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29/06/2023 | BELGIQUE | N°103/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 29 juin 2023, 103/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 103/2023
du 29 juin 2023
Numéro du rôle : 7795
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 253, § 4, du Code des impôts sur les revenus 1992, tel qu’il a été remplacé par l’article 12 de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 novembre 2017 « effectuant les adaptations législatives en vue de la reprise du service du précompte immobilier par la Région de Bruxelles-Capitale », posée par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des p

résidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienn...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 103/2023
du 29 juin 2023
Numéro du rôle : 7795
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 253, § 4, du Code des impôts sur les revenus 1992, tel qu’il a été remplacé par l’article 12 de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 novembre 2017 « effectuant les adaptations législatives en vue de la reprise du service du précompte immobilier par la Région de Bruxelles-Capitale », posée par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et W. Verrijdt, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 17 mars 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 26 avril 2022, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 253, § 4, du Code des impôts sur les revenus 1992 (Région de Bruxelles-Capitale) en sa version telle que remplacée par l’article 12 de l’ordonnance du 23 novembre 2017 effectuant les adaptations législatives en vue de la reprise du service du précompte immobilier par la Région de Bruxelles-Capitale viole-t-il les articles 10, 11 et 24 de la Constitution, en ce qu’il crée une différence de traitement entre,
- d’une part, le contribuable qui donne en location son bâtiment à une entité qui l’affecte à l’enseignement subventionné et qui bénéficie de l’exonération du précompte immobilier, et,
- d’autre part, le contribuable qui donne en location son bâtiment à une entité qui l’affecte à un enseignement non subventionné celui-ci fût-il reconnu ou dépourvu de but de lucre, et qui ne bénéficie plus de l’exonération du précompte immobilier ?
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et, par surcroît, viole-t-il, ce faisant, la liberté d’enseignement ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- l’ASBL « Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre », assistée et représentée par Me P. Malherbe, avocat au barreau de Bruxelles;
- la Région de Bruxelles-Capitale, assistée et représentée par Me F. Tulkens, Me J.-L. Touwaide et Me G. De Ridder, avocats au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 12 avril 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs M. Pâques et Y. Kherbache, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 26 avril 2023 et l’affaire mise en délibéré.
À la suite de la demande d’une partie à être entendue, la Cour, par ordonnance du 26 avril 2023, a fixé l’audience au 17 mai 2023.
À l’audience publique du 17 mai 2023 :
- ont comparu :
. Me P. Malherbe, pour l’ASBL « Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre »;
. Me F. Tulkens, Me J.-L. Touwaide, qui comparaissait également loco Me G. De Ridder, et Me V. Leblanc, avocat au barreau de Bruxelles, pour la Région de Bruxelles-Capitale;
- les juges-rapporteurs M. Pâques et Y. Kherbache ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Une ASBL conteste, devant le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles, des cotisations, établies pour l’exercice d’imposition 2018, au précompte immobilier relatif à deux immeubles dont elle est propriétaire. Ces immeubles sont loués à deux écoles privées qui y exercent leurs activités d’enseignement. Le Tribunal constate que l’article 253 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), tel qu’il était applicable avant son remplacement par l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 novembre 2017
« effectuant les adaptations législatives en vue de la reprise du service du précompte immobilier par la Région de Bruxelles-Capitale » (ci-après : l’ordonnance du 23 novembre 2017), prévoyait une exonération du précompte
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immobilier au profit des immeubles affectés sans but de lucre à l’enseignement. Désormais, ce même article 253, dans sa version applicable en Région de Bruxelles-Capitale, limite cette exonération aux immeubles « utilisés quasi exclusivement comme des établissements d’enseignement subventionné ».
Selon le Tribunal, l’objectif du législateur ordonnanciel est d’exclure du bénéfice de l’exonération du précompte immobilier les écoles privées qui poursuivent un but de lucre ou qui délivrent des diplômes non reconnus. Il s’interroge toutefois sur la pertinence de cette exclusion en ce qui concerne les écoles privées qui ne poursuivent pas un but de lucre et qui délivrent des diplômes reconnus par des autorités étrangères, comme celles qui exercent leurs activités d’enseignement dans les immeubles concernés par les cotisations en cause. Partant, il sursoit à statuer et pose la question reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1.1. La partie demanderesse devant la juridiction a quo précise tout d’abord que les écoles privées qui exercent leurs activités d’enseignement dans les immeubles dont elle est propriétaire visent essentiellement un public cosmopolite qui ne demeure pas durablement en Belgique. Il s’agit d’une école maternelle qui dispense un enseignement bilingue, en anglais et en français, et d’une école secondaire au sein de laquelle l’enseignement se fait essentiellement en anglais. Cet enseignement secondaire a pour but de permettre aux élèves d’obtenir des diplômes reconnus au niveau international.
A.1.2. À titre principal, la partie demanderesse devant la juridiction a quo soutient que l’article 253, § 4, du CIR 1992, tel qu’il a été modifié par l’article 12 de l’ordonnance du 23 novembre 2017, n’est pas compatible avec les articles 10, 11 et 24 de la Constitution. Tout d’abord, elle affirme que le critère du subventionnement n’est pas pertinent au regard des objectifs poursuivis par le législateur ordonnanciel. Le premier objectif consiste à exclure du bénéfice de l’exonération les écoles qui poursuivent un but de lucre. Dans ce cadre, le critère du subventionnement est superflu, dès lors que l’article 253, § 1er, du CIR 1992 exclut déjà ces établissements. Le minerval demandé par l’école non subventionnée n’atteste pas nécessairement de l’existence d’un but de lucre, mais peut simplement viser à couvrir les frais engagés, en particulier lorsque cette école est constituée sous la forme d’une ASBL. L’objectif de lutter contre les abus éventuels ne permet pas non plus de justifier la différence de traitement soulevée dans la question préjudicielle. Le deuxième objectif du législateur ordonnanciel consiste à exclure les écoles financées par le biais de lourds frais d’inscription. La partie demanderesse devant la juridiction a quo soutient que la philosophie de l’article 253 du CIR 1992 n’est pas d’exclure tous les établissements exigeant le paiement d’une somme contre le service rendu. D’ailleurs, le législateur ordonnanciel n’a pas exclu les hôpitaux ni les maisons de repos. Partant, il n’y a pas lieu de prendre en compte le montant des droits d’inscription payés à l’établissement scolaire lorsque celui-ci ne poursuit pas un but de lucre. Le troisième objectif du législateur ordonnanciel est d’exclure les fausses écoles, les établissements scolaires non diplômants et les établissements scolaires qui ne délivrent pas des diplômes reconnus par la Communauté française. Selon la partie demanderesse devant la juridiction a quo, cet objectif n’est pas pertinent en ce qui concerne les écoles maternelles, qui ne sont de toute façon pas diplômantes. Par ailleurs, la circonstance qu’une école n’est pas subventionnée ne signifie pas nécessairement que l’enseignement qui y est proposé n’est pas de qualité, ni que cette école n’est pas diplômante.
En effet, la fréquentation de certaines écoles non subventionnées permet à l’élève de satisfaire à l’obligation scolaire car l’enseignement qui y est dispensé est d’un niveau comparable à celui des écoles subventionnées par la Communauté française. Ensuite, la Cour, par son arrêt n° 60/2015 du 21 mai 2015
(ECLI:BE:GHCC:2015:ARR.060), a estimé que la liberté d’enseignement exige que des personnes privées puissent organiser un enseignement selon leur propre conception, tant en ce qui concerne la forme de cet enseignement qu’en ce qui concerne son contenu. Partant, l’on ne saurait qualifier de « fausses écoles » toutes les écoles qui ne suivent pas le programme approuvé par le Gouvernement de la Communauté française. Enfin, l’objectif d’exclure les écoles qui ne décernent pas des diplômes reconnus se confond avec le critère du subventionnement, de sorte que le raisonnement qui vise à justifier ce critère au regard de cet objectif est circulaire.
La partie demanderesse devant la juridiction a quo ajoute qu’en tout état de cause, le critère du subventionnement est disproportionné. En effet, ce critère exclut les établissements qui, tout en ne poursuivant pas
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de but de lucre, permettent à leurs élèves de satisfaire à l’obligation scolaire, ce qui témoigne de la qualité de l’enseignement dispensé par ces établissements. L’objectif qui consiste à exclure les établissements poursuivant un tel but est de toute manière atteint par l’article 253, § 1er, du CIR 1992, de sorte que le critère du subventionnement va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but recherché. Il n’existe pas non plus de rapport raisonnable de proportionnalité entre l’exclusion de l’exonération en cause et l’objectif d’exclure les établissements non diplômants, dès lors que les écoles qui ne peuvent pas bénéficier d’un subventionnement en raison de leurs choix pédagogiques sont indirectement privées d’un avantage fiscal et financier important et sont donc discriminées par rapport aux écoles qui proposent un cursus plus traditionnel. La partie demanderesse devant la juridiction a quo ajoute que le critère du subventionnement a été introduit par voie d’amendement dans le feu de l’action politique, sans réflexion sur l’impact de la mesure ni étude de terrain ou audition des acteurs concernés, de sorte que le législateur ordonnanciel n’a pas agi de manière normalement prudente et diligente.
A.1.3. À titre subsidiaire, la partie demanderesse devant la juridiction a quo soutient que la disposition en cause n’est pas compatible avec les articles 10, 11 et 24 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 18, 21 et 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, avec l’article 10 du règlement (UE) n° 492/2011
du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 « relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union » et avec l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle affirme que l’article 253, § 4, du CIR 1992, dans sa version applicable en Région de Bruxelles-Capitale, est constitutif d’une discrimination indirecte fondée sur la nationalité et la langue, dès lors que l’absence d’exonération en cause touche davantage les élèves étrangers ou parlant une langue étrangère. En effet, en vertu de la législation scolaire, les écoles proposant des parcours dans une langue étrangère ou donnant un accès à un diplôme étranger ne peuvent pas bénéficier d’une subvention, de sorte qu’elles ne peuvent pas bénéficier d’une exonération du précompte immobilier. Les élèves étrangers qui veulent suivre un programme prolongeant celui qu’ils ont suivi dans un autre État ou préparant au cursus qu’ils suivront à l’étranger peuvent donc uniquement s’inscrire dans un établissement qui est exclu du bénéfice de l’exonération. La partie demanderesse rappelle qu’une discrimination indirecte fondée sur la nationalité doublée d’une discrimination fondée sur la langue est prohibée, à moins qu’elle soit objectivement justifiée, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime qu’elle poursuit et qu’elle n’aille pas au-
delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Or, il ressort des travaux préparatoires que le législateur n’a pas envisagé que l’absence d’exonération du précompte immobilier puisse induire une telle différence de traitement, de sorte que la disposition en cause est discriminatoire. A fortiori, l’objectif d’exclure les établissements poursuivant un but de lucre et les fausses écoles ne permet pas davantage de justifier la différence de traitement précitée, d’autant que la liberté d’enseignement inclut la liberté du choix linguistique de l’enseignement. Cette différence de traitement est aussi contraire à la libre circulation des citoyens et des travailleurs européens. En effet, la disposition en cause est susceptible de dissuader les travailleurs et les employeurs qui migrent en Communauté française avec leur famille et qui désirent que leurs enfants poursuivent leur cursus dans la langue dans laquelle ils ont entamé celui-ci ou puissent avoir accès à un diplôme reconnu en dehors de la Communauté française, de sorte que cette disposition constitue une restriction à la libre circulation. Une telle restriction ne peut être justifiée, en droit européen, que si elle est fondée sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et est proportionnée à l’objectif légitime poursuivi, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
A.2.1. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale constate tout d’abord que la Cour constitutionnelle, par son arrêt n° 178/2019 du 14 novembre 2019 (ECLI:BE:GHCC:2019:ARR.178), a rejeté le recours en annulation portant sur l’exonération du précompte immobilier prévue à l’article 253 du CIR 1992, tel qu’il a été remplacé par l’article 12 de l’ordonnance du 23 novembre 2017, en ce qui concerne les immeubles affectés exclusivement à l’exercice public de cultes reconnus et gérés par des établissements locaux reconnus, considérant que le critère de la reconnaissance du culte n’était pas disproportionné. Certes, par son arrêt Assemblée chrétienne des témoins de Jéhovah e.a. c. Belgique du 5 avril 2022, (ECLI:CE:ECHR:2022:0405JUD002016520), la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que ce critère n’offrait pas des garanties suffisantes contre des traitements discriminatoires, mais cela ne remet pas en question l’analyse réalisée par la Cour dans le cadre de l’arrêt n° 178/2019 précité. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme a en substance critiqué les fondements juridiques et la procédure sur lesquels repose le critère de distinction choisi par le législateur ordonnanciel pour l’octroi du bénéfice de l’exonération fiscale. Partant, lors du contrôle du critère de distinction retenu par le législateur ordonnanciel dans le cadre de la disposition en cause, il y a lieu de vérifier si l’exonération fiscale est effectivement reprise dans un régime offrant des garanties de sécurité juridique, d’objectivité, d’accessibilité et de prévisibilité.
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A.2.2. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale affirme que l’exclusion des établissements non subventionnés du bénéfice de l’exonération du précompte immobilier est compatible avec le principe d’égalité et de non-discrimination. Il constate tout d’abord que la situation de la partie demanderesse devant la juridiction a quo est comparable à celle d’un autre contribuable qui donne son bien immobilier en location à un établissement subventionné.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale affirme ensuite que les objectifs poursuivis par le législateur ordonnanciel sont légitimes. De manière générale, la volonté de moderniser la législation en matière de précompte immobilier vise à rendre les règles en matière de précompte immobilier plus transparentes pour le contribuable, à optimiser les ressources de la Région et à adapter cette législation aux nouvelles réalités sociales, notamment en interdisant explicitement certaines pratiques considérées comme abusives dans le cadre des demandes d’exonération et d’un contournement de la condition d’absence de but de lucre, comme le soulignent les travaux préparatoires de l’ordonnance du 23 novembre 2017. En ce qui concerne, en particulier, la disposition en cause, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que celle-ci poursuit un double objectif, à savoir, d’une part, lutter contre la fraude fiscale et, d’autre part, lutter contre les « fausses écoles » et les « écoles non diplômantes », qui ne sont pas subventionnées. Ces deux finalités présentent un lien de dépendance mutuelle.
Le législateur ordonnanciel fiscal vise à dissuader une catégorie de contribuables, à savoir les établissements d’enseignement privé non subventionné qui perçoivent un minerval et ne délivrent pas de diplôme certifiant, dont ce législateur n’aperçoit pas en quoi ils pourraient continuer à bénéficier de l’exonération du précompte immobilier. Dans sa jurisprudence, la Cour estime que l’objectif de lutte contre la fraude fiscale est légitime. Par ailleurs, la disposition en cause vise à combattre une pratique abusive bien réelle, à savoir celle des « fausses écoles » délivrant des « faux diplômes » ou des « diplômes au rabais », ce qui est également légitime.
Selon le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, le critère du subventionnement est un critère objectif et pertinent. En matière d’enseignement, les subventions octroyées aux établissements par les pouvoirs publics constituent le corollaire inévitable de l’assujettissement à de nombreuses exigences visant à situer l’enseignement à un niveau fixé par l’autorité publique. En substance, les établissements peuvent prétendre à un subventionnement s’ils respectent les dispositions légales et réglementaires relatives à l’organisation des études, aux statuts administratifs des membres du personnel et à l’application des lois linguistiques. Le bénéfice du subventionnement a donc concrètement pour effet que les établissements scolaires dispensent un enseignement répondant à certaines conditions d’organisation légales et réglementaires, notamment en termes de qualité de l’enseignement et d’exigences pédagogiques, ce qui leur permet d’être en mesure de délivrer des diplômes ou des titres assortis d’effets légaux, reconnus par les pouvoirs publics. En revanche, en ce qui concerne les établissements qui choisissent de ne pas être subventionnés, l’autorité publique ne peut pas exiger d’eux qu’ils respectent des objectifs déterminés. Partant, le critère du subventionnement est particulièrement pertinent vis-à-vis du contrôle de l’organisation des études, de la qualité de l’enseignement, de la certification et de la délivrance des titres ou diplômes ayant des effets légaux. Ce critère est en outre en lien avec les objectifs poursuivis par l’adoption de la disposition en cause. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale ajoute que la liberté d’enseignement autorise toute personne de droit privé à fonder une école, laquelle peut faire le choix de ne réclamer aucun soutien financier de la part des pouvoirs publics. Les établissements de l’enseignement privé ne relèvent pas des réseaux reconnus en Communauté française, dès lors qu’ils ne sont ni organisés ni subventionnés par celle-ci. Certes, leur fréquentation peut permettre de satisfaire à l’obligation scolaire, mais cette obligation est l’application pratique du droit de tout enfant à l’instruction et il peut y être satisfait en dehors de tout cadre scolaire, par exemple à domicile.
Partant, l’obligation scolaire et le champ d’application qu’elle recouvre ne se rapprochent pas, ni ne sont comparables aux conséquences de l’appartenance à l’enseignement subventionné.
Pour le surplus, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale affirme qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par la disposition en cause. Il soutient tout d’abord que le législateur ordonnanciel jouit d’une large marge d’appréciation en ce qui concerne sa politique fiscale, de sorte qu’il n’appartient pas à la Cour de vérifier si une mesure est opportune ou si le but poursuivi pourrait être atteint par d’autres mesures. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale ajoute que le montant du précompte immobilier n’est pas disproportionné aux ressources des établissements scolaires privés non subventionnés, dès lors que ceux-ci perçoivent d’importantes rentrées financières par le biais des minervals demandés. Il ne peut pas non plus être soutenu que la charge du précompte immobilier mettrait en péril ou entraverait sérieusement l’organisation interne, le fonctionnement et les activités d’enseignement de ces établissements.
A.2.3. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que l’exclusion des établissements non subventionnés du bénéfice de l’exonération du précompte immobilier est par ailleurs conforme à la liberté d’enseignement. En son volet actif, à savoir le droit de créer un établissement d’enseignement, la liberté
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d’enseignement s’oppose à toute mesure préventive telle qu’une autorisation préalable des pouvoirs publics en vue de créer un établissement d’enseignement. Cette liberté peut néanmoins faire l’objet de restrictions, notamment, tant en ce qui concerne les établissements relevant de l’enseignement privé qu’en ce qui concerne les établissements qui bénéficient d’une subvention. Il s’agit d’un choix de politique fiscale posé par le législateur dans le but de lutter contre la fraude fiscale et de prévenir la création de faux établissements scolaires, pour lesquels l’exonération ne se justifie pas, eu égard à leur modèle économique. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la liberté d’enseignement n’empêche pas un contrôle de la part du législateur, ni la prise de mesures par ce dernier, pourvu que le principe d’égalité et de non-discrimination soit respecté, ce qui est le cas en l’espèce.
A.3.1. Dans son mémoire en réponse, la partie demanderesse devant la juridiction a quo précise tout d’abord que, par son arrêt, précité, du 5 avril 2022, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que la disposition en cause violait l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, lu en combinaison avec l’article 9
de cette Convention et avec l’article 1er du Premier protocole additionnel à cette Convention, en ce que l’exonération fiscale qu’elle établit est subordonnée à une reconnaissance préalable du culte, dont le régime n’offre pas des garanties suffisantes contre des traitements discriminatoires. La partie demanderesse devant la juridiction a quo en déduit que, même dans une matière fiscale pour laquelle le législateur ordonnanciel dispose d’un pouvoir discrétionnaire étendu, il y a lieu de vérifier si les exonérations accordées ne sont pas discriminatoires et si le critère retenu par le législateur permet une différence de traitement raisonnablement justifiée.
La partie demanderesse devant la juridiction a quo soutient néanmoins que l’affaire qui est à l’origine de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 5 avril 2022, précité, se distingue de l’affaire qui est à l’origine de la question préjudicielle présentement examinée. Tout d’abord, contrairement au secteur des cultes, l’enseignement est obligatoire pour tous les élèves âgés de 5 à 15 ans, il constitue un service public fonctionnel et l’article 24 de la Constitution garantit le principe d’égalité dans cette matière. Ensuite, le critère de la reconnaissance du culte vise à prévenir la fraude fiscale en excluant les cultes « fictifs », alors qu’on ne peut soutenir que les écoles non subventionnées seraient toutes des « fausses écoles », ce qui justifierait l’exclusion du bénéfice de l’exonération. En effet, l’absence de subventionnement peut simplement signifier que l’enseignement se donne dans une langue autre que le français, le néerlandais ou l’allemand. Par ailleurs, l’enseignement proposé dans les écoles non subventionnées fait l’objet d’un contrôle de qualité par l’État, qui détermine si la fréquentation de ces écoles répond à l’obligation scolaire. Enfin, en matière d’enseignement, il existe des mesures permettant d’atteindre l’objectif de lutte contre la fraude fiscale sans qu’il soit nécessaire d’exclure du bénéfice de l’exonération toutes les écoles non subventionnées.
A.3.2. La partie demanderesse devant la juridiction a quo soutient, dans son mémoire en réponse, que l’objectif de lutte contre les écoles privées fallacieusement assimilées à de « fausses écoles », poursuivi par la disposition en cause, n’est pas légitime, dès lors qu’aucune distinction n’est opérée selon que les écoles privées préparent ou non à des diplômes reconnus et selon qu’elles poursuivent ou non un but de lucre. Partant, elle disqualifie ces écoles et dissuade les parents d’y inscrire leurs enfants, ce qui porte atteinte au principe de l’égalité des établissements scolaires et au libre choix des parents, garantis par l’article 24 de la Constitution. Sous le prétexte d’exclure les fausses écoles, la disposition en cause vise en réalité toutes les écoles privées, ce qui ne constitue pas un objectif légitime.
Par ailleurs, selon la partie demanderesse devant la juridiction a quo, le critère du subventionnement n’est pas pertinent au regard de l’objectif de lutte contre la fraude fiscale et contre les fausses écoles. Tout d’abord, ce critère exclut des écoles qui, tout en n’étant pas subventionnées, sont diplômantes et de qualité, comme les écoles dont la fréquentation permet à l’élève de satisfaire à l’obligation scolaire car leur niveau est équivalent au niveau proposé par l’enseignement subventionné, ainsi que par les écoles comprises dans la catégorie de l’enseignement à domicile. Ensuite, l’objectif du législateur ordonnanciel était initialement de lutter contre les fausses universités, mais les auteurs de l’ordonnance du 23 novembre 2017 ont malencontreusement étendu cet objectif à toutes les « fausses écoles », y compris les écoles maternelles, primaires et secondaires. Or, la problématique des « fausses universités » ne peut pas être étendue aux autres niveaux d’enseignement. En ce qui concerne les écoles maternelles, il y a lieu de relever que celles-ci ne sont pas diplômantes. Par ailleurs, les élèves âgés de 5 à 15 ans sont soumis à l’obligation scolaire. La partie demanderesse devant la juridiction a quo ajoute que la Région de Bruxelles-Capitale n’avance aucune statistique démontrant que les élèves fréquentant des écoles privées réussiraient moins bien leurs examens que ceux qui fréquentent d’autres écoles. En toute hypothèse, la disposition
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en cause méconnaît les besoins d’un public scolaire cosmopolite, qui ne fréquente un établissement scolaire belge que durant une partie de sa scolarité.
La partie demanderesse devant la juridiction a quo affirme que le critère du subventionnement n’est pas proportionné à l’objectif de lutte contre la fraude fiscale, dès lors qu’il exclut également des écoles non subventionnées qui ne poursuivent pas un but de lucre, et qu’il va donc au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Ce critère n’est pas non plus proportionné à l’objectif de lutte contre les « fausses écoles ».
Elle rappelle que l’objectif initial était de lutter contre les « fausses universités » et qu’il aurait donc été possible de limiter l’exclusion du bénéfice de l’exonération aux universités et hautes écoles, ou encore aux écoles ne permettant pas de garantir le respect de l’obligation scolaire. Elle ajoute que, contrairement à ce que soutient le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, le principe de proportionnalité ne doit pas servir à établir un lien entre l’impact financier du précompte immobilier et les ressources des écoles privées, mais bien à examiner si la mesure permet d’atteindre les objectifs poursuivis par le législateur. En toute hypothèse, la circonstance que les écoles privées perçoivent un minerval ne signifie pas nécessairement qu’elles disposent de davantage de ressources que les écoles subventionnées. Cette perception vise simplement à couvrir les frais exposés pour dispenser un enseignement de qualité en l’absence de subventionnement.
A.3.3. Dans son mémoire en réponse, la partie demanderesse devant la juridiction a quo affirme, au sujet de la liberté d’enseignement, que la liberté de choix des parents n’est réelle que si elle ne dépend pas d’impératifs financiers. La liberté d’enseignement inclut la liberté de préférer un enseignement dans la langue de son choix. Or, les écoles privées ne peuvent pas satisfaire aux exigences linguistiques qui permettent d’accéder au subventionnement, de sorte que la disposition en cause impacte directement la liberté d’enseignement.
A.3.4. En ce qui concerne le grief formulé à titre subsidiaire, la partie demanderesse devant la juridiction a quo concède, dans son mémoire en réponse, que celui-ci tend à modifier la portée de la question préjudicielle. Elle précise qu’il s’agit surtout d’attirer l’attention de la Cour sur l’existence probable d’une discrimination indirecte fondée sur la nationalité et sur la langue, ce qui a également une incidence sur l’analyse de la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10, 11 et 24 de la Constitution quant à la pertinence du critère de subventionnement et du contrôle de proportionnalité.
A.4.1. Dans son mémoire en réponse, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale rappelle les objectifs poursuivis par la disposition en cause et soutient que le critère du subventionnement est pertinent au regard de ceux-ci. Il s’agit d’un critère de distinction objectif, suffisamment précis et susceptible d’être mis en œuvre en raison de son fondement légal et de l’existence de garanties suffisantes entourant le bénéfice de subventions en matière d’enseignement en Communauté française. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale ajoute que l’article 24 de la Constitution consacre la gratuité de l’enseignement, ce qui implique une interdiction d’établir des obstacles financiers, comme un minerval, tant à l’accès aux études que pendant la durée de celles-ci, et ce, du niveau maternel au niveau secondaire. En Communauté française, la gratuité de l’enseignement a pour corollaire le droit au subventionnement, qui permet aussi de garantir que l’enseignement se situe à un niveau fixé par les pouvoirs publics, dès lors que ce subventionnement est subordonné à certaines conditions d’organisation, notamment en matière de qualité de l’enseignement et d’exigences pédagogiques.
Contrairement à ce que la partie demanderesse devant la juridiction a quo soutient, l’obligation scolaire n’est pas comparable au critère du subventionnement, car elle n’a pas les mêmes conséquences en termes de qualité de l’enseignement, de certification et de délivrance de diplômes ou de titres ayant des effets légaux. Le critère du subventionnement permet de distinguer clairement les établissements « diplômants » des établissements « non diplômants ».
Par ailleurs, le critère du subventionnement permet de ne pas inclure dans le bénéfice de l’exonération les établissements qui ne sont pas subventionnés par les pouvoirs publics mais qui perçoivent des minervals souvent élevés alors qu’ils ne délivrent pas des diplômes reconnus en Belgique. La disposition en cause vise à adapter la législation existante face à des pratiques considérées comme abusives et à s’inscrire dans un objectif de dissuasion quant à la création de « fausses écoles ». La nature même des établissements d’enseignement privé est particulièrement propice à des demandes abusives d’exonération du précompte immobilier pour des immeubles utilisés par ces établissements, en tout ou en partie à des fins d’enseignement. De manière similaire, un enseignement dispensé exclusivement à domicile pourrait faire l’objet d’une demande abusive de bénéfice de l’exonération du précompte immobilier. Le législateur ordonnanciel a donc pu raisonnablement considérer que l’avantage fiscal dont bénéficiaient les établissements d’enseignement privé n’était pas justifié au regard de
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l’objectif de lutte contre la problématique des fausses écoles. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles capitale ajoute que la liberté d’enseignement n’empêche pas un contrôle de la part du législateur ni la prise de mesures par celui-ci, pourvu que le principe d’égalité et de non-discrimination soit respecté, ce qui est le cas en l’espèce. En outre, le critère du subventionnement est un critère proportionné, eu égard à la marge d’appréciation dont le législateur ordonnanciel dispose en matière fiscale, dès lors qu’il permet de garantir la délivrance des diplômes et la qualité de l’enseignement. Eu égard au montant du précompte, il ne peut être soutenu que l’absence d’exonération entraîne une charge disproportionnée pour les établissements, qui bénéficient d’importantes rentrées financières par le biais des minervals demandés. L’absence d’exonération en cause ne met donc nullement en péril l’organisation, le fonctionnement et les activités d’enseignement des écoles privées.
A.4.2. Dans son mémoire en réponse, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que le grief formulé à titre subsidiaire par la partie demanderesse devant la juridiction a quo est irrecevable, en ce qu’il étend les normes de contrôle visées par la juridiction a quo, alors que les parties ne peuvent modifier ou faire modifier la portée d’une question préjudicielle.
-B-
B.1.1. La question préjudicielle porte sur l’article 253, § 4, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), tel qu’il a été remplacé par l’article 12 de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 novembre 2017 « effectuant les adaptations législatives en vue de la reprise du service du précompte immobilier par la Région de Bruxelles-
Capitale » (ci-après : l’ordonnance du 23 novembre 2017), qui dispose :
« Sur demande du contribuable, est exonéré du précompte immobilier, le revenu cadastral des biens immobiliers ou des parties de biens immobiliers utilisés quasi exclusivement comme établissement d’enseignement subventionné, y compris artistique, et pour des activités directement liées à celui-ci.
Sur demande du contribuable, est exonéré du précompte immobilier, le revenu cadastral des salles, terrains et pistes exclusivement utilisés pour la pratique collective de sports dans le cadre des activités de clubs sportifs amateurs.
Cette exonération ne peut être accordée que si un ou plusieurs sports sont enseignés à l’endroit concerné.
Cette exonération est aussi applicable aux installations attenantes ou situées à proximité immédiate, indispensables à la pratique de ces sports ou à l’accueil de l’équipe adverse ou des arbitres lors des compétitions sportives, telles des vestiaires, douches, ou buvettes.
Une salle, un terrain ou une piste, pourvus de gradins ou tribunes pouvant accueillir plus de 500 spectateurs sont présumés, jusqu’à preuve du contraire, ne pas être utilisés que par des clubs sportifs amateurs.
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Un club de sport qui rémunère ses joueurs est présumé, jusqu’à preuve du contraire, ne pas être un club sportif amateur ».
B.1.2. Il ressort de la formulation de la question préjudicielle que celle-ci porte uniquement sur l’article 253, § 4, alinéa 1er, du CIR 1992, tel qu’il a été remplacé par l’article 12 de l’ordonnance du 23 novembre 2017.
La Cour limite son examen à cette disposition.
B.2.1. L’article 253, § 4, alinéa 1er, du CIR 1992, tel qu’il a été remplacé par l’article 12
de l’ordonnance du 23 novembre 2017, prévoit l’exonération, sur la demande du contribuable, du précompte immobilier du revenu cadastral des immeubles et des parties d’immeubles situés dans le ressort de la Région de Bruxelles-Capitale qui sont utilisés presque exclusivement comme des établissements d’enseignement subventionné, y compris artistique, et pour des activités directement liées à celui-ci.
B.2.2. La disposition en cause s’inscrit dans le contexte de la reprise du service du précompte immobilier par la Région de Bruxelles-Capitale, en application de l’article 5, § 3, de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions. En effet, l’ordonnance du 23 novembre 2017 a été prise pour fixer les règles matérielles applicables au précompte immobilier dans la Région de Bruxelles-Capitale, en vue du transfert du service d’impôt concerné.
La disposition en cause est entrée en vigueur dès l’exercice d’imposition 2018 (article 18
de l’ordonnance du 23 novembre 2017), qui coïncide avec la reprise effective du service du précompte immobilier par la Région de Bruxelles-Capitale.
B.2.3. Avant son remplacement par l’article 12 de l’ordonnance du 23 novembre 2017, l’article 253 du CIR 1992 disposait :
« Est exonéré du précompte immobilier, le revenu cadastral :
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1° des biens immobiliers ou des parties de biens immobiliers visés à l’article 12, § 1er;
[...] ».
L’article 12, § 1er, du CIR 1992 dispose :
« Sont exonérés les revenus de biens immobiliers ou des parties de biens immobiliers sis dans un État membre de l’Espace économique européen qu’un contribuable ou un occupant a affectés sans but de lucre à l’exercice public d’un culte ou de l’assistance morale laïque, à l’enseignement, à l’installation d’hôpitaux, de cliniques, de dispensaires, de maisons de repos, de homes de vacances pour enfants ou personnes pensionnées, ou d’autres œuvres analogues de bienfaisance ».
Il s’ensuit qu’avant le remplacement de l’article 253 du CIR 1992 par l’article 12 de l’ordonnance du 23 novembre 2017, le revenu cadastral des immeubles situés sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale affectés sans but de lucre à l’enseignement, subventionné ou non, était exonéré du précompte immobilier.
B.3.1. Par l’ordonnance du 23 novembre 2017, le législateur ordonnanciel a souhaité accroître la transparence vis-à-vis du contribuable, optimaliser les ressources de la Région de Bruxelles-Capitale et adapter la législation aux nouvelles réalités sociales, notamment en interdisant certaines pratiques considérées comme abusives dans le cadre des demandes d’exonération (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2016-2017, A-554/1, pp. 1-2).
B.3.2. Dans cette perspective, le projet qui est à l’origine de la disposition en cause prévoyait initialement une exonération, sur la demande du contribuable, du précompte immobilier du revenu cadastral des immeubles et des parties d’immeubles « utilisés quasi exclusivement pour l’enseignement, y compris artistique, et pour des activités directement liées à celui-ci » (ibid., p. 36).
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Les travaux préparatoires précisent à cet égard :
« Le terme ‘ exclusivement ’ vise à éviter que l’exonération ne soit accordée pour des biens immobiliers où un enseignement n’est dispensé que de manière (très) occasionnelle, voire juste pour bénéficier de l’exonération. Le terme ‘ quasiment ’ vise à éviter que, à cause de l’insertion du terme ‘ exclusivement ’, un établissement scolaire qui mettrait, par exemple, occasionnellement sa salle de fête à disposition d’une unité scoute (même moyennant une indemnisation raisonnable), par exemple pour y organiser sa fête d’unité, ne soit privé de ce fait du bénéfice de l’exonération. Un établissement scolaire qui mettrait (même contre une indemnisation raisonnable) en soirée sa salle de gymnastique à disposition de clubs sportifs pour que puissent s’y passer des entraînements ne doit par exemple pas non plus perdre le bénéfice de l’exonération » (ibid., p. 10).
B.3.3. Le critère du subventionnement est issu d’un amendement qui avait été déposé en commission. Le rapport de commission indique à ce sujet :
« L’amendement a pour objectif d’exclure de cette [...] exonération les écoles privées, hors réseau reconnu, dont les finalités du lucre ne correspondent pas à la philosophie générale du texte. Continueront donc de bénéficier de l’exonération les établissements scolaires, [les universités], les hautes écoles, les écoles de promotion sociale, les académies, les écoles supérieures des arts, et tout autre établissement d’enseignement situé sur le territoire de la région et dont le fonctionnement est subventionné en partie par la fédération Wallonie Bruxelles, par la Vlaamse Gemeenschap, par les communes, par la COCOM et par la VGC »
(Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2017-2018, A-554/2, p. 40).
Et :
« Le texte [...] veut exclure de toute exonération les établissements scolaires à caractère strictement privé.
[Un membre] accepte l’amendement. Ces fausses écoles délivrent des diplômes non reconnus par les autorités académiques et piègent parents et élèves. Le discours fiscal doit être clair.
Le Président et le ministre acceptent l’amendement mais il convient d’ajouter le mot ‘ exclusivement ’ entre le mot ‘ quasi ’ et le mot ‘ comme ’ » (ibid., pp. 21 et 22).
En séance plénière, un membre a affirmé :
« Nous avons eu des débats très intéressants, notamment à la Communauté française, à propos de la problématique des fausses écoles ou, en tout cas, des écoles non diplômantes qui jouent un rôle de concurrence et de dumping sur la formation. Ces écoles piègent les parents et
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les adolescents qui suivent un cursus de type universitaire non diplômant. Le texte, volontaire, exclut méthodologiquement du bénéfice de l’exonération ces fausses universités : il faudra désormais être subventionné par un pouvoir public pour bénéficier de l’exonération » (Doc.
parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2017-2018, 26 octobre 2017, CRI, n° 9, p. 18).
B.4. La juridiction a quo interroge la Cour sur la compatibilité de la disposition en cause avec le principe d’égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10, 11 et 24 de la Constitution, en ce qu’elle fait naître une différence de traitement entre le contribuable qui donne un bien immeuble en location à une entité qui l’affecte à l’enseignement subventionné et le contribuable qui donne un bien immeuble en location à une entité qui l’affecte à un enseignement non subventionné, lequel peut, le cas échéant, être reconnu à l’étranger ou ne pas poursuivre un but de lucre, en ce que le second contribuable ne peut pas bénéficier d’une exonération du précompte immobilier du revenu cadastral du bien immeuble concerné.
La juridiction a quo interroge par ailleurs la Cour quant à la compatibilité de cette différence de traitement avec la liberté d’enseignement.
B.5.1. La partie demanderesse devant la juridiction a quo soutient que la disposition en cause n’est pas compatible avec les articles 10, 11 et 24 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 18, 21 et 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, avec l’article 10 du règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 « relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union » et avec l’article 21
de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en ce qu’elle fait naître une discrimination indirecte fondée sur la nationalité et sur la langue, au détriment des élèves étrangers ou parlant une langue étrangère.
B.5.2. Les parties ne peuvent modifier ou faire modifier la portée de la question préjudicielle.
Il n’y a dès lors pas lieu d’examiner la différence de traitement invoquée à titre complémentaire par la partie demanderesse devant la juridiction a quo. La Cour répond à la question telle qu’elle est formulée par la juridiction a quo.
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B.6.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.6.2. L’article 24, § 4, de la Constitution réaffirme, en matière d’enseignement, le principe d’égalité et de non-discrimination.
Selon cette disposition, tous les établissements d’enseignement sont égaux devant la loi ou le décret. Ceux-ci doivent dès lors être traités de la même manière, à moins qu’il existe des différences objectives permettant de justifier raisonnablement une différence de traitement.
Inversement, ils doivent être traités différemment lorsqu’ils se trouvent dans des situations intrinsèquement différentes au regard de la mesure attaquée, sauf s’il existe une justification objective et raisonnable à l’égalité de traitement.
B.6.3. La liberté d’enseignement garantie par l’article 24, § 1er, de la Constitution garantit le droit d’organiser - et donc de choisir - des écoles fondées sur une philosophie confessionnelle ou non confessionnelle déterminée. Elle implique également que des personnes privées puissent, sans autorisation préalable et sous réserve du respect des libertés et des droits fondamentaux, organiser et faire dispenser un enseignement selon leur propre conception, tant en ce qui concerne la forme de cet enseignement qu’en ce qui concerne son contenu, par exemple en créant des écoles dont la spécificité réside dans des conceptions déterminées d’ordre pédagogique ou éducatif.
B.7. Lorsqu’il détermine sa politique en matière fiscale, le législateur ordonnanciel dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu. Tel est notamment le cas lorsqu’il détermine le fait générateur et les redevables des impôts qu’il prévoit. La Cour ne peut censurer les choix politiques du législateur ordonnanciel et les motifs qui les fondent que s’ils reposent sur une
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erreur manifeste ou ne sont pas raisonnablement justifiés. Le législateur ordonnanciel dispose ainsi d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer les cas dans lesquels un contribuable peut bénéficier d’une exonération d’impôt.
Toutefois, lorsque l’exonération fiscale est liée au droit d’organiser des écoles fondées sur une philosophie confessionnelle ou non confessionnelle déterminée, le législateur ordonnanciel ne peut porter atteinte à la liberté d’enseignement garantie par l’article 24, § 1er, de la Constitution.
B.8. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.3.1 à B.3.3 et du mémoire du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale que le législateur ordonnanciel, en réservant l’exonération du précompte immobilier aux immeubles utilisés quasi exclusivement comme établissements d’enseignement subventionné, y compris artistique, et pour des activités directement liées à celui-ci, entendait mettre fin à l’exonération du précompte immobilier pour des immeubles utilisés par des écoles dites « privées », c’est-à-dire par des écoles qui ne relèvent ni de l’enseignement officiel ni de l’enseignement libre subventionné, et qui, à défaut d’organiser un enseignement dispensé au moyen de deniers publics, peuvent exiger des droits d’inscription dont elles fixent librement le montant et ne sont pas soumises aux conditions de qualité fixées par le législateur décrétal compétent. Il s’agit d’un objectif légitime.
B.9. Le critère du subventionnement de l’enseignement est objectif et pertinent au regard de l’objectif poursuivi de réserver l’avantage fiscal aux établissements d’enseignement organisé ou subventionné par la communauté compétente.
En effet, pour obtenir un subventionnement de la part des autorités publiques, les établissements de l’enseignement libre doivent satisfaire à certaines conditions fixées par le législateur décrétal compétent en vue de garantir la qualité de l’enseignement et son équivalence avec l’enseignement officiel. À l’inverse, les établissements d’enseignement créés par des personnes privées qui choisissent de ne pas recourir à des subventions publiques ne sont pas tenus au respect des conditions précitées, bien que l’autorité publique puisse contrôler a minima la qualité de l’enseignement dispensé en vue de déterminer si la fréquentation de ces établissements permet de satisfaire à l’obligation scolaire.
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B.10. La Cour doit encore vérifier si le législateur ordonnanciel, en choisissant le critère du subventionnement de l’enseignement, n’a pas porté atteinte à la liberté d’enseignement, garantie par l’article 24, § 1er, de la Constitution.
B.11.1. Conformément à l’article 255 du CIR 1992, tel qu’il est applicable sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, le précompte immobilier s’élève à 1,25 % du revenu cadastral établi au 1er janvier de l’exercice d’imposition.
B.11.2. Un tel taux, même majoré des centimes additionnels communaux et des centimes additionnels au profit de l’agglomération bruxelloise, ne saurait être considéré en soi comme étant disproportionné ni comme étant susceptible de menacer la pérennité des établissements de l’enseignement non subventionné organisé par des personnes privées ou d’entraver sérieusement leur organisation interne, leur fonctionnement et leurs activités.
B.11.3. Enfin, les institutions concernées sont libres de solliciter le subventionnement de l’enseignement qu’elles organisent, selon la procédure prévue par le législateur décrétal compétent, en vue de bénéficier de l’exonération en cause.
B.12. La disposition en cause est compatible avec les articles 10, 11 et 24 de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 253, § 4, du Code des impôts sur les revenus 1992, tel qu’il a été remplacé par l’article 12 de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 novembre 2017
« effectuant les adaptations législatives en vue de la reprise du service du précompte immobilier par la Région de Bruxelles-Capitale », ne viole pas les articles 10, 11 et 24 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 29 juin 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 103/2023
Date de la décision : 29/06/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-06-29;103.2023 ?

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