les peines minimales et maximales. Dans le contexte exceptionnel d’une crise, il est difficile d’être plus précis. Les mesures nécessaires dépendent de l’incident concret et de la calamité en question.
A.1.2. Le Conseil des ministres soutient que la loi ne doit pas déterminer chaque mesure concrète. Non seulement ce serait tâche impossible mais encore ce serait contre-productif parce que l’État serait alors privé de la possibilité d’opérer des ajustements rapides et de la flexibilité nécessaire en matière de maintien de l’ordre.
A.1.3. Le Conseil des ministres observe ensuite que la section de législation du Conseil d’État n’a pas critiqué la délégation conférée au ministre. Au contraire, elle a déjà admis que la loi puisse conférer une délégation directe à un ministre en présence de motifs objectifs qui requièrent une intervention urgente de la part du pouvoir exécutif. Tel est incontestablement le cas en l’espèce.
Par ailleurs, les prérogatives du ministre de l’Intérieur en matière de police administrative résultent de plusieurs instruments juridiques, qui ont été adoptés au fil du temps. Le législateur a donc logiquement continué à désigner le ministre de l’Intérieur comme étant l’autorité compétente en matière de sécurité civile pour adopter des mesures d’éloignement, d’évacuation et de confinement.
A.1.4. Selon le Conseil des ministres, l’habilitation accordée au ministre de l’Intérieur s’explique par l’objectif de maintien d’ordre public dans des circonstances exceptionnelles que poursuivent les dispositions en cause. Il rappelle que lorsque le législateur délègue une compétence, il faut supposer qu’il habilite l’autorité qu’il désigne à exercer son pouvoir de manière conforme à la Constitution et dans le respect des principes généraux de bonne administration.
A.1.5. Le Conseil des ministres conclut que les dispositions en cause ne sont pas incompatibles avec le principe de légalité en matière pénale.
Quant à la deuxième question préjudicielle
En ce qui concerne la première branche
A.2.1. En ce qui concerne la première branche de la deuxième question préjudicielle, le Conseil des ministres expose à titre principal que celle-ci n’appelle pas de réponse, d’une part, parce que ni le texte de la question ni les motifs des décisions de renvoi n’identifient les catégories de personnes dont la situation devrait être examinée à la lumière du principe d’égalité et de non-discrimination et, d’autre part, parce que ce texte et ces motifs ne permettent pas non plus de comprendre en quoi la disposition législative en cause serait incompatible avec les dispositions internationales et les principes mentionnés dans la question préjudicielle.
A.2.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres expose que la question préjudicielle appelle une réponse négative parce que l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il traite de la même manière la personne poursuivie pour avoir négligé de se conformer aux
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mesures prises en application de l’article 182 de la même loi et celle qui est poursuivie pour avoir refusé de se conformer à ces mesures.
A.2.3. Le Conseil des ministres allègue qu’aucune des normes de référence visées n’interdit d’incriminer un comportement de négligence ou encore de réprimer une désobéissance involontaire de la même manière que la désobéissance intentionnelle. Ni la section de législation du Conseil d’État, ni le Conseil supérieur de la justice n’ont émis la moindre critique sur la règle similaire à celle de l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 qui figurait dans l’avant-projet de loi à l’origine de la loi du 14 août 2021 « relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique ». Enfin, l’élément fautif de l’incrimination décrite à l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 peut se déduire du simple constat que la personne poursuivie n’a pas respecté les mesures ordonnées en application de l’article 182, alinéa 1er, de la même loi.
A.2.4. Le Conseil des ministres considère qu’au regard de la loi du 15 mai 2007, la situation de la personne qui adopte intentionnellement un comportement incivique n’est pas essentiellement différente de la situation de la personne dont l’incivisme résulte d’une négligence. Compte tenu du fait que les mesures ordonnées en application de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 visent à assurer la protection de la population en cas de circonstances dangereuses, les conséquences d’un tel incivisme sont les mêmes, que celui-ci résulte d’un acte volontaire (c’est-
à-dire d’un sentiment d’égoïsme) ou d’un acte involontaire (c’est-à-dire d’un sentiment de désintérêt pour ses concitoyens) : la politique des mesures d’évacuation ou de confinement est mise à mal dans les deux cas.
A.2.5. Le Conseil des ministres ajoute qu’il est raisonnablement justifié et proportionné de traiter de la même manière celui qui refuse de se conformer aux mesures précitées et celui qui néglige de le faire.
L’objectif légitime de cette identité de traitement est de garantir le respect de mesures de police spéciale qui tendent à éviter le chaos ou le désordre dans des circonstances dangereuses constitutives d’une crise. L’objectif fondamental de l’article 187 de la loi du 15 mai 2007 est de protéger le droit à la vie et le droit à la santé. Par son effet de dissuasion, la répression pénale est l’instrument le plus efficace pour protéger ces droits fondamentaux, qui sont mis en danger par les circonstances justifiant l’adoption de mesures visées à l’article 182 de cette loi.
Enfin, le tribunal dispose de plusieurs instruments pour tenir compte de la nature et de la gravité du comportement réprimé lorsqu’il doit décider de la hauteur de la peine à infliger. Les peines minimales et maximales que fixe l’article 187 de la loi du 15 mai 2007 laissent au juge un grand pouvoir d’appréciation, qui lui permet, entre autres, de prendre en considération la diversité des situations auxquelles elles s’appliquent. Le tribunal peut aussi envisager une peine de surveillance électronique, une peine de travail ou une peine de probation autonome, voire la suspension du prononcé ou un sursis à l’exécution de la peine.
En ce qui concerne la seconde branche
A.3.1. Le Conseil des ministres expose, à titre principal, que la seconde branche de la deuxième question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
A.3.2. Il observe en premier lieu que ni le libellé de cette branche ni les motifs du jugement a quo ne permettent d’identifier avec précision et certitude les catégories de personnes qui seraient traitées différemment par la loi.
Il remarque aussi que les motifs du jugement de renvoi ne permettent pas non plus de comprendre en quoi la disposition législative en cause violerait les autres normes de référence qui sont mentionnées dans la question.
A.3.3. Le Conseil des ministres soutient, en deuxième lieu, que la question préjudicielle repose sur une prémisse inexacte, puisque la différence de traitement critiquée ne résulte pas de la disposition législative qu’elle mentionne, mais découle en réalité de l’article 100 du Code pénal, selon lequel l’article 85 du Code pénal, qui permet de prendre en compte des circonstances atténuantes, ne s’applique pas, par principe, aux lois pénales spéciales. Toutefois, si la question préjudicielle doit être comprise comme portant sur l’absence d’exception à ce
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principe, il est nécessaire d’étendre la portée de cette question à cette disposition législative, ce que les parties ne peuvent faire, et ce qui, en l’espèce, compromettrait le caractère contradictoire de la procédure.
A.3.4. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres expose que la question préjudicielle appelle une réponse négative parce que la disposition en cause ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.3.5. Le Conseil des ministres observe en premier lieu que la différence de traitement entre, d’une part, la personne qui refuse ou néglige de se conformer à un arrêté ministériel pris en application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 et portant des mesures d’urgence visant à limiter la propagation du coronavirus SARS-CoV-2 et, d’autre part, la personne qui commet une infraction définie dans le Code pénal est raisonnablement justifiée.
En effet, en écartant, par principe, le pouvoir du juge de tenir compte d’éventuelles circonstances atténuantes en ce qui concerne les infractions autres que celles qui sont définies dans le Code pénal, les auteurs de l’article 100
du Code pénal souhaitaient éviter de compromettre la répression effective des infractions définies dans les autres lois pénales. Ce n’est qu’en cas de mesure manifestement déraisonnable que la Cour s’estime compétente pour remettre en cause la politique répressive menée par le pouvoir législatif, et en particulier sa décision de retirer au juge tout pouvoir d’appréciation. Compte tenu de l’objectif poursuivi par l’article 187 de la loi du 15 mai 2007, à savoir la protection de la sécurité et de la santé de la population, la décision de ne pas autoriser le juge compétent à admettre des circonstances atténuantes au profit de la personne qui commet l’infraction définie dans cette disposition législative n’est pas manifestement déraisonnable. En outre, cette disposition ne viole pas l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.
Enfin, les peines de surveillance électronique, de travail et de probation autonome prévues par le Code pénal ainsi que la suspension du prononcé de la condamnation et le sursis à l’exécution des peines prévus par la loi du 29 juin 1964 « concernant la suspension, le sursis et la probation », permettent au tribunal compétent d’atténuer les sanctions prévues à l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007.
A.3.6. Le Conseil des ministres observe, en deuxième lieu, que la différence de traitement entre, d’une part, les personnes qui refusent ou négligent de se conformer à un arrêté ministériel pris en application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 et portant des mesures d’urgence visant à limiter la propagation du coronavirus SARS-CoV-2 et, d’autre part, les personnes qui commettent une infraction visée à l’article 138 du Code d’instruction criminelle manque en fait ou, à tout le moins, est raisonnablement justifiée.
En effet, depuis l’entrée en vigueur de l’article 13 de la loi du 20 mai 2020, l’article 138, 15°, du Code d’instruction criminelle, qui confère au tribunal de police la compétence de connaître des « délits dont la connaissance [lui] est attribuée par une disposition spéciale », concerne aussi les personnes relevant de la première catégorie précitée. Ces personnes se trouvent exactement dans la même situation que les auteurs de certains délits visés à l’article 138, 3° et 6°, du Code d’instruction criminelle quant à l’interdiction pour le tribunal de police d’admettre des circonstances atténuantes. La comparaison manque donc en fait.
Quant à la troisième question préjudicielle
A.4.1. À titre principal, le Conseil des ministres expose que la troisième question préjudicielle est irrecevable parce que la Cour n’est pas compétente pour y répondre. En effet, cette question porte non pas sur la constitutionnalité des dispositions législatives en cause, mais sur la validité de leur application à la procédure pendante devant la juridiction a quo.
A.4.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres expose que la troisième question préjudicielle appelle une réponse négative, en ce qu’elle a pour objet d’interroger la Cour sur l’étendue du pouvoir que l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 confère au ministre.
Par ailleurs, aucun des droits fondamentaux visés dans la troisième question préjudicielle n’est absolu.
L’article 182 de la loi du 15 mai 2007 constitue le fondement légal des limitations que le ministre peut apporter à la liberté individuelle, au droit à l’inviolabilité du domicile, au droit de propriété, au droit au respect de la vie
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privée et familiale et à la liberté de réunion. Il rappelle aussi que cette disposition a déterminé les éléments essentiels de l’habilitation conférée au ministre et qu’elle a défini celle-ci de manière suffisamment précise.
A.4.3. Le Conseil des ministres observe que la Cour n’est pas compétente pour connaître de la compétence conférée au ministre de l’Intérieur d’obliger toute personne âgée d’au moins douze ans à porter un masque ou un dispositif équivalent.
A.4.4.1. À titre subsidiaire, il y a lieu de constater qu’une telle mesure relève en effet des compétences du ministre de l’Intérieur. Le port du masque buccal est une mesure sanitaire fondée sur les articles 11 et 42 de la loi du 5 août 1992 « sur la fonction de police », sur l’article 4 de la loi du 31 décembre 1963 « sur la protection civile »
et sur les articles 181, 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007. Il s’agit d’une mesure d’interdiction de lieu ou de déplacement sauf en cas de respect de certaines règles qui visent à protéger la population dans des circonstances dangereuses.
A.4.4.2. Par ailleurs, le Conseil des ministres fait valoir qu’en ce que la mesure du port du masque s’applique en cas d’utilisation des transports publics, la question du respect des limites des compétences fédérales en matière de police sanitaire, de protection civile et de sécurité civile peut se poser. La section de législation du Conseil d’État a indiqué à cet égard que les mesures sanitaires ayant une incidence significative dans des domaines relevant des compétences des communautés ou des régions relèvent de la compétence fédérale si l’aspect le plus important de ces mesures concerne la police sanitaire, la protection civile ou la sécurité civile. Ensuite, trois conditions doivent être remplies. Premièrement, le principe de proportionnalité doit être garanti. Tel est le cas en l’espèce, puisque le port du masque est une mesure fondée scientifiquement et qui s’inscrit dans une approche par phase, dans le but de retirer progressivement les mesures antérieures imposées à la population. Deuxièmement, il doit y avoir une concertation avec les entités fédérées. En l’espèce, cette condition a été respectée. Troisièmement, la condition relative au respect des limites des compétences fédérales en matière de police sanitaire, de protection civile et de sécurité civile requiert que la mesure soit pourvue d’une dimension sanitaire. Tel est également le cas en l’espèce.
A.4.4.3. Le Conseil des ministres observe ensuite que l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 constitue le fondement légal des limitations que le ministre peut apporter à la liberté individuelle, au droit à l’inviolabilité du domicile, au droit de propriété, au droit au respect de la vie privée et familiale et à la liberté de réunion. Pour rappel, cette disposition a déterminé les éléments essentiels de l’habilitation conférée au ministre et a défini celle-
ci de manière suffisamment précise.
Le Conseil des ministres souligne ensuite la légitimité de l’objectif de protection de la santé publique que poursuit l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007. Le droit à la protection de la santé, reconnu par l’article 23 de la Constitution, et le droit à la vie, reconnu à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, obligent les autorités à poursuivre cet objectif.
A.4.4.4. Le Conseil des ministres fait enfin valoir que le pouvoir que l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 confère au ministre est nécessaire et proportionné. Le fait que des mesures prises en exécution de cette disposition limitent des droits fondamentaux n’entraîne pas en soi une violation de ces droits. Les larges pouvoirs de police administrative qui sont attribués au ministre de l’Intérieur visent à garantir l’équilibre des droits de chacun et la sécurité commune et ils contribuent à la protection des droits et libertés individuels. En outre, le maintien de l’ordre dans des circonstances exceptionnelles est un objectif qui justifie l’attribution au ministre du pouvoir d’imposer le port du masque buccal. La Cour européenne des droits de l’homme et la section de législation du Conseil d’État n’exigent d’ailleurs pas que la loi attribuant des pouvoirs de maintien de l’ordre à une autorité administrative appelée à prendre des mesures en cas de crise sanitaire envisage toutes les situations de désordre possibles et toutes les mesures utiles au rétablissement de l’ordre.
Quant au maintien des effets
A.5. À titre infiniment subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour constaterait une violation, le Conseil des ministres demande à cette dernière de maintenir les effets des dispositions en cause jusqu’à ce que l’arrêt soit
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rendu. Un tel constat entraînerait en effet une insécurité juridique considérable, notamment au regard des nombreuses affaires d’infraction enregistrées par le parquet et des nombreuses affaires en cours d’instruction. Par ailleurs, l’État belge a adopté la loi du 14 août 2021 « relative aux mesures de police administrative lors d’une situation épidémique » en réponse aux critiques de légalité formulées à l’égard des dispositions en cause. Les dispositions de cette loi permettent au Roi d’adopter des mesures similaires à celles qui sont appliquées dans le litige porté devant la juridiction a quo.
-B-
Quant aux dispositions en cause
B.1.1. Les articles 181 et 182 de la loi du 15 mai 2007 « relative à la sécurité civile » (ci-
après : la loi du 15 mai 2007) composent le titre XI de cette loi (« De la réquisition et de l’évacuation »).
B.1.2. L’article 182 de la loi du 15 mai 2007 confère au ministre de l’Intérieur, à son délégué et au bourgmestre une compétence en matière de police administrative en vue d’assurer la protection de la population en cas de circonstances dangereuses.
Tel qu’il a été modifié par l’article 110 de la loi du 21 décembre 2013 « portant des dispositions diverses Intérieur » (ci-après : la loi du 21 décembre 2013), l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 dispose :
« Le ministre ou son délégué peut, en cas de circonstances dangereuses, en vue d’assurer la protection de la population, obliger celle-ci à s’éloigner des lieux ou régions particulièrement exposés, menacés ou sinistrés, et assigner un lieu de séjour provisoire aux personnes visées par cette mesure; il peut, pour le même motif, interdire tout déplacement ou mouvement de la population.
Le même pouvoir est reconnu au bourgmestre ».
B.1.3. L’article 187 de la loi du 15 mai 2007, qui forme le titre XIII (« Des dispositions pénales »), dispose :
« Le refus ou la négligence de se conformer aux mesures ordonnées en application de l’article 181, § 1er et 182 sera puni, en temps de paix, d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de vingt-six à cinq cents euros, ou d’une de ces peines seulement.
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En temps de guerre ou aux époques y assimilées, le refus ou la négligence de se conformer aux mesures ordonnées en application de l’article 185 sera puni d’un emprisonnement de trois mois à six mois et d’une amende de cinq cents à mille euros, ou d’une de ces peines seulement.
Le ministre ou, le cas échéant, le bourgmestre ou le commandant de zone pourra, en outre, faire procéder d’office à l’exécution desdites mesures, aux frais des réfractaires ou des défaillants ».
Quant à la première question préjudicielle
B.2. La première question préjudicielle porte sur la compatibilité des articles 182, alinéa 1er, et 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 avec les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 12, alinéa 1er, 15, 16, 22 et 26
de la Constitution, avec les articles 5, 7, 8 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à ladite Convention, avec l’article 2 du Protocole n° 4 à la même Convention et avec les articles 9, 12, 15, 17 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que, d’une part, les notions de « circonstances dangereuses » et de « protection de la population » qui sont employées à l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 pour déterminer les contours de l’habilitation conférée au ministre manqueraient de clarté et, d’autre part, les dispositions en cause ne régleraient pas les modalités des décisions que le ministre, son délégué ou le bourgmestre sont habilités à prendre.
B.3. L’article 12, alinéa 2, de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu’elle prescrit ».
L’article 14 de la Constitution dispose :
« Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi ».
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L’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ».
L’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose :
« Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où
l’infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l’application d’une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier ».
B.4.1. L’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 érige en infraction le « refus » ou la « négligence » de se conformer, en temps de paix, aux « mesures ordonnées » par le ministre compétent ou son délégué en application de l’article 182 de cette loi. Le non-respect des mesures ordonnées est puni d’une peine d’emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de 26 à 500 euros, ou d’une de ces peines seulement.
B.4.2. Dès lors que les peines se trouvent fixées dans une disposition législative, l’article 14 de la Constitution, qui consacre le principe de légalité des peines, n’est pas violé.
B.5.1. En ce qu’ils exigent que toute infraction soit prévue par une norme suffisamment claire, prévisible et accessible, l’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont une portée analogue à celle de l’article 12, alinéa 2, de la Constitution. Les garanties fournies par ces dispositions, qui visent l’aspect substantiel du principe de légalité des incriminations, forment dès lors, dans cette mesure, un tout indissociable.
B.5.2. En attribuant au pouvoir législatif la compétence de déterminer dans quels cas des poursuites pénales sont possibles, l’article 12, alinéa 2, de la Constitution garantit à tout
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justiciable qu’aucun comportement ne sera punissable qu’en vertu de règles adoptées par une assemblée délibérante, démocratiquement élue.
En outre, le principe de légalité en matière pénale qui découle de la disposition constitutionnelle et des dispositions internationales précitées procède de l’idée que la loi pénale doit être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est punissable ou non. Il exige que le législateur indique, en des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique, quels faits sont sanctionnés, afin, d’une part, que celui qui adopte un comportement puisse évaluer préalablement, de manière satisfaisante, quelle sera la conséquence pénale de ce comportement et afin, d’autre part, que ne soit pas laissé au juge un trop grand pouvoir d’appréciation.
Toutefois, le principe de légalité en matière pénale n’empêche pas que la loi attribue un pouvoir d’appréciation au juge. Il faut en effet tenir compte du caractère de généralité des lois, de la diversité des situations auxquelles elles s’appliquent et de l’évolution des comportements qu’elles répriment.
La condition qu’une infraction doit être clairement définie par la loi se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les juridictions, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.
Ce n’est qu’en examinant une disposition pénale spécifique qu’il est possible de déterminer, en tenant compte des éléments propres aux infractions qu’elle entend réprimer, si les termes généraux utilisés par le législateur sont à ce point vagues qu’ils méconnaîtraient le principe de légalité en matière pénale.
B.5.3. En outre, le principe de légalité en matière pénale ne va pas jusqu’à obliger le législateur à régler lui-même chaque aspect de l’incrimination. Une délégation à une autre autorité n’est pas contraire à ce principe, pour autant que l’habilitation soit définie de manière suffisamment précise et porte sur l’exécution de mesures dont les éléments essentiels ont été fixés préalablement par le législateur.
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B.6.1. Sur la base de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007, le ministre compétent, son délégué ou le bourgmestre peut, en cas de « circonstances dangereuses » et « en vue d’assurer la protection de la population » :
- obliger la population à « s’éloigner des lieux ou régions particulièrement exposés, menacés ou sinistrés »;
- « assigner un lieu de séjour provisoire aux personnes visées » par cette obligation d’éloignement;
- « pour le même motif, interdire tout déplacement ou mouvement de la population ».
Par ailleurs, la « sécurité civile » au sens de la loi du 15 mai 2007 « comprend l’ensemble des mesures et des moyens civils nécessaires pour accomplir les missions visées par la loi afin de secourir et de protéger en tous temps les personnes, leurs biens et leur espace de vie »
(article 3, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007).
B.6.2. Pour limiter sur le territoire belge la propagation du coronavirus SARS-CoV-2 qui est à l’origine de la pandémie de COVID-19, le ministre de l’Intérieur a pris une série d’arrêtés ministériels fondés, entre autres, sur l’article 182 de la loi du 15 mai 2007.
B.6.3. La juridiction a quo est amenée à appliquer l’arrêté ministériel du 30 juin 2020
« portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 » (ci-
après : l’arrêté ministériel du 30 juin 2020), tel qu’il a été modifié par des arrêtés ministériels du 10 juillet 2020, du 24 juillet 2020, du 28 juillet 2020 et du 22 août 2020.
Il ressort de la décision de renvoi que l’infraction en cause porte notamment sur le fait de ne pas avoir porté de masque buccal dans une gare dans un contexte de pandémie, ce qui constitue une infraction à l’obligation de porter un tel masque ou toute autre alternative en tissu, qui incombe à toute personne âgée d’au moins douze ans, dès l’entrée dans un aéroport, une gare, sur un quai ou à un point d’arrêt, dans un bus, un (pré)métro, un tram, un train ou tout
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autre moyen de transport organisé par une autorité publique (article 16 de l’arrêté ministériel du 30 juin 2020).
B.7.1. Par un arrêt du 28 septembre 2021 (P.21.1129.N, ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20210928.2N.16), la Cour de cassation a jugé que l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 constitue un fondement légal des articles 5 et 8 de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 « portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 » :
« L’interdiction de se rassembler et l’interdiction de se trouver sans nécessité sur la voie publique et dans les lieux publics, définies aux articles 5 et 8 de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020, visent à enrayer la poursuite de la propagation du coronavirus COVID-19 en minimisant les contacts entre les personnes afin de réduire ainsi les risques de contagion. Ces mesures visent dès lors à éviter l’utilisation non nécessaire de l’espace public qui constituerait une menace au sens de l’article 182 de la loi relative à la sécurité civile. Cette disposition procure donc une base légale à l’interdiction de se rassembler et de se déplacer édictée par les articles 5 et 8 de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 » (traduction libre).
Par un arrêt du 10 novembre 2021 (P.21.0931.F, ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20211110.2F.3), la Cour de cassation a précisé :
« La loi vise à assurer la protection de la population lorsque celle-ci est menacée par des calamités ou des situations néfastes, quelle que soit la nature du désastre ainsi visé.
Une situation d’urgence née d’une épidémie ou d’une pandémie ayant le potentiel d’une menace mortelle pour l’ensemble de la population, telle la pandémie liée au coronavirus Covid-
19, doit être considérée comme constitutive d’une calamité ou d’une situation néfaste pouvant conduire à une situation menaçant des personnes.
Partant, ladite pandémie peut justifier l’adoption de mesures en application de l’article 182, alinéa 1er, précité.
Sans doute, les termes des préventions, soit l’interdiction de se rassembler et de se trouver sans motif sur la voie publique, ne se retrouvent pas littéralement dans la description des mesures de réquisition et d’évacuation de la population confiées par la loi au ministre.
Mais n’ayant d’autres finalités que d’éviter la propagation d’un virus calamiteux par la limitation des contacts entre les personnes afin de réduire le risque de contagion associé à la pandémie, les interdictions visées par la poursuite ressortissent à la compétence ministérielle d’interdiction ou d’injonction à la population lorsque, à la suite d’une calamité ou d’une
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situation néfaste et afin de protéger la sécurité civile des citoyens, il est nécessaire de les éloigner d’endroits où leur santé et sécurité sont menacées ou de leur interdire de se déplacer.
Pareilles mesures répondent dès lors au prescrit de l’article 182 de la loi qui permet d’interdire à la population de fréquenter des lieux particulièrement exposés au danger ».
B.7.2. Par l’arrêt n° 248.818 du 30 octobre 2020, rendu en assemblée générale, la section du contentieux administratif du Conseil d’État a jugé, à propos de l’arrêté ministériel du 18 octobre 2020 « portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 », qui comporte une mesure de fermeture des établissements relevant du secteur horeca et des autres établissements de restauration et débits de boissons :
« La fermeture imposée semble, sans que cela puisse être sérieusement dénié, - et c’est également l’unique objectif de la mesure - servir la sécurité civile et donc la protection de la population. En effet, la mesure implique a contrario que les citoyens ne sont pas autorisés ou n’ont pas la possibilité d’entrer dans ces lieux ou établissements (restaurants et cafés), sauf, et en étant strictement limités à celle-ci, pour l’activité autorisée (repas à emporter), qui par sa nature est de courte durée, et en outre uniquement dans le respect des dispositions énoncées au chapitre 9 de l’arrêté attaqué, relatives aux responsabilités individuelles de chacun (articles 26
à 28 de l’arrêt attaqué). Dans cet esprit, il semble que l’on puisse voir dans la fermeture imposée une interdiction de déplacement au sens de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 en vertu duquel le ministre peut, en cas de circonstances dangereuses, obliger la population, en vue d’assurer sa protection, à s’éloigner des lieux particulièrement exposés, menacés ou sinistrés, et même, ce qui est le cas lors d’un confinement (total), pour le même motif, interdire tout déplacement ou mouvement de la population » (traduction libre) (C.E., assemblée générale, n° 248.818 du 30 octobre 2020).
B.8.1. L’article 182 de la loi du 15 mai 2007 confère au ministre compétent, à son délégué ou au bourgmestre un pouvoir étendu pour prendre des mesures de police administrative en matière de sécurité civile, lorsque les conditions fixées par cette disposition sont réunies.
B.8.2. Les termes « circonstances dangereuses » et « protection de la population » qui sont employés à l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 confèrent notamment au ministre une habilitation étendue. Cette disposition lui permet de prendre les mesures appropriées de police administrative dans des circonstances généralement urgentes afin de préserver la sécurité civile. Cet objectif existe depuis longtemps. Ainsi, l’article 1er de la loi du 31 décembre 1963
« sur la protection civile » dispose que la protection civile comprend l’ensemble des mesures et des moyens destinés à assurer la protection et la survie de la population, ainsi que la sauvegarde
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du patrimoine national en cas de conflit armé. Cette disposition vise aussi, ce qui est important en l’espèce, à secourir les personnes et à protéger les biens en tout temps lors d’événements calamiteux, de catastrophes et de sinistres. Le ministre de l’Intérieur est de longue date chargé de la coordination de cette politique. Ainsi, l’article 4 de la loi du 31 décembre 1963 dispose que ce ministre organise les moyens et provoque les mesures nécessaires à la protection civile pour l’ensemble du territoire national. Il coordonne la préparation et l’application de ces mesures, au sein tant des divers départements ministériels que des organismes publics.
Dès lors qu’il s’agit de situations de risque et d’urgence de natures différentes qui ne sauraient être définies de manière exhaustive et détaillée par le législateur, ce dernier a pu délibérément choisir des termes larges pour permettre d’agir adéquatement face à ces risques.
Exceptionnellement, une habilitation directe accordée au ministre ou à son délégué peut être justifiée si, comme en l’espèce, il existe des raisons objectives requérant une intervention urgente du pouvoir exécutif, en ce que tout retard peut aggraver la situation de risque ou d’urgence existante (voy. C.E., section législation, avis n° 68.936/AG du 7 avril 2021, points 58-67). L’habilitation accordée par le législateur n’est toutefois pas illimitée. En effet, les mesures à prendre doivent, compte tenu de toutes les circonstances, parmi lesquelles l’urgence de l’intervention, l’étendue de la connaissance du risque et du caractère approprié des mesures qui peuvent être prises, être raisonnablement alignées sur la nature, l’étendue et la durée probable des circonstances qui menacent la population.
Afin de garantir l’efficacité des mesures, il relève aussi du pouvoir d’appréciation du législateur de décider si un manquement aux mesures de police administrative adoptées sur la base de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 doit faire l’objet d’une répression et, le cas échéant, s’il est opportun d’opter pour des sanctions pénales sensu stricto ou pour des sanctions administratives.
B.8.3. Compte tenu de l’objectif décrit ci-dessus, de l’évolution constante des circonstances, des incertitudes y afférentes et de la technicité des mesures à prendre, les articles 182 et 187, précités, de la loi du 15 mai 2007 fixent à suffisance les limites de l’action du pouvoir exécutif. L’article 187 prévoit aussi les composantes essentielles de l’incrimination,
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qui consiste dans le refus ou la négligence de se conformer aux mesures ordonnées en application de l’article 182. La lecture de ces dispositions législatives en combinaison avec les arrêtés ministériels pris en exécution de celles-ci permet, en ce que ces arrêtés ministériels sont rédigés dans des termes suffisamment clairs et précis – ce qui relève de l’appréciation du juge compétent -, d’établir quel comportement est incriminé et quel comportement ne l’est pas.
B.8.4. Dès lors que le législateur a précisé lui-même le but et les limites dans lesquels l’habilitation attaquée a été accordée, ainsi que le comportement jugé infractionnel, les composantes essentielles de l’incrimination ont été fixées par la loi et il est, de ce fait, satisfait au principe de légalité contenu dans l’article 12, alinéa 2, de la Constitution.
En outre, les mesures prises par le ministre peuvent être contestées devant le Conseil d’État, section du contentieux administratif, et devant le juge ordinaire, qui jugeront si elles répondent au principe de légalité matérielle, au principe de légitimité et au principe de proportionnalité.
B.9.1. L’article 12, alinéa 1er, de la Constitution dispose :
« La liberté individuelle est garantie ».
B.9.2. L’article 15 de la Constitution dispose :
« Le domicile est inviolable; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit ».
B.9.3. L’article 16 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
Cette disposition attribue au pouvoir législatif la compétence de déterminer les cas et modalités dans lesquels une expropriation peut avoir lieu. Elle ne lui interdit toutefois pas
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d’habiliter un organe du pouvoir exécutif à régler ces cas et modalités, pour autant que cette habilitation contienne des précisions suffisantes.
B.9.4. L’article 22 de la Constitution dispose :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.
La loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent la protection de ce droit ».
Cette disposition attribue au pouvoir législatif la compétence de déterminer dans quels cas et à quelles conditions il peut être porté atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale.
Elle ne lui interdit toutefois pas d’habiliter un organe du pouvoir exécutif à régler ces cas et conditions, pour autant qu’il définisse cette habilitation en des termes suffisamment précis et que celle-ci porte sur l’exécution de mesures dont il a préalablement fixé les éléments essentiels.
B.9.5. L’article 26 de la Constitution dispose :
« Les Belges ont le droit de s’assembler paisiblement et sans armes, en se conformant aux lois qui peuvent régler l’exercice de ce droit, sans néanmoins le soumettre à une autorisation préalable.
Cette disposition ne s’applique point aux rassemblements en plein air, qui restent entièrement soumis aux lois de police ».
B.10. Les articles 5, 7, 8 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 1er du Premier Protocole additionnel à ladite Convention, l’article 2 du Protocole n° 4
à la même Convention et les articles 9, 12, 15, 17 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne réservent aucune compétence au pouvoir législatif.
B.11. Pour autant que l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 habilite le ministre à prendre des mesures limitant les droits et libertés reconnus par les dispositions constitutionnelles et internationales mentionnées en B.9.1 à B.10, la lecture combinée de
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l’article 12, alinéa 2, de la Constitution et de ces dispositions ne permet pas de considérer que l’habilitation conférée au ministre par l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 est excessive, pour les motifs mentionnés en B.8.1 à B.8.4.
B.12. Les articles 182, alinéa 1er, et 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 sont compatibles avec les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les dispositions constitutionnelles et internationales mentionnées en B.2.
Quant à la seconde branche de la deuxième question préjudicielle
B.13. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que la Cour est interrogée sur la compatibilité de l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que cette disposition législative n’autorise pas le tribunal correctionnel compétent, en raison des règles de connexité, pour connaître des infractions qu’elle instaure à tenir compte de circonstances atténuantes qui lui permettraient de condamner la personne qui a refusé ou négligé de se conformer aux mesures ordonnées en application de l’article 182, alinéa 1er, de la même loi, à une peine d’amende ou à une peine d’emprisonnement moins forte que les peines minimales établies par la disposition législative en cause.
B.14.1. Le Code pénal se compose de deux livres. Le premier (« Des infractions et de la répression en général ») énonce un grand nombre de règles générales, qui sont en principe applicables à toutes les infractions définies par les lois pénales (Cass., 26 octobre 2010, P.09.1627.N, ECLI:BE:CASS:2010:ARR.20101026.7). Ces règles générales sont donc, en principe, applicables entre autres aux nombreuses infractions qui sont définies dans le livre II
du Code pénal (« Des infractions et de leur répression en particulier »).
B.14.2. Les articles 85 et 100 du Code pénal font partie du premier livre de ce Code.
B.14.3. L’article 85, alinéa 1er, de ce Code, tel qu’il a été remplacé par l’article 7 de la loi du 17 avril 2002 « instaurant la peine de travail comme peine autonome en matière correctionnelle et de police », puis modifié par l’article 55 de la loi du 5 février 2016
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« modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice », dispose :
« S’il existe des circonstances atténuantes, les peines d’emprisonnement, les peines de surveillance électronique, les peines de travail, les peines de probation autonome et les peines d’amende pourront respectivement être réduites au-dessous de huit jours, d'un mois, de quarante-cinq heures, de douze mois et de vingt-six euros, sans qu’elles puissent être inférieures aux peines de police ».
Cette disposition concerne la réduction des peines correctionnelles (Cass., 5 juin 2007, P.06.1655.N, ECLI:BE:CASS:2007:ARR.20070605.11). L’infraction que la loi punit d’une peine de ce type est un délit (article 1er, alinéa 2, du Code pénal).
B.14.4.1. L’article 100 du Code pénal dispose :
« À défaut de dispositions contraires dans les lois et règlements particuliers, les dispositions du premier livre du présent code seront appliquées aux infractions prévues par ces lois et règlements, à l’exception du chapitre VII et de l’article 85 ».
B.14.4.2. Par cette disposition, le législateur n’a pas choisi d’étendre de manière générale l’application des circonstances atténuantes applicables aux délits, visées à l’article 85 du Code pénal, à toutes les lois pénales spéciales (Doc. parl., Chambre, 1866-1867, séance du 22 février 1867, n° 95, p. 6).
Le législateur est parti du constat qu’« admettre, pour toutes les infractions, la diminution [de la peine] résultant des circonstances atténuantes, peut avoir des conséquences fâcheuses au point de vue de la répression », craignant que « les juges ne soient trop facilement disposés à admettre des circonstances atténuantes et à rendre ainsi la pénalité inefficace » (Doc. parl., Sénat, 1862-1863, séance du 20 décembre 1862, n° 19, pp. 4-5).
Concernant l’admission des circonstances atténuantes, il a été souligné :
« Depuis un assez grand nombre d’années, chaque fois qu’une loi a été votée, l’attention du législateur a été appelée sur l’admission des circonstances atténuantes. Plusieurs lois ont investi le juge de la faculté d’en tenir compte, par un texte formel, tandis que d’autres lois n’en autorisaient pas l’application.
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Ce fait démontre à lui seul qu’il est des matières où elles ne doivent pas pouvoir être admises par le juge, et que, par conséquent, une disposition générale à cet égard dépasserait le but » (Doc. parl., Chambre, 1866-1867, séance du 28 novembre 1866, n° 27, p. 14).
B.14.5. Il résulte de ce qui précède qu’une personne reconnue coupable d’une infraction qui, en vertu d’une disposition du livre II du Code pénal, est réprimée par une peine correctionnelle peut, sauf si cette disposition en dispose autrement, faire valoir des circonstances atténuantes autorisant le juge à prononcer, en application de l’article 85, alinéa 1er, de ce Code, une peine d’amende ou d’emprisonnement moins forte que les peines minimales que le livre II établit pour ce délit.
À l’inverse, il résulte de l’article 100 du Code pénal que la personne reconnue coupable d’un délit qui est défini par une loi autre que le Code pénal ne peut faire valoir des circonstances atténuantes autorisant le juge à prononcer, en application de l’article 85, alinéa 1er, de ce Code, une peine moins forte que la peine minimale établie par cette autre loi que si cette dernière loi le prévoit.
B.14.6. L’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, lu en combinaison avec l’article 100 du Code pénal, a dès lors pour conséquence d’empêcher le juge d’apprécier l’ensemble des circonstances de la cause, en tenant compte de circonstances atténuantes qui l’autoriseraient, le cas échéant, à prononcer, en application de l’article 85, alinéa 1er, de ce Code, une peine moins forte que les peines minimales établies à l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007.
B.15. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
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B.16.1. Sous la réserve qu’il ne peut prendre une mesure manifestement déraisonnable, le législateur démocratiquement élu peut déterminer lui-même la politique répressive et limiter ainsi le pouvoir d’appréciation du juge.
Il revient dès lors au législateur d’apprécier s’il est souhaitable de contraindre le juge à la sévérité quand une infraction nuit particulièrement à l’intérêt général. Cette sévérité doit s’apprécier dans son ensemble, au regard des différents éléments du régime répressif créé, et elle peut notamment porter sur la faculté offerte au juge, s’il existe des circonstances atténuantes, d’infliger une peine moins forte que les peines minimales prévues par la loi.
B.16.2. Le principe de la proportionnalité des peines fait partie intégrante de notre système juridique qui, en règle, permet au juge de choisir la peine entre un minimum et un maximum, de tenir compte de circonstances atténuantes et d’ordonner le sursis et la suspension du prononcé, le juge pouvant ainsi individualiser la peine dans une certaine mesure, en infligeant celle qu’il estime proportionnée à l’ensemble des éléments de la cause.
Cette prise en compte de la proportionnalité de la peine, par la possibilité d’admettre des circonstances atténuantes, est toutefois exclue pour l’infraction visée à l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007. Non seulement les sanctions pénales que cette disposition prévoit s’appliquent à la personne reconnue coupable d’avoir refusé ou négligé de se conformer à un arrêté ministériel pris en application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, mais la possibilité de modérer ces sanctions, par la prise en compte de circonstances atténuantes, est inexistante.
B.16.3. Si, comme il est dit en B.16.1, c’est au législateur qu’il appartient d’apprécier s’il est souhaitable de contraindre le juge à la sévérité quand une infraction nuit particulièrement à l’intérêt général, il convient d’apprécier si son choix n’est pas manifestement déraisonnable.
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Il ressort en effet des travaux préparatoires cités en B.14.4.2 qu’en adoptant l’article 100
du Code pénal, le législateur a certes exclu une application automatique des circonstances atténuantes aux infractions prévues par les lois pénales spéciales, mais il a voulu permettre que le législateur émette un choix, pour chaque loi pénale spéciale, quant à l’admission de circonstances atténuantes.
Par ailleurs, en ce qui concerne les communautés et les régions, l’article 11, alinéa 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles prévoit que, dans les limites des compétences des communautés et des régions, les décrets peuvent ériger en infraction les manquements à leurs dispositions et établir les peines punissant ces manquements. Les dispositions du livre premier du Code pénal, dont l’article 85 relatif aux circonstances atténuantes, s’y appliquent, sauf les exceptions qui peuvent être prévues par décret pour des infractions particulières. En ce qui concerne les décrets et ordonnances, la règle est donc que les circonstances atténuantes sont applicables, sauf si cela est exclu dans le décret concerné ou dans l’ordonnance concernée.
B.17.1. Il appartient à la Cour d’examiner en l’espèce si, au regard du principe d’égalité et de non-discrimination, le choix du législateur de ne pas permettre au juge de tenir compte des circonstances atténuantes n’est pas manifestement déraisonnable.
B.17.2. En vertu de l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, la personne reconnue coupable d’avoir refusé ou négligé de se conformer à un arrêté ministériel qui, pris en application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, porte des mesures d’urgence visant à limiter la propagation du coronavirus SARS-CoV-2 est considérée comme ayant refusé ou négligé de se conformer à une règle adoptée « en cas de circonstances dangereuses, en vue d’assurer la protection de la population ».
Sous réserve de ce qui sera dit concernant la première branche de la deuxième question préjudicielle, le législateur permet ainsi de qualifier un comportement de refus ou de négligence, indépendamment du degré d’imputabilité dans le cas concret de délit considéré
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comme nuisant particulièrement à l’intérêt général. Un tel régime témoigne d’une sévérité accrue du législateur, d’autant que les comportements érigés en infraction, lorsqu’ils ont lieu en dehors des « circonstances dangereuses » visées à l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, relèvent de la vie courante des citoyens.
B.17.3. L’on n’aperçoit pas, en l’espèce, pour quelle raison l’exclusion de l’application de circonstances atténuantes serait justifiée au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi. Par ailleurs, l’infraction visée à l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 ne requiert aucun élément moral particulier.
Il est dès lors manifestement déraisonnable de ne pas autoriser le juge compétent pour connaître de ce type de délits à appliquer l’article 85 du Code pénal.
B.18. L’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, lu en combinaison avec l’article 100 du Code pénal, n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il ne permet pas au tribunal correctionnel compétent, en vertu des règles de la connexité, pour connaître des infractions qu’il instaure d’appliquer l’article 85 du Code pénal.
Il découle de ce constat que le juge qui se prononce sur les délits visés à l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, qui consistent dans le refus ou la négligence de se conformer à un arrêté ministériel qui, pris en application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, porte des mesures d’urgence visant à limiter la propagation du coronavirus SARS-CoV-2, doit pouvoir tenir compte de circonstances atténuantes à l’égard des faits dont il est saisi.
Quant à la première branche de la deuxième question préjudicielle
B.19. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que la Cour est aussi interrogée sur la compatibilité de l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que cette disposition législative expose la personne qui néglige de se
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conformer aux mesures ministérielles ordonnées en application de l’article 182, alinéa 1er, de la même loi à une peine aussi forte que celle qu’encourt la personne qui refuse de se conformer aux mêmes mesures.
B.20. L’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose :
« Toutes les personnes […] ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi […] ».
B.21.1. L’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 autorise le juge compétent à infliger à la personne qui, en temps de paix, néglige de se conformer aux mesures ordonnées en application de l’article 182, alinéa 1er, de la même loi une peine aussi forte que celle qu’il pourrait infliger à la personne qui, dans les mêmes circonstances, refuse de se conformer à ces mesures.
Comme il est dit en B.17.2, en traitant de la même manière celui qui refuse et celui qui néglige de se comporter conformément aux mesures ordonnées en application de l’article 182, alinéa 1er, de la même loi, le législateur érige en infraction un comportement de refus ou de négligence, indépendamment d’un élément intentionnel, et sanctionne un comportement qui, en dehors des « circonstances dangereuses » visées à l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, relève de la vie courante des citoyens, ce qui témoigne d’une sévérité accrue du législateur.
B.21.2. En ce qu’il renvoie à l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, l’article 187, alinéa 1er, de la même loi tend à assurer le respect de décisions prises par l’autorité compétente « en cas de circonstances dangereuses, en vue d’assurer la protection de la population ».
Le législateur a pu estimer que le comportement de la personne qui néglige de se conformer aux mesures prises dans des circonstances exceptionnelles de ce type nuit autant aux intérêts de la collectivité que le comportement de la personne qui refuse de se conformer à ces mesures.
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Compte tenu de ce qui est dit en B.18 concernant l’admission des circonstances atténuantes, le fait que les deux catégories de personnes décrites en B.19 soient, au regard de la mesure critiquée, considérées comme ayant adopté un même comportement répréhensible n’empêchera pas le juge de tenir compte, le cas échéant, de circonstances atténuantes lui permettant, au regard de l’ensemble des circonstances d’espèce, de prononcer une peine d’amende ou d’emprisonnement moins forte que les peines minimales que la loi établit pour les infractions commises.
B.22. Compte tenu de ce qui est dit en B.18 et en B.21.2, l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce qu’il traite la personne qui néglige de se conformer aux mesures ministérielles ordonnées en application de l’article 182, alinéa 1er, de la même loi de la même manière que la personne qui refuse de se conformer à ces mesures.
Quant à la troisième question préjudicielle
B.23. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que la troisième question préjudicielle invite en substance la Cour à examiner si, en ce qu’il habiliterait le ministre compétent à imposer le port du masque dans certains lieux publics, l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 viole l’article 12, alinéa 2, de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, au motif que le contenu de ces mesures ministérielles ou les modalités de leur adoption seraient incompatibles avec diverses autres règles énoncées par la Constitution, par la Convention européenne des droits de l’homme et par certains de ses protocoles additionnels, ainsi que par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
B.24.1. Comme il est dit en B.5.3, l’article 12, alinéa 2, de la Constitution n’interdit pas au législateur d’habiliter un organe du pouvoir exécutif à préciser les contours d’une infraction qu’il instaure, pour autant qu’il définisse cette habilitation en des termes suffisamment précis
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et que celle-ci porte sur l’exécution de mesures dont il a préalablement fixé les éléments essentiels.
B.24.2. Comme il est dit en B.8.3 et B.8.4, le législateur a déterminé les éléments essentiels des mesures que le ministre est habilité à prendre en exécution de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, et les termes « circonstances dangereuses » et « protection de la population » qui sont employés dans cette disposition sont, eu égard au contexte, suffisamment précis pour déterminer les contours de cette habilitation.
B.24.3. Par ailleurs, comme il est dit en B.8.2, l’habilitation accordée par le législateur n’est pas illimitée. En effet, les mesures à prendre doivent, compte tenu de toutes les circonstances, parmi lesquelles l’urgence de l’intervention, l’étendue de la connaissance du risque et du caractère approprié des mesures qui peuvent être prises, être raisonnablement alignées sur la nature, l’étendue et la durée probable des circonstances qui menacent la population, ce qu’il appartient au juge compétent de vérifier.
B.25. Pour le surplus, la troisième question préjudicielle invite la Cour à juger si le contenu des mesures que le ministre de l’Intérieur a prises en exécution de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 et la manière dont ces mesures ont été prises sont compatibles avec diverses règles énoncées par la Constitution, par la Convention européenne des droits de l’homme et par certains de ses protocoles additionnels, ainsi que par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
B.26. Or, la Cour est uniquement compétente pour répondre aux questions préjudicielles qui portent sur la validité de normes adoptées par un législateur (article 142, alinéa 2, de la Constitution; article 26, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle).
L’examen de la compatibilité du contenu de mesures ministérielles qui ont été prises en exécution de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 et de la manière dont ces mesures ont été décidées avec des règles énoncées par la Constitution, par la Convention européenne des droits de l’homme et par certains de ses protocoles additionnels, ainsi que par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne relève pas de la compétence de la Cour.
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B.27. La troisième question préjudicielle est irrecevable.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
1. Les articles 182, alinéa 1er, et 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 « relative à la sécurité civile » ne violent pas les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 12, alinéa 1er, 15, 16, 22 et 26 de la Constitution, avec les articles 5, 7, 8 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à ladite Convention, avec l’article 2 du Protocole n° 4 à la même Convention et avec les articles 9, 12, 15, 17 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
2. L’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, lu en combinaison avec l’article 100
du Code pénal, en ce qu’il s’applique au refus ou à la négligence de se conformer à un arrêté ministériel qui, pris en application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, porte des mesures d’urgence visant à limiter la propagation du coronavirus SARS-CoV-2, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il ne permet pas au juge compétent pour connaître des infractions qu’il instaure de tenir compte de circonstances atténuantes à l’égard des faits dont il est saisi.
3. En ce qu’il traite la personne qui néglige de se conformer aux mesures ministérielles prises en application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 de la même manière que la personne qui refuse de se conformer à ces mesures, l’article 187, alinéa 1er, de la même loi ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
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4. La troisième question préjudicielle est irrecevable.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 29 juin 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut P. Nihoul