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15/06/2023 | BELGIQUE | N°99/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 15 juin 2023, 99/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 99/2023
du 15 juin 2023
Numéro du rôle : 7944
En cause : la demande de suspension des articles 11 et 12 de la loi du 29 novembre 2022
« portant des dispositions diverses en matière de santé », introduite par la SA « Timani ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et W. Verrijdt, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Obje

t de la demande et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le ...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 99/2023
du 15 juin 2023
Numéro du rôle : 7944
En cause : la demande de suspension des articles 11 et 12 de la loi du 29 novembre 2022
« portant des dispositions diverses en matière de santé », introduite par la SA « Timani ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et W. Verrijdt, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la demande et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 3 mars 2023 et parvenue au greffe le 7 mars 2023, la SA « Timani », assistée et représentée par Me J. Talboom et Me J. Claes, avocats au barreau d’Anvers, et par Me S. Verbist, avocat au barreau du Limbourg, a introduit une demande de suspension des articles 11 et 12 de la loi du 29 novembre 2022
« portant des dispositions diverses en matière de santé » (publiée au Moniteur belge du 9 décembre 2022, deuxième édition).
Par la même requête, la partie requérante demande également l’annulation des mêmes dispositions légales.
Par ordonnance du 15 mars 2023, la Cour a fixé l’audience pour les débats sur la demande de suspension au 26 avril 2023, après avoir invité les autorités visées à l’article 76, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle à introduire, le 17 avril 2023 au plus tard, leurs observations écrites éventuelles sous la forme d’un mémoire, dont une copie sera envoyée dans le même délai à la partie requérante.
Des observations écrites ont été introduites par :
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- la SA « Automaten Service Volckaert », assistée et représentée par Me T. Vermeesch, avocat au barreau d’Audenarde;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me J.-F. De Bock et Me V. De Schepper, avocats au barreau de Bruxelles.
À l’audience publique du 26 avril 2023 :
- ont comparu :
. Me J. Claes et Me J. Talboom, qui comparaissaient également loco Me S. Verbist, pour la partie requérante;
. Me T. Vermeesch, pour la SA « Automaten Service Volckaert »;
. Me V. De Schepper, qui comparaissait également loco Me J.-F. De Bock, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs Y. Kherbache et M. Pâques ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale précitée du 6 janvier 1989 relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
III. En droit
-A-
Quant à la recevabilité
A.1.1. La partie requérante fait valoir qu’elle est le plus grand distributeur d’appareils automatiques de distribution de tabac dans les établissements horeca en Belgique. Elle est affectée directement et défavorablement par les dispositions attaquées, qui interdisent la vente de produits de tabac au moyen d’appareils automatiques de distribution. Elle dispose dès lors d’un intérêt pour demander la suspension et l’annulation de ces dispositions.
A.1.2. Selon le Conseil des ministres, la partie requérante ne justifie pas de l’intérêt requis, dès lors qu’elle exerce aussi des activités autres que la distribution et l’exploitation de distributeurs automatiques de tabac dans les établissements horeca. Le recours est donc irrecevable.
A.1.3. La SA « Automaten Service Volckaert » estime que le recours est recevable. Dès lors qu’elle aussi distribue et exploite des distributeurs automatiques de tabac dans des établissements horeca, elle a par ailleurs un intérêt à intervenir dans la procédure, pour soutenir le point de vue de la partie requérante.
Quant au risque d’un préjudice grave difficilement réparable
A.2. La partie requérante expose que la quasi-totalité de ses revenus découle de la répartition et de l’exploitation de distributeurs automatiques de tabac dans les établissements horeca. En interdisant la vente de
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produits de tabac au moyen d’appareils automatiques de distribution, les dispositions attaquées obligent la partie requérante à cesser définitivement ses activités et à licencier les membres de son personnel. En outre, l’interdiction prendra déjà cours le 9 décembre 2023. La partie requérante doit, par conséquent, déjà commencer à enlever les distributeurs automatiques de tabac dans les établissements horeca de sa clientèle, afin qu’ils soient tous retirés lorsque l’interdiction entrera en vigueur. De ce fait, elle sera non seulement déficitaire dans les prochains mois, mais elle ne pourra pas non plus affecter les membres de son personnel à d’autres fins. La partie requérante fait référence à une évaluation réalisée par son comptable des pertes financières en cas de cessation de ses activités. Il s’agit de la moins-value sur les stocks, de la perte de valeur des investissements et des coûts d’enlèvement et de destruction des distributeurs automatiques de tabac. Elle renvoie également aux coûts qui sont liés au licenciement des membres de son personnel. L’importance de ces pertes et de ces coûts confirme que l’application de l’interdiction attaquée entraînera un préjudice grave pour la partie requérante. Celui-ci ne pourra pas être réparé en cas d’annulation des dispositions attaquées.
A.3. Le Conseil des ministres estime qu’il n’est pas question d’un préjudice grave difficilement réparable et, à tout le moins, que la partie requérante ne présente pas de données concrètes et précises dont il ressort à suffisance que l’application immédiate des dispositions attaquées risque de lui causer un préjudice grave difficilement réparable. Il ressort du site internet et des statuts de la partie requérante que la distribution et l’exploitation de distributeurs automatiques de tabac dans les établissements horeca ne constituent pas son activité principale. La partie requérante commercialise également des confiseries, des produits de tabac et des fournitures scolaires et de bureau. Les dispositions attaquées ne contraignent pas la partie requérante à fermer son entreprise.
Selon le Conseil des ministres, les données citées par la partie requérante n’ont du reste pas de valeur probante. Le Conseil des ministres doute du fait que ces données constituent une représentation fidèle et complète de la situation financière de la partie requérante. Les pertes estimées par la partie requérante résultent en outre de ses propres choix commerciaux, et non des dispositions attaquées. Ces dispositions n’obligent pas la partie requérante à retirer dès maintenant ses distributeurs automatiques de tabac des établissements horeca de sa clientèle. L’interdiction attaquée n’entre en effet en vigueur qu’au 9 décembre 2023. Du reste, les distributeurs automatiques de tabac peuvent être utilisés pour la vente d’autres produits et ne doivent donc pas être détruits.
A.4. Selon la SA « Automaten Service Volckaert », la partie requérante démontre que les dispositions attaquées sont susceptibles de lui causer un préjudice grave difficilement réparable. La SA « Automaten Service Volckaert » souligne que ces dispositions entraînent également, en grande partie pour les mêmes raisons, la cessation immédiate de sa propre entreprise.
Quant au caractère sérieux du moyen
A.5.1. La partie requérante prend un moyen unique de la violation des articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et avec l’article II.3 du Code de droit économique.
A.5.2. Dans la première branche du moyen unique, la partie requérante allègue que les dispositions attaquées font naître une différence de traitement entre, d’une part, les exploitants de distributeurs automatiques de tabac dans les établissements horeca et, d’autre part, les exploitants de distributeurs automatiques de tabac dans les commerces de détail, en particulier dans les supermarchés. La dernière catégorie d’exploitants bénéficie d’une exception à l’interdiction attaquée et peut, par conséquent, continuer à vendre des produits de tabac. Selon la partie requérante, cette différence de traitement n’est pas compatible avec le principe d’égalité et de non-discrimination.
Selon la partie requérante, les deux catégories d’exploitants sont comparables. En effet, un contrôle de l’âge est effectué avant la vente de produits de tabac tant dans les établissements horeca que dans les supermarchés par le biais, respectivement, de la délivrance, par l’exploitant, de ce qu’on appelle un age coin ou de l’achat d’un bon à la caisse. Il s’ensuit également que la différence de traitement ne repose pas sur un critère de distinction objectif.
Il n’existe aucune preuve que l’exigence d’un contrôle de l’âge préalable est plus strictement respectée dans les supermarchés que dans les établissements horeca.
La partie requérante ajoute que l’interdiction attaquée n’est ni nécessaire, ni adéquate, ni proportionnée à l’objectif qui consiste à réduire le nombre de jeunes fumeurs. Le raisonnement du législateur, selon lequel les jeunes sont plus enclins à faire des achats impulsifs de produits de tabac dans les établissements horeca que dans les commerces de détail, est inexact. En rendant impossible la vente des produits de tabac dans les établissements
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horeca, les jeunes auront davantage tendance à se tourner vers les magasins de nuit et les magasins de tabac spécialisés, où il n’y a pas de contrôle de l’âge. En outre, le législateur aurait pu atteindre l’objectif précité, même par des mesures moins radicales. Ainsi, il aurait tout aussi bien pu prévoir un contrôle de l’âge au moyen d’un lecteur de carte d’identité ou un contrôle plus efficace du respect de la condition de l’âge dans les établissements horeca. Enfin, l’interdiction attaquée produit des effets disproportionnés à l’égard des entreprises comme celle de la partie requérante, qui sont obligées de cesser leurs activités. Cela est d’autant plus vrai au regard de la période transitoire d’une année, qui est déraisonnablement courte, et de l’absence de compensation financière.
A.5.3. Dans la deuxième branche du moyen unique, la partie requérante soutient que les dispositions attaquées constituent une ingérence disproportionnée dans son droit au respect des biens. Ces dispositions entraînent la cessation complète de l’entreprise de la partie requérante, sans prévoir une période transitoire raisonnable ou une compensation financière. L’activité de la partie requérante doit être considérée comme une forme de propriété.
A.5.4. Dans la troisième branche du moyen unique, la partie requérante estime, pour les mêmes motifs, que l’interdiction attaquée limite de manière disproportionnée sa liberté d’entreprendre.
A.6.1. Le Conseil des ministres estime que le moyen unique n’est pas sérieux. En ce qui concerne la première branche, il expose que, d’une part, la vente de produits de tabac au moyen d’appareils automatiques de distribution et, d’autre part, la vente semi-automatisée de produits de tabac dans les supermarchés ne sont pas suffisamment comparables. Le Conseil des ministres renvoie à cet égard à des images des deux systèmes de vente. Les appareils automatiques de distribution se trouvent généralement en des endroits où aucun contrôle social n’est possible et posent souvent des problèmes en ce qui concerne le contrôle de l’âge. Ce dernier point est confirmé par des chiffres provenant du Service public fédéral Santé publique. La vente semi-automatisée dans les supermarchés, quant à elle, se déroule en plusieurs étapes, l’employé à la caisse contrôlant l’âge des consommateurs et les produits de tabac étant soustraits à la vue. En outre, la vente de produits de tabac dans les supermarchés donne lieu à des achats impulsifs dans une bien moindre mesure.
En ordre subsidiaire, le Conseil des ministres fait valoir que l’interdiction attaquée poursuit des objectifs légitimes, à savoir mieux faire respecter l’interdiction de vente aux mineurs et réduire la disponibilité des produits de tabac. La différence de traitement critiquée repose sur un critère objectif et pertinent de distinction, eu égard aux caractéristiques différentes des deux systèmes de vente.
Enfin, l’interdiction attaquée ne produit pas des effets disproportionnés, selon le Conseil des ministres. En ce qui concerne la lutte contre les risques sanitaires liés aux produits de tabac, le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation. L’interdiction attaquée s’inscrit dans le cadre d’une stratégie générale pour décourager l’usage de produits de tabac. Cette interdiction est fondée sur des données scientifiques et bénéficie d’un large soutien dans la société. Le Conseil des ministres renvoie aux avis du Conseil supérieur de la santé, à la « Stratégie interfédérale 2022-2028 pour une génération sans tabac », établie le 14 décembre 2022 par la Cellule Générale de Politique Drogues, et au mémorandum pour les partis politiques contenant dix mesures pour un avenir sans tabac, établi par l’Alliance pour une société sans tabac. La volonté de décourager le tabagisme trouve également appui dans le droit international et européen, en particulier dans la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac, dans la recommandation 2003/54/CE du Conseil du 2 décembre 2002 « relative à la prévention du tabagisme et à des initiatives visant à renforcer la lutte antitabac » et dans la directive 2014/40/UE
du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 « relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE ». Il en ressort que les préjudices économiques de l’interdiction attaquée ne l’emportent pas sur les avantages de cette interdiction pour la santé publique. En outre, le législateur a prévu une période transitoire de douze mois, suffisamment longue, et n’était pas tenu d’accorder une compensation financière aux entreprises touchées. Ces entreprises ont investi dans un secteur économique dont elles devaient connaître l’avenir incertain, compte tenu du consensus qui règne dans la société quant aux dangers du tabac.
A.6.2. En ce qui concerne la deuxième branche du moyen unique, le Conseil des ministres répète que les dispositions attaquées n’obligent pas la partie requérante à fermer son entreprise et ne restreignent donc pas son droit de propriété. Il existe, à tout le moins, un juste équilibre entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens, ainsi qu’il ressort de l’exposé relatif à la première branche.
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A.6.3. En grande partie pour les mêmes motifs, le Conseil des ministres estime, en ce qui concerne la troisième branche du moyen unique, que les dispositions attaquées ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre de la partie requérante. Au demeurant, rien n’empêche la partie requérante de poursuivre ses autres activités ou d’adapter ses activités.
A.7. La SA « Automaten Service Volckaert » estime que le moyen unique est sérieux, en grande partie pour les mêmes motifs que ceux qui ont été invoqués par la partie requérante. Elle attire en outre l’attention sur des lacunes dans le processus législatif. Le législateur ne s’est pas basé sur des données chiffrées ou sur des études scientifiques concernant l’impact sur le tabagisme de la vente au moyen de distributeurs automatiques de tabac.
Cet impact est inexistant, selon la SA « Automaten Service Volckaert ». L’interdiction attaquée ne fera que déplacer les achats de produits de tabac vers les magasins de nuit et les magasins de tabac spécialisés. Au demeurant, seul 0,2 % de la vente de produits de tabac a lieu au moyen de distributeurs automatiques. Enfin, les distributeurs d’appareils automatiques de distribution de tabac dans les établissements horeca auraient dû avoir voix au chapitre lors l’élaboration de l’interdiction attaquée.
-B-
Quant aux dispositions attaquées
B.1.1. Le recours en annulation et la demande de suspension concernent l’interdiction de vente de produits de tabac au moyen de distributeurs automatiques.
B.1.2. Cette interdiction a été introduite par l’article 11, attaqué, de la loi du 29 novembre 2022 « portant des dispositions diverses en matière de santé » (ci-après : la loi du 29 novembre 2022), publiée au Moniteur belge du 9 décembre 2022. Cette disposition insère, dans l’article 6
de la loi du 24 janvier 1977 « relative à la protection de la santé des consommateurs en ce qui concerne les denrées alimentaires et les autres produits », un paragraphe 4/1, qui dispose :
« Il est interdit de mettre dans le commerce des produits de tabac au moyen d’appareils automatiques de distribution, sauf par le biais de ventes semi-automatisées dans les commerces de détail où le contrôle de l’âge est effectué à la caisse et à condition que les produits de tabac soient hors de vue ».
En vertu de l’article 12, attaqué, de la loi du 29 novembre 2022, l’interdiction entrera en vigueur un an après la publication au Moniteur belge, à savoir le 9 décembre 2023.
B.2.1. L’exposé des motifs de la loi du 29 novembre 2022 mentionne :
« Interdiction de vente au moyen de distributeurs automatiques
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Le tabac est aujourd’hui disponible et présent partout. Le Conseil supérieur de la santé (CSS) indiquait déjà en 2015 dans un avis que ni le tabac, ni les cigarettes électroniques ne devraient être vendus librement et aisément, par exemple à la caisse des supermarchés ou dans d’autres lieux facilement accessibles au grand public et, plus particulièrement, aux non-
fumeurs. En ce qui concerne le tabac, le CSS estime que les points de vente devraient être limités aux débits de tabac et aux marchands de journaux, et qu’une interdiction de publicité et d’étalage devrait être mise en place. L’interdiction de la publicité a déjà été rendue plus stricte.
Cette modification de la loi franchit une nouvelle étape en interdisant la vente de produits de tabac par le biais de distributeurs automatiques, dans le double but de mieux faire respecter l’interdiction de vente aux mineurs et de réduire la disponibilité des produits de tabac.
Par souci de clarté, on entend par produits de tabac : les produits à base de tabac, tels que les produits classiques bien connus (cigarettes, cigares, etc.), mais aussi les produits similaires, tels que les e-cigarettes, les e-liquides, les nouveaux types de produits, les produits à fumer à base de plantes (les sachets de nicotine, etc.).
Par distributeur automatique, on entend les automates de tabac que l’on voit dans la rue, par exemple dans les gares et les restaurants.
Premièrement, l’utilisation du système actuel de verrouillage de ces distributeurs automatiques, qui doit garantir l’interdiction de la vente de ces produits aux jeunes de moins de dix-huit ans, est souvent source de problèmes. Une infraction souvent constatée concerne l’absence de verrouillage effectif; les pièces nécessaires pour les déverrouiller, aussi appelées age coins, étant accessibles à tous et à portée de main.
En outre, ces distributeurs sont souvent installés à des endroits visités durant la nuit ou fréquentés par les jeunes, ce qui assure la grande disponibilité des produits de tabac (et nuit à la santé publique) » (Doc. parl, Chambre, 2021-2022, DOC 55-2896/001, p. 8).
En ce qui concerne l’exception à l’égard des commerces de détail, l’exposé des motifs indique :
« Les appareils ou systèmes qui ne sont pas visés sont ceux qui sont souvent utilisés dans les supermarchés. Cette façon de travailler présente plusieurs avantages.
1. Les produits de tabac sont presque totalement soustraits à la vue du consommateur.
2. L’achat proprement dit se déroule en plusieurs étapes, un contrôle de l’âge par la caissière étant possible au moment du passage en caisse des produits de tabac.
3. Cette méthode d’achat est également moins impulsive car elle est moins sensible aux facteurs sociaux et environnementaux propres au mode de consommation du fumeur dépendant.
Cela contraste, par exemple, avec les distributeurs automatiques situés dans les restaurants ou les stations-service, des endroits qui peuvent constituer pour le fumeur une incitation environnementale claire à consommer du tabac.
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L’intention ne peut être d’interdire ces systèmes, car cela pourrait même conduire à ce que les produits soient à nouveau exposés de manière visible au niveau des caisses. Une exception est donc prévue pour les ventes semi-automatiques et il est explicitement indiqué qu’un contrôle de l’âge doit avoir lieu à la caisse et que les produits de tabac doivent être retirés de la vue.
Comme de plus en plus de magasins travaillent avec un système de self-scan, il est important qu’un contrôle de l’âge soit effectué ici aussi. Un simple clic sur l’écran pour confirmer son âge n’est donc pas suffisant.
L’exception ne s’applique qu’au commerce de détail. Dans la version soumise au Conseil d’État, il y avait encore une restriction supplémentaire, à savoir le commerce de détail dans les magasins non spécialisés. Sur avis du Conseil d’État, il a été décidé de le réviser. Les magasins spécialisés sont également autorisés à utiliser un système semi-automatique, en tenant compte bien sûr des conditions mentionnées ci-dessus (vérification de l’âge + hors de vue).
Le secteur de la restauration n’est pas inclus dans le concept de commerce de détail.
La vente de tabac à l’aide de distributeurs automatiques est déjà interdite dans plusieurs États membres de l’Union européenne, par exemple au Royaume-Uni [sic], en France, en Finlande, en Norvège [sic] et en Hongrie » (ibid., p. 9).
B.2.2. En commission de la Chambre, le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique a déclaré :
« Une exception est prévue pour les ventes semi-automatiques aux caisses des supermarchés. En cas d’utilisation de ces appareils, la vente est réalisée par le caissier et, après le paiement, le client retire le produit de l’appareil automatique. Ce cas de figure permet un contrôle de l’âge. Il ne s’agit donc pas d’un contexte permettant des achats impulsifs qui, dans d’autres circonstances, n’auraient pas été effectués. On procédera plus vite à un achat impulsif lors d’une sortie dans un établissement horeca ou dans une station-service. L’interdiction entrera en vigueur un an après la date de sa publication au Moniteur belge » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-2896/003, p. 6).
« Le ministre explique pour quel motif les distributeurs automatiques de cigarettes seront interdits dans l’horeca. Le système de verrouillage dont les distributeurs doivent disposer présente souvent un problème. Les age coins sont souvent mis à la disposition de tous indépendamment de l’âge. Le ministre reconnaît que le contrôle de l’âge n’est pas non plus toujours optimal dans les supermarchés. Dans l’horeca, les distributeurs automatiques sont toutefois installés dans des endroits où il n’est pas possible d’effectuer un contrôle et où il n’y a pas non plus de contrôle social » (ibid., p. 16).
« Le vice-premier ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique précise que les mesures afférentes aux produits de tabac ont bien fait l’objet d’une concertation.
Le ministre est convaincu que le contrôle social est plus important dans les supermarchés que dans les établissements horeca. Il souligne par ailleurs qu’une période de transition suffisamment longue a été fixée pour permettre au secteur de l’horeca de procéder aux adaptations nécessaires » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-2896/005, p. 5).
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Quant à la recevabilité
B.3.1. Le Conseil des ministres fait valoir que la partie requérante ne dispose pas de l’intérêt requis et que le recours est dès lors irrecevable.
B.3.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.3.3. L’examen limité de la recevabilité du recours en annulation auquel la Cour a pu procéder dans le cadre de la demande de suspension ne fait pas apparaître que le recours en annulation - et donc la demande de suspension - doive être considéré comme irrecevable à défaut d’intérêt.
La partie requérante distribue et exploite en effet des distributeurs automatiques de tabac dans des établissements horeca. Elle peut donc être affectée directement et défavorablement par les dispositions attaquées, qui interdisent la vente de produits de tabac au moyen de tels appareils automatiques. La circonstance que la partie requérante, ainsi que le fait valoir le Conseil des ministres, exercerait aussi d’autres activités n’y change rien.
Quant aux conditions de la suspension
B.4. Aux termes de l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, deux conditions de fond doivent être remplies pour que la suspension puisse être décidée :
- des moyens sérieux doivent être invoqués;
- l’exécution immédiate de la règle attaquée doit risquer de causer un préjudice grave difficilement réparable.
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Les deux conditions étant cumulatives, la constatation que l’une de ces deux conditions n’est pas remplie entraîne le rejet de la demande de suspension.
B.5. Il ressort de l’article 22 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 que, pour satisfaire à la seconde condition de l’article 20, 1°, de cette loi, la personne qui forme une demande de suspension doit exposer, dans sa requête, des faits concrets et précis qui prouvent à suffisance que l’application immédiate des dispositions dont elle demande l’annulation risque de lui causer un préjudice grave difficilement réparable, qui ne pourrait être réparé ou qui pourrait difficilement l’être en cas d’annulation de ces normes.
Cette personne doit notamment faire la démonstration de l’existence du risque de préjudice, de sa gravité et de son lien avec l’application des dispositions attaquées.
B.6.1. La partie requérante est une entreprise qui distribue et exploite des distributeurs automatiques de tabac dans des établissements horeca. Elle soutient que l’interdiction attaquée rend ses activités impossibles et qu’en conséquence, elle s’exposera à des préjudices financiers graves qui peuvent même compromettre sa pérennité.
B.6.2. Comme la Cour l’a déjà rappelé plusieurs fois, le simple risque de subir une perte financière ne constitue pas, en principe, un risque de préjudice grave difficilement réparable (voy. notamment l’arrêt n° 21/2020 du 6 février 2020, ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.021, B.7.3, l’arrêt n° 10/2022 du 20 janvier 2022, ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.010, B.16.2, et l’arrêt n° 74/2022 du 25 mai 2022, ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.074, B.7). Un préjudice financier allégué n’est irréparable que si la partie requérante démontre que les dispositions attaquées hypothèquent sa viabilité à court terme.
B.6.3. La partie requérante joint à sa requête un calcul, effectué par un expert-comptable, « des pertes financières en cas de cessation de l’activité ». Ce calcul, qui est par ailleurs extrêmement sommaire, concerne la « moins-value sur les stocks », la « perte de valeur de tous les investissements réalisés » et les coûts « d’enlèvement et de destruction des distributeurs automatiques de tabac ». La partie requérante fait également référence aux coûts qui sont liés au licenciement des membres de son personnel.
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B.6.4. S’il peut être admis que l’interdiction attaquée aura des répercussions financières importantes pour la partie requérante, celle-ci ne mentionne pas, dans sa requête, de données dont il ressort que, dans l’attente du prononcé sur le recours en annulation, l’application des dispositions attaquées compromettrait effectivement sa pérennité.
Les données précitées ne permettent en effet pas de connaître le chiffre d’affaires total de la partie requérante ou les moyens financiers dont elle dispose pour compenser les pertes de revenus éventuelles durant une période déterminée. La Cour est également dans l’impossibilité de déduire de ces données si, outre la distribution et l’exploitation de distributeurs automatiques de tabac, la partie requérante exerce d’autres activités et, le cas échéant, les proportions que représentent les recettes provenant de ces différentes activités les unes vis-à-vis des autres.
Cependant, l’objet social de la partie requérante, tel qu’il est défini dans les statuts, ne l’autorise pas uniquement à faire le commerce « du tabac, des cigares, des cigarettes et des articles de tabac », mais également « des confiseries », « des livres », « des magazines », « des imprimés », « des articles cadeaux », « de la papeterie », « des fournitures de bureau » et « des petites collations ». Le site internet de la partie requérante mentionne en outre qu’elle propose, en plus « des cigarettes et des produits de tabac », « un large assortiment de produits horeca ».
En ce que la partie requérante fait valoir lors de l’audience qu’elle a entre-temps arrêté de livrer des confiseries et des produits de tabac, il suffit de constater que ni la requête ni les pièces y annexées ne permettent de déduire que la distribution et l’exploitation de distributeurs automatiques de tabac dans les établissements horeca constituent véritablement sa seule activité.
Par ailleurs, l’interdiction attaquée n’entre pas en vigueur immédiatement, mais seulement le 9 décembre 2023. Contrairement à ce que suppose la partie requérante, il n’est pas requis qu’elle ait déjà retiré à cette date tous les distributeurs automatiques de tabac qui se trouvent dans les établissements horeca de sa clientèle. Rien n’empêche la partie requérante de continuer à mettre dans le commerce des produits de tabac au moyen de tels distributeurs automatiques, aussi longtemps que l’interdiction attaquée n’est pas entrée en vigueur. Les dispositions attaquées n’empêchent pas non plus que la partie requérante se limite, dans la période entre le 9 décembre 2023 et le prononcé sur le recours en annulation, à mettre hors service ses distributeurs automatiques de tabac, sans enlever ou détruire ceux-ci.
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B.7. Il ressort de ce qui précède que le risque de préjudice grave difficilement réparable n’est pas démontré.
B.8. Dès lors qu’une des conditions de fond pour que la suspension puisse être décidée n’est pas remplie, il y a lieu de rejeter la demande de suspension.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette la demande de suspension.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 15 juin 2023
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 99/2023
Date de la décision : 15/06/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-06-15;99.2023 ?

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